Notes
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[1]
Sondage CSA réalisé les 30 et 31 janvier 1995 pour France-Inter et France-Info.
-
[2]
Gérard Grunberg, « La candidature Jospin ou la construction d’un nouveau leadership », dans Pascal Perrineau, Colette Ysmal (dir.), Le vote de crise. L’élection présidentielle de 1995, Le Figaro/Presses de Sciences Po, 1995 (Chroniques électorales), p. 60-80, dont p. 74.
-
[3]
Laurent Olivier, « Ambiguïtés de la démocratisation partisane en France (PS, RPR, UMP) », Revue française de science politique, 53 (5), octobre 2003, p. 761-790.
-
[4]
Chiffre fourni « par un membre du bureau national des adhésions du PS, chargé d’établir la liste des électeurs », Reuters, 14 novembre 2006.
-
[5]
Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, Paris, Calmann-Lévy, 1995.
-
[6]
Gérard Grunberg, cité, p. 78
-
[7]
Gérard Grunberg, ibid., p. 79.
-
[8]
En janvier 2006, par exemple, Ségolène Royal ne figurait pas dans la galerie de portraits dressée dans son ouvrage par l’éditorialiste Alain Duhamel, Les prétendants 2007, Paris, Plon, 2006.
-
[9]
« Qui va garder les enfants ? », s’interroge Laurent Fabius (qui démentira plus tard), faisant allusion au conflit d’intérêt qui menace la direction du PS. « La présidence de la République n’est pas un concours de beauté », s’exclame Jean-Luc Mélenchon. « Je vais ajouter une balle de plus dans le fusil de chasse », tonne Henri Emmanuelli, qui déplore ainsi la multiplication des candidatures au sein du PS.
-
[10]
Gary W. Cox, Making Votes Count. Strategic Coordination in the World’s Electoral Systems, Cambridge, Cambridge University Press, 1997.
-
[11]
« Lettre de Lionel Jospin aux militants socialistes expliquant sa décision de ne pas se présenter à la candidature interne au PS », <http:// lioneljospin. parti-socialiste. fr/ 2006/ 09/ 28/ >.
-
[12]
« Nous ne sommes pas des toutous auxquels, sur un coup de sifflet, on pourrait intimer l’ordre de rentrer au chenil », lance alors l’ancien ministre de la Culture.
-
[13]
Il fait alors allusion aux propos de Christophe Caresche, député du 18e arrondissement de Paris rallié à Ségolène Royal, qui n’avait pas exclu « des manifs de militants PS contre lui, rue du Regard », à son domicile, au cas où l’ancien Premier ministre aurait présenté sa candidature.
-
[14]
« Volage, Montebourg mise sur Royal », Libération, 15 juillet 2006.
-
[15]
« Candidat au sacrifice, Jack Lang quitte la course », Libération, 3 octobre 2006.
-
[16]
Ibid.
-
[17]
Jacques Gerstlé, « Campagne électorale (sociologie de la) », dans Pascal Perrineau, Dominique Reynié (dir.), Dictionnaire du vote, Paris, PUF, 2001, p. 133.
-
[18]
Le Monde, 27 avril 2007.
-
[19]
Sur ce point, cf. Frédéric Sawicki, Les réseaux du parti socialiste. Sociologie d’un milieu partisan, Paris, Belin, 1997 ; Rémi Lefebvre, Frédéric Sawicki, La société des socialistes. Le PS aujourd’hui, Bellecombe-en-Bauge, Éditions du Croquant, 2006.
-
[20]
« Ségolène Royal séduit les militants mais pas les élus », Le Figaro, 11 février 2006.
-
[21]
« Ségolène Royal défend des “valeurs morales” en allusion à Clearstream », AFP, 30 avril 2006.
-
[22]
Ségolène Royal, <http:// www. desirsdavenir. org> ; Dominique Strauss-Kahn, <http:// www. dsk2007. net> ; Laurent Fabius, <http:// www. 2007lagauche. fr>.
- [23]
-
[24]
<http:// www. blogdsk. net/ >.
-
[25]
« Les candidats battent la netcampagne », Le Monde 2, 13 janvier 2007.
-
[26]
L’indice Buzz Blog Politique (IBBP) est « un baromètre hebdomadaire des hommes et des femmes politiques en fonction de l’intérêt qu’ils suscitent dans les discussions sur le web francophone », <http:// www. buzz-blog. com>.
-
[27]
« La vidéo de Ségolène Royal largement commentée dans la blogosphère », Le Monde.fr, 13 novembre 2006.
-
[28]
Sondage Ifop réalisé les 2 et 3 novembre 2006 pour Paris-Match.
-
[29]
Le Monde, 18 novembre 2006, p. 12.
-
[30]
Pour reprendre le titre de l’ouvrage de Jean-Marie Cotteret, Gérard Mermet, La bataille des images, Paris, Larousse, 1986.
-
[31]
L’indice UBM est « un outil de veille permanent de l’information qui s’impose comme le standard de mesure en temps réel de l’actualité. Il porte sur un périmètre plurimedia de 80 supports Presse, Radio et Télévision, généralistes et leaders en audience » : <hhttp:// 2007. tns-sofres. com/ UBM.php>.
-
[32]
« Pour relancer l’UE, Ségolène Royal prône une “Europe par la preuve”, Le Monde, 13 octobre 2005.
-
[33]
Le bureau national du PS a notamment adopté le 26 septembre 2006 une « charte d’organisation du débat interne » qui a pour objectif de « garantir l’égalité entre les différents candidats ».
-
[34]
Sondage Opinion Way effectué en ligne les 7 et 8 novembre 2006 auprès d’un échantillon représentatif de 404 sympathisants socialistes ayant regardé le débat, Le Figaro, jeudi 9 novembre 2006.
-
[35]
Ibid.
-
[36]
Cf. Rémi Lefebvre, « Les campagnes s’organiseront dans les sections », Le Monde, 23 décembre 2006.
-
[37]
Il s’agit des départements suivants : Alpes-Maritimes, Ille-et-Vilaine, Rhône, Paris, Haute-Savoie, Yvelines, Hauts-de-Seine, Haute-Saône et Haut-Rhin. En revanche, D. Strauss-Kahn est en dessous des 20 % dans le Jura.
-
[38]
Il s’agit des départements suivants : Ariège, Aude, Bouches-du-Rhône, Corrèze, Creuse, Corse-du-Sud (seul département où les effectifs baissent de 2005 à 2006), Dordogne, Hérault, Haute-Loire, Landes, Lot-et-Garonne, Haute-Marne, Meuse, Hautes-Pyrénées, Tarn et Territoire de Belfort. En revanche, D. Strauss-Kahn est au-dessus de la barre des 20 % dans le Nord, le Pas-de-Calais, le Puy-de-Dôme et la Haute-Vienne.
-
[39]
La Voix du Nord, 29 septembre 2006.
-
[40]
Rémi Lefebvre, Frédéric Sawicki, La société des socialistes…, op. cit.
-
[41]
Christine Pütz, « La présidentialisation des partis français », dans Florence Haegel (dir.), Partis politiques et système partisan en France, Paris, Presses de Sciences Po, 2007, p. 321-357, dont p. 339.
-
[42]
Daniel Boy, Jean Chiche, « Images des candidats et probabilités de vote : évolutions et articulations », dans Le Baromètre politique français (2006-2007), 2e vague, automne 2006, <http:// www. cevipof. msh-paris. fr/ bpf/ index. htm>.
1Pour la deuxième fois de leur histoire, les militants du parti socialiste français étaient appelés à désigner leur candidat à l’élection présidentielle, au terme d’une compétition disputée. À la veille de l’élection présidentielle de 1995 déjà, la défection de Jacques Delors avait réouvert le jeu. Deux candidats s’affrontèrent lors de primaires au sein du PS. Le 3 février, Lionel Jospin l’avait emporté avec 66 % des suffrages exprimés contre 34 % à Henri Emmanuelli, alors premier secrétaire. L’ampleur inattendue de sa victoire face à un concurrent qui maîtrisait pourtant l’appareil du parti fut attribuée à ses chances supérieures de bien figurer pendant la campagne présidentielle, sinon de l’emporter : quelques jours avant le scrutin, 52 % des sympathisants socialistes considéraient Lionel Jospin comme le « meilleur candidat du parti socialiste » contre 28 % pour son challenger [1]. Les logiques de courants n’avaient alors joué qu’un rôle secondaire, les militants socialistes privilégiant, au moment de voter, l’analyse des chances respectives des deux candidats potentiels [2]. Le temps où François Mitterrand, premier secrétaire, pouvait se faire désigner par un congrès extraordinaire sans même avoir à affronter la concurrence de Michel Rocard, plus populaire, semblait définitivement révolu [3].
2À défaut d’avoir mis en place une véritable « primaire ouverte », comme l’a fait la gauche italienne en 2005, le PS a reconduit pour l’élection présidentielle de 2007 la procédure utilisée en 1995. Douze ans plus tard, c’est un scénario proche qui se rejoue, même si plusieurs différences distinguent les deux consultations. La première d’entre elles tient à l’absence du premier secrétaire dans la compétition. Après avoir longtemps hésité, François Hollande renonce finalement à être candidat pour laisser le champ libre à sa compagne, Ségolène Royal. La seconde différence concerne la campagne interne. Celle de 1995 fut brève (quinze jours) et se déroula exclusivement devant les militants. Cette fois, le calendrier s’étend sur six semaines et la campagne est intensément médiatisée : la compétition, qui concerne a priori exclusivement les socialistes, se déroule en fait devant l’ensemble des Français, appelés ainsi à trancher, par voie d’enquête d’opinion, une question à laquelle ils sont pourtant formellement étrangers. C’est que le processus de désignation en vigueur au PS s’apparente moins à une « primaire », au sens américain du terme, qu’à un « caucus », même si – troisième différence avec 1995 – les socialistes ont enregistré au premier semestre 2006 une vague d’adhésions de circonstance, puisque 68 049 adhésions ont été comptabilisées entre mars et juin à la faveur d’une offre sur Internet à vingt euros [4]. Au total, la perspective de participer à la désignation du candidat socialiste a eu pour effet de porter à 217 000 le nombre d’adhérents appelés à se prononcer le 16 novembre, contre 127 000 seulement lors du congrès du Mans un an plus tôt (tableau 1).
3En 1995, la désignation de Lionel Jospin face à Henri Emmanuelli n’avait pas manqué d’attirer l’attention sur le rôle assigné aux partis politiques dans ce que Bernard Manin appelle « la démocratie du public » [5]. Douze ans plus tard, les mêmes interrogations sont toujours de mise. Comme le soulignait à l’époque Gérard Grunberg, il serait faux de penser « que les sondages et les médias ont remplacé les partis dans le processus de sélection des candidats » [6], même s’il faut s’interroger, avec lui, sur les évolutions en cours et sur la transformation du « rôle respectif dans ce processus des oligarchies partisanes […], des adhérents et des électeurs à travers les sondages d’opinion. […] Si les uns et les autres n’ont pas nécessairement les mêmes manières de voir, il faut émettre l’hypothèse que les seconds, comme les premiers, ne sont pas insensibles à l’impératif de gagner l’élection et sont donc prêts, pour fonder leur choix, à prendre en compte les chances des différents candidats, potentiels ou déclarés. […] Dans cette démocratie du public qui voit se transformer, mais non disparaître, le rôle des grands partis dans la sélection des candidats et des leaders, c’est dans cette dialectique entre les dirigeants, les militants et les électeurs, qu’il faut voir la principale innovation » [7].
4Il est donc impossible d’analyser une consultation interne comme la simple agrégation des préférences individuelles de 220 000 militants. Si les dispositions de l’article 9.1.5 des statuts du PS prévoient que « le (la) candidat(e) à la présidence de la République est désigné(e) à bulletin secret par l’ensemble des adhérents réunis en assemblées générales de section », la relation entre les candidats et les militants s’insère dans un système complexe d’interactions qu’il convient de dénouer pour mettre au jour la façon dont l’offre se constitue, dont la campagne se déroule et dont les adhérents s’expriment finalement. L’offre est tout à la fois le produit des rapports de forces internes, tels qu’établis lors des congrès ou des consultations précédentes, voire dans des jeux complexes d’appareils, mais aussi de l’anticipation des attentes des électeurs, telles que révélées par les enquêtes d’opinion. La campagne censée prioritairement tournée vers les militants a aussi pour objectif de rallier les cadres qui contrôlent des mandats ou des votes, et de séduire les électeurs, puisque la manière dont ils jugent en temps réel les candidats est devenue un des critères majeurs du choix des cadres et, surtout, du vote des adhérents eux-mêmes, au détriment des logiques de congrès. L’anticipation des résultats rétroagit à son tour sur l’offre et la campagne, par l’apparition d’un effet d’entraînement continu que l’on peut qualifier d’effet de spin.
5C’est cette congruence des volontés des électeurs, des dirigeants et des militants qui a permis à Ségolène Royal d’être désignée à une très large majorité dès le premier tour de scrutin (60,6 % des s.e. contre 20,8 % à Dominique Strauss-Kahn et 18,6 à Laurent Fabius), marqué par une forte mobilisation des adhérents (le taux de participation s’élève à 82 %), alors qu’un an plus tôt, sa candidature paraissait encore incongrue. Durant l’année qui a précédé, celle-ci a réussi à faire entrer en résonance l’opinion, les cadres du parti et les adhérents (cf. schéma) pour imposer sa candidature et finalement l’emporter.
Schéma : Candidats et adhérents au centre d’un système d’interactions
Schéma : Candidats et adhérents au centre d’un système d’interactions
L’offre électorale : le poids des courants, le miroir de l’opinion
6Le dispositif de candidature n’est ni un strict décalque des attentes de l’opinion (sinon, comment expliquer la candidature de Laurent Fabius ?), ni l’exact reflet de la topographie interne (sinon, comment expliquer celle de Ségolène Royal ?), mais leur double produit. En d’autres termes, l’offre ne s’analyse pas – seulement – comme un moyen terme entre deux logiques concurrentes de production des candidatures, mais – aussi – comme le produit de leur articulation : l’offre s’est pour partie, mais pour partie seulement, ajustée à la demande finale de l’opinion, relayée par les cadres du PS. Pour dire les choses autrement, le paysage politique socialiste issu du référendum interne de 2004 et du congrès de 2005 n’a cessé d’être balayé en 2006 par le grand vent des sondages, érodant les soutiens des uns ou gonflant ceux des autres, pour finalement faire naître une ambition et briser toutes les autres.
L’irruption de Ségolène Royal dans le cénacle des présidentiables
7La popularité de Ségolène Royal est un phénomène récent. Son entrée dans le cercle fermé des « présidentiables » l’est plus encore [8]. Membre du gouvernement Jospin, elle subit, comme d’autres, le contrecoup de la défaite de la gauche en 2002. En octobre 2003, sa cote d’avenir touche un « plus bas » de 32 % dans le baromètre Tns-Sofres. Sa victoire en Poitou-Charentes lors des élections régionales de 2004 a un retentissement national et lui permet d’enregistrer un premier rebond, puisque sa cote d’avenir progresse de 12 points en un mois, pour atteindre 50 %. Mais sa popularité s’érode ensuite progressivement dans les premiers mois de l’année 2005, pour revenir à un niveau proche de son niveau d’origine (graphique 1). Jusqu’à l’automne 2005, Ségolène Royal ne fait pas partie du petit cercle des présidentiables. Elle n’apparaît pas dans une enquête Ipsos réalisée pour le Point les 3 et 4 juin 2005 qui cherche à établir l’identité du « meilleur candidat socialiste » à la prochaine élection présidentielle. Cinq personnalités sont alors testées : Laurent Fabius, François Hollande, Lionel Jospin, Jack Lang et Dominique Strauss-Kahn. Le même institut ne l’intègre pas dans une liste élargie à Martine Aubry, pour une enquête réalisée les 9 et 10 septembre 2005. Elle ne figure pas non plus dans la liste des personnalités testées par l’Ifop ou l’institut CSA, dans des enquêtes similaires réalisées durant la première quinzaine de septembre.
8Mais le 22 septembre 2005, Ségolène Royal fait un pas vers une éventuelle candidature et déclare dans un entretien à l’hebdomadaire Paris-Match : « Si à un certain moment, il s’avère que je suis la mieux placée, et donc que je suis sollicitée par le PS parce que je peux faire gagner mon camp, je le ferai ». C’est à ce moment là que l’Ifop la teste pour la première fois aux côtés de Laurent Fabius, Jack Lang, Dominique Strauss-Kahn, en la substituant à François Hollande, dans une enquête réalisée les 22 et 23 septembre 2005 auprès des sympathisants socialistes. Pour 22 % d’entre eux, elle est la « meilleure candidate du parti socialiste » pour 2007 (tableau 2). Elle n’est alors devancée que par Jack Lang (24 %), fait jeu égal avec Dominique Strauss-Kahn et devance légèrement Laurent Fabius (19 %). Ségolène Royal entre dans la danse présidentielle et, subséquemment, dans les baromètres des instituts de sondage au moment où sa cote d’avenir, mesurée par Tns-Sofres, est à son plus bas depuis février 2004 (37 % en octobre 2005). Prise à partie par ses camarades socialistes [9], Ségolène Royal trouve rapidement un réconfort en constatant que sa popularité croît à nouveau régulièrement à compter de l’automne 2005, puisqu’elle gagne 22 points entre octobre 2005 et septembre 2006 (de 37 % à 59 %) dans le baromètre Tns-Sofres. Dès décembre 2005, elle est, selon l’Ifop, « la meilleure candidate pour représenter le parti socialiste » aux yeux des sympathisants PS, distançant François Hollande, Bernard Kouchner, Jack Lang et Dominique Strauss-Kahn de 16 points (tableau 2). Début mai 2006, elle a créé un écart définitif avec ses principaux concurrents socialistes, puisqu’elle est « la meilleure candidate » pour un sympathisant socialiste sur deux. Les autres présidentiables du PS sont irrémédiablement devancés. Dans l’opinion, la primaire est déjà jouée, même s’il lui reste encore à l’emporter le 16 novembre devant les seuls militants socialistes.
9La percée de Ségolène Royal dans l’opinion appelle deux remarques. Elle est la seule personnalité socialiste à allier popularité et présidentialité. Ainsi, Jack Lang et Bernard Kouchner, pour populaires qu’ils soient, ne parviennent guère à crédibiliser leur éventuelle candidature à l’Élysée : plus l’échéance se rapproche, plus l’un et l’autre reculent dans les enquêtes que l’Ifop mène régulièrement auprès des sympathisants socialistes pour déterminer le « meilleur candidat » du PS. En d’autres termes, leur popularité ne suffit pas à en faire des présidentiables. On assiste au phénomène rigoureusement inverse pour Ségolène Royal : c’est en devenant présidentiable qu’elle va (re)trouver les chemins de la popularité. Son entrée en campagne et les premières enquêtes menées qui donnent du crédit à sa candidature précèdent la brusque inversion, à compter de novembre 2005, de la courbe de sa cote d’avenir. C’est notamment dans la phase d’installation de sa candidature qu’elle progresse le plus : d’octobre 2005 à janvier 2006, sa cote d’avenir fait un bond de 12 points (de 37 à 49 %). La popularité de Jack Lang et Bernard Kouchner est politiquement stérile, puisqu’elle ne débouche pas sur la présidentialité. La situation de Ségolène Royal est symétriquement inverse : sa toute nouvelle présidentialité lui permet de décoller dans l’opinion.
10Et les autres prétendants ? De mai 2006 (date où la candidature de Lionel Jospin devient suffisamment plausible pour qu’il réintègre les baromètres des instituts de sondage) à la mi-septembre (date des dernières enquêtes où tous les prétendants sont encore testés, avant que l’offre ne se clarifie), rien ne bouge ou presque. Outre Bernard Kouchner et Jack Lang, Martine Aubry et François Hollande sont stables ou reculent, selon l’Ifop qui demande régulièrement aux sympathisants socialistes quel est le meil-leur candidat pour 2007 (tableau 2). Tous partaient pourtant de très bas : aucun ne profite de la pré-campagne pour s’immiscer dans le jeu présidentiel. Lionel Jospin, lui, ne parvient pas à le réintégrer : en septembre, seulement un sympathisant socialiste sur sept voit en lui le meilleur candidat du PS pour 2007, soit la même proportion qu’au printemps. Seul Dominique Strauss-Kahn progresse de manière sensible, passant de 7 % à 16 % entre mai et septembre, toujours selon l’Ifop, à distance toutefois de Ségolène Royal. Tous, à des degrés divers, avaient pourtant besoin du soutien de l’opinion pour être candidat devant les adhérents du parti socialiste : les uns, faute de troupes, pour donner du crédit à leur éventuelle candidature ; les autres, tels François Hollande et Dominique Strauss-Kahn, pour conserver leurs soutiens. Lionel Jospin, enfin, pour imposer son retour.
Les contraintes internes : la brusque fermeture du jeu présidentiel
11Au final, trois candidatures seulement sont déposées le 3 octobre 2006 : celle de Ségolène Royal, bien sûr, forte du crédit que lui attribuent les sondages, mais aussi celles de Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn, qui avaient fait connaître, de longue date, leur intention de concourir. Tous les autres prétendants sont méthodiquement marginalisés et/ou écartés. Ou se sont finalement abstenus. Peut-être ces trois candidatures saturent-elles le spectre politique interne ? Peut-être, aussi, peut-on y voir un effet du scrutin majoritaire à deux tours, qui ne tolère, selon la théorie contemporaine des modes de scrutin, que trois candidats « viables » [10], sous les effets conjugués de la coordination stratégique des partis (en l’espèce, des courants ou des écuries présidentielles) et des électeurs (le fameux « vote utile ») ? Tout se passe, en tous cas, comme si les principaux responsables socialistes avaient en tête cet optimum et ajustaient leur comportement en conséquence. Le 23 septembre à Nice, François Hollande espère « deux ou trois » candidats, même si, à ce moment-là, il en imagine encore « quatre ou cinq ». Lorsqu’il confirme qu’il ne se lancera pas dans la course, quelques jours plus tard, il indique ne pas vouloir être « un candidat de plus ». Quand Lionel Jospin se retire, le 28 septembre, il prend appui sur le même argument et souligne, lui aussi, que « la perspective de compter quatre ou cinq candidats sur la ligne de départ (lui) semble déraisonnable » [11]. Pour les principaux protagonistes, deux ou trois candidatures constitueraient ainsi un chiffre acceptable. La règle électorale n’est pas la seule contrainte qui s’exerce en ce sens. Aucun des acteurs n’oublie que la primaire se déroule sous le regard de l’opinion. Aucun n’oublie, surtout, les contraintes systémiques qui pèsent sur les candidats potentiels situés sur le même segment électoral, qui les conduiraient à se disputer les suffrages des mêmes adhérents.
12Mais la coordination des candidatures ne s’opère pas seulement par l’intériorisation de cet optimum par les candidats potentiels. Elle s’impose aussi comme une véritable contrainte normative, dont il est fait usage dans les stratégies de dissuasion du fort au faible. Le 12 juin, par exemple, Vincent Peillon, tout nouveau supporter de Ségolène Royal, indique que « l’été doit être une phase de décantation » pour que, lors du vote des militants socialistes à l’automne, restent en lice « deux ou trois candidats ». Le 21 août, François Rebsamen, numéro 2 du parti rallié à Ségolène Royal, est encore plus explicite et appelle Jack Lang et Dominique Strauss-Kahn à se retirer. Jack Lang parle alors de « fatwa » lancée à son encontre [12]. Il finira, pourtant, par se retirer. En annonçant qu’il ne sera finalement pas candidat, Lionel Jospin évoque également « la force des pressions exercées sur le parti et dans le parti au nom de l’opinion » [13].
13L’offre s’est d’abord structurée en fonction des clivages internes apparus en 2004 à la faveur des débats sur la ratification du traité constitutionnel européen (TCE). Au sein du camp du Non, Laurent Fabius est rapidement seul en piste. À la tête d’un courant constitué depuis le congrès de Rennes, en 1990, il est un des leaders du Non tant lors du référendum interne du 1er décembre 2004 que du référendum du 29 mai 2005. Il s’est à nouveau « compté » lors du congrès du Mans, en 2005, à la tête de la « motion 2 ». Les trois leaders de la « motion 5 », également opposés au TCE, ne sont pas sur les rangs. Henri Emmanuelli n’envisage pas une autre candidature, après son échec de 1995. Arnaud Montebourg, qui paraît un temps hésiter à se lancer dans la course, déclare rapidement forfait après avoir constaté qu’il n’avait aucune chance d’obtenir le soutien de trente membres du conseil national. Un moment tenté par un rapprochement avec Laurent Fabius [14], il se rallie finalement à… Ségolène Royal, tout comme Vincent Peillon.
14Les choses sont plus complexes parmi les tenants du Oui, signataires de la « motion 1 » (Hollande) au congrès Mans. Bernard Kouchner n’a jamais été véritablement en course. Après l’échec de la candidature de Paris pour l’organisation des jeux olympiques de 2012, Bertrand Delanoë renonce à ses ambitions nationales pour mieux se consacrer à la préparation des élections municipales de 2008. Mais à la fin de l’été 2006, quatre autres personnalités n’ont pas abandonné toute prétention : Jack Lang, qui a annoncé très tôt sa volonté de briguer l’investiture socialiste ; Martine Aubry qui, dans un entretien au Parisien le 28 mai, « n’exclut pas » d’être candidate ; Lionel Jospin, qui fait un pas vers la candidature en déclarant au 20 heures de TF1, le 28 juin : « S’il apparaît que je suis le mieux placé pour rassembler le pays, pour assumer la charge de l’État, pour proposer des orientations aux Français, alors je me poserai la question, bien évidemment » ; et, bien entendu, le premier secrétaire du parti socialiste, François Hollande, qui s’est toujours gardé de fermer la porte à sa propre candidature sans jamais pour autant afficher clairement ses intentions. Lors du « grand oral » de Lens du 16 septembre 2006, qui marque le lancement de la procédure de désignation, ils sont donc sept à intervenir dans un ordre tiré au sort, hormis Ségolène Royal qui ouvre le bal pour cause de déplacement à Madrid, au congrès du PSOE, et François Hollande, appelé à conclure les travaux. Entre le 16 septembre et le 3 octobre, date limite du dépôt des candidatures, l’accordéon de l’offre électorale va pourtant rapidement se refermer. Martine Aubry ne va pas au bout de sa démarche. Lionel Jospin renonce le 28 septembre, en regrettant dans un entretien au Dauphiné Libéré que le « rassemblement (du parti socialiste) n’ait pas pu se faire » autour de lui. François Hollande fait savoir le 30 septembre qu’il ne veut pas être « un candidat de plus ». Jack Lang jette l’éponge le 2 octobre, en déclarant sur TF1 : « François Hollande m’a demandé explicitement de ne pas ajouter la division à la division en multipliant les candidatures et je suis conduit à répondre positivement à sa demande […]. Dans un esprit de discipline collective, je consens à accomplir ce sacrifice ».
15Plusieurs séries de facteurs se sont conjuguées pour favoriser la réduction à trois du nombre final de candidats. La première tient aux règles que se sont donnés les socialistes eux-mêmes : un scrutin à deux tours, où ne peuvent concourir que les candidats ayant réunis trente signatures parmi les membres du conseil national. Directement inspirées des dispositions constitutionnelles et législatives qui régissent en France l’élection présidentielle elle-même, ces règles internes rendaient aléatoires la candidature de personnalités telles que Martine Aubry ou Jack Lang, qui n’ont pas pris la peine (ou qui ne sont pas parvenus) à se doter d’un « courant » structuré. Faute de disposer en propre du nombre de signatures nécessaire pour pouvoir faire acte de candidature, Jack Lang en était réduit à espérer le soutien de ses amis de la fédération du Pas-de-Calais, susceptibles de lui en procurer une dizaine, mais aussi de la direction nationale du PS. Il semble qu’un temps François Hollande ait envisagé de procurer à l’ancien ministre de la Culture la vingtaine de signatures nécessaires, pour ne pas « opposer d’obstacles politico-administratifs » à sa candidature et éviter ainsi tout « ostracisme », selon l’entourage du premier secrétaire [15]. Après avoir clamé qu’il avait ses trente signatures, Jack Lang se serait heurté à Serge Janquin, premier secrétaire de la fédération du Pas-de-Calais, qui lui aurait signifié qu’il ne pouvait pas « rompre avec les élus » du département et qu’il avait « tout intérêt à se retirer le plus tôt possible » [16]. Ce réflexe unanimiste est a priori surprenant, puisque les principaux responsables politiques de la fédération du Pas-de-Calais avaient pris position pour des candidats différents. Serge Janquin lui-même soutenait Dominique Strauss-Kahn ; Dominique Dupilet, président du conseil général, Laurent Fabius ; Daniel Percheron, président du conseil régional et ancien premier secrétaire fédéral, lui n’avait pas pris officiellement position. Mais, au fil de la campagne, la fédération du Pas-de-Calais se fit de plus en plus accueillante envers Ségolène Royal. La candidature éventuelle de Jack Lang, qui permit un temps à la fédération du Pas-de-Calais de ne pas choisir entre les principaux postulants, risquait finalement de l’affaiblir, si le score médiocre qui lui était promis était interprété comme une mesure de son influence dans le parti. Jack Lang se résolut donc à abandonner la course, avant d’afficher, le 5 novembre sur TF1, son soutien à la présidente du conseil régional Poitou-Charentes. Martine Aubry s’est retrouvée dans une situation identique. Alors qu’elle envisageait de se porter candidate en cas de défaillance de Lionel Jospin, le ralliement de Pierre Mauroy (son prédécesseur à la mairie de Lille) et d’une majorité de cadres de la fédération du Nord à la candidature de Ségolène Royal, le 28 septembre, a ruiné ses derniers espoirs de rassembler les signatures nécessaires et, plus encore, de réunir les conditions politiques indispensables à la réalisation d’un score honorable.
16On mesure ici l’importance d’une seconde série de facteurs, liés à la manière dont s’agencent les rapports de force internes. C’est que la maîtrise d’un courant organisé et/ ou le contrôle de grosses fédérations sont indispensables non seulement pour être candidat à la candidature, mais aussi pour avoir une chance de réaliser un score significatif et, a fortiori, de remporter la primaire. Martine Aubry et Jack Lang priés sans ménagement de rester à l’écart de la compétition présidentielle par les principaux responsables de leur propre fédération, ils étaient trois, en fait, François Hollande excepté, à être susceptibles de se disputer les suffrages des militants qui s’étaient retrouvés sur la motion majoritaire au congrès du Mans : Ségolène Royal, Dominique Strauss-Kahn et Lionel Jospin. Face à Laurent Fabius, que les pointeurs attendaient autour de 25 %, c’était sans doute une candidature de trop. Le ralliement à Ségolène Royal des principaux responsables nationaux du parti et d’une cinquantaine de premiers secrétaires fédéraux (dont ceux de trois des quatre plus grosses fédérations du parti, à savoir Paris, le Nord et les Bouches-du-Rhône) laissaient à Lionel Jospin et à Dominique Strauss-Kahn un espace trop maigre pour qu’ils puissent l’occuper tous les deux : dans une telle hypothèse, les pointeurs de la rue Solferino n’accordaient guère plus de 10 % à l’ancien Premier ministre. Info ou intox ? Faute d’obtenir du député du Val-d’Oise qu’il se retire pour lui laisser le champ libre, Lionel Jospin renonça finalement à se présenter.
17Les règles électorales et les rapports de force internes ont donc contribué à façonner l’offre, au même titre que les attentes des électeurs socialistes telles que mesurées par les sondages. Dans une primaire, ces rapports de force se mesurent schématiquement dans un espace à deux dimensions : l’une, verticale, renvoie au degré de maîtrise de l’appareil national et local (les fédérations et les grosses sections) du parti ; l’autre, horizontale, à l’influence des courants et des écuries présidentielles, et à leur cohérence (c’est-à-dire à leur capacité à encadrer effectivement les militants et à contrôler leur vote). Dans cet espace, certains responsables politiques situés à des points nodaux apparaissent comme mieux dotés que d’autres, même si l’on peine à systématiser les critères qui permettent de les identifier sans risque. Ces véritables « faiseurs de roi » sont à même d’encourager ou de décourager les vocations présidentielles, parce qu’ils contrôlent des signatures (pour permettre la candidature) ou des votes (pour la rendre crédible), même s’ils n’exercent – plus – que des responsabilités partisanes secondaires. Martine Aubry et Jack Lang le constateront à leurs dépens. Dans le Nord, par exemple, Pierre Mauroy n’est plus maire de Lille (depuis 2001), même s’il demeure président de la communauté urbaine. Il n’est plus premier secrétaire fédéral (depuis 1979), même s’il a réussi à reprendre le contrôle de la fédération au congrès du Mans en 2005, lorsque Gilles Pargneaux a succédé à Marc Dolez. Mais il reste, par exemple, en mesure d’imposer, au niveau fédéral puis au niveau national, que la seconde circonscription du Nord (convoitée par Martine Aubry) ne soit pas réservée à une candidature féminine, afin d’y favoriser la réélection de Bernard Derosier, président du conseil général et député sortant. Dans le Pas-de-Calais, Daniel Percheron n’est plus premier secrétaire fédéral (depuis 1997), mais son influence n’y a guère diminué depuis. Créer les conditions d’une candidature, puis dans un second temps, faire campagne consiste d’abord à agréger les soutiens de ces grands électeurs ou, au moins, à ne pas se les aliéner. Faute d’avoir été adoubés par Pierre Mauroy pour la première, par Daniel Percheron pour le second, Martine Aubry et Jack Lang ne disposent pas des ressources politiques suffisantes pour s’engager plus avant dans la compétition présidentielle.
18Il reste à expliquer, sinon à comprendre, pourquoi François Hollande n’a pas été candidat. Premier secrétaire du PS depuis 1997, réélu avec 77 % des suffrages au congrès du Mans, il était sans doute le mieux placé, au départ de la course, pour remporter l’investiture. Trois explications peuvent être avancées. La première tient à l’absence de « demande » de l’électorat socialiste : s’il avait bénéficié de ses faveurs dans les enquêtes d’opinion menées depuis l’automne 2005, sans doute peut-on considérer que non seulement il aurait été candidat, mais aussi qu’il l’aurait emporté. L’absence d’écho rencontré par son éventuelle candidature a laissé la voie libre à d’autres postulants, à commencer par sa compagne, Ségolène Royal. On touche ici à un second ressort de sa non-candidature. Dans une interview au Financial Times, le 2 février 2006, celle-ci avait indiqué que, le moment venu, ils décideraient « ensemble, en couple » lequel des deux soumettrait sa candidature aux suffrages des militants socialistes. « Ce sera Ségolène Royal… ou moi, mais il est hors de question d’y aller à deux », confirme en écho François Hollande à Nice, le 23 septembre. À vrai dire, l’opinion et ceux qui la mesurent l’avaient vite compris : quand l’Ifop teste pour la première fois la candidature de Ségolène Royal, fin septembre 2005, c’est à la place de son compagnon. Mais on aurait tort de sous-estimer les contraintes du jeu politique interne, qui constituent un troisième élément d’explication. En se gardant d’afficher ses ambitions, François Hollande a facilité les ralliements à Ségolène Royal, lui permettant ainsi de créer une dynamique autour de sa candidature et de se structurer. Mais l’espace politique dont il disposait s’est progressivement réduit en proportion. Forte du soutien de l’opinion et des ralliements internes dont elle a bénéficié tout au long de l’année précédant le scrutin, la candidature de Ségolène Royal est devenue irréversible, si bien qu’à l’automne 2006, celle, éventuelle, de François Hollande ne réunissait plus les conditions politiques nécessaires.
La triple campagne des candidats à la candidature
19Si les campagnes électorales peuvent être regardées comme des processus visant, in fine, à mobiliser les électeurs, elles sont « très largement tributaires des configurations historiques formées par les structures sociales et politiques et les mécanismes institutionnels » [17]. Dès lors, mener une campagne interne ne consiste pas seulement à s’adresser aux adhérents, appelés à voter. Elle vise aussi les électeurs et les cadres du parti, dont les préférences contribuent à structurer l’offre électorale et à déterminer les choix des adhérents eux-mêmes. Les campagnes internes ont donc pour particularité de se déployer dans un espace à trois dimensions, la mobilisation des électeurs accélérant celle des cadres et des adhérents, celle des premiers renforçant encore celle des seconds. L’effet d’entraînement continu, ou effet de spin, que cela engendre est ainsi susceptible d’être plus important que dans une campagne classique.
Convaincre les cadres
20Un regard rétrospectif sur l’état des forces en début de campagne montre que les ressources des trois candidats étaient pour le moins déséquilibrées.
21Laurent Fabius pouvait s’appuyer sur le courant qu’il a patiemment structuré depuis son passage à Matignon, avec l’aide de son principal lieutenant, Claude Bartolone (29 % des suffrages exprimés lors du congrès de Rennes en 1990). Mais au fil des années 1990, il perdit de précieux soutiens dans la fédération des Bouches-du-Rhône et, surtout, dans celle du Pas-de-Calais. Le référendum interne provoqua une nouvelle vague de défections parmi ses proches, Jack Lang ou Gilles Savary par exemple. Le congrès du Mans lui permit néanmoins de rallier quelques personnalités venues de la gauche du parti, tel Jean-Luc Mélenchon. Les réseaux de Dominique Strauss-Kahn sont construits sur les décombres des courants Jospin et Rocard, réunis sous la férule du premier au milieu des années 1990. Le député du Val d’Oise, qui ne s’est jamais compté dans un congrès, anime « Socialisme et Démocratie » avec Jean-Christophe Cambadélis. Ses principaux soutiens sont d’anciens proches de Lionel Jospin (Jean-Marie Le Guen, Pierre Moscovici) ou de Michel Rocard (Claude Evin, Catherine Trautmann, Alain Richard). L’un et l’autre pouvaient compter sur l’appui de plusieurs dizaines de parlementaires et de premiers secrétaires fédéraux. Ségolène Royal partait, elle, de zéro. Au début de l’aventure, en novembre 2005, elle ne pouvait compter que sur l’amitié de quelques proches, tels que Christophe Chantepy, son ancien directeur de cabinet au ministère de l’Enseignement scolaire, ou encore Sophie Bouchet-Petersen ou Nathalie Rastoin. Un des premiers soutiens dont elle disposera à l’intérieur du PS sera celui de Patrick Menucci, pilier de la fédération des Bouches-du-Rhône.
22Dans l’appareil, la bataille va s’engager sur quatre fronts. Le premier, marginal, concerne les transferts de personnalités d’un camp à l’autre. Ce mercato s’ouvre dès le printemps 2006, avec le ralliement à Ségolène Royal d’anciens partisans de Dominique Strauss-Kahn (Gérard Collomb, maire de Lyon) ou de Laurent Fabius (Michel Vauzelle, président du conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur). Il ne s’agit pas seulement d’une course aux mandats. Quelques (rares) personnalités sont de véritables figures totémiques. Robert Badinter sera particulièrement mis en avant par Dominique Strauss-Kahn, tout comme Michel Rocard, bien au-delà de leur influence réelle dans le parti. La chasse aux éléphants est d’un rapport avant tout symbolique. « Franchement, je ne pouvais pas rêver meilleur parrain ! », dira Ségolène Royal après le ralliement de Pierre Mauroy.
23Le second enjeu de la campagne interne porte sur les 23,6 % des suffrages réunis par la motion 5 (NPS) au congrès du Mans, qui ne dispose pas de présidentiable crédible. Les lignes de partage dessinées lors du référendum interne aurait pu (dû ?) conduire Laurent Fabius à s’en approprier les dépouilles. Mais Vincent Peillon en juin, puis Arnaud Montebourg en juillet rejoignent Ségolène Royal. Henri Emmanuelli n’affiche aucune préférence. Laurent Fabius ne dispose du soutien d’aucun des trois leaders de la motion 5, même s’il peut compter sur le renfort de quelques personnalités qui en sont issues, comme Benoît Hamon (ancien président du MJS) ou, dans le Nord, Marc Dolez, ancien premier secrétaire fédéral, ou Michaël Moglia, secrétaire général de « Rénover maintenant ». Dominique Strauss-Kahn ne reçoit, lui, aucun renfort en provenance de cette sensibilité.
24L’appareil du PS constitue le troisième terrain de bataille, tant à Paris que dans les fédérations. Il oppose Ségolène Royal à Dominique Strauss-Kahn, tous deux issus de la motion 1 (Hollande), mais aussi, de manière plus feutrée, Ségolène Royal à François Hollande lui-même. La députée des Deux-Sèvres va rallier l’essentiel des troupes majoritaires en deux temps. À partir du printemps 2006, elle reçoit le soutien de la garde rapprochée de François Hollande, rétrécissant d’autant l’espace politique de celui-ci. Elle rallie à sa candidature tout à la fois des amis proches de leur couple (Julien Dray, porte-parole ; Michel Sapin, trésorier), mais aussi des responsables avec qui elle n’a guère de liens personnels, mais qui constituent, avec le premier secrétaire, l’ossature du parti : François Rebsamen, secrétaire à la coordination et véritable numéro deux du PS, Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Jean-Pierre Bel, président du groupe socialiste au Sénat. Dans un second temps, à la fin de l’été, Ségolène Royal reçoit le soutien de ceux qui n’espèrent plus une candidature de François Hollande lui-même. Dans le Nord, Pierre Mauroy se déclare le 28 septembre. Le rôle de « parrain » qu’il endosse alors pour la députée des Deux-Sèvres n’est pas uniquement symbolique. Il offre également à sa filleule les soutiens de Bernard Derosier, président du conseil général, de Bernard Roman, député et premier vice-président du conseil régional (longtemps proche de Dominique Strauss-Kahn), de Michel Delebarre, député-maire de Dunkerque ou encore de Gilles Pargneaux, premier secrétaire fédéral. Plus généralement, aucun « hollandais » de renom ne rejoint Laurent Fabius ou Dominique Strauss-Kahn.
25Le quatrième axe de campagne concerne les « non-alignés ». Ségolène Royal va se servir de sa qualité de présidente de conseil régional pour séduire promptement nombre de « grands élus » de province, traditionnellement prudents quand s’engagent les batailles d’appareil. Fin avril 2006, par exemple, huit présidents de région socialistes prennent position en sa faveur, à l’initiative du président de la région Pays-de-la-Loire, Jacques Auxiette [18] : Jean-Yves Le Drian (Bretagne), Michel Sapin (Centre), Jean-Jack Queyranne (Rhône-Alpes), François Patriat (Bourgogne), Jean-Paul Denanot (Limousin), Michel Vauzelle (PACA) et Jean-Pierre Masseret (Lorraine). La candidate va également consacrer une part de son énergie à la fédération du Pas-de-Calais, toujours soucieuse de « peser » dans les scrutins internes. La tradition « guesdiste » de cette fédération, qui incite les militants à faire les mêmes choix que leurs responsables, renforce l’intérêt d’y faire campagne [19]. Les déplacements successifs que Ségolène Royal y effectue prennent à cet égard les allures d’un véritable conte initiatique. Elle réalise son premier voyage le 10 février, lorsqu’elle se rend à Arras à l’invitation de Léon Fatous, ancien maire de la ville, pour son 80e anniversaire, qui la décrit comme « un réel espoir pour la gauche et pour la France ». L’accueil de Serge Janquin et de Daniel Percheron est alors glacial [20]. Le second voyage se déroule le 30 avril, à l’invitation de deux députés PS du département. Selon l’AFP, l’accueil est alors « franchement sympathique, loin des “vacheries” distillées par les responsables de la fédération [en] février » [21]. Le troisième voyage, à moins d’une semaine du vote, les 10 et 11 novembre, prend la forme d’un véritable adoubement. Elle est successivement reçue à Béthune par Jacques Mellick, qui la soutient activement, et par Jean-Pierre Kucheida à Liévin, qui compte, avec 1 400 adhérents, la plus grosse section socialiste du pays. Longtemps proche de Laurent Fabius, le député-maire de Liévin se garde de prendre officiellement position, tout comme son compère Daniel Percheron, mais le signal adressé à ses militants est clair : le 16 novembre, Ségolène Royal recueillera à Liévin 912 voix sur 1 134 suffrages exprimés, soit plus de 80 %.
26À la fin de la campagne interne, Ségolène Royal et Laurent Fabius disposent du soutien d’une soixantaine de parlementaires, contre une quarantaine seulement à Dominique Strauss-Kahn (tableau 5). Surtout, l’appareil décentralisé du PS a massivement rejoint la députée des Deux-Sèvres, puisqu’elle pouvait compter sur le soutien de cinquante-et-un premiers secrétaires fédéraux, Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn n’en ayant que dix-sept chacun.
S’adresser directement aux adhérents
27La campagne utilise des vecteurs traditionnels (meetings, courriers personnalisés, etc.). Mais elle est surtout marquée par le recours intensif aux nouvelles technologies de l’information (NTIC) qui, d’un coût réduit, permettent à chaque candidat d’optimiser les 25 000 euros reçus par le PS au titre du financement de cette campagne interne.
28Pour s’adresser directement aux militants, chacun des trois candidats mobilise de façon différente les outils de la netcampagne. Si tous ont un site [22], la conception qu’ils ont de ces nouvelles technologies et, plus encore, de leur usage les distingue. Le dispositif mis en place par l’équipe de Laurent Fabius est le plus traditionnel d’entre tous. Son site « Rassembler à gauche » comme son blog [23] servent davantage à rappeler ses prises de positions, à témoigner de ses interventions, de ses soutiens, à rendre compte de ses commentaires sur les questions d’actualité, qu’à susciter des réactions des militants (même si la possibilité leur en est offerte) ou à fonctionner en réseaux. Le dispositif de Dominique Strauss-Kahn est sensiblement différent [24]. Il référencie aussi et cartographie en détail ses comités de soutiens locaux, fait un appel assez large aux propositions et renvoie directement à d’autres blogs. À partir de ce dispositif s’est d’ailleurs développée une communauté d’une centaine d’internautes qui s’est régulièrement retrouvée pour débattre sur des documents ou des émissions politiques. Sous cet angle, sa plus grande concession à la modernité a sans doute été l’organisation en juillet 2006 à Paris d’une nouvelle formule de débat, un meet-up, qui consiste en une rencontre entre internautes, bloguers et militants, à l’image de ce qu’avait entrepris Howard Dean, candidat à la primaire démocrate en 2004. Tenante de la démocratie participative, Ségolène Royal a très fortement mobilisé ces nouveaux outils articulés autour de son site « désir d’avenir », lancé en février 2006. Mais, grande différence avec ses concurrents, elle les a surtout orientés vers le recueil de « l’expression des Français », plus que vers l’exposition de ses propres idées. Très fortement sollicités pour apporter leur contribution à l’enrichissement du projet socialiste et à la conception d’un ouvrage de synthèse, dont seuls deux chapitres (« Le désordre démocratique » et « Les désordres de l’emploi et du travail ») étaient pourtant achevés le jour du vote, les militants et plus largement les sympathisants socialistes ont répondu au-delà de toute attente aux espaces de discussion qui leur étaient ouverts. 90 000 messages argumentés ont ainsi été « postés » [25] (ce qui aurait d’ailleurs nécessité la participation de 45 modérateurs bénévoles). Ce dispositif a conduit à la mise en œuvre d’une « blogosphère », baptisé Ségo-sphère, où se sont très rapidement amarrés de nombreux sites « relais-médias », chargés de relayer l’information publiée dans les grands médias, des sites régionaux, départementaux, locaux, voire personnels. La toile a permis à la candidate socialiste de créer en ligne un réseau de soutiens et de pallier le manque d’appuis dont elle disposait dans l’appareil en tout début de campagne. Au final, ces trois dispositifs web n’ont pas suscité le même « bruit » ou le même « buzz » (bouche à oreille). Selon l’indice Buzz Blog Politique (IBBP) [26], le bruit généré par Laurent Fabius fut le plus feutré. En revanche, début octobre, le bouche à oreille généré par Ségolène Royal était non seulement le plus élevé des trois candidats socialistes, mais aussi de l’ensemble des présidentiables (Nicolas Sarkozy n’arrivant qu’en seconde position).
29Mais la toile est aussi un vecteur de « campagne négative ». C’est sur Ségolène Royal que se sont principalement concentrées les attaques. Fin septembre 2006, une séquence d’un documentaire de Pierre Carles consacré à Pierre Bourdieu circule sur le Net, d’abord en Allemagne puis en France. Elle est intitulée de manière évocatrice : « Royal est de droite ». En octobre, c’est l’enregistrement sonore du meeting de Paris où elle fut copieusement huée qui circule activement. Et quelques jours avant le vote étaient diffusées les images d’une réunion enregistrée le 21 janvier 2006 à Angers, dans laquelle Ségolène Royal annonçait, parlant de l’enseignement : « Il va falloir être assez révolutionnaire dans les propositions ». Elle proposait d’obliger les enseignants à passer 35 heures par semaine dans leur établissement et posait cette question : « Comment se fait-il que des enseignants du secteur public aient le temps d’aller faire du soutien individualisé payant et qu’ils n’aient pas le temps de faire du soutien individualisé gratuit dans les établissements scolaires ? » Téléchargée 600 000 fois [27], la vidéo fut mise en ligne sur le site de Ségolène Royal de manière tardive, dans une version au demeurant expurgée, puisque n’y figure pas sa réflexion finale : « Moi, j’ai fait une proposition. Par ailleurs, je ne vais pas encore la crier sur les toits parce que je ne veux pas me prendre des coups des organisations syndicales enseignantes ». Attribuée à des proches de Dominique Strauss Kahn (qui démentira pourtant toute implication), la diffusion de cette vidéo a engendré une réaction prudente des syndicats, soucieux de rester à l’écart de la bataille interne. La candidate préféra dénoncer « une atteinte aux règles de l’honneur et de l’honnêteté ». S’il est difficile de mesurer les retombées électorales de cette micro-affaire, on peut néanmoins se demander si elle n’a pas en définitive servi Ségolène Royal, en la désignant comme la victime d’une campagne de calomnie et, surtout, en plaçant jusqu’au bout son agenda au centre des débats internes. Au final, le durcissement de la campagne n’a sans doute pas eu d’autres effets que de renforcer dans leurs convictions les militants de chaque camp et ainsi de fixer les électorats des trois candidats : chaque incident rendait donc de plus en plus improbable toute évolution notable d’un rapport de force qui s’était déjà cristallisé.
Débattre devant les français
30Durant la campagne, les trois candidats ne se tournent pas seulement vers les adhérents. Ils s’adressent également, par médias interposés, à l’ensemble des Français et notamment aux sympathisants socialistes, objet de la sollicitude quotidienne des sondeurs. L’absence d’enquête auprès des adhérents eux-mêmes contribue ainsi à déplacer le centre de gravité de la campagne vers les sympathisants, érigés en pythie par les socialistes déboussolés par le double choc du 21 avril 2002 et du 29 mai 2005. Leur verdict instantané est fiévreusement attendu tant par les cadres que par les militants, qui y voient non seulement une prévision (certes par nature imparfaite) des résultats du scrutin, mais aussi le reflet des attentes du corps électoral sur lesquelles il leur faut s’ajuster pour s’assurer, cette fois, qu’ils ne seront pas pris à nouveau à contre-pied par leur électorat. Les sondages deviennent un vrai argument de campagne, au grand dam de Laurent Fabius qui estime « qu’on utilis[e] les sondages sur des gens qui ne vont pas voter pour faire pression sur ceux qui vont voter ». Pour les candidats, il est donc crucial de convaincre les sympathisants socialistes, pourtant appelés à rester à l’écart des urnes le 16 novembre. Au fil de la campagne, la primaire socialiste attire l’attention d’un nombre croissant de Français, allant jusqu’à animer les conversations de 42 % d’entre eux et à en « intéresser » 51 % [28].
31La campagne migre ainsi pour partie des réunions de section enfumées vers les sunlights des plateaux de télévision. L’importance de l’image pousse les uns ou les autres à adopter un code vestimentaire précis (tels les fameux tailleurs blancs de Ségolène Royal), à perdre quelques kilos, voire à faire appel à la chirurgie esthétique pour rectifier qui sa mâchoire, qui ses paupières [29]. Sous cet angle, les déplacements à l’étranger de Ségolène Royal sont un modèle du genre. En janvier 2006, par exemple, alors que tous les prétendants possibles sont à Jarnac pour le 10e anniversaire de la mort de François Mitterrand, Ségolène Royal est en déplacement au Chili, pour faire campagne aux côtés de la future présidente, Michèle Bachelet. Pour justifier cette préférence, elle fait alors référence à François Mitterrand lui-même : « Je serai (à Jarnac) par le cœur et la pensée. Il aurait fait le même choix ». Bien entendu, elle a emmené dans ses bagages plusieurs équipes de télévision. Dans la presse écrite également, « la bataille des images » [30] profite très largement à Ségolène Royal. En début de campagne, au mois d’avril, elle fait la couverture de quatre hebdomadaires, presque simultanément (Le Nouvel Observateur, Le Point, Paris-Match et VSD). Et dans les six dernières semaines de campagne, elle fait l’objet de plus d’une vingtaine de Unes de quotidiens nationaux. La presse féminine n’est pas en reste. Elle, par exemple, lui consacre sa couverture en janvier 2006, « ringardisant » d’autant ses deux concurrents. Même la presse étrangère s’en mêle : le Sunday-Times en avril, l’édition européenne de Time Magazine en septembre et celle de Newsweek en octobre, lui accordent leur couverture, ce dont la presse française se fait, admirative, l’écho. Au final, les trois candidats n’ont pas bénéficié du même impact. Ségolène Royal a vite cannibalisé l’espace médiatique. De juin au vote d’investiture, le « bruit médiatique » suscité par Ségolène Royal est, mois après mois, toujours largement supérieur à celui provoqué par Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius, selon un nouveau baromètre Tns-Sofres, mis en place à l’été 2006 [31]. « Même quand je ne dis rien, cela fait du bruit », remarquait la députée des Deux-Sèvres dès avril 2006.
32Sur le fond, chacun des trois candidats avance ses propres thèmes de campagne. Laurent Fabius veut un candidat et un PS « vraiment à gauche ». Dominique Strauss-Kahn développe une vision « social-démocrate ». Ségolène Royal plaide en faveur d’une « démocratie participative » (« Mon opinion est celle du peuple français », déclare-t-elle à propos de l’adhésion éventuelle de la Turquie à l’Union européenne, le 11 octobre 2006 [32]) et frise (pour une socialiste) l’oxymore en parlant « d’ordre juste ». Bousculant les tabous, elle maîtrise l’agenda de la campagne en se démarquant du projet du PS sur les sujets de société, en mettant en cause la carte scolaire et en suggérant d’encadrer militairement la jeunesse délinquante ou de placer les élus sous la surveillance de jurys populaires. Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn passent ainsi leur temps à répondre à leur concurrente plutôt que de développer leurs propres priorités.
33La campagne interne « officielle » se joue elle-même, pour l’essentiel, devant l’opinion. Organisée par la direction du PS [33], elle s’articule autour de trois meetings régionaux destinés aux militants et, surtout, de trois débats télévisés. Le dispositif d’ensemble ne fut pas adopté dans l’enthousiasme général. Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn étaient favorables à un maximum de débats. Ségolène Royal était beaucoup plus réservée. À six jours du premier débat télévisé, elle laisse planer un doute sur sa participation : « Je ferai les débats dans la mesure où ils sont nécessaires ». Et d’ajouter : « S’ils sont détournés de leur véritable destination, à ce moment-là je me réserve le droit de ne pas m’y assujettir. » En faisant peser une incertitude sur sa participation à l’ensemble du dispositif prévu, elle fait ainsi pression sur ses concurrents pour que le premier débat se déroule dans des formes courtoises, sinon aseptisées. Pour les observateurs, en effet, Ségolène Royal, moins expérimentée, avait tout à craindre d’un échange direct avec Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn, rompus à ce genre d’exercice.
34L’organisation concrète des débats donna lieu à d’âpres pourparlers qui durèrent deux jours (9 et 10 octobre) au siège du PS. Trois meetings fermés aux médias audiovisuels (mais ouverts à la presse écrite) furent finalement mis sur pied. Ils se déroulèrent devant un public nombreux : 3 000 militants à Clermont-Ferrand le 19 octobre ; 6 000 à Paris le 20 octobre ; 4 000 à Toulouse le 9 novembre. Les débats télévisés furent nettement plus difficiles à organiser : la taille des pupitres, la mise en place des candidats sur le plateau, les thématiques et bien sûr les temps de parole (30 minutes pour chacun) firent l’objet de difficiles négociations. Le débat lui-même fut bridé : chaque candidat(e) devait répondre aux mêmes questions, sélectionnées au préalable par la commission d’organisation des débats sur la base des questions posées par les militants et recueillies sur le site Internet du PS. À la demande de Ségolène Royal, il fut convenu que les candidats ne pourraient pas s’interpeller.
35Diffusé en prime time par La Chaîne parlementaire/Public Sénat et LCI, chaque débat est centré sur un thème précis : le 17 octobre, les questions économiques et sociales ; le 24 octobre, les sujets de société et l’environnement ; le 7 novembre, les questions européennes et internationales. Mais alors que Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn misaient beaucoup sur eux, ils ne leur permettent pas de renverser la tendance. Au contraire, malgré sa faible expérience, à l’issue de chacun des trois débats, Ségolène Royal est perçue par les sympathisants socialistes comme la plus convaincante (tableau 3). Mieux, lors du troisième débat, consacré aux questions européennes et internationales, elle devance ses deux concurrents sur tous les enjeux, hormis sur « la question du nucléaire iranien » [34]. Au final, les débats n’ont guère changé la donne : selon Opinion way, ils n’auraient modifié les préférences que de 18 % des sympathisants socialistes, essentiellement au profit de Dominique Strauss-Kahn [35].
La victoire sans partage de Ségolène Royal
36Dans une lutte de congrès, les courants et sous-courants qui structurent le PS jouent un rôle essentiel. Le vote est d’abord le reflet des rapports de force internes, des choix des cadres territoriaux du parti dont l’emprise sur les militants est traditionnellement forte ; il est éminemment territorialisé, chaque motion réalisant des scores impressionnants dans ses terres d’élection et des scores minimes dans ses terres de mission. Comme celle de 1995, la primaire de 2007 obéit à une autre logique. La nature de l’enjeu (le choix d’un candidat à la présidence de la République) et la médiatisation de la campagne contribuent à estomper l’importance des clivages internes et à minorer l’influence des cadres sur les adhérents le jour du vote. Le scrutin se déterritorialise et contribue à amplifier les victoires ou les défaites. En novembre 2006, Ségolène Royal profite de ce phénomène, comme Lionel Jospin douze ans plus tôt face à Henri Emmanuelli. Restait, toutefois, une inconnue à la veille du scrutin : quelle serait l’attitude des « nouveaux adhérents » du printemps 2006 ?
Les traces – asymétriques – des affrontements de 2004 et 2005
37Rétrospectivement, l’investiture socialiste s’est peut-être jouée dès juin 2002, lorsque Laurent Fabius a réintégré la direction, puis au congrès de Dijon, l’année suivante, lorsque tous les présidentiables se sont retrouvés sur la motion A, défendue par François Hollande, affichant en la circonstance la même analyse de la défaite et les mêmes orientations politiques. Les principaux ténors du parti décidèrent ainsi de se livrer à ce que les cyclistes appellent une séance de « sur place », préférant attendre quelques temps avant de lancer le sprint qui les mènerait à la désignation. Chacun espérait secrètement y trouver avantage : François Hollande confortait ainsi sa position à la direction du parti ; les autres présidentiables, qui avaient tous pris leur part dans le gouvernement Jospin et dans la campagne de 2002, préféraient attendre des jours meilleurs, persuadés que le premier secrétaire ne constituerait pas un rival dangereux en 2007. « Une fraise des bois n’a jamais caché un éléphant », estimait alors Laurent Fabius. Les succès électoraux remportés par les socialistes au printemps 2004 (élections régionales et cantonales en mars ; européennes en juin) allaient néanmoins changer la donne et installer peu à peu François Hollande dans la peau d’un présidentiable, validant ainsi sa stratégie.
38La première ligne de fracture apparaît lors du référendum interne du 1er décembre 2004, lorsque les socialistes doivent définir leur position sur le traité de constitution européenne. Seul parmi les présidentiables, Laurent Fabius rejoint alors le camp du Non. Le Oui l’emporte avec 58,6 % des suffrages exprimés, mais Laurent Fabius et les principales figures du Non décident de mener campagne devant les Français. Le 29 mai 2005, le Non l’emporte largement, avec 54,9 % des s.e. Quelques mois plus tard, Laurent Fabius présente sa propre motion lors du congrès du Mans. Il recueille alors 21,2 % des suffrages militants, contre 53,6 % à la motion 1 (Hollande) et 23,5 % à la motion 5 (NPS).
39Le manque d’autorité de François Hollande durant la campagne référendaire et le résultat final ont sans doute eu raison de ses ambitions présidentielles : sa cote d’avenir mesurée par Tns-Sofres ne cesse de dégringoler au fil des premiers mois de l’année 2005, passant de 42 %, « plus haut » enregistré en janvier 2005 (au lendemain du référendum interne), pour égaler son « plus bas » historique de 26 % en août 2005. Jamais véritablement en course pour l’investiture, il est même la première victime de l’ascension de sa compagne dans les sondages. Au premier semestre 2006, seuls 3 % des sympathisants socialistes voient encore en lui le « meilleur candidat » du PS, selon l’Ifop (tableau 2).
40Mais le sort de Laurent Fabius s’est aussi noué durant cette séquence politique. Il n’est jamais parvenu à retrouver dans l’opinion les (maigres) faveurs dont il bénéficiait encore en septembre 2004 (31 % de cote d’avenir, selon Tns-Sofres), à la veille de basculer dans le camp du Non. Surtout, la campagne interne de l’automne 2004 fut d’une vivacité telle qu’elle le priva ensuite de toute capacité de rallier en 2005 ou en 2006 des militants qui avaient voté Oui, sans qu’il soit pour autant en mesure d’agréger à son profit la totalité du camp du Non. Au contraire, en deux ans, il n’a cessé de perdre du terrain. Plus précisément, l’analyse détaillée des trois scrutins internes qui se sont succédé montre que :
411. Laurent Fabius ne totalise que 33 000 suffrages, alors que le Non en recueillait près de 41 000 en 2004, soit un déficit de 8 000 voix, tandis que, dans le même temps, le nombre d’exprimés augmente de plus de 78 000 (tableau 1). En voix, Laurent Fabius recule par rapport au Non dans la plupart des fédérations. Il ne progresse significativement que dans deux d’entre elles : son fief de Seine-Maritime et la fédération de Paris, où il grappille quelques centaines de voix… alors qu’elle gagne dans l’intervalle près de 12 000 militants.
422. L’analyse en pourcentage est encore plus cruelle. Le score de Laurent Fabius en 2006 est fortement lié à celui du Non en 2004, quoique à un niveau très inférieur (corrélation de 0,76 au niveau départemental, graphique 2), ce qui suggère tout à la fois la difficulté de l’ancien Premier ministre à capter l’ensemble des militants qui s’étaient prononcés en faveur du Non et sa difficulté à attirer des militants venus du Oui. Le score du Non au référendum interne de 2004 constitue un plafond de verre, que Laurent Fabius peine d’ailleurs à approcher. Dans toutes les fédérations, le niveau de l’ancien Premier ministre est inférieur à celui du Non lors du référendum interne. C’est dans son fief de Seine-Maritime que les pertes sont les plus faibles (-6 points). En revanche, elles sont maximales dans les fédérations d’Arnaud Montebourg et de Vincent Peillon, tous deux défenseurs du Non fraîchement ralliés à la candidature de Ségolène Royal (-51 points en Saône-et-Loire et -52 points dans la Somme). Dans les 24 fédérations métropolitaines (premier quartile) les plus favorables au Non, le 1er décembre 2004, le score moyen de Laurent Fabius est de 28,5 %, contre 62,5 % pour le Non en 2004. Dans le dernier quartile, le score moyen de Laurent Fabius est à peine supérieur à 10 %.
433. Le vote Fabius en 2006 est plus encore conditionné par le vote Fabius en 2005, lors du congrès du Mans. La structure territoriale des deux votes est presque identique (corrélation de 0,86 au niveau départemental, graphique 3). Mais Laurent Fabius perd 2,6 points d’un scrutin à l’autre, suggérant ainsi sa difficulté à récupérer les militants qui s’étaient prononcés pour d’autres motions lors du congrès du Mans. Dans ses terres de mission, Laurent Fabius enregistre certes quelques progrès, parfois importants (+ 20 points dans les Landes), le plus souvent modestes (+ 4 points dans le Nord, par exemple), là où il trouve quelques soutiens issus de la motion 5. Surtout, il régresse systématiquement dans ses zones de force. D’une année à l’autre, il perd des points dans toutes les fédérations où sa motion avait recueilli en 2005 plus de 21 % des suffrages exprimés, sans exception. Il recule ainsi de 5 points dans son fief de Seine-Maritime. Dans les principales baronnies de la fabiusie, cela tourne parfois à l’hémorragie : l’ancien Premier ministre perd 3 points dans le Tarn (fief de Paul Quilès), 7 points dans le Lot, le Pas-de-Calais et les Hautes-Pyrénées, 8 points dans le Puy-de-Dôme (Michel Charasse), 12 points dans le Calvados et l’Essonne (Jean-Luc Mélenchon), 13 points en Seine-Saint-Denis (Claude Bartolone), 14 points dans l’Aude et dans l’Eure, 16 points en Gironde (Philippe Madrelle), 18 points dans les Pyrénées-Orientales et dans l’Indre (André Laignel). De façon plus générale, dans les 24 fédérations où sa motion avait réalisé ses meilleurs scores en 2005, son score moyen passe de 41,3 % à 29,8 %, soit une chute de 11,5 points, alors que dans les autres quartiles, son score moyen est quasi stable, voire en léger progrès. En 2006, c’est dans ses bastions que Laurent Fabius subit ses plus lourdes pertes. On retrouve ce phénomène au niveau local. Dans le Nord, par exemple, il ne réunit plus que 59 % des s.e. à Denain et Gravelines (contre respectivement 78 % et 72 % en 2005), ou encore 50 % à Villeneuve d’Ascq (63 % au congrès du Mans).
44L’ancien Premier ministre est ainsi implacablement entraîné vers les abîmes de la défaite : en 2004, le Non est minoritaire à l’intérieur du PS (41,4 %) ; en 2005, Laurent Fabius (21,2 %) doit partager cet espace politique avec le NPS d’Henri Emmanuelli, Arnaud Montebourg et Vincent Peillon ; en 2006, son audience se réduit encore, pour se fixer à 18,6 % des s.e.
45Inversement, les scores de Dominique Strauss-Kahn et de Ségolène Royal sont positivement corrélés avec ceux du Oui du référendum interne (respectivement 0,40 et 0,49) et de la motion 1 (Hollande) du congrès du Mans (0,36 et 0,49). Mais le succès de Ségolène Royal tient beaucoup à sa capacité à dépasser, dans les urnes, les clivages antérieurs et à prospérer sur les anciennes terres du Non, voire sur celles de Laurent Fabius. Une analyse par quartile montre que son score moyen est certes de 70,5 % dans les 24 fédérations où le Oui avait réalisé ses meilleurs scores, mais qu’il est encore de 58 % dans le quartile le plus favorable au Non (tableau 3). Sa percée sur les terres du Non n’est pas seulement due aux reclassements internes intervenus ultérieurement : son score moyen est de 54,5 % dans les 24 fédérations où la motion 2 (Fabius) avait réalisé ses meilleurs scores en 2005 (tableau 4).
46Le dépérissement des clivages de 2004 et 2005 est parfaitement illustré par l’éclatement de ce qui fut la motion 5 (NPS) lors du congrès du Mans. Arnaud Montebourg, Jean-Pierre Masseret et Vincent Peillon ont rejoint Ségolène Royal. Marc Dolez, Benoît Hamon et Michael Moglia ont choisi Laurent Fabius. Henri Emmanuelli ne s’est pas officiellement prononcé. Résultat : à l’échelle nationale, il est impossible de trouver trace d’une quelconque liaison statistique entre les résultats de la motion 5 au congrès du Mans et ceux de la primaire de novembre 2006 (corrélation de 0,01 avec le score de Laurent Fabius et de 0,15 avec celui de Ségolène Royal).
La faible emprise des cadres sur les militants
47Courant octobre, et selon un pointage réalisé par Le Figaro, Laurent Fabius et Ségolène Royal bénéficiaient du soutien d’un nombre similaire de parlementaires : cinquante-huit pour le premier et cinquante-neuf pour la seconde. Dominique Strauss-Kahn, lui, en revendiquait quarante (tableau 5). La mise en relation de ces chiffres avec les résultats du scrutin suffit à montrer que les soutiens dont les uns et les autres pouvaient se prévaloir ont eu un faible impact sur le vote : soutenus l’un comme l’autre par un nombre équivalent de parlementaires, Ségolène Royal a obtenu trois fois plus de suffrages que Laurent Fabius. Et celui-ci est devancé par Dominique Strauss-Kahn, qui disposait du soutien d’une vingtaine de parlementaires de moins.
48Bien que ne disposant du soutien que d’une minorité de parlementaires, Ségolène Royal pouvait revendiquer celui d’une majorité de premiers secrétaires fédéraux (51 sur 96 en France métropolitaine, contre 17 pour chacun de ses deux concurrents). Mais l’analyse détaillée du vote montre, là aussi, un lien relatif entre l’orientation des premiers secrétaires fédéraux et les résultats du scrutin dans leur fédération. Certes, chaque candidat fait sensiblement mieux dans les fédérations contrôlées par des premiers secrétaires amis. Mais la moyenne des scores de Ségolène Royal est supérieure à celle de ses concurrents dans leurs propres fiefs. Elle est de 51,5 % dans les dix-sept fédérations dirigées par des soutiens de Laurent Fabius et de 58,7 % dans les dix-sept fédérations dirigées par des proches de Dominique Strauss-Kahn (tableau 6).
49Pour dire les choses autrement, en 2006, le maillage politique du territoire n’est qu’un facteur secondaire du vote. Plus que dans un congrès ou dans un référendum interne, les adhérents s’affranchissent des consignes délivrées par les responsables et les élus locaux. L’enjeu même du scrutin et les modalités de la campagne conduisent directement à une nationalisation du vote. De manière schématique, Ségolène Royal fait de bons scores partout, même là où elle dispose d’un faible soutien. Cela explique que, localement, les responsables socialistes qui s’étaient prononcés en faveur de Laurent Fabius ou de Dominique Strauss-Kahn voient souvent leur champion battu dans leur propre section. À Tourcoing, Dominique Strauss-Kahn doit se contenter de 23 % contre 60 % à Ségolène Royal, alors que le maire, Jean-Pierre Balduyck, appuyait pourtant sa candidature. À Bruay-La Buissière, fief de Serge Janquin, premier secrétaire fédéral du Pas-de-Calais et soutien lui aussi de Dominique Strauss-Kahn, la présidente du conseil régional Poitou-Charentes est majoritaire.
50La mesure de la dispersion du vote fournit un bon indice de la nationalisation du scrutin, dont a profité Ségolène Royal. L’écart-type du vote Fabius et du vote Royal, par département, est de 10,0 points, soit un niveau sensiblement inférieur à ce que l’on pouvait mesurer lors du référendum interne de 2004 (14,7) ou du congrès du Mans, en 2005 (16,5 pour la motion Hollande et 14,4 pour la motion Fabius). Celui du vote Strauss-Kahn n’est que de 6,8 points (tableau 7). Ségolène Royal fait plus de 50,0 % des suffrages exprimés dans 87 des 96 départements métropolitains. Laurent Fabius ne dépasse ce seuil que dans son fief de Seine-Maritime et en Haute-Corse. Dominique Strauss-Kahn ne l’atteint jamais, puisqu’il réalise son meilleur score dans sa fédération du Val d’Oise, où il ne recueille que 43,0 % des s.e.
51À Paris, la déterritorialisation du scrutin est encore plus accentuée qu’ailleurs. Ségolène Royal arrive en tête avec 47,5 % des s.e., devant Dominique Strauss-Kahn (37,0 %) et Laurent Fabius (15,5 %). Mais le vote y est très étale. L’écart-type du score des trois candidats dans les vingt-six sections locales du PS est particulièrement faible : 5,4 points pour Laurent Fabius et Ségolène Royal, 6,0 points pour Dominique Strauss-Kahn. Section par section, on peine à trouver trace de l’influence sur le vote des barons du PS, noyés sous le flot des nouveaux adhérents. Souvent, les candidats font à peine mieux que leur moyenne parisienne dans les sections où ils disposent d’un soutien fort : Laurent Fabius obtient 23 % dans le 13e ouest (Serge Blisko) ou 28 % dans le 20e (Michel Charzat). Parfois, l’influence des barons est imperceptible. Dans le 11e, fief du député Patrick Bloche, premier secrétaire fédéral, qui s’était déclaré en sa faveur, Ségolène Royal recueille 49,9 %, soit seulement 2 points de mieux que sa moyenne parisienne. Mais elle réalise 48,8 % dans les trois sections du 18e arrondissement, où militent Lionel Jospin, Bertrand Delanoë et Daniel Vaillant, pourtant peu favorables à sa candidature (et c’est un euphémisme). Et dans le 19e arrondissement, dont le député est Jean-Christophe Cambadélis, bras droit de Dominique Strauss-Kahn, celui-ci doit se contenter de 28,8 %, soit un score nettement inférieur à sa moyenne parisienne.
Et les nouveaux adhérents ?
52En un an, la fédération de Paris a presque triplé ses effectifs et est devenue la première fédération du PS. Par rapport au congrès du Mans, près de 12 000 adhérents supplémentaires y sont inscrits sur les listes électorales. Dans le même temps, les trois autres grosses fédérations du PS ont crû de manière plus modeste : + 49 % dans les Bouches-du-Rhône, + 34 % dans le Nord, + 17 % seulement dans le Pas-de-Calais. Le mode privilégié des nouvelles adhésions (Internet) a peut-être profondément bouleversé la sociologie du PS. Il a sans aucun doute modifié les équilibres géopolitiques internes : ces trois fédérations qui ont toujours fait et défait les majorités lors des congrès ne représentent plus que 16 % des adhérents en 2006, contre 21 % en 2005.
53Avant le vote, le comportement des nouveaux adhérents constituait la grande inconnue du scrutin et rendait incertaines les prévisions des pointeurs les plus chevronnés. Pas encore socialisés, peu sensibles aux enjeux internes et présentant, sans doute, un profil plus proche des sympathisants du PS que de ses militants traditionnels [36], d’aucuns estimaient que les nouveaux adhérents seraient, plus que les autres, sensibles à la candidature de Ségolène Royal.
54L’analyse des résultats à l’échelle départementale ne confirme pas cette hypothèse. Fédération par fédération, la corrélation entre le vote Royal et l’augmentation du nombre d’inscrits de 2005 à 2006 est nulle (cc = - 0,05). En revanche, il y a un lien statistique entre le vote Strauss-Kahn et la croissance des effectifs militants (graphique 4, cc = 0,44). Ainsi, dans les départements où le nombre d’inscrits a augmenté de 150 % ou plus (dix cas), Dominique Strauss-Kahn réalise neuf fois sur dix [37] un score supérieur à 20 % des suffrages exprimés ; dans ceux où le nombre d’inscrits a augmenté de 50 % ou moins (vingt cas), il obtient seize fois sur vingt [38] un score inférieur à 20 %. La simple analyse des données agrégées ne permet pas de conclure que les nouveaux adhérents ont, plus que les autres, accordé leur suffrage à Dominique Strauss-Kahn. En revanche, elle révèle un phénomène que l’ampleur du succès de Ségolène Royal a partiellement occulté : le boom des adhésions ne bouleverse pas seulement la sociologie et la géographie du PS. Elle en modifie aussi, en germe, les équilibres politiques internes. Si le prochain congrès confirmait que les thèses sociales-démocrates trouvent davantage écho dans les fédérations où les effectifs croissent de façon la plus dynamique, le centre de gravité du PS s’en trouverait mécaniquement déplacé.
55Croissance des adhésions et vote Strauss-Kahn sont en fait tous les deux structurés, pour partie, par le clivage centre-périphérie, dont on avait déjà repéré la prégnance lors des référendums européens de 1992 et de 2005. Les nouvelles lignes de fracture qui traversent les électorats trouvent un écho assourdi dans l’univers partisan. Mais dans la mesure où le PS recrute aujourd’hui davantage dans les terres du Oui que dans celles du Non et, semble-t-il, davantage parmi les classes moyennes ou supérieures que parmi les couches populaires, les risques de tensions futures entre le parti et son électorat semblent accrues.
56**
57En attendant, Ségolène Royal a incontestablement bénéficié, le 16 novembre 2006, du double contrechoc du 21 avril 2002 et du 29 mai 2005. Les adhérents du PS ont voulu, cette fois, ne pas rester sourds aux attentes de l’opinion, telles que manifestées par les sondages. Pierre Mauroy résumait bien l’état d’esprit général quand il parlait, le 28 septembre, d’un « vaste mouvement populaire dont il serait irresponsable et surtout dangereux de contester la réalité » [39].
58Quel que soit le résultat de l’élection présidentielle, on aperçoit déjà les effets que ne manqueront pas d’induire les évolutions en cours : augmentation spectaculaire du nombre de militants et mutation des formes de militantisme [40] ; renforcement de la fédération de Paris et diminution de l’influence des trois autres grosses fédérations du parti (Nord, Pas-de-Calais, Bouches-du-Rhône) ; disparition de la tradition ouvrière ; renforcement du tropisme social-démocrate. Dans les années 1970, le PS avait fait le choix stratégique de l’union de la gauche. Socialistes et communistes s’étaient implicitement divisé le travail politique : au PC, l’encadrement de la classe ouvrière ; au PS, le soin d’attirer à lui les employés et les professions intermédiaires. Le déclin irrémédiable du PC place depuis vingt-cinq ans le PS devant un choix stratégique, jamais véritablement tranché jusqu’à aujourd’hui. Pour gagner ou regagner durablement les faveurs des Français, le PS doit-il remplir l’espace politique jadis occupé par le parti communiste en construisant un grand parti de gauche tourné en priorité vers les catégories populaires, ou doit-il chercher l’appui des « couches nouvelles » en se muant en parti social-démocrate capable de conquérir un nouvel électorat sur sa droite ? Après le référendum interne de 2004 et le congrès du Mans en 2005, la primaire de 2006 semble fournir un sérieux élément de réponse. Il reste à apprécier l’efficacité de cette stratégie à court et moyen termes : les échéances électorales du printemps 2007 fourniront une première indication. À plus long terme, cependant, c’est l’ensemble du système partisan qui pourrait être appelé à se reconfigurer, pour s’ajuster à cette nouvelle donne.
59Mais l’issue de la primaire socialiste invite également à s’interroger sur l’évolution des partis eux-mêmes. Jusque-là, l’élection du président de la République au suffrage universel direct ne les avait guère affaiblis. Au contraire, ils étaient plus puissants qu’ils ne l’avaient jamais été sous la Quatrième République, notamment parce qu’il existait, comme le souligne Christine Pütz, « une coïncidence entre direction (formelle ou informelle) du parti et candidature à la présidentielle » [41]. La désignation de Nicolas Sarkozy par l’UMP après qu’il en eût conquis la présidence contre la volonté de Jacques Chirac ne remet pas en cause cette analyse. En revanche, celle de Ségolène Royal pose question. Plus que la victoire de Lionel Jospin contre Henri Emmanuelli en 1995, elle témoigne d’une amorce de découplage entre la vie interne des partis et le processus de désignation de leur candidat, caractéristique essentielle du système politique américain. Certes, l’opinion a joué un rôle majeur dans la désignation de Ségolène Royal en lui accordant un crédit supérieur à celui de ses deux concurrents [42], mais l’on peut se demander plus largement si l’on n’enregistre pas ici les premiers effets du quinquennat et de l’inversion du calendrier électoral sur le processus de sélection des candidats : si 2007 n’avait été qu’une année législative, François Hollande n’aurait-il pas « naturellement » conduit la campagne du PS et été, en cas de victoire, le mieux placé pour être son candidat à l’élection présidentielle qui se serait alors tenue en 2009 ?
60En d’autres termes, faut-il analyser la primaire socialiste de 2007 dans ce nouveau contexte, comme l’approche néo-institutionnelle nous y invite, et y voir les prémices d’une transformation des formes de sélection des candidats à l’élection présidentielle ? Ou faut-il, au contraire, insister sur la singularité de l’événement ? Il est trop tôt, aujourd’hui, pour évaluer la portée exacte de la désignation de Ségolène Royal et se prononcer sur une éventuelle « américanisation » de la vie politique française. Sous cet angle, la présidentielle de 2012 nous dira si celle de 2007 n’était qu’une exception, ou si elle marque le point de départ d’un processus qui redessinera de manière durable les chemins qui mènent, en France, à une candidature à l’Élysée.
Résultats du référendum interne de 2004, du congrès du Mans 2006 et de l’élection primaire présidentielle de 2006
Résultats du référendum interne de 2004, du congrès du Mans 2006 et de l’élection primaire présidentielle de 2006
Évolution des cotes d’avenir de Laurent Fabius, Dominique Strauss-Kahn et Ségolène Royal (décembre 2003-novembre 2006)
Évolution des cotes d’avenir de Laurent Fabius, Dominique Strauss-Kahn et Ségolène Royal (décembre 2003-novembre 2006)
Question : Pour chacune des personnalités politiques suivantes, voulez-vous me dire si vous souhaitez luivoir jouer un rôle important au cours des mois et des années à venir ?
Le match des primaires chez les sympathisants socialistes
Le match des primaires chez les sympathisants socialistes
Question : Parmi les personnalités suivantes, laquelle vous semble le meilleur candidat pour représenter le Parti socialiste à la prochaine élection présidentielle ?Candidat le plus convaincant à l’issue de chacun des trois débats
Candidat le plus convaincant à l’issue de chacun des trois débats
Question : « Vous venez de suivre le débat entre les trois candidats à l’investiture socialiste pour l’élection présidentielle de 2007. D’une manière générale, lequel avez-vous trouvé le plus convaincant ? »Du Non 2004 au vote Fabius 2006 par départements (France métropolitaine ; coefficient de corrélation = 0.76)
Du Non 2004 au vote Fabius 2006 par départements (France métropolitaine ; coefficient de corrélation = 0.76)
Évolution du vote Fabius de 2005 à 2006 par départements (France métropolitaine ; coefficient de corrélation = 0.86)
Évolution du vote Fabius de 2005 à 2006 par départements (France métropolitaine ; coefficient de corrélation = 0.86)
Scores des candidats selon le niveau du Non lors du référendum interne du 1er décembre 2004 (France métropolitaine, 96 départements – Moyenne des scores départementaux)
Scores des candidats selon le niveau du Non lors du référendum interne du 1er décembre 2004 (France métropolitaine, 96 départements – Moyenne des scores départementaux)
Scores des candidats selon le niveau de la motion 2 (Fabius) lors du congrès du Mans de 2005 (France métropolitaine, 96 départements Moyenne des scores départementaux)
Scores des candidats selon le niveau de la motion 2 (Fabius) lors du congrès du Mans de 2005 (France métropolitaine, 96 départements Moyenne des scores départementaux)
Les soutiens des candidats chez les parlementaires (députés et sénateurs)
Les soutiens des candidats chez les parlementaires (députés et sénateurs)
Scores des candidats selon la position prise par les premiers secrétaires fédéraux (France métropolitaine, 96 départements – Moyenne des scores départementaux)
Scores des candidats selon la position prise par les premiers secrétaires fédéraux (France métropolitaine, 96 départements – Moyenne des scores départementaux)
Dispersion du vote en 2004, 2005 et 2006 (France métropolitaine, 96 départements – Écart-type)
Dispersion du vote en 2004, 2005 et 2006 (France métropolitaine, 96 départements – Écart-type)
Le vote Strauss-Kahn selon la croissance des effectifs militants, par départements (France métropolitaine, sauf Corse ; coefficient de corrélation = 0.45)
Le vote Strauss-Kahn selon la croissance des effectifs militants, par départements (France métropolitaine, sauf Corse ; coefficient de corrélation = 0.45)
Notes
-
[1]
Sondage CSA réalisé les 30 et 31 janvier 1995 pour France-Inter et France-Info.
-
[2]
Gérard Grunberg, « La candidature Jospin ou la construction d’un nouveau leadership », dans Pascal Perrineau, Colette Ysmal (dir.), Le vote de crise. L’élection présidentielle de 1995, Le Figaro/Presses de Sciences Po, 1995 (Chroniques électorales), p. 60-80, dont p. 74.
-
[3]
Laurent Olivier, « Ambiguïtés de la démocratisation partisane en France (PS, RPR, UMP) », Revue française de science politique, 53 (5), octobre 2003, p. 761-790.
-
[4]
Chiffre fourni « par un membre du bureau national des adhésions du PS, chargé d’établir la liste des électeurs », Reuters, 14 novembre 2006.
-
[5]
Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, Paris, Calmann-Lévy, 1995.
-
[6]
Gérard Grunberg, cité, p. 78
-
[7]
Gérard Grunberg, ibid., p. 79.
-
[8]
En janvier 2006, par exemple, Ségolène Royal ne figurait pas dans la galerie de portraits dressée dans son ouvrage par l’éditorialiste Alain Duhamel, Les prétendants 2007, Paris, Plon, 2006.
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[9]
« Qui va garder les enfants ? », s’interroge Laurent Fabius (qui démentira plus tard), faisant allusion au conflit d’intérêt qui menace la direction du PS. « La présidence de la République n’est pas un concours de beauté », s’exclame Jean-Luc Mélenchon. « Je vais ajouter une balle de plus dans le fusil de chasse », tonne Henri Emmanuelli, qui déplore ainsi la multiplication des candidatures au sein du PS.
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[10]
Gary W. Cox, Making Votes Count. Strategic Coordination in the World’s Electoral Systems, Cambridge, Cambridge University Press, 1997.
-
[11]
« Lettre de Lionel Jospin aux militants socialistes expliquant sa décision de ne pas se présenter à la candidature interne au PS », <http:// lioneljospin. parti-socialiste. fr/ 2006/ 09/ 28/ >.
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[12]
« Nous ne sommes pas des toutous auxquels, sur un coup de sifflet, on pourrait intimer l’ordre de rentrer au chenil », lance alors l’ancien ministre de la Culture.
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[13]
Il fait alors allusion aux propos de Christophe Caresche, député du 18e arrondissement de Paris rallié à Ségolène Royal, qui n’avait pas exclu « des manifs de militants PS contre lui, rue du Regard », à son domicile, au cas où l’ancien Premier ministre aurait présenté sa candidature.
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[14]
« Volage, Montebourg mise sur Royal », Libération, 15 juillet 2006.
-
[15]
« Candidat au sacrifice, Jack Lang quitte la course », Libération, 3 octobre 2006.
-
[16]
Ibid.
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[17]
Jacques Gerstlé, « Campagne électorale (sociologie de la) », dans Pascal Perrineau, Dominique Reynié (dir.), Dictionnaire du vote, Paris, PUF, 2001, p. 133.
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[18]
Le Monde, 27 avril 2007.
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[19]
Sur ce point, cf. Frédéric Sawicki, Les réseaux du parti socialiste. Sociologie d’un milieu partisan, Paris, Belin, 1997 ; Rémi Lefebvre, Frédéric Sawicki, La société des socialistes. Le PS aujourd’hui, Bellecombe-en-Bauge, Éditions du Croquant, 2006.
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[20]
« Ségolène Royal séduit les militants mais pas les élus », Le Figaro, 11 février 2006.
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[21]
« Ségolène Royal défend des “valeurs morales” en allusion à Clearstream », AFP, 30 avril 2006.
-
[22]
Ségolène Royal, <http:// www. desirsdavenir. org> ; Dominique Strauss-Kahn, <http:// www. dsk2007. net> ; Laurent Fabius, <http:// www. 2007lagauche. fr>.
- [23]
-
[24]
<http:// www. blogdsk. net/ >.
-
[25]
« Les candidats battent la netcampagne », Le Monde 2, 13 janvier 2007.
-
[26]
L’indice Buzz Blog Politique (IBBP) est « un baromètre hebdomadaire des hommes et des femmes politiques en fonction de l’intérêt qu’ils suscitent dans les discussions sur le web francophone », <http:// www. buzz-blog. com>.
-
[27]
« La vidéo de Ségolène Royal largement commentée dans la blogosphère », Le Monde.fr, 13 novembre 2006.
-
[28]
Sondage Ifop réalisé les 2 et 3 novembre 2006 pour Paris-Match.
-
[29]
Le Monde, 18 novembre 2006, p. 12.
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[30]
Pour reprendre le titre de l’ouvrage de Jean-Marie Cotteret, Gérard Mermet, La bataille des images, Paris, Larousse, 1986.
-
[31]
L’indice UBM est « un outil de veille permanent de l’information qui s’impose comme le standard de mesure en temps réel de l’actualité. Il porte sur un périmètre plurimedia de 80 supports Presse, Radio et Télévision, généralistes et leaders en audience » : <hhttp:// 2007. tns-sofres. com/ UBM.php>.
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[32]
« Pour relancer l’UE, Ségolène Royal prône une “Europe par la preuve”, Le Monde, 13 octobre 2005.
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[33]
Le bureau national du PS a notamment adopté le 26 septembre 2006 une « charte d’organisation du débat interne » qui a pour objectif de « garantir l’égalité entre les différents candidats ».
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[34]
Sondage Opinion Way effectué en ligne les 7 et 8 novembre 2006 auprès d’un échantillon représentatif de 404 sympathisants socialistes ayant regardé le débat, Le Figaro, jeudi 9 novembre 2006.
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[35]
Ibid.
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[36]
Cf. Rémi Lefebvre, « Les campagnes s’organiseront dans les sections », Le Monde, 23 décembre 2006.
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[37]
Il s’agit des départements suivants : Alpes-Maritimes, Ille-et-Vilaine, Rhône, Paris, Haute-Savoie, Yvelines, Hauts-de-Seine, Haute-Saône et Haut-Rhin. En revanche, D. Strauss-Kahn est en dessous des 20 % dans le Jura.
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[38]
Il s’agit des départements suivants : Ariège, Aude, Bouches-du-Rhône, Corrèze, Creuse, Corse-du-Sud (seul département où les effectifs baissent de 2005 à 2006), Dordogne, Hérault, Haute-Loire, Landes, Lot-et-Garonne, Haute-Marne, Meuse, Hautes-Pyrénées, Tarn et Territoire de Belfort. En revanche, D. Strauss-Kahn est au-dessus de la barre des 20 % dans le Nord, le Pas-de-Calais, le Puy-de-Dôme et la Haute-Vienne.
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[39]
La Voix du Nord, 29 septembre 2006.
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[40]
Rémi Lefebvre, Frédéric Sawicki, La société des socialistes…, op. cit.
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[41]
Christine Pütz, « La présidentialisation des partis français », dans Florence Haegel (dir.), Partis politiques et système partisan en France, Paris, Presses de Sciences Po, 2007, p. 321-357, dont p. 339.
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[42]
Daniel Boy, Jean Chiche, « Images des candidats et probabilités de vote : évolutions et articulations », dans Le Baromètre politique français (2006-2007), 2e vague, automne 2006, <http:// www. cevipof. msh-paris. fr/ bpf/ index. htm>.