L'énigme de la dépression, maladie des humeurs – trouble de la bile noire – depuis Hippocrate, maladie de l'âme chez Kierkegaard, traverse le champ de la culture et de la médecine. Elle se situe à la frontière de la psyché et du soma, et aujourd'hui, les neurosciences, à travers l'étude des neuromédiateurs, tentent d'en déchiffrer le mystère. La mélancolie, paradigme de la dépression, a un destin culturel singulier dans la mesure où, dès l'origine, elle désigne un état d'être au monde douloureux et solitaire que les auteurs, depuis l'Antiquité, relient aux créateurs, hommes de génie, jusqu'à l'apogée romantique du héros, artiste tourmenté, tel Baudelaire qui, dans Les Fleurs du mal, glorifie le « Spleen ».
Si le terme de dépression aujourd'hui, dans son usage courant, désigne une problématique psychopathologique identifiable concernant les troubles de l'humeur, le terme n'apparaît qu'à l'aube du xxe siècle (Kraepelin, 1889). Au xixe siècle, elle avait été référée à la neurasthénie, la psychasthénie, la mélancolie, dans une confusion certaine. La psychiatrie du début xxe, dans son effort de clarification noso-graphique, va s'efforcer d'apporter un éclairage nouveau. D'abord se trouve une définition claire de la dépression : « État psychique caractérisé par un trouble de l'humeur dans le sens d'une diminution de l'élan vital, avec tristesse, ralentissement idéomoteur et psychomoteur, douleur psychique et physique, dérèglements neurovégétatifs. » La dépression signe un état de détresse et de désespoir, pouvant aboutir à un état suicidaire, qui fait considérer cette affection « banale » comme une affection potentiellement mortelle dont le paradigme reste la mélancolie qui met le sujet en danger de mort (Kraepelin, 1889)…