Couverture de RSC_1403

Article de revue

Infractions relevant du droit des sociétés

Pages 559 à 565

Notes

  • [1]
    B. Bouloc, Procédure pénale, 24e éd., Dalloz, 2014, n° 668 ; F. Deportes et L. Lazerges-Cousquer, Traité de procédure pénale, 3e éd., Economica, 2013, n° 742.
  • [2]
    V. C. pr. pén., art. 382, al. 3
  • [3]
    Crim., 3 mars 1899, Bull. crim. n° 38 ; Crim., 25 nov. 1909, Bull. crim. n° 550 ; Crim., 8 avr. 1957, Bull. crim. n° 336 ; Crim., 12 nov. 1981, Bull. crim. n° 302 ; Crim., 28 mai 2003, Bull. crim. n° 108 ; Crim., 19 sept. 2006, Bull. crim. n° 228.
  • [4]
    Crim., 20 janv. 2009, Bull. crim. n° 21, AJ pénal 2009. 177, obs. C. Girault, Dr. pénal 2009, comm. n° 57, note A. Maron et M. Haas.
  • [5]
    Crim., 18 janv. 2006, Dr. pénal 2006, comm. n° 76, note A. Maron ; v. aussi : Crim., 30 nov. 1987, Bull. crim. n° 435 ; Crim., 18 févr. 1991, Bull. crim. n° 85 ; Crim., 28 nov. 1996, Bull. crim. n° 437.
  • [6]
    Crim., 12 mars 1936, Bull. crim. n° 31.
  • [7]
    Crim., 23 déc. 1940, D. 1941. 59, note H. Donnedieu de Vabres. V. aussi : Crim., 29 janv. 1969, Bull. crim. n° 56 ; Crim., 22 oct. 1970, D. 1971. 87, Rev. sociétés 1971. 399, note B. Bouloc ; Crim., 30 juin 1971, Bull. crim. n° 218, Rev. sociétés 1972. 383, note B. Bouloc.
  • [8]
    B. Bouloc, note ss Crim., 14 nov. 2013, Rev. sociétés 2014. 125, n° 7.
  • [9]
    Crim., 6 déc. 1982, D. 1983. IR 196 ; cf. aussi : Crim., 30 mai 1994, Bull. crim. n° 210 ; Crim., 19 déc. 1995, Bull. crim. n° 390 ; Crim., 25 févr. 1998, Bull. crim. n° 76 ; Crim., 27 mars 2002, Bull. crim. n° 70 ; Crim., 1er déc. 2004, Bull. crim. n° 304 ; Crim., 19 sept. 2006, Bull. crim. n° 228.
  • [10]
    V. par ex. : Crim., 17 sept. 1997, Bull. crim. n° 300, D. 1998. 399, note D. Rebut ; Crim., 25 févr. 1998, Bull. crim. n° 96 ; Crim., 28 mai 2003, Bull. crim. n° 108, JCP 2003. IV. 2370 ; Crim., 7 juill. 2005, Bull. crim. n° 206, D. 2005. 2998, note Donnier, JCP 2005, II, 10143, note J. Leblois-Happe, Dr. pénal 2005, comm. n° 132, note J.-H. Robert, AJ pénal 2005. 370, obs. J. Leblois-Happe ; Crim., 18 janv. 2006, Dr. pénal 2006, comm. n° 76, note A. Maron ; Crim., 3 oct. 2007, D. 2007. AJ 2814.
  • [11]
    Crim., 16 mai et 27 juin 2012, Dr. sociétés 2012, comm. n° 191, note R. Salomon, Rev. sociétés 2013. 172, note B. Bouloc.
  • [12]
    V. sur la question, B. Bouloc, L'abus de biens et de pouvoirs sociaux, in Lamy Droit pénal des affaires 2013, n° 1863.
  • [13]
    Crim., 9 janv. 2008, n° 07-82.436, RLDA 2008/26, n° 1553, obs. A. Faussurier ; Rev. sociétés 2008. 420, note B. Bouloc. V. aussi : Crim., 26 févr. 2007, n° 06-80.200, Rev. sociétés 2007. 887, note B. Bouloc, Dr. pénal 2007, comm. n° 83, note J.-H. Robert ; D. 2007. 1817, chron. D. Caron et S. Ménotti ; ibid. 2008. 1573, obs. C. Mascala (il n'y a pas de dissimulation en cas de cautionnement hypothécaire, dûment publié à la Conservation des hypothèques).
  • [14]
    V. aussi : Crim., 10 avr. 2013, n° 12-81.048.
  • [15]
    Crim., 30 janv. 2013, RSC 2013. 354, obs. H. Matsopoulou, Rev. sociétés 2013. 371, note H. Matsopoulou ; cf. aussi : Crim., 11 juill. 2012, Rev. sociétés 2012. 653, note B. Bouloc, RTD com. 2012. 857, obs. B. Bouloc.
  • [16]
    Crim., 11 févr. 2003, n° 02-80.752, RJDA 2003, n° 604.
  • [17]
    Crim., 6 sept. 2000, n° 99-87.412, Bull. Joly 2001. 61, note E. Dezeuze ; RSC 2001. 394, obs. J.-F. Renucci.
  • [18]
    Cass., ass. plén., 20 mai 2011, n° 11-90.025, n° 11-90.032, n° 11-90.033, D. 2011. 1346, note A. Lienhard, et ibid. 2011. 1426, Point de vue, D. Chagnollaud (Un coup d'État juridique ?), Dr. pénal 2011, comm. n° 95, note J.-H. Robert, B. Mathieu, La prescription de l'action publique ne constitue pas un principe constitutionnel, JCP 2011, Aperçu rapide n° 670, Rev. sociétés 2011. 512, note H. Matsopoulou.
  • [19]
    Dans la même affaire, les deux époux ont été également condamnés pour escroquerie et détention, offre ou vente de marchandises contrefaites.
  • [20]
    V. pour un gérant de fait ayant procuration sur les comptes bancaires : Crim., 3 juin 1991, Gaz. pal. 17-18 janv. 1992, 1, somm. p. 26 ; Crim., 23 févr. 2011, n° 10-83.461, RSC 2011. 619, obs. H. Matsopoulou ; v. aussi : Crim., 6 mai 2009, n° 08-86.378, D. 2010. 1663, obs. C. Mascala (« la qualité de gérante de fait [de la prévenue] se déduit des fonctions de direction qu'elle exerçait dans la réalité, aux côtés de son compagnon, disposant d'un large pouvoir sur le fonctionnement des comptes bancaires, sur le règlement des factures de fournisseurs, sur la négociation des délais de paiements des cotisations sociales, sur l'utilisation de son propre chef des fonds sociaux, de sorte qu'elle disposait bien d'un pouvoir de contrôle et de direction sur la vie sociale »).
  • [21]
    Crim., 31 mai 2012, Dr. pénal 2012, comm. n° 132, note J.-H. Robert, Rev. sociétés 2013. 47, note H. Matsopoulou, RTD com. 2013. 159, obs. B. Bouloc, RSC 2013. 351, obs. H. Matsopoulou.
  • [22]
    Com., 19 févr. 2002, RJDA 2002, n° 7.
  • [23]
    Crim., 19 sept. 1994, Bull. Joly 1994. 1309, note J.-F. Barbiéri ; Crim., 26 oct. 1995, RJDA 1996, n° 2, n° 279 ; Crim., 1er déc. 2010, n° 01-86.644, Dr. sociétés 2011, comm. n° 60, obs. R. Salomon.
  • [24]
    J.-L. Rives-Lange, La notion de dirigeant de fait, D. 1975. Chron. 41 ; cf. aussi : D. Tricot, Les critères de la gestion de fait, Dr. et patr. 1996, n° 34, p. 24 ; G. Notté, La notion de dirigeant de fait au regard du droit des procédures collectives, JCP CI 1980, I, 8560 ; N. Dedessus-Le Moustier, La responsabilité du dirigeant de fait, Rev. sociétés 1997. 499.
  • [25]
    Lamy, Droit commercial, n° 4156.
  • [26]
    Com., 18 mai 1981, Bull. civ. IV, n° 240.
  • [27]
    Lamy, Droit commercial, n° 4155.
  • [28]
    Com., 28 janv. 1997, D. 1997. IR 72.
  • [29]
    Com., 8 oct. 1996, Dr. sociétés 1996, comm. 211, obs. Y. Chaput.
  • [30]
    Com., 12 juill. 2005, Bull. civ. IV, n° 169 ; Com., 12 juill. 2005, Bull. civ. IV, n° 174.
  • [31]
    Com., 26 oct. 1999, Bull. Joly 2000. 149, note P. Le Cannu.
  • [32]
    Crim., 27 févr. 2013, n° 12-81.621.
  • [33]
    Com., 14 oct. 1997, RTD com. 1998. 164, obs. Cl. Champaud et D. Danet.

1. Abus de biens sociaux : l'interruption de la prescription de l'action publique par une plainte avec constitution de partie civile visant des « faits connexes » (Crim., 14 novembre 2013, n° 12-87.008, Rev. sociétés 2014. 123, note B. Bouloc)

1Par l'arrêt du 14 novembre 2013, ici commenté, la Chambre criminelle a censuré la décision d'une chambre de l'instruction ayant déclaré prescrite l'action publique concernant des faits constitutifs du délit d'abus de biens sociaux, qui ont été imputés à un ancien administrateur et directeur général d'une société. Selon les faits de l'espèce, il était reproché à ce dernier d'avoir perçu fin janvier 2002 une prime de fin d'année de 53 357, 16 euros non fixée par le conseil d'administration. Cette prime n'a pas été dissimulée ; elle figurait sur le bulletin de paie de l'intéressé de janvier 2002 et sur la déclaration annuelle des données sociales, établie le 27 janvier 2003. La société ayant fait l'objet d'une cession, les cessionnaires avaient eu connaissance de la perception de cette prime au plus tard le 23 mai 2003, date de la signature de la convention de fixation du prix définitif de cession des actions. Le 2 mars 2006, la société anonyme déposait une plainte avec constitution de partie civile pour abus de pouvoirs à l'encontre notamment de l'ancien dirigeant. Et deux ans plus tard, à savoir le 18 mars 2008, la même société déposait une plainte complémentaire visant la perception de la prime en janvier 2002 susceptible de caractériser le délit d'abus de biens sociaux. Toutefois, la chambre de l'instruction constatait la prescription de l'action publique pour ce dernier délit. Pour ce faire, elle relevait que, bien que les cessionnaires aient eu connaissance de la prime litigieuse, ils ne l'avaient pas cependant visée dans la plainte avec constitution de partie civile déposée le 2 mars 2006. Or, en l'absence de dissimulation, rien ne permettait en l'espèce de reculer le point de départ du délai triennal de la prescription de l'action publique.

2La chambre de l'instruction écartait, par ailleurs, l'existence d'un lien de connexité entre le délit d'abus de biens sociaux et celui d'abus de pouvoirs pour lequel la plainte avec constitution de partie civile avait été déposée dans le délai triennal. En particulier, elle déclarait que « sont connexes des infractions qui procèdent d'une même conception, sont déterminées par la même cause et tendent au même but ». Or, dans la présente affaire, l'abus de pouvoirs se rapportait aux relations entre deux personnes morales, alors que l'abus de biens sociaux concernait les relations entre la personne morale et l'un de ses dirigeants. Les deux infractions ne remplissaient donc pas les critères de connexité, si bien que la plainte avec constitution de partie civile, qui avait interrompu la prescription du délit d'abus de pouvoirs, ne produisait aucun effet sur la prescription de l'abus de biens sociaux.

3La société, partie civile, avait formé un pourvoi en cassation contre cette décision, en soutenant que les infractions, dont elle était victime, étaient liées entre elles par un lien de connexité, car elles étaient « commises par les dirigeants sociaux dans le fonctionnement d'une même société ». Elle prétendait alors que la chambre de l'instruction avait méconnu les dispositions des articles 8 et 203 du code de procédure pénale en invoquant des « motifs inopérants » à propos de la distinction de l'abus de pouvoirs et de l'abus de biens sociaux. En particulier, la société intéressée faisait valoir que les actes d'instruction et de procédure, visant une infraction au droit des sociétés commis par ses dirigeants sociaux, interrompaient le cours de la prescription pour toutes les autres infractions, même non visées dans la plainte, qui ont été commises par ces dirigeants dans le fonctionnement de la société. Dès lors, le dépôt, en mars 2006, de la plainte avec constitution de partie civile pour abus de pouvoirs avait interrompu le cours de la prescription de l'action publique à l'égard de l'infraction connexe d'abus de biens sociaux, dont la prescription avait commencé à courir en mai 2003, de sorte que, à la suite d'une telle interruption, un nouveau délai de prescription avait commencé à courir en mars 2006. Ainsi, le 18 mars 2008, date du dépôt de la plainte complémentaire pour le délit d'abus de biens sociaux, l'action publique à l'égard de cette infraction n'était pas prescrite.

4Pour sa part, la Chambre criminelle a accueilli favorablement les arguments invoqués par la partie civile. Tout d'abord, elle a pris soin de rappeler la règle jurisprudentielle selon laquelle « lorsque des infractions sont connexes, tout acte interruptif de prescription concernant l'une d'elles a nécessairement le même effet à l'égard des autres ». Puis, après avoir relevé que la prescription de l'action publique avait été interrompue en mars 2006 par la plainte avec constitution de partie civile, visant les faits connexes d'abus de pouvoirs qui auraient été commis, à la même période, par la même personne au préjudice de la même société, la Haute juridiction a conclu à la violation des articles 8 et 203 du code de procédure pénale.

5Néanmoins, il est permis de se demander si la solution adoptée peut se justifier. On sait que la connexité  [1], qui constitue un cas de prorogation de compétence  [2] (comme l'indivisibilité), est définie par l'article 203 du code de procédure pénale, aux termes duquel les infractions sont connexes soit lorsqu'elles ont été commises en même temps par plusieurs personnes réunies, soit lorsqu'elles ont été commises par différentes personnes, même en différents temps et en divers lieux, mais par suite d'un concert formé à l'avance entre elles, soit lorsque certaines infractions ont eu pour but de faciliter l'exécution des autres ou d'en assurer l'impunité, soit enfin lorsque des choses enlevées, détournées ou obtenues à l'aide d'un crime ou d'un délit ont été, en tout ou en partie, recelées. Mais, en dehors de ces cas, la jurisprudence réserve un très large domaine d'application à l'article 203 du code de procédure pénale, en estimant que l'énumération des hypothèses de connexité par ce texte n'est pas « limitative », et que la connexité doit également être admise « lorsqu'il existe entre les diverses infractions des rapports étroits analogues à ceux que la loi a spécialement prévus »  [3]. Toutefois, il appartient au juge, qui retient un cas de connexité non visé par la loi, de justifier du lien unissant les infractions  [4].

6La jurisprudence déclare, par ailleurs, que « doivent être considérées comme connexes les infractions qui procèdent d'une même conception, relèvent du même mode opératoire et tendent au même but »  [5].

7Il est cependant permis de se demander si ces différentes solutions jurisprudentielles, qui définissent de manière extensive la notion de connexité, pouvaient recevoir application dans la présente affaire. La chambre de l'instruction a refusé d'admettre l'existence d'un lien de connexité, en estimant que même commis par la même personne, les délits d'abus de pouvoirs et d'abus de biens sociaux étaient des « infractions distinctes », car le premier concernait « les relations entre deux personnes morales », tandis que le second se rapportait « aux relations entre la personne morale et l'un de ses dirigeants ». Pour elle, aucun des critères consacrés par l'article 203 du code de procédure pénale n'était satisfait. Néanmoins, telle n'était pas l'avis de la Chambre criminelle qui a retenu le lien de causalité, en prenant en considération le fait que les infractions en cause, à savoir l'abus de pouvoirs et l'abus de biens sociaux, avaient été commises, « à la même période, par la même personne au préjudice de la même société ». La connexité prenait donc appui, d'une part, sur l'« unité de temps », d'autre part, sur l'identité de l'auteur et de la victime. A première vue, la solution retenue ne peut nous surprendre, puisqu'elle ne fait que confirmer une jurisprudence ancienne. À cet égard, il est permis de faire observer que la Cour de cassation avait déjà décidé qu'une plainte avec constitution de partie civile pour le délit d'escroquerie et toutes autres infractions pouvant être imputées aux fondateurs et administrateurs d'une société « met l'action publique en mouvement et interrompt la prescription à l'égard de toutes infractions à la loi du 24 juillet 1867 commises dans la constitution et le fonctionnement de la société »  [6]. De même, il a été jugé qu'une plainte avec constitution de partie civile, visant, d'une manière générale, les agissements frauduleux des dirigeants de sociétés, produisait un effet interruptif de la prescription à l'égard de tous les délits commis, aussi bien ceux de droit commun (délits d'escroquerie et d'abus de confiance) que ceux spécifiques au droit des sociétés  [7]. Il est vrai que, à la différence de ces décisions, il semble que dans la présente affaire, la plainte avec constitution de partie civile n'avait été déposée que pour le délit d'abus de pouvoirs et ne visait pas en termes généraux tous les autres faits délictueux susceptibles d'être imputés à l'ancien dirigeant. Aussi bien, une doctrine autorisée  [8] a-t-elle fait observer que la solution admise peut susciter des réserves, car les actes interruptifs de la prescription, tels qu'une plainte avec constitution de partie civile, ne devraient logiquement que produire des effets « limités » à l'infraction précise qui est directement concernée par ces actes. Pour notre part, nous estimons que dès lors que la jurisprudence admet l'existence d'un lien de connexité, qu'elle apprécie souverainement, elle étend automatiquement les effets d'un acte interruptif de la prescription concernant une infraction déterminée à celles qui lui sont connexes, peu important que ces faits nouveaux aient été ou non expressément visés dans une plainte avec constitution de partie civile. Ainsi, a-t-il été décidé que le délit de non-dénonciation de faits délictueux, imputé à un commissaire aux comptes, était connexe aux infractions reprochées aux dirigeants d'une société, qui étaient déjà poursuivies  [9].

8Par conséquent, il est permis de penser que dans le cas présent, la Chambre criminelle, ayant adopté une conception large du « lien de connexité » dans la continuité de sa jurisprudence habituelle, a estimé devoir étendre l'effet interruptif de la prescription attaché aux actes concernant le délit d'abus de pouvoirs à celui d'abus de biens sociaux considéré comme connexe. Comme on le sait, lorsque les infractions sont connexes, les juridictions répressives affirment constamment qu'« un acte interruptif de prescription concernant l'une d'elles, […] a nécessairement le même effet à l'égard de l'autre »  [10]. Ainsi, si des poursuites ont été engagées pour le délit de présentation de comptes annuels infidèles, un acte interruptif produit effet à l'égard de l'abus de biens sociaux en raison de l'existence d'un lien connexité  [11].

9On peut toutefois regretter que la Cour de cassation n'ait pas tenu compte du fait que la perception de la prime par l'ancien dirigeant pouvant caractériser le délit d'abus de biens sociaux n'était pas dissimulée et que les cessionnaires en avaient eu connaissance au plus tard au moment de la signature de la convention de fixation du prix définitif de cession des actions (le 23 mai 2003), comme l'avait relevé le chambre de l'instruction. On doit rappeler que dans des hypothèses analogues, la Haute juridiction refuse à des dirigeants ou actionnaires négligents  [12] le droit de se prévaloir de la jurisprudence retardant le point de départ de la prescription en matière d'abus de biens sociaux  [13]. C'est qu'en effet, un tel retard ne devrait, en aucun cas, profiter à ceux qui font preuve de négligence en n'agissant pas pendant le délai de la prescription, alors qu'ils avaient ou auraient dû avoir connaissance des actes susceptibles de constituer le délit d'abus de biens sociaux  [14]. Ainsi, dans le cas de rachat d'une société, a-t-il été jugé qu'il appartenait aux nouveaux dirigeants de procéder à toutes les vérifications nécessaires quant au fondement d'une facture correspondant aux honoraires d'un avocat, dus personnellement par les anciens actionnaires, et prise en charge par la société plaignante  [15]. La Haute juridiction n'a pas non plus admis le report du point de départ du délai de la prescription dès lors que l'associé minoritaire d'une société, qui s'était constitué partie civile pour abus de biens sociaux, avait pu avoir une parfaite connaissance des conditions dans lesquelles la cession d'une filiale, réalisée pour un franc au profit de proches de l'ancien président du conseil d'administration, avait été effectuée  [16]. Il en était de même des plaignants qui, ayant « pris en charge une société civile professionnelle », étaient en mesure de vérifier les comptes sociaux et de découvrir les détournements de fonds imputés à l'ancien gérant  [17].

10Sans aucun doute, ces solutions jurisprudentielles, qui n'hésitent pas à sanctionner la négligence des plaignants en admettant la prescription des faits délictueux dont ils auraient été victimes, auraient pu recevoir application dans la présente affaire.

11En tout cas, bien que l'Assemblée plénière de la Cour de cassation estime que les règles relatives à la prescription de l'action publique sont « anciennes, connues, constantes et reposent sur des critères précis et objectifs »  [18], une intervention législative serait, à notre avis, souhaitable pour mettre fin à l'instabilité et à l'incohérence jurisprudentielles qui règnent en la matière.

2. Des « gérants de fait » déclarés coupables des abus de biens sociaux (Crim., 22 janvier 2014, n° 12-87.105, Rev. sociétés 2014. 452, note B. Bouloc)

12Par l'arrêt du 22 janvier 2014, la Chambre criminelle a confirmé une décision de la cour d'appel de Metz ayant déclaré deux époux coupables des abus de biens sociaux  [19] en leur qualité de gérant de fait. Pour ce faire, les juges répressifs avaient, d'abord, tenu compte des déclarations du gérant statutaire de la société et de son épouse, selon lesquelles les condamnés étaient « les vrais gérants » de ladite société. Par ailleurs, à l'occasion d'une perquisition effectuée au domicile de ces derniers, avaient été découverts de nombreux actes accomplis pour le compte de la société en formation, ainsi que de nombreux documents intéressant ladite société, tels que des documents bancaires et financiers, des fiches de paie, des projets d'acquisition immobilière, un projet de constitution de nouvelle société. En outre, d'autres documents de gestion étaient retrouvés ne comportant pas la signature des gérants de droit de la société, tandis que des courriers avaient été signés par l'un des époux condamnés avec le tampon de la société. Pour établir la gestion de fait, la juridiction du second degré s'était également fondée sur la réception par les intéressés d'un fax concernant une facture de panneaux installés à un magasin sept mois avant la création de la société et sur la commande de cinq systèmes d'alarme surveillance passée auprès d'un installateur d'alarme pour les trois magasins de la société et pour la maison individuelle des époux. Aussi bien, ledit installateur déclarait-il « avoir négocié avec les trois dirigeants », à savoir les deux époux et le gérant légal, et précisait que l'épouse du « gérant de fait » s'était fait passer pour celle du gérant légal et qu'elle avait « pris une part très active dans la négociation ».

13Les intéressés, ayant formé un pourvoi en cassation, contestaient la décision de condamnation qui était fondée sur leur qualité de « gérant de fait ». En particulier, ils faisaient valoir que cette qualité « suppose des pouvoirs d'initiative, de direction et de contrôle qu'il appartient aux juges de fond, dans l'exercice de leur pourvoir souverain, de caractériser ». Ils prétendaient alors que la cour d'appel n'avait pas caractérisé ces pouvoirs permettant d'établir la gestion de fait, si bien qu'elle avait privé sa décision de base légale.

14Mais une telle condamnation était-elle, en l'espèce, justifiée ?

15On doit, d'abord, rappeler que la loi du 24 juillet 1966 ayant assimilé les dirigeants de fait aux dirigeants de droit, l'abus de biens sociaux peut avoir comme auteur toute personne qui, directement ou par personne interposée, aura, en fait, exercé la direction, l'administration ou la gestion d'une société, sous le couvert ou au lieu et place de ses représentants légaux (v. pour les SARL, art. L. 241-9 C. com. ; pour les sociétés anonymes, art. L. 246-2 C. com. ; pour les sociétés par actions simplifiées, art. L. 244-4 C. com.).

16Mais, pour qu'il y ait gestion (ou direction) de fait, il faut que la personne à qui l'on reconnaît une telle qualité se comporte comme le dirigeant de droit, c'est-à-dire, agissant de manière indépendante, a la signature bancaire  [20], établit des documents sociaux, conclut les contrats importants au nom de la société  [21], embauche et licencie le personnel  [22], détermine la politique de l'entreprise, et est reconnu comme le maître de celle-ci par les tiers  [23]. Bien qu'il ne soit pas titulaire d'un mandat social, le gérant (ou le dirigeant) de fait s'immisce dans la gestion, l'administration ou la direction de la société, de manière positive et en toute indépendance  [24].

17Pour caractériser la gestion (ou la direction) de fait, les juges répressifs doivent donc établir que la personne incriminée a accompli des actes positifs de direction traduisant une immixtion effective dans le fonctionnement de la société. En particulier, ils doivent se fonder sur un faisceau d'indices « pertinents, précis et concordants » permettant de démontrer l'ingérence dans la gestion ou la prise de pouvoir de direction  [25]. Tel est le cas de l'actionnaire d'une société anonyme qui s'immisce dans la gestion de la société, en signant des contrats pour le compte de celle-ci, en recevant à son nom les factures des fournisseurs, et en réglant personnellement les dettes sociales au moyen de chèques sans provision  [26]. Pour retenir la gestion (ou direction) de fait, les juridictions pénales s'appuient sur des actes démontrant que leur auteur « est en mesure de décider du sort commercial et financier de l'entreprise »  [27]. Il ne suffit pas de constater la part prépondérante de l'intéressé dans le capital social  [28] ou qu'une épouse, secondant son mari, se comportait comme un gérant de fait en surveillant la comptabilité  [29]. Il faut établir en quoi la personne a pris une part essentielle dans des fonctions déterminantes pour la direction de l'entreprise et de manière indépendante  [30]. Une opération financière isolée, l'usage d'une procuration pour des fins particulières ou l'accomplissement d'actes « épisodiques, isolés et peu précis »  [31] ne suffisent pas à caractériser la direction ou la gestion de fait.

18Dans la présente affaire, il est permis de penser que la détention de nombreux documents intéressant la société (documents bancaires et financiers, fiches de paie, projets d'acquisition immobilière, documents de gestion…), la réception d'un fax concernant une facture, la commande passée pour l'achat de cinq systèmes d'alarme surveillance et les déclarations de l'installateur d'alarme faisaient clairement apparaître l'implication des condamnés dans la gestion et le fonctionnement de la société. Mais, à notre avis, ces actes n'étaient pas de nature à caractériser la prise de pouvoir de direction et ne démontraient pas que leurs auteurs étaient en mesure de décider du « sort commercial et financier de l'entreprise », de manière positive et en toute indépendance.

19À vrai dire, pour retenir la gestion de fait, la juridiction du second degré avait notamment tenu compte du fait que l'un des époux était frappé d'une interdiction de gérer, ainsi que des déclarations du gérant légal et de son épouse, selon lesquelles la création de la société « était une idée » des condamnés et que ces derniers devaient se servir du gérant légal jusqu'à la fin de cette interdiction. Ces déclarations, confortées par tous les autres éléments, révélaient donc le recours à un prête-nom et permettaient de caractériser la gestion de fait.

20Il faut bien reconnaître que la présente décision s'inscrit dans le sillage d'une jurisprudence antérieure ayant attribué la qualité de gérant de fait à une personne qui, malgré une interdiction professionnelle définitive, avait créé une société de droit anglais ayant sous-traité une partie de ses activités à une SARL créée par cette personne « avec des prête-noms »  [32]. De même, il y avait recours à un prête-nom dans l'hypothèse où l'associé majoritaire d'une société, ayant fait l'objet de poursuites pénales, a été contraint de démissionner de la gérance, et a nommé sa fille à sa place, tout en continuant de se présenter aux tiers comme le seul mandataire social  [33]. Comme dans ces cas, les juges du second degré avaient pris soin, dans la présente affaire, d'établir la gestion de fait et on comprend, dès lors, que la Cour de cassation ait approuvé leur décision et rejeté les pourvois des condamnés.

Notes

  • [1]
    B. Bouloc, Procédure pénale, 24e éd., Dalloz, 2014, n° 668 ; F. Deportes et L. Lazerges-Cousquer, Traité de procédure pénale, 3e éd., Economica, 2013, n° 742.
  • [2]
    V. C. pr. pén., art. 382, al. 3
  • [3]
    Crim., 3 mars 1899, Bull. crim. n° 38 ; Crim., 25 nov. 1909, Bull. crim. n° 550 ; Crim., 8 avr. 1957, Bull. crim. n° 336 ; Crim., 12 nov. 1981, Bull. crim. n° 302 ; Crim., 28 mai 2003, Bull. crim. n° 108 ; Crim., 19 sept. 2006, Bull. crim. n° 228.
  • [4]
    Crim., 20 janv. 2009, Bull. crim. n° 21, AJ pénal 2009. 177, obs. C. Girault, Dr. pénal 2009, comm. n° 57, note A. Maron et M. Haas.
  • [5]
    Crim., 18 janv. 2006, Dr. pénal 2006, comm. n° 76, note A. Maron ; v. aussi : Crim., 30 nov. 1987, Bull. crim. n° 435 ; Crim., 18 févr. 1991, Bull. crim. n° 85 ; Crim., 28 nov. 1996, Bull. crim. n° 437.
  • [6]
    Crim., 12 mars 1936, Bull. crim. n° 31.
  • [7]
    Crim., 23 déc. 1940, D. 1941. 59, note H. Donnedieu de Vabres. V. aussi : Crim., 29 janv. 1969, Bull. crim. n° 56 ; Crim., 22 oct. 1970, D. 1971. 87, Rev. sociétés 1971. 399, note B. Bouloc ; Crim., 30 juin 1971, Bull. crim. n° 218, Rev. sociétés 1972. 383, note B. Bouloc.
  • [8]
    B. Bouloc, note ss Crim., 14 nov. 2013, Rev. sociétés 2014. 125, n° 7.
  • [9]
    Crim., 6 déc. 1982, D. 1983. IR 196 ; cf. aussi : Crim., 30 mai 1994, Bull. crim. n° 210 ; Crim., 19 déc. 1995, Bull. crim. n° 390 ; Crim., 25 févr. 1998, Bull. crim. n° 76 ; Crim., 27 mars 2002, Bull. crim. n° 70 ; Crim., 1er déc. 2004, Bull. crim. n° 304 ; Crim., 19 sept. 2006, Bull. crim. n° 228.
  • [10]
    V. par ex. : Crim., 17 sept. 1997, Bull. crim. n° 300, D. 1998. 399, note D. Rebut ; Crim., 25 févr. 1998, Bull. crim. n° 96 ; Crim., 28 mai 2003, Bull. crim. n° 108, JCP 2003. IV. 2370 ; Crim., 7 juill. 2005, Bull. crim. n° 206, D. 2005. 2998, note Donnier, JCP 2005, II, 10143, note J. Leblois-Happe, Dr. pénal 2005, comm. n° 132, note J.-H. Robert, AJ pénal 2005. 370, obs. J. Leblois-Happe ; Crim., 18 janv. 2006, Dr. pénal 2006, comm. n° 76, note A. Maron ; Crim., 3 oct. 2007, D. 2007. AJ 2814.
  • [11]
    Crim., 16 mai et 27 juin 2012, Dr. sociétés 2012, comm. n° 191, note R. Salomon, Rev. sociétés 2013. 172, note B. Bouloc.
  • [12]
    V. sur la question, B. Bouloc, L'abus de biens et de pouvoirs sociaux, in Lamy Droit pénal des affaires 2013, n° 1863.
  • [13]
    Crim., 9 janv. 2008, n° 07-82.436, RLDA 2008/26, n° 1553, obs. A. Faussurier ; Rev. sociétés 2008. 420, note B. Bouloc. V. aussi : Crim., 26 févr. 2007, n° 06-80.200, Rev. sociétés 2007. 887, note B. Bouloc, Dr. pénal 2007, comm. n° 83, note J.-H. Robert ; D. 2007. 1817, chron. D. Caron et S. Ménotti ; ibid. 2008. 1573, obs. C. Mascala (il n'y a pas de dissimulation en cas de cautionnement hypothécaire, dûment publié à la Conservation des hypothèques).
  • [14]
    V. aussi : Crim., 10 avr. 2013, n° 12-81.048.
  • [15]
    Crim., 30 janv. 2013, RSC 2013. 354, obs. H. Matsopoulou, Rev. sociétés 2013. 371, note H. Matsopoulou ; cf. aussi : Crim., 11 juill. 2012, Rev. sociétés 2012. 653, note B. Bouloc, RTD com. 2012. 857, obs. B. Bouloc.
  • [16]
    Crim., 11 févr. 2003, n° 02-80.752, RJDA 2003, n° 604.
  • [17]
    Crim., 6 sept. 2000, n° 99-87.412, Bull. Joly 2001. 61, note E. Dezeuze ; RSC 2001. 394, obs. J.-F. Renucci.
  • [18]
    Cass., ass. plén., 20 mai 2011, n° 11-90.025, n° 11-90.032, n° 11-90.033, D. 2011. 1346, note A. Lienhard, et ibid. 2011. 1426, Point de vue, D. Chagnollaud (Un coup d'État juridique ?), Dr. pénal 2011, comm. n° 95, note J.-H. Robert, B. Mathieu, La prescription de l'action publique ne constitue pas un principe constitutionnel, JCP 2011, Aperçu rapide n° 670, Rev. sociétés 2011. 512, note H. Matsopoulou.
  • [19]
    Dans la même affaire, les deux époux ont été également condamnés pour escroquerie et détention, offre ou vente de marchandises contrefaites.
  • [20]
    V. pour un gérant de fait ayant procuration sur les comptes bancaires : Crim., 3 juin 1991, Gaz. pal. 17-18 janv. 1992, 1, somm. p. 26 ; Crim., 23 févr. 2011, n° 10-83.461, RSC 2011. 619, obs. H. Matsopoulou ; v. aussi : Crim., 6 mai 2009, n° 08-86.378, D. 2010. 1663, obs. C. Mascala (« la qualité de gérante de fait [de la prévenue] se déduit des fonctions de direction qu'elle exerçait dans la réalité, aux côtés de son compagnon, disposant d'un large pouvoir sur le fonctionnement des comptes bancaires, sur le règlement des factures de fournisseurs, sur la négociation des délais de paiements des cotisations sociales, sur l'utilisation de son propre chef des fonds sociaux, de sorte qu'elle disposait bien d'un pouvoir de contrôle et de direction sur la vie sociale »).
  • [21]
    Crim., 31 mai 2012, Dr. pénal 2012, comm. n° 132, note J.-H. Robert, Rev. sociétés 2013. 47, note H. Matsopoulou, RTD com. 2013. 159, obs. B. Bouloc, RSC 2013. 351, obs. H. Matsopoulou.
  • [22]
    Com., 19 févr. 2002, RJDA 2002, n° 7.
  • [23]
    Crim., 19 sept. 1994, Bull. Joly 1994. 1309, note J.-F. Barbiéri ; Crim., 26 oct. 1995, RJDA 1996, n° 2, n° 279 ; Crim., 1er déc. 2010, n° 01-86.644, Dr. sociétés 2011, comm. n° 60, obs. R. Salomon.
  • [24]
    J.-L. Rives-Lange, La notion de dirigeant de fait, D. 1975. Chron. 41 ; cf. aussi : D. Tricot, Les critères de la gestion de fait, Dr. et patr. 1996, n° 34, p. 24 ; G. Notté, La notion de dirigeant de fait au regard du droit des procédures collectives, JCP CI 1980, I, 8560 ; N. Dedessus-Le Moustier, La responsabilité du dirigeant de fait, Rev. sociétés 1997. 499.
  • [25]
    Lamy, Droit commercial, n° 4156.
  • [26]
    Com., 18 mai 1981, Bull. civ. IV, n° 240.
  • [27]
    Lamy, Droit commercial, n° 4155.
  • [28]
    Com., 28 janv. 1997, D. 1997. IR 72.
  • [29]
    Com., 8 oct. 1996, Dr. sociétés 1996, comm. 211, obs. Y. Chaput.
  • [30]
    Com., 12 juill. 2005, Bull. civ. IV, n° 169 ; Com., 12 juill. 2005, Bull. civ. IV, n° 174.
  • [31]
    Com., 26 oct. 1999, Bull. Joly 2000. 149, note P. Le Cannu.
  • [32]
    Crim., 27 févr. 2013, n° 12-81.621.
  • [33]
    Com., 14 oct. 1997, RTD com. 1998. 164, obs. Cl. Champaud et D. Danet.
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