Dhe krwa dhe raiba Zi mao hin... La chose se dit dans toutes les langues et sur tous les tons, y compris chez les Na de Chine, aux confins de l’Himalaya : « On ne s’accouple pas avec ceux qui mangent dans le même bol et la même assiette » – il n’est pas rare que les manières de table soient un guide pour s’y retrouver dans les manières de lit, à moins que ce ne soit l’inverse. Pourquoi retenir l’exemple lointain des Na ? Parce que ceux qui, comme eux, font fi des contraintes du mariage et accordent au gré des visites nocturnes et furtives une même disponibilité sexuelle aux hommes et aux femmes, se montrent néanmoins devant l’inceste d’une intransigeance qui ne le cède en rien aux sociétés les plus policées.
Universelle comme le sont les faits de nature, spécifiquement humaine en tant que règle, la prohibition de l’inceste est la « démarche fondamentale en laquelle s’accomplit le passage de la Nature à la Culture ». Ces mots célèbres de Lévi-Strauss prononcés dans Les structures élémentaires de la parenté (1949) ont laissé une empreinte durable, même si la solennité de l’affirmation s’est trouvée, depuis, quelque peu ébranlée. Notamment parce que l’opposition Nature/Culture a perdu une partie de sa valeur opératoire. La Nature n’est pas cette situation originelle d’où les hommes auraient émergé ; probablement élaborée au Néolithique, la notion de « nature » est elle-même culturelle. Et quand bien même elle prétendrait saisir une réalité autre qu’humaine, les représentations qui la constituent ne parviennent jamais à se départir de ce qui leur donne naissance…