Notes
-
[1]
Sur cette évolution, v. H. Vlamynck, La garde à vue du code d'instruction criminelle à nos jours, AJ pénal 2008. 257.
-
[2]
Loi n° 2011-392 du 14 avr. 2011 relative à la garde à vue, JO n° 89, 15 avr. 2011, p. 6610.
-
[3]
C. pr. pén., art. 62, al. 2 dans sa version en vigueur jusqu'au 2 juin 2014.
-
[4]
Les sages ont admis le principe même de l'audition libre de la personne suspectée dans le cadre d'une enquête de flagrance, à condition qu'elle soit en retour informée de la nature et de la date de l'infraction ainsi que de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie (Cons. const., 18 nov. 2011, n° 2011-191/194/195/196/197 QPC, D. 2011. 3034, note H. Matsopoulou ; ibid. 3005, point de vue E. Vergès ; ibid. 2012. 1638, obs. V. Bernaud et N. Jacquinot ; AJ pénal 2012. 102, obs. J.-B. Perrier ; RSC 2012. 185, obs. J. Danet ; ibid. 217, obs. B. de Lamy ; Dr. pénal 2012. Étude 4, note J. Leroy ; Gaz. Pal. 20 nov. 2011, p. 18, note O. Bachelet). Ces garanties bien maigres - pour ne pas dire illusoire concernant le « droit de s'en aller » - furent par la suite étendues à l'audition libre menée dans le cadre de l'enquête préliminaire (Cons. const., 18 juin 2012, n° 2012-257 QPC, AJ pénal 2012. 602, obs. J.-B. Perrier ; Constitutions 2012. 442, chron. A. Darsonville ; RSC 2013. 441, obs. B. de Lamy ; ibid. 842, obs. X. Salvat).
-
[5]
On peut citer, parmi de nombreuses contributions, D. Thomas, Le suspect en quête d'un statut procédural, in Mélanges Michel Cabrillac, Litec, 1999, p. 823 ; F. Defferrard, Le suspect dans le procès pénal, LGDJ, coll. Systèmes, 2005 ; E. Vergès, L'enquête pénale au cœur d'un changement de paradigme : le statut et les droits de la personne mise en cause dans la procédure pénale, Rev. pénit. 2009. 837 ; D. Père, Pour une réflexion sur le statut juridique du suspect, D. 2010. 1638 ; E. Mathias, Pour une loi des suspects… libres (à propos du projet de loi relatif à la garde à vue), Dr. pénal 2011. Étude 6. V. aussi les références citées par E. Vergès, Le statut juridique du suspect : un premier défi pour la transposition du droit de l'Union européenne en procédure pénale, Dr. pénal 2014. Étude 15.
-
[6]
V. le nouvel art. 61-1 C. pr. pén. applicable à l'audition menée dans le cadre d'une enquête de flagrance, auquel renvoient les art. 77 (pour l'enquête préliminaire) et 154 (pour l'exécution d'une commission rogatoire), ainsi que l'art. 67 F C. douanes (pour une enquête douanière).
-
[7]
V. A. Botton, Droit à l'information dans le cadre des procédures pénales : un projet de loi contrasté, D. 2014. 431 ; N. Le Coz, L'audition des personnes soupçonnées dans les enquêtes pénales, la loi du 27 mai 2014, AJ pénal 2014. 320 ; S. Pellé, Garde à vue : la réforme de la réforme (acte I), D. 2014. 1508 ; R. Ollard, Quel statut pour le suspect au cours de l'enquête pénale ? À propos de la loi du 27 mai 2014, JCP 2014. Doctr. 912 ; G. Taupiac-Nouvel et A. Botton, La réforme de l'information en procédure pénale, JCP 2014. Doctr. 802 ; E. Vergès, Le statut juridique du suspect : un premier défi pour la transposition du droit de l'Union européenne en procédure pénale, art. préc.
-
[8]
Comp. J. Pradel, L'enquête pénale aujourd'hui. Vers une stabilisation dans l'équilibre ?, D. 2014. 1647.
-
[9]
Le Conseil constitutionnel refuse par principe de contrôler la constitutionnalité des lois qui ne font que transposer une directive européenne, conformément au respect de l'exigence constitutionnelle de transposition des directives (Cons. const., 10 juin 2004, n° 2004-496 DC, consid. 7, AJDA 2004. 1534, note J. Arrighi de Casanova ; ibid. 1937 ; ibid. 1385, tribune P. Cassia ; ibid. 1497, tribune M. Verpeaux ; ibid. 1537, note M. Gautier et F. Melleray, note D. Chamussy ; ibid. 2261, chron. J.-M. Belorgey, S. Gervasoni et C. Lambert ; D. 2005. 199, note S. Mouton ; ibid. 2004. 1739, chron. B. Mathieu ; ibid. 3089, chron. D. Bailleul ; ibid. 2005. 1125, obs. V. Ogier-Bernaud et C. Severino ; RFDA 2004. 651, note B. Genevois ; ibid. 2005. 465, étude P. Cassia ; RTD civ. 2004. 605, obs. R. Encinas de Munagorri ; RTD eur. 2004. 583, note J.-P. Kovar ; ibid. 2005. 597, étude E. Sales ; Cons. const., 12 mai 2010, n° 2010-605 DC, spéc. consid. 17-18, AJDA 2010. 1048 ; D. 2010. 1321, note A. Levade ; ibid. 1229, chron. P. Fombeur ; ibid. 1234, chron. P. Cassia et E. Saulnier-Cassia ; ibid. 1495, chron. V. Lasserre-Kiesow et P. Le More ; RFDA 2010. 458, note P. Gaïa ; Constitutions 2010. 363, obs. A.-M. Le Pourhiet ; ibid. 387, obs. A. Levade ; Rev. crit. DIP 2011. 1, étude D. Simon ; RTD civ. 2010. 499, obs. P. Deumier). Encore faut-il toutefois que le législateur se limite à transposer fidèlement le contenu de la directive concernée, ce qui a permis au Conseil de se prononcer a posteriori sur la validité de l'art. 4 de la loi du 27 mai 2014, en ce qu'il modifiait les art. 706-73, 8° bis, et 706-88, al. 1 à 5 C. pr. pén. (Cons. const., 9 oct. 2014, n° 2014-420/421 QPC, consid. 14-16, AJ pénal 2014. 574, note J.-B. Perrier ; D. 2014. 2278, note A. Botton ; RevDH/ADL, 30 oct. 2014, note M. Touillier, http://revdh.revues.org/908).
-
[10]
Cette feuille de route, adoptée par le Conseil dans une résolution du 30 nov. 2009 (JOUE C 295, 4 déc. 2009), a été intégrée au programme de Stockholm approuvé par le Conseil européen le 11 décembre 2009 pour définir les priorités de l'Union européenne dans le domaine de la justice, de la liberté et de la sécurité pour la période 2010-2014 (Une Europe ouverte et sûre qui sert et protège les citoyens, JOUE C 115, 4 mai 2010). S. Manacorda, Le droit pénal sous Lisbonne : vers un meilleur équilibre entre liberté, sécurité et justice ?, RSC 2010. 945.
-
[11]
Ce processus par étapes fait suite au refus du Conseil d'adopter à l'époque la proposition de décision-cadre relative aux droits des accusés déposée par la Commission européenne le 28 avr. 2004 (COM(2004) 328 final), qui prévoyait d'instituer en un bloc les droits procéduraux contenus dans la feuille de route. Avec l'adoption du Traité de Lisbonne, le Conseil a substitué à cette approche globale une démarche progressive, traduite par les différentes mesures décrites dans la feuille de route (P. Beauvais,Nouvelle harmonisation des droits de l'accusé dans la procédure pénale, RTD eur. 2012. 881).
-
[12]
L'entrée en vigueur des règles transposant la directive 2013/48/UE du 22 oct. 2013 a été différée au 1er janv. 2015 en raison de l'échéance plus lointaine - le 27 nov. 2016 - qui la concerne. Il en est résulté quelques incohérences regrettables dans la consécration du droit pour le suspect libre à être assisté d'un avocat (J.-B. Perrier, La transposition tardive de la notification du droit du suspect libre à l'assistance d'un avocat, D. 2014. 1160).
-
[13]
Mireille Delmas-Marty voit dans les attentats du 11 sept. 2001 l'événement déclencheur d'un « ralliement des principaux partis politiques à un durcissement immédiat et spontané » de la politique pénale française, qui ne s'est pas limité au terrorisme comme on aurait pu l'espérer, mais s'est étendu à tous les domaines de la criminalité (Libertés et sûretés dans un monde dangereux, Seuil, coll. La couleur des idées, 2010, p. 20-21). Les derniers attentats perpétrés sur le sol français (aff. Merah en 2012, Nemmouche en 2014 et tout récemment Charlie Hebdo) ne font que confirmer cette tendance de nos parlementaires à brandir à l'unisson l'arme pénale au nom d'un droit à la sécurité.
-
[14]
Sur les objectifs poursuivis par les réformes de la procédure pénale, v. E. Vergès, Le procureur de la République financier : entre projet politique et recherche de l'efficacité, RSC 2014. 143.
-
[15]
Le texte dépasse même le champ de la procédure pénale stricto sensu, puisqu'il consacre un chapitre - quoique composé d'un seul article - aux dispositions relatives à l'accès aux preuves des personnes détenues lorsqu'elles font l'objet de poursuites devant la commission disciplinaire (art. 11).
-
[16]
La première révolution de la procédure pénale contemporaine intervint plus précisément en 1791, lorsque les révolutionnaires instaurèrent une procédure de jugement des crimes inspirée du modèle anglais. Pour une présentation, v. J.-M. Carbasse, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, 3e éd., PUF, coll. Droit fondamental, 2014, n° 222.
-
[17]
J. Pradel, Centenaire de la loi du 8 décembre 1897 sur la défense avant jugement pénal : essai d'un bilan, D. 1997. 375.
-
[18]
La véritable « révolution » provenait à cet égard de la loi n° 93-2 du 4 janv. 1993, qui consacrait pour la première fois le droit à un entretien avec l'avocat dès le début de la garde à vue, mais elle fut si vite contenue par la loi n° 93-1013 du 24 août qu'il est difficile de citer la première sans évoquer aussitôt la seconde.
-
[19]
Même si la « révolution » attendue avec cette réforme n'a répondu que partiellement à celle engagée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (v. not. H. Matsopoulou, Une réforme inachevée. À propos de la loi du 14 avril 2011, JCP 2011. 908).
-
[20]
Cass., ass. plén., 15 avr. 2011, n° 10-17.049, n° 10-30.313, n° 10-30.316 et n° 10-30.242, D. 2011. 1080, et les obs. ; ibid. 1128, entretien G. Roujou de Boubée ; ibid. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; ibid. 2012. 390, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot ; AJ pénal 2011. 311, obs. C. Mauro ; Constitutions 2011. 326, obs. A. Levade ; RSC 2011. 410, obs. A. Giudicelli ; RTD civ. 2011. 725, obs. J.-P. Marguénaud ; Gaz. Pal. 17 avr. 2011, p. 10, note O. Bachelet. Sur la portée « révolutionnaire » de ces arrêts, débordant le champ de la procédure pénale, v. spéc. Ph. Jestaz, J.-P. Marguénaud et Ch. Jamin, Révolution tranquille à la Cour de cassation, D. 2014. 2061.
-
[21]
Sur ce point, v. not. G. di Marino, La redistribution des rôles dans la phase préparatoire du procès pénal, in Mélanges Jean Pradel, Cujas, 2006, p. 317 ; G. Giudicelli-Delage, La figure du juge de l'avant-procès entre symboles et pratiques, op. cit., p. 335.
-
[22]
F. Poirat, Révolution, in D. Alland et S. Rials (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Lamy-PUF, coll. Quadrige, 2003, p. 1362. L'auteur indique que « pour les sciences humaines, de manière générale et indéterminée, constitue une révolution toute mutation radicale d'un ordre établi ».
-
[23]
V. not. J. Pradel, Les personnes suspectes ou poursuivies après la loi du 15 juin 2000. Évolution ou révolution ?, D. 2001. 1039 ; Y. Muller-Lagarde, La réforme de la procédure pénale : évolution ou révolution ? Synthèse des débats, Gaz. Pal. 20 août 2009, p. 34 ; P. Gagnoud et L. Robert, Réforme de la garde à vue : évolution ou révolution ? Premier aperçu de la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011, Gaz. Pal. 20 mai 2011, p. 13.
-
[24]
Face à la propension du législateur à remettre sans cesse l'ouvrage sur le métier, certains auteurs en sont venus à voir dans la réforme de la procédure pénale une « révolution permanente » (A. Laingui, Une révolution permanente : la réforme de la procédure pénale française (1780-1958), in Livre du bicentenaire du Code pénal et du Code d'instruction criminelle, Dalloz, 2010, p. 73).
-
[25]
La création de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 en offre un bon exemple (v. not. P.-J. Delage, La comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité : quand la pratique ramène à la théorie, D. 2005. 1970 ; A. Valoteau, Le jugement sur reconnaissance préalable de culpabilité : une autre procédure de jugement ou une autre manière de juger ?, Dr. pénal 2006. Étude 8).
-
[26]
J.-P. Jean, Les réformes pénales 2000-2010 : entre inflation législative et révolutions silencieuses, Regards sur l'actualité, La Documentation française, 2010, n° 357, p. 8.
-
[27]
Ainsi de la loi du 4 janv. 1993 préc. et de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, qui furent l'une et l'autre suivies, quelques mois seulement après leur promulgation, d'une loi revenant sur une partie de leur contenu. Mais n'est-ce pas le propre des révolutions, une fois retombé le choc provoqué par leur survenance ?
-
[28]
La multiplication des procédures spéciales visant à accélérer ou durcir le traitement de certaines affaires pénales par dérogation au droit commun témoigne, à cet égard, d'une évolution préoccupante de la procédure pénale vers une recherche sans cesse accrue d'efficacité (sur cette question, v. M. Touillier, L'évolution des procédures spéciales et dérogatoires, Problèmes actuels de sciences criminelles, PUAM, vol. XXIV, 2013, p. 35 et plus largement notre thèse, Procédure pénale de droit commun et procédures pénales spéciales, Th. Univ. Montpellier 1, 2012, spéc. n° 392 s.).
-
[29]
Que l'on songe aux personnes handicapées, aux personnes en fin de vie ou, en matière pénale, aux personnes détenues, auxquelles la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 a fini par accorder des droits au regard de leur « condition » (titre Ier de la loi), à défaut de leur octroyer un véritable statut.
-
[30]
Pour reprendre l'expression employée dans la significative « loi des suspects » du 17 sept. 1793 (J.-M. Carbasse, op. cit., n° 225).
-
[31]
Le suspect désigne alors toute personne mise en cause dans une affaire pénale en raison de l'existence de charges à son encontre, que ce soit au stade de l'enquête policière, de l'instruction préparatoire ou même du jugement (comp. Ch. Guéry, L'avenir du suspect, AJ pénal 2005. 232).
-
[32]
Etre suspect ou suspecté, c'est prêter au soupçon, donc faire l'objet d'une opinion défavorable, qu'elle repose sur un apriorisme ou sur des indices indiscutables.
-
[33]
La loi du 24 août 1993 décida toutefois de différer le bénéfice de ce droit à l'issue de la vingtième heure.
-
[34]
CEDH, gr. ch., 27 nov. 2008, Salduz c/ Turquie, n° 36391/02, AJDA 2009. 872, chron. J.-F. Flauss ; Dr. pénal 2009. Chron. 4, obs. E. Dreyer ; ibid. 2010. Chron. 1, obs. D. Guérin ; JCP 2009. 104, obs. F. Sudre ; CEDH, 13 oct. 2009, n° 7377/03, Dayanan c/ Turquie, D. 2009. 2897, note J.-F. Renucci ; AJ pénal 2010. 27, étude C. Saas ; RSC 2010. 231, obs. D. Roets ; Dr. pénal 2010. Chron. 1, obs. D. Guérin, et chron. 3, obs. E. Dreyer.
-
[35]
Cons. const., 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC, AJDA 2010. 1556 ; D. 2010. 1928, entretien C. Charrière-Bournazel ; ibid. 1949, point de vue P. Cassia ; ibid. 2254, obs. J. Pradel ; ibid. 2696, entretien Y. Mayaud ; ibid. 2783, chron. J. Pradel ; ibid. 2011. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; AJ pénal 2010. 470, étude J.-B. Perrier ; Constitutions 2010. 571, obs. E. Daoud et E. Mercinier ; ibid. 2011. 58, obs. S. De La Rosa ; RSC 2011. 139, obs. A. Giudicelli ; ibid. 165, obs. B. de Lamy ; ibid. 193, chron. C. Lazerges ; RTD civ. 2010. 513, obs. P. Puig ; ibid. 517, obs. P. Puig ; Dr. pénal 2010, comm. 113, obs. A. Maron et M. Haas, et 2011. Chron. 7, obs. V. Lesclous ; Gaz. Pal. 4 août 2010, p. 14, note O. Bachelet.
-
[36]
C. pr. pén., art. 62, al. 2, et art. 78, al. 1er, dans leur version en vigueur jusqu'au 2 juin 2014.
-
[37]
Cons. const. 18 nov. 2011, décis. préc. ; Cons. const. 18 juin 2012, décis. préc.
-
[38]
Outre la garde à vue, il peut s'agir formellement de prélèvements externes nécessaires à la réalisation d'examens techniques et scientifiques (C. pr. pén., art. 55-1) ou de contrôles d'identité de police judiciaire (C. pr. pén., art. 78-2, al. 1er), mais on peut considérer, de manière générale, que le recours à une mesure intrusive ou contraignante dans le cadre d'une enquête préliminaire ou de flagrance suppose nécessairement l'existence de soupçons à l'encontre de l'intéressé (a fortiori s'agissant de ce second cadre d'investigation).
-
[39]
C. pr. pén., art. 80-1, al. 1er.
-
[40]
C. pr. pén., art. 113-1 s..
-
[41]
C. pr. pén., art. 176.
-
[42]
Pour reprendre les termes de l'art. 177, al. 1er, C. pr. pén., puisque rien n'est formellement requis en l'absence d'ouverture d'une instruction.
-
[43]
Il suffit, pour s'en apercevoir, de comparer la formulation indistincte des art. 2.1 et 3 de la directive du 22 mai 2012 avec les droits supplémentaires qu'elle accorde aux suspects ou aux personnes poursuivies en cas d'arrestation et/ou de détention (art. 4 et 7) et, pour s'en convaincre, de lire l'art. 2 de la directive du 22 oct. 2013.
-
[44]
Sur ce point, v. J. Alix, Les droits de la défense au cours de l'enquête de police après la réforme de la garde à vue : état des lieux et perspectives, D. 2011. 1699.
-
[45]
E. Vergès, Le statut juridique du suspect : un premier défi pour la transposition du droit de l'Union européenne en procédure pénale, art. préc., § 1.
-
[46]
Ch. Guéry, L'avenir du suspect, art. préc.
-
[47]
Pour une présentation, v. E. Vergès, Emergence européenne d'un régime juridique du suspect, une nouvelle rationalité juridique, RSC 2012. 635.
-
[48]
C. pr. pén., art. 62, al. 1er. Il ne bénéficie alors d'aucun droit et peut même être retenu sous la contrainte pendant une durée maximale de quatre heures en cas de nécessité.
-
[49]
Telle est, en tout cas, l'orientation voulue par la circulaire du 19 déc. 2014 de présentation des dispositions de la loi applicables à compter du 1er janv. 2015 (NOR : JUSD1430472C), qui n'hésite pas à étendre à l'individu entendu librement ou à son avocat le bénéfice du droit d'accès à certaines pièces du dossier ou de la remise de la déclaration des droits, alors même que la loi ne l'a pas prévu (v. S. Pellé, Conflits de normes et interprétations créatrices de la loi. Réflexions à partir de l'évolution du droit de la garde à vue, D. 2015. 333).
-
[50]
C. pr. pén., art. 62, al. 3.
-
[51]
C. pr. pén., art. 61-1, dern. al., et 62, dern. al..
-
[52]
La loi a par là même mis un terme à la position restrictive de la Cour de cassation, qui refusait d'étendre la notification du droit de se taire et de ne pas s'accuser à l'audition libre menée dans le cadre d'une enquête préliminaire pour une infraction non punie d'emprisonnement (Crim., 3 avr. 2013, n° 11-87.333, Bull. crim. n° 72, D. 2013. 1005 ; AJ pénal 2013. 411, obs. L. Ascensi ; RSC 2013. 842, obs. X. Salvat ; Dr. pénal 2013, comm. n° 82, note A. Maron et M. Haas).
-
[53]
Mais aussi pour la victime, qui pourra également demander à être assistée par un avocat en cas de confrontation avec la personne entendue librement (C. pr. pén., art. 61-2).
-
[54]
Art. 2 § 1. Sur ce point, v. E. Vergès, Le statut juridique du suspect : un premier défi pour la transposition du droit de l'Union européenne en procédure pénale, art. préc., § 15.
-
[55]
Cette série d'informations se substitue à « la nature et la date présumée » de l'infraction qu'exigeait auparavant l'article 63-1 C. pr. pén. (et le Conseil constitutionnel concernant l'audition libre).
-
[56]
Ce document, appelé « déclaration des droits », aura en réalité vocation à être remis à toute personne suspectée ou poursuivie soumise à une mesure privative de liberté (C. pr. pén., art. 803-6).
-
[57]
C. pr. pén., art. 63-1.
-
[58]
En ce sens, v. déjà O. Bachelet, Droits de la défense : transposition ambivalente de la « directive information », Gaz. Pal. 1er févr. 2014, p. 9.
-
[59]
Un exemple en est donné avec le défèrement de la personne poursuivie en matière correctionnelle, longtemps assimilable à une zone de « non-droit », et qui devient de plus en plus réglementé avec la loi (v. l'art. 393 C. pr. pén.), au point que l'ossature de la phase d'orientation de l'action publique s'en trouve renouvelée.
-
[60]
Comp. E. Vergès, Emergence européenne d'un régime juridique du suspect, une nouvelle rationalité juridique, art. préc., où l'auteur appelle de ses vœux l'adoption d'un régime juridique harmonisé indépendamment des phases de la procédure.
-
[61]
Pour reprendre l'un des sens attachés au terme « évolution » par le Dictionnaire Lalande (Vocabulaire technique et critique de la philosophie, 10e éd., PUF, coll. Quadrige, 2010, p. 311).
-
[62]
Ce qualificatif a d'abord été employé par R. Ollard, art. préc., § 10.
-
[63]
Sur cette fâcheuse habitude, v. déjà J.-P. Marguénaud, La dérive de la procédure pénale française au regard des exigences européennes, D. 2000. 249.
-
[64]
E. Vergès, Emergence européenne d'un régime juridique du suspect, une nouvelle rationalité juridique, art. préc. V. également E. Barbe, L'influence du droit de l'Union européenne sur le droit pénal français : de l'ombre à la lumière, AJ pénal 2011. 438.
-
[65]
Art. 4, j), TFUE.
-
[66]
Pour un exemple comparable en matière d'harmonisation des droits des victimes, v. la directive 2012/29/UE du 25 oct. 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité (P. Beauvais, Nouvelle directive sur les droits des victimes, RTD eur. 2013. 805 ; E. Vergès, Un corpus juris des droits des victimes : le droit européen entre synthèse et innovations, RSC 2013. 121).
-
[67]
Selon l'art. 82, § 2, du TFUE, les normes minimales doivent tenir compte des différences entre les traditions et systèmes juridiques des États membres.
-
[68]
V. par ex. la directive 2014/41/UE du 3 avr. 2014 concernant la décision d'enquête européenne en matière pénale (JOUE, 1er mai 2014, L. 130/1).
-
[69]
E. Vergès, Un corpus juris des droits des victimes : le droit européen entre synthèse et innovations, art. préc.
-
[70]
Sur ces évolutions, v. S. Manacorda, « L'âge de la maturité » : stabilisation et traits conservateurs dans la politique pénale de l'Union européenne, RSC 2013. 931.
-
[71]
O. Bachelet, art. préc.
-
[72]
R. Ollard, art. préc., spéc. § 12.
-
[73]
On aura deviné l'allusion à la comparution sur reconnaissance préalable, sorte de « plaider coupable » à la française, dont les inconvénients sur le plan des garanties procédurales n'ont pas empêché le législateur d'en généraliser l'application en matière correctionnelle - à quelques exceptions près (v. l'art. 495-7 C. pr. pén., modifié par la loi n° 2011-1862 du 13 déc. 2011) -, au risque d'en faire une dangereuse rivale de la procédure ordinaire de jugement.
-
[74]
V. en dernier lieu l'arrêt rendu par la CEDH dans l'affaire des attentats de Londres de 2005, dans lequel elle a estimé que le droit à un procès équitable n'avait pas été violé par le fait, pour les autorités nationales, d'avoir admis au procès des dépositions faites durant les interrogatoires de police avant que les requérants aient pu avoir accès à un avocat, dès lors qu'ils ont ensuite eu la possibilité de contester ces aveux et la force probante des autres éléments à charge (CEDH, 16 déc. 2014, n° 50541/08, 50571/08, 50573/08 et 40351/09, Ibrahim et autres c/ Royaume-Uni, D. actualité, 19 déc. 2014, obs. A. Portmann).
-
[75]
Les arrêts rendus par la Cour de cassation au sujet de la géolocalisation en fournissent une illustration intéressante, en ce qu'ils ont accéléré l'encadrement de cette mesure par la loi n° 2014-372 du 28 mars 2014 (v. E. Vergès, Construire la norme en procédure pénale : une étude des techniques juridiques à travers un cas symptomatique, la géolocalisation, RSC 2014. 599).
-
[76]
Ph. Malaurie, La révolution des sources, Defrénois, 2006, n° 20 p. 1552.
-
[77]
En ce sens, v. E. Vergès, L'enquête pénale au cœur d'un changement de paradigme : le statut et les droits de la personne mise en cause dans la procédure pénale, art. préc.
-
[78]
Elle ne semble pas en mesure d'être accomplie par les propositions trop timorées de la commission Beaume sur les évolutions possibles de la procédure pénale.
-
[79]
Sur ce point, v. J.-P. Jean, Les réformes pénales 2000-2010 : entre inflation législative et révolutions silencieuses, art. préc.
Le statut du suspect à l'ère de l'européanisation de la procédure pénale : entre « petite » et « grande » révolutions. (Loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales)
1« Vous êtes là parce que vous êtes soupçonné. Oui c'est comme ça : de témoin vous êtes devenu suspect. De fil en aiguille. Il y a eu quelque part comme un glissement, voyez-vous ? D'ailleurs je suis sûr que ça ne vous a pas échappé ».
2 À la lecture de cet extrait du célèbre film Garde à vue (1981), comment ne pas voir dans le « glissement » évoqué par l'inspecteur Gallien une invitation à réfléchir sur la situation du suspect, au lendemain de l'adoption de la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales (JO n° 123, 28 mai 2014, p. 8864) ? C'est qu'à la différence de l'individu mis en cause dans cette histoire, qui ne pouvait revendiquer aucun droit du fait d'un tel glissement, des droits sont désormais accordés au suspect, qu'il soit entendu librement ou sous la contrainte des enquêteurs.
3 Chacun sait qu'au cours des vingt dernières années, le législateur s'est employé à améliorer la situation de la personne placée en garde à vue en lui attribuant progressivement, mais non sans saccades et modulations, le droit à un examen médical, le droit de faire prévenir un proche et son employeur, le droit au silence et, surtout, le droit la consultation, puis à l'assistance d'un avocat [1]. Longtemps laissé pour compte de cette partition législative chaotique, l'individu mis en cause dans le cadre d'une audition libre a quant à lui fini par obtenir l'inscription d'un « garde-fou » dans le Code de procédure pénale, à l'occasion de la réforme de la garde à vue en 2011 [2] : l'impossibilité d'être maintenu sous la contrainte à la disposition des enquêteurs autrement que sous le régime de la garde à vue [3]. Devant l'insuffisance de cette garantie, le Conseil constitutionnel dut par la suite reconnaître lui-même quelques droits en faveur du suspect qui consentait à être entendu librement [4].
4La protection accordée au suspect n'en demeurait pas moins faible et, surtout, manifestement inégale selon qu'il était privé de liberté ou non. En dépit des invitations de la doctrine à mener une réflexion approfondie sur le statut juridique du suspect [5], le législateur se refusait jusqu'à présent à aller plus loin, par crainte semble-t-il d'amoindrir l'efficacité d'une répression qui s'accommode mal, dans son esprit, d'une considération identique pour la protection des droits des individus mis en cause.
5La loi du 27 mai 2014 rompt avec ce « mal français » en attribuant enfin un statut au suspect lors de l'enquête, grâce aux droits qui lui seront dorénavant accordés en cas d'audition libre [6], donc sur la base de l'existence de soupçons à son encontre et non plus seulement en raison de l'exercice d'une mesure de contrainte. La loi nouvelle ne se distingue toutefois pas par ce seul apport et prétend plus généralement renforcer le droit à l'information des personnes suspectées ou poursuivies dans le cadre des procédures pénales, conformément à l'objectif assigné par la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 (JOUE L 142, 1er juin 2012) qu'elle transpose.
6Le texte législatif appelle, dès lors, un examen plus large pour en apprécier toutes les potentialités ainsi que les insuffisances au regard de la directive et des attentes qu'il a générées. D'abondants commentaires ayant déjà suivi la promulgation de la loi [7], l'occasion est donnée de tirer profit des quelques mois passés depuis son entrée en vigueur pour prendre du recul sur son contenu.
7 De révolution en révolution, telle pourrait être la formule employée pour décrire la progression actuelle de la procédure pénale française, tant il est vrai qu'elle ne semble plus avancer qu'au rythme des vents violents venus de Strasbourg ou, désormais aussi, de Bruxelles [8] lorsqu'il s'agit d'améliorer les droits des justiciables. La loi du 27 mai 2014 en offre une illustration saisissante, en ce qu'elle traduit non seulement un renouveau des règles relatives aux droits des personnes suspectées et, dans une moindre mesure, des personnes poursuivies, mais aussi un tournant dans l'élaboration des règles de la procédure pénale. C'est à ce double titre que la loi nouvelle appelle un bref détour sur le sens des révolutions en procédure pénale.
8 Quelques variations sur ce thème tiendront lieu de prolégomènes (I), afin d'ouvrir la voie à ce qui nous semble exprimer dans cette loi une « petite » (II) et une « grande » révolution (III) pour la procédure pénale.
I - Variations sur le thème des révolutions en procédure pénale
9L'on ne peut manquer d'observer, tout d'abord, que la loi du 27 mai 2014 a pour objet la transposition d'une directive européenne, ce qui explique en partie qu'elle ait échappé à un contrôle de constitutionnalité a priori [9]. Cette loi s'inscrit plus précisément dans un cycle de réformes destinées à transposer les directives récemment adoptées par le Parlement européen et le Conseil de l'UE en application de la « feuille de route du Conseil visant à renforcer les droits procéduraux des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales » [10]. La loi du 27 mai 2014 est, à ce titre, la deuxième d'une série initiée par la loi n° 2013-711 du 5 août 2013 ayant transposé, parmi d'autres engagements internationaux, la directive 2010/64/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 relative au droit à l'interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales (JOUE L 280, 26 oct. 2010), qui constituait la mesure A de cette feuille de route décomposée en six mesures [11].
10Entre-temps, deux autres directives européennes - la directive 2012/13/UE du 22 mai 2012 relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales et la directive 2013/48/UE du 22 octobre 2013 portant, notamment, sur le droit d'accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales (JOUE L 294, 6 nov. 2013) - sont respectivement venues traduire les mesures B et C de la feuille de route. La loi du 27 mai 2014 intervient principalement pour transposer la première de ces directives, vis-à-vis de laquelle le délai butoir avait été fixé au 2 juin 2014, même si elle adapte également certaines dispositions de la seconde [12].
11Il en résulte un texte résolument axé sur la protection des droits de la défense, ce qui, même après le changement de politique pénale annoncé par le président de la République élu en 2012, mérite d'être souligné tant il contraste avec les tendances sécuritaires du moment. Là où la plupart des lois de procédure pénale votées au cours des quinze dernières années poursuivent un objectif évident d'efficacité répressive, quelle que soit la majorité politique en place [13], la loi du 27 mai 2014 se démarque en effet sensiblement en ce qu'elle est tout entière tournée vers le renforcement des droits des parties [14], en l'occurrence ceux de l'individu mis en cause, à chaque étape de la procédure [15]. Pareille inclinaison pour les droits de la défense, au demeurant dictée par le droit de l'Union européenne, ne suffit-elle pas à voir dans la loi nouvelle une véritable révolution pour la procédure pénale ? Pour prévisible qu'elle puisse paraître, la question mérite d'être posée, sinon provoquée, car le terme « révolution » a été éprouvé à tant de reprises en procédure pénale que l'on peut légitimement s'interroger sur le sens qu'il revêt encore en ce domaine.
12Sans doute des révolutions, la procédure pénale en a-t-elle déjà connu, et non des moindres depuis « la » Révolution de 1789 [16]. Que l'on songe à l'entrée de l'avocat dans le cabinet du juge d'instruction, fruit de la « grande révolution de 1897 » [17], ou dans les locaux de police ou de gendarmerie, d'abord pour s'entretenir avec la personne gardée à vue avec les lois du 4 janvier et du 24 août 1993 [18], puis pour lui apporter une assistance effective avec la loi du 14 avril 2011 [19], qui fut aussitôt suivie d'une autre « révolution », proprement jurisprudentielle cette fois, avec les arrêts d'Assemblée plénière du 15 avril ayant imposé le respect immédiat de ce droit [20]. Si elles concernaient des phases distinctes de la procédure pénale, les mesures introduites par ces différentes réformes ont eu pour effet commun de bouleverser les règles et pratiques en vigueur en raison du rééquilibrage opéré en faveur de l'individu mis en cause, qui conduisit par contrecoup à repenser le rôle et les attributions des autres acteurs du procès [21]. Autant de raisons d'y voir des révolutions pour la procédure pénale, au sens où elles engendrèrent une « remise en cause de l'état ancien » [22] du droit, nonobstant les résistances qu'elles suscitèrent.
13D'autres réformes ou projets de réforme de la procédure pénale n'ont pas manqué de diviser la doctrine autour de cette question devenue récurrente, posée en forme de jeu de mots - « évolution ou révolution ? » [23] -, comme si chaque intervention législative portait en elle la promesse d'une rupture avec le droit existant [24]. On ne sera dès lors pas surpris de constater que le terme « révolution » a fait l'objet d'emplois multiples et variés, que ce soit pour désigner l'importation de dispositifs jusque-là inconnus du droit français [25] ou des mouvements plus silencieux dans l'économie même du système pénal [26], au point d'en être inévitablement galvaudé. Malgré cette profusion d'usages, il semble que ce substantif ait avant tout été employé à propos des lois qui franchissaient une nouvelle étape - bien qu'elle soit parfois aussitôt freinée [27] - dans la protection des droits de l'individu mis en cause, comme si les avancées enregistrées en ce sens ne pouvaient être obtenues que de haute lutte ; comme si, surtout, les efforts à accomplir dans la poursuite de cet objectif de légitimité procédurale étaient moins naturels ou évidents aux yeux du législateur que ceux déployés en matière d'efficacité.
14À l'heure où la préséance est largement donnée à la recherche de l'efficacité en procédure pénale [28], c'est pour vérifier la pertinence de cette hypothèse que l'on souhaite à présent engager la réflexion autour du contenu de la loi du 27 mai 2014. Est-il le reflet d'une simple évolution ou d'une véritable révolution pour la procédure pénale ? La réponse semble plus que jamais se trouver à la croisée des chemins ouverts par cette alternative : entre « petite » et « grande » révolutions.
II - La reconnaissance d'un statut juridique du suspect : une « petite » révolution à parachever
15Depuis longtemps déjà, le suspect se trouvait au cœur des préoccupations de la procédure pénale, mais il ne l'était juridiquement que sous un jour défavorable ou presque, contredisant l'idée selon laquelle le Code de procédure pénale serait « le code des honnêtes gens ». De ce point de vue, la reconnaissance d'un statut juridique par la réforme constitue une avancée incontestable qu'il convient de saluer dans la mesure où elle apparaît comme l'aboutissement d'une longue quête pour l'individu mis en cause (A), même si la protection de ses droits est encore inaboutie (B).
A - L'aboutissement d'une longue quête pour l'individu mis en cause
16La reconnaissance d'un statut juridique du suspect constitue, à n'en pas douter, le fait marquant de la loi du 27 mai 2014. Sous l'effet de la directive du 22 mai 2012, cette loi arrache les personnes suspectées de la condition dans laquelle elles se trouvaient paradoxalement enfermées en cas d'audition libre, en leur accordant des droits propres à leur conférer une existence autonome en procédure pénale.
171. De la condition. L'histoire nous enseigne que, dans bien des cas, la quête d'un statut juridique s'apparente à un chemin semé d'embûches pour toute catégorie de personnes qui s'en trouve dépourvue et doit, au mieux, se contenter de voir sa condition juridique prise en compte par le législateur [29]. C'est tout particulièrement vrai concernant le suspect, auquel les révolutionnaires avaient réservé un sort infamant en désignant sous cette qualité les individus qui, sans avoir encore commis d'infraction, étaient considérés comme des opposants au régime politique ou des « ennemis de la liberté » [30]. Le passif historique de ce terme ne suffit cependant pas à expliquer les difficultés éprouvées par le suspect pour bénéficier d'un véritable statut juridique.
18 Envisagées àl'aune d'une acception large de la notion de suspect [31], ces difficultés semblent être à la fois consubstantielles au vocable lui-même, qui suscite d'abord la défiance avant d'exiger la bienveillance [32], et à la culture inquisitoriale qui caractérise encore la phase préparatoire de la procédure pénale. Dans ce système où une autre quête, celle de l'aveu, a été érigée en condition sine qua non de la manifestation de la vérité, la personne suspectée ne pouvait être perçue par les enquêteurs que comme un moyen pour parvenir à cette finalité ultime, à laquelle nul ne devait faire obstacle. Ainsi s'explique que le suspect ait d'abord été écarté de l'enquête et de l'instruction, avant d'accéder peu à peu à une condition juridique, avec tout ce que la référence à cette expression a de restrictif dans l'exercice des droits accordés à ce titre.
19Si, jusqu'en 1993, la personne suspectée au cours de l'instruction disposait du droit à l'assistance d'un avocat et d'un droit d'accès au dossier lorsqu'elle était mise en examen ou entendue en qualité de témoin assisté, aucun droit de la sorte ne lui était accordé au cours de l'enquête policière. Il a fallu attendre la loi du 4 janvier 1993 pour que soient admis, en cas de placement en garde à vue, le droit de faire avertir un proche, le droit à un examen médical et, surtout, le droit à s'entretenir avec un avocat dès la première heure [33]. La loi du 15 juin 2000 y ajouta le droit au silence et l'interdiction, pour les enquêteurs, de placer en garde à vue un simple témoin, sans pour autant changer la condition du suspect. Seule la contrainte inhérente à la garde à vue déterminait en effet l'octroi de droits en sa faveur, quand bien même l'article préliminaire du Code de procédure pénale - introduit par la même loi - affirmait que toute personne suspectée ou poursuivie « a le droit d'être informée des charges retenues contre elle et d'être assistée d'un défenseur ».
20Le Conseil constitutionnel aurait pu ouvrir la voie à la reconnaissance d'un statut du suspect lorsque, à la suite des arrêts Salduz et Dayanan rendus par la CEDH [34] et de l'entrée en vigueur de la question prioritaire de constitutionnalité, il censura les dispositions ordinaires relatives à la garde à vue [35]. Au lieu de saisir l'occasion qui leur était donnée de combler une lacune persistante de notre procédure pénale, la loi du 14 avril 2011 et le Conseil préférèrent toutefois consacrer, implicitement pour la première [36], explicitement pour le second [37], l'audition libre du suspect avec les maigres garanties que l'on connaît. C'est dire combien la loi du 27 mai 2014 arrive à un moment où l'on désespérait de voir le législateur changer de regard sur le suspect.
212. Au statut. De nos jours, la notion de suspect, entendue au sens strict, désigne essentiellement la personne mise en cause au cours de l'enquête policière, car l'existence de soupçons conditionne en principe la possibilité pour les enquêteurs de recourir à des mesures contraignantes ou intrusives à son encontre [38]. Corrélativement, les soupçons ne peuvent servir de fondement qu'à des opérations de ce type menées par les services de police ou de gendarmerie, agissant dans le cadre de l'enquête ou d'une commission rogatoire. Au-delà, il faut des indices graves ou concordants pour que le juge d'instruction puisse mettre en examen un individu [39] ou, à défaut, des indices ou éléments suffisants pour qu'il puisse l'entendre comme témoin assisté [40]. Le renvoi ou la mise en accusation devant la juridiction de jugement supposent, quant à eux, des « charges constitutives d'infraction » [41] ou, tout au moins, des » charges suffisantes » [42] à l'encontre du prévenu ou de l'accusé. Autant d'exigences qui témoignent d'une intensité accrue des charges pesant sur l'individu mis en cause et ouvrent droit à des statuts distincts de celui de suspect - ou à des « sous-statuts » si l'on retient une acception large de cette notion -, justifiant que lui soit alors attribuée la qualité de partie au procès.
22Le principal mérite de la loi du 27 mai 2014 est, à cet égard, de conférer un véritable statut au suspect en lui accordant des droits quel que soit le cadre dans lequel il est entendu au cours de l'enquête policière (audition libre ou garde à vue), même si la loi se garde de l'exprimer ainsi au moment de transposer la directive du 22 mai 2012 et, dans une moindre mesure, celle du 22 octobre 2013. En réalité, l'avancée enregistrée sur ce point est plutôt à mettre à l'actif des textes européens. Tout en distinguant nettement les « suspects » des « personnes poursuivies », les deux directives associent en effet l'octroi des droits de la défense à l'une ou l'autre de ces qualités, sans que la privation de liberté ne soit appelée à servir d'intermédiaire préalable [43].
23À l'instar de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme dont elles épousent la position, les normes minimales édictées par ces directives s'attachent d'abord à la situation de la personne suspectée ou poursuivie pour lui reconnaître le bénéfice de droits procéduraux, le fait que ce dernier soit privé de liberté ayant ensuite pour effet de renforcer le contenu de ses droits [44]. Ce faisant, et pour reprendre les termes du professeur Etienne Vergès, le droit de l'UE opère un changement de perspective par rapport au droit français, dans la mesure où il aménage un socle de droits communs à toute personne suspectée ou poursuivie, assorti de droits complémentaires pour les personnes privées de liberté [45]. Envisagé sous l'angle du droit interne, et plus particulièrement du point de vue du suspect, le changement est considérable par rapport à l'absence de prise en compte réelle dont il souffrait jusque-là. Reste à mesurer la portée de cette révolution au regard de l'étendue concrète de la protection accordée à l'individu mis en cause.
B - La protection inaboutie des droits de l'individu mis en cause
24En transposant formellement la directive du 22 mai 2012, la loi du 27 mai 2014 n'a pas seulement reconnu le statut du suspect en procédure pénale. Elle a plus généralement ouvert la voie à une protection complète des droits de l'individu mis en cause. C'est qu'en effet, la personne impliquée dans une affaire pénale voit désormais ses droits procéduraux évoluer tout au long du procès, en fonction des « paliers de la vraisemblance » [46] des charges qui pèsent sur elle. S'inspirant de la gradation à trois niveaux établie par la directive entre les personnes suspectées ou poursuivies, les personnes arrêtées ou détenues et les personnes arrêtées et détenues [47], le législateur s'est intéressé tour à tour aux personnes soupçonnées et ne faisant pas l'objet d'une garde à vue (chapitre Ier), aux personnes faisant l'objet d'une privation de liberté (chapitre II) et aux personnes poursuivies devant les juridictions d'instruction ou de jugement (chapitre III). À l'image de cette transposition approximative des catégories de personnes protégées, la loi se différencie cependant de la directive en ce qu'elle ne traduit qu'imparfaitement les normes minimales contenues dans le texte européen.
251. Concernant, en premier lieu, les personnes soupçonnées et ne faisant pas l'objet d'une garde à vue, le législateur a pris acte de la nécessité impérieuse qu'il y avait d'assortir l'audition libre d'un encadrement à la hauteur des exigences européennes. C'est donc ici que résident les aspects les plus novateurs de la loi. Procédant à une réécriture des dispositions du Code de procédure pénale relatives à ce type d'audition, le texte législatif opère une dissociation nette entre le témoin simple et le suspect. Alors que le premier est par principe entendu sans faire l'objet d'une mesure de contrainte [48], le second ne peut plus être entendu librement par les enquêteurs sans que lui soient notifiés au préalable les nouveaux droits listés par l'article 61-1 (droit d'être informé de la qualification, de la date et du lieu présumés de l'infraction dont il est soupçonné, droit de quitter à tout moment les locaux où il est entendu, droit d'être assisté par un interprète, droit au silence, droit de bénéficier de conseils juridiques dans une structure d'accès au droit et, à compter du 1er janvier 2015, droit d'être assisté par un avocat).
26Gageons que les enquêteurs prendront rapidement la mesure des efforts employés par le législateur pour éviter toute confusion des genres à l'avenir [49]. Une passerelle entre les deux statuts a néanmoins été prévue dans l'hypothèse où, au cours de l'audition d'une personne entendue librement comme témoin, il apparaîtrait des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction [50]. Des passerelles vers la garde à vue ont également été aménagées pour tenir compte de l'hypothèse où l'audition du suspect ou du témoin donnerait lieu à une rencontre plus ou moins inopinée entre contrainte et suspicion [51]. Encore faudra-t-il alors que l'infraction suspectée soit qualifiée de crime ou délit puni d'emprisonnement, sans quoi seule l'audition libre sera susceptible d'être employée par les enquêteurs [52].
27Bien qu'elles traduisent d'indéniables progrès pour les droits de la défense [53], les dispositions nouvelles ne peuvent prétendre pour autant consacrer pleinement le statut du suspect au cours de l'enquête policière. En effet, aucune mesure intrusive ou contraignante autre que la garde à vue n'a été prise en compte par la loi, alors même que la directive du 22 mai 2012 a vocation à s'appliquer indistinctement, « dès le moment où des personnes sont informées par les autorités compétences d'un État membre qu'elles sont soupçonnées d'avoir commis une infraction pénale » [54].
282. Concernant, en second lieu, les personnes faisant l'objet d'une privation de liberté, catégorie correspondant peu ou prou à celles des personnes arrêtées et/ou détenues dans la directive européenne, la loi du 27 mai 2014 consacre des améliorations intéressantes mais somme toute mineures. Celles-ci s'adressent avant tout aux personnes placées en garde à vue, que l'officier de police judiciaire devra désormais informer non seulement de la qualification, de la date et du lieu présumés de l'infraction [55], mais aussi des motifs justifiant leur placement en garde à vue. À ce devoir imposé à l'OPJ s'ajoute celui consistant à remettre à l'intéressé un document énonçant ses droits lors de la notification de la mesure [56].
29Le contenu de ces droits s'enrichit par ailleurs avec la possibilité accordée à la personne interrogée, si elle est de nationalité étrangère, de faire prévenir les autorités consulaires de l'État dont elle est ressortissante, de consulter elle-même les pièces du dossier autorisées par la loi (à savoir le procès-verbal de notification du placement, le certificat médical et les procès-verbaux d'audition) ou encore de présenter, suivant les cas, au procureur de la République ou au juge des libertés et de la détention des observations tendant à ce qu'il soit mis fin à la garde à vue avant sa prolongation éventuelle [57]. Cette dernière faculté présente un intérêt évident pour le droit à la sûreté du suspect, mais il y a fort à parier qu'elle ne produira guère d'effet en pratique, compte tenu de l'impossibilité pour le suspect ou son avocat d'accéder en temps utile à toutes les preuves matérielles à charge ou à décharge contenues dans le dossier [58].
30Le droit d'accès au dossier apparaît de ce point de vue encore en retrait par rapport aux exigences de la directive du 22 mai 2012, dont l'article 7 § 1 exhorte les États membres à veiller « à ce que les documents relatifs à l'affaire en question détenus par les autorités compétentes qui sont essentiels pour contester de manière effective conformément au droit national la légalité de l'arrestation ou de la détention soient mis à la disposition de la personne arrêtée ou de son avocat ».
313. S'agissant, en dernier lieu, des personnes poursuivies devant les juridictions d'instruction ou de jugement, les changements opérés par la loi sont encore plus limités. Ils consistent essentiellement dans l'information donnée selon les cas au témoin assisté, à l'individu faisant l'objet d'un interrogatoire de première comparution, à l'accusé ou au prévenu, de son droit au silence, du droit à l'interprétation et à la traduction des pièces essentielles du dossier, ainsi que du droit de se faire délivrer une copie des pièces et actes du dossier de la procédure, en particulier s'il n'a pas d'avocat.
32La seule innovation réelle réside dans la possibilité accordée au prévenu ou à son avocat, en cas de poursuites par voie de citation directe ou de convocation par OPJ, de demander, avant toute défense au fond ou à tout moment au cours des débats, qu'il soit procédé à tout acte jugé nécessaire à la manifestation de la vérité. Au vu des difficultés rencontrées par les tribunaux correctionnels pour gérer la masse des audiences qui leur est confiée, il est toutefois à craindre qu'une telle mesure n'apparaisse comme un remède pire que le mal qu'elle prétend combattre.
33L'attention portée sur ces lacunes intrinsèques et extrinsèques de la loi montre que le chemin est encore long pour parvenir à une protection aboutie des droits de l'individu mis en cause. En dépit de ses insuffisances, la réforme n'en présente pas moins un autre mérite : celui de contribuer, par la gradation des droits de la personne suspectée ou poursuivie, à clarifier le déroulement du procès pénal en établissant des connexions plus évidentes avec la gradation des actes susceptibles d'être accomplis par les autorités publiques à mesure que les charges s'intensifient. Là où la doctrine et les praticiens peinent à se retrouver dans le dédale du Code de procédure pénale, la loi est porteuse d'une vertu pédagogique appréciable [59], même si l'on peut regretter qu'elle n'ait pas consacré pleinement l'autonomie du statut de suspect [60].
34Au regard de tout ce qui précède, on peut légitimement s'interroger sur l'opportunité de parler de « révolution » au moment d'accueillir les modifications apportées par la loi du 27 mai 2014 en faveur des individus mis en cause en procédure pénale. C'est qu'en reconnaissant un statut juridique du suspect, tout en améliorant les droits des personnes poursuivies en fonction de leur degré d'implication, la réforme marque une rupture incontestable avec le droit antérieur. L'étendue du changement opéré n'en apparaît pas moins limitée, et donc décevante comme l'ont souligné à juste titre la plupart des commentaires doctrinaux qui l'ont suivie. Si elle constitue plus qu'une simple évolution, au sens où elle ne se limite pas à une transformation graduelle [61] des règles en présence, la loi nouvelle ne fait en d'autres termes qu'illustrer, sans la parachever, une « petite » révolution pour les droits de la défense [62].
35 La « grande » révolution se situe ailleurs, dans le renouvellement des bases de la procédure pénale que cette loi, à défaut de réaliser, pourrait inciter à engager.
III - Le renouvellement des bases de la procédure pénale : la « grande » révolution à engager
36Contrairement à la loi du 14 avril 2011 sur la garde à vue qui était très attendue - et a beaucoup déçu -, en raison du retard accumulé par le législateur dans la mise en conformité de notre procédure pénale avec les exigences européennes [63], la loi du 27 mai 2014 n'a pas été adoptée dans un contexte aussi tendu. Il y avait néanmoins urgence à légiférer du fait de l'approche imminente de l'échéance fixée par la directive du 22 mai 2012 pour sa transposition. À l'arrivée, la loi du 27 mai 2014, bien qu'elle n'ait pas davantage répondu à toutes les attentes, pourrait paradoxalement servir de point de départ à la « grande » révolution de la procédure pénale, d'une part, parce qu'elle illustre mieux qu'aucune autre le renouvellement inéluctable des sources de la matière (A), d'autre part, car elle contient les germes d'un véritable changement de philosophie du procès pénal (B).
A - Le renouvellement inéluctable des sources de la procédure pénale
37Après avoir longtemps exercé une influence très limitée, pour ne pas dire inexistante en matière pénale, le droit de l'Union européenne est en passe de devenir une source incontournable dans l'élaboration des règles de la procédure pénale. La « montée en puissance du droit de l'UE » [64] en ce domaine est liée à l'adoption du Traité de Lisbonne, le 13 décembre 2007 (entré en vigueur le 1er déc. 2009). En abandonnant la distinction tripartite des piliers de l'Union au profit d'un regroupement, au sein du titre V du Traité sur le fonctionnement de l'UE (TFUE), des dispositions jusque-là éparses consacrées aux politiques de contrôles aux frontières, d'asile et d'immigration et, surtout, à la coopération policière et judiciaire en matière pénale, ce texte a entériné l'« européanisation » de l'espace de liberté, de sécurité et de justice. Cette révolution achevée, une autre pouvait s'ouvrir du fait de la compétence partagée reconnue à l'Union dans ce domaine [65].
38L'article 82, § 2, du TFUE a autorisé le Parlement européen et le Conseil à établir des règles minimales par voie de directives, conformément à la procédure législative ordinaire, pour faciliter la reconnaissance mutuelle des jugements et décisions judiciaires, ainsi que la coopération policière et judiciaire dans les matières pénales ayant une dimension transfrontière. Cela permet plus précisément au législateur européen d'inviter les États membres à harmoniser les règles de leur procédure pénale relatives à l'admissibilité mutuelle des preuves, aux droits des auteurs et victimes d'infraction ou encore à tout autre élément spécifique de la procédure pénale. Les directives du 22 mai 2012 et du 22 octobre 2013 en fournissent une illustration éclatante, les normes minimales qu'elles édictent en faveur des personnes suspectées ou poursuivies ayant pour objectif de rapprocher les législations nationales [66].
39Il en résulte une obligation pour les États comme la France, dont les législations prévoient des garanties en deçà des exigences européennes, de revoir leur corpus de règles afin d'atteindre les résultats contenus dans ces directives, même si elles prennent soin de ménager une marge de manœuvre en leur faveur [67]. Ce fut le cas avec les directives transposées dans une inégale mesure par la loi du 27 mai 2014, et nul doute qu'il en sera encore ainsi avec les directives récemment adoptées ou en voie de l'être [68]. Dans ces conditions, comment ne pas voir dans l'évolution engagée par les directives un véritable « renouvellement européen de la procédure pénale » [69] ?
40Alors qu'elle relevait traditionnellement du monopole du législateur, notre procédure pénale, déjà sensible aux sirènes de Strasbourg, est entrée dans une nouvelle ère avec ce droit littéralement dicté depuis Bruxelles. Qu'on s'en félicite ou qu'on le déplore, il faudra compter avec le droit de l'UE dans les années qui viennent, comme en attestent les nombreux chantiers entamés en application des feuilles de route de Stockholm et Budapest [70]. A une époque où le législateur se montre trop souvent sensible aux seules passions suscitées par certains faits divers ou les remontrances de la Cour européenne des droits de l'homme, le droit de l'UE apparaît de façon opportune comme une source dans laquelle il pourra puiser des règles soucieuses des intérêts des justiciables.
B - Le renouvellement souhaitable de la philosophie du procès pénal
41Il serait à tout le moins prématuré de vouloir dresser un bilan de la loi du 27 mai 2014 quelques mois à peine après l'entrée en vigueur de ses dispositions les plus novatrices. Le choix d'envisager cette réforme sous l'angle de ses aspects révolutionnaires, réels ou supposés, incite toutefois à émettre quelques considérations prospectives pour finir. Maintenant que le suspect a vu son existence reconnue en tant que telle lors de l'enquête policière, et prolongée par les droits qui lui permettent de peser davantage qu'hier sur l'issue de son sort devant les juridictions d'instruction et de jugement, que peut-on attendre des changements opérés par la loi ? En ce qu'elle donne bien des possibilités à l'observateur de naviguer entre espoirs et illusions, la réforme offre sans doute ici le terreau le plus fertile à une réflexion sur « la » révolution attendue de la procédure pénale.
421. Illusions. L'on ne saurait négliger les difficultés pratiques susceptibles de nuancer la portée, déjà limitée en soi, des avancées réalisées par la loi. Avant même que celle-ci ne soit votée, certains auteurs mettaient ainsi en avant les inconvénients que pourraient présenter les dispositions visant à renforcer le contradictoire devant le tribunal correctionnel, en donnant notamment au prévenu la possibilité de demander un supplément d'information ou d'accéder directement aux pièces du dossier en cas de saisine du tribunal par voie de citation directe ou de convocation par OPJ [71]. Analysant la loi après sa promulgation, d'autres auteurs ont manifesté leur inquiétude devant le risque de voir resurgir le spectre des détournements de procédure au cours de l'audition libre [72]. Le droit d'être assisté d'un avocat contribuera certes à lutter contre les pratiques policières visant à assimiler aussi longtemps que possible le suspect à un témoin simple, mais il ne bouleversera pas pour autant le déroulement de ce type d'auditions. À l'instar de la garde à vue depuis qu'il a été admis à pénétrer dans les locaux de police ou de gendarmerie, l'avocat devra se contenter, pendant un certain temps encore, de jouer un rôle d'assistance humaine auprès du suspect avant de pouvoir espérer une vraie confrontation avec l'officier de police judiciaire.
43Ces observations ne doivent pas être perçues comme un procès d'intention fait aux différents acteurs concernés. En réalité, ce sont d'abord les moyens matériels et humains mis à disposition des uns et des autres qui sont visés derrière l'applicabilité des dispositions nouvelles. À défaut d'être suivie d'efforts concrets en ce sens, la « petite » révolution perçue dans la loi du 27 mai 2014 a de fortes chances d'être aussitôt étouffée par la pratique.
44C'est ensuite la propension à voir la procédure pénale française basculer du jour au lendemain dans un modèle accusatoire qui doit être dénoncée. Contrairement à certaines idées reçues, notre procédure pénale n'est pas prête de devenir foncièrement accusatoire, ni de dériver vers une forme d'américanisation qui verrait une défense proprement « privative » user de tous les coups pour contrecarrer la stratégie du ministère public, nonobstant les tentatives d'importation de ce modèle déjà effectuées avec plus ou moins de réussite au nom de l'efficacité [73].
452. Espoirs. Si l'application prochaine de la réforme emportera son lot de désillusions, les motifs d'espoir n'en demeurent pas moins réels lorsqu'on prend le temps de regarder en arrière et que, faisant la somme des acquis engrangés au fil des années, on réalise que les avancées les plus notables sur le plan des principes ne devraient plus pouvoir être remises en cause. Tout l'intérêt du double mouvement de constitutionnalisation et de conventionnalisation de la procédure pénale est d'avoir insufflé au justiciable un sentiment de protection bien souvent supérieur à celui véhiculé par la loi, et pour cause, puisqu'il commande de plus en plus les évolutions progressistes accomplies par cette dernière.
46Même si la jurisprudence des « cours suprêmes » connaît parfois des soubresauts ou des inflexions [74], elle veille au respect des principes fondamentaux du procès pénal par le législateur. Par le biais de ces principes, le justiciable est par ailleurs en mesure d'inviter lui-même le juge ordinaire - ou constitutionnel, via le mécanisme de la QPC - à combler les lacunes techniques relevées çà et là dans la mise en œuvre des règles de la procédure pénale [75]. C'est dire que la « révolution des sources » [76] a permis au citoyen de devenir acteur des (r)évolutions constatées en ce domaine.
47Au-delà des principes, on peut espérer assister à un changement des mentalités à mesure que l'exercice des droits de la défense deviendra effectif, pour les parties privées bien sûr, mais aussi pour les autorités publiques. Il est grand temps que la suspicion soit conçue par tous comme génératrice de droits, et non plus seulement de devoirs pour celui qui en fait l'objet, et ce, dès l'ouverture de l'enquête. Le plus grand mérite de la loi nouvelle serait, à cet égard, d'amener à repenser progressivement les pratiques à un stade de la procédure qui n'a guère été habitué à prendre en compte autre chose que la religion de l'aveu. C'est dans ce changement de philosophie - ou de paradigme [77] - qui vise à sortir l'enquête policière de sa culture purement inquisitoire que réside, selon nous, la « grande » révolution attendue de la procédure pénale. Inspirée des exigences pragmatiques posées par le droit européen en termes de garanties procédurales, elle consisterait à promouvoir une défense pénale active, sans pour autant ignorer l'efficacité des investigations, auxquelles serait accordée une considération accrue en cas de nécessité concrète, et non de manière générale et absolue.
48La tâche s'annonce immense et difficile [78], mais c'est à ce prix qu'une « grande » révolution pourra avoir lieu en procédure pénale. Il reste à souhaiter qu'elle se déroule au grand jour, à l'inverse des révolutions silencieuses que l'on a plutôt eu à déplorer au cours des dernières décennies [79]…
Notes
-
[1]
Sur cette évolution, v. H. Vlamynck, La garde à vue du code d'instruction criminelle à nos jours, AJ pénal 2008. 257.
-
[2]
Loi n° 2011-392 du 14 avr. 2011 relative à la garde à vue, JO n° 89, 15 avr. 2011, p. 6610.
-
[3]
C. pr. pén., art. 62, al. 2 dans sa version en vigueur jusqu'au 2 juin 2014.
-
[4]
Les sages ont admis le principe même de l'audition libre de la personne suspectée dans le cadre d'une enquête de flagrance, à condition qu'elle soit en retour informée de la nature et de la date de l'infraction ainsi que de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie (Cons. const., 18 nov. 2011, n° 2011-191/194/195/196/197 QPC, D. 2011. 3034, note H. Matsopoulou ; ibid. 3005, point de vue E. Vergès ; ibid. 2012. 1638, obs. V. Bernaud et N. Jacquinot ; AJ pénal 2012. 102, obs. J.-B. Perrier ; RSC 2012. 185, obs. J. Danet ; ibid. 217, obs. B. de Lamy ; Dr. pénal 2012. Étude 4, note J. Leroy ; Gaz. Pal. 20 nov. 2011, p. 18, note O. Bachelet). Ces garanties bien maigres - pour ne pas dire illusoire concernant le « droit de s'en aller » - furent par la suite étendues à l'audition libre menée dans le cadre de l'enquête préliminaire (Cons. const., 18 juin 2012, n° 2012-257 QPC, AJ pénal 2012. 602, obs. J.-B. Perrier ; Constitutions 2012. 442, chron. A. Darsonville ; RSC 2013. 441, obs. B. de Lamy ; ibid. 842, obs. X. Salvat).
-
[5]
On peut citer, parmi de nombreuses contributions, D. Thomas, Le suspect en quête d'un statut procédural, in Mélanges Michel Cabrillac, Litec, 1999, p. 823 ; F. Defferrard, Le suspect dans le procès pénal, LGDJ, coll. Systèmes, 2005 ; E. Vergès, L'enquête pénale au cœur d'un changement de paradigme : le statut et les droits de la personne mise en cause dans la procédure pénale, Rev. pénit. 2009. 837 ; D. Père, Pour une réflexion sur le statut juridique du suspect, D. 2010. 1638 ; E. Mathias, Pour une loi des suspects… libres (à propos du projet de loi relatif à la garde à vue), Dr. pénal 2011. Étude 6. V. aussi les références citées par E. Vergès, Le statut juridique du suspect : un premier défi pour la transposition du droit de l'Union européenne en procédure pénale, Dr. pénal 2014. Étude 15.
-
[6]
V. le nouvel art. 61-1 C. pr. pén. applicable à l'audition menée dans le cadre d'une enquête de flagrance, auquel renvoient les art. 77 (pour l'enquête préliminaire) et 154 (pour l'exécution d'une commission rogatoire), ainsi que l'art. 67 F C. douanes (pour une enquête douanière).
-
[7]
V. A. Botton, Droit à l'information dans le cadre des procédures pénales : un projet de loi contrasté, D. 2014. 431 ; N. Le Coz, L'audition des personnes soupçonnées dans les enquêtes pénales, la loi du 27 mai 2014, AJ pénal 2014. 320 ; S. Pellé, Garde à vue : la réforme de la réforme (acte I), D. 2014. 1508 ; R. Ollard, Quel statut pour le suspect au cours de l'enquête pénale ? À propos de la loi du 27 mai 2014, JCP 2014. Doctr. 912 ; G. Taupiac-Nouvel et A. Botton, La réforme de l'information en procédure pénale, JCP 2014. Doctr. 802 ; E. Vergès, Le statut juridique du suspect : un premier défi pour la transposition du droit de l'Union européenne en procédure pénale, art. préc.
-
[8]
Comp. J. Pradel, L'enquête pénale aujourd'hui. Vers une stabilisation dans l'équilibre ?, D. 2014. 1647.
-
[9]
Le Conseil constitutionnel refuse par principe de contrôler la constitutionnalité des lois qui ne font que transposer une directive européenne, conformément au respect de l'exigence constitutionnelle de transposition des directives (Cons. const., 10 juin 2004, n° 2004-496 DC, consid. 7, AJDA 2004. 1534, note J. Arrighi de Casanova ; ibid. 1937 ; ibid. 1385, tribune P. Cassia ; ibid. 1497, tribune M. Verpeaux ; ibid. 1537, note M. Gautier et F. Melleray, note D. Chamussy ; ibid. 2261, chron. J.-M. Belorgey, S. Gervasoni et C. Lambert ; D. 2005. 199, note S. Mouton ; ibid. 2004. 1739, chron. B. Mathieu ; ibid. 3089, chron. D. Bailleul ; ibid. 2005. 1125, obs. V. Ogier-Bernaud et C. Severino ; RFDA 2004. 651, note B. Genevois ; ibid. 2005. 465, étude P. Cassia ; RTD civ. 2004. 605, obs. R. Encinas de Munagorri ; RTD eur. 2004. 583, note J.-P. Kovar ; ibid. 2005. 597, étude E. Sales ; Cons. const., 12 mai 2010, n° 2010-605 DC, spéc. consid. 17-18, AJDA 2010. 1048 ; D. 2010. 1321, note A. Levade ; ibid. 1229, chron. P. Fombeur ; ibid. 1234, chron. P. Cassia et E. Saulnier-Cassia ; ibid. 1495, chron. V. Lasserre-Kiesow et P. Le More ; RFDA 2010. 458, note P. Gaïa ; Constitutions 2010. 363, obs. A.-M. Le Pourhiet ; ibid. 387, obs. A. Levade ; Rev. crit. DIP 2011. 1, étude D. Simon ; RTD civ. 2010. 499, obs. P. Deumier). Encore faut-il toutefois que le législateur se limite à transposer fidèlement le contenu de la directive concernée, ce qui a permis au Conseil de se prononcer a posteriori sur la validité de l'art. 4 de la loi du 27 mai 2014, en ce qu'il modifiait les art. 706-73, 8° bis, et 706-88, al. 1 à 5 C. pr. pén. (Cons. const., 9 oct. 2014, n° 2014-420/421 QPC, consid. 14-16, AJ pénal 2014. 574, note J.-B. Perrier ; D. 2014. 2278, note A. Botton ; RevDH/ADL, 30 oct. 2014, note M. Touillier, http://revdh.revues.org/908).
-
[10]
Cette feuille de route, adoptée par le Conseil dans une résolution du 30 nov. 2009 (JOUE C 295, 4 déc. 2009), a été intégrée au programme de Stockholm approuvé par le Conseil européen le 11 décembre 2009 pour définir les priorités de l'Union européenne dans le domaine de la justice, de la liberté et de la sécurité pour la période 2010-2014 (Une Europe ouverte et sûre qui sert et protège les citoyens, JOUE C 115, 4 mai 2010). S. Manacorda, Le droit pénal sous Lisbonne : vers un meilleur équilibre entre liberté, sécurité et justice ?, RSC 2010. 945.
-
[11]
Ce processus par étapes fait suite au refus du Conseil d'adopter à l'époque la proposition de décision-cadre relative aux droits des accusés déposée par la Commission européenne le 28 avr. 2004 (COM(2004) 328 final), qui prévoyait d'instituer en un bloc les droits procéduraux contenus dans la feuille de route. Avec l'adoption du Traité de Lisbonne, le Conseil a substitué à cette approche globale une démarche progressive, traduite par les différentes mesures décrites dans la feuille de route (P. Beauvais,Nouvelle harmonisation des droits de l'accusé dans la procédure pénale, RTD eur. 2012. 881).
-
[12]
L'entrée en vigueur des règles transposant la directive 2013/48/UE du 22 oct. 2013 a été différée au 1er janv. 2015 en raison de l'échéance plus lointaine - le 27 nov. 2016 - qui la concerne. Il en est résulté quelques incohérences regrettables dans la consécration du droit pour le suspect libre à être assisté d'un avocat (J.-B. Perrier, La transposition tardive de la notification du droit du suspect libre à l'assistance d'un avocat, D. 2014. 1160).
-
[13]
Mireille Delmas-Marty voit dans les attentats du 11 sept. 2001 l'événement déclencheur d'un « ralliement des principaux partis politiques à un durcissement immédiat et spontané » de la politique pénale française, qui ne s'est pas limité au terrorisme comme on aurait pu l'espérer, mais s'est étendu à tous les domaines de la criminalité (Libertés et sûretés dans un monde dangereux, Seuil, coll. La couleur des idées, 2010, p. 20-21). Les derniers attentats perpétrés sur le sol français (aff. Merah en 2012, Nemmouche en 2014 et tout récemment Charlie Hebdo) ne font que confirmer cette tendance de nos parlementaires à brandir à l'unisson l'arme pénale au nom d'un droit à la sécurité.
-
[14]
Sur les objectifs poursuivis par les réformes de la procédure pénale, v. E. Vergès, Le procureur de la République financier : entre projet politique et recherche de l'efficacité, RSC 2014. 143.
-
[15]
Le texte dépasse même le champ de la procédure pénale stricto sensu, puisqu'il consacre un chapitre - quoique composé d'un seul article - aux dispositions relatives à l'accès aux preuves des personnes détenues lorsqu'elles font l'objet de poursuites devant la commission disciplinaire (art. 11).
-
[16]
La première révolution de la procédure pénale contemporaine intervint plus précisément en 1791, lorsque les révolutionnaires instaurèrent une procédure de jugement des crimes inspirée du modèle anglais. Pour une présentation, v. J.-M. Carbasse, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, 3e éd., PUF, coll. Droit fondamental, 2014, n° 222.
-
[17]
J. Pradel, Centenaire de la loi du 8 décembre 1897 sur la défense avant jugement pénal : essai d'un bilan, D. 1997. 375.
-
[18]
La véritable « révolution » provenait à cet égard de la loi n° 93-2 du 4 janv. 1993, qui consacrait pour la première fois le droit à un entretien avec l'avocat dès le début de la garde à vue, mais elle fut si vite contenue par la loi n° 93-1013 du 24 août qu'il est difficile de citer la première sans évoquer aussitôt la seconde.
-
[19]
Même si la « révolution » attendue avec cette réforme n'a répondu que partiellement à celle engagée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (v. not. H. Matsopoulou, Une réforme inachevée. À propos de la loi du 14 avril 2011, JCP 2011. 908).
-
[20]
Cass., ass. plén., 15 avr. 2011, n° 10-17.049, n° 10-30.313, n° 10-30.316 et n° 10-30.242, D. 2011. 1080, et les obs. ; ibid. 1128, entretien G. Roujou de Boubée ; ibid. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; ibid. 2012. 390, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot ; AJ pénal 2011. 311, obs. C. Mauro ; Constitutions 2011. 326, obs. A. Levade ; RSC 2011. 410, obs. A. Giudicelli ; RTD civ. 2011. 725, obs. J.-P. Marguénaud ; Gaz. Pal. 17 avr. 2011, p. 10, note O. Bachelet. Sur la portée « révolutionnaire » de ces arrêts, débordant le champ de la procédure pénale, v. spéc. Ph. Jestaz, J.-P. Marguénaud et Ch. Jamin, Révolution tranquille à la Cour de cassation, D. 2014. 2061.
-
[21]
Sur ce point, v. not. G. di Marino, La redistribution des rôles dans la phase préparatoire du procès pénal, in Mélanges Jean Pradel, Cujas, 2006, p. 317 ; G. Giudicelli-Delage, La figure du juge de l'avant-procès entre symboles et pratiques, op. cit., p. 335.
-
[22]
F. Poirat, Révolution, in D. Alland et S. Rials (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Lamy-PUF, coll. Quadrige, 2003, p. 1362. L'auteur indique que « pour les sciences humaines, de manière générale et indéterminée, constitue une révolution toute mutation radicale d'un ordre établi ».
-
[23]
V. not. J. Pradel, Les personnes suspectes ou poursuivies après la loi du 15 juin 2000. Évolution ou révolution ?, D. 2001. 1039 ; Y. Muller-Lagarde, La réforme de la procédure pénale : évolution ou révolution ? Synthèse des débats, Gaz. Pal. 20 août 2009, p. 34 ; P. Gagnoud et L. Robert, Réforme de la garde à vue : évolution ou révolution ? Premier aperçu de la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011, Gaz. Pal. 20 mai 2011, p. 13.
-
[24]
Face à la propension du législateur à remettre sans cesse l'ouvrage sur le métier, certains auteurs en sont venus à voir dans la réforme de la procédure pénale une « révolution permanente » (A. Laingui, Une révolution permanente : la réforme de la procédure pénale française (1780-1958), in Livre du bicentenaire du Code pénal et du Code d'instruction criminelle, Dalloz, 2010, p. 73).
-
[25]
La création de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 en offre un bon exemple (v. not. P.-J. Delage, La comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité : quand la pratique ramène à la théorie, D. 2005. 1970 ; A. Valoteau, Le jugement sur reconnaissance préalable de culpabilité : une autre procédure de jugement ou une autre manière de juger ?, Dr. pénal 2006. Étude 8).
-
[26]
J.-P. Jean, Les réformes pénales 2000-2010 : entre inflation législative et révolutions silencieuses, Regards sur l'actualité, La Documentation française, 2010, n° 357, p. 8.
-
[27]
Ainsi de la loi du 4 janv. 1993 préc. et de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, qui furent l'une et l'autre suivies, quelques mois seulement après leur promulgation, d'une loi revenant sur une partie de leur contenu. Mais n'est-ce pas le propre des révolutions, une fois retombé le choc provoqué par leur survenance ?
-
[28]
La multiplication des procédures spéciales visant à accélérer ou durcir le traitement de certaines affaires pénales par dérogation au droit commun témoigne, à cet égard, d'une évolution préoccupante de la procédure pénale vers une recherche sans cesse accrue d'efficacité (sur cette question, v. M. Touillier, L'évolution des procédures spéciales et dérogatoires, Problèmes actuels de sciences criminelles, PUAM, vol. XXIV, 2013, p. 35 et plus largement notre thèse, Procédure pénale de droit commun et procédures pénales spéciales, Th. Univ. Montpellier 1, 2012, spéc. n° 392 s.).
-
[29]
Que l'on songe aux personnes handicapées, aux personnes en fin de vie ou, en matière pénale, aux personnes détenues, auxquelles la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 a fini par accorder des droits au regard de leur « condition » (titre Ier de la loi), à défaut de leur octroyer un véritable statut.
-
[30]
Pour reprendre l'expression employée dans la significative « loi des suspects » du 17 sept. 1793 (J.-M. Carbasse, op. cit., n° 225).
-
[31]
Le suspect désigne alors toute personne mise en cause dans une affaire pénale en raison de l'existence de charges à son encontre, que ce soit au stade de l'enquête policière, de l'instruction préparatoire ou même du jugement (comp. Ch. Guéry, L'avenir du suspect, AJ pénal 2005. 232).
-
[32]
Etre suspect ou suspecté, c'est prêter au soupçon, donc faire l'objet d'une opinion défavorable, qu'elle repose sur un apriorisme ou sur des indices indiscutables.
-
[33]
La loi du 24 août 1993 décida toutefois de différer le bénéfice de ce droit à l'issue de la vingtième heure.
-
[34]
CEDH, gr. ch., 27 nov. 2008, Salduz c/ Turquie, n° 36391/02, AJDA 2009. 872, chron. J.-F. Flauss ; Dr. pénal 2009. Chron. 4, obs. E. Dreyer ; ibid. 2010. Chron. 1, obs. D. Guérin ; JCP 2009. 104, obs. F. Sudre ; CEDH, 13 oct. 2009, n° 7377/03, Dayanan c/ Turquie, D. 2009. 2897, note J.-F. Renucci ; AJ pénal 2010. 27, étude C. Saas ; RSC 2010. 231, obs. D. Roets ; Dr. pénal 2010. Chron. 1, obs. D. Guérin, et chron. 3, obs. E. Dreyer.
-
[35]
Cons. const., 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC, AJDA 2010. 1556 ; D. 2010. 1928, entretien C. Charrière-Bournazel ; ibid. 1949, point de vue P. Cassia ; ibid. 2254, obs. J. Pradel ; ibid. 2696, entretien Y. Mayaud ; ibid. 2783, chron. J. Pradel ; ibid. 2011. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; AJ pénal 2010. 470, étude J.-B. Perrier ; Constitutions 2010. 571, obs. E. Daoud et E. Mercinier ; ibid. 2011. 58, obs. S. De La Rosa ; RSC 2011. 139, obs. A. Giudicelli ; ibid. 165, obs. B. de Lamy ; ibid. 193, chron. C. Lazerges ; RTD civ. 2010. 513, obs. P. Puig ; ibid. 517, obs. P. Puig ; Dr. pénal 2010, comm. 113, obs. A. Maron et M. Haas, et 2011. Chron. 7, obs. V. Lesclous ; Gaz. Pal. 4 août 2010, p. 14, note O. Bachelet.
-
[36]
C. pr. pén., art. 62, al. 2, et art. 78, al. 1er, dans leur version en vigueur jusqu'au 2 juin 2014.
-
[37]
Cons. const. 18 nov. 2011, décis. préc. ; Cons. const. 18 juin 2012, décis. préc.
-
[38]
Outre la garde à vue, il peut s'agir formellement de prélèvements externes nécessaires à la réalisation d'examens techniques et scientifiques (C. pr. pén., art. 55-1) ou de contrôles d'identité de police judiciaire (C. pr. pén., art. 78-2, al. 1er), mais on peut considérer, de manière générale, que le recours à une mesure intrusive ou contraignante dans le cadre d'une enquête préliminaire ou de flagrance suppose nécessairement l'existence de soupçons à l'encontre de l'intéressé (a fortiori s'agissant de ce second cadre d'investigation).
-
[39]
C. pr. pén., art. 80-1, al. 1er.
-
[40]
C. pr. pén., art. 113-1 s..
-
[41]
C. pr. pén., art. 176.
-
[42]
Pour reprendre les termes de l'art. 177, al. 1er, C. pr. pén., puisque rien n'est formellement requis en l'absence d'ouverture d'une instruction.
-
[43]
Il suffit, pour s'en apercevoir, de comparer la formulation indistincte des art. 2.1 et 3 de la directive du 22 mai 2012 avec les droits supplémentaires qu'elle accorde aux suspects ou aux personnes poursuivies en cas d'arrestation et/ou de détention (art. 4 et 7) et, pour s'en convaincre, de lire l'art. 2 de la directive du 22 oct. 2013.
-
[44]
Sur ce point, v. J. Alix, Les droits de la défense au cours de l'enquête de police après la réforme de la garde à vue : état des lieux et perspectives, D. 2011. 1699.
-
[45]
E. Vergès, Le statut juridique du suspect : un premier défi pour la transposition du droit de l'Union européenne en procédure pénale, art. préc., § 1.
-
[46]
Ch. Guéry, L'avenir du suspect, art. préc.
-
[47]
Pour une présentation, v. E. Vergès, Emergence européenne d'un régime juridique du suspect, une nouvelle rationalité juridique, RSC 2012. 635.
-
[48]
C. pr. pén., art. 62, al. 1er. Il ne bénéficie alors d'aucun droit et peut même être retenu sous la contrainte pendant une durée maximale de quatre heures en cas de nécessité.
-
[49]
Telle est, en tout cas, l'orientation voulue par la circulaire du 19 déc. 2014 de présentation des dispositions de la loi applicables à compter du 1er janv. 2015 (NOR : JUSD1430472C), qui n'hésite pas à étendre à l'individu entendu librement ou à son avocat le bénéfice du droit d'accès à certaines pièces du dossier ou de la remise de la déclaration des droits, alors même que la loi ne l'a pas prévu (v. S. Pellé, Conflits de normes et interprétations créatrices de la loi. Réflexions à partir de l'évolution du droit de la garde à vue, D. 2015. 333).
-
[50]
C. pr. pén., art. 62, al. 3.
-
[51]
C. pr. pén., art. 61-1, dern. al., et 62, dern. al..
-
[52]
La loi a par là même mis un terme à la position restrictive de la Cour de cassation, qui refusait d'étendre la notification du droit de se taire et de ne pas s'accuser à l'audition libre menée dans le cadre d'une enquête préliminaire pour une infraction non punie d'emprisonnement (Crim., 3 avr. 2013, n° 11-87.333, Bull. crim. n° 72, D. 2013. 1005 ; AJ pénal 2013. 411, obs. L. Ascensi ; RSC 2013. 842, obs. X. Salvat ; Dr. pénal 2013, comm. n° 82, note A. Maron et M. Haas).
-
[53]
Mais aussi pour la victime, qui pourra également demander à être assistée par un avocat en cas de confrontation avec la personne entendue librement (C. pr. pén., art. 61-2).
-
[54]
Art. 2 § 1. Sur ce point, v. E. Vergès, Le statut juridique du suspect : un premier défi pour la transposition du droit de l'Union européenne en procédure pénale, art. préc., § 15.
-
[55]
Cette série d'informations se substitue à « la nature et la date présumée » de l'infraction qu'exigeait auparavant l'article 63-1 C. pr. pén. (et le Conseil constitutionnel concernant l'audition libre).
-
[56]
Ce document, appelé « déclaration des droits », aura en réalité vocation à être remis à toute personne suspectée ou poursuivie soumise à une mesure privative de liberté (C. pr. pén., art. 803-6).
-
[57]
C. pr. pén., art. 63-1.
-
[58]
En ce sens, v. déjà O. Bachelet, Droits de la défense : transposition ambivalente de la « directive information », Gaz. Pal. 1er févr. 2014, p. 9.
-
[59]
Un exemple en est donné avec le défèrement de la personne poursuivie en matière correctionnelle, longtemps assimilable à une zone de « non-droit », et qui devient de plus en plus réglementé avec la loi (v. l'art. 393 C. pr. pén.), au point que l'ossature de la phase d'orientation de l'action publique s'en trouve renouvelée.
-
[60]
Comp. E. Vergès, Emergence européenne d'un régime juridique du suspect, une nouvelle rationalité juridique, art. préc., où l'auteur appelle de ses vœux l'adoption d'un régime juridique harmonisé indépendamment des phases de la procédure.
-
[61]
Pour reprendre l'un des sens attachés au terme « évolution » par le Dictionnaire Lalande (Vocabulaire technique et critique de la philosophie, 10e éd., PUF, coll. Quadrige, 2010, p. 311).
-
[62]
Ce qualificatif a d'abord été employé par R. Ollard, art. préc., § 10.
-
[63]
Sur cette fâcheuse habitude, v. déjà J.-P. Marguénaud, La dérive de la procédure pénale française au regard des exigences européennes, D. 2000. 249.
-
[64]
E. Vergès, Emergence européenne d'un régime juridique du suspect, une nouvelle rationalité juridique, art. préc. V. également E. Barbe, L'influence du droit de l'Union européenne sur le droit pénal français : de l'ombre à la lumière, AJ pénal 2011. 438.
-
[65]
Art. 4, j), TFUE.
-
[66]
Pour un exemple comparable en matière d'harmonisation des droits des victimes, v. la directive 2012/29/UE du 25 oct. 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité (P. Beauvais, Nouvelle directive sur les droits des victimes, RTD eur. 2013. 805 ; E. Vergès, Un corpus juris des droits des victimes : le droit européen entre synthèse et innovations, RSC 2013. 121).
-
[67]
Selon l'art. 82, § 2, du TFUE, les normes minimales doivent tenir compte des différences entre les traditions et systèmes juridiques des États membres.
-
[68]
V. par ex. la directive 2014/41/UE du 3 avr. 2014 concernant la décision d'enquête européenne en matière pénale (JOUE, 1er mai 2014, L. 130/1).
-
[69]
E. Vergès, Un corpus juris des droits des victimes : le droit européen entre synthèse et innovations, art. préc.
-
[70]
Sur ces évolutions, v. S. Manacorda, « L'âge de la maturité » : stabilisation et traits conservateurs dans la politique pénale de l'Union européenne, RSC 2013. 931.
-
[71]
O. Bachelet, art. préc.
-
[72]
R. Ollard, art. préc., spéc. § 12.
-
[73]
On aura deviné l'allusion à la comparution sur reconnaissance préalable, sorte de « plaider coupable » à la française, dont les inconvénients sur le plan des garanties procédurales n'ont pas empêché le législateur d'en généraliser l'application en matière correctionnelle - à quelques exceptions près (v. l'art. 495-7 C. pr. pén., modifié par la loi n° 2011-1862 du 13 déc. 2011) -, au risque d'en faire une dangereuse rivale de la procédure ordinaire de jugement.
-
[74]
V. en dernier lieu l'arrêt rendu par la CEDH dans l'affaire des attentats de Londres de 2005, dans lequel elle a estimé que le droit à un procès équitable n'avait pas été violé par le fait, pour les autorités nationales, d'avoir admis au procès des dépositions faites durant les interrogatoires de police avant que les requérants aient pu avoir accès à un avocat, dès lors qu'ils ont ensuite eu la possibilité de contester ces aveux et la force probante des autres éléments à charge (CEDH, 16 déc. 2014, n° 50541/08, 50571/08, 50573/08 et 40351/09, Ibrahim et autres c/ Royaume-Uni, D. actualité, 19 déc. 2014, obs. A. Portmann).
-
[75]
Les arrêts rendus par la Cour de cassation au sujet de la géolocalisation en fournissent une illustration intéressante, en ce qu'ils ont accéléré l'encadrement de cette mesure par la loi n° 2014-372 du 28 mars 2014 (v. E. Vergès, Construire la norme en procédure pénale : une étude des techniques juridiques à travers un cas symptomatique, la géolocalisation, RSC 2014. 599).
-
[76]
Ph. Malaurie, La révolution des sources, Defrénois, 2006, n° 20 p. 1552.
-
[77]
En ce sens, v. E. Vergès, L'enquête pénale au cœur d'un changement de paradigme : le statut et les droits de la personne mise en cause dans la procédure pénale, art. préc.
-
[78]
Elle ne semble pas en mesure d'être accomplie par les propositions trop timorées de la commission Beaume sur les évolutions possibles de la procédure pénale.
-
[79]
Sur ce point, v. J.-P. Jean, Les réformes pénales 2000-2010 : entre inflation législative et révolutions silencieuses, art. préc.