Notes
-
[1]
Com., 11 juin 2013, n° 12-13.961, D. 2013. 1542, obs. E. Chevrier.
-
[2]
TPICE, 12 avr. 2013, n° T-442/08, RTD com. 2013. 296, obs. F. Pollaud-Dulian.
-
[3]
CJUE, 14 mars 2013, n° C-32/11, Allianz Hungária Biztosító Zrt. c/ Gazdasági Versenyhivatal, D. 2013. 764.
-
[4]
CJUE, 6 juin 2013, n° C-536/11, AJDA 2013. 1684, chron. M. Aubert, E. Broussy et H. Cassagnabère.
-
[5]
CJUE, 14 juin 2011, n° C-360/09, AJDA 2011. 1614, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat ; cette Revue 2012. 315, chron. L. Idot ; RTD eur. 2011. 844, obs. J.-B. Blaise.
-
[6]
TPICE, 11 juill. 2007, n° T-170/06, RTD eur. 2008. 313, chron. J.-B. Blaise et L. Idot.
-
[7]
CJUE, 7 févr. 2013, n° C-68/12, Protimonopolný úrad Slovenskej republiky c/ Slovenská sporitelna a.s., D. 2013. 431.
-
[8]
CJCE, 10 sept. 2009, n° C-97/08, cette Revue 2010. 244, obs. L. Idot ; RTD com. 2010. 144, obs. C. Champaud et D. Danet ; RTD eur. 2010. 647, chron. J.-B. Blaise et L. Idot.
-
[9]
CJCE, 11 déc. 2007, n° C-280/06, AJDA 2008. 240, chron. E. Broussy, F. Donnat et C. Lambert ; cette Revue 2008. 168, obs. L. Idot ; RTD eur. 2008. 313, chron. J.-B. Blaise et L. Idot.
-
[10]
CJUE, 18 juin 2013, n° C-681/11, AJDA 2013. 1684, chron. M. Aubert, E. Broussy et H. Cassagnabère ; D. 2013. 1542.
-
[11]
CJUE, 3 mai 2011, n° C-375/09, AJDA 2011. 1614, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat ; cette Revue 2012. 315, chron. L. Idot ; RTD eur. 2011. 841, obs. J.-B. Blaise.
-
[12]
CJUE, 7 déc. 2010, n° C-439/08, AJDA 2011. 264, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat ; cette Revue 2012. 315, chron. L. Idot ; RTD eur. 2011. 173, chron. L. Coutron ; ibid. 418, obs. L. Idot.
Procédures quasi-répressives en droit de la concurrence
11. La présente livraison couvre la période qui court du 1er février 2013 au 31 juillet 2013.
2Au cours de cette dernière, l'activité décisionnelle de la Commission européenne peut être qualifiée d'habituelle. Deux décisions d'interdiction, avec des montants d'amendes de l'ordre de 150 millions d'euros, ont été adoptées. Un nouveau cartel impliquant les producteurs mondiaux de faisceaux de fils électriques a fait l'objet d'une « transaction », ce qui porte à 7 le nombre d'affaires closes par cette procédure introduite en 2008 (Comm. UE, 10 juill. 2013, producteurs de faisceaux de fils électriques, aff. 39.748, IP/13/673). A également été interdit un accord entre l'entreprise pharmaceutique danoise Lundbeck, producteur de l'antidépresseur citalopram, et plusieurs producteurs de médicaments génériques, qui s'étaient entendus pour retarder la commercialisation de versions génériques. Cette décision fait suite à l'enquête sectorielle menée sur le secteur (Comm. UE, déc. 19 juin 2013, Lundbeck, aff. 39.226, IP/13/563). Trois procédures ont donné lieu par ailleurs à des décisions d'acceptation d'engagements en application de l'article 9 du règlement n° 1/2003 : la première concerne à nouveau le secteur de l'énergie, cette fois-ci en République tchèque (10 avr. 2013, CEZ, AT/39.727), la deuxième, une alliance aérienne transatlantique (23 mai 2013, Continental/United/Lufthansa/Air Canada, aff. 39.595, JOUE, n° C 201, 13 juill. 2007) ; dans la troisième, qui porte à nouveau sur la commercialisation des livres numériques et complète la première décision e-Books du 12 décembre 2012, les engagements similaires ont été pris par l'éditeur britannique Penguin (Comm. UE, 25 juill. 2013, Penguin, aff. 39.847, IP/13/746). Le respect par les entreprises des engagements pris est bien évidemment fondamental. Si leur violation est constatée, la Commission peut engager une procédure d'infraction. C'est ce qui vient de se passer dans l'affaire Microsoft II. Dans une décision du 6 mars 2013 (Microsoft II, aff. 39.530 JOUE, n° C 120, 26 avr. 2013), le groupe américain a été condamné à une amende de 561 millions d'euros pour avoir méconnu de mai 2011 à juillet 2012 les engagements pris dans la décision du 16 décembre 2009 (aff. 39.530, JOUE, n° C 36, 13 févr. 2010). Enfin, même s'il ne s'agit pas de droit antitrust et ne relève pas de la « matière pénale », l'on signalera, car c'est rare (24 sur 5293 opérations notifiées depuis l'entrée en vigueur du contrôle communautaire des concentrations, dont 5 depuis l'entrée en vigueur du nouveau règlement n° 139/2004 le 1er mai 2004), l'adoption d'une nouvelle décision d'incompatibilité en matière de concentrations, la seconde depuis le début de l'année 2013. La Commission s'est opposée pour la troisième fois à l'acquisition d'Aer Lingus par Ryanair (décis. 27 févr. 2013, M.6663).
3L'action de la Commission s'inscrit de plus en plus dans une perspective internationale. À cet égard, peut être signalée la conclusion par l'Union européenne d'un nouvel accord de coopération spécifique au droit de la concurrence avec cette fois ci la Confédération helvétique (Conseil UE, déc. 22 avr. 2013, JOUE, n° L 117, 27 avr. 2013) qui s'ajoute à ceux antérieurement conclus avec les États-Unis, le Canada, le Japon, la Corée. Comme les précédents, cet accord permet en particulier les échanges d'informations entre les autorités (texte disponible sur le site de la DG comp.).
42. Au sein de l'Union européenne, les ANC (autorités nationales de concurrence) sont toujours très actives (V. les dernières statistiques de l'ECN, et ECN Brief, 1/2/3 2013). En France, l'Autorité de la concurrence a adopté quatre décisions d'interdiction dans lesquelles le droit de l'Union a été appliqué parallèlement au droit français : deux condamnent des ententes horizontales (décis. 13-D-03, 13 févr. 2013, pratiques mises en œuvre dans le secteur du porc charcutier ; décis. 13-D-12, 28 mai 2013, secteur de la commercialisation des commodités chimiques), deux des abus de position dominante (décis. 13-D-06, 28 févr. 2013, pratiques mises en œuvre dans le marché de la télétransmission de données fiscales ; décis. 13-D-11, 14 mai 2013 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur pharmaceutique). On relèvera également une décision d'acceptation d'engagements portant sur le fret maritime entre l'Europe et les Antilles françaises (décis. n° 13-D-15, 25 juin 2013).
5L'Autorité a surtout vu son action confirmée par les cours de contrôle. Dans la « vieille » affaire dite des parfums portant sur des pratiques de prix imposés (Cons. conc., décis. 6-D-04 bis, 13 mars 2006), par un arrêt du 11 juin 2013 (Sté Marionnaud et alii c/ Pdt Aut. conc. et alii, arrêt n° 614 FS-P+B [1]), la chambre commerciale de la Cour de cassation a rejeté les pourvois des différents parfumeurs dirigés contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris (Paris, 26 janv. 2012) statuant sur renvoi après cassation (Com., 23 nov. 2010). Les moyens invoqués portaient sur les questions de procédure (violation du délai raisonnable, avec ses conséquences sur l'obligation de conservation des preuves) et sur la notion d'accord dans les relations verticales. Dans l'affaire Orange Caraïbes, où l'une des questions débattues avait porté l'applicabilité du droit de l'Union, l'enjeu portant sur la possibilité d'imputer le comportement de la filiale Orange Caraïbes à la société mère France Télécom, statuant sur renvoi après cassation (Com., 31 janv. 2012), la cour d'appel de Paris (Paris, 4 juill. 2013, Sté Digicel) a rejeté pour l'essentiel les recours formés contre la décision de l'Autorité (décis. 09-D-36), la décision étant annulée uniquement sur un grief relatif à une pratique de ciseau tarifaire, jugée non établie. De même, dans l'affaire dite du carburéacteur (décis. 08-D-30), la cour d'appel de Paris (CA, 28 mars 2013, Sté des Pétroles Shell), statuant également sur renvoi après cassation (Com., 1er mars 2011), a rejeté les recours. L'applicabilité du droit de l'Union avait également été au cœur des débats, l'enjeu étant là de nature procédurale, car le Conseil de la concurrence avait à l'époque sollicité l'assistance de son homologue britannique, l'Office of Fair Trading, pour réaliser les enquêtes aux sièges des compagnies pétrolières à Londres en application de l'article 22 du règlement n° 1/2003. Dans un troisième arrêt, de manière plus classique, la cour d'appel de Paris (Paris, 16 mai 2013, Kontiki) a également rejeté les recours formés contre une décision de l'Autorité (décis. 11-D-19) qui avait condamné le fabricant des jouets Diddl pour des pratiques de prix imposés.
63. Devant les juridictions européennes, plusieurs affaires ont porté sur des questions de droit substantiel, qu'il s'agisse de la confirmation de l'applicabilité des articles 101 et 102 TFUE aux ordres professionnels (CJUE, 28 févr. 2012, Ordem dos Tecnicos Oficials de Contas, aff. C-1/12, Europe, 2013, comm. 175, à mettre en parallèle avec Aut. Conc., décis. 13-D-06, préc.), de la preuve de pratiques concertées en liaison avec la gestion collective de droits d'auteur (Trib. UE, 12 avr. 2013, 22 arrêts, CISAC et alii, aff. T-442/08 [2], Europe, 2013, comm. 269), ou encore de la notion de restriction de concurrence par objet (CJUE, 14 mars 2013, Allianz Hungaria Birtosito, aff. C-32/11 [3], Europe, 2013, comm. 216).
7La fin du premier semestre a surtout été dominée par une avancée significative de ce qu'il est convenu d'appeler le « private enforcement », soit les actions devant les juridictions de droit commun visant à tirer les conséquences civiles de la violation des règles de concurrence, et notamment les actions en réparation. Quelques jours après que la Cour de Justice ait confirmé les modalités de l'accès au dossier des autorités de concurrence à des fins d'action privée en réparation (CJUE, 6 juin 2013, Donau Chemie, aff. C-536/11 [4], Europe, 2013, comm. 360) dans la ligne de l'arrêt Pfleiderer de 2011 (CJUE, gde ch., 14 juin 2011, aff. C-360/09 [5] ; adde, pour une étude d'ensemble, L. Idot et F. Zivy, L'accès au dossier des autorités de concurrence dans le cadre des actions privées : État des lieux deux ans après l'arrêt Pfleiderer, Concurrences n° 3-2013, p. 35-53), la Commission a présenté le paquet législatif de longue date attendu pour faciliter le private enforcement. Ce dernier se compose d'une proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit interne pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l'Union européenne (COM (2013) 404 final, 11 juin 2013), d'une communication relative à la quantification du préjudice (…) (JOUE, n° C 167, 13 juin 2011) et d'un texte transversal, une recommandation de la Commission relative à des principes applicables aux mécanismes de recours collectif en cessation et en réparation dans les États membres en cas de violation de droits conférés par le droit de l'Union (non encore publié).
84. En toute hypothèse, le private enforcement n'a pas vocation à supplanter la mise en œuvre dans l'intérêt général, soit le public enforcement, dont l'appartenance à la « matière pénale » n'est plus débattue. La compatibilité du système avec l'article 6 CEDH a de nouveau été contestée par une requérante, dans le cadre des pourvois formés contre les arrêts du Tribunal dans l'affaire dite des ascenseurs (décis. 21 févr. 2007, aff. 38.823, et sur recours, la série d'arrêts du Tribunal du 13 juill. 2011 ; V. La répression des pratiques anticoncurrentielles par les institutions de l'Union européenne (1er juill. 2010 - 1er mai 2012, cette Revue 2012. 315), mais la Cour a rejeté le pourvoi (CJUE, 18 juill. 2013, Schindler, aff. C-501/11 P, Europe, 2013, comm. 410 ; V. égal. dans l'affaire des déménagements internationaux, CJUE, 11 juill. 2013, Ziegler, aff. C-439/11 P, Europe, 2013, comm. 409). Dans cette affaire où la décision a été adoptée avant l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, les solutions ont été affirmées de longue date. Le fait de confier à une autorité administrative la tâche de poursuivre et de réprimer les infractions au droit de la concurrence n'est pas incompatible avec la CEDH pour autant que les entreprises puissent ensuite saisir un tribunal offrant les garanties prévues à l'article 6 CEDH (V. en particulier, CEDH, 27 sept. 2011, Menarini ; adde, cette Revue 2012. 315, préc., sp. n° 18).
9Même si certaines affaires en matière de cartels apparaissent quelque peu répétitives et n'appellent pas de longs commentaires, surtout lorsqu'il s'agit de pourvois sèchement rejetés et ne donnant pas lieu à conclusions (dans l'affaire des raccords (décis. 20 sept. 2006, aff. 38.121), CJUE, 14 mars 2013, Viega, aff. C-276/11 P, Europe, 2013, comm. 232 ; affaire du tabac brut italien (décis. 20 oct. 2005, aff. 38.281), CJUE, 11 avr. 2013, Mindo, aff. C-652/11 P, Europe, 2013, comm. 286 ; affaire des méthacrylates (décis. 31 mai 2006, aff. 38.645), CJUE, 30 mai 2013, Quinn Barlo, aff. C-70/12 P, Europe, 2013, comm. 324), les arrêts rendus au cours de la période de référence apportent quelques précisions sur le déroulement des procédures, les questions de responsabilités et de sanctions.
Le déroulement des procédures
Les droits des plaignants
105. Les solutions habituelles en matière de traitement des plaintes ont été confirmées dans un premier arrêt du Tribunal (Trib. UE, 30 mai 2013, Omnis Group, aff. T-74/11, Europe, 2013, comm. 312), qui rejette un recours contre une décision de rejet de plainte visant Microsoft pour l'attribution d'un marché public en Roumanie qui portait sur des logiciels de gestion, marché sur lequel l'entreprise détenait de très faibles parts de marché inférieures à 3%. Sur les questions purement procédurales de recevabilité des recours, peut également être signalé le rejet d'un recours contre une décision de rejet d'une plainte d'un joueur de tennis exclu du circuit (CJUE (ord.), 20 juin 2013, G. Canas, aff. C-269/13 P).
11Méritent surtout de retenir l'attention, en raison du contexte particulier de l'affaire, deux arrêts du Tribunal intervenus dans l'affaire des diamants (Trib. UE, 11 juill. 2013, 2 arrêts, BVGD, aff. jtes T-104/07 et T-339/08, Diamanthandel A. Spira, aff. jtes T-108/07 et T-354/08 , Europe, 2013, comm. 412). Étaient en cause les accords de fourniture de diamants bruts mis en place par une filiale du groupe de Beers, dits « SOC », qui avaient été notifiés à la Commission en 2001. Les requérantes, des syndicats de diamantaires, avaient déposé des plaintes, qui furent rejetées par des décisions du 26 janvier 2007. Entretemps, dans une affaire parallèle concernant les relations de de Beers avec Alrosa, la Commission avait accepté les engagements de de Beers par une décision du 17 mars 2006 (aff. 38.381). Le Tribunal ayant annulé la décision d'acceptation d'engagements à la suite d'un recours d'Alrosa (TPICE, 11 juill. 2007, Alrosa aff. T-170/06 [6]), la Commission a informé les requérantes de sa conclusion provisoire selon laquelle cette annulation ne modifiait pas ses décisions de janvier 2007, puis, au terme de plusieurs épisodes procéduraux, a adopté une décision complémentaire de rejet le 5 juin 2008. Les deux groupements ont intenté des recours en annulation à l'encontre des deux décisions.
126. Le BVGD a tout d'abord contesté sans succès la légalité de la procédure complémentaire, qui n'est effectivement pas prévue par les textes. L'argument est néanmoins écarté dans la mesure où un principe général du droit permet à une autorité administrative de réexaminer, modifier ou retirer ses décisions. Ce principe a été affirmé par la Cour de Justice dès 1957 (CJ CECA, 12 juill. 1957, Algera et alii, aff. 7/56, Rec., p. 81). Il s'applique d'autant plus en l'espèce qu'une décision de rejet de plainte ne crée aucun droit subjectif au profit de son destinataire.
13Les deux requérantes ont ensuite contesté la violation de leurs droits procéduraux, ce qui conduit le Tribunal à rappeler que la procédure d'examen d'une plainte n'est pas une procédure contradictoire. Dans la procédure européenne, à la différence de la procédure française où l'auteur de la saisine de l'Autorité est une partie, les plaignants ne peuvent se prévaloir des droits de la défense. Par voie de conséquence, même s'ils ont accès à certaines pièces du dossier de la Commission, les plaignants ont des droits moins étendus que ceux des entreprises poursuivies. La procédure reste également dominée par le principe d'opportunité des poursuites, mais la Commission doit néanmoins procéder à un examen impartial et complet de la plainte. Au final, elle peut rejeter la plainte, soit pour des raisons objectives tenant aux pratiques dénoncées qui échappent à l'interdiction des articles 101 et 102 TFUE, soit pour défaut d'intérêt communautaire, dès lors qu'elle adopte une décision motivée susceptible d'un contrôle juridictionnel. En l'espèce, dans ces deux arrêts de plus de 60 pages, avant de rejeter les recours, le Tribunal examine de manière détaillée l'ensemble des éléments avancés par les requérantes, y compris les appréciations factuelles nécessaires à l'identification d'éventuelles pratiques anticoncurrentielles.
Les droits des entreprises poursuivies
147. Les solutions habituelles ont été rappelées à l'occasion de différents recours dans des affaires de cartels. Dans l'affaire du fluor d'aluminium (décis. 25 juin 2008, aff. 39.180), les deux requérantes ont notamment invoqué une violation des droits de la défense, en particulier dans la mesure où la décision finale aurait conclu à une infraction différente de celle visée dans la communication des griefs et où la Commission aurait poursuivi son enquête et recueilli des éléments postérieurement à cette communication. Le Tribunal a dès lors rappelé les conditions requises de la communication des griefs (Trib. UE, 18 juin 2013, Fluorsid, aff. T-404/08 ; Trib. UE, 18 juin 2013, ICF, aff. T-406/08, Europe, 2013, comm. 361 ; V. égal. sur une éventuelle divergence entre la communication de griefs et la décision finale, CJUE, 13 juin 2013, Versalis, aff. C-511/11 P). Pour le juge européen, l'énonciation des éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure peut être donnée de manière sommaire. Sont dès lors admissibles des ajouts dès lors que les droits de la défense des entreprises sont ensuite respectés. Par ailleurs pour que la violation des droits de la défense soit reconnue, encore faut-il démontrer que, en raison d'une irrégularité commise par la Commission, la procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent. Vérifiant les données de l'espèce, le Tribunal n'identifie aucune violation. Il précise également dans l'affaire Fluorsid (aff. T-404/08) que la Commission n'a pas à préciser dans la communication des griefs qu'elle n'entend pas donner suite à une demande de réduction de l'amende faite par un demandeur de clémence de deuxième rang. La Commission n'a à se prononcer sur ces demandes que dans la décision finale.
158. Sans entrer dans le détail de situations complexes, d'autant que ces affaires n'ont pour le moment fait l'objet que d'ordonnances, l'on signalera la montée en puissance des débats autour de la protection des données confidentielles.
16Dans l'affaire dite des lessives qui a donné lieu à deux décisions, l'une de la Commission qui a condamné une entente européenne liée à l'entrée en vigueur des nouvelles normes environnementales (aff. 39.579, décis. 13 avr. 2011), l'autre de l'Autorité de la concurrence qui a condamné une entente française liée à l'entrée en vigueur de la loi Galland en 2017 et à la question des marges arrières (décis. 11-D-17), le groupe Henkel a demandé la transmission de pièces du dossier de la Commission à l'Autorité, l'objectif étant de démontrer qu'il y avait une seule et même entente. Des recours ont été intentés contre les diverses prises de position à l'origine négatives de la Commission. Par deux ordonnances (Trib. UE (ord.), 7 mars 2013, Henkel, aff. T-607/11 et T-64/12, Europe, 2013, comm. 218), le Tribunal a considéré que la requérante n'avait plus d'intérêt à agir, dès lors que l'Autorité avait estimé dans sa décision finale que cette transmission n'était pas nécessaire. Cette dernière décision fait, en effet, l'objet d'un recours devant la cour d'appel de Paris et il appartiendra à la juridiction française de déterminer si la transmission des pièces devait, ou non, être opérée.
17Mérite également de retenir l'attention une ordonnance du Président du Tribunal (Trib. UE, ord. Pdt, 11 mars 2013, Pilkington Group, aff. T-462/12 R, Europe, 2013, comm. 218) accordant le sursis à exécution, pour certaines catégories d'informations, d'une décision de la Commission visant à publier une version intégrale non confidentielle plus complète de la décision condamnant le cartel du verre automobile (décis. 12 nov. 2008, aff. 39.125), que celle initialement mise à la disposition du public. Le recours contre la décision d'interdiction du cartel est toujours pendant. Il convient de rappeler que les secrets d'affaires ne sont en principe plus protégeables après l'écoulement d'un certain délai, ce qui rend cette ordonnance quelque peu surprenante.
La détermination des responsabilités
La preuve de la participation à l'entente
189. Comme au cours de la période précédente, à l'occasion de débats sur la force probante de certains documents, le Tribunal a rappelé les règles de preuve d'une entente (V. par ex., dans l'affaire dite des bananes (décis. 15 oct. 2008, aff. 39.188), Trib. UE 14 mars 2013, Dole Food Company, aff. T-588/08 ; dans l'affaire des tuyaux marins (décis. 28 janv. 2009, aff. 39.406, Trib. UE, 17 mai 2013, Trelleborg Industrie et Trelleborg AB, aff. T-147 et 148/09, Manulli Rubber Industrie (MRI), aff. T-154/09 ; dans l'affaire du fluor d'aluminium, préc., Trib. UE, 18 juin 2013, aff. T-404/08, Fluorsid ; Trib. UE, 18 juin 2013, aff. T-406/08, ICF).
1910. Mais on relèvera surtout des débats de plus en plus fréquents sur la notion d'infraction unique et continue, très souvent utilisée en matière de cartels et validée par la Cour de justice dans l'arrêt Anic (CJCE, 8 juill. 1999, aff. C-49/92 P). Les éléments factuels sont importants, ce qui rend difficile de contester cette qualification devant la Cour de Justice (V. pour une illustration, l'un des pourvois dans l'affaire des déménagements internationaux, CJUE, 11 juill. 2013, Team Relocations, aff. C-444/11 P). Dans l'arrêt Dole Food Company (Trib. UE, 14 mars 2013, aff. T-588/08, préc.), le Tribunal rappelle que cette notion d'infraction unique présente deux aspects. Elle peut se rapporter à la qualification juridique d'un comportement anticoncurrentiel (élément objectif) - entente composée de plusieurs éléments liés entre eux - ou à la responsabilité des entreprises - responsabilité retenue pour l'ensemble de l'infraction, même si matériellement l'entreprise n'a pas pris part à tous les éléments (élément subjectif). Le contrôle doit être opéré sur ces deux points. On trouvera de nombreuses indications sur l'élément objectif dans l'affaire des tuyaux marins (Trib. UE, 17 mai 2013, Trelleborg, aff. T-147/09 et 148/09, aff. T-154/08, préc.) : identité des objectifs des pratiques, des entreprises, des modalités de mise en œuvre… S'agissant de la preuve de l'élément subjectif dans le chef d'une entreprise, il incombe à la Commission d'établir que l'entreprise entendait contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l'ensemble des participants, qu'elle avait connaissance des comportements envisagés ou mis en œuvre par les autres entreprises, ou qu'elle pouvait raisonnablement les prévoir et était prête à en accepter les risques (Trib. UE, 14 mars 2013, préc. ; V. égal., Trib. UE, 18 juin 2013, ICF, aff. T-406/08). Cela étant, il ne s'agit que d'une présomption qui peut être renversée par les entreprises qui peuvent démontrer que leur participation a cessé (V. pour un ex. de présomption renversée, Trib. UE, 14 mars 2013, Trelleborg, aff. T-147/09 et 148/09, préc.).
2011. Saisie d'un pourvoi de la Commission dans l'affaire du caoutchouc butadiène (CJUE, 1re ch., 13 juin 2013, Versalis, aff. C-511/11 P), la Cour a également précisé les conséquences procédurales d'une erreur dans l'utilisation de la notion. Le Tribunal avait annulé totalement la décision litigieuse à l'égard des requérantes, alors que la requérante aurait participé à l'un des volets de l'infraction. La Commission soutenait qu'en application de l'arrêt Coppens (CJUE, 6 déc. 2012, Commission /Verhuizingen Coppens, aff. C-441/11 P, cette Revue 2013. 169, sp. n° 19), seule une annulation partielle devait intervenir. Le pourvoi est rejeté. Une décision de la Commission qualifiant une entente globale d'infraction unique et continue ne peut être divisée que si deux conditions cumulatives sont satisfaites : l'entreprise doit avoir été en mesure de comprendre qu'il lui était également reproché chacun des comportements composant l'entente, et donc de se défendre sur ce point ; de plus, la décision de la Commission doit elle-même être suffisamment claire sur ce point. Or, en l'espèce, ces conditions n'étaient pas remplies.
Les questions d'imputabilité
2112. Plusieurs hypothèses d'imputabilité ont été débattues. Dans un arrêt où elle avait été saisie par la Cour suprême slovaque (CJUE, 7 févr. 2013, Protimonopolny urad Slovenskej Republikiy, aff. C-68/12 [7], Europe, 2013, comm. 176), la Cour a rappelé une règle bien établie. Toute entreprise est responsable de ses salariés. Il n'est dès lors pas nécessaire que la personne physique ayant participé matériellement à l'infraction soit un mandataire social ou un salarié muni d'un mandat (V. égal. pour un rappel identique, dans le cartel des bananes, Trib. UE, 14 mars 2013, Dole Food Company, aff. T-588/08 ; dans l'affaire des tuyaux marins, préc., Trib. UE, 17 mai 2013, Parker ITR, aff. T-146/09).
2213. La situation la plus débattue reste l'imputabilité des comportements des filiales aux sociétés mères et la présomption selon laquelle une société mère exerce le contrôle d'une filiale à 100% dans la ligne de l'arrêt Akzo (CJCE, 10 sept. 2009, aff. C-97/08 P [8] ; adde, La répression des pratiques anticoncurrentielles par les institutions européennes, cette Revue 2012. 313). La Cour a de nouveau confirmé la compatibilité de la présomption avec les principes généraux du droit et son application aux hypothèses de contrôle indirect (dans l'affaire du caoutchouc butadiène, CJUE, 8 mai 2013, ENI, aff. C-508/11 P, Europe, 2013, comm. 314, CJUE, 13 juin 2013, Versalis, aff. C-511/11 P, CJUE, 18 juill. 2013, The Dow Chemical Company, aff. C-499/11 P, Europe, 2013, comm. 363 ; dans l'affaire des déménagements internationaux, CJUE, 18 juill. 2013, Schindler Holding, aff. C-501/11 P, CJUE, 11 juill. 2012, Commission c/ Stichting Administratiekantoor Portielje, aff. C-440/11 P). Il n'y a aucune violation du principe de la responsabilité personnelle des personnes morales dès lors que le sujet du droit de la concurrence est l'entreprise. En pratique, il est vrai que les entreprises n'arrivent en général pas à renverser la présomption (V. par ex., Trib. UE, 17 mai 2013, Parker ITR, aff. T-146/09), mais cela ne la transforme pas pour autant en présomption irréfragable (CJUE, 8 mai 2013, ENI, préc.). Dans l'hypothèse d'une filiale commune, la situation est plus complexe, mais il est possible de considérer que l'une des mères forme avec cette filiale commune une entreprise unique si l'exercice du contrôle est par ailleurs démontré (dans l'affaire des bananes, Trib. UE, 14 mars 2013, Fresh Del Monte, aff. T-587/08).
2314. Une précision importante quant aux conditions de l'utilisation de la notion d'entreprise a été donnée dans l'affaire Portielje (CJUE, 11 juill. 2013, préc.). De manière assez surprenante, le Tribunal avait considéré qu'il n'était pas possible d'imputer le comportement de la filiale Gosselin à la holding Portielje au motif qu'elle n'était pas une entreprise au sens du droit de la concurrence, car elle n'exerçait aucune activité économique (T. 16 juin 2011, Gosselin, aff. T-208/08, et T-209/08, V. La répression des pratiques anticoncurrentielles…, préc.). À titre surabondant, il avait estimé que Portielje avait réussi à renverser la présomption d'exercice du contrôle. La Commission a formé un pourvoi qui est accueilli par la Cour (CJUE, 11 juill. 2013, préc.). Lorsqu'il s'agit de sanctionner une infraction aux articles 101 et 102 TFUE commise par une entreprise, la question de savoir si chacune des entités prise isolément est une entreprise au premier sens du terme, c'est-à-dire, une entité exerçant une activité économique, est indifférente. L'essentiel est que l'ensemble des entités juridiques tenues solidairement au paiement de la même amende constitue une seule entreprise au sens du droit de la concurrence. La Cour de Justice vérifie ensuite l'argument subsidiaire selon laquelle Portielje n'exerçait pas le contrôle effectif de Gosselin. Les premiers juges s'étaient fondés pour admettre le renversement de la présomption sur le fait que l'entité faîtière n'avait adopté aucune décision formelle de gestion. La Cour identifie une deuxième erreur de droit, car cet élément étant à lui seul insuffisant. Pour déterminer si la filiale se détermine de manière autonome sur le marché, il convient de prendre l'ensemble des éléments pertinents relatifs aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent l'auteur de l'infraction à son entité faîtière. Reprenant l'examen des données, la Cour de Justice considère que la présomption n'a pas été renversée par Portielje et rejette au final son recours.
2415. Deux autres indications ont été données quant aux conséquences de l'utilisation de la notion. La première concerne le fond. Un autre pourvoi de la Commission a été accueilli dans l'affaire des raccords (CJUE, 4 juill. 2013, Commission c/ Aalberts Industries, aff. C-287/11 P). Le groupe Aalberts et ses deux filiales, Simplex et Aquatix, tenues responsables de l'infraction pour la deuxième période de l'entente avaient bénéficié d'une annulation au motif que la participation des deux filiales à cette deuxième phase n'était pas établie, ce qui entrainait également l'annulation de la décision au bénéfice de la société mère dont la responsabilité n'avait par ailleurs pas été retenue à titre personnel. Par économie de procédure, le Tribunal n'avait pas examiné le premier moyen des requérantes mettant en cause la possibilité d'imputer le comportement des filiales à la société mère et avait ensuite procédé à un examen séparé et individuel de la participation des deux filiales à l'infraction. La Commission reprochait au Tribunal de n'avoir pas tiré les conséquences de la notion d'entreprise et d'avoir ainsi ignoré les relations existantes entre les divers éléments de preuve et dénaturé de plus certains éléments de preuve. La Cour identifie effectivement une erreur de droit dans le raisonnement suivi, mais cette dernière n'emporte pas de conséquences dans la mesure où le dispositif de l'arrêt n'aurait pas été différent si le Tribunal avait raisonné par rapport à une entreprise unique. Pour que la responsabilité du groupe soit retenue pour la deuxième période de l'entente, encore aurait il fallu que l'une des entités participe à l'entente au cours de celle-ci. Examinant tous les éléments à charge, le Tribunal n'a constaté aucune infraction de la part de l'une des filiales. L'erreur de droit constatée ne peut donc conduire à l'annulation de l'arrêt.
25La seconde précision, d'ordre procédural, illustre les limites de la notion d'entreprise. Dans l'affaire du fluor d'aluminium (Trib. UE, 18 juin 2013, Fluorsid aff. T-404/08, préc.) le recours avait été formé conjointement par l'entreprise italienne, Fluorsid, et sa société mère suisse, Minmet financing, condamnées solidairement, alors que deux décisions distinctes avaient été adressées à chacune des sociétés du groupe. Le recours de Minmet étant tardif est déclaré irrecevable. On voit là les limites de la notion d'entreprise. Même si deux sociétés font partie du même groupe, qualifié d'entreprise unique, elles doivent former des recours distincts contre chacune des décisions individuelles les concernant, en respectant les délais qui peuvent varier en fonction de la date de notification et des délais de distance. En l'espèce, la requérante suisse ne pouvait invoquer aucun cas de force majeure ou d'erreur excusable.
2616. Les principes applicables en matière de succession d'entreprises ont été rappelés par le Tribunal dans l'un des arrêts sur les tuyaux marins (Trib. UE, 17 mai 2013, Parker ITR, aff. T-146/09, préc.). Le principe reste celui de la responsabilité personnelle et le critère dit de la continuité économique ne joue que dans des circonstances exceptionnelles. Dans cette affaire, le Tribunal infirme l'analyse de la Commission en considérant que la responsabilité de la requérante, ITR Rubber, devenue Parker ITR, initialement retenue pour la totalité de la durée de l'infraction, ne pouvait être retenue qu'à partir de la date à laquelle l'ensemble des actifs impliqués dans l'entente lui avaient été transférés. En l'espèce, le transfert des actifs qui avait été opéré de la société initialement impliquée dans l'entente, ITR, à la nouvelle filiale, ITR Rubber, créée aux seules fins d'opérer la cession des actifs à un nouveau groupe, ne pouvait être considéré comme une restructuration interne justifiant l'application de la théorie de la succession économique.
27Tel n'était pas le cas dans l'affaire du caoutchouc butadiène. La question été débattue dans des conditions originales dans l'un des pourvois (CJUE, 13 juin 2013, Versalis, aff. C-511/11 P, préc.). L'entreprise Versalis (ex. Polimeri) a soulevé une violation des droits de la défense résultant d'une divergence entre une deuxième communication des griefs et la décision finale sur les questions de responsabilité. Versalis avait été tenue responsable pour l'infraction de mai 1996 à novembre 2002, alors que l'activité chimique en cause ne lui avait été transférée par sa société mère, EniChem (devenue Syndial), elle-même filiale d'Eni, qu'à compter du 1er janvier 2002. Se fondant principalement sur l'arrêt ETI (CJCE, 11 déc. 2007, aff. C-280/06 [9]), dont la portée n'est pas limitée aux entités concernées par une même entité publique, la Cour rappelle que « lorsque deux entités constituent une même entité économique, le fait que l'entité ayant commis l'infraction existe encore n'empêche pas, que soit sanctionnée l'entité à laquelle elle a transféré ses activités économiques. Une telle mise en œuvre de la sanction est admissible lorsque ces entités ont été sous le contrôle de la même personne et ont, eu égard aux liens étroits qui les unissent sur le plan économique et organisationnel, appliqué pour l'essentiel les mêmes directives commerciales ».
Les sanctions
Les conditions d'infliction des amendes
2817. Deux arrêts rendus à la suite de questions préjudicielles posées par des juridictions émanant des cours de contrôle d'autorités de concurrence de nouveaux États membres ont examiné les conséquences des comportements des parties sur les sanctions encourues. Ils sont révélateurs des réticences des juges vis-à-vis de solutions propres au droit de la concurrence.
29Le premier, qui porte sur le comportement de l'entreprise victime de la pratique anticoncurrentielle, est passé presque inaperçu (CJUE, 7 févr. 2013, Protimonopolny urad Slovenskej Republikiy, aff. C-68/12, préc.). En l'espèce, des banques slovaques avaient été condamnées par l'autorité de concurrence pour avoir résilié d'un commun accord des contrats de compte courant qui les liaient à une société tchèque, fournisseur de services de change. La cour de contrôle a reproché à l'autorité de ne pas avoir tenu compte du fait que l'activité de la société tchèque, victime du boycott, était illégale. La Cour suprême slovaque a finalement interrogé la Cour de Justice, qui, sans surprise, a validé l'analyse de l'autorité. Elle a confirmé que le caractère prétendument illégal du comportement de l'entreprise affectée par l'entente n'avait absolument aucune incidence sur l'existence de l'infraction, qui s'apparentait à un boycott collectif, et pas davantage sur la sanction.
3018. Le second arrêt, rendu en grande chambre, est plus important (CJUE (gde ch.), 18 juin 2013, Schenker & Co, aff. C-681/11 [10], Europe 2013, comm. 364). Des entreprises autrichiennes de transports, qui avaient mis en place une structure commune pour le transport de colis (le SKK) en s'entourant d'avis juridiques, avaient obtenu en 1996 de l'autorité autrichienne de la concurrence une ordonnance confirmant que, malgré son objet anticoncurrentiel (fixation en commun des prix), cette structure échappait au principe d'interdiction des ententes en tant qu'accord d'importance mineure. La loi sur la concurrence autrichienne ayant été modifiée en 2005 pour être adaptée au règlement n° 1/2003, les parties ont consulté à nouveau un cabinet d'avocats, qui a confirmé la licéité de la structure compte tenu de sa faible part de marché. Il n'a toutefois raisonné qu'au regard du droit autrichien sans tenir compte de l'article 3 du règlement n° 1/2003 qui oblige toutes les juridictions et autorités nationales à appliquer les articles 101 et 102 TFUE aux pratiques qui affectent le commerce entre États membres. En 2007, l'autorité de concurrence autrichienne a engagé une procédure pour violation de l'article 101 TFUE, à laquelle l'Oberlandesgericht de Vienne a refusé de faire droit au motif que les entreprises n'avaient pas commis de faute. Pour cette juridiction, d'une part, elles pouvaient invoquer l'ordonnance du Kartellgericht de 1996 qualifiant le SKK d'une entente d'importance mineure, ce qui aurait rendu le droit de l'Union inapplicable ; d'autre part, elles avaient sollicité au préalable un avis juridique sur la licéité de leur comportement. La Commission est intervenue sur le fondement de l'article 15, § 3, du règlement n° 1/2003, pour inciter l'Oberster Gerichtshof, saisie du recours de l'autorité, à saisir la Cour de Justice. L'applicabilité du droit de l'Union n'étant plus débattue, les questions préjudicielles ont uniquement porté sur des points relatifs aux sanctions. La première d'entre elles portait sur le point de savoir si une amende peut être infligée lorsque l'infraction a pour origine une erreur de l'entreprise sur la licéité de son comportement.
31Si elle n'a aucun rôle à jouer au stade de la qualification du comportement, l'erreur peut éventuellement avoir une incidence sur l'infliction de la sanction. Cela dépend du droit applicable. Alors qu'en droit français le seul constat d'infraction suffit, en droit de l'Union (art. 23, § 2, règl. n° 1/2003, repris de l'art. 15, § 2, règl. n° 17/62), il est exigé que l'infraction ait été commise « de propos délibéré, ou par négligence ». Toutefois, l'interprétation large de la négligence, définie comme le fait de ne pouvoir ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement (CJCE, 8 nov. 1983, IAZ International Belgium et alii, aff. 96/82, Rec., p. 3369) rend en pratique l'exigence purement formelle. Dans la ligne de l'arrêt Télé 2 Polska (CJUE, 3 mai 2011, aff. C-375/09 [11], Europe, 2011, comm. 258), la Cour commence par constater que l'article 5 du règlement n° 1/2003, qui définit les pouvoirs des ANC pour l'application des articles 101 et 102 TFUE, ne tranche pas la question. Elle relève par conséquent du principe d'autonomie procédurale, lequel couvre les sanctions infligées par les ANC. Les États membres sont dès lors en principe libres d'insérer des conditions subjectives pour l'infliction d'amendes, mais sous réserve de respecter les traditionnelles limites des principes d'équivalence et d'effectivité. Si le raisonnement est tout à fait habituel, la Cour introduit à ce stade du raisonnement une précision nouvelle dans l'application du principe d'autonomie procédurale. En effet, la règle prévue en droit de l'Union à l'article 23, § 2 du règlement n° 1/2003, qui s'applique aux seules procédures menées par la Commission, peut être considérée comme un standard. Or, si l'on applique ce standard, les entreprises ne pouvaient ignorer le caractère anticoncurrentiel de leur comportement, ce qui a pour conséquence que l'autorité de concurrence doit leur imposer des amendes sur la base de son droit national, malgré leur erreur. En droit de l'Union, seul un principe général du droit de l'Union peut en définitive s'opposer à l'infliction d'une amende. Peut jouer en cette matière le principe de confiance légitime, mais en l'espèce, les conditions ne sont pas remplies. De manière prévisible, la Cour constate qu'un avis juridique d'un avocat ne saurait créer une telle confiance. Il en est de même de la décision de l'autorité nationale, notamment parce que l'autorité autrichienne n'avait raisonné que par rapport au droit autrichien. En conclusion, les entreprises ne peuvent échapper à l'infliction d'amendes.
32Le raisonnement suivi par la Cour de Justice s'écarte de celui adopté par l'avocat général Kokott, qui était uniquement fondé sur l'article 101 TFUE et n'évoquait à aucun moment le principe d'autonomie procédurale. Au nom du caractère pénal du droit des pratiques anticoncurrentielles et en application de la Charte des droits fondamentaux, l'avocat général suggérait d'admettre qu'une erreur sur la licéité du comportement puisse faire obstacle à l'imposition d'amendes. Encore fallait-il qu'elle soit excusable, condition jugée non remplie en l'espèce du fait qu'aucun des avis sollicités ne portait sur le droit européen de la concurrence et, que, de plus, jusqu'au 1er mai 2004, les entreprises auraient pu notifier l'accord à la Commission, le règlement n° 17/62 étant encore en vigueur. La démarche de la Cour fondée sur les rapports entre droit de l'Union et droits nationaux et les textes applicables est beaucoup plus orthodoxe. La théorie des droits fondamentaux, aussi importante soit-elle, ne peut jouer que comme un correctif et ne saurait dispenser de raisonner d'abord sur les textes applicables.
3319. En droit de l'Union, il faut tenir compte également des règles sur la prescription, qui ne font pas obstacle aux poursuites, mais uniquement à l'infliction d'amendes. Les règles introduites par le règlement n° 2988/74 ont été reprises à l'article 25 du règlement n° 1/2003. Dans l'affaire des tuyaux marins (Trib. UE, 17 mai 2013, Trelleborg Industrie aff. T-147 et 148/09, préc.), le Tribunal est revenu sur le point de départ de la prescription, qui, pour les infractions continues ou répétées, part de la fin de la pratique. Il précise notamment la différence entre les deux catégories, la notion d'infraction répétée ayant tout son intérêt dans les hypothèses de cartels, lorsque la participation de l'entreprise à l'infraction a été interrompue. La difficulté est alors de faire la distinction entre une infraction répétée et des infractions distinctes. Pour que la qualification d'infraction répétée puisse être retenue, l'on retrouve les mêmes conditions que pour une infraction continue, et notamment l'existence d'un objectif unique qui peut être déduit de l'identité des objectifs des pratiques, des produits concernés, des entreprises, des modalités, du champ d'application géographique, des personnes physiques impliquées… La conséquence pratique est importante, car en cas de répétition de l'infraction, la prescription ne commence à courir que du jour où l'infraction a pris fin (V. égal. pour une validation du raisonnement suivi par le Tribunal, dans l'affaire des déménagements internationaux, CJUE, 11 juill. 2013, Gosselin, aff. C-429/11 P).
Le calcul du montant de l'amende
3420. Le montant des amendes a été débattu dans toutes les affaires de cartels. Pour les plus anciennes, examinées dans les pourvois, les Lignes directrices de 1998 étaient encore applicables (V. par ex., dans l'affaire du caoutchouc butadiène, CJUE, 8 mai 2013, Eni, aff. C-508/11 P, CJUE, 13 juin 2013, Versalis, aff. C-511/11 P, CJUE, 18 juill. 2013, The Dow Chemical Company, aff. C-499/11 P, préc. ; dans l'affaire des ascenseurs, CJUE, 18 juill. 2013, Schindler, aff. C-501/11 P), une des requérantes n'hésitant pas à remettre en cause leur légalité de ces lignes directrices, alors que la question a de longue date été tranchée (CJUE, 18 juill. 2013, Schindler, préc.). Quelles que soient les lignes directrices applicables, devant la Cour, les moyens les plus souvent invoqués portent sur la violation de l'égalité de traitement (V. par ex. dans l'affaire des déménagements internationaux, CJUE, 11 juill. 2013, Gosselin, aff. C-429/11 P, Ziegler, aff. C-439/11 P, Team Relocations, aff. C-444/11 P) ou le principe de proportionnalité (CJUE, 18 juill. 2013, Schindler, préc.). Dans les affaires soumises au Tribunal, les Lignes directrices de 2006 constituent désormais toujours la référence. Dans l'affaire du fluor d'aluminium (Trib. UE, 18 juin 2013, aff. T-404/08 et T-406/08, préc.), le Tribunal rappelle une nouvelle fois les principes généraux qui gouvernent la détermination du montant de l'amende. Les lignes directrices énoncent une règle de conduite indicative, dont l'administration ne peut s'écarter sans donner des raisons qui soient compatibles avec le principe d'égalité de traitement et se limitent à décrire la méthode d'examen de l'infraction et les critères que celle-ci s'oblige à prendre en considération pour fixer le montant de l'amende.
3521. La détermination du montant de base, désormais fixé par un pourcentage de la valeur des ventes affectées par l'entente, est plus complexe. Les requérantes contestent souvent les éléments retenus pour la fixation de l'assiette de la vente (V. par ex., aff. T-404/08, préc., contestations sur la définition du marché, la valeur des ventes du fluorure d'aluminium dans l'EEE). Le Tribunal vérifie que le raisonnement qui a été suivi est conforme aux points pertinents des lignes directrices (dans l'affaire du fluor d'aluminium §§, 18, 22 et 23). Ce premier chiffre est ensuite multiplié par le nombre d'années. C'est en général sur ce point, lorsque l'appréciation du Tribunal diffère de celle de la Commission quant à la durée de la participation à l'entente, que les entreprises obtiennent des réductions (V. par ex., les réductions accordées à ITR dans l'affaire des tuyaux marins, Trib. UE, 17 mai 2013, préc.). De plus, s'agissant de cartels, conformément au § 25 des lignes directrices, un montant additionnel (appelé droit d'entrée) peut être imposé (15% dans l'affaire des bananes, 17% dans l'affaire du fluor d'aluminium).
36 S'agissant des circonstances qui modulent le montant de base, la Cour a confirmé les exigences de motivation imposées par le Tribunal à la Commission pour la prise en compte de la récidive (CJUE, 8 mai 2013, Eni, aff. C-508/11 P). Au titre des circonstances atténuantes, on relèvera le pourcentage non négligeable de 60% validé dans l'affaire des bananes et du au contexte réglementaire (Trib. UE, 14 mars 2013, préc.).
Les programmes de clémence
3722. Les conséquences liées à une demande de clémence de deuxième rang à la Commission ont été débattues dans l'un des arrêts sur les tuyaux marins (Trib. UE, 17 mai 2013, MRI, aff. T-154/09, préc.). En application du point 26 de la communication sur la coopération de décembre 2006 (JOUE, n° C 298, 8 déc. 2006) qui encadre le troisième programme de clémence de la Commission actuellement en vigueur, la Commission s'engage à ne pas utiliser pour le calcul de l'amende les éléments de preuve nouveaux fournis par le demandeur et qui ont une valeur déterminante. En pratique, ces éléments sont souvent déterminants pour apprécier la durée de la participation de la requérante à l'infraction, sachant que le facteur durée est désormais déterminant quant montant final de l'amende. En l'espèce, le Tribunal a rappelé les conditions d'application de ce point 26 et validé l'analyse de la Commission qui avait estimé que la requérante n'avait pas apporté d'éléments nouveaux.
3823. L'arrêt Schenker (préc.) présente également un intérêt certain quant au recours aux programmes nationaux de clémence. La Cour les encadre pour la première fois en faisant intervenir une fois de plus comme limite à l'autonomie procédurale, le principe d'effectivité (CJUE, 7 déc. 2010, Vebic, aff. C-439/08 [12]). Tout en constatant que l'article 5 du règlement n° 1/2003 n'exclut pas que les ANC puissent ne pas imposer d'amendes lorsqu'elles ont constaté une infraction, l'application effective de l'article 101 TFUE exige que cela n'intervienne que dans des circonstances exceptionnelles. Là encore, la solution européenne sert de standard. Depuis 2002, la Commission n'admet le recours à la procédure de clémence que pour les ententes horizontales secrètes, en d'autres termes les cartels, et exigent des entreprises un véritable esprit de coopération. Il doit en être de même des ANC. Le bénéfice de l'immunité ou la non imposition d'une amende prévue par les programmes nationaux « ne peut être accordé que dans des situations strictement exceptionnelles, telles que celles où la coopération d'une entreprise a été déterminante pour la détection et la répression effective de l'entente ». Le message adressé aux autorités autrichiennes est clair. En l'espèce, le bénéfice de la clémence n'avait pas lieu d'être accordé à l'entreprise qui l'avait demandé. Si la nature de l'infraction - une entente horizontale - entre de prime abord dans le domaine de la clémence, tel n'est pas le cas d'une entente parfaitement connue des autorités depuis 1995. La solution semble tout à fait logique.
Notes
-
[1]
Com., 11 juin 2013, n° 12-13.961, D. 2013. 1542, obs. E. Chevrier.
-
[2]
TPICE, 12 avr. 2013, n° T-442/08, RTD com. 2013. 296, obs. F. Pollaud-Dulian.
-
[3]
CJUE, 14 mars 2013, n° C-32/11, Allianz Hungária Biztosító Zrt. c/ Gazdasági Versenyhivatal, D. 2013. 764.
-
[4]
CJUE, 6 juin 2013, n° C-536/11, AJDA 2013. 1684, chron. M. Aubert, E. Broussy et H. Cassagnabère.
-
[5]
CJUE, 14 juin 2011, n° C-360/09, AJDA 2011. 1614, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat ; cette Revue 2012. 315, chron. L. Idot ; RTD eur. 2011. 844, obs. J.-B. Blaise.
-
[6]
TPICE, 11 juill. 2007, n° T-170/06, RTD eur. 2008. 313, chron. J.-B. Blaise et L. Idot.
-
[7]
CJUE, 7 févr. 2013, n° C-68/12, Protimonopolný úrad Slovenskej republiky c/ Slovenská sporitelna a.s., D. 2013. 431.
-
[8]
CJCE, 10 sept. 2009, n° C-97/08, cette Revue 2010. 244, obs. L. Idot ; RTD com. 2010. 144, obs. C. Champaud et D. Danet ; RTD eur. 2010. 647, chron. J.-B. Blaise et L. Idot.
-
[9]
CJCE, 11 déc. 2007, n° C-280/06, AJDA 2008. 240, chron. E. Broussy, F. Donnat et C. Lambert ; cette Revue 2008. 168, obs. L. Idot ; RTD eur. 2008. 313, chron. J.-B. Blaise et L. Idot.
-
[10]
CJUE, 18 juin 2013, n° C-681/11, AJDA 2013. 1684, chron. M. Aubert, E. Broussy et H. Cassagnabère ; D. 2013. 1542.
-
[11]
CJUE, 3 mai 2011, n° C-375/09, AJDA 2011. 1614, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat ; cette Revue 2012. 315, chron. L. Idot ; RTD eur. 2011. 841, obs. J.-B. Blaise.
-
[12]
CJUE, 7 déc. 2010, n° C-439/08, AJDA 2011. 264, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat ; cette Revue 2012. 315, chron. L. Idot ; RTD eur. 2011. 173, chron. L. Coutron ; ibid. 418, obs. L. Idot.