Après la paix et la prospérité, quid du nouveau telos de l’Europe ? S’agit-il vraiment d’édifier une communauté politique digne de ce nom — au-delà de l’ordre juridico-marchand existant ? Quelle conception du politique engage-t-on lorsqu’on qualifie de politique l’état actuel de l’Union ? Faut-il vraiment considérer comme politique le fruit de processus pour l’essentiel économiques ? Tenter de répondre à ces questions suppose de faire droit à l’imagination et aux perspectives lointaines, plutôt que de s’attacher péniblement à rationaliser l’existant en instrumentalisant, voire en dénaturant, nos catégories politiques — au premier rang desquelles la constitution. C’est précisément ce dernier concept qui sert ici de fil conducteur. Car il condense sur son nom l’essentiel des enjeux face auxquels l’Europe se débat : existence politique, inscription spatio-temporelle, cohésion interne et externe. Deux lignes d’argumentation se dessinent, qui, en guise de début de réponse à ces interrogations massives, viennent décrire les deux faces d’un même processus, théorique et pratique : la fonctionnalisation du concept de constitution, d’un côté, conduisant à une rupture de l’équilibre historique qu’il avait permis entre démocratie et libéralisme, au profit de ce dernier ; l’économicisation du politique, de l’autre, à savoir la domination de la logique économique au sein de l’ordre politique, au sens non pas tant d’un ordre où le marché dominerait les choix politiques que d’un ordre dont le fonctionnement emprunte à l’économie le modèle général du marché.