Couverture de SCPO_BOY_2003_01

Chapitre d’ouvrage

Introduction

Pages 9 à 14

Notes

  • [1]
    Il est difficile de savoir comment naquit, exactement, le nom. Le 29 mai 1997, Lionel Jospin laisse paraître qu’il croit à la victoire de la coalition « plurielle et écologiste » qu’il mène. Le Monde annonce dans son édition du 3 juin que la « gauche plurielle » a gagné les législatives.
  • [2]
    Voir K. Lawson et P. H. Merkl, When Parties Fail, Princeton, Princeton University Press, 1988.
  • [3]
    Le pc s’effacera devant le mdc dans 16 circonscriptions et celui-ci soutiendra 33 candidats communistes.
  • [4]
    Il faut cependant mentionner l’accord bilatéral entre Verts et PS qui donnera lieu au mois de janvier 1997 à un texte assez bref (environ trois pages) regroupé en quatre chapitres : « Économie et social », « Territoire et environnement », « Démocratie et citoyenneté » et « International ».
  • [5]
    Pour une analyse détaillée des procédures d’enquête cf. annexe 2. Une première exploitation des résultats a déjà été publiée pour le parti socialiste dans le Cahier du cevipof, 23, pour le parti communiste dans le Cahier du cevipof, 27 et pour les Verts dans les Cahiers du Proses, 3.

1La coalition connue sous la dénomination de gauche plurielle [1] qui a gouverné la France entre 1997 et 2002 est née des changements qui ont affecté les forces politiques de la gauche traditionnelle et les écologistes depuis le début des années 1990. On en retiendra trois traits. Le premier est le déclin confirmé du parti communiste : celui-ci avait certes, lors de l’élection présidentielle de 1995 (8,7 % des suffrages exprimés) à peu près conservé son étiage de 1993 (9,1 %) mais il stagnait à un bas niveau. Le deuxième est l’influence déclinante des Verts liée aux scissions et réorganisations qui sont survenues en leur sein. Lors des élections européennes de 1989, les Verts conduits par Antoine Waechter avaient obtenu 10,8 % des suffrages exprimés. Ce succès suscita des convoitises avec la création de Génération Écologie qui, lors des élections régionales de 1992, gagna 7,1 % des suffrages contre 7,5 % pour les Verts. Lors des élections législatives de 1993, les deux formations réunies dans l’Entente Écologiste retombèrent à 7,8 % des suffrages exprimés. Toutefois la coalition ne tint pas et seuls, les Verts n’obtinrent que 3 % des voix lors des élections européennes de 1999, insuccès confirmé lors de l’élection présidentielle de 1995 (3,4 % pour Dominique Voynet) après que le parti eut été affecté par le départ d’Antoine Waechter et de ses amis.

2Le troisième concerne le rétablissement du parti socialiste. Celui-ci avait, en 1993 et 1994, connu deux échecs successifs. Toutefois le score de Lionel Jospin lors du premier tour de l’élection présidentielle de 1995 – 23,2 % des suffrages soit 4 points de plus que celui du ps en 1993 (19 %) et 9 de plus que celui de Michel Rocard en 1994 (14,5 %) – replaçait le parti socialiste dans son rôle de pivot de toute majorité de gauche. Avec ses 47,3 % au second tour de l’élection présidentielle, le candidat socialiste s’affirmait comme le leader incontournable de la gauche et s’engageait dans une politique de rassemblement des forces de gauche autour de lui. Le parti communiste affaibli et les Verts dont la stratégie d’autonomie n’avait pas accru leur influence politique et électorale n’avaient en fait guère d’autres perspectives que celle de s’allier avec le ps.

3Si on la compare avec celles qui l’ont historiquement précédée, la coalition formée en 1997 apparaît, à bien des égards, singulière. Non pas seulement parce que les Verts entraient, pour la première fois, dans une coalition et troublaient les relations rituelles et bien connues de chacun des partenaires de la gauche traditionnelle ; mais parce que, plus profondément, cette entente ne rappelait – dans sa forme, dans ses équilibres, et dans ses objectifs premiers – ni le Front populaire (1936) ni encore moins l’Union de la gauche (1973).

4Elle se fait tout d’abord entre des partis qui, au sein du système politique, sont fortement contestés. Sans doute, en France, toutes les formations politiques le sont-elles et on pourrait même arguer que, dans l’ensemble des pays développés, les citoyens ont de moins en moins confiance dans les partis politiques, sont moins nombreux que dans le passé à y adhérer et encore moins à y militer [2]. D’autre part, depuis le début des années 1990, les partis communiste et socialiste sont entrés dans une phase prolongée de déclin organisationnel. Caractérisée par la chute des adhérents (250 000 au début des années 1980 et environ 100 000 en 2000 pour le premier ; 200 000 en 1981 et 100 000 en 2001 pour le second), la crise se mesure aussi par les difficultés rencontrées à animer, en dehors des périodes électorales, le débat politique et encore plus à encadrer le mouvement social. Si les Verts ne connaissent pas le même déclin, c’est parce que l’organisation est plus jeune. Cependant la formation écologiste reste un petit mouvement (quelque 9 000 adhérents en 1997) et un mouvement fragile par son mode d’organisation décentralisé qui encourage les courants sans régulation d’un centre national reconnu.

5L’alliance se fit a minima. Ce fut d’abord une alliance électorale. Dès janvier 1997, le ps concédait 29 circonscriptions aux Verts qui eux-mêmes ne se présenteraient pas contre les socialistes dans 79 d’entre elles et signait un accord avec les radicaux de gauche pour des candidatures communes ps, prg dans 40 circonscriptions. En revanche, il n’y eut pas d’accord formel avec le mdc et celui conclu avec le pc se limitera, comme d’habitude, à des désistements réciproques au second tour [3]. Mais il n’y eut pas de programme commun [4] ni même de contrat de gouvernement. On se mit d’accord sur quelques thèmes (réduction du temps de travail ; refus de toutes nouvelles privatisations et notamment des services publics ; extension des mesures dites de solidarité ; parité…) mais subsistaient nombre de désaccords. Entre le pc et le mdc d’un côté et le ps, ceux-ci portaient sur la monnaie unique alors que les Verts se joignaient aux deux premiers pour réclamer qu’un gouvernement de gauche militât davantage, au sein de l’Union européenne, pour une « Europe sociale ». Entre les Verts et les partis de la gauche traditionnelle, la pomme de discorde restait la question du nucléaire et, plus généralement, celle de la protection de l’environnement.

6Toutefois le désir de participer au gouvernement fut le plus fort quitte à ce que, dans la gestion gouvernementale, les problèmes ressurgissent. La déclaration de Lionel Jospin (14 mai), selon laquelle « il ne saurait y avoir qu’une orientation gouvernementale et que celle-ci résulterait de la représentativité de chacun au premier tour », ranima aussi les suspicions latentes sur les équilibres internes, sur les perspectives et les méthodes d’un éventuel futur gouvernement. Verts et communistes craignaient la domination du ps sur la coalition alors que les deux premiers entendaient s’affirmer comme le deuxième pôle du gouvernement. Toujours soucieux que le ps n’entraînât pas la gauche vers trop de réformisme et de soumission au libéralisme, les communistes entendaient bien s’appuyer sur le « mouvement social » pour obtenir des mesures « réclamées par les gens » (augmentation du smic, des allocations chômage) mais devant lesquelles le ps était réticent. Pressés par leur concurrence avec les communistes, les Verts suivaient sur le même terrain.

7Les élections législatives de 1997 donnèrent la victoire à la gauche plurielle qui obtint 320 sièges sur les 577 que comprend l’Assemblée nationale. Pourtant ce succès n’effaçait pas totalement ses difficultés électorales. Elle n’avait obtenu lors du premier tour des législatives que 42,2 % des suffrages exprimés, ce qui montrait bien qu’à sa majorité parlementaire ne correspondait pas une majorité d’opinion. La crise électorale affectait les trois principales composantes de l’alliance. Le pcf n’arrivait plus à atteindre les 10 % des suffrages exprimés (9,9 % en 1997) alors qu’il recueillait plus de 20 % à la fin des années 1970 et encore 15 % lors de l’élection présidentielle de 1981. Certes le ps, avec ses 25 % de voix recueillies en 1997, était le plus influent de tous les membres de la coalition mais il était loin de retrouver ses scores des années 1980 : 37,8 % des exprimés en juin 1981, 31,6 % lors des élections législatives de 1986 ou 34,8 % en juin 1988. Quant aux Verts, ils n’avaient recueilli, en dépit de l’accord avec les socialistes, que 3,7 % des suffrages exprimés lors des élections législatives de 1997.

8De plus les multiples raisons de conflits potentiels ne disparurent pas pendant les cinq années de gouvernement. D’autant moins que les trois principaux partis ont chacun une identité idéologique propre et que celle-ci, signe supplémentaire de la crise des trois organisations, est elle-même en question. Le pcf a entrepris, sous la conduite de Robert Hue, une modernisation qui doit l’amener à rompre définitivement avec les principes du communisme orthodoxe et, par sa démocratisation interne, à adopter les règles du pluralisme politique. Il lui reste, cependant, à déterminer ses objectifs en matière économique et sociale. De son côté le ps a renoncé, depuis le milieu des années 1980, à « rompre avec le capitalisme » et a abandonné le thème de l’autogestion. Replié sur un rôle de « modernisateur » tant en matière politique (institutions) que dans le domaine économique et social (ralliement à un libéralisme tempéré par le jeu des solidarités avec les plus défavorisés) ou qu’en matière culturelle (égalité entre les hommes et les femmes ; droits nouveaux pour les homosexuels ; gestion « raisonnable » de l’immigration ou de l’insécurité), il défend des valeurs républicaines floues au sein desquelles la laïcité est l’élément central. Dans une certaine mesure, il est plus aisé de cerner l’identité idéologique des Verts du fait de leur attachement spécifique, partagé par nulle autre formation politique, aux valeurs environnementales. Toutefois on sait bien aussi qu’ils cherchent à s’affirmer, dans les domaines économique, social et culturel comme la « gauche de la gauche ». Or cette tentative ou cette tentation ne sont pas sans poser des problèmes internes.

9Dans ce livre, il ne s’agit pas d’analyser minutieusement l’histoire électorale et politique d’une alliance conjoncturelle sous bien des aspects. Notre propos n’est pas d’en décrire les heurs et malheurs mais de comprendre, grâce à l’étude des adhérents, les raisons qui ont permis une coalition qui a duré cinq ans. L’homologie structurale des caractéristiques objectives, la convergence entre les systèmes de valeurs et les options idéologiques, par-delà les diversités culturelles liées à l’histoire particulière de chacune de ces informations expliquent en partie le succès relatif de cette expérience politique. Toutefois c’est bien le désir de participer au gouvernement qui a constitué le moteur de la coalition, au prix, parfois, d’importants sacrifices consentis par les uns ou les autres. Enfin, au-delà de ce constat, l’existence même de la gauche plurielle renvoie, nous semble-t-il, dans une période de critique radicale du système partisan, à une réévaluation obligée du phénomène militant.

10Dans cette perspective il nous a paru intéressant de réunir les résultats de trois enquêtes réalisées en 1998 auprès des adhérents communistes, socialistes et Verts [5]. Conçues de façon indépendante les unes des autres, ces enquêtes ont cependant des thèmes communs : la sociodémographie des adhérents, leurs attitudes à l’égard de leur parti, leur conception du changement social. Elles mettent l’accent sur ce qui fait la spécificité de chacune des organisations, ce qui crée l’identité partisane. Si bien que, même si l’analyse comparative est parfois difficile, sinon impossible à mener, étant donné l’hétérogénéité des questionnaires, la mise en parallèle de nos résultats met au jour les ressemblances et les différences, les attentes spécifiques à l’égard de chacun des partis, les identités partisanes. Ainsi pour les adhérents communistes, l’appréciation portée sur la « mutation » du parti, l’importance encore accordée aujourd’hui à la lutte des classes, à la lutte contre l’impérialisme et à la valorisation de l’internationalisme. Pour les adhérents socialistes, la permanence de l’« identité républicaine », même résiduelle, axe majeur d’un parti qui a abandonné son ambition de « changer la vie ». Enfin pour les Verts, les valeurs environnementales et la radicalisation progressive à gauche.

11Nos résultats permettent de prendre la mesure des difficultés de la gauche plurielle dans son ensemble (problèmes de stratégies, de concurrences électorales, de « cohabitation » si on ose le dire ainsi), mais aussi dans chacune de ses composantes. Le déclin du parti communiste se poursuit inexorablement, le parti socialiste semble aujourd’hui incapable d’orienter le mouvement social, les Verts n’ont pas recueilli les bénéfices attendus de leurs alliances. Si l’on ajoute à cela qu’ils ont en commun de s’éloigner toujours davantage de leur base sociale et d’être de moins en moins représentatifs de leur électorat, on peut se demander si leur légitimité de porte-parole n’est pas de plus en plus problématique. Cette évolution ne risque-t-elle pas de renforcer le rejet du militantisme partisan et ainsi de contribuer à la crise de la représentation ?


Date de mise en ligne : 02/04/2013.

Notes

  • [1]
    Il est difficile de savoir comment naquit, exactement, le nom. Le 29 mai 1997, Lionel Jospin laisse paraître qu’il croit à la victoire de la coalition « plurielle et écologiste » qu’il mène. Le Monde annonce dans son édition du 3 juin que la « gauche plurielle » a gagné les législatives.
  • [2]
    Voir K. Lawson et P. H. Merkl, When Parties Fail, Princeton, Princeton University Press, 1988.
  • [3]
    Le pc s’effacera devant le mdc dans 16 circonscriptions et celui-ci soutiendra 33 candidats communistes.
  • [4]
    Il faut cependant mentionner l’accord bilatéral entre Verts et PS qui donnera lieu au mois de janvier 1997 à un texte assez bref (environ trois pages) regroupé en quatre chapitres : « Économie et social », « Territoire et environnement », « Démocratie et citoyenneté » et « International ».
  • [5]
    Pour une analyse détaillée des procédures d’enquête cf. annexe 2. Une première exploitation des résultats a déjà été publiée pour le parti socialiste dans le Cahier du cevipof, 23, pour le parti communiste dans le Cahier du cevipof, 27 et pour les Verts dans les Cahiers du Proses, 3.
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