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Article de revue

La comparaison de politiques publiques infranationales : méthodes et pratiques

Pages 7 à 14

Notes

  • [1]
    Ce dossier est né de deux journées d’étude, organisées pour la première le 3 juin 2010 à l’Institut d’études politiques de Toulouse par Claire Dupuy, et les 22 et 23 septembre 2011 à l’Université de Lausanne par Claire Dupuy et Julie Pollard. Les coordinatrices remercient vivement l’IEP de Toulouse, le LaSSP, le groupe « Local et politique » de l’Association française de science politique, l’Institut d’études politiques et internationales et le Bureau de l’égalité de l’Université de Lausanne, le Fonds national suisse de la recherche scientifique, et le Pôle suisse en administration publique (SPAN) qui ont soutenu financièrement l’organisation de ces deux journées d’étude. Les coordinatrices souhaitent aussi remercier chaleureusement les participants et discutants de ces journées d’étude, qui ont permis de nourrir les idées développées dans cette introduction, ainsi que les évaluateurs anonymes de la revue pour leurs suggestions.
  • [2]
    On peut citer les provinces belges, les départements français ou encore les Kreise allemands, par exemple.
  • [3]
    FAURE A., DOUILLET A.-C., L’action publique et la question territoriale, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2005 ; FAURE A., NÉGRIER E., Les politiques publiques à l’épreuve de l’action locale : Critiques de la territorialisation, Paris, L’Harmattan, 2007 ; KEATING M., « Thirty Years of Territorial Politics », West European Politics, 2008, vol. 31, n° 1-2, p. 60-81.
  • [4]
    MARKS G., HOOGHE L., SHAKEL A., « Regional Authority in 42 Countries, 1950-2006: A Measure and Five Hypotheses », Regional and Federal Studies, 2008, vol. 18, n° 2/3, p. 111-181.
  • [5]
    LE GALÈS P., Le retour des villes européennes : sociétés urbaines, mondialisation, gouvernement et gouvernance, Paris, Presses de Sciences Po, 2003.
  • [6]
    MCEWEN N., MORENO L., The Territorial Politics of Welfare, London/New York, Routledge, 2005 ; GREER S. L., Territory, Democracy and Justice : Regionalism and Federalism in Western Democracies, New York/Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2006 ; BARONE S., Les politiques régionales en France, Paris, La Découverte, 2011.
  • [7]
    Voir en particulier le numéro spécial introduit par KEATING M., MCEWEN N., « Introduction : Devolution and Public Policy in Comparative Perspective », Regional and Federal Studies, vol.15, n° 4, 2005, p. 413-421 ; MCEWEN N., MORENO L., The Territorial Politics of Welfare.
  • [8]
    ANSELL C.K., DI PALMA G., « Restructuring Authority and Territoriality », in ANSELL C. K., DI PALMA G. (eds), Restructuring Territoriality. Europe and the United States Compared, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, p. 3-18 ; BARTOLINI S., Restructuring Europe Centre Formation, System Building, and Political Structuring Between the Nation State and the European Union, Oxford, Oxford University Press, 2005.
  • [9]
    PASQUIER R., SIMOULIN V., WEISBEIN J., La gouvernance territoriale : pratiques, discours et théories, Paris, LGDJ Éditions, 2007 ; PASQUIER R., WEISBEIN J., « L’Europe au microscope du local. Manifeste pour une sociologie politique de l’intégration communautaire », Politique européenne, 2004, vol. 1, n° 12, p. 5-21.
  • [10]
    Pour une présentation et une discussion de cette littérature, voir notamment PALIER B., SUREL Y., L’Europe en action : L’européanisation dans une perspective comparée, Paris, l’Harmattan, 2007.
  • [11]
    LE GALÈS P., op. cit., 2003.
  • [12]
    Ibid.
  • [13]
    PINSON G., Gouverner la ville par projet : Urbanisme et gouvernance des villes européennes, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2009.
  • [14]
    BORRAZ O., « Représentativité, sociabilité et pouvoir dans quatre municipalités suisses et françaises », Revue française de science politique, 1996, vol. 46, n° 4, p. 624-649.
  • [15]
    BRENNER N., New State Spaces: Urban Governance and the Rescaling of Statehood, Oxford, Oxford University Press, 2004.
  • [16]
    HASSENTEUFEL P., « De la comparaison internationale à la comparaison transnationale. Les déplacements de la construction d’objets comparatifs en matière de politiques publiques », Revue française de science politique, 2005, vol. 55, n° 1, p. 113-132.
  • [17]
    On note par exemple la réflexion de Robert Snyder, qui souligne que l’un des avantages de ce type de démarche méthodologique est de permettre d’enquêter sur la différenciation spatiale des transformations politiques, sociales et économiques, et de décomposer les cas nationaux pour prendre en compte leur hétérogénéité interne : SNYDER R., « Scaling Down: The Subnational Comparative Method », Studies in Comparative International Development, 2001, vol. 36, n° 1, p. 93–110.
  • [18]
    On peut toutefois citer : LIMA L., STEFFEN M., « Comparaisons internationales en politiques publiques : stratégies de recherche, méthodes et interprétation. Une introduction », Revue Internationale de Politique Comparée, 2004, vol. 11, n° 3, p. 339-348 ; SMITH A., « L’analyse comparée des politiques publiques : une démarche pour dépasser le tourisme intelligent ? », Revue Internationale de Politique Comparée, 2000, vol. 17, n° 1, p. 7-19 ; HASSENTEUFEL P., art. cit., 2005 ; NÉGRIER E., « L’analyse comparée des politiques publiques : Méthodes et principes vécus », Revue Internationale de Politique Comparée, 2005, vol. 12, n° 4, p. 503-524.
  • [19]
    La comparaison internationale est classiquement défendue par ses apports sur le plan théorique, notamment parce qu’elle permet de tester des hypothèses théoriques sur une pluralité de cas nationaux. HASSENTEUFEL P., « Deux ou trois choses que je sais d’elle. Remarques à propos d’expériences de comparaison », dans CURAPP (dir), Les méthodes au concret : démarches, formes de l’expérience et terrains d’investigation en science politique, Paris, PUF, 2000, p. 125-141 ; LALLEMENT M., SPURK J., Stratégies de la comparaison internationale, Paris, CNRS Éditions, 2003. Certains proposent de la compléter par une démarche de comparaison transnationale, permettant de prendre en compte le changement et la dimension transnationale de certains objets d’étude GIRAUD O., « Le comparatisme contemporain en science politique : entrée en dialogue des écoles et renouvellement des questions », Stratégies de la comparaison internationale, Paris, CNRS Éditions, 2003, p. 87-106 ; HASSENTEUFEL P., art. cit., 2005.
  • [20]
    La dimension temporelle de la comparaison concentre son attention sur la définition d’unités de temps, sur les conditions de possibilité d’une montée en généralité dans une perspective diachronique et sur l’articulation de variations dans le temps et dans l’espace BARTOLINI S., « On time and Comparative Research », Journal of Theoretical Politics, 1993, vol. 5, n° 2, p. 131-167 ; PIERSON P., Politics in Time : History, Institutions, and Social Analysis, Princeton, N.J./Oxford, Princeton University Press, 2004.
  • [21]
    FELDMAN E. J., « Comparative Public Policy. Field or Method? », Comparative Political Studies, 1978, vol. 10, n° 2, p. 287-305 ; HEIDENHEIMER A., « Comparative Public Policy at the Crossroads », Journal of Public Policy, 1985, vol.5, n° 4, p. 441-465.
  • [22]
    FAVELL A., GUIRAUDON V., Sociology of the European Union, Palgrave, 2011 ; WIMMER A., GLICK SCHILLER N., « Methodological Nationalism and the Study of Migration », European Journal of Sociology, 2002, vol. 43, n° 2, p. 217-240 ; LEIBFRIED S., ZÜRN M., « Reconfiguring the National Constellation », in LEIBFRIED S., ZÜRN M. (eds), Transformations of the State, Cambridge, Cambridge University Press, 2005.
  • [23]
    VIGOUR C., La comparaison dans les sciences sociales : pratiques et méthodes, Paris, La Découverte, 2005 ; STOKER G., « Comparative Local Governance », in RHODES R.A.W., BINDER S.A., ROCKMAN B.A. (eds), Oxford Handbook of Political Institutions, 2006a, p. 495-513.
  • [24]
    STOKER G., « The Comparative Study of Local Governance: The Need To Go Global », Hallsworth Conference, University of Manchester, 2006, p. 1-28.
  • [25]
    VIGOUR C., op. cit., 2005.
  • [26]
    HASSENTEUFEL P., art. cit., 2005.
  • [27]
    Ces interdépendances sont par ailleurs loin d’être nouvelles. Patrick Hassenteufel met ainsi en avant les apports de l’histoire croisée : HASSENTEUFEL P., art. cit., 2005.
  • [28]
    ROSS M. H., « Culture and Identity in Comparative Political Analysis », in LICHBACH M. I., ZUCKERMAN A. S. (eds), Interests, Ideals and Institutions: Advancing Theory in Comparative Politics, New York, Cambridge University Press, 1997, p. 42-80.
English version

1Ce numéro de la Revue Internationale de Politique Comparée est centré sur les enjeux méthodologiques et les défis soulevés par la comparaison de politiques publiques infranationales [1]. Au cours de la dernière décennie en Europe de l’Ouest, les recherches centrées sur l’action publique conduite par les gouvernements régionaux, urbains, et par d’autres échelons intermédiaires [2], ont connu un fort développement. Ce dynamisme reflète les évolutions de la production des politiques publiques. Cette dernière est caractérisée de manière générale par un mouvement de territorialisation [3] dans le contexte de l’approfondissement de l’intégration européenne et, plus précisément, par une forte régionalisation [4] et une importance renouvelée des villes [5]. La production multi-niveaux de l’action publique caractérise l’ensemble des pays européens, autant ceux qui présentaient jusqu’aux années 1970 une forte centralisation de leurs institutions politiques et du policy-making, comme le Royaume-Uni, la France, l’Espagne ou l’Italie, que les pays fédéraux comme la Belgique, l’Allemagne ou l’Autriche. Ces changements ont amené en haut de l’agenda scientifique des questions dont l’exploration a impliqué la comparaison de politiques publiques infranationales.

2Trois de ces questions permettent d’illustrer la fécondité de la comparaison de politiques publiques infranationales pour répondre à certaines interrogations centrales en science politique. La première naît des transformations internes aux États européens centralisés et de la création, ou du renforcement, d’un échelon régional de gouvernement. D’aucuns se sont alors interrogés sur la différenciation des politiques régionales, par rapport aux anciennes politiques de l’État, mais aussi les unes par rapport aux autres [6]. Cette question a pu prendre la forme d’une interrogation centrée sur la convergence ou la divergence des politiques régionales [7]. Ces travaux contribuent ainsi, plus généralement, à l’étude de la restructuration territoriale des États européens [8]. Une deuxième question s’inscrit dans un autre courant de travaux, particulièrement développé, qui porte sur l’européanisation de l’action publique infranationale. Refusant une perspective top down selon laquelle les politiques et réglementations européennes seraient adoptées telles quelles, ces recherches interrogent la manière dont les acteurs publics infranationaux s’approprient, reformulent et adaptent les politiques européennes [9]. Elles participent ainsi directement à l’analyse de l’intégration européenne en pratique, et permettent l’exploration d’un de ses versants les plus discutés dans la littérature, l’européanisation de l’action publique [10]. Enfin, un troisième ensemble de travaux s’attache à étudier les conséquences du « retour des villes européennes » [11]. Ces recherches montrent que la période contemporaine est propice à une redistribution de l’autorité politique et à un nouvel essor des villes, du fait de la combinaison de trois phénomènes : la mondialisation, la construction européenne et la recomposition des États nationaux [12]. L’accroissement de la capacité d’action des villes, en lien avec leur constitution comme acteur collectif [13], l’essor d’élites politiques urbaines [14], mais aussi les transformations du capitalisme et de la compétitivité économique [15] sont quelques-unes des thématiques qui y sont étudiées.

3Tous ces travaux reposent sur des dispositifs de recherche comparatifs, centrés sur des politiques et des échelons de gouvernement infranationaux, souvent dans le cadre de comparaisons internationales [16]. Pourtant, les questions méthodologiques afférentes à la comparaison de l’action publique infranationale sont restées largement inexplorées [17]. La réflexion collective sur la démarche comparative de l’analyse des politiques publiques, assez peu développée de manière générale [18], s’est jusqu’à présent concentrée sur deux versants principaux : la dimension internationale [19] et la dimension temporelle [20]. L’absence de considération des enjeux associés à la comparaison de politiques publiques infranationales est paradoxale au regard de l’histoire de l’analyse comparée des politiques publiques. En effet, en Europe et aux États-Unis, celle-ci s’inscrit en partie dans la filiation intellectuelle des recherches conduites dans les États fédéraux, comparant les politiques conduites à l’échelon infranational ou portant sur la mise en œuvre des politiques fédérales par les entités fédérées. L’étude de l’action publique a ainsi été nourrie à ses débuts par les questions de recherche et les techniques d’enquête des travaux centrés sur la comparaison de politiques publiques infranationales [21]. Mais il apparaît clairement que le niveau national, qui est l’échelon privilégié de la réflexion méthodologique sur la comparaison de l’action publique, est souvent naturalisé et que sa pertinence est peu questionnée (cf., a contrario, les contributions de Romain Pasquier et d’Olivier Giraud dans ce dossier). Le « biais national » ou le « nationalisme méthodologique » constatés par certains chercheurs dans des champs divers de la science politique francophone et internationale [22] prévaut aussi pour ce qui est des réflexions méthodologiques sur la comparaison de politiques publiques.

4Cet état de la réflexion collective sur la comparaison de politiques infranationales est problématique car si cette dernière ouvre des perspectives de recherche particulièrement stimulantes, elle présente aussi de redoutables défis pour l’analyse de l’action publique. Certains enjeux de toute démarche comparative sont rendus plus aigus par la diversification des terrains d’enquête et des données collectées, tout particulièrement lorsque l’analyse de cas infranationaux est associée à une démarche de comparaison internationale. Nous évoquerons ici trois de ces enjeux.

5L’une des premières difficultés qu’affrontent les chercheurs comparatistes tient au choix (et au nombre) des unités à comparer. La sélection de cas nationaux pose déjà un certain nombre de problèmes pragmatiques (affinités, connaissance de langues étrangères, réseaux sociaux et relations institutionnelles) et stratégiques (choix de cas analogues ou de cas contrastés) [23]. Ces enjeux sont accentués dans le cas de comparaisons à des niveaux infranationaux parce que le nombre de cas potentiels est démultiplié, et que travailler sur des politiques infranationales implique d’entrer dans la complexité institutionnelle, politique et territoriale de chaque système national. Gerry Stoker l’énonce clairement : « Nation state comparison is tough enough but at least in terms of democracies there are only 121 of them (…) Within any one country there might be several different tiers or levels of local government and the form of each might vary according to local choice or local circumstances[24] ». Stoker illustre cet enjeu par le cas français, qui comptent plus de 36 500 communes, 100 départements et 26 régions. À l’appui des travaux sur la gouvernance urbaine, il souligne aussi l’importance des différences entre gouvernements locaux, notamment dans leur capacité à produire des politiques publiques, qui complique d’autant le choix des cas à comparer. Dans sa contribution, Sylvain Barone s’attache à la complexité des critères de choix de cas infranationaux. Il envisage plus précisément l’importance que peut jouer la commande publique dans les choix opérés, ainsi que la nécessaire réflexivité qui doit l’accompagner.

6La collecte des données constitue une deuxième difficulté d’une démarche comparative qui se trouve redoublée dans le cas de la comparaison de politiques publiques infranationales. De manière générale, l’analyse comparée des données récoltées pose un ensemble de problèmes : mise en évidence et interprétations des similitudes et différences entre cas, réflexions sur les conditions de montée en généralité, nécessité de considérer les modes de production des données, etc. [25] Ces enjeux peuvent être singulièrement compliqués dans le cas de comparaisons de politiques publiques infranationales, en particulier lorsque le chercheur articule comparaison internationale et comparaison infranationale. En premier lieu, il faut en effet parvenir à construire un cadre analytique qui soit, à la fois, suffisamment fin pour permettre de rendre compte de plusieurs cas au sein d’un même espace national, et suffisamment général pour voyager au-delà de traditions politiques nationales. En deuxième lieu, l’ampleur du matériau empirique collecté dans le cas de comparaisons de politiques infranationales soulève de manière aiguë la question de la montée en généralité des résultats. Claire Dupuy, dans sa contribution, envisage ainsi comment la comparaison de politiques publiques infranationales peut conduire à des contributions proprement théoriques dans le cadre d’études de cas à petit nombre. Par ailleurs, les sources de données disponibles, tout particulièrement quantitatives, ne sont pas toujours satisfaisantes, et sont souvent disparates. L’accès aux données peut être plus difficile que dans les comparaisons de politiques nationales. Romain Pasquier souligne dans son article que les bases de données disponibles restent souvent dépendantes de modèles étatiques.

7Enfin, une troisième difficulté tient à l’interdépendance des cas. Une critique récurrente adressée aux travaux comparatifs réside dans le fait qu’ils tendent à analyser des cas, en particulier nationaux, en les considérant comme des entités isolées les unes des autres [26]. Or, dans le contexte actuel de mondialisation et d’européanisation, les interdépendances entre les politiques publiques conduites dans différents pays sont renforcées [27] et doivent être prises en compte. Ce problème, inhérent donc à toute démarche comparative, est qualifié de « problème de Galton », et renvoie au fait que « substantive correlations among culture traits can reflect diffusion and borrowing rather than functional association[28] ». Cette difficulté méthodologique est redoublée dans les cas de comparaison de politiques publiques infranationales. En effet, comme le souligne Martino Maggetti dans ce dossier, l’interdépendance entre elles est a priori importante, puisque les unités de la comparaison sont intégrées dans des systèmes politiques nationaux communs, plus ou moins homogènes. En outre, des instruments visant à favoriser les transferts de politiques entre unités infranationales sont quelquefois mis en place au niveau national. La nécessité de réfléchir à l’influence et aux effets d’interaction entre unités ou niveaux d’analyse est également au cœur de l’analyse de Julie Pollard et Pauline Prat qui insistent sur la nécessité de penser l’ancrage national des cas infranationaux étudiés. Dans sa contribution, Olivier Giraud propose une manière de dépasser cette difficulté grâce à une méthodologie d’analyse scalaire.

8Ce dossier se propose d’envisager certaines des questions classiques de l’analyse comparée au prisme de la comparaison de politiques publiques infranationales, et d’examiner comment elles sont déclinées, et quelquefois reformulées. Il affirme donc moins la spécificité des questions méthodologiques soulevées par la comparaison de politiques infranationales qu’il n’examine ce que cette dernière fait à la comparaison, du point de vue des méthodes et des pratiques. S’il est essentiel d’affronter directement les enjeux soulevés par la comparaison de politiques publiques infranationales, c’est d’abord parce que ces questions sont centrales dans les pratiques des comparatistes, et structurent à la fois leurs designs de recherche et leurs analyses. Travailler sur la comparaison de politiques publiques infranationales permet aussi de réfléchir à des problèmes classiques de l’analyse comparée, et conduit ainsi à développer une contribution « en acte » à cette littérature méthodologique, en reformulant certaines de ses questions classiques et les réponses qui y sont apportées. Enfin, les traiter collectivement est aussi déterminant pour la validité des preuves et des conclusions, autrement dit pour la solidité des résultats qui reposent sur la comparaison de politiques infranationales. Dans cette perspective, ce dossier vise à jeter les bases d’une réflexion collective et à explorer plusieurs enjeux centraux de la comparaison de politiques infranationales.

9Dans ce but, il rassemble deux types de contributions. Les premières sont articulées autour de problématiques proprement méthodologiques. Elles envisagent plusieurs questions qui se posent dans des termes spécifiques ou qui sont reformulées dans le cas de la comparaison de politiques publiques infranationales. Le second type de contributions est axé sur des pratiques de comparaison de politiques infranationales. Les articles envisagent et traitent, en pratique donc, certains des enjeux méthodologiques soulevés par la démarche comparative appliquée aux politiques infranationales.

10Les trois premières contributions éclairent des enjeux méthodologiques posés ou reformulés par la démarche comparatiste aux échelons infranationaux. Dans son article, Olivier Giraud documente les limites du nationalisme méthodologique dans l’analyse de l’action publique dans une perspective longue, on examinant non seulement la phase dite d’âge d’or de l’État-nation mais aussi la période contemporaine. Cela l’amène à proposer un cadre général de compréhension des différentes échelles dans lequel s’insère l’action publique infranationale. Il plaide pour le développement d’une méthodologie d’analyse scalaire où les variables d’étude de l’action publique sont saisies à travers leur insertion dans différentes échelles d’interaction sociale. Dans le deuxième article, Julie Pollard et Pauline Prat se saisissent de la question de l’interdépendance entre les différents échelons de gouvernement. Comment faire la part du « national » dans les comparaisons infranationales ? Les deux auteures s’attachent à traiter cette question à partir de l’examen des différentes possibilités de prise en compte des effets du cadre national sur les politiques publiques locales. Elles identifient deux approches dominantes dans la littérature, l’une partant du national et l’autre du local. À partir de leurs propres recherches, elles proposent une articulation des niveaux reposant sur le positionnement des acteurs des politiques publiques dans un environnement multiniveaux. Enfin, Romain Pasquier s’attèle à deux enjeux rendus plus aigus dans les comparaisons infranationales : la construction d’un cadre analytique commun à l’ensemble des cas et la méthode de traitement du matériau empirique récolté. Il insiste sur la nécessité de construire un cadre théorique qui permette de se prémunir contre le nationalisme méthodologique, et de rendre compte d’une variété de situations. Il présente aussi l’intérêt et les difficultés qui résultent d’une volonté de croiser des données qualitatives et quantitatives pour travailler sur les régions.

11Le deuxième ensemble de contributions rassemble trois textes, qui constituent des réflexions sur la pratique de la comparaison de politiques infranationales. Le texte de Sylvain Barone souligne que la définition du cadre comparatif est travaillée par l’importance croissante de la commande publique portant sur des politiques et des cas infranationaux. Ce constat invite à se pencher sur le rapport entre science et politique, ainsi que sur l’impact produit sur les résultats de recherche. Cette question est traitée à la lumière de deux expériences de comparaison de politiques publiques infranationales qui ont été financées par des organisations du secteur public. À travers le récit de ces deux terrains, il nous conduit dans la « cuisine » de la comparaison en mettant en évidence les négociations sur le choix et le traitement des terrains qui sous-tendent les recherches menées, ainsi que les conditions de possibilité de la poursuite d’objectifs scientifique. Martino Maggetti propose un éclairage sur les dimensions méthodologiques de l’étude de la diffusion entre les politiques publiques infranationales. Dans son texte, il présente une méta-analyse des « conditions nécessaires » pour différents mécanismes de diffusion (apprentissage, concurrence, émulation, coercition), dans le but d’identifier d’éventuelles spécificités des mécanismes de diffusion aux niveaux infranationaux. Enfin, le texte de Claire Dupuy affronte la question du traitement du matériau empirique et de la montée en généralité des résultats de recherche, à partir de l’examen de la compétition entre les gouvernements régionaux français autour des questions d’éducation. Elle utilise la méthode de la congruence, ou analyse processuelle systématique, pour montrer que la comparaison de politiques infranationales permet non seulement de tester des théories concurrentes autour de l’explication d’un objet de recherche, mais aussi de générer de nouvelles propositions théoriques. Sur ce dernier point, les particularités de la comparaison de politiques infranationales l’amènent à compléter cette méthode par le recours à la notion de mécanisme.

Notes

  • [1]
    Ce dossier est né de deux journées d’étude, organisées pour la première le 3 juin 2010 à l’Institut d’études politiques de Toulouse par Claire Dupuy, et les 22 et 23 septembre 2011 à l’Université de Lausanne par Claire Dupuy et Julie Pollard. Les coordinatrices remercient vivement l’IEP de Toulouse, le LaSSP, le groupe « Local et politique » de l’Association française de science politique, l’Institut d’études politiques et internationales et le Bureau de l’égalité de l’Université de Lausanne, le Fonds national suisse de la recherche scientifique, et le Pôle suisse en administration publique (SPAN) qui ont soutenu financièrement l’organisation de ces deux journées d’étude. Les coordinatrices souhaitent aussi remercier chaleureusement les participants et discutants de ces journées d’étude, qui ont permis de nourrir les idées développées dans cette introduction, ainsi que les évaluateurs anonymes de la revue pour leurs suggestions.
  • [2]
    On peut citer les provinces belges, les départements français ou encore les Kreise allemands, par exemple.
  • [3]
    FAURE A., DOUILLET A.-C., L’action publique et la question territoriale, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2005 ; FAURE A., NÉGRIER E., Les politiques publiques à l’épreuve de l’action locale : Critiques de la territorialisation, Paris, L’Harmattan, 2007 ; KEATING M., « Thirty Years of Territorial Politics », West European Politics, 2008, vol. 31, n° 1-2, p. 60-81.
  • [4]
    MARKS G., HOOGHE L., SHAKEL A., « Regional Authority in 42 Countries, 1950-2006: A Measure and Five Hypotheses », Regional and Federal Studies, 2008, vol. 18, n° 2/3, p. 111-181.
  • [5]
    LE GALÈS P., Le retour des villes européennes : sociétés urbaines, mondialisation, gouvernement et gouvernance, Paris, Presses de Sciences Po, 2003.
  • [6]
    MCEWEN N., MORENO L., The Territorial Politics of Welfare, London/New York, Routledge, 2005 ; GREER S. L., Territory, Democracy and Justice : Regionalism and Federalism in Western Democracies, New York/Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2006 ; BARONE S., Les politiques régionales en France, Paris, La Découverte, 2011.
  • [7]
    Voir en particulier le numéro spécial introduit par KEATING M., MCEWEN N., « Introduction : Devolution and Public Policy in Comparative Perspective », Regional and Federal Studies, vol.15, n° 4, 2005, p. 413-421 ; MCEWEN N., MORENO L., The Territorial Politics of Welfare.
  • [8]
    ANSELL C.K., DI PALMA G., « Restructuring Authority and Territoriality », in ANSELL C. K., DI PALMA G. (eds), Restructuring Territoriality. Europe and the United States Compared, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, p. 3-18 ; BARTOLINI S., Restructuring Europe Centre Formation, System Building, and Political Structuring Between the Nation State and the European Union, Oxford, Oxford University Press, 2005.
  • [9]
    PASQUIER R., SIMOULIN V., WEISBEIN J., La gouvernance territoriale : pratiques, discours et théories, Paris, LGDJ Éditions, 2007 ; PASQUIER R., WEISBEIN J., « L’Europe au microscope du local. Manifeste pour une sociologie politique de l’intégration communautaire », Politique européenne, 2004, vol. 1, n° 12, p. 5-21.
  • [10]
    Pour une présentation et une discussion de cette littérature, voir notamment PALIER B., SUREL Y., L’Europe en action : L’européanisation dans une perspective comparée, Paris, l’Harmattan, 2007.
  • [11]
    LE GALÈS P., op. cit., 2003.
  • [12]
    Ibid.
  • [13]
    PINSON G., Gouverner la ville par projet : Urbanisme et gouvernance des villes européennes, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2009.
  • [14]
    BORRAZ O., « Représentativité, sociabilité et pouvoir dans quatre municipalités suisses et françaises », Revue française de science politique, 1996, vol. 46, n° 4, p. 624-649.
  • [15]
    BRENNER N., New State Spaces: Urban Governance and the Rescaling of Statehood, Oxford, Oxford University Press, 2004.
  • [16]
    HASSENTEUFEL P., « De la comparaison internationale à la comparaison transnationale. Les déplacements de la construction d’objets comparatifs en matière de politiques publiques », Revue française de science politique, 2005, vol. 55, n° 1, p. 113-132.
  • [17]
    On note par exemple la réflexion de Robert Snyder, qui souligne que l’un des avantages de ce type de démarche méthodologique est de permettre d’enquêter sur la différenciation spatiale des transformations politiques, sociales et économiques, et de décomposer les cas nationaux pour prendre en compte leur hétérogénéité interne : SNYDER R., « Scaling Down: The Subnational Comparative Method », Studies in Comparative International Development, 2001, vol. 36, n° 1, p. 93–110.
  • [18]
    On peut toutefois citer : LIMA L., STEFFEN M., « Comparaisons internationales en politiques publiques : stratégies de recherche, méthodes et interprétation. Une introduction », Revue Internationale de Politique Comparée, 2004, vol. 11, n° 3, p. 339-348 ; SMITH A., « L’analyse comparée des politiques publiques : une démarche pour dépasser le tourisme intelligent ? », Revue Internationale de Politique Comparée, 2000, vol. 17, n° 1, p. 7-19 ; HASSENTEUFEL P., art. cit., 2005 ; NÉGRIER E., « L’analyse comparée des politiques publiques : Méthodes et principes vécus », Revue Internationale de Politique Comparée, 2005, vol. 12, n° 4, p. 503-524.
  • [19]
    La comparaison internationale est classiquement défendue par ses apports sur le plan théorique, notamment parce qu’elle permet de tester des hypothèses théoriques sur une pluralité de cas nationaux. HASSENTEUFEL P., « Deux ou trois choses que je sais d’elle. Remarques à propos d’expériences de comparaison », dans CURAPP (dir), Les méthodes au concret : démarches, formes de l’expérience et terrains d’investigation en science politique, Paris, PUF, 2000, p. 125-141 ; LALLEMENT M., SPURK J., Stratégies de la comparaison internationale, Paris, CNRS Éditions, 2003. Certains proposent de la compléter par une démarche de comparaison transnationale, permettant de prendre en compte le changement et la dimension transnationale de certains objets d’étude GIRAUD O., « Le comparatisme contemporain en science politique : entrée en dialogue des écoles et renouvellement des questions », Stratégies de la comparaison internationale, Paris, CNRS Éditions, 2003, p. 87-106 ; HASSENTEUFEL P., art. cit., 2005.
  • [20]
    La dimension temporelle de la comparaison concentre son attention sur la définition d’unités de temps, sur les conditions de possibilité d’une montée en généralité dans une perspective diachronique et sur l’articulation de variations dans le temps et dans l’espace BARTOLINI S., « On time and Comparative Research », Journal of Theoretical Politics, 1993, vol. 5, n° 2, p. 131-167 ; PIERSON P., Politics in Time : History, Institutions, and Social Analysis, Princeton, N.J./Oxford, Princeton University Press, 2004.
  • [21]
    FELDMAN E. J., « Comparative Public Policy. Field or Method? », Comparative Political Studies, 1978, vol. 10, n° 2, p. 287-305 ; HEIDENHEIMER A., « Comparative Public Policy at the Crossroads », Journal of Public Policy, 1985, vol.5, n° 4, p. 441-465.
  • [22]
    FAVELL A., GUIRAUDON V., Sociology of the European Union, Palgrave, 2011 ; WIMMER A., GLICK SCHILLER N., « Methodological Nationalism and the Study of Migration », European Journal of Sociology, 2002, vol. 43, n° 2, p. 217-240 ; LEIBFRIED S., ZÜRN M., « Reconfiguring the National Constellation », in LEIBFRIED S., ZÜRN M. (eds), Transformations of the State, Cambridge, Cambridge University Press, 2005.
  • [23]
    VIGOUR C., La comparaison dans les sciences sociales : pratiques et méthodes, Paris, La Découverte, 2005 ; STOKER G., « Comparative Local Governance », in RHODES R.A.W., BINDER S.A., ROCKMAN B.A. (eds), Oxford Handbook of Political Institutions, 2006a, p. 495-513.
  • [24]
    STOKER G., « The Comparative Study of Local Governance: The Need To Go Global », Hallsworth Conference, University of Manchester, 2006, p. 1-28.
  • [25]
    VIGOUR C., op. cit., 2005.
  • [26]
    HASSENTEUFEL P., art. cit., 2005.
  • [27]
    Ces interdépendances sont par ailleurs loin d’être nouvelles. Patrick Hassenteufel met ainsi en avant les apports de l’histoire croisée : HASSENTEUFEL P., art. cit., 2005.
  • [28]
    ROSS M. H., « Culture and Identity in Comparative Political Analysis », in LICHBACH M. I., ZUCKERMAN A. S. (eds), Interests, Ideals and Institutions: Advancing Theory in Comparative Politics, New York, Cambridge University Press, 1997, p. 42-80.
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