Dans la conduite des grandes enquêtes menées à partir des années 1840 dans divers pays européens, en particulier en France et en Belgique, les médecins ont tenu un rôle central, y associant durablement leur nom. Ces enquêtes se distinguent par l’ampleur de leur perspective, qui embrasse les populations d’un important secteur d’activité (le textile, coton laine et soie pour Villermé), voire de l’ensemble de l’industrie comme en Belgique, dans les enquêtes de Mareska et Heyman [cf. les contributions de François Jarrige, Thomas Le Roux et Éric Geerkens dans le présent volume]. Loin de vouloir entonner l’antienne des grands hommes du corps médical qui, forts de leur savoir et de leur posture nécessairement visionnaire, viendraient égrener l’histoire linéaire des progrès de la compréhension et de la prise en charge des maladies des ouvriers, notre contribution entend mettre en perspective le rôle spécifique des médecins dans la mise en œuvre de ces travaux. Comment expliquer la place des médecins dans ces dispositifs d’enquête ? Selon quelles modalités d’investigation procèdent-ils et quels savoirs et savoir-faire professionnels mettent-ils en œuvre au cours de leurs enquêtes ? Quelle est la nature particulière de leur contribution, en particulier : est-elle uniquement médicale ou participe-t-elle à transformer la perception des pathologies observées dans le monde ouvrier scruté par eux ? Au-delà des grands travaux de la seconde moitié du xixe siècle, le rôle qui leur a été confié (ou qu’ils se sont arrogé) s’est-il pérennisé …