Pour beaucoup, et depuis ses origines, la rhétorique a mauvaise presse. On la voit comme « science du confus ». Son terreau est l’incertain et le vague, le douteux et le conflictuel. C’est d’ailleurs ainsi qu’elle est apparue en Sicile, la tyrannie une fois effondrée, quand il s’est agi de permettre aux propriétaires spoliés de défendre leur cause pour récupérer leur bien. Les premiers avocats furent ces intellectuels qu’on a appelés Sophistes car ils professaient la sagesse pour plaider le sort des victimes abusées. Très vite, ils se vendirent à toutes les causes, ce que Platon leur reprocha. Il n’eut de cesse d’opposer la rhétorique, fausse sagesse ou sophistique, à la philosophie qui, elle, se refuse à sacrifier aux apparences de la vérité pour dire tout et son contraire, ce qui est condamnable, même si c’est rentable. De là est née l’idée qu’un sophisme est un raisonnement fallacieux et trompeur mais qui n’apparaît pas tel. Il a tous les traits de la vérité, sauf un, celui qui compte : il est erroné. Le sophiste est l’antithèse du philosophe, comme la rhétorique est le contraire de la pensée juste.
La condamnation de Platon a été déterminante dans l’histoire de la rhétorique. Tantôt assimilée à de la propagande, tantôt à de la séduction, la rhétorique est souvent ramenée, depuis, à la manipulation des esprits par le discours et les idées, alors que la philosophie, elle, les libère, comme les prisonniers de la Caverne. Cela dit, la rhétorique aurait pu surmonter le handicap de cet opprobre si elle s’était dotée de contours clairs et d’une définition précise, ce qui n’a pas été le cas, même chez Aristote, encore trop sous l’emprise de Platon…