Notes
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[1]
Madani Safar-Zitoun, « Les politiques urbaines en Algérie : une réforme libérale inachevée », in Julien Le Tellier, Aziz Iraki (dir.), L’Habitat social au Maghreb et au Sénégal, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 66-68.
-
[2]
Conflit qui opposa le gouvernement algérien à des groupes islamistes, déclenché suite à l’interruption par les autorités des élections législatives de décembre 1991, après des résultats du premier tour qui donnaient le Front islamique du salut (FIS) vainqueur.
-
[3]
« L’Algérie dans la voie du socialisme, Une tâche difficile : donner à tous des logements décents », Les Échos, hors-série spécial, octobre 1965, p. 22.
-
[4]
Ordonnance n° 67-83 du 2 juin 1967.
-
[5]
En 1981, les services du ministère de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Construction établissaient que seulement 28 % des loyers du secteur des ex-biens vacants étaient effectivement perçus par l’administration. Voir M. Safar-Zitoun, « État Providence et politique du logement en Algérie. Le poids encombrant de la gestion politique des rentes urbaines », Revue Tiers Monde, vol. 2, n° 210, 2012, p. 89-106.
-
[6]
Expression empruntée à Madani Safar-Zitoun.
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[7]
Front de libération nationale, Charte nationale, FLN, 1976, p. 187. Cette politique de l’habitat est précisée dans « la note de présentation relative de l’habitat » publiée dans le JORA (Journal officiel de la République algérienne) du 9 février 1977.
-
[8]
Nadir Abdullah Benmatti, L’Habitat du Tiers-monde : cas de l’Algérie, Alger, SNED, 1982, p. 9.
-
[9]
Jean-Jacques Deluz, L’Urbanisme et l’architecture d’Alger. Aperçu critique, Liège/Alger, Mardaga/OPU, 1988, p. 140.
-
[10]
Safar-Zitoun, Madani, Stratégies patrimoniales et urbanisation. Alger 1962-1992, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 155-158.
-
[11]
Ibid.
-
[12]
À ce sujet voir : Malik Chebahi, L’enseignement de l’architecture à l’École des Beaux-Arts d’Alger et le modèle métropolitain. Réceptions et appropriations. 1909-1962, thèse de doctorat en architecture, sous la direction de Yannis Tsiomis, université Paris Est, 2013.
-
[13]
Par ordonnance n° 66-64 du 4 avril 1966, paru au journal officiel algérien du 5 avril 1966.
-
[14]
L’association a été agréée le 21 juillet 1990.
-
[15]
Récépissé d’enregistrement n° 51, délivré le 11 avril 1922.
-
[16]
L’ordre des architectes algériens (OAA) a été créé par décret n° 94-07 du 18 mai 1994.
-
[17]
Loi n° 90-25 du 18 novembre 1990.
-
[18]
Rapport du plan d’aménagement d’Alger : le Grand Projet urbain, gouvernorat d’Alger, 1998, p. 79.
-
[19]
Voir en ligne : www.aadl.com.dz, consulté le 24 mars 2021.
-
[20]
Nahla Rif, « Habiter mieux ou loger d’abord », Vie des villes, n° 2, mars 2005, p. 27.
-
[21]
« Le message du président Abdelaziz Bouteflika aux architectes — Décembre 2006 — Cap sur la qualité », Vie des Villes, numéro spécial, janvier 2013, p. 2-3.
-
[22]
Une distinction instituée en 1994, très rarement remise ; suspendue en 2006, elle est relancée en 2011.
-
[23]
Fondée en 2005 par l’architecte-urbaniste Akli Amrouche.
-
[24]
« Projet des 100 logements AADL à Touggourt, Wilaya de Ouargla, 2e prix national d’architecture 2004 », Vie des villes, n° 2, op.cit. note 20, p. 18.
-
[25]
Ibid., p. 20.
-
[26]
Né en 1964 à Alger, il est diplômé de l’École polytechnique d’architecture et d’urbanisme d’Alger en 1987. Installé à son compte depuis 1993, il a été de multiples fois lauréat du prix national de l’architecture. Ses projets les plus connus sont le siège CNEP de Sétif, le siège Sofinance et l’immeuble historial à Alger.
-
[27]
Né en 1965, il est diplômé de l’École polytechnique d’architecture et d’urbanisme en 1989. Ses projets les plus emblématiques sont le musée d’Art moderne et contemporain d’Alger (MAMA) et le siège du ministère des Affaires étrangères, pour lequel il obtient le 1er prix national d’architecture en 2012.
-
[28]
Qui devait, à l’origine, être une technopole.
-
[29]
Bien que l’entreprise ait été blacklistée entre 2009 et 2015 par la Banque mondiale pour des faits de fraude et de corruption aux Philippines et au Vietnam, elle a raflé les plus gros chantiers d’Algérie : l’hôtel Sheraton, le nouveau terminal de l’aéroport d’Alger, le ministère des Affaires étrangères et la nouvelle grande mosquée d’Alger.
-
[30]
Voir en ligne : http://www.cscec.dz/fr/services/residence.html, consulté le 24 mars 2021.
-
[31]
Né en 1981, il est diplômé de l’École polytechnique d’architecture et d’urbanisme d’Alger en 2005.
-
[32]
« Les tours des Grands-Vents », Vie des villes, n° 22, mai 2015, p. 74.
-
[33]
Données extraites du rapport de la Caisse nationale du logement de 2018. Voir en ligne : www.cnl.gov.dz, consulté le 24 mars 2021.
-
[34]
Mohamed Larbi Merhoum, « L’État doit se défaire de l’acte de bâti », Liberté, publié le 13 décembre 2018. Voir en ligne : www.liberte-algerie.com/actualite/letat-doit-se-defaire-de-lacte-de-batir-304818, consulté le 24 mars 2021.
-
[35]
Une première fois entre le 31 mai 2001 et le 4 juin 2002, et une seconde fois du 3 septembre 2012 au 25 mai 2017.
1Un an avant la chute du mur de Berlin, le 5 octobre 1988, sur tout le territoire algérien, des milliers de jeunes sont sortis dans la rue pour protester contre la hausse généralisée des prix et la raréfaction de produits de première nécessité. Durant tout le mois d’octobre, de violents affrontements opposent des manifestants aux forces de l’ordre. Bien que violemment réprimée, cette révolte populaire oblige un pouvoir socialiste, à bout de souffle et embourbé dans une grave crise économique, à engager d’importantes réformes. En conséquence, l’année 1989 est marquée par une importante révision constitutionnelle qui introduit le multipartisme et met ainsi fin à l’hégémonie du Front de libération nationale (FLN), tenant du pouvoir depuis l’accession de l’Algérie à l’indépendance, en 1962. La constitution de 1989 amorce notamment le passage de la légitimité historique à la légitimité élective. Elle efface aussi des notions clés de l’ancien régime constitutionnel tel que « l’option socialiste », pourtant sacrée option intangible par l’article 195 de la Constitution de 1976.
2Le passage à une économie de marché a pour effet immédiat de changer le discours sur les modes de production de l’habitat et d’accession à la propriété. En effet, en Algérie, jusqu’à la fin des années 1980, le secteur de la construction est totalement public. L’État est le seul responsable en matière de production, distribution et gestion du patrimoine immobilier [1]. La nouvelle donne politique et économique de 1989 impose la libéralisation du secteur de l’habitat et la promulgation de nombreuses mesures en faveur de l’ouverture aux opérateurs privés. Parallèlement, le milieu de l’architecture connaît lui aussi un tournant. En effet, de plus en plus d’architectes, auparavant obligés de se cantonner dans le fonctionnariat, s’installent en nom propre, et un ordre des architectes est créé. Ce nouveau milieu de l’architecture et l’émergence de figures riches de références internationales donnent naissance à un débat public autour de la qualité de la production architecturale et de l’habitat dans le pays. Le nouveau paysage esquissé par la Constitution de 1989 ne s’affirme cependant qu’au tournant des années 2000, mis entre parenthèses par une guerre civile de presque dix années [2].
3Pour illustrer le basculement libéral de 1989, cette contribution revient sur les dates clés de l’histoire de l’habitat en Algérie et explore le rôle des promoteurs immobiliers et des opérateurs privés dans l’apparition de nouveaux modèles d’habitat durant les années 2000. Cet écrit, qui prend notamment en exemple la ville d’Alger, met aussi en exergue l’impossible désengagement de l’État du secteur du logement et les réminiscences d’une culture socialiste trop ancrée.
L’habitat socialiste, le modèle unique des grands ensembles (1962-1989)
4Dès l’indépendance du pays, les tenants du pouvoir se sont trouvés face à l’urgence de loger des millions d’Algériens vivant dans des conditions très précaires. Dans un article paru en 1965, le journal Les Échos estimait que l’Algérie disposait d’environ 2 millions de logements pour loger environ 11 millions d’habitants, « pour les trois quarts, des logements de type “non européen”, parmi lesquels 300 000 tentes et près de 100 000 logements-bidonvilles [3] ». La « question du logement » est donc très vite apparue comme un enjeu politique et social. Aux côtés de la médecine et de l’instruction gratuite que met en place l’Algérie socialiste, va se former peu à peu la promesse d’un « logement pour tous ».
5Dans un premier temps, entre 1962 et 1977, l’État algérien se contente de nationaliser le parc immobilier et foncier laissé vacant par l’exil des Européens d’Algérie. Les « biens vacants » deviennent « biens d’État » par ordonnance en 1967 [4]. Ils sont occupés par les premiers Algériens à s’être rués sur ce butin de guerre, moyennant des loyers très modestes, bien en deçà du prix du marché, et qui sont d’ailleurs, pour la plupart, impayés [5]. C’est le début du « pacte patrimonial de l’indépendance [6] » qui va lier l’État algérien à ses concitoyens. D’un côté, un État unique propriétaire et, de l’autre, des citoyens usufruitiers logeant gratuitement.
6Durant toute cette période, il n’y a pas eu de programmes notables de construction de logements, les ressources économiques sont principalement destinées à l’industrialisation du pays. La construction massive de logements ne devient une priorité de l’action du gouvernement algérien qu’avec la Charte nationale de juin 1976, le texte d’orientation idéologique guidant l’action du parti au pouvoir. La Charte évoque l’objectif de 100 000 logements par an à partir de l’année 1980 et l’ambition d’« assurer à chaque famille algérienne vers la fin de la décennie, un logis décent comprenant tous les éléments du confort moderne [7] ». Le texte, véritable déclaration de droit au logement, est mis en application dès l’année suivante avec le lancement d’un vaste programme et la création d’un ministère de l’Habitat et de la Construction [8].
7La stratégie algérienne repose principalement sur la production de masse de logements par la construction de grands ensembles. La promotion immobilière publique du logement collectif est donc dominante. Elle se fait par le biais d’organismes publics spécialisés tels que l’office de promotion et de gestion immobilière (OPGI) ou l’Office national du logement familial (ONLF), à la fois promoteurs et gestionnaires. L’État algérien, qui veut tout de même éviter les échecs urbains, architecturaux, sociaux des Zup, inscrit la majorité des projets de grands ensembles dans de véritables cités satellites où sont programmés conjointement ensembles d’habitation de très grandes dimensions, équipements, et emplois : ce sont les Zhun (Zones d’habitat urbaines nouvelles). La plupart des Zhun ont été construites par des entreprises internationales telles que Bouygues ou Vinci sur la base de plans-types et de normes européennes, souvent inadaptés à la structure de la famille algérienne. Le mode constructif en panneaux de béton préfabriqués, procédé jugé le plus rapide, devient la norme jusqu’à la fin des années 1980 ; « Ce sont les grandes sociétés nationales ECOTEC, DNC, SONATIBA… qui achètent et développent des procédés de préfabrication lourde [9]. » Cette politique de multiplication de Zhun, qui ne furent jamais dotées des équipements projetés, consistent en d’immenses cités-dortoirs. Conçues selon les disponibilités foncières et sans réelle articulation avec la ville existante, elles ont produit des espaces anonymes et monotones qui rappellent les ternes architectures des banlieues d’Occident.
8L’immense pénurie fait tout de même que les logements construits sont très convoités. Ils sont, en principe, distribués à la population suivant des quotas obéissant à des critères administratifs. Cependant, la distribution se fait aussi en fonction des pressions et des enjeux d’intérêts, souvent considérables. L’attribution des logements relève, en majorité, du système locatif, mais dès 1981, la vente devient un objectif. En effet, cette année-là, une loi de cession des biens de l’État est promulguée. Cependant, ni cette cession ni les différentes politiques d’autoconstruction qui se généralisent à partir de 1986 ne réussissent à endiguer la crise du logement. Il y a tout de même une évolution doctrinaire qui s’opère : le passage « de l’habitat “socialiste” au logement “social” [10] ». En effet, dans la Charte nationale de 1986 :
« On relève un fort infléchissement des principes généreux et égalitaristes de départ dans une direction plus “réaliste” et restrictive […] Ce ne sont plus que les “travailleurs” et autres “catégories défavorisées” qui sont censés bénéficier d’un traitement de faveur de la part de l’État. L’éventail originel des catégories de bénéficiaires se rétrécit considérablement […] De la conception socialiste de la politique du logement basée sur l’hypothèse de la généralisation du salariat, donc du nivellement des revenus et des disparités sociales, on passe à une conception “sociale” qui reconnaît implicitement leur non-réduction [11]. »
Des logements faits sans architectes
10Les grands absents de cette période pré-1989 sont les architectes ; paradoxalement exclus de la réflexion autour de la production de logements, alors que l’Algérie est un des seuls pays de la région à compter une école d’architecture héritée de la présence française dans le pays [12]. L’explication est sans doute à chercher dans l’histoire de la profession et la manière dont les architectes algériens ont été bridés et empêchés par les pouvoirs publics. En effet, si à la veille de l’indépendance algérienne, la corporation comptait quelque 400 architectes inscrits à l’ordre des architectes d’Algérie ; à l’indépendance, c’est un conseil provisoire qui lui succéda. Il était composé de cinq architectes algériens et une soixantaine d’architectes étrangers, pour la plupart des Français natifs d’Algérie.
11En 1966, le régime socialiste, sans doute par crainte qu’un milieu dominé par les architectes étrangers ne lui échappe, décide la dissolution du conseil provisoire des architectes d’Algérie. L’ensemble des attributions du conseil sont transférées au ministre des Travaux publics [13]. Le 10 mai 1966 paraît la première liste d’architectes autorisés à exercer en Algérie ; elle comporte 44 noms dont seulement cinq Algériens. La majorité des architectes étrangers inscrits sur cette liste sont encore des Français d’Algérie qui, par manque de commandes, déserteront le pays l’année suivante.
12Le milieu de l’architecture va devenir celui des coopérants et des grands noms de l’architecture internationale sollicitée pour de prestigieux projets ; l’Algérie verra s’installer Fernand Pouillon et défiler Oscar Niemeyer, Kenzō Tange et bien d’autres. La grande figure algérienne de l’époque est incontestablement Abderrahmane Bouchama. Bien qu’ancien combattant, très attaché au modèle socialiste et très introduit dans les institutions du régime, Abderrahmane Bouchama souhaite que la corporation s’organise loin du très bureaucratique ministère des Travaux publics. Il saisit l’occasion de la sortie de la troisième promotion de l’École nationale d’architecture et des beaux-arts pour fonder l’Union des architectes algériens (UAA). Elle compte lors de l’assemblée constitutive, tenue les 30 et 31 octobre 1970 à Alger, une trentaine d’architectes algériens. Très active lors de ses premières années, elle organise des assemblées générales en 1972 et 1973, puis plus rien jusqu’au seul et unique congrès qu’elle ait pu réunir en mars 1981. Bien déterminé à marginaliser une profession trop revendicative, le parti unique du FLN décide, en mars 1985, la fusion de l’UAA avec l’Union des ingénieurs et d’autres associations de scientifiques pour créer l’Union nationale des ingénieurs, architectes et scientifiques algériens (UNIASA). Une association de corporations disparates aux intérêts divergents. Rejetant ce brassage contre-nature, la majeure partie des architectes n’adhérera jamais à cette association qui, logiquement, ne pouvait porter les aspirations de toutes ses composantes. Le nouveau cadre politique de 1989 autorise les architectes, comme un grand nombre de corporations, à se structurer en association. Le début des années 1990 voit notamment l’UAA se recréer [14], la naissance du Groupement syndical des architectes (GSA) [15], et un nouvel ordre des architectes s’établir [16]. La profession ne pourra cependant pleinement s’exprimer qu’une fois la paix civile retrouvée.
13Les années 1990 permettent surtout à l’État algérien, en période de crise politique et sociale, de légiférer et de planter le nouveau cadre libéral. La doctrine étatique en matière de logement social connaît un net infléchissement, avec la promulgation de la loi d’orientation foncière [17], texte fondateur du retour à la liberté des transactions immobilières et foncières abandonnée en 1971. Elle établit notamment les droits de propriété des particuliers sur leurs biens immobiliers et fonciers. En outre, elle abroge les dispositifs qui verrouillaient l’initiative privée dans le domaine urbain. La matérialisation des réformes se voit plus en projets sur papier qu’en des réalisations concrètes. C’est le cas notamment du projet d’aménagement de la ville d’Alger. Publié en 1997, il donne le ton :
« La mobilisation des capitaux privés pour le financement direct du logement ou l’accroissement des ressources nécessaires à son financement peut être d’une efficacité incomparable dans le cas d’Alger, pour peu que l’on s’intéresse à la récupération ou à la valorisation du gisement de plus-values foncières que recèlent les terrains de la capitale, eu égard à l’utilisation qui en est faite, en particulier dans les espaces centraux [18]. »
Le foisonnement de promoteurs immobiliers privés durant les années 2000
15L’arrivée au pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika en 1999 et le retour d’une stabilité politique et institutionnelle, associés à des moyens financiers importants issus de la forte hausse du prix des hydrocarbures, entraînent un revirement dans la stratégie de production de l’habitation énoncée durant la dernière décennie. Face à l’important déficit accumulé et à l’urgence d’éradiquer les logements informels construits pour abriter la vaste population rurale qui avait fui les violences, l’État a recours aux vieilles recettes. En effet, un programme spécial de logement est lancé, l’objectif fixé par le nouveau président étant de produire un million de logements sur cinq ans. Une nouvelle structure voit notamment le jour en 2001, l’Agence nationale de l’amélioration et du développement du logement (AADL). Placée sous la tutelle du ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme, elle est chargée de l’exécution d’un programme d’habitat sous forme de location-vente destiné aux citoyens disposant de revenus moyens. Le financement de ce type de logement est assuré à raison de 25 % par l’apport personnel de l’acquéreur et de 75 % par concours du Trésor public, remboursable en 25 ans sous forme de loyers [19].
16La faible disponibilité foncière dans les grandes villes a mené l’AADL à réfléchir à densifier l’occupation au sol par le recours aux immeubles à grande hauteur (R + 17). Cependant, l’inexpérience des entreprises de bâtiment algériennes pour la construction de ce type d’édifice a obligé l’Agence à revoir sa stratégie et à se contenter d’un gabarit maximal de R + 9 [20]. L’attention à la qualité architecturale est le leitmotiv des discours tenus par les responsables de l’AADL. Il faut y voir la volonté de ne pas réitérer les erreurs du passé et, surtout, une manière de rassurer les futurs acquéreurs. Le président de la république lui-même exhorte les architectes à faire preuve de créativité, à mettre « le cap sur la qualité » et à « en finir avec les cités-dortoirs [21] ». Un discours volontariste qui laisse croire que la responsabilité de la qualité de la production de logement repose sur les seuls architectes, alors que bien souvent, ce sont les fortes coupes budgétaires et l’annulation de la construction des équipements d’accompagnement qui compromettent le projet.
17Certaines opérations sont tout de même très réussies, à la fois dans la richesse des expressions architecturales, le recours à la couleur pour égayer les façades, et les normes de confort thermique et acoustique adoptées. Ces projets sont souvent primés et figurent au palmarès du prix national d’architecture [22], au même titre que des équipements prestigieux. La presse architecturale consacre, elle aussi, des projets de logements. Ainsi, Vie des villes, une importante revue locale d’architecture [23], fait régulièrement état dans ses parutions de projets qu’elle juge modèles et rompant avec les pratiques du passé. Souvent, les articles s’attardent sur le soin apporté au dessin du plan de masse et à la part faite aux aménagements extérieurs. C’est le cas, par exemple, pour le projet de 100 logements à Touggourt, conçu par l’agence Ouamane et Ariouat, 2e prix national d’architecture en 2004. Pour ce projet, les architectes se sont inspirés du patrimoine architectural du Sud du pays pour les expressions architecturales et l’organisation spatiale du groupement de logements. L’article que lui consacre la revue salue une architecture située et soutient que « le projet architectural est venu contrecarrer les tendances observées par le passé en matière de projection de cités d’habitat sans se soucier de la qualité architecturale du logement, son impact sur l’espace urbain et la qualité du cadre bâti [24] ». Les architectes interviewés évoquent, quant à eux, le devoir qui leur incombe de faire un effort d’imagination supplémentaire pour créer un effet d’entraînement sur le plan de l’occupation de l’espace et d’une certaine qualité architecturale [25]. Ces propos témoignent des ambitions de la scène architecturale locale qui commence à émerger pleinement dans les années 2000. Ses acteurs sont avides de renouveler le paysage architectural et urbain de l’Algérie. Pour la première fois dans l’histoire du pays, des figures fortes, éprises de références internationales et sensibles à la production d’une architecture locale, occupent le terrain médiatique. Très présents dans une presse généraliste, qui depuis 1989 est libre, des architectes tels que Larbi Merhoum [26] et Abdelhalim Faydi [27] ne cessent de plaider pour une meilleure qualité architecturale, des projets à taille plus humaine et pour la prise en charge de la réflexion urbaine.
18Les réussites architecturales et urbaines de certaines réalisations ne sont cependant pas assez suffisantes pour masquer la réalité de la majeure partie des logements construits par l’AADL et les autres structures étatiques. En effet, les médias généralistes rapportent régulièrement la mauvaise qualité de finition des logements sociaux et les difficultés générées par les grands ensembles : difficultés de gestion des infrastructures collectives, manque d’équipements de proximité, éloignement, manque de transports en commun, mauvaise gestion du ramassage des ordures, insécurité, etc. L’illustration parfaite de ce concentré de maux algériens est le programme faramineux de 10 000 logements bâtis dans la ville nouvelle de Sidi Abdellah [28]. Confié à l’entreprise de construction chinoise China State Construction Engineering Corporation (CSCEC) [29], qui affirme sur son site internet être « le premier constructeur mandaté par l’État algérien [30] » pour la réalisation de logements sociaux, le projet est une gigantesque cité-dortoir dont se dégage une grande monotoniefig. a. En effet, étalée sur 109 hectares, il y a seulement quatre variantes dans les typologies des blocs de logementfig. b. Ce projet « made in China », réalisé grâce à des centaines d’ouvriers venus de l’empire du Milieu, témoigne assez bien de la priorisation du « produire vite » au détriment de la qualité.
19Le renouvellement des modèles vient surtout de l’initiative de promoteurs immobiliers privés qui visent la production de logement haut et moyen standing pour la classe aisée. Ils sont à la fois algériens et étrangers. Il y a notamment l’afflux de nombreux promoteurs moyen-orientaux. Les Libanais, ayant fait leurs preuves chez eux et dans des pays comme le Qatar et les Émirats arabes unis, sont très présents. Ils s’installent en Algérie, attirés par les énormes avantages financiers mis en place pour encourager la production massive de logements. Pour s’assurer une bonne qualité d’habitat, ces promoteurs nationaux et internationaux ont recours à des matériaux d’importation et font appel à des sociétés de construction étrangères (turques, portugaises, espagnoles, chinoises). Le projet le plus remarqué de la période est celui de l’architecte-promoteur algérien Tarik Bey Ramdane [31], auteur de la résidence « Les Tours » à Algerfig. c. Le projet est constitué de deux tours en R + 13, ont des accents de Richard Meierfig. d. Au pied des deux tours, un petit volume en RDC abrite une piscine et un spa. Des F5 de surfaces généreuses constituent la majorité du programme, ils sont deux par palier, organisés autour d’un hall centralfig. e. Au dernier niveau se trouve la « sky-house », d’une surface de plus de 513 m2 ; elle occupe tout un niveau organisé autour d’une piscine. Le promoteur déclame : « Ses vues dégagées sur la mer et la plaine lui confèrent les attributs d’une maison suspendue au ciel [32]. »fig. f Exceptionnel dans le panorama architectural algérien, le projet obtient le 2e prix national d’architecture (prix du Premier ministre).
Vue d’ensemble de la cité 10 000 logements AADL à Sidi Abdellah, Algérie.
Vue d’ensemble de la cité 10 000 logements AADL à Sidi Abdellah, Algérie.
Immeubles de la cité 10 000 logements AADL à Sidi Abdellah, Algérie.
Immeubles de la cité 10 000 logements AADL à Sidi Abdellah, Algérie.
Résidence « Les Tours » à Alger.
Résidence « Les Tours » à Alger.
Résidence « Les Tours » à Alger.
Résidence « Les Tours » à Alger.
21Bien que très développée durant les années 2000, la promotion privée ne produit que 8 000 logements par an. En additionnant l’autoconstruction officielle et illicite, l’offre privée ne dépasse pas 23 000 logements par an contre près de 230 000 logements publics livrés chaque année [33]. L’État algérien demeure le premier promoteur immobilier avec près de 90 % des nouvelles constructions annuelles. Les options libérales du pays n’ont pas systématiquement induit une meilleure qualité architecturale des logements sociaux. L’architecte Larbi Merhoum estime qu’il faut sortir d’une gestion administrée de l’acte de bâtir et considérer définitivement le logement comme un produit marchand. Il analyse aussi que « depuis 1989 […] nous avons changé de projet politique sans changer d’outils de gouvernance. Nous pratiquons une mauvaise politique de gauche avec de mauvais outils de droite… et inversement ! L’embellie financière de notre pays a eu pour effet de gonfler artificiellement, et avec des effets inverses, un État central omnipotent sans vision sur le long terme et un secteur privé, à quelques exceptions près, adepte du court terme. En fait, nous n’avons pas fait de choix clairs sur cette question du logement, de l’habitat et de la ville parce que nous n’avons pas fait de choix clairs sur la gouvernance économique du pays [34] ». Depuis décembre 2019, l’Algérie a comme président Abdelmadjid Tebboune, deux fois ministre de l’Habitat durant les années 2000 [35]. Il connaît bien les enjeux politiques liés à la construction de logement en Algérie, il est donc très peu probable que, sous sa tutelle, le logement perde son statut de prestation sociale pour devenir un bien marchand. La libéralisation prônée en 1989 reste à parachever.
Plan-type F5 de la résidence « Les Tours » à Alger.
Plan-type F5 de la résidence « Les Tours » à Alger.
Plan de l’appartement « sky-house » de la résidence « Les Tours » à Alger.
Plan de l’appartement « sky-house » de la résidence « Les Tours » à Alger.
Notes
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[1]
Madani Safar-Zitoun, « Les politiques urbaines en Algérie : une réforme libérale inachevée », in Julien Le Tellier, Aziz Iraki (dir.), L’Habitat social au Maghreb et au Sénégal, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 66-68.
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[2]
Conflit qui opposa le gouvernement algérien à des groupes islamistes, déclenché suite à l’interruption par les autorités des élections législatives de décembre 1991, après des résultats du premier tour qui donnaient le Front islamique du salut (FIS) vainqueur.
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[3]
« L’Algérie dans la voie du socialisme, Une tâche difficile : donner à tous des logements décents », Les Échos, hors-série spécial, octobre 1965, p. 22.
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[4]
Ordonnance n° 67-83 du 2 juin 1967.
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[5]
En 1981, les services du ministère de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Construction établissaient que seulement 28 % des loyers du secteur des ex-biens vacants étaient effectivement perçus par l’administration. Voir M. Safar-Zitoun, « État Providence et politique du logement en Algérie. Le poids encombrant de la gestion politique des rentes urbaines », Revue Tiers Monde, vol. 2, n° 210, 2012, p. 89-106.
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[6]
Expression empruntée à Madani Safar-Zitoun.
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[7]
Front de libération nationale, Charte nationale, FLN, 1976, p. 187. Cette politique de l’habitat est précisée dans « la note de présentation relative de l’habitat » publiée dans le JORA (Journal officiel de la République algérienne) du 9 février 1977.
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[8]
Nadir Abdullah Benmatti, L’Habitat du Tiers-monde : cas de l’Algérie, Alger, SNED, 1982, p. 9.
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[9]
Jean-Jacques Deluz, L’Urbanisme et l’architecture d’Alger. Aperçu critique, Liège/Alger, Mardaga/OPU, 1988, p. 140.
-
[10]
Safar-Zitoun, Madani, Stratégies patrimoniales et urbanisation. Alger 1962-1992, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 155-158.
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[11]
Ibid.
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[12]
À ce sujet voir : Malik Chebahi, L’enseignement de l’architecture à l’École des Beaux-Arts d’Alger et le modèle métropolitain. Réceptions et appropriations. 1909-1962, thèse de doctorat en architecture, sous la direction de Yannis Tsiomis, université Paris Est, 2013.
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[13]
Par ordonnance n° 66-64 du 4 avril 1966, paru au journal officiel algérien du 5 avril 1966.
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[14]
L’association a été agréée le 21 juillet 1990.
-
[15]
Récépissé d’enregistrement n° 51, délivré le 11 avril 1922.
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[16]
L’ordre des architectes algériens (OAA) a été créé par décret n° 94-07 du 18 mai 1994.
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[17]
Loi n° 90-25 du 18 novembre 1990.
-
[18]
Rapport du plan d’aménagement d’Alger : le Grand Projet urbain, gouvernorat d’Alger, 1998, p. 79.
-
[19]
Voir en ligne : www.aadl.com.dz, consulté le 24 mars 2021.
-
[20]
Nahla Rif, « Habiter mieux ou loger d’abord », Vie des villes, n° 2, mars 2005, p. 27.
-
[21]
« Le message du président Abdelaziz Bouteflika aux architectes — Décembre 2006 — Cap sur la qualité », Vie des Villes, numéro spécial, janvier 2013, p. 2-3.
-
[22]
Une distinction instituée en 1994, très rarement remise ; suspendue en 2006, elle est relancée en 2011.
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[23]
Fondée en 2005 par l’architecte-urbaniste Akli Amrouche.
-
[24]
« Projet des 100 logements AADL à Touggourt, Wilaya de Ouargla, 2e prix national d’architecture 2004 », Vie des villes, n° 2, op.cit. note 20, p. 18.
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[25]
Ibid., p. 20.
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[26]
Né en 1964 à Alger, il est diplômé de l’École polytechnique d’architecture et d’urbanisme d’Alger en 1987. Installé à son compte depuis 1993, il a été de multiples fois lauréat du prix national de l’architecture. Ses projets les plus connus sont le siège CNEP de Sétif, le siège Sofinance et l’immeuble historial à Alger.
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[27]
Né en 1965, il est diplômé de l’École polytechnique d’architecture et d’urbanisme en 1989. Ses projets les plus emblématiques sont le musée d’Art moderne et contemporain d’Alger (MAMA) et le siège du ministère des Affaires étrangères, pour lequel il obtient le 1er prix national d’architecture en 2012.
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[28]
Qui devait, à l’origine, être une technopole.
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[29]
Bien que l’entreprise ait été blacklistée entre 2009 et 2015 par la Banque mondiale pour des faits de fraude et de corruption aux Philippines et au Vietnam, elle a raflé les plus gros chantiers d’Algérie : l’hôtel Sheraton, le nouveau terminal de l’aéroport d’Alger, le ministère des Affaires étrangères et la nouvelle grande mosquée d’Alger.
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[30]
Voir en ligne : http://www.cscec.dz/fr/services/residence.html, consulté le 24 mars 2021.
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[31]
Né en 1981, il est diplômé de l’École polytechnique d’architecture et d’urbanisme d’Alger en 2005.
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[32]
« Les tours des Grands-Vents », Vie des villes, n° 22, mai 2015, p. 74.
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[33]
Données extraites du rapport de la Caisse nationale du logement de 2018. Voir en ligne : www.cnl.gov.dz, consulté le 24 mars 2021.
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[34]
Mohamed Larbi Merhoum, « L’État doit se défaire de l’acte de bâti », Liberté, publié le 13 décembre 2018. Voir en ligne : www.liberte-algerie.com/actualite/letat-doit-se-defaire-de-lacte-de-batir-304818, consulté le 24 mars 2021.
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[35]
Une première fois entre le 31 mai 2001 et le 4 juin 2002, et une seconde fois du 3 septembre 2012 au 25 mai 2017.