Notes
-
[1]
Décis. du 18 déc. 2014, 2 BvR 209/14, 2 BvR 240/14, 2 BvR 262/14 ; www.bundesverfassungsgericht.de/SharedDocs/Entscheidungen/DE/2014/12/rk20141218_2bvr020914.html ; v. également le communiqué de presse n° 8/2015 du 11 févr. 2015.
-
[2]
CEDH, 9 juin 1998, Teixeira de Castro v. Portugal.
-
[3]
V. pour une critique du faible encadrement juridique de ces « intervenants » dans une procédure pénale ; M. Jahn, Lockspitzeleinsatz, JuS 2014, 371-376. Figurait, dans une annexe D aux RiSTBV (Richtlinien für das Strafverfahren und das Bussgeldverfahren - Recommandations/Directives pour la procédure pénale et la procédure d'amende), une disposition 2.2 définissant ce qu'est une personne de confiance : « V-Person ist eine Person, die, ohne einer Strafverfolgungsbehörde anzugehören, bereit ist, diese bei der Aufklärung von Straftaten auf längere Zeit vertraulich zu unterstutzen, und deren Identität grundsätzlich geheimgehalten wird ».
-
[4]
Dans les deux cas, il s'agissait néanmoins d'infractions à la législation sur les stupéfiants.
-
[5]
BGH, 11 déc. 2013 - 5 StR 240/13 (LG Berlin) ; NStZ 5/2014, p. 277 à 281 ; M. Jahn, Lockspitzeleinsatz, JuS 2014, 371-376.
-
[6]
BGH, 18 nov. 1999 - 1 StR 221/99 (LG München I) ; H. Kudlich (Dr.), Unzulässiger Einsatz eines Lockspitzels gegen einen Unverdächtigen (BGH NJW 2000. 1123), JuS 2000, 951 ; T. Rönnau (Prof.), Grundwissen, Agent provocateur, JuS 2015, 19 ; Strafzumessungslösung auch bei konventionswidrigem Lockspitzeleinsatz, BGH Urt. v. 18.11.1999 (mit Anm. v. RA R. Endriss u. Dr. J. Kinzig), NStZ 2000, 269.
-
[7]
NJW 15/2015, p. 1083 à 1086 ; K. Leipold, S. Beukelmann, Folgen einer rechtsstaatswidrigen Tatprovokation durch Lockspitzel, NJW-Spezial 5/2015, p. 152 ; Redaktion beck-aktuell, Nachrichten, Pressemitteilungen, Fachnews zum BVerfG, Beschl. v. 18.12.2014 ; obs. U. Eisenberg, StraFo 2015, 100 ;
-
[8]
BGH, 11 déc. 2013 - 5 StR 240/13 (LG Berlin), v. supra.
-
[9]
Rapport sur la procédure pénale dit rapport Beaume, juill. 2014, 89 p.
-
[10]
Cons. const., 25 mars 2014, n° 2014-693 DC.
-
[11]
Art. 2 al. 1 de la Loi fondamentale : « Chacun a droit au libre épanouissement de sa personnalité pourvu qu'il ne viole pas les droits d'autrui ni n'enfreigne l'ordre constitutionnel ou la loi morale ».
-
[12]
Art. 20 al. 3 de la Loi fondamentale : « Le pouvoir législatif est lié par l'ordre constitutionnel, les pouvoirs exécutif et judiciaire sont liés par la loi et le droit ».
-
[13]
Décis. du 18 déc. 2014, op. cit., n° 41.
-
[14]
V. supra, nbp 5.
-
[15]
§ 136a - Verbotene Vernehmungsmethoden ; Beweisverwertungsverbote
« (1) Die Freiheit der Willensentschliessung und der Willensbetätigung des Beschuldigten darf nicht beeinträchtigt werden durch Misshandlung, durch Ermüdung, durch körperlichen Eingriff, durch Verabreichung von Mitteln, durch Quälerei, durch Täuschung oder durch Hypnose. Zwang darf nur angewandt werden, soweit das Strafverfahrensrecht dies zulässt. Die Drohung mit einer nach seinen Vorschriften unzulässigen Massnahme und das Versprechen eines gesetzlich nicht vorgesehenen Vorteils sind verboten.
(2) Massnahmen, die das Erinnerungsvermögen oder die Einsichtsfähigkeit des Beschuldigten beeinträchtigen, sind nicht gestattet.
(3) Das Verbot der Absätze 1 und 2 gilt ohne Rücksicht auf die Einwilligung des Beschuldigten. Aussagen, die unter Verletzung dieses Verbots zustande gekommen sind, dürfen auch dann nicht verwertet werden, wenn der Beschuldigte der Verwertung zustimmt. » -
[16]
CEDH, 23 oct. 2010, req. n° 54648/09, Furcht v. Germany ; EGMR : unzulässige Tatprovokation (Anm. A. Petzsche, wiss. Mit.), JR 2015, 81-91 ; EGMR : unzulässige Tatprovokation (Anm. RA J. Hauer), NJ 2015, 201 ; EGMR, Entscheidung v. 23 oct. 2014 (mit Anm. Prof. U. Sommer), StraFo 2014, 504 ; Redaktion beck-aktuell, Nachrichten, Pressemitteilungen, Fachnews zum BVerfG, Beschl. v. 18 déc. 2014.
-
[17]
CEDH, Furcht v. Allemagne, n° 46.
-
[18]
V. supra.
-
[19]
V. § 50 de la décision : « The Court will rely on whether there were objective suspicions that the applicant had been involved in criminal activity or was predisposed to commit a criminal offence ».
-
[20]
V. § 59 de la décision.
-
[21]
V. § 68 et 69 de la décision.
-
[22]
BGH v. 10.6.2015 (2StR 97/14), Redaktion Beck-Aktuell, Nachrichten, Pressemitteilungen, Fachnews, BGH v. 10 juin 2015 (2StR 97-14).
1L'illicéité de la provocation à l'infraction, et son incidence sur la procédure, la recevabilité de la preuve et une éventuelle condamnation, a suscité, au cours des derniers mois, des discussions particulièrement animées devant les juridictions situées sur les deux rives du Rhin. Le Tribunal fédéral constitutionnel allemand (Bundesverfassungsgericht) a en effet rendu une décision en date du 18 décembre 2014 [1], qui s'inscrit dans un dialogue avec la Cour fédérale de Justice et la Cour européenne des droits de l'homme [2].
2Les trois requérants devant le Tribunal fédéral constitutionnel ont été poursuivis et condamnés par le tribunal régional de Berlin à des peines d'emprisonnement pour des infractions à la législation sur les stupéfiants, sur le fondement d'un certain nombre d'éléments de preuve, dont les intéressés contestent la validité. Ils estiment que les preuves produites devant les juridictions répressives ont été obtenues par le biais d'une provocation à l'infraction et qu'un classement des procédures aurait dû être décidé, en raison d'une violation grave des principes de l'État de droit. Le tribunal régional de Berlin a effectivement constaté dans sa décision que des incitations et des pressions ont été exercées sur le premier requérant par une personne de confiance (Vertrauensperson) [3], renforcées par la présence d'un enquêteur infiltré (Verdeckter Ermittler), et ce, pendant une période de dix-huit mois, afin de l'inciter à commettre une infraction. Cette dernière a été considérée sans commune mesure avec l'infraction dont l'intéressé était soupçonné dans le cadre de l'enquête [4].
3Le tribunal régional de Berlin retient une violation du droit à un procès équitable, tout en estimant que la réduction de peine s'élevait à au moins cinq années et sept mois, ce qui permet de prendre en compte la provocation à l'infraction. Pour le deuxième requérant, aucun constat de violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme n'a été réalisé et la juridiction répressive s'est contentée de considérer la provocation à l'infraction réalisée par les autorités policières comme une cause d'atténuation de la peine, sans préciser le quantum de cette diminution. Enfin, le troisième requérant bénéficia d'une réduction de peine d'au moins trois ans et cinq mois. Par conséquent, seule la détermination de la peine aurait permis de prendre en compte cette contrariété, les requérants ayant obtenu un rabais sur la peine prononcée, ce qui n'apparaît pas suffisant, selon les trois intéressés, au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
4Par la suite, la Cour fédérale de Justice (Bundesgerichtshof) rejette leur pourvoi en cassation (Revision), non sans avoir critiqué de manière assez sévère les tentatives des services de police, à travers la manière dont sont élaborés les dossiers d'enquête, de duper les autorités de poursuite [5]. En soi, le recours à un agent provocateur (Lockspitzel) n'est pas prohibé par la Cour. Toutefois, lorsque ce recours apparaît irrégulier, les juridictions répressives doivent, d'une part, constater dans leur jugement la violation de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et, d'autre part, faire apparaître expressément la réduction de peine retenue pour compenser cette atteinte [6].
5En définitive, les trois requérants saisissent le Tribunal fédéral constitutionnel. Conformément à la procédure constitutionnelle allemande, une chambre a la possibilité, à l'unanimité de ses membres, de ne pas accepter de rendre une décision sur des requêtes individuelles (Verfassungsbeschwerde), pourtant recevables et dûment inscrites au rôle. La haute juridiction livre néanmoins un certain nombre d'éléments dignes d'attention. Pour l'essentiel, les juges de Karlsruhe estiment que le recours à la provocation à l'infraction, s'il peut, dans certains cas, être contraire aux principes d'un État de droit, ne s'oppose pas nécessairement à une condamnation pénale [7].
6Si la décision du Tribunal fédéral constitutionnel est, en soi, intéressante (I), sa portée ne peut être comprise qu'en la confrontant aux récentes positions de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour fédérale de Justice (II).
I - La position du Tribunal fédéral constitutionnel
7Deux arguments principaux sont soulevés par les trois requérants. Selon eux, les juridictions pénales à l'œuvre dans leur affaire auraient dû, après avoir constaté l'existence d'une provocation illicite à l'infraction (B), classer la procédure. La réduction de peine ne constituerait pas une compensation suffisante (C). Le Tribunal fédéral constitutionnel passe en revanche sous silence la question du double dossier d'enquête (A).
A - Le double dossier d'enquête
8À la lecture des faits, il apparaît que les interventions de la personne de confiance, qui a pris contact et est intervenue auprès de l'un des requérants dix-huit mois avant la commission de l'infraction poursuivie, n'ont pas été versées au dossier d'enquête. Les principes de la vérité du dossier (Aktenwahrheit) et de la complétude du dossier (Aktenvollständigkeit) n'ont pas été respectés. En effet, l'intervention de la personne de confiance, dite « M », a été tue pendant plusieurs mois ; sa première prise de contact avec le prévenu n'a été recensée que dans un rapport interne à la Police. Il aura fallu attendre que l'intéressé soit mis en accusation (Anklageerhebung) pour que cela soit versé au dossier pénal. De même, une caméra de surveillance a été utilisée, les images enregistrées grâce à elle évaluées puis détruites, sans que cela apparaisse dans le dossier.
9La Cour fédérale de Justice a clairement indiqué dans sa décision du 11 décembre 2013 [8] que les autorités de police ne pouvaient pas décider de leur propre chef du principe et du moment de la retranscription des actes d'enquête.
10De plus, le dénommé « M », connu des services de police pour ses anciennes activités criminelles, a, à de multiples reprises, communiqué des informations mensongères, sans que les services de police procèdent à une comparaison entre ses déclarations et les autres éléments de preuve à disposition.
11Si le Tribunal fédéral constitutionnel n'évoque pas ces points dans sa décision, la Cour fédérale de Justice, pour sa part, a une position de principe assez protectrice des droits de la défense. En France, l'existence d'un dossier secret a été prévue par la loi n° 2014-372 du 28 mars 2014 relative à la géolocalisation, mais en le limitant aux enquêtes en matière de terrorisme et de crime organisé et en le subordonnant au contrôle du juge des libertés et de la détention. La proposition évoquée dans le rapport Beaume [9] d'étendre cette disposition à l'ensemble des enquêtes préliminaires a aussitôt été écartée, notamment au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel [10] qui rappelle que l'accès au dossier permet aux personnes mises en cause d'exercer leurs droits de la défense.
B - La provocation illicite à l'infraction
12Le droit à un procès équitable, fondé sur l'article 2 § 1 [11] en lien avec l'article 20 § 3 [12] de la loi fondamentale allemande, est d'abord évoqué dans la décision commentée.
13Une violation du droit à un procès équitable ne peut résulter que d'une appréciation de la procédure pénale dans son ensemble (Gesamtschau), tant dans sa rédaction, que son interprétation et son application par les juridictions répressives. Le Tribunal fédéral constitutionnel rappelle que cette appréciation globale doit également tenir compte des exigences d'une bonne administration de la justice. En d'autres termes, l'État de droit n'est pas seulement protecteur des droits du prévenu ou de l'accusé, mais aussi garant de l'efficacité de la justice pénale, en faisant en sorte que les auteurs d'infractions soient poursuivis, reconnus coupables et condamnés à une peine juste.
14Selon le Tribunal, la provocation à l'infraction n'est pas en soi contraire aux principes d'un État de droit. Même à supposer que l'on décide de considérer que la provocation à l'infraction est contraire aux principes de l'État de droit, un obstacle à la procédure (Verfahrenshindernis) ne serait pas nécessairement retenu.
15En effet, conformément à sa jurisprudence, il précise que seuls des cas véritablement exceptionnels pourraient entraîner une impossibilité d'exercer l'action publique. En l'occurrence, les situations des trois requérants ne paraissent pas éloignées d'un tel cas extrême (Extremfall) et ne sont pas sans évoquer l'hypothèse dans laquelle un obstacle à la procédure pourrait être retenu. Il l'écarte pourtant, après avoir rappelé que le ministère public apparaît comme le garant des principes de l'État de droit et du déroulement des procédures pénales. En tant que maître des investigations (Herrin des Ermittlungsverfahren), le ministère public est tenu, en respectant un devoir d'objectivité, d'opérer un contrôle sur les forces de police qui ne doivent en aucun cas commettre elles-mêmes d'infractions au cours d'une enquête.
16Dans la mesure où des indices matériels apparaissaient, en l'espèce, suffisants pour ouvrir une enquête, on ne peut penser que les infractions commises l'ont été uniquement en raison de l'action des autorités policières. En effet, et c'est tout particulièrement la situation du premier requérant - la plus évidente - qui est visée, l'intéressé est toujours resté libre de commettre ou de ne pas commettre une infraction à la législation sur les stupéfiants. Dès le début de l'enquête pesait un soupçon sur l'intéressé qui, en définitive, a pris l'initiative d'exécuter l'infraction à raison de laquelle il a, par la suite, été poursuivi. Pour les deux autres requérants, qui ont également été influencés par les forces de police, mais de manière indirecte, le même raisonnement permet d'écarter l'existence d'un Extremfall. Le choix de commettre ou non l'infraction relevait, in fine, toujours des requérants.
17De plus, les juridictions répressives ont pris en considération les cinq aveux des trois requérants et de leurs deux co-prévenus. À aucun moment, les juridictions concernées n'ont utilisé les autres moyens de preuve produits pour condamner chaque prévenu sur le fondement d'éléments qui n'étaient pas présents dans ses déclarations. En d'autres termes, les déclarations apparaissaient comme suffisamment à charge pour entrer en voie de condamnation, sans recourir aux moyens de preuve obtenus de manière à tout le moins déloyale. D'une certaine façon, l'appréciation des preuves par le tribunal régional est comparable aux effets d'une interdiction explicite d'apprécier une preuve obtenue de manière illicite.
C - La compensation de la violation du droit à un procès équitable
18Le deuxième argument avancé par les requérants portait sur la compensation de la violation du droit à un procès équitable.
19Le Tribunal fédéral constitutionnel estime qu'il n'est pas possible d'exciper directement devant lui d'un droit issu de la Convention européenne des droits de l'homme. Chacun son office. En revanche, en se fondant sur la violation d'un droit fondamental garanti par la Loi fondamentale allemande, les requérants peuvent effectivement invoquer le fait que les juridictions répressives allemandes n'auraient pas respecté ou pris en considération de manière suffisante la jurisprudence de la Cour de Strasbourg [13].
20La haute juridiction rappelle la jurisprudence alors constante de la Cour fédérale de Justice qui considère qu'une provocation à la commission d'une infraction ne constitue pas un obstacle à la procédure (Verfahrenshindernis) [14]. Selon la Cour fédérale de Justice, en procédure pénale allemande, le § 136 a de la StPO [15] (Strafprozessordnung - Code de procédure pénale), relatif aux méthodes d'enquête prohibées, retient la suppression de la preuve obtenue de manière illicite, y compris lorsque le prévenu y consentirait. Mais même lorsqu'une violation massive du § 136 a StPO est reconnue, seule une interdiction d'apprécier l'élément de preuve obtenu directement de manière litigieuse s'impose.
21Pour compenser une éventuelle violation du droit à un procès équitable, la Cour fédérale de Justice a adopté la solution de la détermination de la peine (Strafzumessungslösung). En cas de violation du droit à un procès équitable, les juridictions répressives prononcent une peine inférieure aux peines habituellement prononcées en la matière. Certes, la procédure n'est pas classée, mais la condamnation prononcée est moins lourde que celle qui aurait été prononcée en des circonstances ordinaires.
22Après avoir évoqué la jurisprudence de la Cour fédérale de Justice, le Tribunal fédéral constitutionnel estime qu'il n'a pas lui-même à apprécier si, de manière générale, cette position de la Cour peut être considérée comme conforme à la jurisprudence strasbourgeoise. En revanche, en l'espèce, il retient que l'application de la Strafzumessungslösung n'est pas contraire au droit fondamental à un procès équitable, y compris en prenant en compte la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. En effet, il apparaît clairement que la reconnaissance d'une violation du droit à un procès équitable a conduit les juridictions répressives à choisir une peine inférieure à celle généralement prononcée en la matière.
23 Cette solution et sa portée doivent être confrontées aux récentes évolutions de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour fédérale de Justice.
II - La portée de la décision du Tribunal fédéral constitutionnel
24Cette position du Tribunal fédéral constitutionnel peut paraître souffrir de la comparaison avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (A). En revanche, une décision de la Cour fédérale de Justice du 10 juin 2015 pourrait la conforter (B).
A - La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme
25Il n'est pas certain que cette position du Tribunal fédéral constitutionnel soit compatible avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
26En effet, dans une affaire Furcht concernant l'Allemagne [16], les juges de Strasbourg ont estimé qu'une provocation illicite à la commission d'une infraction devait nécessairement conduire à écarter de la procédure les preuves ainsi obtenues, sans que les juridictions répressives puissent remédier à cette violation du droit à un procès équitable uniquement en réduisant la peine habituellement prononcée.
27De manière intéressante, tant au regard de la nature de l'affaire Furcht que de la temporalité dans laquelle elle s'inscrit, la Cour européenne des droits de l'homme commence par rappeler, comme elle en a l'habitude en matière de conformité des règles de preuves avec la Convention européenne des droits de l'homme, qu'elle laisse aux États parties le soin de décider du sort des preuves obtenues de cette façon [17]. Il appartiendrait au juge national de décider de la recevabilité et de l'appréciation de ces preuves dans une procédure pénale [18]. Ce rappel apparemment classique d'une position de retrait de la Cour peut toutefois apparaître contredit par la suite de l'arrêt qui, en s'intéressant à la compensation de la violation du droit à un procès équitable par le biais de la réduction de peine et en l'estimant insuffisante en toute hypothèse, souhaite, dans les faits, imposer aux juges nationaux une autre solution.
28Selon les juges de Strasbourg, le recours à des enquêteurs infiltrés peut être accepté, à condition qu'il soit juridiquement encadré. La Cour rappelle que doit être opérée une distinction entre les provocations actives à la commission de l'infraction et au recueil de preuve - provocations sans lesquelles aucune infraction n'aurait été commise - et une simple attitude passive, que l'on pourrait confronter à la notion de provocation à la preuve connue en droit français. Le premier critère de départage entre ces deux attitudes réside dans l'existence, dès le début de la procédure, de soupçons objectifs relatifs au fait que l'intéressé était impliqué dans une activité criminelle ou était prédisposé à commettre une infraction pénale [19]. En l'espèce, l'intéressé n'avait aucun antécédent judiciaire ; aucune autre enquête n'avait été préalablement ouverte à son encontre et rien ne permettait de croire qu'il était prédisposé à commettre une infraction à la législation sur les stupéfiants avant d'avoir été approché par la police. Le second critère porte sur le degré de contrainte exercé sur les personnes approchées par des enquêteurs infiltrés. L'insistance, la hausse du prix ordinaire de revente, l'invocation des effets du manque sont autant d'éléments qui permettent de retenir une incitation à la commission d'une infraction. La Cour de Strasbourg retient une violation de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, en raison d'une provocation illicite à l'infraction.
29Dans un second temps, la Cour évoque la solution allemande de la réduction de peine. De manière univoque, elle estime que l'utilisation de moyens de preuve obtenus au moyen d'une incitation policière à l'infraction est contraire à l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. Seule l'exclusion des preuves issues de la provocation policière à l'infraction, ou tout autre moyen permettant de produire les mêmes effets, serait à même de rendre la procédure pénale conforme au droit à un procès équitable. En d'autres termes, la Cour estime, de manière implicite [20] et explicite [21], que les preuves ainsi obtenues auraient dû être écartées de la procédure. Aucune autre solution, et notamment pas la solution de la réduction de peine pourtant préconisée en Allemagne, n'apparaît à même de compenser une telle violation de l'article 6 § 1.
B - La position de la Cour fédérale de Justice
30Dans le droit fil temporel de la décision Furcht de la Cour de Strasbourg et de la décision du Tribunal fédéral constitutionnel, la Cour fédérale de Justice pourrait avoir opéré en la matière un revirement de jurisprudence par le biais d'une décision rendue le 10 juin 2015 [22]. À l'heure où cette chronique s'achève, une motivation officielle de la décision du 10 juin n'est pas encore disponible, rendant toute interprétation quelque peu ardue.
31Elle retient qu'une provocation à l'infraction réalisée par un enquêteur infiltré (Verdeckter Ermittler) constitue un obstacle procédural qui doit entraîner le classement de la procédure engagée. En l'espèce, la longue surveillance de deux personnes soupçonnées de se livrer à des infractions à la législation sur les stupéfiants et de blanchiment n'ayant rien donné, la police avait fait intervenir plusieurs enquêteurs infiltrés. Ces derniers avaient incité les deux personnes surveillées à leur procurer une grande quantité d'ecstasy en provenance des Pays-Bas. Après plusieurs mois, l'un des enquêteurs infiltrés menaça les intéressés de s'en prendre à leur famille s'ils ne se décidaient pas à introduire de l'ecstasy en Allemagne. Ils finirent par s'exécuter, sans pour autant être rémunérés pour leurs actions, et furent condamnés, sans que les enquêteurs infiltrés comparaissent et témoignent.
32La position de la Cour fédérale de Justice peut, en l'état, difficilement être appréciée. Elle pourrait éventuellement constituer un revirement de jurisprudence dont la portée devrait être précisée par la publication de la motivation officielle. Mais il semble encore trop tôt pour dire si la Cour entend ainsi suivre la ligne très protectrice des juges de Strasbourg ou si, au contraire, elle envisage une gradation des conséquences juridiques d'une provocation illicite à l'infraction selon la gravité de cette provocation. En l'espèce, aucune autre solution n'a été envisagée pour remédier à l'atteinte au droit à un procès équitable. Mais il faut préciser que les actions policières visant les accusés étaient bien plus intrusives que celles réalisées dans l'affaire à l'origine de la position du Tribunal fédéral constitutionnel.
33 Alignement sur la Cour européenne des droits de l'homme ou compatibilité avec le Tribunal fédéral constitutionnel : rien n'est sûr. Le dialogue des juridictions se poursuit.
Notes
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[1]
Décis. du 18 déc. 2014, 2 BvR 209/14, 2 BvR 240/14, 2 BvR 262/14 ; www.bundesverfassungsgericht.de/SharedDocs/Entscheidungen/DE/2014/12/rk20141218_2bvr020914.html ; v. également le communiqué de presse n° 8/2015 du 11 févr. 2015.
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[2]
CEDH, 9 juin 1998, Teixeira de Castro v. Portugal.
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[3]
V. pour une critique du faible encadrement juridique de ces « intervenants » dans une procédure pénale ; M. Jahn, Lockspitzeleinsatz, JuS 2014, 371-376. Figurait, dans une annexe D aux RiSTBV (Richtlinien für das Strafverfahren und das Bussgeldverfahren - Recommandations/Directives pour la procédure pénale et la procédure d'amende), une disposition 2.2 définissant ce qu'est une personne de confiance : « V-Person ist eine Person, die, ohne einer Strafverfolgungsbehörde anzugehören, bereit ist, diese bei der Aufklärung von Straftaten auf längere Zeit vertraulich zu unterstutzen, und deren Identität grundsätzlich geheimgehalten wird ».
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[4]
Dans les deux cas, il s'agissait néanmoins d'infractions à la législation sur les stupéfiants.
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[5]
BGH, 11 déc. 2013 - 5 StR 240/13 (LG Berlin) ; NStZ 5/2014, p. 277 à 281 ; M. Jahn, Lockspitzeleinsatz, JuS 2014, 371-376.
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[6]
BGH, 18 nov. 1999 - 1 StR 221/99 (LG München I) ; H. Kudlich (Dr.), Unzulässiger Einsatz eines Lockspitzels gegen einen Unverdächtigen (BGH NJW 2000. 1123), JuS 2000, 951 ; T. Rönnau (Prof.), Grundwissen, Agent provocateur, JuS 2015, 19 ; Strafzumessungslösung auch bei konventionswidrigem Lockspitzeleinsatz, BGH Urt. v. 18.11.1999 (mit Anm. v. RA R. Endriss u. Dr. J. Kinzig), NStZ 2000, 269.
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[7]
NJW 15/2015, p. 1083 à 1086 ; K. Leipold, S. Beukelmann, Folgen einer rechtsstaatswidrigen Tatprovokation durch Lockspitzel, NJW-Spezial 5/2015, p. 152 ; Redaktion beck-aktuell, Nachrichten, Pressemitteilungen, Fachnews zum BVerfG, Beschl. v. 18.12.2014 ; obs. U. Eisenberg, StraFo 2015, 100 ;
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[8]
BGH, 11 déc. 2013 - 5 StR 240/13 (LG Berlin), v. supra.
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[9]
Rapport sur la procédure pénale dit rapport Beaume, juill. 2014, 89 p.
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[10]
Cons. const., 25 mars 2014, n° 2014-693 DC.
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[11]
Art. 2 al. 1 de la Loi fondamentale : « Chacun a droit au libre épanouissement de sa personnalité pourvu qu'il ne viole pas les droits d'autrui ni n'enfreigne l'ordre constitutionnel ou la loi morale ».
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[12]
Art. 20 al. 3 de la Loi fondamentale : « Le pouvoir législatif est lié par l'ordre constitutionnel, les pouvoirs exécutif et judiciaire sont liés par la loi et le droit ».
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[13]
Décis. du 18 déc. 2014, op. cit., n° 41.
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[14]
V. supra, nbp 5.
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[15]
§ 136a - Verbotene Vernehmungsmethoden ; Beweisverwertungsverbote
« (1) Die Freiheit der Willensentschliessung und der Willensbetätigung des Beschuldigten darf nicht beeinträchtigt werden durch Misshandlung, durch Ermüdung, durch körperlichen Eingriff, durch Verabreichung von Mitteln, durch Quälerei, durch Täuschung oder durch Hypnose. Zwang darf nur angewandt werden, soweit das Strafverfahrensrecht dies zulässt. Die Drohung mit einer nach seinen Vorschriften unzulässigen Massnahme und das Versprechen eines gesetzlich nicht vorgesehenen Vorteils sind verboten.
(2) Massnahmen, die das Erinnerungsvermögen oder die Einsichtsfähigkeit des Beschuldigten beeinträchtigen, sind nicht gestattet.
(3) Das Verbot der Absätze 1 und 2 gilt ohne Rücksicht auf die Einwilligung des Beschuldigten. Aussagen, die unter Verletzung dieses Verbots zustande gekommen sind, dürfen auch dann nicht verwertet werden, wenn der Beschuldigte der Verwertung zustimmt. » -
[16]
CEDH, 23 oct. 2010, req. n° 54648/09, Furcht v. Germany ; EGMR : unzulässige Tatprovokation (Anm. A. Petzsche, wiss. Mit.), JR 2015, 81-91 ; EGMR : unzulässige Tatprovokation (Anm. RA J. Hauer), NJ 2015, 201 ; EGMR, Entscheidung v. 23 oct. 2014 (mit Anm. Prof. U. Sommer), StraFo 2014, 504 ; Redaktion beck-aktuell, Nachrichten, Pressemitteilungen, Fachnews zum BVerfG, Beschl. v. 18 déc. 2014.
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[17]
CEDH, Furcht v. Allemagne, n° 46.
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[18]
V. supra.
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[19]
V. § 50 de la décision : « The Court will rely on whether there were objective suspicions that the applicant had been involved in criminal activity or was predisposed to commit a criminal offence ».
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[20]
V. § 59 de la décision.
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[21]
V. § 68 et 69 de la décision.
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[22]
BGH v. 10.6.2015 (2StR 97/14), Redaktion Beck-Aktuell, Nachrichten, Pressemitteilungen, Fachnews, BGH v. 10 juin 2015 (2StR 97-14).