Couverture de RSC_1603

Article de revue

Procédure pénale

Pages 551 à 564

Notes

  • [1]
    F. Fukuyama, The end of history and the last man, The Free press / Penguin Books, 1992.
  • [2]
    Que nous avons désigné sous l'expression de « réforme par transposition », cf. E. Vergès, La réforme par transposition : la nouvelle voie de la procédure pénale, RSC 2015. 683.
  • [3]
    Et en particulier la mission confiée à la commission présidée par Jacques Beaume, Procureur général près la cour d'appel de Lyon, ayant donné lieu au « Rapport sur la procédure pénale », en juillet 2014.
  • [4]
    Intervention de Jean-Jacques Urvoas devant le Sénat, 29 mars 2016.
  • [5]
    Cons. const. 13 août 2015, n° 2015-719 DC, AJDA 2015. 1566, Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne.
  • [6]
    Cf. M. Mercier, Rapport au nom de la commission des lois du Sénat, p. 65.
  • [7]
    Par analogie avec Crim. 22 nov. 2011, n° 11-84.308, D. 2011. 2937 ; ibid. 2012. 171, chron. C. Roth, A. Leprieur et M.-L. Divialle ; ibid. 2118, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2012. 293, obs. J. Lasserre Capdeville.
  • [8]
    Crim. 8 juill. 2015, n° 14-88.457, D. 2015. 1542 ; AJ pénal 2016. 90, obs. G. Roussel.
  • [9]
    IMSI = International Mobile Subscriber Identity. Il s'agit de l'identifiant contenu dans une carte SIM.
  • [10]
    Cf L'étude d'impact du projet de loi, p. 16 s.
  • [11]
    En matière de renseignement, sa légalisation date de la Loi n° 2015-912 du 24 juill. 2015 relative au renseignement.
  • [12]
    M. Mercier, Rapport préc., p. 59.
  • [13]
    Pour un résumé de cette question, cf. E. Vergès, Politique pénale et action publique : la difficile conciliation du modèle français de ministère public et des standards européens, RSC 2013. 605.
  • [14]
    Crim. 22 oct. 2013, n° 13-81.949, D. 2014. 115, note H. Matsopoulou ; ibid. 311, chron. B. Laurent, C. Roth, G. Barbier et P. Labrousse ; AJ pénal 2013. 668, note L. Ascensi ; Crim. 22 oct. 2013, n° 13-81.945, D. 2014. 115, note H. Matsopoulou ; ibid. 311, chron. B. Laurent, C. Roth, G. Barbier et P. Labrousse ; AJ pénal 2013. 668, note L. Ascensi ; D. avocats 2014. 24, obs. J. Danet.
  • [15]
    Telles qu'elles sont exprimées clairement par le rapport Nadal, dans un chapitre consacré à cette question.
  • [16]
    Cf. à cet égard, l'étude d'impact du projet de loi, p. 90.
  • [17]
    Cf. déjà la loi n° 2013-669 du 25 juill. 2013 relative aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public, qui a soumis le procureur de la République au principe d'impartialité dans l'exercice de sa mission (C. pr. pén., art. 31).
  • [18]
    Nous renvoyons à l'examen de ces mesures dans le I de cette étude.
  • [19]
    Cf. Exposé des motifs, présentation de l'art. 23 du projet de loi.
  • [20]
    Cette convocation, anciennement appelée « par OPJ », peut aujourd'hui être notifiée par un greffier, un OPJ, un APJ, un délégué ou un médiateur du procureur de la République sur son instruction.
  • [21]
    Même si l'étude d'impact l'a justifiée par la nécessité de prévenir d'éventuelles condamnations par la CEDH, Étude d'impact, analyse des objectifs poursuivis de l'article 24 du projet de loi.
  • [22]
    Dans son rapport au nom de la commission des lois, le sénateur Michel Mercier a ainsi écrit « qu'aucune obligation de nature constitutionnelle ou conventionnelle n'oblige à procéder à une telle évolution de notre droit », rapport préc., p. 207.
  • [23]
    Alors que la commission des lois de l'Assemblée nationale avait fait le choix de l'ouverture d'une large « fenêtre de contradictoire », selon l'expression utilisée dans le rapport de C. Capdevielle et P. Popelin, au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale, n° 3515, p. 291.
  • [24]
    A. Botton, Entre renforcement et érosion des garanties de la procédure pénale. À propos du Titre II de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, JCP 2016. 777, citant l'expression de P. Popelin durant les débats devant la commission des lois de l'AN.
  • [25]
    C. pr. pén., art. 388-5
  • [26]
    Par ex. les observations de l'Union syndicale des magistrats, sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale, 10 févr. 2016 (document en ligne sur www.union-syndicale-magistrats.org/web2/themes/fr/userfiles/fichier/reserves/rapports/2016/reforme_penale10fev16.pdf).
  • [27]
    L'art. 7 § 3 de la directive 2012/13/UE du 22 mai 2012 relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales, prévoit que « l'accès aux pièces visé au paragraphe 2 est accordé en temps utile pour permettre l'exercice effectif des droits de la défense et, au plus tard, lorsqu'une juridiction est appelée à se prononcer sur le bien-fondé de l'accusation ».
  • [28]
    L'art. 62-2 définit les finalités qui permettent de placer une personne en garde à vue.
  • [29]
    CEDH 27 juin 2013, req. n° 62736/09, Vassis et a. c/ France, D. 2013. 1687, obs. O. Bachelet ; AJ pénal 2013. 549, obs. G. Roussel ; RSC 2013. 656, obs. D. Roets ; CEDH 4 déc. 2014, req. n° 17110/10 et 17301/10, Ali Samatar et a. c/ France, D. 2015. 303, et les obs., note J.-F. Renucci ; AJ pénal 2015. 102, obs. G. Poissonnier ; CEDH 4 déc. 2014, req. n° 46695/10 et 54588/10, Hassan et a. c/ France, D. 2015. 303, note J.-F. Renucci.
  • [30]
    CEDH 2 sept. 2010, req. n° 35623/05, Uzun c/ Allemagne, D. 2011. 724, obs. S. Lavric, note H. Matsopoulou ; RSC 2011. 217, obs. D. Roets. Arrêt rendu à propos de la géolocalisation.
  • [31]
    Cons. const., 4 déc. 2015, n° 2015-506 QPC, D. 2015. 2504 ; ibid. 2016. 1727, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2016. 276, obs. J.-B. Perrier ; Constitutions 2015. 650, Décision ; ibid. 2016. 75, chron. Ibtissam Aftisse, T. Campagne, G. Caron, C. Duez, A. Maës et Margot Montagne.
  • [32]
    Le Titre II de la loi évoque des dispositions « simplifiant son déroulement ».

La procédure pénale à son point d'équilibre (À propos de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale)

1En 1992, l'Universitaire américain Francis Fukuyama désignait sous l'expression de « fin de l'histoire », la chute des régimes politiques du bloc de l'Est et l'extension mondiale du modèle de démocratie libérale  [1]. Cette thèse - vivement controversée dès son origine - soutenait l'idée de la survenance d'un modèle politique uniforme, tel un point d'équilibre dans l'histoire, qui symbolisait la fin d'un combat idéologique. Quelle que soit sa validité scientifique, l'hypothèse de la fin de l'histoire demeure un concept théorique intéressant, qui trouve un écho dans l'évolution contemporaine de la procédure pénale française. L'hypothèse que nous souhaitons ici soumettre et questionner est celle de savoir si la bipolarisation idéologique qui a marqué l'élaboration des lois de procédure pénale depuis le début des années 80 parvient aujourd'hui à son terme, de telle sorte que la procédure pénale aurait atteint son point d'équilibre, la fin de son histoire politique.

2L'alternance des lois privilégiant la sécurité ou les libertés a été continuelle depuis le début des années 80. Que l'on se souvienne de la loi n° 81-82 du 2 février 1981 renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes ou de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure. À l'opposé, on peut citer la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale - au titre si neutre, mais au contenu si révolutionnaire - ou encore la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes. Ces lois sont toutes marquées par l'empreinte de la majorité politique qui les a portées. À l'inverse, certains évènements ont conduit chaque tendance politique à prendre le contrepied de l'idéologie qu'elle avait traditionnellement défendue. Ainsi en est-il de la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, adoptée par une majorité de gauche à la suite des attentats du 11 septembre 2001, ou à l'inverse de la loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale, adoptée par une majorité de droite en réaction à l'affaire d'Outreau.

3Qu'elles soient portées par un courant politique ou suscitées par un évènement historique, toutes ces lois sont marquées par une idéologie sécuritaire ou libertaire. Les premières ont renforcé les pouvoirs de la police judiciaire et ont développé de nouvelles mesures coercitives. Les secondes ont développé les droits des parties privées et ont encadré les mesures attentatoires aux libertés.

4Cette construction politique des lois de procédure pénale connaît, depuis quelques années, des perturbations sous l'influence de différents facteurs. Le législateur a perdu une partie de son autonomie corrélativement au phénomène croissant du contrôle de conformité des lois exercé par la CEDH et par le Conseil constitutionnel. Plus récemment, l'intrusion du droit de l'Union européenne dans le champ de la procédure pénale a conduit le législateur à adopter une posture à la fois neutre et contrainte  [2]. Cette évolution a conduit les majorités parlementaires à se détacher de leur idéologie politique pour adopter des lois contraires ou plus simplement étrangères à cette idéologie. Par exemple, la loi n° 2011-392 du 11 avril 2011 relative à la garde à vue a été adoptée sous la contrainte d'une censure du Conseil constitutionnel, par une majorité politique qui y était opposée. Dans un autre esprit, la loi n° 2015-993 du 17 août 2015 portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne a été adoptée sans débat politique, car la France avait pour obligation de transposer plusieurs textes européens d'une grande technicité qui ne laissaient que peu de marge de manœuvre au législateur.

5Le mouvement de dépolitisation de la procédure pénale est donc amorcé et le rythme imposé par les autorités disposant d'une position supra-législative s'est considérablement accéléré au cours des dernières années sous l'effet d'un double phénomène : la multiplication des questions prioritaires de constitutionnalité et le programme ambitieux de l'Union européenne en procédure pénale, dans le cadre plus général du programme de Stockholm.

6Un phénomène nouveau semble s'être produit avec la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale. Cette loi est le résultat d'un mouvement qui nous paraît révéler l'essoufflement de la bipolarisation politique de la procédure pénale. Elle laisse apparaître un point d'équilibre que les groupes politiques auraient atteint après quelques décennies d'affrontement. Si l'on considère les différentes législatures depuis le début des années 80, on constate que chacune d'entre elles a été ponctuée d'une ou plusieurs lois de procédure pénale marquée par l'idéologie de sa majorité politique. En d'autres termes, chaque législature a connu un combat procédural dont il est résulté des évolutions marquantes. En suivant attentivement la politique législative menée depuis 2012, on pouvait s'attendre à l'adoption d'une loi de grande ampleur, marquant une avancée significative des droits fondamentaux dans le procès pénal. Le bilan de politique législative de Christiane Taubira était bien en deçà d'un tel objectif, mais le travail effectué par le ministère à l'issue d'un large mouvement de consultation  [3] annonçait une réforme centrée sur la progression du caractère contradictoire de l'enquête, dernier bastion qui résistait encore.

7La loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 est le résultat de ce travail préparatoire, mais son contenu laisse apparaître une grande neutralité politique. Son processus d'adoption révèle un travail de co-construction consensuel entre la chancellerie et les deux assemblées parlementaires. Ainsi, le projet de loi présenté par le gouvernement comprenait trente-quatre articles. À l'issue de la première lecture devant l'Assemblée nationale, il avait atteint quatre-vingt-onze articles et à la suite de la navette parlementaire, la loi promulguée en contenait cent dix-neuf, soit une croissance de 350 %. A son origine, le projet poursuivait plusieurs objectifs : le renforcement de certaines garanties au cours de la procédure pénale, la simplification de certaines procédures demandée par les praticiens ainsi que la transposition de textes européens. Toutefois, les attentats parisiens de l'automne 2015 ont modifié substantiellement le texte présenté devant le parlement. Le projet de loi s'est alors enrichi d'un important titre premier « renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement ». Le garde des Sceaux a ainsi évoqué un « texte de grande ampleur » qui « avance sur tous les fronts »  [4]. L'Assemblée nationale a augmenté ce texte dans deux directions. En premier lieu, elle a rejeté le souhait du gouvernement d'avoir recours à la procédure d'ordonnance pour transposer plusieurs directives européennes. Les députés ont estimé que le domaine pénal ne pouvait échapper à un examen attentif du parlement. Par conséquent, elle a procédé directement à ces transpositions. En second lieu, elle a introduit dans le projet de loi de nombreuses dispositions qui avaient été écartées, en tant que cavaliers législatifs, par le Conseil constitutionnel dans un projet de loi précédent  [5]. Les sénateurs, quant à eux, ont profité de l'examen du projet de loi pour y introduire les dispositions d'une proposition de loi discutée au parlement quelques semaines plus tôt, afin d'en accélérer le processus d'adoption.

8Le résultat de cette co-construction constitue un ensemble original et novateur. Les différents acteurs de ce processus sont parvenus à se réunir autour d'objectifs qui semblent marquer un point d'équilibre, pour ne pas dire de consensus, en procédure pénale. À cet égard, deux mouvements remarquables méritent d'être notés. D'une part, le texte soumis au parlement contenait des évolutions très modérées des droits de la défense durant l'enquête. Cela concernait essentiellement un accès réduit au dossier de la procédure durant l'enquête. Le Sénat ne s'y est pas opposé, proposant simplement des modifications du régime de cet accès. D'autre part, le gouvernement s'est montré particulièrement accueillant vis-à-vis des nombreux amendements déposés devant les assemblées. Cette recherche du consensus est telle que l'on peut affirmer, sans trop exagérer, que cette loi aurait pu être adoptée dans des termes très similaires par une autre majorité politique.

9Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce constat. D'abord, la menace terroriste provoque une réaction d'unité nationale qui dépasse les oppositions politiques. Ensuite, la perte d'autonomie du législateur en matière pénale évoquée plus haut fait disparaître le débat. Les dispositions adoptées sont alors précisément dictées par une autorité supérieure et la marge d'appréciation politique est réduite à néant. Enfin, le facteur le plus important nous paraît constituer ce point d'équilibre que la procédure pénale aurait atteint. Le mouvement de développement des droits individuels dans le procès pénal semble arriver à son terme, de sorte que de nouvelles évolutions dans le sens d'un développement de l'accès au dossier ou de la présence de l'avocat durant l'enquête ne sont envisagées que de façon extrêmement limitée. Désormais plus à l'écoute des praticiens que des justiciables, le gouvernement a conçu un projet de loi destiné à faciliter le travail de terrain des enquêteurs et des magistrats.

10Par conséquent, la réforme de la procédure pénale n'est plus la résultante d'une volonté politique, mais elle constitue le point d'équilibre de multiples forces, qui ne s'opposent plus radicalement, mais qui produisent ensemble une législation d'un nouveau genre : plus neutre, plus technique, plus pratique également. Dans une telle perspective, la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 ne peut plus s'apprécier sous l'éclairage des oppositions traditionnelles. Il faut, pour l'analyser, montrer l'étendue des forces qui ont participé à son élaboration. Sans prétendre à l'exhaustivité, tant cette loi est foisonnante de dispositions, nous proposons ici une étude synthétique de ces forces.

I - Le renforcement des moyens de lutte contre la criminalité

11Sous couvert de lutte contre le terrorisme, la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 élargit sensiblement les techniques policières de lutte contre la criminalité. Ce développement prend deux formes : l'extension du champ d'application de techniques existantes et la création de techniques nouvelles. Certaines techniques sont réservées au terrorisme, d'autres s'appliquent plus généralement à la criminalité organisée et d'autres enfin concernent les infractions d'une certaine gravité.

L'extension des techniques probatoires existantes

12Parmi les techniques existantes, le législateur a étendu la possibilité d'avoir recours à des perquisitions nocturnes dans un local d'habitation dans les enquêtes ou les informations antiterroristes (C. pr. pén., art. 706-90 s.). Le cadre juridique demeure très strict, puisque ces perquisitions sont soumises à la nécessité de prévenir un risque d'atteinte à la vie ou à l'intégrité physique et, en enquête préliminaire, à la condition de l'urgence. Une autre extension importante est à signaler. Les sonorisations et fixations d'images sont désormais possibles dans les enquêtes en matière de criminalité organisée à la requête du procureur de la République et sur autorisation du JLD (C. pr. pén., art. 706-96 s.). La durée maximale de la mesure durant l'enquête est de deux mois et durant l'information, elle est portée à deux ans. Le dispositif ainsi étendu à la phase d'enquête a pour but de limiter l'ouverture d'instructions qui n'auraient d'autre raison d'être pour les enquêteurs que d'avoir accès à ces modes de preuve  [6].

13Toujours dans l'idée d'améliorer les techniques probatoires existantes, le législateur a complété le dispositif procédural d'accès aux correspondances électroniques, en particulier au contenu des courriels échangés par des suspects. Avant la loi du 3 juin 2016, le régime de l'accès et de l'enregistrement des courriels par les enquêteurs était dispersé et lacunaire. L'accès aux métadonnées (identité des émetteurs et récepteurs des courriels entrants et sortants) relevait du régime des réquisitions  [7]. En revanche la consultation du contenu des courriels des suspects était soumise à deux régimes distincts et imparfaits. D'une part, pour accéder aux courriels, les enquêteurs pouvaient procéder à une perquisition et saisir les données informatiques accessibles sur place (C. pr. pén., art. 56). Cette procédure ne permettait pas de suivre les échanges de courriels à l'insu du suspect et elle empêchait également d'avoir accès à des courriels stockés sur des serveurs distants (types Gmail). D'autre part, la Cour de cassation avait admis que la procédure d'interception des correspondances (C. pr. pén., art. 100 et suivants) s'étendait aux courriels. Toutefois, elle avait considéré que l'interception devait se limiter aux correspondances émises à compter de la date de l'autorisation  [8]. Cette restriction empêchait les enquêteurs de consulter l'historique des correspondances stockées sur un ordinateur ou sur un serveur distant à une date antérieure à celle de l'autorisation. Une grande partie des correspondances électroniques échangées par des suspects échappait donc aux enquêteurs. Le nouveau régime institué par la loi du 3 juin 2016 couvre un large spectre. Il est constitué de trois dispositifs distincts. Le premier concerne l'interception de correspondances des articles 100 et suivants du code de procédure pénale. Ce régime est désormais applicable à toutes les correspondances électroniques, incluant ainsi les courriels échangés à compter de la date d'autorisation de l'interception. Il s'agit là de la consécration de la solution retenue par la Cour de cassation. Le deuxième dispositif concerne l'accès aux courriels conservés sur des serveurs distants. Pour les enquêtes et les instructions portant sur des faits de criminalité organisée, un juge (JLD ou juge d'instruction) peut autoriser l'accès, à distance et à l'insu de la personne visée, aux correspondances stockées par la voie des communications électroniques accessibles au moyen d'un identifiant informatique (C. pr. pén., art. 706-95-1 s.). Enfin, le troisième dispositif concerne l'accès aux courriels contenus sur des terminaux informatiques (ordinateurs, tablettes, téléphones, etc.). En matière de criminalité organisée, le même juge peut autoriser la mise en place d'un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, d'accéder, en tous lieux, à des données informatiques, de les enregistrer, de les conserver et de les transmettre, quelle que soit la forme que prennent ces données (stockage dans un système informatique, affichage sur un écran, saisie de caractères, réception ou émission par un périphérique audiovisuel - C. pr. pén., art. 706-102-1 s.). Ce dispositif concerne, au-delà des courriels, toutes les données informatiques. En définitive, le régime de la saisie de données informatiques est très largement étendu dans les procédures concernant la criminalité organisée et il permet aux enquêteurs, sur autorisation d'un juge (JLD ou juge d'instruction), d'avoir accès à distance et à l'insu des suspects à de nombreuses informations. Ce nouveau dispositif contourne les difficultés liées à l'inadaptation des régimes des perquisitions et des écoutes téléphoniques. Fortement attentatoire à la vie privée, son aménagement légal s'avérait indispensable.

La légalisation de nouvelles techniques probatoires

14Parmi les nouveaux modes de preuves mis à la disposition des enquêteurs, l'IMSI catcher[9] est un procédé importé des techniques de renseignement et qui fait son entrée dans le code de procédure pénale. L'IMSI catcher est présenté comme un dispositif technique qui joue le rôle d'une fausse antenne relais de téléphonie et qui entre en communication avec des terminaux de communication (téléphones, tablettes, etc.) pour capter différentes informations dans son rayon d'action : les données techniques de connexion (comme les numéros de téléphone), l'identité des émetteurs et destinataires des appels, la localisation des terminaux de télécommunication. Certains dispositifs peuvent également capter le contenu des communications. L'IMSI catcher présente une utilité lorsque les enquêteurs ne connaissent pas le numéro de téléphone des personnes suspectées, notamment lorsque ces dernières changent fréquemment de téléphone ou utilisent un téléphone sous une fausse identité. L'IMSI catcher se présente ainsi comme une technique d'investigation préalable à une interception de communication  [10]. Il était déjà utilisé dans les enquêtes pénales avant la loi du 3 juin 2016, mais en l'absence de prévision légale  [11], son utilisation n'était pas mentionnée dans les procès-verbaux des OPJ. Le recours à l'IMSI catcher est désormais autorisé en enquête et dans les informations portant sur des faits de criminalité organisée. Son régime est inspiré de celui des autres procédures dérogatoires. Il est soumis à une autorisation du JLD durant l'enquête (deux mois maximum) et du juge d'instruction durant une information (six mois maximum). Deux mesures exceptionnelles sont également admises. D'une part, le procureur de la République peut avoir recours à l'IMSI catcher sans autorisation du JLD en cas d'urgence et durant vingt-quatre heures sous des conditions restrictives. D'autre part, l'IMSI catcher peut être utilisé à des fins d'interception de correspondances durant une période de quarante-huit heures renouvelable une fois sur autorisation du JLD (enquête) ou du juge d'instruction (information). À la lecture des travaux parlementaires, cette utilisation dérogatoire semble réservée à des circonstances très précises, telles qu'une prise d'otage  [12].

15Une autre innovation, d'importance plus modeste, concerne la définition d'un cadre spécifique applicable à la fouille préventive de bagages. Traditionnellement soumises au régime des perquisitions, les fouilles de bagages ne pouvaient être effectuées par des OPJ que dans le cadre d'une enquête. Un simple contrôle d'identité ne permettait pas d'être accompagné d'une fouille, sauf s'il révélait une infraction. Le législateur a ajouté au régime des contrôles d'identité préventifs de l'article 78-2-2 du code de procédure pénale (sur réquisitions écrites du procureur de la République), une possibilité pour les OPJ (assistés des APJ et APJA) de procéder à l'inspection visuelle des bagages ou à leur fouille. Cette fouille de bagages peut s'effectuer sur une personne ou dans un véhicule.

16Deux innovations concernent enfin les techniques probatoires durant l'audience de jugement. La première est le témoignage à huis clos. Ainsi, les articles 306-1 et 400-1 du code de procédure pénale aménagent une dérogation à la règle de publicité des débats afin de protéger un témoin contre des risques de représailles. Le témoin est alors entendu à huis clos. Cette procédure est réservée aux infractions de guerre, aux crimes contre l'humanité et aux infractions de criminalité organisée (C. pr. pén., art. 706-73 uniquement), lorsque la vie ou l'intégrité physique du témoin est menacée. Cette disposition a pour objectif de combattre la réticence de certains témoins dans des procès particuliers. Elle a été inspirée par la difficulté d'obtenir la comparution de témoins importants dans un procès en France lié au génocide rwandais. Dans le même esprit, l'article 706-62-1 du code de procédure pénale institue une protection partielle de l'anonymat de certains témoins à travers la procédure de témoignage sous numéro. Le témoin sous numéro n'est pas totalement anonyme. Son identité figure dans le dossier et elle est connue des parties. En revanche, elle n'est pas dévoilée durant les audiences publiques et elle ne figure pas dans les décisions de justice rendues publiques ou susceptibles de l'être. L'identité du témoin est alors remplacée par un numéro. Cette procédure s'applique tant au stade de l'instruction qu'à celui du jugement, dès lors que l'enquête porte sur une infraction punie d'au moins trois ans d'emprisonnement et que l'identification d'un témoin est susceptible de mettre gravement en danger sa vie ou son intégrité physique ou celles de ses proches. Le témoignage sous numéro constitue donc une procédure intermédiaire entre le témoignage de droit commun et le témoignage anonyme (C. pr. pén., art. 706-57 s.). Cette procédure, conçue à des fins probatoires, est complétée par un dispositif de protection des témoins qui comporte des mesures destinées à assurer leur sécurité, parmi lesquelles l'usage d'une identité d'emprunt. Ce dispositif, qui existait déjà à l'égard des repentis, est ici étendu à tous les témoins dont l'audition est susceptible de mettre gravement en danger sa vie ou son intégrité physique. Il peut également être mis en œuvre pour protéger les proches du témoin.

17De façon générale, ce nouveau cadre juridique s'inscrit dans le mouvement continu d'adaptation de la procédure pénale aux techniques probatoires nouvelles (IMSI catcher) ou aux besoins des enquêteurs sur le terrain (fouilles de bagages). On retrouve ici l'esprit de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (Perben II). Pour la plupart de ces techniques probatoires, le champ d'application est strictement limité (à la criminalité organisée, au terrorisme, aux crimes de guerre ou contre l'humanité), mais certaines s'étendent à des infractions de droit commun, ce qui donne à la loi du 3 juin 2016 une portée plus large que celle affichée.

II - La recherche d'un équilibre procédural durant la mise en état

18À l'origine du projet de loi, la recherche de l'équilibre procédural constituait le cœur de l'ambition du gouvernement. Pour définir cet équilibre, deux commissions présidées par des magistrats avaient rendu leur rapport. Le premier, sous la plume de Jean-Louis Nadal, était destiné à « refonder le ministère public » (nov. 2013). Le second, confié à Jacques Beaume, était plus généralement consacré à la procédure pénale (juill. 2014). Distincts dans leur objet, les deux rapports ont toutefois abordé des questions conjointes et formulé des propositions similaires. Le titre II de la loi du 3 juin 2010 - intitulé « dispositions renforçant les garanties de la procédure pénale et simplifiant son déroulement » - est partiellement inspiré de ces deux rapports. L'expression « renforcement des garanties » est ici employée dans un sens très large. En effet, ce titre ne vise pas seulement les garanties offertes aux justiciables, mais plus généralement la redéfinition de certains équilibres dans la procédure d'enquête, en particulier, en ce qui concerne la place dévolue au procureur de la République. Il s'agit d'une nouvelle tentative de présenter ce magistrat comme le garant des droits fondamentaux.

Le renforcement de la situation du procureur de la République durant l'enquête

19La situation du procureur de la République durant l'enquête pose deux difficultés essentielles. La première résulte de la jurisprudence de la CEDH, qui refuse de reconnaître au parquet le statut de « juge », susceptible d'exercer un contrôle sur les mesures attentatoires aux libertés, notamment celle de l'article 5 de la Conv. EDH  [13]. Dans le même esprit, la Cour de cassation a refusé de reconnaître au parquet le pouvoir de prendre des mesures portant atteinte à la vie privée, telle que la géolocalisation  [14]. Par son manque d'indépendance et par le rôle qu'il joue dans l'exercice des poursuites à l'issue de l'enquête, le ministère public n'est pas en position pour statuer sur de telles atteintes aux droits fondamentaux. La seconde difficulté résulte des revendications des magistrats relatives au renforcement de l'autorité du ministère public sur la police judiciaire  [15]. La loi du 3 juin 2016 tente de répondre à ces deux difficultés en introduisant dans le code de procédure pénale un article 39-3 selon lequel :

20« Dans le cadre de ses attributions de direction de la police judiciaire, le procureur de la République peut adresser des instructions générales ou particulières aux enquêteurs. Il contrôle la légalité des moyens mis en œuvre par ces derniers, la proportionnalité des actes d'investigation au regard de la nature et de la gravité des faits, l'orientation donnée à l'enquête ainsi que la qualité de celle-ci.

21« Il veille à ce que les investigations tendent à la manifestation de la vérité et qu'elles soient accomplies à charge et à décharge, dans le respect des droits de la victime, du plaignant et de la personne suspectée ».

22Cette disposition possède plusieurs dimensions. D'abord, elle établit clairement la relation hiérarchique entre le procureur de la République et la police judiciaire s'agissant de la conduite de l'enquête. Elle consacre ainsi le statut de directeur d'enquête de ce magistrat. Ensuite, la disposition a pour objectif affiché d'établir un parallèle entre le rôle joué par le juge d'instruction durant l'information et celui occupé par le procureur de la République durant l'enquête  [16]. L'alinéa 2 de l'article 39-3 reprend ainsi les formulations de l'article 81 du code de procédure pénale : « investigations qui tendent à la manifestation de la vérité », ou encore « à charge ou à décharge ». Enfin, la disposition a pour objectif de donner l'impression que le procureur de la République exerce, durant l'enquête, toutes les fonctions inhérentes à une « autorité judiciaire » : contrôle de légalité et de proportionnalité des actes d'enquête. L'objectif implicite des formules adoptées consiste à aligner le rôle du procureur de la République sur celui d'un juge, au regard des exigences posées par la CEDH  [17]. Toutefois il est peu probable que cette tentative ait un impact sur l'attitude de la juridiction européenne. C'est d'ailleurs pour se préserver de nouvelles condamnations que les mesures attentatoires aux droits fondamentaux créées par la loi du 3 juin 2016 ont été soumises à l'autorisation du JLD durant l'enquête, bien que ce que soit le procureur de la République qui en ait l'initiative  [18].

23L'autorité du ministère public est également renforcée à travers la création d'une procédure disciplinaire d'urgence à l'encontre des membres de la police judiciaire (C. pr. pén., art. 229-1). En cas de manquement professionnel grave ou d'atteinte grave à l'honneur ou à la probité par un membre de la police judiciaire, le procureur général près la cour d'appel peut saisir la chambre de l'instruction afin que celle-ci suspende immédiatement le professionnel de ses fonctions d'OPJ durant la période maximale d'un mois. Cette procédure, dont l'application devrait se révéler très résiduelle, a été présentée comme une consolidation de l'autorité fonctionnelle du parquet sur la police judiciaire  [19].

Le renforcement des droits fondamentaux durant l'enquête

24Le renforcement des garanties durant l'enquête prend principalement la forme d'un élargissement relatif de l'accès au dossier. Ce point crucial de la réforme se révèle, en définitive, assez modeste. Il suit deux voies distinctes, selon que l'initiative vient du suspect ou du procureur de la République (C. pr. pén., art. 77-2 et 77-3).

25La première voie concerne les suspects qui ont été entendus par la police judiciaire en audition libre ou en garde à vue. Un an après cette mesure, les personnes qui en ont fait l'objet peuvent demander au procureur de la République de consulter le dossier de la procédure afin de formuler des observations. Le droit de consulter le dossier est alors soumis à plusieurs conditions. D'une part, le procureur de la République doit estimer que l'enquête lui paraît terminée. D'autre part, il doit envisager de poursuivre la personne, soit par citation directe, soit par la convocation de l'article 390-1 CPP  [20]. Ces deux conditions étant remplies, le suspect est autorisé, soit directement, soit par l'intermédiaire de son avocat, à consulter une copie de la procédure. Il peut alors formuler des observations ou des demandes d'actes dans le délai d'un mois. Corrélativement, si une victime a porté plainte dans cette affaire, elle est informée par le procureur de la République qu'elle dispose des mêmes droits que la personne mise en cause. Enfin, si la procédure de consultation du dossier est engagée, durant la période d'un mois, elle empêche le ministère public de poursuivre l'enquête ou de prendre une décision sur l'action publique. Par exception, ce magistrat peut décider soit d'ouvrir une information, soit d'engager une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité soit enfin de procéder au déferrement devant lui de la personne mise en cause selon la procédure de l'article 393 du code de procédure pénale. La seconde voie d'accès au dossier est à l'initiative du procureur de la République. Celui-ci peut, à tout moment de l'enquête, communiquer tout ou partie de la procédure à la personne mise en cause ou à la victime pour recueillir leurs observations. Dans les deux hypothèses d'accès au dossier, les demandes d'actes formulées par les protagonistes (suspect et victime) sont appréciées par le procureur de la République, qui peut choisir d'y donner suite ou non, cette décision n'étant pas susceptible de recours.

26Cette évolution des droits de la défense durant l'enquête constitue la seule réelle avancée initiée par le gouvernement sans contrainte supra-législative  [21]. Sans y faire obstacle, l'opposition sénatoriale a d'ailleurs pris prétexte de cette absence de contrainte pour exprimer son scepticisme à l'égard de la mesure  [22] et pour en restreindre l'application  [23]. De fait, comme l'a remarqué un auteur, cette « fenêtre de contradictoire » s'est transformée en « lucarne » au cours des débats parlementaires  [24]. Les conditions de mises en œuvre de l'accès au dossier sont si limitées qu'elles ne permettent pas de parler d'une enquête contradictoire. En particulier, l'accès au dossier n'est ouvert que lorsque l'enquête est terminée selon l'avis du procureur de la République, c'est-à-dire au moment où il va prendre une décision sur l'action publique. S'il décide de poursuivre, le défendeur aura accès au dossier. Cela signifie que l'anticipation de l'accès au dossier durant l'enquête s'avère pratiquement sans effet. Certes, l'accès au dossier ouvre la possibilité de formuler des demandes d'actes, mais cette possibilité est également offerte devant la juridiction d'instruction ou de jugement  [25]. En définitive l'accès au dossier à la fin de l'enquête constitue une avancée tout à fait modeste qui révèle, à notre avis, qu'un point d'équilibre semble être atteint en la matière. Sensible à certaines revendications issues du terrain  [26], le gouvernement n'a pas souhaité donner à l'enquête un caractère contradictoire. Sur ce point, l'opposition politique traditionnelle semble avoir laissé la place à un consensus, guidée en cela par l'Union européenne qui a elle-même défini un cadre très souple de l'accès au dossier  [27]. La conception française de l'enquête, qui considère la personne mise en cause comme un sujet passif de la procédure, a ainsi réussi à se fondre dans le moule des droits fondamentaux, tout en conservant son identité historique et culturelle.

27Pour le reste, les principales garanties établies par la loi à l'égard de la personne suspectée ou poursuivie trouvent leur raison d'être dans la nécessité de mettre le droit français en conformité avec les sources supra-législatives.

III - La mise en conformité de la procédure pénale avec les sources supra-législatives

28Historiquement, la forte dimension politique de la législation en procédure pénale provient du caractère national de la matière. Lorsque la CEDH s'est immiscée dans ce domaine, le législateur s'est vu imposer un changement de perspective. Ce mouvement s'est accéléré avec la multiplication des interventions du Conseil constitutionnel, et plus fortement encore depuis l'introduction de la question prioritaire de constitutionnalité qui permet aux justiciables et leurs avocats d'influer sur la construction jurisprudentielle de la procédure pénale. Cette évolution - qui place le législateur dans une position de second rang - s'est achevée avec la volonté manifestée par l'Union européenne d'offrir aux justiciables (suspects et victimes) un socle commun de garanties procédurales. La conjugaison de ces trois tendances a produit des effets très visibles dans le processus de réforme du code de procédure pénale. Aujourd'hui, de nombreuses dispositions sont imposées au législateur par des sources supra-législatives. La loi du 3 juin 2016 est particulièrement révélatrice de cette emprise.

29Par exemple, plusieurs modifications ont été introduites pour transposer la directive 2013/48/UE relative au droit d'accès à un avocat. D'une part, l'article 6 de la directive prévoit que la personne suspectée ou poursuivie qui est privée de liberté a le droit de communiquer avec au moins un tiers. L'article 63-2, qui permettait à la personne gardée à vue de faire prévenir un proche a dû être modifié dans ce sens. Désormais, l'OPJ peut autoriser la personne en garde à vue qui en fait la demande à communiquer, par écrit, par téléphone ou lors d'un entretien, avec ce proche s'il lui apparaît que cette communication n'est pas incompatible avec les objectifs mentionnés à l'article 62-2  [28] et qu'elle ne risque pas de permettre une infraction (C. pr. pén., art. 63-2 II). Le droit à communiquer avec un tiers n'est consacré qu'a contrario, mais il apparaît bien comme une garantie supplémentaire offerte au suspect en garde à vue. D'autre part, l'article 3 de la directive impose le droit d'accès à un avocat lorsque les autorités procèdent à des mesures d'enquête ou de collecte des preuves. A minima, cette obligation concerne les séances d'identification des suspects, les confrontations et les reconstitutions. Le législateur a choisi de transposer la directive sans aller au-delà. Désormais, une disposition spéciale dédiée au droit à l'avocat durant l'enquête prévoit que toute personne suspectée peut demander l'assistance d'un avocat lorsqu'elle participe à une opération de reconstitution ou que cet avocat peut être présent lors d'une séance d'identification des suspects (C. pr. pén., art. 61-3). Cette transposition, presque littérale, montre à quel point le législateur a fait le choix de ne pas étendre les droits des justiciables au-delà des seuils posés par le droit européen. Toutefois, dans un esprit d'équilibre entre les justiciables, il a octroyé à la victime et au plaignant les mêmes droits qu'au suspect.

30Plusieurs modifications législatives sont également la conséquence de décisions rendues par la CEDH. Par exemple, le régime d'une garde à vue qui suit une arrestation en mer a été adapté à la jurisprudence de la CEDH. Dans plusieurs décisions  [29], la juridiction européenne a jugé que le recours à une mesure de garde à vue de quarante-huit heures à la suite d'une arrestation en mer de plusieurs jours violait la Conv. EDH, car les suspects n'avaient pas été présentés devant un juge à leur arrivée sur le sol français. Pour tenir compte de ces condamnations, la loi du 3 juin 2016 a modifié le code de la défense en prévoyant que si les personnes arrêtées à bord d'un navire font l'objet d'une garde à vue à leur arrivée sur le sol français, elles doivent être présentées dans les plus brefs délais devant le JLD ou le juge d'instruction à la requête du procureur de la République (C. défense, art. L. 1521-18). Ce faisant, le législateur a institué un régime dérogatoire de garde à vue contrôlée, dès son origine, par un magistrat du siège.

31Faisant preuve d'anticipation, le législateur a également modifié la procédure d'interception de correspondances pour la mettre en conformité avec les exigences de la CEDH. Prenant notamment appui sur l'arrêt Uzun c/ Allemagne[30], les rédacteurs du projet de loi ont considéré que la loi devait définir une durée maximale des écoutes afin de garantir la proportionnalité de la mesure. L'article 100-2 du code de procédure pénale est ainsi modifié pour limiter la durée totale d'une interception à un an (régime de droit commun) ou à deux ans (en matière de criminalité organisée).

32Enfin, le législateur a dû tenir compte de décisions rendues par le Conseil constitutionnel. Par exemple, ce dernier a considéré que le régime des perquisitions et saisies des pièces n'était pas suffisamment protecteur du secret des délibérés  [31]. Pour corriger cette lacune, la loi du 3 juin 2016 a inséré un article 56-5 dans le code de procédure pénale, afin d'établir un régime de protection de ce secret. Ainsi, les perquisitions dans les locaux d'une juridiction ou au domicile d'une personne exerçant des fonctions juridictionnelles doivent être effectuées par un magistrat si elles tendent à la saisie de documents susceptibles d'être couverts par le secret du délibéré. La liste des personnes pouvant prendre connaissance des documents saisis est limitée. Le texte exige également la présence sur les lieux du premier président de la cour d'appel ou de la Cour de cassation. Ce magistrat peut s'opposer à certaines saisies et le contentieux sur leur utilisation est alors soumis au JLD. Ce dispositif protecteur est applicable à toutes les perquisitions, quelle que soit la phase de la procédure et le régime de la perquisition (droit commun ou dérogatoire).

IV - Les mesures de simplification sollicitées par les praticiens

33Dernière force en présence dans la réforme de la procédure pénale, l'influence de la pratique participe au mouvement de dépolitisation de la matière. Certaines modifications apportées par la loi du 3 juin 2016 trouvent ainsi leur source dans l'adaptation de la procédure aux contingences du terrain. Elles sont regroupées sous la bannière de la simplification de la procédure  [32], mais elles sont principalement inspirées par un motif d'efficacité.

34Certaines de ces dispositions visent à faciliter le travail de terrain. Ainsi, la convocation par OPJ ne constitue pas le procédé le plus efficace de saisine de la juridiction, car elle nécessite la transmission du dossier par le parquet à l'enquêteur en vue de la convocation du prévenu. Par souci d'efficacité, l'article 390-1 du code de procédure pénale a été modifié pour autoriser un délégué ou un médiateur du procureur de la République à procéder à une telle convocation. À côté de cela, de nombreuses dispositions à vocation simplificatrices sont, en réalité, dictées par un souci d'efficacité et elles ont pour effet de renforcer le caractère coercitif de la procédure. Par exemple, l'article 61 du code de procédure pénale, consacré à la comparution des témoins, est complété par un alinéa qui permet au procureur de la République d'autoriser la comparution par la force publique d'un témoin qui n'a pas été préalablement convoqué pour éviter un risque d'altération des preuves (modifications des indices, pressions sur les témoins, concertations entre coauteurs et complices). Autre exemple, la décision de mise en liberté d'une personne dont la détention provisoire est irrégulière peut s'accompagner d'un placement immédiat sous contrôle judiciaire (C. pr. pén., art. 803-7). La sanction de l'irrégularité procédurale qui met fin à la détention est alors compensée par le recours à une mesure qui conserve un caractère coercitif.

35L'efficacité prend encore la forme de la lutte contre les stratégies dilatoires ou déloyales développées par les suspects. Par exemple, les demandes de mise en liberté répétées sont désormais strictement encadrées par l'article 148 du code de procédure pénale, lequel prohibe toute nouvelle demande de mise en liberté tant que le juge n'a pas statué sur la précédente. Dans le même esprit, le moyen tiré de la prescription de l'action publique est désormais soumis aux règles de recevabilité des nullités. Ainsi, la personne qui soulève ce moyen doit le faire dans les six mois suivant sa mise en examen ou sa première audition comme témoin assisté à peine d'irrecevabilité (C. pr. pén., art. 82-3).

36L'efficacité conduit enfin à restreindre les voies de recours. Par exemple, l'article 186-3 du code de procédure pénale est modifié pour donner une plus grande force au principe d'irrecevabilité de l'appel contre les ordonnances de renvoi devant le tribunal correctionnel. De façon plus radicale encore, la procédure du défaut criminel est écartée lorsque l'accusé est absent alors que son interrogatoire sur les faits et sur sa personnalité a déjà été réalisé. Le procès se poursuit alors jusqu'à son terme et l'accusé est défendu par son avocat selon une procédure contradictoire (C. pr. pén., art. 379-2). L'objectif est ici de priver un accusé en fuite au cours de son procès de la faculté d'anéantir sa condamnation par le simple fait de se présenter à nouveau. Dans une telle situation, seul l'appel est recevable contre la décision prononcée par la Cour d'assises en l'absence de l'accusé.

37En définitive, la loi du 3 juin 2016 constitue une étape significative dans la mutation de la législation en procédure pénale. À notre avis, cette loi fleuve, technique et complexe a été influencée par des forces qui marquent un renouveau. Certes, les sources supra législatives guident l'action du législateur depuis les années 70. Mais ce texte, plus que d'autres, montre que l'écriture du code de procédure pénale échappe désormais en grande partie au législateur. De la même manière, les parlementaires ont déjà manifesté par le passé une écoute à l'égard des considérations issues de la pratique. Mais là aussi, la loi opère un tournant en affichant un objectif de simplification, qui vise avant tout à faciliter le travail des enquêteurs et des magistrats. Plus encore, ce qui nous paraît révélateur de cette mutation, réside dans le fait que les oppositions politiques s'essoufflent et que les arbitrages entre efficacité et caractère coercitif d'un côté, et respect des droits fondamentaux de l'autre, est en passe de trouver son point d'équilibre. Dans le futur, les lois de procédure pénale vont continuer à s'enchaîner et il sera alors possible de confirmer ou d'infirmer cette impression.

Notes

  • [1]
    F. Fukuyama, The end of history and the last man, The Free press / Penguin Books, 1992.
  • [2]
    Que nous avons désigné sous l'expression de « réforme par transposition », cf. E. Vergès, La réforme par transposition : la nouvelle voie de la procédure pénale, RSC 2015. 683.
  • [3]
    Et en particulier la mission confiée à la commission présidée par Jacques Beaume, Procureur général près la cour d'appel de Lyon, ayant donné lieu au « Rapport sur la procédure pénale », en juillet 2014.
  • [4]
    Intervention de Jean-Jacques Urvoas devant le Sénat, 29 mars 2016.
  • [5]
    Cons. const. 13 août 2015, n° 2015-719 DC, AJDA 2015. 1566, Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne.
  • [6]
    Cf. M. Mercier, Rapport au nom de la commission des lois du Sénat, p. 65.
  • [7]
    Par analogie avec Crim. 22 nov. 2011, n° 11-84.308, D. 2011. 2937 ; ibid. 2012. 171, chron. C. Roth, A. Leprieur et M.-L. Divialle ; ibid. 2118, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2012. 293, obs. J. Lasserre Capdeville.
  • [8]
    Crim. 8 juill. 2015, n° 14-88.457, D. 2015. 1542 ; AJ pénal 2016. 90, obs. G. Roussel.
  • [9]
    IMSI = International Mobile Subscriber Identity. Il s'agit de l'identifiant contenu dans une carte SIM.
  • [10]
    Cf L'étude d'impact du projet de loi, p. 16 s.
  • [11]
    En matière de renseignement, sa légalisation date de la Loi n° 2015-912 du 24 juill. 2015 relative au renseignement.
  • [12]
    M. Mercier, Rapport préc., p. 59.
  • [13]
    Pour un résumé de cette question, cf. E. Vergès, Politique pénale et action publique : la difficile conciliation du modèle français de ministère public et des standards européens, RSC 2013. 605.
  • [14]
    Crim. 22 oct. 2013, n° 13-81.949, D. 2014. 115, note H. Matsopoulou ; ibid. 311, chron. B. Laurent, C. Roth, G. Barbier et P. Labrousse ; AJ pénal 2013. 668, note L. Ascensi ; Crim. 22 oct. 2013, n° 13-81.945, D. 2014. 115, note H. Matsopoulou ; ibid. 311, chron. B. Laurent, C. Roth, G. Barbier et P. Labrousse ; AJ pénal 2013. 668, note L. Ascensi ; D. avocats 2014. 24, obs. J. Danet.
  • [15]
    Telles qu'elles sont exprimées clairement par le rapport Nadal, dans un chapitre consacré à cette question.
  • [16]
    Cf. à cet égard, l'étude d'impact du projet de loi, p. 90.
  • [17]
    Cf. déjà la loi n° 2013-669 du 25 juill. 2013 relative aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public, qui a soumis le procureur de la République au principe d'impartialité dans l'exercice de sa mission (C. pr. pén., art. 31).
  • [18]
    Nous renvoyons à l'examen de ces mesures dans le I de cette étude.
  • [19]
    Cf. Exposé des motifs, présentation de l'art. 23 du projet de loi.
  • [20]
    Cette convocation, anciennement appelée « par OPJ », peut aujourd'hui être notifiée par un greffier, un OPJ, un APJ, un délégué ou un médiateur du procureur de la République sur son instruction.
  • [21]
    Même si l'étude d'impact l'a justifiée par la nécessité de prévenir d'éventuelles condamnations par la CEDH, Étude d'impact, analyse des objectifs poursuivis de l'article 24 du projet de loi.
  • [22]
    Dans son rapport au nom de la commission des lois, le sénateur Michel Mercier a ainsi écrit « qu'aucune obligation de nature constitutionnelle ou conventionnelle n'oblige à procéder à une telle évolution de notre droit », rapport préc., p. 207.
  • [23]
    Alors que la commission des lois de l'Assemblée nationale avait fait le choix de l'ouverture d'une large « fenêtre de contradictoire », selon l'expression utilisée dans le rapport de C. Capdevielle et P. Popelin, au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale, n° 3515, p. 291.
  • [24]
    A. Botton, Entre renforcement et érosion des garanties de la procédure pénale. À propos du Titre II de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, JCP 2016. 777, citant l'expression de P. Popelin durant les débats devant la commission des lois de l'AN.
  • [25]
    C. pr. pén., art. 388-5
  • [26]
    Par ex. les observations de l'Union syndicale des magistrats, sur le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale, 10 févr. 2016 (document en ligne sur www.union-syndicale-magistrats.org/web2/themes/fr/userfiles/fichier/reserves/rapports/2016/reforme_penale10fev16.pdf).
  • [27]
    L'art. 7 § 3 de la directive 2012/13/UE du 22 mai 2012 relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales, prévoit que « l'accès aux pièces visé au paragraphe 2 est accordé en temps utile pour permettre l'exercice effectif des droits de la défense et, au plus tard, lorsqu'une juridiction est appelée à se prononcer sur le bien-fondé de l'accusation ».
  • [28]
    L'art. 62-2 définit les finalités qui permettent de placer une personne en garde à vue.
  • [29]
    CEDH 27 juin 2013, req. n° 62736/09, Vassis et a. c/ France, D. 2013. 1687, obs. O. Bachelet ; AJ pénal 2013. 549, obs. G. Roussel ; RSC 2013. 656, obs. D. Roets ; CEDH 4 déc. 2014, req. n° 17110/10 et 17301/10, Ali Samatar et a. c/ France, D. 2015. 303, et les obs., note J.-F. Renucci ; AJ pénal 2015. 102, obs. G. Poissonnier ; CEDH 4 déc. 2014, req. n° 46695/10 et 54588/10, Hassan et a. c/ France, D. 2015. 303, note J.-F. Renucci.
  • [30]
    CEDH 2 sept. 2010, req. n° 35623/05, Uzun c/ Allemagne, D. 2011. 724, obs. S. Lavric, note H. Matsopoulou ; RSC 2011. 217, obs. D. Roets. Arrêt rendu à propos de la géolocalisation.
  • [31]
    Cons. const., 4 déc. 2015, n° 2015-506 QPC, D. 2015. 2504 ; ibid. 2016. 1727, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2016. 276, obs. J.-B. Perrier ; Constitutions 2015. 650, Décision ; ibid. 2016. 75, chron. Ibtissam Aftisse, T. Campagne, G. Caron, C. Duez, A. Maës et Margot Montagne.
  • [32]
    Le Titre II de la loi évoque des dispositions « simplifiant son déroulement ».
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