« Dès que tu fermes les yeux, l’aventure du sommeil commence. » Tout entier placé sous le signe du sommeil, Un homme qui dort, roman que Perec écrit à trente ans, raconte la lente marche d’un homme vers le détachement, l’indifférence, l’inexistence. Sans événement déclencheur autre qu’un « malaise insidieux, engourdissant, à peine douloureux et pourtant insupportable, l’impression doucereuse et étouffante d’être sans muscles et sans os, d’être un sace de plâtre au milieu des sacs de plâtre », le processus s’inscrit d’abord et avant tout dans le corps, où il se déploie inexorablement, amenant celui que le narrateur désigne par « tu » à devenir un être fantomatique, indifférent à tout et en premier lieu à sa propre existence : « Ne plus rien vouloir. Attendre jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à attendre. Traîner, dormir. Te laisser porter par les foules, par les rues. Suivre les caniveaux, les grilles, l’eau le long des berges. Longer les quais, raser les murs. Perdre ton temps. Sortir de tout projet, de toute impatience. Etre sans désir, sans dépit, sans révolte. Ce sera devant toi, au fil du temps, une vie immobile, sans crise, sans désordre : nulle aspérité, nul déséquilibre. Minute après minute, heure après heure, jour après jour, saison après saison, quelque chose va commencer qui n’aura jamais de fin : ta vie végétale, ta vie annulée ». Au cœur de ce processus, le corps et ses différents états – veille, sommeil tension, repos –, jouent un rôle central, au point que l’on peut se demander si la séparation du corps et du psychisme, ou plus exactement la promotion de l’un au détriment de l’autre, ne sont pas en réalité le but ultime d’une dépression qui semble dan…