Notes
-
[1]
Sauvé J.-M., « Les évolutions du code de la santé publique », RDSS, 2008, pp. 409 et s.
-
[2]
Bonichot J.-C., préface au Code européen de la santé, A. Laude et D. Tabuteau (dir.), Éditions de Santé 2009, spéc. p. III.
-
[3]
Tabuteau D., RDSS, 2008.
-
[4]
CASF, art. L. 311-3 à L. 311-9.
-
[5]
Loi n° 2002-303, 4 mars 2002 ; CSP, art. L. 1110-1 à L. 1115-2.
-
[6]
Art. 5 de la charte de l’environnement adoptée par la loi constitutionnelle du 1er mars 2005.
1L’évolution du droit de la santé est étroitement liée à celle des connaissances scientifiques. Jusqu’à l’époque pasteurienne, et en l’absence de traitements suffisants, les premiers textes de législation sanitaire sont essentiellement des textes de prévention, comme en témoigne la loi du 15 février 1902. Mais cette époque, où la prévention est très prégnante dans le droit de la santé, a été balayée par le vent des avancées scientifiques au profit de textes divers et variés.
2Ces textes se sont multipliés à un rythme effréné. Comme l’a souligné le vice-président du Conseil d’État Jean-Marc Sauvé, « pour ne citer qu’un seul élément d’évaluation de cette inflation normative, on indiquera que le premier code de la santé, en 1953, comportait 792 articles. Il en comportait au 1er juillet 2007, 9 672, soit une multiplication de son volume par un facteur 12 en un demi-siècle » [1].
3En dix ans le rythme des réformes est tout aussi frénétique. Sans compter les lois de financement de la sécurité sociale, ce ne sont en effet pas moins de trente-cinq lois et autant d’ordonnances qui ont modifié la législation sanitaire. La régulation du droit de la santé par voie d’ordonnance est quelque peu symptomatique et révélatrice de ce que l’État n’ose pas toujours affronter les corporations de professions de santé ou le Parlement où elles disposent de relais puissants. Cette dépossession du Parlement et dans une certaine mesure de la démocratie dans la construction du droit de la santé est particulièrement criante au travers de la loi « hôpital, patients, santé et territoires » (HPST) qui habilite le gouvernement à modifier par voie d’ordonnance toute disposition législative du code de la santé publique.
4Les modifications intervenues dans le droit de la santé au cours de cette décennie n’ont certes pas toutes la même importance. Néanmoins, aucun secteur du droit de la santé n’a été épargné. L’organisation de la santé, la politique de santé, les établissements de santé, les professionnels de santé, les patients, tous les acteurs et toutes les actions de santé ont été modifiés, notamment par les lois du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, l’ordonnance du 4 septembre 2003 portant simplification de l’organisation et du fonctionnement du système de santé, la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique, la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie, la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades en fin de vie, la loi du 5 mars 2007 relative à la préparation du système de santé à des menaces sanitaires de grande ampleur, et enfin par la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.
5Cependant, alors que les scandales de santé publique avaient principalement dicté l’évolution du droit de la santé de la décennie précédente, ceux-ci, hormis la crise de la canicule, ont été moins prégnants. C’est dans un contexte contraint par les diverses pressions exercées sur la société, telles que le développement du progrès médical, le vieillissement de la population, l’évolution des technologies, les problèmes d’accès aux services, les pénuries de main-d’œuvre ou les difficultés de contrôler les dépenses, rendues plus aiguës par le traité de Maastricht, que se sont inscrits les différents textes marquant l’évolution du droit de la santé de ces dix dernières années.
6Les crises financières, les soucis d’efficience et d’une meilleure harmonisation des actions de santé, ont semble-t-il guidé l’intervention du législateur au point de faire émerger un droit de la santé animé par une volonté de développer une véritable coordination du système de santé succédant à une approche éclatée de la matière en plusieurs disciplines tels le droit médical, le droit hospitalier, le droit pharmaceutique, etc., obéissant à des logiques propres.
Ces dix dernières années sont en effet le révélateur d’une évolution des ressorts du droit de la santé. Après avoir été dominé par des considérations de droit public relatives aux rapports d’autorité que le droit de la santé nouait avec la puissance publique, il s’est au cours de cette décennie affranchi de ce caractère strictement publiciste au profit d’une vision plus subjective, privilégiant les droits des individus bénéficiaires de soins. Certes, aujourd’hui la gouvernance est toujours au cœur de l’organisation du système de santé, et il ne saurait d’ailleurs en être autrement. Mais la nouveauté réside dans le fait que la gouvernance du système de santé se construit autour et pour le patient, dans le souci de permettre et de garantir l’accès de tous à des soins de qualité. D’une certaine manière, c’est un phénomène de globalisation auquel on assiste.
Globalisation du droit de la santé
7L’évolution du droit de la santé interne ne peut faire abstraction des évolutions globalisées constatées au niveau mondial. Ainsi, la modification du Règlement sanitaire international adoptée par l’OMS en 2005 et les différentes directives de droit communautaire ont donné lieu en droit français à des textes de ratification ou de transposition. À tel point d’ailleurs qu’au cours de ces dix dernières années, les modifications du droit de la santé ont été de plus en plus souvent dictées par le droit communautaire, qu’il s’agisse des dispositions relatives aux médicaments, de celles relatives à la lutte contre les maladies transmissibles, l’alimentation et les OGM, l’exposition au bruit, la pollution des eaux. Aucun domaine du droit de la santé n’échappe aujourd’hui à l’emprise du droit communautaire. Comme le souligne Jean-Claude Bonichot : « Il ne saurait à vrai dire en aller autrement : si la définition des politiques nationales de santé demeure une compétence exclusive des États membres, les enjeux de santé publique auxquels les États membres sont confrontés sont les mêmes au sein de l’Union et revêtent chaque jour une dimension transfrontralière. » [2] C’est en ce sens que s’inscrivent les modifications actuelles du droit de la santé, comme par exemple la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ou le projet de directive sur la mobilité des patients qui laissent poindre l’émergence d’un droit européen de la santé. Cette globalisation opérée sur les plans international et communautaire a aussi une dimension interne, le droit de la santé tendant à irradier un certain nombre de disciplines voisines.
Un développement tentaculaire
8La décennie de droit de la santé est également marquée par un développement tentaculaire du droit de la santé. Celui-ci ne se limite plus désormais aux quelque dix mille articles du code de la santé publique. On trouve également des dispositions relatives au droit de la santé dans les lois de financement de la sécurité sociale et ce faisant dans le code de la sécurité sociale. Ainsi, les dispositions relatives au dossier médical personnel ou au médecin traitant créées par le législateur de 2004 avaient été initialement placées dans le code de la sécurité sociale jusqu’à ce que la loi HPST décide de les faire entrer dans le giron du code de la santé publique. Peut-on voir là le premier pas du législateur en faveur d’une unification du droit de la sécurité sociale et du droit de la santé que d’aucuns appellent de leurs vœux [3] ?
9Le droit de la santé s’immisce également dans le droit de l’environnement, dans le droit alimentaire, voire tend à annexer le secteur médico-social. À tel point que les logiques de pilotage qui se séparent dans les textes fondamentaux de 1970 pour le secteur hospitalier et de 1975 pour les institutions de l’action sociale ont tendance aujourd’hui à se rejoindre. Ces dix dernières années ont en effet favorisé un alignement du médico-social sur le champ sanitaire. Ainsi, la loi 2002-2 du 2 janvier 2002 soumet les structures médicosociales au même type de régulation que les structures hospitalières en leur imposant des procédures d’évaluation très proches de l’accréditation, en définissant un ensemble de « droits des usagers » [4] qui rejoignent les logiques des droits reconnus aux « personnes malades et aux usagers du système de santé » établis par la loi du 4 mars 2002 [5], en concevant des formes de pilotage public des activités très proches de celles qui ont été expérimentées pour les structures de soins. Le rapprochement du médico-social et du sanitaire se poursuit aujourd’hui avec la loi HPST au point d’inciter le législateur de la prochaine décennie à la réintroduction du secteur médico-social dans le code de la santé publique.
Le développement tentaculaire du droit de la santé hors de son domaine strict d’application le conduit également à multiplier les sources de normes dans lesquelles il puise sa force, notamment la « soft law ».
Développement de la “soft law”
10Si le droit normatif de la santé gagne ainsi du terrain au point de dépasser quelque peu le cadre strict du code de la santé publique, de manière assez paradoxale, le phénomène marquant de cette décennie de droit de la santé est la montée en puissance de la « soft law » au travers du développement des normes en droit de la santé. En effet, les avis de commissions ou d’instances siégeant en droit de la santé, par exemple le Haut Conseil de la santé publique, la Commission de transparence, le Comité économique des produits de santé, la Haute Autorité de santé, se sont multipliés ces dernières années. De même, la matière est envahie par les guidelines, recommandations de bonne pratique, référentiels et autres, au point de créer un droit en quelque sorte « parallèle » au droit de la santé figurant dans le code de la santé publique, dont la force et la nature juridiques mériteraient sans doute d’être précisée.
Au delà des changements affectant la nature normative du droit de la santé, cette décennie de droit de la santé a aussi été marquée par des modifications dans la gouvernance.
Interférences dans la gouvernance
11Le mouvement en faveur des agences sanitaires initié au cours de la décennie précédente et visant à assurer la sécurité sanitaire s’est en effet poursuivi. Après l’Agence française de sécurité sanitaire environnementale, transformée rapidement en Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail, après l’Agence de la biomédecine, l’Agence de la lutte contre le dopage, la Haute Autorité de santé, l’Agence des systèmes d’information partagés de santé, la loi HPST a créé dernièrement l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux. Ces nouvelles instances soulignent immanquablement la primauté des décisions nationales en matière de santé. Néanmoins, dans le même temps de nouvelles institutions ont également vu le jour sur le plan régional. Après les groupements régionaux de santé publique créés par la loi du 9 août 2004, la loi HPST institue les agences régionales de santé. Elles vont, au plus tard à compter du 1er juillet 2010, se substituer aux ARH, aux Urcam, aux groupements régionaux de santé publique et aux missions régionales de santé et reprendre les missions et les personnels des pôles « santé » et « médico-social » des Drass et des Ddass ainsi que la partie sanitaire des Cram. Ces « super-agences », opérateurs de l’État, auront ainsi une compétence générale pour mettre en œuvre un ensemble coordonné de programmes et d’actions concourant à la réalisation, à l’échelon régional, des objectifs de la politique nationale de santé, des principes de l’action sociale et médico-sociale et des principes fondamentaux affirmés par le code de la sécurité sociale. Tel une hydre à deux têtes, elles marquent ainsi l’empreinte de l’État à la fois dans l’organisation et le suivi de la politique de santé et dans la volonté de concevoir une organisation territoriale de la santé.
12Les modifications relatives à la gouvernance n’ont pas épargné non plus le secteur de l’assurance maladie, ce qui se comprend dès lors que l’efficacité du système de santé est inséparable de son financement par l’assurance maladie. La loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie a institué de nouvelles instances nationales de pilotage. Ainsi, l’Union nationale des caisses d’assurance maladie accorde à son directeur général la faculté de disposer désormais du pouvoir de négocier et de conclure les conventions régissant les relations avec les professionnels de santé jusque-là dévolue aux présidents des trois caisses nationales. Dans le même temps, le législateur a également créé l’Union nationale des organismes d’assurance maladie complémentaire qui regroupe des représentants des mutuelles, des institutions de prévoyance, de l’instance de gestion du régime local d’assurance maladie d’Alsace-Moselle et des entreprises d’assurance intervenant en matière d’assurance maladie complémentaire. Enfin, la loi du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées, votée à la suite de la canicule de 2003, a créé la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie qui a pour mission de contribuer au financement de l’accompagnement de la perte d’autonomie des personnes âgées et handicapées, à domicile comme en établissement, et de répartir les crédits de l’assurance maladie destinés aux personnes handicapées et aux personnes âgées.
13Toutes ces instances mettent en exergue la volonté d’un pilotage plus explicite du système et d’un renforcement du rôle de l’État au détriment des partenaires sociaux antérieurement cogestionnaires de l’assurance maladie et désormais seulement associés aux orientations générales.
14Mais le développement de ces instances est parfois à l’origine de quelques interférences. En effet, le périmètre d’action de ces agences n’est pas strictement étanche, comme le montrent les conflits de compétences entre la HAS et l’Afssaps en matière notamment de politique économique du médicament, ou encore entre l’Autorité de sûreté nucléaire et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. Au point d’ailleurs que le législateur initie un regroupement de ces agences, comme en témoigne la loi HPST prévoyant que la fusion de l’Afsset et de l’Afssa devrait être réalisée par ordonnance dans les six mois suivant la publication de la loi.
15Ces chevauchements de compétence ne sont d’ailleurs pas propres à l’échelon national. Ainsi, les frontières entre ce qui relève de l’échelon national et ce qui est propre à l’échelon régional soulèvent également des difficultés que ne résout pas la création par la loi HPST du Conseil national de pilotage des ARS.
16Plus généralement, le partage des rôles et des fonctions en matière de pilotage national et régional des politiques de santé et d’assurance maladie risque de soulever des problèmes, ne serait-ce qu’en termes de définition, d’orientation et de contrôle des actions relatives à l’accès aux soins, à leur qualité et à la maîtrise des dépenses de santé. Sans compter qu’entre les ARS et les établissements publics de santé, la « cogestion » imposée de fait au directeur de l’établissement de santé nommé, noté et dont la rémunération est fixée par le directeur général de l’ARS risque d’être source de confusion préjudiciable à la protection de la santé publique.
Mais au-delà de la gouvernance, la décennie de droit de la santé a surtout été emblématique d’une volonté de construire une véritable politique de santé, dont l’un des visages est désormais la territorialisation.
Territorialisation de la politique de santé
17La politique de santé a surtout été de nouveau prise en mains au niveau national à la suite des différents drames de santé publique survenus au cours de la décennie précédente. C’est ainsi que la prévention et la sécurité sanitaire sont devenues, notamment au travers de la loi du 4 mars 2002, des priorités du pouvoir politique. Ce mouvement s’est poursuivi en 2004, notamment par la loi du 9 août définissant les actions et priorités de l’État au titre de la politique de santé publique au travers notamment de la fixation d’objectifs et de plans. Toutefois, cette politique s’est également traduite de manière renforcée à partir de 2003, avec l’introduction des territoires de santé, par une régionalisation accrue de la politique de santé qui atteint son paroxysme aujourd’hui avec la loi HPST autour de l’ARS qui centralise au niveau territorial toutes les actions de santé. Elle régule désormais sur le plan régional l’ensemble des soins et équipements, qu’ils soient dispensés par des structures hospitalières publiques ou privées, par des professionnels de santé libéraux, par des structures dépendant des collectivités territoriales ou par des établissements médico-sociaux. Mais outre la territorialisation, la politique d’organisation des soins repose désormais avec la loi HPST sur la notion de soins de premiers recours. Si cette notion n’est pas définie, elle vise néanmoins à permettre à tout un chacun de disposer à proximité de l’accès aux soins dont il a besoin. C’est à l’ARS qu’il revient de garantir aux patients cet objectif de proximité en impliquant l’ensemble des acteurs du système de santé. Le patient est désormais placé au cœur du système de santé.
Le patient, acteur de santé
18Les patients ont incontestablement gagné beaucoup au cours de cette décennie, en voyant leur autonomie affirmée et en devenant acteurs de santé. Si la décennie s’est ouverte et refermée sur un texte relatif aux droits des patients, il n’en demeure pas moins que les diverses avancées conférées aux patients par ces textes n’ont aucune commune mesure.
19La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé est indubitablement celle qui a eu pour ambition de poser les fondements d’une démocratie sanitaire. Pour assurer cet objectif, le législateur affirme au bénéfice de la personne malade un certain nombre de droits individuels qui s’articulent symboliquement autour des droits fondamentaux de l’homme tel le droit au respect de la dignité, le principe de non-discrimination, le droit au respect de la vie privée, et se prolongent au travers de droits à l’information, au consentement, à l’accès au dossier médical et à l’indemnisation. Ainsi, nombre de dispositions qui apparaissaient antérieurement dans le code de la santé publique en tant qu’obligations du médecin sont désormais érigées en droits pour le patient. La portée et la force juridiques en sont totalement inversées. Par la suite, de nombreux textes (par exemple la loi du 22 avril 2005 sur la fin de vie ou la loi de 2007 relative à l’accès au crédit des personnes présentant un risque aggravé de santé) sont venus préciser certains droits du malade, telles les procédures d’arrêt des traitements en fin de vie, la nature des informations communicables ou la garantie d’un crédit aux personnes malades. Récemment encore, la loi du 21 juillet 2009, mentionnant dans son titre même l’intérêt porté au patient, a introduit des dispositions visant à l’éducation thérapeutique, aux sanctions du refus de soins d’un patient bénéficiaire de la CMU et à la garantie de l’accès de tous à des soins de qualité. Mais aucun de ces textes n’a eu l’ambition du législateur de 2002 d’affirmer et de revendiquer une rupture dans l’évolution du droit de la relation patient-professionnel de santé.
20Celle-ci s’exprime au travers d’une volonté de rééquilibrage, qui s’effectue non seulement par l’octroi de droits aux patients, mais aussi par le frein que le législateur a souhaité mettre aux dérives de la mise en jeu de la responsabilité médicale en consacrant dans le code de la santé publique tout à la fois le principe de la responsabilité pour faute du professionnel de santé et celui de l’indemnisation du patient en cas d’aléa thérapeutique. Plus précisément, le code de la santé publique affirme depuis 2002 le principe d’unité de la responsabilité pour faute en matière sanitaire, indifféremment de la nature contractuelle ou délictuelle de la faute, sans tenir compte de la nature civile ou administrative de celle-ci, et enfin sans opérer de distinction autre que procédurale entre la responsabilité des professionnels ou des établissements de santé publics ou privés. L’évolution des principes de la responsabilité s’est poursuivie avec la consécration constitutionnelle du principe de précaution par la loi du 1er mars 2005. Elle fixe un critère d’appréciation de l’intervention des acteurs en « l’absence de certitudes compte tenu des circonstances scientifiques et techniques du moment » afin de ne pas « retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles » [6].
21Au cours de cette décennie, non seulement les fondements de la responsabilité sanitaire auront été modifiés mais aussi les mécanismes d’indemnisation des patients. En effet, la loi du 4 mars 2002 a offert aux patients la possibilité de disposer, à côté des procédures judiciaires d’indemnisation, de la faculté d’engager un recours amiable par l’intermédiaire des CRCI et de l’Oniam. Cette voie d’action lui garantit une indemnisation rapide (six mois en moyenne), sans frais d’expertise et pour un montant identique à celui accordé par les juridictions. Cette procédure est d’autant plus efficace qu’elle permet d’indemniser un patient, y compris victime d’un aléa thérapeutique, au titre de la solidarité nationale. L’indemnisation par la solidarité nationale n’a d’ailleurs cessé de croître au cours de cette décennie, puisqu’elle vise désormais l’indemnisation d’un patient victime d’un accident non fautif, mais aussi d’un patient victime d’une vaccination obligatoire, d’une contamination par une transfusion sanguine ou encore de dommages liés aux mesures sanitaires d’urgence.
Au-delà, à compter de la loi du 4 mars 2002, la démocratie sanitaire est ancrée dans notre droit par la reconnaissance de droits collectifs accordés aux associations de patients. Les associations agréées disposent en effet du droit de siéger dans nombre d’instances et leurs représentants bénéficient d’un statut permettant l’exercice de leurs missions. La loi HPST poursuit, dans une certaine mesure, les actions en faveur des associations de patients en leur accordant la faculté de siéger non seulement au sein des conférences régionales de la santé et de l’autonomie, chargées d’émettre un avis sur le plan stratégique régional de santé, mais aussi d’être membre du conseil de surveillance de l’ARS. Si la reconnaissance de la démocratie sanitaire est ainsi affirmée dans les textes, il n’en demeure pas moins que le manque de débat public en France sur les questions de santé est souvent dénoncé. Pour favoriser ce débat public, ne serait-il pas opportun, à l’instar d’autres pays, de ne pas limiter la représentation du monde associatif en santé aux seules personnes soignées mais de l’élargir plus largement au grand public ? En effet, la démocratie sanitaire ne se fait-elle pas l’écho de la démocratie participative, qui a, et c’est une particularité de cette décennie, souvent été sollicitée à la veille de grandes évolutions du droit de la santé ? Ce fut le cas des États généraux de la santé qui ont précédé la loi de 2002, des États généraux sur l’organisation des soins en 2008 et plus récemment des États généraux de la bioéthique initiés en 2009. Ces derniers ont en effet conduit à dialoguer avec les citoyens de questions majeures tels la gestation pour autrui, l’ouverture aux homosexuels de l’assistance médicale à la procréation, l’anonymat du don de gamètes et le régime du consentement de dons d’organe. Prochainement, le législateur devrait être amené à tirer les conséquences de l’ensemble de ces réflexions afin de se prononcer sur tous ces points, y compris l’évolution du régime transitoire d’autorisation de la recherche sur les cellules souches et l’embryon posé par la réforme de la loi du 6 août 2004.
Cette décennie de droit de la santé imprime également aux professions de santé certains axes directeurs qui visent à un rapprochement, voire une unification des règles applicables et ce faisant de leur régime juridique.
Unification du droit des professions de santé
22En dix ans, l’ensemble des professions de santé s’est vu doté d’un code de déontologie contenant des principes directeurs communs. De même, les règles relatives aux procédures disciplinaires et, depuis la loi HPST, aux ordres professionnels ont été unifiées. Les dispositions relatives à la formation continue introduites dans le code de la santé publique en 2002 ont également été étendues par la loi HPST à nombre de professionnels de santé au travers de la notion de développement professionnel continu. Ce rapprochement du régime juridique applicable aux professions de santé se comprend d’autant plus qu’au cours de cette décennie les coopérations, les délégations de tâches, les transferts de compétence entre professionnels de santé ont été favorisés par des textes successifs pour finir consacrés par la loi HPST avec l’introduction d’un nouveau titre dans le code de la santé publique intitulé « Coopérations entre professionnels de santé ». Ce texte autorise les professionnels de santé à « s’engager, à leur initiative, dans une démarche de coopération ayant pour objet d’opérer entre eux des transferts d’activités ou d’actes de soins ou de réorganiser leurs modes d’intervention auprès du patient ». Si cette coopération se justifie au regard des problèmes liés à la démographie médicale, et contribue à la valorisation des actes accomplis par certains professionnels de santé, il n’en demeure pas moins qu’elle peut être source de conflits et de concurrence, d’autant plus que les nouveaux métiers autour de la santé ne cessent de se multiplier. En effet, outre les actes relevant de la compétence concurrente des professionnels de santé, le législateur est parfois allé jusqu’à élargir le cercle même des professionnels de santé. Ainsi, la loi du 9 août 2004 a institué un conseiller en génétique ayant pour mission de participer à la délivrance des informations et conseils aux personnes (et à leur famille) susceptibles de faire l’objet ou ayant fait l’objet d’un examen des caractéristiques génétiques à des fins médicales et à leur prise en charge médico-sociale et psychologique et à leur suivi.
23Les problèmes de démographie expliquent également les tempéraments progressivement introduits pendant cette décennie aux principes de la médecine libérale. Ainsi, le principe de la liberté d’installation s’est altéré devant la crainte de voir apparaître des déserts médicaux. Le législateur a successivement introduit des formes d’aide à l’installation des professionnels dans les zones déficitaires, des aides des collectivités territoriales, des aides conventionnelles de l’assurance maladie, allant même jusqu’à consacrer dans la loi HPST les contrats santé-solidarité qui seront proposés par le directeur général de l’ARS aux médecins exerçant dans des zones excédentaires pour qu’ils contribuent à répondre aux besoins de premier recours dans les zones déficitaires, et les contrats d’engagement de service public qui seront proposés aux étudiants s’engageant à exercer après la fin de leur formation à titre libéral ou salarié dans les zones déficitaires identifiées par l’ARS pendant une durée d’au moins deux ans après la fin de leur formation.
24Les difficultés financières expliquent également la remise en cause, au cours de cette décennie, d’un autre symbole de l’exercice libéral : le principe du paiement à l’acte. Les textes successifs semblent en effet marquer une certaine faveur pour un autre mode de rémunération, à savoir la rémunération au forfait. Ce fut le cas de la loi du 4 mars 2002 instituant le mécanisme du médecin référent, ou de la loi du 6 mars 2002 portant rénovation des rapports conventionnels entre les professions de santé libérales et les organismes d’assurance maladie prévoyant une rémunération forfaitaire complémentaire à l’intention des professionnels de santé adhérant à un contrat de bonne pratique de soins ou à un contrat de santé publique. De surcroît, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 a accordé aux médecins traitants conventionnés la possibilité d’adhérer à un contrat d’amélioration des pratiques. Et la loi HPST va plus loin encore en offrant à des professionnels de santé conventionnés la faculté d’adhérer à des contrats ayant pour objet d’améliorer la qualité et le coordination des soins proposés par l’ARS.
C’est encore sous la houlette des ARS que va s’opérer une unification du droit applicable aux établissements de santé.
Unification du droit des établissements de santé
25Les textes qui se sont succédé ces dix dernières années n’auront bien sûr pas épargné l’organisation du système hospitalier, tant il est vrai qu’il a profondément évolué au cours de ces années.
26Toutefois, deux grands axes de réforme de ce secteur ont semble-t-il été privilégiés au cours de cette décennie : le rapprochement, voire la mise en concurrence du secteur hospitalier de droit privé et de droit public, d’où découle l’unification du régime juridique applicable à ces acteurs.
27Si le rapprochement du secteur privé et public d’hospitalisation avait été initié dans les années antérieures, au travers notamment du dispositif d’autorisation, celui-ci s’est accru au cours de cette décennie. Les mécanismes de financement, et plus particulièrement la tarification à l’activité (T2A) mise en place par la loi de financement de sécurité sociale pour 2004, y ont contribué. La T2A a en effet pour objet d’instituer une transparence des coûts permettant de comparer tous les établissements de santé, de faire évoluer leur financement selon leur activité réelle et donc de les inciter à l’améliorer quantitativement et qualitativement, de tendre vers un alignement des coûts sur ceux des établissements les plus performants et d’obtenir progressivement une convergence tarifaire du secteur public et privé. Celle-ci est renforcée non seulement par la généralisation de la T2A mais aussi par la disparition dans la loi HPST de la notion de service public hospitalier au profit de missions de service public définies à l’aune du droit communautaire et dévolues à l’ensemble des acteurs de santé de droit public et de droit privé. La loi HPST transforme en effet profondément le système de santé en mettant fin notamment à la planification du système hospitalier au profit de la coordination du système de santé dans lequel le système hospitalier est intégré. Cette coordination, confiée au directeur général de l’ARS, emprunte des voies spécifiques et plus particulièrement d’outils destinés à favoriser le développement de la collaboration tels l’outil conventionnel.
Conclusion
28Les avancées accomplies dans l’autonomie du droit de la santé ces dix dernières sont considérables. Ce droit gagnera en maturité et en autorité s’il est à même de démontrer son aptitude à satisfaire aux contraintes d’efficience et de justice face aux défis des années à venir : mondialisation, pandémies, crises financières… Ces défis mettront inexorablement à l’épreuve les conquêtes fragiles de l’autonomie et la nécessité d’assurer l’égalité de tous les citoyens dans l’accès aux soins. De ce point de vue, on peut nourrir quelques inquiétudes à l’heure où les inégalités territoriales, financières, sociales et économiques tendent davantage, y compris par delà les frontières, à s’accroître qu’à se résorber.
Notes
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[1]
Sauvé J.-M., « Les évolutions du code de la santé publique », RDSS, 2008, pp. 409 et s.
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[2]
Bonichot J.-C., préface au Code européen de la santé, A. Laude et D. Tabuteau (dir.), Éditions de Santé 2009, spéc. p. III.
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[3]
Tabuteau D., RDSS, 2008.
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[4]
CASF, art. L. 311-3 à L. 311-9.
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[5]
Loi n° 2002-303, 4 mars 2002 ; CSP, art. L. 1110-1 à L. 1115-2.
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[6]
Art. 5 de la charte de l’environnement adoptée par la loi constitutionnelle du 1er mars 2005.