Au tournant des années 1920-1930, la direction stalinienne précipita le pays dans des bouleversements politiques, économiques et sociaux marqués par la collectivisation des campagnes et l’industrialisation forcées. Déterminée à remodeler la société en détruisant le monde paysan et en la purgeant de tous les récalcitrants et marginaux, elle engagea un processus de « radicalisation cumulative » [Mommsen, 1976] qui frappa de larges catégories de la population et qui culmina dans la Grande Terreur de 1937-1938 [Werth, 2009]. La police politique, placée à la tête du système pénal, développa le Goulag comme instrument de terreur et d’expansion industrielle. Cette administration pénitentiaire connut une croissance constante jusqu’à la mort de Staline, à mesure que de nouveaux groupes étaient incarcérés et déportés et que ses prérogatives économiques se développaient.
De la période impériale, le régime bolchevique conserva deux formes majeures de châtiment : l’exil sur décision de l’exécutif et le travail forcé dans des pénitenciers. Le gouvernement impérial déportait ses opposants politiques dans des régions isolées et entretenait des bagnes en Sibérie et en Extrême-Orient [Gentes, 2007 ; Dostoïevski, 2014 ; Tchekhov, 2001]. En 1914, les prisons impériales détenaient, après dix ans de troubles révolutionnaires et quarante ans de terrorisme, 177 000 prisonniers (sur une population de 168 millions), dont 29 300 bagnards [Jakobson, 1993, p. 11-12, 18]. Le travail pénitentiaire et le transport périlleux vers des régions inhospitalières constituent les caractéristiques d’une culture pénale russe spécifique qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours [Pallot, 2015]…
Mise en ligne 26/10/2017