On réduit trop souvent les réflexions de Montaigne (1533-1592) sur l’éducation à quelques formules dénonçant l’apprentissage par cœur et se moquant du pédantisme. Formules qui nous agréent et nous entraînent car elles paraissent sonner la récréation. Un lecteur un peu attentif remarque cependant vite que Montaigne non seulement souligne les difficultés de l’éducation mais même, pourrait-on dire, son impossibilité. En effet, ce qui enclenche le parcours d’éducation, c’est la distance créée par l’admiration des belles paroles et des belles actions. Cette admiration suscite le désir d’imitation, qui installe dans l’âme et l’esprit de celui qui apprend des modèles qui l’impressionnent et souvent l’intimident. Plus il s’efforce de s’en approcher visiblement, plus il s’en éloigne…
Dans les Essais, le chapitre « De l’institution des enfants » met en scène l’origine de tout mouvement sérieux d’éducation : le sentiment mi-douloureux mi-délicieux, voire enivrant, de la distance qui nous sépare des esprits que l’on admire. Montaigne utilise la métaphore de la montagne : en lisant un auteur ancien, il tombe sur un passage difficile mais excitant, « un précipice si droit et si coupé […] que je m’envolais en l’autre monde ». De là, Montaigne prend conscience de ses faiblesses, ce qui le motive à avancer dans l’étude : « Je découvris la fondrière d’où je venais, si basse et si profonde, que je n’eus plus le cœur d’y redescendre. » De ce sentiment naît aussi la vocation de l’éducateur, dont le rôle s’apparente à celui d’un guide de haute montagne : il « élève » son disciple en suivant son inclination naturelle à aller plus haut…