Couverture de RSC_1803

Article de revue

Infractions relevant du droit de l’information et de la communication

Pages 701 à 720

Notes

  • [1]
    V. E. Dreyer, Droit pénal spécial, Ellipses, 3e éd., 2016, p. 416, n° 874.
  • [2]
    V., cep., M. Reix, Le motif légitime comme standard de justification, in Travaux de l'ISCJ de Bordeaux, t. 4, 2014, p. 78.
  • [3]
    V., Crim. 3 mai 2018, Dr. pénal 2018. Comm. 122, obs. Ph. Conte ; Gaz. Pal. 24 juill. 2018, n° 27, p. 47, obs. E. Dreyer.
  • [4]
    L'accès peut être frauduleux même sans utilisation d'un procédé quelconque : utiliser un ordinateur laissé allumé par son propriétaire, à l'insu de celui-ci, pour vérifier le contenu de son disque dur, constitue une infraction, comme le rappelle un autre arrêt rendu à la même époque : Crim. 27 mars 2018, n° 17-81.989, inédit.
  • [5]
    V. aussi E. Dreyer, Droit pénal général, LexisNexis, 4e éd., 2016, p. 909, n° 1228.
  • [6]
    V., déjà, Crim. 25 sept. 2012, n° 11-84.224, Bull. crim. n° 196 ; D. 2012. 3005, note E. Dreyer ; AJ pénal 2013. 40, obs. G. Royer ; RTD com. 2012. 771, obs. F. Pollaud-Dulian.
  • [7]
    V., déjà, Crim. 30 mai 2006, n° 05-83.335, D. 2006. 2676, obs. J. Daleau, note E. Dreyer ; ibid. 2991, obs. P. Sirinelli.
  • [8]
    V., parmi d'autres arrêts : Crim. 10 janv. 2017, Dr. pénal 2017. Comm. 55, obs. Ph. Conte.
  • [9]
    Comp., sur l'outrage indirect, Crim. 8 sept. 2015, Bull. crim. n° 153 ; Gaz. Pal. 1-3 nov. 2015, p. 36, obs. E. Dreyer, rappelant un principe posé par Crim. 19 déc. 1946, D. 1947. 110.
  • [10]
    E. Dreyer, Droit pénal spécial, Ellipses, 3e éd., 2016, p. 707, n° 1539.
  • [11]
    Crim. 7 mai 2018, n° 17-85.742, CCE 2018. Comm. 55, obs. A. Lepage, arrêt qui refuse par ailleurs de voir une rupture d'égalité dans le fait que le deuxième alinéa de l'article 434-25 exclut du champ de l'incrimination les commentaires techniques et propos tendant à la réformation, cassation ou révision de la décision et qui légitime l'abandon de la prescription trimestrielle au profit de la prescription de droit commun par la loi du 27 févr. 2017.
  • [12]
    Ce qu'elle n'était pas tenue de faire : il suffisait que le propos ait été prononcé dans ce but.
  • [13]
    V., le rappelant : Crim. 7 nov. 1990, n° 88-85.439, Bull. crim. n° 372 ; RSC 1991. 569, obs. G. Levasseur.
  • [14]
    V., déjà, Besançon 17 mai 1906, DP 1908. 2. 166.
  • [15]
    V., Crim. 10 déc. 2014, Bull. crim. n° 265 ; Gaz. Pal. 22-24 févr. 2005, p. 33, obs. E. Dreyer ; Crim. 21 févr. 1991, Dr. pénal 1991. Comm. 226, obs. M. Véron.
  • [16]
    Certes, une jurisprudence constante rappelle qu'il n'est pas nécessaire que l'auteur de la menace ait entendu mettre celle-ci à exécution (v., encore, Crim. 20 sept. 2016, Bull. crim., n° 239 ; Dr. pénal 2017. Comm. 3, obs. Ph. Conte et Gaz. Pal. 24 janv. 2017, p. 49, obs. St. Detraz). Mais l'infraction ne peut se comprendre sans volonté d'impressionner autrui : l'annonce d'une infraction que l'on prétend vouloir commettre doit être crédible pour justifier le recours au droit pénal.
  • [17]
    V., refusant de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité dénonçant le flou de l'art. 227-22, C. pén. au motif que ce texte « définit de manière suffisamment claire et précise le délit de corruption de mineur, lequel, reprenant les éléments constitutifs de l'ancien délit d'excitation de mineur à la débauche, incrimine les agissements qui, par leur nature, traduisent, de la part de leur auteur, la volonté de pervertir la sexualité d'un mineur, et permet son interprétation par l'office du juge sans risque d'arbitraire, de sorte qu'il n'est porté aucune atteinte au principe de légalité des délits et des peines » : Crim. 20 févr. 2013, Gaz. Pal. 8-11 mai 2013, p. 25, obs. E. Dreyer.
  • [18]
    V. E. Dreyer, Droit pénal spécial, Ellipses, 3e éd., 2016, p. 286, n° 614 et la jurisprudence citée.
  • [19]
    V. Crim. 23 févr. 2000, n° 99-83.928, Bull. crim. n° 85 ; D. 2000. 112 ; RSC 2000. 611, obs. Y. Mayaud ; ibid. 639, obs. J. Francillon ; ibid. 815, obs. B. Bouloc. Comp., Crim. 25 janv. 1983, Bull. crim. n° 29.
  • [20]
    V. Crim. 20 févr. 2013, Dr. pénal 2013. Comm. 86, obs. M. Véron.
  • [21]
    V. aussi CCE 2018. Comm. 47, obs. A. Lepage.
  • [22]
    V. Crim. 26 févr. 2003, n° 02-83.683.
  • [23]
    V., sur le lien entre contrôle de cassation et légalité, F. Rocheteau, Ce que révèlent les cas d'ouverture à cassation en matière pénale, Gaz. Pal. 4 oct. 2016, n° 34, p. 71.

1. Accès frauduleux, indirect, mais certain, dans un STAD et détention du matériel le permettant (Crim. 16 janv. 2018, n° 16-87.168, à paraître au Bulletin, D. 2018. 172 ; AJ pénal 2018. 205, obs. J.-B. Thierry ; RSC 2018. 480, obs. P. Mistretta ; Dr. pénal 2018. Comm. 74, obs. Ph. Conte ; CCE 2018. Comm. 30, obs. E.-A. Caprioli ; Gaz. Pal. 30 avr. 2018, p. 65, obs. F. Fourment)

1Le service informatique du CHU de Nice découvre qu'un dispositif (keylogger) permettant d'espionner la frappe de claviers a été installé sur les ordinateurs de deux praticiens hospitaliers. Une enquête est ouverte au terme de laquelle un médecin contractuel travaillant dans cet établissement est poursuivi pour s'être ainsi frauduleusement introduit dans deux systèmes de traitement automatisé de données (C. pén., art. 323-1) et pour avoir détenu un équipement permettant de réaliser ces accès sans droit (C. pén., art. 323-3-1). Le tribunal correctionnel le déclare coupable de ces infractions.

2Appel est interjeté du jugement. S'agissant des éléments constitutifs du délit d'introduction frauduleuse, le prévenu fait observer qu'un keylogger ne permet pas d'accéder à un système de traitement automatisé de données, mais seulement d'enregistrer les caractères frappés sur le clavier de l'ordinateur où ce mouchard a été installé. En conséquence, il conteste avoir commis l'infraction reprochée. Par ailleurs, le prévenu ajoute que les ordinateurs des deux praticiens prétendument victimes étaient à la disposition de tous les employés du service et que l'accès aux données qu'ils contenaient, dénuées de caractère confidentiel, ne pouvait donc être frauduleux. En toute hypothèse, il ajoute que cette surveillance était nécessaire pour lui permettre de préparer sa défense dans le cadre d'un contentieux qui l'opposait au directeur du service devant le conseil de l'ordre des médecins. Mais la cour d'appel confirme le jugement en relevant que l'installation du keylogger a permis au prévenu, « par l'espionnage de la frappe du clavier des ordinateurs des docteurs E. et C., de prendre connaissance des codes d'accès à leur messagerie ; que sans l'usage de ce moyen frauduleux, il n'aurait pas pu accéder aux courriels échangés entre les deux praticiens concernés ; que le délit est donc caractérisé tant dans son élément matériel qu'intentionnel ». Elle établit ainsi à la fois l'accès à un système de traitement automatique des données (STAD) et son caractère frauduleux. S'agissant de la justification de cette infraction, la cour d'appel ajoute « que les motifs avancés par le prévenu pour justifier son action délictueuse sont des mobiles indifférents à la caractérisation de l'infraction ». Par ailleurs, les magistrats du second degré estiment que « la détention sans motif légitime d'un équipement conçu ou adapté pour une atteinte frauduleuse à un système de traitement automatisé de données est établie à l'encontre du prévenu, lequel s'est procuré un keylogger précisément dans le but d'obtenir frauduleusement les codes d'accès aux messageries de ses deux confrères et de pourvoir ensuite accéder à leur insu à leurs courriels ». En effet, selon eux, le prévenu ne peut sérieusement soutenir avoir détenu le keylogger pour des motifs légitimes, à savoir la défense de sa situation professionnelle et de sa réputation, alors que l'article 323-3-1 donne du motif légitime autorisant la détention d'un tel équipement une tout autre définition, « laquelle restreint l'autorisation aux seules personnes habilitées à assurer la maintenance et la sécurité d'un parc informatique et agissant aux seules fins prévues par leurs missions et ne bénéficie pas aux simples utilisateurs des ordinateurs ».

3Le prévenu forme alors un pourvoi contre cette décision en reprenant l'idée selon laquelle l'installation du matériel litigieux sur deux claviers d'ordinateur ne permet que la récupération des différentes frappes réalisées sur les touches, mais pas l'accès à un système de traitement automatisé de données, de sorte que le délit d'introduction frauduleuse n'est pas constitué. Il reprend par ailleurs l'idée selon laquelle une telle opération était rendue nécessaire par l'exercice des droits de la défense. Mais la Haute juridiction rejette son pourvoi par l'arrêt commenté au motif lapidaire « qu'en effet, se rend coupable de l'infraction prévue à l'article 323-1 du code pénal la personne qui, sachant qu'elle n'y est pas autorisée, accède à l'insu des victimes, à un système de traitement automatisé de données ». Que penser de cette réponse au regard des critiques formulées ? Elle s'avère tellement concise qu'elle pourrait passer pour insuffisante. Revenons un instant sur les infractions en cause avant d'évoquer leur justification.

I - L'existence de différentes infractions

4A. En premier lieu, observons que plusieurs infractions étaient en cause et que la réponse de la Cour de cassation ne concerne que celles relatives à l'accès frauduleux dans un STAD. Il faut comprendre que l'infraction de détention, également poursuivie, a été établie sans contestation possible. L'appréciation des faits relevant du pouvoir souverain des juges du fond, la Haute juridiction n'estime pas nécessaire d'y revenir. Ce qui signifie donc qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a justement estimé que le keylogger rentre dans la catégorie des « équipement, instrument, programme informatique ou donnée conçus ou spécialement adaptés pour commettre une ou plusieurs des infractions prévues par les articles 323-1 à 232-3 ». Cela signifie également qu'elle a justement estimé que le prévenu ne pouvait invoquer un « motif légitime » au sens de l'article 323-3-1.

5On reviendra ensuite sur la qualification du keylogger. En revanche, s'agissant du motif légitime, on se permettra immédiatement d'exprimer une réserve à l'égard du silence gardé par la Cour de cassation. Car l'approche de la cour d'appel, approuvée par la Haute juridiction, semble particulièrement restrictive : les motifs de recherche et de sécurité informatique ne sont pas seuls en cause, puisque l'adverbe notamment employé par l'article 323-3-1 signifie que de tels motifs ne sont proposés qu'à titre d'exemple  [1]. A priori, d'autres motifs peuvent également passer pour légitimes. Toutefois, les magistrats ne semblent pas vouloir rentrer dans ce débat. Au mépris du principe de faveur, ils donnent son plein effet au texte d'incrimination, mais pas à l'hypothèse de justification qu'il prévoit. Cela n'est guère satisfaisant. En effet, il faut se méfier de l'erreur de perspective consistant à penser que l'incrimination est le principe et le motif légitime l'exception. Dans un système respectueux de la liberté individuelle, les incriminations - qui constituent autant de limites à cette liberté - ont un caractère exceptionnel justifiant qu'il en soit fait une interprétation restrictive. Inversement, le motif légitime, qui permet un retour au principe de liberté, devrait être envisagé largement parce qu'il est contraire, non seulement à l'exigence de légalité, mais aussi à la présomption d'innocence, de demander à quelqu'un de justifier des motifs de ses actes. Autrement dit, devant un juge respectueux de la liberté individuelle, le motif légitime devrait être présumé et l'incrimination regardée avec suspicion. Une telle interprétation s'impose d'autant plus ici que l'on ne reproche pas au prévenu d'avoir fait quelque chose, mais d'avoir été quelqu'un : un détenteur, indépendamment de l'usage fait de l'équipement détenu. Il n'est nul besoin, pour cela, d'analyser le « motif légitime » comme l'élément injuste de l'infraction en question  [2]. Il suffit d'un peu de logique et de fidélité à la règle énoncée à l'article 66 de la Constitution selon laquelle l'autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle. Au contraire, ici, elle s'est voulue essentiellement gardienne de l'ordre public en tenant un raisonnement destiné à assurer le plus efficacement possible sa protection.

6Par ailleurs, une autre réflexion nous est inspirée par les faits qui viennent d'être évoqués. Un cumul de qualifications n'était-il pas excessif au regard de la règle non bis in idem ? Pouvait-on retenir cette infraction de détention en plus de celle d'accès frauduleux qui paraît l'impliquer, de sorte que la première n'était qu'un moyen de réaliser la seconde ? Ailleurs, l'objection mériterait d'être soulevée, mais, ici, le silence de l'arrêt sur ce point ne peut être contesté car la poursuite visait en réalité des faits différents au titre de la détention et de l'accès frauduleux. La détention litigieuse n'était pas celle des équipements installés ensuite pour permettre l'accès au contenu des ordinateurs, mais celle d'un troisième équipement, non encore utilisé, retrouvé chez le prévenu à l'occasion d'une perquisition. Il n'existait donc pas entre ces différentes infractions un rapport de fin à moyen interdisant de les retenir en concours réel comme on le trouve parfois en matière de faux et d'escroquerie  [3].

7B. En second lieu, l'arrêt confirme donc - cette fois expressément - que tout accès frauduleux dans un système de traitement automatisé de données est punissable. Peu importe les conditions dans lesquelles un prévenu s'est introduit à l'insu du maître du système : peu importe le procédé utilisé dès lors qu'un tel résultat peut être constaté  [4]. La solution s'impose en droit alors qu'elle était compliquée, en l'espèce, en fait. Car l'introduction dans le STAD ne s'est opérée ici que de manière indirecte, permettant au prévenu d'entretenir artificiellement une discussion qui n'avait pour autant aucune chance d'aboutir car, si la causalité était indirecte, elle n'était pas moins certaine. En l'occurrence, le prévenu soutenait que le keylogger ne lui avait pas permis de s'introduire dans un STAD car il lui avait seulement permis de suivre la frappe des utilisateurs sur leurs claviers d'ordinateur. Mais, en raisonnant de la sorte, le prévenu passait sous silence l'intérêt d'une telle observation : la frappe sur le clavier des deux ordinateurs où un keylogger avait été installé lui avait révélé les codes utilisés par les victimes pour accéder à leur messagerie. Le prévenu ayant réutilisé ces codes pour prendre connaissance de leurs courriels, il s'était bien introduit dans deux STAD de manière frauduleuse car à l'insu des utilisateurs desdits services de messagerie. Sans doute, la prévention aurait-elle mérité d'être mieux rédigée pour faire apparaître ce raisonnement en deux temps et dissuader la défense d'employer de faux arguments à l'appui de sa demande de relaxe. Mais les juges du fond ne se sont pas laissé abuser. Ils ont constaté que, grâce au keylogger le prévenu a réussi à pénétrer des systèmes informatiques à accès restreint, ce qui a suffi à caractériser l'infraction. Le rejet du pourvoi à cet égard ne peut qu'être approuvé.

II - La justification de l'accès frauduleux

8En revanche, plus contestable apparaît l'absence de réponse au moyen dénonçant une atteinte aux droits de la défense. Ce n'est pas la dimension procédurale, mais la dimension justificative de ces droits qui était en cause ici. On sait qu'elle a pu être admise en matière de vol, recel de documents obtenus au mépris du secret de l'instruction, atteinte à l'intimité de la vie privée, atteinte au secret professionnel, etc. Or, le moyen reprochant en l'espèce à la cour d'appel d'avoir méconnu l'importance de ces droits est traité avec mépris : jugé sans doute inopérant, il ne suscite aucune réaction de la part de la Cour de cassation. Elle aussi considère, semble-t-il, qu'il ne s'agissait que d'un mobile dont chacun sait qu'il ne peut influer sur l'existence de l'infraction. Mais comment justifier une solution aussi régressive ?

9Il convient de souligner d'abord que les développements de l'arrêt d'appel évoqués ci-dessus, concernant le motif légitime tenant à des raisons de sécurité ou d'étude, ne sont pas en cause ici : ce fait justificatif est propre à l'infraction de détention prévue à l'article 323-3-1. L'accès frauduleux incriminé à l'article 323-1 ne comprend, lui, aucune justification de cette sorte. Il ne s'agit donc pas d'étendre aux deux infractions une réponse jugée pertinente (sous les réserves énoncées ci-dessus) pour l'une d'elles seulement.

10Ensuite, on est frappé par la similitude entre la situation de ce médecin contractuel opposé à un professeur de médecine devant le conseil de l'ordre et la situation d'un salarié contestant la sanction disciplinaire que lui inflige son employeur devant le conseil de prud'hommes. Cependant, on ne dispose d'aucun autre élément d'information permettant d'accréditer ce qui ne constitue, en l'état, qu'une vague analogie. Pire : il semble exister deux différences essentielles qui pourraient expliquer que le moyen est apparu à ce point fantaisiste à la Haute juridiction qu'il n'a pas entraîné de réfutation formelle de sa part. La première tient au fait que les keyloggers n'ont pas été installés par le médecin contractuel sur des ordinateurs utilisés par le Professeur en médecine lui-même, mais sur des ordinateurs utilisés par des collègues avec qui ce Professeur était en relation. Le prévenu a soutenu qu'en espionnant les conversations de chacun d'eux, il espérait glaner des détails sur son « affaire », mais il accéda aussi à beaucoup d'autres informations qui ne le regardaient absolument pas. Une telle intrusion peut donc sembler disproportionnée par rapport à l'objectif poursuivi, ce qui la prive de toute légitimité. La seconde différence tient au fait que la nécessité de cet espionnage ne semble pas davantage avoir été établie. En effet, on peine à imaginer que le seul moyen d'étayer ses accusations devant le conseil de l'ordre ait été de produire des mails échangés par des individus non directement mis en cause devant lui. Ainsi, faute d'éléments plus précis, les conditions de la justification n'étaient sans doute pas réunies. Cela ne signifie pas, comme certains se sont attachés à le montrer, qu'une telle cause de justification ne s'applique qu'à l'occasion de litiges opposant un salarié à son employeur lorsque sont produits des documents de l'entreprise volés, ou reproduits sans autorisation  [5]. Si c'est, sans doute, l'hypothèse dans laquelle les faits sont le plus facilement légitimés, il ne s'ensuit pas quelle est seule en cause. Les exemples rappelés en introduction à ce développement suffisent à le montrer. Cela signifie tout au plus que les droits de la défense ne peuvent produire d'effet, au-delà de la procédure, en droit pénal de fond que de façon exceptionnelle, lorsqu'ils sont effectivement menacés. Il ne suffit donc pas d'alléguer l'atteinte portée à ces droits pour justifier un comportement susceptible de constituer une infraction. Il faut établir une telle atteinte. En l'espèce, c'est l'insuffisance de cette démonstration qui semble expliquer le peu d'attention prêté par les juges du fond, puis la Cour de cassation, à ce moyen de défense devenu essentiel.

2. Contrefaçon de musiques en ligne : responsabilités pénale et civile d'une plateforme (Crim. 27 févr. 2018, n° 16-86.881, à paraître au Bulletin, AJ pénal 2018. 253, obs. J. Lasserre Capdeville ; Dr. pénal 2018, obs. J.-H. Robert)

11La surveillance de sites internet, dans le cadre d'une enquête de police ouverte par le parquet de Paris sur plainte de la Fédération nationale des distributeurs de films (FNDF) pour violation des droits d'auteur et droits voisins des producteurs de vidéogrammes, a révélé entre 2005 et 2007 l'existence de faits de contrefaçon et complicité de contrefaçon d'œuvres de l'esprit, reproduction, mise à disposition illicite de vidéogrammes et de logiciels, via un réseau dit de peer to peer reposant sur l'utilisation du logiciel de téléchargement eMule. À la suite, l'exploitant du site eMule Paradise a été mis en cause pour avoir proposé et géré un catalogue de films contrefaits, de séries télévisées, de spectacles, de dessins animés et mangas, et pour avoir permis l'accès à des liens et des indications permettant d'installer et de paramétrer le logiciel précité. Une information judiciaire a été ouverte qui a permis d'établir que l'ensemble de ces activités a généré, sur deux ans, 416 638,48 euros de revenus provenant de la vente d'espaces publicitaires, non déclarés, encaissés sur les comptes de différentes sociétés fictives off shore. À la suite, l'exploitant du site et six autres prévenus ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel qui a retenu contre certains d'entre eux les faits reprochés. Ce jugement a été partiellement confirmé sur l'appel de l'exploitant, du ministère public ainsi que de la Sacem. L'exploitant et cette société d'auteur ont formé à la suite un pourvoi devant la Cour de cassation. C'est la réponse de la Cour à ces deux pourvois qui nous intéresse ici.

I - Sur le pourvoi de l'exploitant de la plateforme

12L'exploitant du site s'est donc vu reprocher des faits de contrefaçon et son rôle dans la fourniture au public d'un logiciel de téléchargement illicite d'œuvres protégées.

13A. Il a tout d'abord été condamné pour avoir reproduit sans autorisation un ensemble de jaquettes de film. Son pourvoi a été l'occasion de contester la façon dont la cour d'appel a déclaré ce délit de contrefaçon établi. En l'occurrence, elle a relevé que, lors d'une perquisition à son domicile, « les services de police ont constaté la présence dans un tiroir de bureau d'un CD-R portant le titre EMP dont l'exploitation a permis d'y trouver un grand nombre de fichiers dont Vincent X. a déclaré qu'il s'agissait de jaquettes de logiciels et de films qu'il réservait à son usage personnel ». Le prévenu reproche à la cour d'appel de ne pas avoir discuté ce moyen alors que l'utilisation des droits d'auteur dans un cadre familial ou privé est licite. On peut y voir une limite de la protection ou, plus sûrement, un fait justificatif spécial car propre à la matière. Néanmoins, la Haute juridiction rejette cette critique en explicitant les motifs de l'arrêt attaqué. Elle relève que « les fichiers contenant les jaquettes concernées figuraient précisément sur un CD-Rom ayant pour titre le nom du site litigieux [EMP] ». Elle en déduit que « la cour d'appel, qui a souverainement apprécié que l'exception tenant à un usage personnel des jaquettes ne pouvait être retenue, a justifié sa décision ». Il faut comprendre que, pour exclure l'exception tiré de la libre reproduction d'œuvres « strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » (CPI, art. L. 122-5), il suffit d'établir un lien entre une matrice de reproduction retrouvée au domicile d'un prévenu et ces mêmes reproductions sur un site contrefaisant. Cela suffit à démontrer que la matrice était, en réalité, destinée à alimenter le site et non à un usage privé. On peut s'en contenter. Mais on peut aussi s'étonner du peu de sens critique manifesté à cette occasion. Car le raisonnement tenu repose sur une confusion entre deux types d'activité : l'activité privée du prévenu et son activité professionnelle. Si on avait retrouvé le CD-Rom dans son bureau, il n'y aurait pas eu de difficulté pour présumer que le prévenu souhaitait en faire un usage commercial. Mais le CD-Rom a été retrouvé à son domicile. Dans ces conditions, exclure d'emblée un usage privé s'avère discutable. Pourquoi ne pas admettre que le prévenu, féru de cinéma, souhaitait effectivement conserver à son profit le bénéfice des affiches en question ? Cela paraît peu vraisemblable ? Certes. Néanmoins, en statuant comme ils l'ont fait les juges répressifs ont oublié que le doute profite à l'accusé et non à l'accusation. En l'absence de reproduction en nombre, on ne pouvait exclure cet usage privé sans rapporter la preuve contraire, c'est-à-dire ici sans démontrer une confusion, à l'initiative du prévenu lui-même, entre sa vie privée et son activité professionnelle expliquant que le CD-Rom ait été retrouvé à son domicile plutôt que dans sa société. Or, cette preuve fait défaut. Le lien entre les activités privée et professionnelle du prévenu est présumé de façon contestable. L'« homme à abattre » des sociétés d'auteur et producteurs a-t-il réellement eu un procès équitable ? D'aucuns penseront sans doute que sa position était indéfendable. Mais, précisément, cela aurait dû conduire à prendre davantage de précautions au moment de rédiger une décision rendant définitives les condamnations prononcées contre lui. La suite de ces développements ne démentira pas cette première observation.

14Car, ensuite, le même prévenu a contesté les motifs de l'arrêt l'ayant déclaré coupable pour avoir contrefait 7 713 œuvres et vidéogrammes protégés. En l'occurrence, la cour d'appel a relevé qu'entre 2005 et 2006 ce prévenu « a administré le site Emule Paradise lequel permettait aux internautes d'y télécharger par le clic d'un lien eD2k des œuvres protégées, principalement des films, mais aussi des séries télévisées ou des logiciels librement disponibles sur d'autres sites internet sans autorisation ». Or, selon elle, le premier juge a très exactement « estimé que la mise à disposition de ce lien eD2k inséré sur chacune des fiches du catalogue disponible sur le site caractérise l'acte de contrefaçon commis au préjudice des droits d'auteurs et des droits voisins étant précisé que cette activité était exercée à titre lucratif ». Comprenez que la fourniture de liens vers des contenus contrefaisant équivaudrait à la communication de ces contrefaçons et suffirait à établir les délits des articles L. 335-3 et L. 335-4 du code de la propriété intellectuelle (atteintes au droit d'auteur et droits voisins). La cour d'appel a par ailleurs considéré que l'originalité, donc la protection des œuvres en cause, ne pouvait être contestée et que moins d'un pour cent d'entre elles étaient libres de droit. En conséquence, elle a confirmé que les auteurs, producteurs et leurs ayants droit pouvaient légitimement se considérer victimes de contrefaçon. Au stade du pourvoi, le prévenu a contesté le nombre d'œuvres prétendument contrefaites et a reproché à la cour d'appel de n'avoir pas vérifié, pour chacune d'elles, s'il s'agissait bien d'œuvres de l'esprit méritant protection. Ces critiques sont sommairement écartées par la Cour de cassation au rappel du pouvoir souverain des juges du fond : « pour retenir le nombre de 7 713 œuvres contrefaites, la cour prononce par les motifs repris au moyen et se réfère, en particulier, à une page statistique mise à jour durant l'enquête et faisant ressortir 7 113 fiches et 21 486 liens eD2k ; que pour admettre le caractère protégé desdites œuvres au regard de la propriété intellectuelle, l'arrêt attaqué retient leur créativité et leur complexité, quelle qu'en soit la qualité par ailleurs ». La chambre criminelle refuse d'en discuter. Néanmoins, on rappellera que la protection d'une œuvre ne dépend pas de sa créativité ou de sa complexité, motifs que la Haute juridiction prête à la cour d'appel, mais qui ne résultent pas de son arrêt. La protection est acquise à une œuvre à raison de son originalité, parce qu'elle exprime la personnalité de son auteur. Il aurait été préférable de corriger l'arrêt correctement... Ensuite, on ajoutera que cette originalité doit être vérifiée, œuvre par œuvre, car elle détermine la protection et donc l'existence du délit lorsqu'une œuvre a été reproduite ou représentée à l'insu des ayants droit. Or, en l'espèce, même si l'originalité des œuvres contrefaites ne faisait guère de doute compte tenu du faible degré d'exigence jurisprudentielle en la matière, force est de constater qu'une telle vérification n'a pas eu lieu : ce n'est pas parce qu'une œuvre n'est pas « libre de droit » (tombée dans le domaine public ?) qu'elle est nécessairement protégée. La Cour de cassation fait semblant de ne pas comprendre la critique adressée à l'arrêt sur ce point. En effet, elle n'a guère de conséquences au plan répressif : il aurait suffi d'une seule création originale reproduite sans autorisation pour justifier les peines prononcées. Cependant, la critique aurait pu avoir des conséquences importantes, sur l'action civile, au titre des réparations accordées. Car il y a autant d'obligations de réparer que de délits, c'est-à-dire d'œuvres contrefaites : si la pluralité d'œuvres n'a pas d'incidence sur les peines encourues compte tenu des règles régissant le concours réel d'infractions, il n'en va pas de même au regard des dommages-intérêts et l'on mesure mieux alors l'enjeu d'une contestation à première vue dérisoire. Sous cet aspect, la réponse laconique de la Haute juridiction n'apparaît pas satisfaisante. Un défaut de base légale aurait dû être reproché à la cour d'appel qui s'est épargnée une vérification sans doute fastidieuse, mais essentielle pour répondre à toutes les demandes qui lui étaient présentées.

15B. Ce n'est pas tout. Car, à la suite, le prévenu a également contesté les motifs de l'arrêt d'appel l'ayant déclaré coupable d'avoir fourni un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public, non autorisée, d'œuvres protégées. Ces motifs méritent d'être rappelés : « eMule Paradise proposait des listes de films et de logiciels piratés avec une garantie implicite de qualité et un accès direct aux œuvres répertoriées sur le réseau internet, proposait des guides pour l'installation des jeux piratés sur les consoles de jeu PSP et organisait par la publicité sa rémunération ; que dans ce contexte, la mise à disposition du public sur le site eMule Paradise du logiciel eMule est manifestement destiné à la mise à disposition du public des œuvres et objet protégés sélectionnés par site eMule Paradise ; qu'il importe peu que le logiciel eMule n'ait pas été stocké par le site eMule Paradise dès lors que ce site comportait sur sa page d'accueil un sous-dossier eMule mettant à disposition du public l'équivalent d'un guide de paramétrage et d'utilisation de ce logiciel ». De la même façon, les premiers juges avaient estimé que « le logiciel eMule est majoritairement utilisé par les internautes pour le téléchargement illicite de films » et ils avaient observé que « le site eMule Paradise proposait un lien profond pointant vers la page interne du site eMule et contenait diverses rubriques de conseils et d'instructions pour installer le logiciel eMule », de sorte que le lien entre le logiciel et le site ne pouvait être contesté. Or, selon le prévenu, l'infraction de l'article L. 335-2-1, CPI, consistant à fournir un logiciel « manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d'œuvres ou d'objets protégés », n'était pas caractérisée car son site (eMule Paradise) se bornait à transmettre au public des informations sur le logiciel du même nom et sur son mode de fonctionnement sans l'offrir en téléchargement soit par stockage soit par un accès à un autre site où il aurait pu être téléchargé. Le prévenu a donc dénoncé une interprétation extensive de la loi pénale contraire au principe de légalité. Mais cette critique est, à son tour, écartée au motif général selon lequel « tout service de communication au public en ligne d'œuvres protégées, sans qu'aient été obtenues les autorisations requises et toute mise à disposition d'un logiciel ayant cette finalité, entrent dans les prévisions de l'article L. 335-2-1 du code de la propriété intellectuelle ». Ce qui ne répond pas véritablement à la question posée. Pouvait-on considérer ici le site eMule Paradise comme un service de communication au public en ligne d'œuvres protégées ? Il s'en défendait en relevant qu'il ne communiquait lui-même aucune œuvre et que l'accès aux œuvres ne passait pas par lui. Il ne suffisait donc pas de rappeler les termes de la loi pour faire face à la critique  [6]. Il fallait justifier en quoi la simple fourniture de renseignements permettant à des internautes de télécharger un logiciel utile pour réaliser des contrefaçons équivalait à la fourniture de ce logiciel et rentrait dès lors dans le champ de l'incrimination. Or, cette démonstration manquait dans l'arrêt d'appel attaqué. À tout le moins, là aussi, un défaut de base légale méritait d'être relevé car, en l'état, on peut douter de la matérialité de l'infraction. Les magistrats ont raisonné par analogie : ils n'ont pas établi le comportement incriminé à l'article L. 335-2-1 du code de la propriété intellectuelle qui consiste exclusivement à éditer, mettre à la disposition du public ou communiquer au public un logiciel de téléchargement illégal. L'assimilation à laquelle ils ont procédé est sans doute légitime au regard de la protection civile des droits d'auteur mais il n'est pas acceptable en droit pénal où l'incrimination est d'application stricte. À tout le moins, il aurait fallu préciser ici le mode de participation au délit reproché : si le prévenu était effectivement un auteur (plutôt que le complice du tiers mettant à disposition le logiciel eMule, non identifié et non poursuivi), c'était moins un auteur matériel qu'un auteur moral, ce qui aurait mérité d'être démontré par des précisions quant au lien entre la fourniture des informations litigieuses et la mise à disposition du logiciel de téléchargement illégal. En l'état, les ellipses de l'arrêt d'appel sèment donc le doute sur la décision de rejet commentée : en tenant pour acquis certains éléments de fait, qui pour être probables, n'étaient pour autant guère établis, la Haute juridiction ne semble pas avoir exercé, de façon satisfaisante, son contrôle de qualification.

16Enfin, le prévenu contestait les motifs de l'arrêt l'ayant déclaré également coupable de complicité de contrefaçon d'œuvres et de droits voisins (vidéogrammes) par mise à disposition du logiciel précité. Pour comprendre l'enjeu de cette ultime critique, il faut se souvenir que les faits ont été commis entre 2005 et 2006 : une partie d'entre eux était donc antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006 relative aux droits d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, à l'origine de l'incrimination (CPI, art. 335-2-1) qui vient d'être évoquée. Cependant, les faits n'échappaient pas à toute sanction. Le premier juge a considéré qu'« avant le 4 août 2006, M. X. incitait au téléchargement illégal sous forme de conseils donnés aux internautes pour installer le logiciel eMule en mettant à disposition le logiciel eMule sur le site eMule Paradise, ce qui constituait un acte de complicité par fourniture de moyens ; que l'instigation, l'aide et l'assistance se sont encore manifestés par la mise à disposition des internautes des fiches descriptives des films, d'images représentant l'affiche des films et par la mise à disposition du répertoire de films téléchargeables par lien eDonkey ». Pour le premier juge, en facilitant l'accès des internautes au logiciel de téléchargement illégal, le prévenu a encouragé celui-ci : cela aurait constitué aussi bien une aide qu'une provocation à la contrefaçon. La cour d'appel a adopté ces motifs. Suffisaient-ils à caractériser une complicité punissable ? Le prévenu l'a contesté dès lors que les infractions auxquelles il s'est prétendument associé n'ont été établies ni par le jugement, ni par l'arrêt en question. Néanmoins, la Haute juridiction rejette cette critique en explicitant quelque peu les motifs de la décision attaquée. Selon elle, les juges du fond ont démontré « que M. X., par la mise à disposition du public du site litigieux, s'est jusqu'au 3 août 2006, rendu complice, à la fois par incitation et aide et assistance, des actes de contrefaçon constitués par les téléchargements illicites des internautes, soit, selon les indications du site Internet lui-même, 6 130 526 téléchargements pour les seuls 50 films du Top 50 ». Que les téléchargements effectués par les internautes aient été illégaux et constitutifs à ce titre de contrefaçons est sans doute apparu tellement évident aux premiers et seconds juges qu'ils n'ont pas pris le soin de préciser que chacun d'eux constituait une infraction (peu importe qu'elles n'aient pas été poursuivies) à laquelle il était possible de reprocher au prévenu de s'être associé. En effet, la solution ne prête plus à discussion  [7]. Mais il n'était pas illégitime que le prévenu demande à la Cour de cassation de le préciser. Les juges du fond auraient dû commencer par constater l'illicéité de ces téléchargements car il n'y a pas de complicité de contrefaçon sans contrefaçon. Par ailleurs, à l'égard de faits constants, la Haute juridiction aurait pu corriger ici une erreur de méthode qui reste sans conséquence sur la responsabilité pénale de l'exploitant.

II - Sur le pourvoi de la Sacem

17La Société des auteurs et éditeurs de musique (Sacem) a formé un pourvoi contre le même arrêt pour contester le montant de l'indemnisation qui lui a été accordée : elle n'a reçu que 40 000 euros à titre de dommages-intérêts. Or, en cause d'appel, elle évaluait son préjudice matériel à la somme de 1 254 368,04 euros TTC par le « calcul mathématique des droits éludés », soit le résultat du nombre de téléchargements illégaux d'œuvres de son répertoire (5 695 686) multiplié par le prix unitaire d'un téléchargement légal (9,99 euros TTC pour le prix le plus faible constaté) multiplié par son propre taux de perception (2,50 %). Cependant, elle n'était pas seule à demander réparation. Différents producteurs s'étaient également constitués parties civiles et une indemnisation était sollicitée selon trois méthodes différentes auprès de la cour d'appel. Les prévenus n'ont donc pas manqué de souligner cette incohérence, accentuée par le fait que les bases de calcul retenues pouvaient paraître à la fois incertaines et contradictoires. En réponse, la cour d'appel se contenta d'évaluations forfaitaires dont elle ne s'est pas justifiée. C'est cette méthode que conteste le pourvoi de la Sacem en rappelant que, lorsqu'elles fixent les dommages-intérêts, les autorités judiciaires ne peuvent procéder de manière forfaitaire sans prendre en compte notamment le montant des redevances qui auraient été dues si le contrevenant avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit de propriété intellectuelle dont la violation lui est reprochée. À défaut, le dédommagement manque de base objective. Au cas d'espèce, il a donc été reproché à la cour d'appel de ne pas avoir mis la Cour de cassation en mesure de s'assurer que les sommes forfaitaires allouées correspondaient au moins au montant des redevances qui lui auraient été dues si une autorisation avait été accordée. Par ailleurs, la Sacem a reproché à la cour d'appel de lui avoir refusé la réparation du préjudice moral né des atteintes portées aux droits d'auteur dont elle assure la gestion. À la différence des précédentes, ces critiques sont accueillies par la Haute juridiction. L'arrêt est cassé au visa de l'article 593 du code de procédure pénale (obligation de motivation des décisions en matière répressive) et de l'article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle (calcul des dommages-intérêts). En application de ce dernier texte, la Haute juridiction rappelle que, « pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, le préjudice moral causé au titulaire de ce droit du fait de l'atteinte, les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits ; toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte ». Et, à la suite, elle adresse un double reproche à l'arrêt attaqué. Elle relève en premier lieu que la cour d'appel « ne s'est pas expliquée sur les critères qu'elle devait prendre en considération au titre de l'article L. 331-1-3 alinéa 1 du code de la propriété intellectuelle et [...] n'était pas saisie par la partie lésée d'une demande d'indemnisation forfaitaire prévue au second alinéa du même article ». Elle relève en second lieu que la cour d'appel « n'a pas évalué la réparation de l'atteinte aux droits moraux dont bénéficie l'auteur de toute œuvre de l'esprit du fait de sa contrefaçon ». En conséquence, elle censure l'arrêt sur ce point en estimant que la cour « n'a pas justifié sa décision ». Ce qui appelle deux types d'observation.

18Tout d'abord, cette cassation confirme que l'article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle est applicable devant le juge répressif, comme il l'est devant le juge civil. Ce texte dispose : « pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement : 1° Les conséquences économiques négatives de l'atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ; 2° Le préjudice moral causé à cette dernière ; 3° Et les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l'atteinte aux droits ». Son dernier alinéa ajoute : « Toutefois, la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n'est pas exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée ». L'hésitation en la matière tenait au fait qu'une telle disposition fait partie d'un ensemble introduit dans le code de propriété intellectuelle en 2007 et modifié en 2014 afin de tenir compte du droit de l'Union européenne qui ne prétend pas harmoniser la protection pénale, mais seulement la protection civile, des droits d'auteur. En conséquence, l'article précédent et l'article suivant sont relatifs à la seule action en réparation dirigée devant une juridiction civile. Dans ces conditions, était-il pertinent d'admettre l'application de l'article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle devant le tribunal correctionnel sous prétexte qu'il évoque une « juridiction » sans préciser la nature de celle-ci ? La Haute juridiction l'admet ici, ce qui semble parfaitement conciliable avec les termes de l'article 3, alinéa 2 du code de procédure pénale selon lequel l'action civile « sera recevable pour tous chefs de dommages, aussi bien matériels que corporels ou moraux, qui découleront des faits objets de la poursuite ». Ce texte envisage largement les conditions de la réparation. De surcroît, la solution a l'avantage de la cohérence (puisque l'indemnisation obéit désormais aux mêmes conditions devant le juge répressif et le juge civil). Mais elle pose une difficulté en l'absence d'instruction préalable. En effet, le tribunal correctionnel n'a pas nécessairement les moyens de vérifier les éléments avancés par la partie civile alors que le prévenu, qui conteste les faits, ne s'est pas expliqué sur leurs conséquences prétendument dommageables. C'est la raison pour laquelle les magistrats avaient jusqu'à présent tendance à forfaitiser, de manière quelque peu abusive, le montant des dommages-intérêts dus aux parties civiles. Désormais, ils vont devoir s'expliquer de façon plus précise sur les sommes allouées à titre de réparation : leur pouvoir souverain ne pourra plus s'exercer que dans les limites fixées par une loi dont le respect est soumis au contrôle de la Cour de cassation. Cela les conduira sans doute à dissocier, plus souvent qu'aujourd'hui, la décision sur l'action publique de la décision sur l'action civile afin de permettre un débat spécifique sur l'étendue de la réparation.

19Ensuite, sont censurés les motifs de l'arrêt par lesquels la cour d'appel a refusé l'indemnisation du préjudice moral invoqué par la Sacem. La cour d'appel semble avoir été victime sur ce point d'une confusion entre le droit moral qui reste propre à l'auteur et le préjudice moral qui peut accompagner le préjudice matériel né d'une contrefaçon. Il est bien clair que la Sacem à qui les auteurs apportent leurs seuls droits patrimoniaux ne peut agir pour assurer la défense des droits moraux qu'ils conservent. Elle ne saurait donc demander réparation des conséquences dommageables d'une atteinte au droit de divulgation, au droit au nom ou au droit au respect de l'œuvre de chacun de ses membres. Toutefois, de telles atteintes n'étaient pas invoquées en l'espèce : la Sacem ne revendiquait pas les droits moraux conservés par les créateurs des œuvres contrefaites ; elle se contentait d'invoquer le préjudice moral né de l'atteinte aux droits patrimoniaux dont elle assure la gestion. La formule peut paraître osée, mais elle s'est imposée depuis longtemps en droit civil français. En l'occurrence, un préjudice moral peut être trouvé dans le fait que le contrefacteur est passé outre la volonté du titulaire de droits dont il n'a pas sollicité l'autorisation. Ce préjudice existe indépendamment des conséquences économiques de l'atteinte au droit par ailleurs indemnisée. Admettant l'application de l'article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle devant la juridiction répressive, la Haute juridiction ne pouvait que censurer la décision à cet égard aussi car ce texte évoque le préjudice moral causé à la partie lésée comme une des exigences à prendre en considération lors de l'évaluation des dommages et intérêts. La cassation sur ce second point est une suite logique du choix d'appliquer ce texte.

3. Excès de confiance envers un journaliste : conséquences pénales de la trahison du confident non nécessaire (Crim. 23 mai 2018, n° 17-82.355, D. 2018. 1153 ; AJ pénal 2018. 418, obs. É. Clément ; JCP 2018. 898, note A. Serinet)

20Un père de famille divorcé, s'estimant persécuté par la justice et la police, adresse un message électronique à un journaliste local en l'invitant à procéder à une enquête en vue de la publication d'un article. Le journaliste destinataire transmet ce message à un officier de police judiciaire qui le transmet au procureur de la République, lequel poursuit l'auteur du message devant le tribunal correctionnel, par la voie de la comparution immédiate, du chef d'outrage et menaces de mort envers un magistrat et du chef de discrédit jeté sur une décision de justice. Au titre de l'outrage, est relevé le passage suivant : « Il n'y a pas très longtemps de cela, la cour d'appel m'a à nouveau donné raison, notamment sur deux demandes d'AJ qui avaient été abusivement rejetées par Mme B., présidente du tribunal correctionnel de Tarbes, qui visiblement rédige ses décisions de justice avec les pieds, tellement le manque de base légale est à chaque fois flagrant ». Au titre des menaces de mort, est relevé le passage suivant : « L'avocat de Melun avait laissé une longue lettre dans laquelle il expliquait les raisons qui l'ont poussé à commettre l'irréparable. Face à la violence organisée de membre de l'autorité publique, qui usent et abusent de leurs prérogatives pour régler des comptes personnels, reste aux gens comme moi, la résistance à l'oppression. Je n'ai pas l'intention de monter en haut d'une grue pour faire respecter enfin mes droits de père. J'agirai autrement quitte à tout perdre et entraîner avec moi, ceux qui obnubilés par le pouvoir qu'ils ont, ont cru pouvoir disposer de ma vie [...]. Il est fort à craindre que dans les jours qui viennent je mette fin à mes jours si je ne suis pas entendu et je peux vous assurer que je ne partirai pas seul, quelques magistrats et avocats véreux de ce tribunal m'accompagneront ». Enfin, au titre du discrédit jeté sur une décision de justice, est relevé le propos suivant : « Je suis depuis octobre 2013 confronté à un long combat judiciaire pour être rétabli dans ma dignité de père. Voilà maintenant 2 ans que je suis privé de mon seul enfant. La cour d'appel de Pau vient encore, dans un jugement tout à fait injurieux et aucunement motivé, de décider que je devrais aller voir mon fils à Sète, ce dans des conditions déshumanisantes, alors que c'est la mère qui a déménagé en ne respectant pas les prescriptions de la loi. Le conflit qui a commencé entre deux particuliers, s'est désormais étendu à d'autres protagonistes dont des magistrats, des avocats et des policiers, tous véreux, tous pratiquant contre ma personne, la loi de la jungle, celle du plus fort. Aujourd'hui je suis en dépression à cause de ces personnes. Alors qu'il est clair que des policiers se sont amusés à falsifier des PV, qu'un juge aux affaires familiales dans le but de me refuser la garde de mon fils a prétendu que je dormais dans les locaux de mon magasin, aucune sanction n'a été prise contre ces gens qui piétinent les règles élémentaires de l'État de droit, tout ceci, dans une indifférence assourdissante, tant de vous les journalistes à qui j'ai pourtant communiqué l'expertise graphologique démontrant le faux commis par les policiers, que d'une certaine partie du corps judiciaire ».

21Le tribunal déclare le prévenu coupable de ces trois infractions. Le jugement est confirmé en appel. Le prévenu forme alors un pourvoi en cassation et l'arrêt est cassé pour deux de ces trois déclarations de culpabilité : sur le fondement de l'outrage à magistrat et sur celui du discrédit jeté sur une décision de justice. Seuls sont maintenus les motifs concernant le délit de menace de mort. La réponse de la Haute juridiction sur ces trois points mérite quelques mots d'explication.

I - Sur l'outrage à magistrat

22En premier lieu, l'arrêt confirmatif est censuré sur le fondement des articles 434-24 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. La Haute juridiction rappelle que, « dans les cas où des propos outrageants à l'égard d'un magistrat sont tenus devant un tiers en l'absence de la personne visée ou ne sont adressés qu'à un tiers, le délit d'outrage à magistrat n'est constitué que si, d'une part, leur auteur a l'intention, non pas seulement de prendre à témoin son interlocuteur, mais de voir ses propos rapportés à l'intéressé, et que, d'autre part, en raison de ses liens avec ce magistrat, ce tiers lui rapportera nécessairement l'outrage ». En réalité, la solution a une portée plus large : elle est applicable chaque fois que le propos outrageant n'est pas tenu en présence de la personne outragée. Elle s'applique donc de la même façon sur le fondement de l'article 433-5 du code pénal (outrage envers une personne chargée d'une mission de service public ou dépositaire de l'autorité publique). Une telle solution s'impose car il est de l'essence de l'outrage au sens de ces deux textes que le message ait été « adressé » à la personne dont l'autorité est ainsi bafouée  [8]. C'est l'affront qui lui est fait, qu'il s'agit ainsi de sanctionner. Or, au cas d'espèce, la cour d'appel a considéré que le prévenu savait que le message serait transmis au magistrat qu'il concerne car il « ne pouvait ignorer que l'article qu'il demandait au journaliste de publier aurait impliqué une enquête sérieuse donnant la parole aux personnes qu'il visait, en sorte que les propos concernant Mme B... auraient pu être portés à la connaissance de cette dernière ». En d'autres termes, la cour d'appel a considéré qu'en demandant une enquête au journaliste, le prévenu a nécessairement voulu informer la personne visée par les faits des reproches qu'il lui adressait, de sorte qu'il s'est servi du journaliste pour lui transmettre un propos offensant. C'est cette analyse « tirée par les cheveux » que condamne ici la Cour de cassation. Elle considère « qu'en prononçant ainsi, sans caractériser ni la volonté du prévenu de s'adresser, fût-ce par un intermédiaire, au magistrat concerné, ni la qualité de rapporteur nécessaire du destinataire des propos, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ».

23Sur ces deux points, la censure mérite approbation. Souhaiter une enquête sur des faits dénoncés en termes outrageants pour la personne qu'ils concernent n'implique pas nécessairement la volonté de voir cette personne informée du jugement de valeur qui accompagne les faits en question : qu'elle soit informée des faits qui lui sont reprochés par un journaliste (qui tait sa source dès lors qu'il accepte l'enquête) est une chose ; cela n'implique pas que le journaliste reprenne à son compte les propos outrageants et les transmette à la personne visée par son informateur. En l'occurrence, il s'agissait pour le prévenu de colorer les faits de sa propre subjectivité dans l'espoir de convaincre le journaliste de la gravité des accusations portées et donc de la nécessité d'enquêter. L'objectif n'était pas, à ce stade, d'offenser une magistrate à qui le message n'était pas destiné et qui ne pouvait donc le recevoir comme un acte de défi  [9]. Par ailleurs, un journaliste ne peut être perçu comme « rapporteur nécessaire » des propos qui lui sont confiés. C'est un confident qui a vocation à recevoir des informations et qui apprécie souverainement les suites à leur donner. Il agit alors en son nom propre et non au nom de ceux qui l'informent. Son indépendance par rapport à ses sources est une condition de sa crédibilité. Il ne saurait donc servir d'intermédiaire, accepter d'être instrumentalisé. Il doit recouper toute information qu'il reçoit. Lorsqu'il vérifie auprès des personnes mises en cause la réalité de faits portés à sa connaissance, il le fait pour les besoins de son enquête et non dans l'intérêt de tiers qui le manipulent. De sorte que le calcul prêté par la cour d'appel au prévenu était beaucoup trop hypothétique, en l'espèce, pour convaincre. Ici, un journaliste s'est transformé en collaborateur du service public de la justice. Un tel comportement, au mépris des règles déontologiques applicables (mais il est vrai dénuées de sanction), présentait un caractère exceptionnel et, partant, imprévisible. Sans doute, le prévenu ne se serait-il jamais adressé à ce journaliste en particulier, s'il avait pu imaginer sa réaction. Considérer que le prévenu s'est servi du journaliste pour transmettre indirectement au magistrat concerné un message offensant procédait d'un contresens qui appelait nécessairement une censure de la part de la Cour de cassation.

II - Sur le discrédit jeté sur la justice

24Une seconde censure est prononcée au visa des articles 111-4 et 434-25 du code pénal ainsi que de l'article 593 du code de procédure pénale. Après rappel de ce que la loi pénale est d'interprétation stricte, la Haute juridiction pose en principe « que, pour être constitué, le délit de discrédit jeté sur un acte ou une décision juridictionnelle implique que les actes, paroles, écrits ou images incriminés, d'une part, aient fait l'objet d'une publicité, d'autre part, aient été de nature à porter atteinte à l'autorité de la justice ou à son indépendance ». Or, elle relève qu'au cas d'espèce l'arrêt attaqué retient essentiellement l'appel lancé à un journaliste d'avoir à informer l'opinion publique des supposés errements d'une décision, présentés en termes véhéments et délibérément caricaturaux. En d'autres termes, pour la cour d'appel, le prévenu, en s'adressant à un journaliste plutôt qu'en exerçant une voie de recours contre l'arrêt confirmant la limitation de son droit de visite, a nécessairement voulu rendre public le discrédit jeté sur cette décision et la juridiction qui l'a rendue. Mais cette analyse est là encore jugée abusive. Une cassation intervient au double motif « qu'en se déterminant ainsi, d'une part, alors qu'il résultait de ses propres constatations que l'écrit en cause avait été adressé à un journaliste par un courrier exclusif, en lui-même, de toute publicité, et ne contenant pas de demande de le rendre public, d'autre part, sans caractériser en quoi les propos, aussi outrageants fussent-ils à l'encontre des magistrats dont leur auteur critiquait les décisions rendues à son égard, étaient, dans les circonstances où ils avaient été tenus et compte tenu de l'écho dont ils auraient bénéficié, de nature à porter atteinte à l'autorité ou à l'indépendance de la justice, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés ».

25Il s'agit d'une rare application de l'article 434-25 du code pénal punissant de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende « le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l'autorité de la justice ou à son indépendance ». L'objectif poursuivi au moment de la création - dans l'ancien code - de cette incrimination, reprise de façon quasiment inchangée dans le code actuel, était de lutter contre le contempt of court, c'est-à-dire une offense à l'institution judiciaire et non à l'un de ses membres. L'incrimination avait été demandée par la Cour de cassation elle-même, mais l'autorité judiciaire a paradoxalement fait preuve d'une grande prudence dans son application  [10]. Il faut convenir qu'elle peut s'avérer complexe dans la mesure où l'article 434-25 constitue un texte à tiroir attribuant au comportement incriminé un résultat redouté apparent (publication d'un message cherchant à jeter le discrédit sur un acte ou une décision juridictionnelle) et un résultat redouté plus lointain (publication opérée dans des conditions de nature à porter atteinte à l'autorité de la justice ou à son indépendance). Le raisonnement en deux temps que ce texte implique rend incertain aussi bien son élément matériel que son élément moral. En quoi consiste le fait de chercher publiquement à jeter le discrédit sur un acte ou une décision dans des conditions de nature à porter atteinte à l'autorité ou à l'indépendance de la justice ? Il n'est pas nécessaire que le premier résultat ait été atteint (ou qu'il ait pu l'être) puisqu'il s'agit seulement de prendre en compte une démarche « tendant à », ce qui relève davantage de l'infraction obstacle que de l'infraction formelle. Il n'est pas davantage nécessaire qu'une atteinte à l'autorité ou à l'indépendance de la justice se soit effectivement produite : il suffit cette fois qu'elle ait pu se produire. Un double dol paraît donc nécessaire : à la fois spécial (la volonté devant être tendue vers l'obtention du premier résultat) et général (l'agent devant avoir conscience du second résultat susceptible de se produire et agir quand même). Bien sûr, il faut que, matériellement, les faits illustrent cette intention coupable : l'excès dans le propos publié doit la rendre certaine, ce qui laisse un pouvoir d'appréciation considérable aux magistrats dont on aurait pu craindre le corporatisme dans la défense de l'institution à laquelle ils appartiennent. Par ailleurs, l'application de ce texte pose une délicate question de conciliation entre la défense de l'autorité judiciaire et la liberté d'expression. S'agissant d'une atteinte purement abstraite portée au crédit de la justice, ne mettant pas en cause l'un de ses agents qui l'incarnerait et pourrait à ce titre se prévaloir d'une protection particulière, il est difficile de la sanctionner sans restreindre le débat sur un sujet d'intérêt général comme l'est tout débat sur le fonctionnement d'un tel service public. À noter toutefois que, dans une autre poursuite, la Haute juridiction a délivré à l'incrimination un brevet de constitutionnalité en refusant de transmettre au Conseil une question prioritaire à son sujet. Elle a estimé « que la disposition légale critiquée, qui laisse au juge, dont c'est l'office, le soin de qualifier des comportements que le législateur ne peut énumérer a priori de façon exhaustive, définit en des termes suffisamment clairs et précis les éléments constitutifs du délit qu'elle prévoit pour permettre que son interprétation se fasse sans risque d'arbitraire, l'infraction ainsi décrite, qui requiert un élément moral spécifique, et admet des faits justificatifs, étant instituée pour garantir, au-delà des magistrats concernés, l'autorité et l'indépendance de la justice et assurant la conciliation des exigences de l'ordre public et la garantie des libertés constitutionnellement protégées par les articles 8, 10, 11 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen »  [11]. Il s'agit là d'un motif traditionnel, inspiré au-delà de la jurisprudence constitutionnelle, par la conception purement matérielle de la légalité que promeut la juridiction de Strasbourg : dès lors que l'objectif poursuivi par le législateur peut être compris par le juge, le flou d'une incrimination ne la rend pas illégitime car il relève précisément de l'office du juge d'en éclairer l'application à l'occasion de chaque poursuite. On ne peut attendre du juge qu'il exerce un véritable contrôle de la légalité d'une incrimination lorsqu'il n'a aucun intérêt à restreindre le pouvoir d'appréciation considérable qu'elle lui laisse. Il est piquant d'observer, une fois de plus ici, le satisfecit que la Haute juridiction se délivre à elle-même en assurant le demandeur que son interprétation ne le livre à aucun arbitraire ! À la fois juge et partie, la Cour de cassation se trouve alors dans une position pour le moins « curieuse »...

26Mais revenons à notre affaire. Au cas d'espèce, peut-on reprocher à la Cour de cassation d'avoir statué comme elle l'a fait ? Évidemment, non ! Après le rappel de l'inquiétante décision du 7 mai 2018, le visa de l'article 111-4 du code pénal (« la loi pénale est d'interprétation stricte ») rassérène un peu ici. En effet, deux caractères essentiels manquaient à l'infraction pour que l'arrêt d'appel puisse être maintenu. En premier lieu, il convient de rappeler que seul le fait de chercher « publiquement » à jeter le discrédit est incriminé. Sans cette exigence de publicité, le propos n'est pas assez grave pour troubler l'ordre public et justifier le prononcé de sanctions pénales. Or, en l'espèce, on le sait, le propos n'a pas été rendu public, mais adressé à un journaliste, invité non à le rendre public, mais à mener sa propre enquête sur les faits dénoncés afin d'alerter l'opinion. Le prévenu savait que la voix du journaliste porterait plus que la sienne et lui a donc demandé, non de se faire son porte-parole, mais de vérifier ses accusations et de les reprendre ensuite à son compte. Cette reprise n'impliquait nullement de la part du journaliste qu'il s'exprime dans les mêmes termes et qu'il prolonge ainsi le discrédit jeté sur la justice. Encore une fois, l'indépendance du journaliste par rapport à sa source s'opposait à une telle déduction. Le seul fait de s'adresser à un journaliste ne pouvait donc valoir acte de publication. Par ailleurs, en second lieu, à supposer que les propos aient été prononcés dans le but de chercher à jeter le discrédit sur la justice, une telle observation ne suffisait pas à caractériser l'infraction car la cour d'appel aurait encore dû démontrer que ces propos étaient « de nature à porter atteinte à l'autorité de la justice ou à son indépendance ». Or, elle s'est purement et simplement abstenue de caractériser cette exigence supplémentaire. La censure s'imposait donc. Toutefois, elle n'était pas inéluctable : la sévérité de la Cour de cassation sur ce point mérite d'être relevée car elle aurait pu rejeter le pourvoi au terme d'une - contestable - déduction. En effet, comment ne pas imaginer qu'un propos qui parvient à jeter le discrédit sur la justice ne porte pas atteinte à son autorité ou à son indépendance ? Pour défendre l'arrêt, on aurait pu soutenir qu'à partir du moment où la cour d'appel a admis que le propos a effectivement jeté le discrédit sur une décision juridictionnelle  [12], elle a implicitement, mais nécessairement démontré qu'il était de nature à porter atteinte à l'autorité ou à l'indépendance de la justice. Le relevant, la Haute juridiction aurait pu ainsi estimer que tous les éléments constitutifs de l'infraction étaient établis. Mais un tel raisonnement rendrait trop facile la poursuite de l'infraction au mépris de la conciliation que le législateur a cru pouvoir trouver, en multipliant de telles exigences, entre la protection de l'autorité judiciaire et la liberté d'expression. Plus que jamais, le respect de la légalité s'imposait donc comme une garantie pour celle-ci. Dès lors, la sagesse d'une telle cassation tranche avec la solution par ailleurs retenue au titre des menaces de mort.

III - Sur les menaces de mort

27En effet, la même difficulté est réapparue au sujet des menaces de mort que semblait contenir le message adressé au journaliste (C. pén., art. 222-17, al. 2). Critiquant sa condamnation de ce chef, le prévenu réaffirma, devant les magistrats du second degré, que le délit ne pouvait être constitué dans la mesure où le courriel contenant les menaces avait été adressé à un tiers et non à la personne visée (la magistrate offensée) qui n'aurait pas dû en prendre connaissance. Toutefois, la cour d'appel a répondu « que ce courriel contenant des menaces de crimes ou de délits graves contre les personnes, ce que ne pouvait ignorer le prévenu, il était susceptible d'être porté à la connaissance de l'autorité publique afin de garantir la sécurité des personnes visées par ces menaces ». Revenant sur l'éventualité du suicide qui accompagnait ces menaces, la cour d'appel a même ajouté « qu'en donnant à son courriel un ton délibérément dramatique, l'intéressé ne pouvait s'attendre à ce que ce document restât confidentiel, M. Mathieu A., destinataire de ce courriel, devenant dépositaire de menaces annonciatrices de crimes ou délits grave ». À la différence des précédents, ces motifs sont jugés suffisants par la Cour de cassation. Elle rejette donc le pourvoi sur ce point en relevant « qu'en l'état de ces énonciations, dont il se déduit que son auteur ne pouvait ignorer que la menace formulée parviendrait à la connaissance des personnes visées, dès lors que l'article 223-6 du code pénal impose, sous peine de poursuites pénales, à quiconque pouvant empêcher par son action immédiate soit un crime soit un délit contre l'intégrité corporelle d'une personne de prendre les mesures à sa portée pour y parvenir, la cour d'appel a justifié sa décision ».

28La justification d'une telle solution au regard du délit d'omission de porter secours (C. pén., art. 223-6) est intéressante mais elle laisse tout de même sceptique. Il ne s'agit pas ici de prétendre que le journaliste serait « excepté » du champ de l'incrimination, comme on peut le soutenir au regard d'autres dispositions voisines en assimilant le secret des sources à un secret professionnel (C. pén., art. 434-1, 434-3, 434-6 et 434-11). Il s'agit de s'interroger sur l'imminence du crime ou du délit contre l'intégrité corporelle de la personne qui requiert une action immédiate pour l'empêcher. Toutes les menaces de mort ou de violence imposeraient donc à celui qui en prend connaissance de dénoncer leur auteur ? Entre les menaces de mort et la consommation du meurtre, il y a un gouffre que l'interprète peine à franchir : sur le « chemin du crime », ces menaces ne constituent même pas un acte préparatoire. Le processus d'exécution de l'infraction (meurtre) n'a pas commencé. Seule l'idée du crime existe ; on ne saurait dire à ce stade que la résolution criminelle est d'ores et déjà arrêtée. Dans ces conditions, l'existence du péril menaçant autrui n'apparaît pas certaine. En effet, on ne peut prétendre qu'autrui est exposé, dès cet instant, à un danger commandant au destinataire des menaces d'en dénoncer l'auteur. Par ailleurs, à supposer même que la réception de telles menaces impose une action de la part de celui qui les reçoit, n'est-il pas artificiel de juger que l'auteur des menaces exprimées en présence d'un tiers et non de la personne concernée sait nécessairement que ce tiers les transmettra à l'autorité judiciaire et recherche, en conséquence, cette transmission ? Car l'obligation d'agir, lorsqu'une personne est menacée, ne passe pas nécessairement par une dénonciation. Une action plus immédiate est requise pour tenir en échec ce projet et limiter ses conséquences dommageables  [13]. Dès lors, le lien de causalité ici établi entre information de l'autorité judiciaire et réception d'un message menaçant n'apparaît pas certain. Enfin et surtout, ce lien semble trop indirect pour convaincre. Le problème se pose dans les mêmes termes que précédemment. Certes, les menaces peuvent être communiquées de manière indirecte à autrui lorsqu'elles sont transmises notamment à un fonctionnaire qui est tenu d'en informer ses supérieurs et le procureur de la République  [14]. Mais encore faut-il, dans une telle hypothèse, que les juges du fond puissent établir que le destinataire immédiat était tenu d'informer l'autorité administrative ou judiciaire des menaces portées à sa connaissance  [15]. Or, une fois de plus, cette obligation de dénonciation faisait défaut ici : tenu au secret vis-à-vis de ses sources, un journaliste n'a aucune obligation de dénoncer. De surcroît, à supposer même qu'un journaliste puisse apparaître comme un « rapporteur nécessaire » (ce qui est fort douteux), la preuve de l'intention de communiquer à travers lui à un tiers ferait toujours défaut. Là encore, la dramatisation du propos semble avoir été effectuée par le prévenu pour convaincre le journaliste de la nécessité d'ouvrir une enquête : il n'a pas agi de la sorte dans l'espoir que le journaliste se retournerait contre lui en transmettant les menaces à la personne visée. Il y a tout de même des moyens plus simples et plus efficaces de menacer autrui ! Ici, le propos a perdu toute valeur intimidante une fois arrivée à sa destinataire car, un tiers étant pris à témoin, il ne pouvait plus guère être mis à exécution. On ne saurait dire qu'il conservait ainsi un caractère menaçant  [16]. La matérialité de ce comportement improbable n'exprimait plus aucune intention. En l'espèce, la solution paraît d'autant plus contestable que les menaces n'ont pas été directement transmises par le journaliste à la personne qu'elles concernent, mais à un officier de police judiciaire qui s'est chargé de les transmettre au procureur de la République. Peut-on sérieusement prétendre que cette communication-là a été voulue par le prévenu alors qu'elle conduit à sa poursuite et à sa condamnation ? Un tel raisonnement convainc peut. Il convainc d'autant moins qu'il semble contredire ce qui vient d'être jugé en matière d'outrage et de discrédit jeté sur une décision de justice. Censurer d'un côté pour rejeter de l'autre permet de dissimuler ce que les condamnations prononcées conservent finalement d'inacceptable. Peut-être, un tel comportement était-il moralement répréhensible. Mais le jugement de Salomon auquel se livre la Haute juridiction pour ne pas déconsidérer entièrement la partie poursuivante n'apparaît guère satisfaisant. La défense de l'autorité judiciaire sort-elle grandie par ces petits arrangements ?

4. Corruption de mineur : instrument de police des comportements dans la sphère familiale ? (Crim. 7 mars 2018, n° 17-81.729)

29Sous quelle qualification pénale envisager le fait de montrer à un mineur un film pornographique ? A priori, ce fait relève de l'article 227-24 du code pénal punissant de trois ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende « le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support un message à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger, soit de faire commerce d'un tel message [...] lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur ». Mais ce n'est pas sur ce fondement que des poursuites ont été engagées contre un concubin de la mère d'une fillette de huit ans poursuivi par ailleurs pour des faits d'agression sexuelle qui auraient mérité la qualification de viol. Le procureur de la République a retenu ici une corruption de mineur. Il s'agit d'un comportement plus sévèrement réprimé (10 ans d'emprisonnement et un million d'euros d'amende lorsque les faits sont commis « à l'encontre d'un mineur de quinze ans »), mais non défini par l'article 227-22 du code pénal. Le premier alinéa de ce texte se contente de menacer de peines celui qui commet « le fait de favoriser ou de tenter de favoriser la corruption d'un mineur ». La légalité d'une telle incrimination paraît douteuse, même si la Cour de cassation en dispose autrement  [17]. En effet, la jurisprudence, depuis le XIXe siècle, en a précisé les contours. Il semble acquis qu'une telle infraction suppose que l'agent agisse dans le but, non d'assouvir ses propres passions, mais d'éveiller les pulsions sexuelles d'un mineur. C'est en ce sens que le mineur est corrompu, c'est-à-dire perverti, privé de l'innocence propre à son âge  [18]. Toutefois, cela suppose un dol spécial. Il ne suffit pas de démontrer, comme dans l'hypothèse de l'article 227-24, que l'agent a eu conscience qu'un contenu pornographique pourrait être vu par un mineur  [19]. Il faut pouvoir établir que le prévenu savait que ce contenu serait vu par un mineur et a agi de la sorte afin de l'inciter à la débauche, c'est-à-dire pour « pervertir sa sexualité » dans le langage judiciaire actuel  [20].

30En l'état, on sera donc très réservé à l'égard de la décision commentée rejetant le pourvoi formé contre un arrêt qui n'avait nullement établi la démarche particulière dans laquelle s'était inscrit l'agent. Traitant essentiellement des autres infractions reprochées, la décision attaquée s'était contentée de relever que le prévenu a montré à une enfant de huit ans « des films à caractère pornographique ». La Haute juridiction rejette le pourvoi formé sur ce point au motif qu'il revient « à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus » et ne saurait donc être admis  [21]. On peut tout de même trouver un peu courte cette réponse. Sans doute, ne s'agissait-il là que d'une critique de détail par rapport à l'ensemble des reproches (bien plus graves) qui pouvaient être adressés au prévenu. Toutefois, cette critique était fondée en droit et appelait une réaction tout à fait différente de la Cour de cassation. À défaut, on pourrait finir par croire qu'elle ne traite pas tous les demandeurs de la même façon car la violation des règles de droit à l'égard de certains d'entre eux n'est pas sanctionnée. A minima, on aurait apprécié de voir cette Haute juridiction, revisitant les faits de l'espèce comme elle le fait parfois si habilement, indiquer que le visionnage de films pornographiques s'inscrivait dans un contexte plus général destiné à faciliter les relations sexuelles du prévenu avec la jeune victime : pour vaincre ses résistances et banaliser l'acte sexuel (« surprendre » ainsi son consentement), il lui aurait montré combien un tel acte se pratique aisément à la télévision. En agissant de la sorte, il aurait sans doute voulu corrompre la mineure en question. Cette explication aurait donné rétrospectivement une légitimité à la décision d'appel qui en manque sur la base du seul constat du visionnage des films (qui peut être, tout aussi bien, compris comme manifestant une volonté de choquer la mineure). Le rappel de ce critère aurait permis également de souligner ce qui sépare les articles 227-22 et 227-24 du code pénal. Il ne s'agit pas de considérer que, dans le premier cas, l'infraction suppose la communication d'un message pornographique à un mineur déterminé alors que dans le second cas l'infraction suppose la communication d'un message à un mineur indéterminé (tout mineur susceptible d'y accéder). Si la corruption de mineur suppose effectivement que l'agent connaisse sa victime qu'il cherche à « exciter », la diffusion d'un message susceptible d'être vu par un mineur reste une infraction en l'absence de publicité : il n'est pas requis à l'article 227-24 que le message ait été transmis à un nombre indéterminé de personnes parmi lesquelles un mineur au moins pourrait se trouver. Sans doute, le terme « diffusion » est-il ambigu, mais il doit être envisagé largement dès lors qu'il n'implique l'utilisation d'aucun média et se réalise « par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support » : la diffusion en question peut être publique ou non publique. Il suffit d'un acte de communication à l'occasion duquel un mineur est susceptible de prendre connaissance d'un message notamment pornographique. Il y a infraction non seulement dans le fait de ne pas prendre de précautions pour empêcher les mineurs de consulter de ce type de messages, mais aussi (et a fortiori) dans le fait de mettre à la disposition de mineurs ce type de messages dont ils doivent être préservés  [22]. Le champ d'application des deux incriminations se recoupe donc en partie. Mais la démarche de l'agent n'est pas la même dans les deux cas : il n'est pas nécessaire, sur le fondement de l'article 227-24 du code pénal, que l'auteur du fait de diffusion ait cherché à pervertir un ou plusieurs mineurs. Dès lors, il aurait été intéressant que la Haute juridiction vérifie que l'acte poursuivi relevait bien de l'une plutôt que de l'autre qualification en faisant ressortir le critère de distinction qui vient d'être évoqué. Bref, à défaut d'une cassation, un effort de motivation aurait été bienvenu de sa part. Cet effort ne s'impose pas seulement dans quelques affaires médiatiques et particulièrement exposées. Il s'impose dans toutes les affaires dont la Cour de cassation est saisie (et dont elle ne peut pas encore se débarrasser par un douteux filtrage). Elle doit l'accomplir, nonobstant le mépris que lui inspire l'auteur de faits tels que ceux de l'espèce, par respect pour le principe de légalité  [23]. À défaut, elle ne remplit pas son office et s'expose à la critique.

Notes

  • [1]
    V. E. Dreyer, Droit pénal spécial, Ellipses, 3e éd., 2016, p. 416, n° 874.
  • [2]
    V., cep., M. Reix, Le motif légitime comme standard de justification, in Travaux de l'ISCJ de Bordeaux, t. 4, 2014, p. 78.
  • [3]
    V., Crim. 3 mai 2018, Dr. pénal 2018. Comm. 122, obs. Ph. Conte ; Gaz. Pal. 24 juill. 2018, n° 27, p. 47, obs. E. Dreyer.
  • [4]
    L'accès peut être frauduleux même sans utilisation d'un procédé quelconque : utiliser un ordinateur laissé allumé par son propriétaire, à l'insu de celui-ci, pour vérifier le contenu de son disque dur, constitue une infraction, comme le rappelle un autre arrêt rendu à la même époque : Crim. 27 mars 2018, n° 17-81.989, inédit.
  • [5]
    V. aussi E. Dreyer, Droit pénal général, LexisNexis, 4e éd., 2016, p. 909, n° 1228.
  • [6]
    V., déjà, Crim. 25 sept. 2012, n° 11-84.224, Bull. crim. n° 196 ; D. 2012. 3005, note E. Dreyer ; AJ pénal 2013. 40, obs. G. Royer ; RTD com. 2012. 771, obs. F. Pollaud-Dulian.
  • [7]
    V., déjà, Crim. 30 mai 2006, n° 05-83.335, D. 2006. 2676, obs. J. Daleau, note E. Dreyer ; ibid. 2991, obs. P. Sirinelli.
  • [8]
    V., parmi d'autres arrêts : Crim. 10 janv. 2017, Dr. pénal 2017. Comm. 55, obs. Ph. Conte.
  • [9]
    Comp., sur l'outrage indirect, Crim. 8 sept. 2015, Bull. crim. n° 153 ; Gaz. Pal. 1-3 nov. 2015, p. 36, obs. E. Dreyer, rappelant un principe posé par Crim. 19 déc. 1946, D. 1947. 110.
  • [10]
    E. Dreyer, Droit pénal spécial, Ellipses, 3e éd., 2016, p. 707, n° 1539.
  • [11]
    Crim. 7 mai 2018, n° 17-85.742, CCE 2018. Comm. 55, obs. A. Lepage, arrêt qui refuse par ailleurs de voir une rupture d'égalité dans le fait que le deuxième alinéa de l'article 434-25 exclut du champ de l'incrimination les commentaires techniques et propos tendant à la réformation, cassation ou révision de la décision et qui légitime l'abandon de la prescription trimestrielle au profit de la prescription de droit commun par la loi du 27 févr. 2017.
  • [12]
    Ce qu'elle n'était pas tenue de faire : il suffisait que le propos ait été prononcé dans ce but.
  • [13]
    V., le rappelant : Crim. 7 nov. 1990, n° 88-85.439, Bull. crim. n° 372 ; RSC 1991. 569, obs. G. Levasseur.
  • [14]
    V., déjà, Besançon 17 mai 1906, DP 1908. 2. 166.
  • [15]
    V., Crim. 10 déc. 2014, Bull. crim. n° 265 ; Gaz. Pal. 22-24 févr. 2005, p. 33, obs. E. Dreyer ; Crim. 21 févr. 1991, Dr. pénal 1991. Comm. 226, obs. M. Véron.
  • [16]
    Certes, une jurisprudence constante rappelle qu'il n'est pas nécessaire que l'auteur de la menace ait entendu mettre celle-ci à exécution (v., encore, Crim. 20 sept. 2016, Bull. crim., n° 239 ; Dr. pénal 2017. Comm. 3, obs. Ph. Conte et Gaz. Pal. 24 janv. 2017, p. 49, obs. St. Detraz). Mais l'infraction ne peut se comprendre sans volonté d'impressionner autrui : l'annonce d'une infraction que l'on prétend vouloir commettre doit être crédible pour justifier le recours au droit pénal.
  • [17]
    V., refusant de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité dénonçant le flou de l'art. 227-22, C. pén. au motif que ce texte « définit de manière suffisamment claire et précise le délit de corruption de mineur, lequel, reprenant les éléments constitutifs de l'ancien délit d'excitation de mineur à la débauche, incrimine les agissements qui, par leur nature, traduisent, de la part de leur auteur, la volonté de pervertir la sexualité d'un mineur, et permet son interprétation par l'office du juge sans risque d'arbitraire, de sorte qu'il n'est porté aucune atteinte au principe de légalité des délits et des peines » : Crim. 20 févr. 2013, Gaz. Pal. 8-11 mai 2013, p. 25, obs. E. Dreyer.
  • [18]
    V. E. Dreyer, Droit pénal spécial, Ellipses, 3e éd., 2016, p. 286, n° 614 et la jurisprudence citée.
  • [19]
    V. Crim. 23 févr. 2000, n° 99-83.928, Bull. crim. n° 85 ; D. 2000. 112 ; RSC 2000. 611, obs. Y. Mayaud ; ibid. 639, obs. J. Francillon ; ibid. 815, obs. B. Bouloc. Comp., Crim. 25 janv. 1983, Bull. crim. n° 29.
  • [20]
    V. Crim. 20 févr. 2013, Dr. pénal 2013. Comm. 86, obs. M. Véron.
  • [21]
    V. aussi CCE 2018. Comm. 47, obs. A. Lepage.
  • [22]
    V. Crim. 26 févr. 2003, n° 02-83.683.
  • [23]
    V., sur le lien entre contrôle de cassation et légalité, F. Rocheteau, Ce que révèlent les cas d'ouverture à cassation en matière pénale, Gaz. Pal. 4 oct. 2016, n° 34, p. 71.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.80

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions