Des gouvernements de gauche, Cartel de 1924-1926 et néo-Cartel de 1932-1934, des années antérieures aux gouvernements de Front populaire de 1936-1938, s’opère une rupture dont il est difficile de mesurer exactement l’importance. Certains auteurs ont parlé à ce propos de l’apparition d’une « nouvelle économie du politique » [Rosanvallon, 2000]. Les éléments qui plaident en faveur de cette interprétation, soit une expérience gouvernementale d’un type inédit, sont assez nombreux. On peut les énumérer rapidement.
Le premier tient à l’ampleur des processus collectifs de mobilisation et de politisation, qui touchent, selon un terme affectionné par les contemporains, les « masses ». Ces processus de masse, qui apparaissent lorsque la récession économique fait sentir ses effets destructeurs en 1932-1933, s’intensifieraient jusqu’au point culminant de l’été 1936, puis déclineraient, jusqu’au ressaut de la grève de novembre 1938. La conjonction de mouvements sociaux d’une force inédite avec des engagements militants en faveur des gauches serait propre au Front populaire. La comparaison avec des épisodes antérieurs, ainsi au temps du Cartel en 1924, montre effectivement que quelque chose de nouveau se produit au milieu des années 1930.
Deuxième élément à l’appui de cette thèse, le glissement à gauche, voire à l’extrême gauche, qui résulte des élections législatives d’avril-mai 1936. Pour la première fois en France, avec le ministère formé par Léon Blum au début de juin 1936, un gouvernement est dirigé par un socialiste…