Notes
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[1]
Laurent Reverso est maître de conférences d'histoire du droit à l'Université de Tours.
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[2]
Le présent travail résulte d'une communication au colloque sur la République romaine de 1849, prononcée à Rome le 30 avril 2006. Depuis 1999 chaque année, se tient en effet à l'Università degli Studi di Roma « La Sapienza », un colloque organisé par le professeur Pierangelo Catalano, consacré à la République romaine de 1849. Les communications des universitaires français à ces colloques jusqu'en 2005 viennent d'être publiées en France : La République romaine de 1849 et la France, textes réunis par Laurent Reverso, préface de Pierangelo Catalano, Paris, L'Harmattan, Méditerranées, 2008. Pour les sources, on a utilisé l'édition des uvres complètes publiées sous la direction de Jacob-Peter Mayer aux éditions NRF-Gallimard (ci-après OC avec le no du tome et du volume).
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[3]
Notamment lorsque, entre octobre et décembre 1848, il fut chargé par le gouvernement français d'une médiation entre l'Autriche et le Piémont ; Françoise Mélonio, « L'idée de nation et l'idée de démocratie chez Tocqueville », Littérature et nation, 1991/7, p. 6.
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[4]
La plupart du temps, et à juste titre, l'intervention française dans son ensemble est présentée comme ayant changé d'objectif suite aux élections législatives du 13 mai 1849 en France qui virent la victoire du « parti de l'ordre » catholique et monarchiste ; Pierre Milza, Histoire de l'Italie. Des origines à nos jours, Paris, Fayard, 2005, p. 685 : « Destiné au départ à favoriser une conciliation entre le gouvernement républicain et le pape, celui-ci [le corps expéditionnaire] fut utilisé d'une tout autre manière à la suite des élections législatives qui, en France, donnèrent la majorité au parti de l'ordre. Pressé par l'opinion catholique, Louis-Napoléon décida en effet d'appuyer par la force le retour de Pie IX dans ses États ».
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[5]
Cette vision est rendue par Françoise Mélonio, « Tocqueville et la restauration du pouvoir temporel du pape (juin-octobre 1849) », Revue historique, CCLXXI/1-1984, p. 109.
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[6]
Ainsi, dans une Adresse à l'Assemblée nationale de la République française du 4 septembre 1848, rédigée à l'occasion de la médiation française auprès de l'Autriche, Giuseppe Mazzini écrivait : « la France, obéissant aux exigences du temps, venait de rompre avec ses vieilles traditions monarchiques ; elle venait de proclamer la République ; et, par ses manifestes à l'Europe et au sein de son Assemblée, elle proclamait sa foi dans la réorganisation des nationalités. Sous cette puissante impulsion, les peuples réveillés avaient salué l'inauguration d'une politique nouvelle et généreuse, basée non plus sur l'usurpation des droits par les princes, ni sur la force aveugle et brutale, mais sur la justice éternelle et sur la conscience des nations ». Mazzini jugeait bon de préciser également « que le mouvement italien est surtout un mouvement national, tendant essentiellement à l'unification de l'Italie et à l'affranchissement intégral de son territoire de toute domination étrangère directe ou indirecte » ; Giuseppe Mazzini, « Indirizzo all'Assemblea nazionale della Repubblica francese », Scritti editi e inediti, vol. 38, Imola, Paolo Galeati, 1923 (réimp. 1950), p. 223 & 225. Puis, dans une lettre du 30 novembre 1848 directement adressée à Tocqueville, alors représentant de la France à la Conférence internationale sur les affaires d'Italie, Mazzini avertissait : « ce n'est pas en effet, Messieurs, une question lombarde que vous avez devant vous ; c'est une question italienne. [...] C'est un problème de Nationalité que nous avons à résoudre. [...] Exclusion de l'Autriche du sol italien, et libre expression de la Souveraineté Nationale, la première comme garantie d'Indépendance, la seconde comme garantie de notre Liberté ; c'est là, Messieurs, ce que veut le seul Parti qui existe chez nous, le Parti National » ; Giuseppe Mazzini, « Ai Signori Tocqueville e Lord Minto, rappresentanti la Francia e l'Inghilterra nelle conferenze sugli affari d'Italia », Ibid., p. 303-305. Massimo d'Azeglio concluait également au peu de compréhension du phénomène national de la part de Tocqueville : Françoise Mélonio, « Tocqueville et la restauration du pouvoir temporel du pape (juin-octobre 1849) », art. cit., p. 115. Bien que Tocqueville n'ait pas exprimé d'opinion sur la question nationale italienne, un indice permet de penser qu'il n'était pas, en général, favorable à l'idée nationale puisqu'il se montre très explicitement hostile à l'unification de l'Allemagne : dans une lettre à Gustave de Beaumont, 27 août 1848, OC, VIII/2, p. 29, il admet à la fois sa surprise devant la force et le sérieux de l'aspiration des peuples germaniques à l'unité, et il affirme en même temps que « rien ne serait plus redoutable pour nous qu'un tel événement ». Dans une autre lettre à Gustave de Beaumont (3 septembre 1848, OC, VIII/2, p. 38), il écrit encore : « Je sais très bien tout ce qu'il y a de dangereux pour la France au point de vue de sa politique permanente à ce qu'il se fonde une unité gouvernementale en Allemagne ». Il faut enfin noter qu'Edgar Quinet, dans La croisade autrichienne, française, napolitaine, espagnole contre la République romaine, opuscule publié en 1849, attaquera également Tocqueville pour sa méconnaissance du fait national, et en général le jugera responsable de la fin de l'expérience républicaine romaine. Il y reviendra dans La question romaine devant l'histoire (1848 à 1867) publié en 1868. À ce sujet : Xavier Conabady, Le sentiment national dans les écrits de Michelet, Quinet et Renan, thèse histoire du droit, Paris 12, 2002, 352 p.
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[7]
Comme en témoigne ses Souvenirs, III, IV, p. 251 : « j'entretins surtout des rapports d'amitié avec l'Autriche, dont le concours nous était nécessaire, ainsi que je dirais plus loin, dans l'affaire de Rome ». Malheureusement, l'ouvrage étant resté inachevé à la mort de Tocqueville, on ne dispose pas de plus de développements sur « l'affaire de Rome ». Par contre, les lignes suivantes décrivent précisément le rôle joué par Tocqueville dans la médiation qu'il conduisit entre le Piémont et l'Autriche à l'automne 1848. Dans cette affaire, comme pour la question romaine l'année suivante, Tocqueville va s'efforcer de tenir une position médiane permettant que le Piémont ne « perdît ni son indépendance qui le séparait de l'Autriche, ni ses institutions constitutionnelles, nouvellement acquises, qui le rapprochaient de nous ». Il s'agit là d'une anticipation de la position qu'il tiendra en 1849 à propos de la République romaine, ce qui démontre que celle-ci n'était pas le fruit des circonstances mais d'une vision politique générale. Les relations avec l'Autriche lui tiennent à c ur, comme en témoigne la lettre à Gustave de Beaumont (4 septembre 1849, OC, VIII/2, p. 169).
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[8]
Françoise Mélonio, « L'idée de nation et l'idée de démocratie chez Tocqueville », art. cit., p. 6-7.
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[9]
André Jardin, Alexis de Tocqueville, Paris, Hachette, Pluriel, 1984, p. 215 et suiv.
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[10]
Raymond Aron, Les étapes de la pensée sociologique, Paris, Gallimard, TEL, 1967, p. 251-257. Cette question a donné lieu à des débats complexes qui sont bien rendus par Serge Audier, Tocqueville retrouvé : genèse et enjeux du renouveau tocquevillien français, Paris, Vrin-EHESS, 2004, p. 78-86.
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[11]
De la démocratie en Amérique, II, IV, 28 : « je suis convaincu toutefois que l'anarchie n'est pas le mal principal que les siècles démocratiques doivent craindre, mais le moindre. L'égalité produit en effet deux tendances : l'une mène directement les hommes à l'indépendance et peut les pousser tout à coup jusqu'à l'anarchie, l'autre les conduit par un chemin plus long, plus secret, mais plus sûr, vers la servitude ».
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[12]
Selon la formule de Pierre Manent, Tocqueville et la nature de la démocratie, Paris, Julliard, 1982, p. 121.
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[13]
Agnès Antoine, « Politique et religion chez Tocqueville », La Revue Tocqueville, XVIII-1997/1, p. 39-40.
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[14]
Raymond Aron, Les étapes de la pensée sociologique, op. cit., p. 233-236 & 247 ; Pierre Manent, Tocqueville et la nature de la démocratie, op. cit., p. 122-123. Il faut remarquer que la question de l'appréhension du phénomène religieux par Tocqueville a fait l'objet d'études, à partir notamment de l'analyse de De la démocratie en Amérique et de L'Ancien Régime et la Révolution, mais sans tenir compte de l'action de Tocqueville en 1849, confronté directement à une question politico-religieuse comme l'était la question romaine. C'est encore le cas dans la biographie intellectuelle récemment publiée par Lucien Jaume, Tocqueville : les sources aristocratiques de la liberté, Paris, Fayard, 2008, p. 178 et suiv.
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[15]
Comme l'écrit Lucien Jaume, « Tocqueville et le problème du pouvoir exécutif en 1848 », RFSP, 41-1991/6, p. 739 : « ses options dans le débat politique sont étroitement liées à sa réflexion théorique ».
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[16]
En fait, Francisque de Corcelle était un chargé de mission extraordinaire de la diplomatie française alors que l'ambassadeur en titre à Rome était François-Eugène-Gabriel D'Harcourt, qui ne fut rappelé de Rome que le 11 juillet 1849. Corcelle y était arrivé depuis le 19 juin avec des pouvoirs secrets et ne pouvait donc rien entreprendre d'officiel. D'ailleurs sa situation diplomatique à l'égard du gouvernement pontifical ne fut réglée que le 2 août. Cette question est expliquée dans une lettre à Francisque de Corcelle (2 août 1849, OC, XV/1, p. 344-346). Si on ajoute le général Oudinot, chef du corps expéditionnaire et Rayneval qui remplaça Corcelle pendant sa maladie entre le 27 juillet et le 2 septembre, on comprend que la présence concomitante de ces quatre personnages dans la direction à un titre où à un autre de la politique de la France à Rome n'ait mené qu'à une regrettable confusion des pouvoirs, à laquelle Tocqueville tarda à mettre fin ; Maurice Degros, « Les « Souvenirs », Tocqueville et la question romaine », Alexis de Tocqueville. Livre du centenaire, op. cit., p. 162-163 ; André Jardin, Alexis de Tocqueville, op. cit., p. 410-411.
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[17]
La position de Francisque de Corcelle nous est connue grâce à la correspondance que les deux amis tinrent en 1849, mais aussi plusieurs années après les événements de Rome, au moment où Corcelle fit paraître un article intitulé « Du gouvernement pontifical » dans Le Correspondant, T. 38, 1856 (25 juillet, p. 654-674 & 25 août, p. 705-739), dans lesquels il justifiait la restauration du gouvernement temporel du pape et en admirait la modération. Il ressort de la correspondance entre les deux hommes que Tocqueville était plus modéré, approuvant certes la restauration du pape, mais convaincu de l'incapacité de son gouvernement à se réformer.
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[18]
Ce détail est fourni par une lettre écrite par Tocqueville à Jean-Jacques Ampère lors du voyage qu'il fit en Italie avec sa femme à partir de novembre 1850 (13 décembre 1850, OC, XI, p. 196) : « le délai que vous nous fixez est bien long et j'ai presque autant murmuré, en lisant votre lettre, contre les lenteurs de l'administration romaine que je le faisais en parcourant les dépêches de Corcelle ou de Rayneval [alors ambassadeur à Naples], il y a dix-huit mois ». Même indice dans une lettre à Francisque de Corcelle du 21 février 1851, OC, XV/2, p. 41.
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[19]
Ce qui ne l'empêchera pas de participer activement en 1848 à la commission pour l'élaboration de la constitution élue par l'Assemblée ; Antoine Leca, Lecture critique d'Alexis de Tocqueville, Aix-en-Provence, PUAM, 1988, p. 86-88.
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[20]
Dans L'Ancien Régime et la Révolution, II, IX-XI.
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[21]
Un tempérament bourgeois résolument tourné vers la préoccupation de la prospérité et de la tranquillité, au détriment de l'héroïsme, « de la poésie, du bruit, de la gloire » qui s'exprime notamment dans De la démocratie en Amérique, I, IIe partie, ch. VI, Activité qui règne dans toutes les parties du corps politique aux États-Unis ; Raymond Aron, Les étapes de la pensée sociologique, op. cit., p. 225-226. Du reste, ce tempérament libéral peut également être relié au fatalisme teinté de romantisme de Tocqueville sur lequel on reviendra plus loin qui est très clairement révélé par sa correspondance familiale ; Lucien Jaume, Tocqueville, op. cit., p. 249 ; Laurence Guellec, « Tocqueville à travers sa correspondance familiale », La revue Tocqueville, XIX-1998/2, p. 190-192. L'influence du romantisme sur Tocqueville est particulièrement évidente par exemple dans une lettre à Marie Motley (sa future épouse) du 30 août 1834, OC, XIV, p. 391-394 : promenade solitaire à cheval, château en ruine, nuit, évocation de Walter Scott, rien de manque ; André Jardin, Alexis de Tocqueville, op. cit., p. 191.
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[22]
Souvenirs, II, V, p. 124. Cette relative indifférence à l'égard des formes institutionnelles et de la question dynastique est une constante chez Tocqueville puisqu'elle était déjà repérable dans son attitude en 1830 ; ibid., II, I, p. 86 : « J'avais ressenti, jusqu'à la fin, pour Charles X un reste d'affection héréditaire, mais ce roi tombait pour avoir violé des droits qui m'étaient chers, et j'espérais encore que la liberté de mon pays serait plutôt ravivée qu'éteinte par sa chute ». Lucien Jaume, « Tocqueville et le problème du pouvoir exécutif en 1848 », art. cit., p. 742-743 ; Paul Bastid, « Tocqueville et la doctrine constitutionnelle », Alexis de Tocqueville. Livre du centenaire (1859-1959), Paris, CNRS, 1960, p. 45.
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[23]
Souvenirs, II, IV, p. 108-109 : « J'ajoutais que j'avais été fidèle jusqu'au bout au serment que j'avais prêté à la monarchie, mais que la république, venue sans mon concours, aurait mon appui énergique, que je ne voulais pas seulement la laisser subsister, mais la soutenir. Puis je reprenais : "Mais de quelle république s'agit-il ? Il y a des gens qui entendent par république une dictature exercée au nom de la liberté ; qui pensent que la république ne doit pas seulement changer les institutions politiques, mais remanier la société elle-même ; il y en a qui croient que la république doit être conquérante et propagandiste. Je ne suis pas républicain de cette manière" ».
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[24]
Souvenirs, III, II, p. 209 : « Je ne croyais pas plus alors [en 1848] que je ne crois aujourd'hui [en 1851] que le gouvernement républicain fût le mieux approprié aux besoins de la France ».
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[25]
La sincérité de Tocqueville ne fait pas de doute puisqu'il écrit à partir du 16 septembre 1851, au moment où la république est en train d'être enterrée par Louis-Napoléon Bonaparte : Souvenirs, III, I, p. 196. De plus, dans ses Souvenirs, il exprime la même idée alors que ceux-ci ne sont pas destinés, de l'aveu même de l'auteur, à la publication, de façon, justement, à être pleinement sincères : Souvenirs, I, I, p. 29. D'ailleurs, ces Souvenirs ne furent publiés pour la première fois qu'en 1893 car Tocqueville avait expressément recommandé dans son testament de ne pas les faire publier tant que les personnes concernées par cet ouvrage étaient encore en vie : Maurice Degros, « Les « Souvenirs », Tocqueville et la question romaine », art. cit., p. 169.
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[26]
Souvenirs, III, II, p. 209. Lucien Jaume, « Tocqueville et le problème du pouvoir exécutif en 1848 », art. cit., p. 743-744.
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[27]
Souvenirs, III, II, p. 209 : « Ce que j'entends à proprement parler par le gouvernement républicain, c'est le pouvoir exécutif électif. Chez un peuple où les habitudes, les traditions, les m urs ont assuré au pouvoir exécutif une place si vaste, son instabilité sera toujours, en temps agité, une cause de révolution ; en temps calme, de grand malaise ».
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[28]
Ou monarchie constitutionnelle selon l'expression de Tocqueville ; il faut noter que dans De la démocratie en Amérique, I, VIII, dans un paragraphe intitulé « En quoi la position du président aux États-Unis diffère de celle d'un roi constitutionnel en France », Tocqueville avait comparé les modes de fonctionnement de ces deux types de pouvoir exécutif. Il avait conclu que « le principe générateur des lois est donc, à vrai dire, le même chez les deux peuples, quoique ses développements y soient plus ou moins libres, et que les conséquences qu'on en tire soient souvent différentes. Ce principe, de sa nature, est essentiellement républicain. Aussi pensé-je que la France, avec son roi, ressemble plus à une république que l'Union, avec son président, à une monarchie ». Ainsi, une fois encore, la nature institutionnelle du régime compte moins que son fonctionnement aux yeux de Tocqueville ; Lucien Jaume, « Tocqueville et le problème du pouvoir exécutif en 1848 », art. cit., p. 745 ; Paul Bastid, « Tocqueville et la doctrine constitutionnelle », art. cit., p. 50 ; Antoine Leca, Lecture critique d'Alexis de Tocqueville, op. cit., p. 722-725.
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[29]
Lettre à Georges Bancroft, 15 juin 1849, OC, VII, p. 125-126. Georges Bancroft (1800-1891) fut historien, auteur d'une Histoire des États-Unis en neuf tomes, publiée entre 1834 et 1866. Démocrate, il fut secrétaire à la marine entre 1845 et 1846, puis ministre à Londres entre 1846 et 1849.
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[30]
Lettre à Francisque de Corcelle, 10 juin 1849, OC, XV/1, p. 249. Il ne faut pas confondre les montagnards, que Tocqueville combattait politiquement, et les socialistes qui ne se confondaient pas avec eux mais que Tocqueville avait également en horreur : Souvenirs, II, X, p. 178. Du reste, il est significatif que lorsque L'Ancien Régime et la Révolution parut en 1856, l'ouvrage fut généralement bien accueilli moyennant quelques critiques sur des points particuliers par les monarchistes et pas du tout par les révolutionnaires. Tocqueville lui-même indique qu'il s'attendait plutôt au contraire tant ce qu'il avait écrit était pensait-il « terrible » à l'égard de l'Ancien Régime : lettre à Louis de Kergorlay, OC, XIII/2, p. 309-310.
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[31]
Souvenirs, III, I, p. 202. Même idée dans une lettre à Gustave de Beaumont, du 24 septembre 1848, OC, VIII/2, p. 53 : « Le parti de la République honnête et modérée a presque disparu hors de l'Assemblée. On est placé entre une petite minorité qui veut la république sociale ou rouge et une majorité immense qui ne veut entendre parler d'aucune république quelconque ».
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[32]
Souvenirs, III, II, p. 210.
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[33]
Lettre à Gustave de Beaumont, 14 juin 1850, OC, VIII/2, p. 276 : « Je me demande si la Constitution est supportable, telle qu'elle est, et modifiable régulièrement ; si la République elle-même est possible dans l'état présent des esprits ; si, de toutes les formes que pouvait prendre le gouvernement, elle n'est point la plus dangereuse à la liberté que nous aimons. Ceci m'amène à me demander si c'est avec raison que nous nous obstinons à maintenir cette Constitution et à défendre cette République et si ce ne serait pas faire un meilleur emploi de notre modération [...] que de chercher les moyens de sortir de la Constitution de la façon la moins irrégulière possible et la plus respectueuse pour la volonté nationale et d'essayer si, ne pouvant pas sauver la République, on ne pourrait pas du moins empêcher la liberté de périr avec elle ».
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[34]
C'est très clair dans L'Ancien Régime et la Révolution, I, IV, lorsqu'il décrit l'Angleterre comme une nation ayant préservé les formes de « l'ancienne constitution de l'Europe » tout en l'ayant renouvelé par la mobilité sociale, l'égalité devant la loi, la liberté de la presse ou encore la publicité des débats.
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[35]
L'Ancien Régime et la Révolution, II, XI, présente les parlements comme d'ardents et désintéressés ! défenseurs des libertés face à un État monarchique envahissant ; on ne peut donc que souscrire à la thèse de Lucien Jaume, Tocqueville, op. cit., p. 373-374 & 392, sur les origines aristocratiques du libéralisme de Tocqueville. Serge Audier, Tocqueville retrouvé, op. cit., p. 62 et suiv. a montré sur les traces de Raymond Aron le lien de filiation unissant, au moins du point de vue de la méthode sociologique, Montesquieu et Tocqueville.
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[36]
Esprit des lois, XI, 4-6.
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[37]
Pierangelo Catalano, Populus Romanus Quirites, Torino, Giappichelli, 1970, p. 7-12 & 26-33 ; idem, « "Romanité ressuscitée" et Constitution de 1793 », L'An I et l'apprentissage de la démocratie, Roger Bourderon (dir.), Saint-Denis, Éditions PSD, 1995, p. 167-187.
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[38]
Lettre à son neveu Hubert de Tocqueville, 25 mars 1855, OC, XIV, p. 307.
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[39]
Lettre à Paul Clamorgan, 15 juin 1849, OC, X, p. 535 : « je ne sais combien de temps je resterais au pouvoir. Peu sans doute. J'y suis entré malgré moi. On est venu me prendre dans mon lit où j'étais malade, et l'on n'a vaincu ma résistance qu'en m'assurant qu'il s'agissait de conjurer une crise imminente ou de lutter contre elle, et que moi et mes amis nous étions plus propres que tous autres à conjurer l'orage. [...] Je n'ai fait qu'une seule condition, c'est de n'avoir pas à défendre devant l'assemblée ce qui s'était fait dans l'affaire de Rome jusqu'à mon arrivée, et d'en repousser la responsabilité, ce qui m'a été concédé. La crise qui devait nécessairement sortir de cette déplorable affaire est venue : nous l'avons surmontée, avec décision et énergie, je pense ». Paul-Émile Clamorgan (1796-1876), issu d'une vieille famille normande, avocat, fit partie de la jeunesse libérale sous la Restauration, prenant même part à des manifestations anticléricales ; il devait devenir l'un des agents électoraux les plus actifs du député Tocqueville dans la Manche.
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[40]
Selon l'expression utilisée par Émile Bourgeois-Émile Clermont, Rome et Napoléon III (1849-1870). Études sur les origines et la chute du second empire, Paris, Armand Colin, 1907, p. 155. La première partie de cet ouvrage constitue sans doute encore la meilleure reconstitution de l'expédition de Rome disponible en français. André Jardin, Alexis de Tocqueville, op. cit., p. 405-406 explique comment Tocqueville devint ministre des Affaires étrangères alors qu'il aurait préféré l'Instruction publique.
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[41]
Antoine Leca, Lecture critique d'Alexis de Tocqueville, op. cit., p. 93.
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[42]
Souvenirs, III, II, p. 215-216. Et encore, III, I, p. 202 : « [...] l'expédition de Rome si mal conçue et si mal conduite qu'il était désormais aussi difficile de la pousser à bout que d'en sortir [...] ». Cette explication est confirmée par la lettre de Tocqueville à Paul-Émile Clamorgan du 15 juin 1849 précitée. De même dans une lettre à Francisque de Corcelle du 10 juin 1849, OC, XV/1, p. 249, Tocqueville écrit : « Les fautes commises dans cette affaire sont innombrables et nous n'avons jamais donné plus beau jeu à la république rouge ».
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[43]
On peut trouver la version des faits d'Odilon Barrot dans ses Mémoires, Paris, Charpentier, 1875-1876, tome III, 504 p. ; Émile Bourgeois-Émile Clermont, Rome et Napoléon III, op. cit., p. 147-148 & 343, émettent de sérieux doutes sur l'honnêteté de cette reconstitution.
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[44]
La Constitution du 4 novembre 1848 proclamait en effet dans l'article V de son préambule que « la République française respecte les nationalités étrangères, comme elle entend faire respecter la sienne ; n'entreprend aucune guerre dans des vues de conquête, et n'emploie jamais ses forces contre la liberté d'aucun peuple ».
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[45]
Souvenirs, III, II, p. 213.
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[46]
Alexis de Tocqueville, Souvenirs, III, II, p. 215. Alors qu'il datait du 29 mai : Françoise Mélonio, « Tocqueville et la restauration du pouvoir temporel du pape (juin-octobre 1849) », art. cit., p. 111.
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[47]
Alexis de Tocqueville, Souvenirs, III, II, p. 215. En réalité, dès le mois de mai 1849, les ambiguïtés concernant le sens de l'intervention française à Rome n'existaient pratiquement plus. De plus, dès le 9 juin, la lettre de Louis-Napoléon Bonaparte rappelant Ferdinand de Lesseps à Paris et donnant l'ordre au général Oudinot de secourir le pape était rendue publique (elle datait du 1er juin), ce dont témoigne le compte rendu favorable qui a été publié dans le journal catholique ultramontain L'univers-Union catholique, samedi 9 juin 1849, no 893, p. 1.
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[48]
Éric Desmons, « Ledru-Rollin et l'expédition de Rome. De l'apologie de la légalité républicaine à la proclamation de la république insurrectionnelle », RFHIP, no 21, 2005-1, p. 91-103 ; idem, « Ledru-Rollin et l'expédition de Rome : le juriste et le révolutionnaire », La République romaine de 1849 et la France, p. 117-125 ; idem, « La politique étrangère des républicains français de la circulaire du 4 mars 1848 à l'article V du préambule de la constitution du 4 novembre 1848 », La République romaine de 1849 et la France, p. 107-115.
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[49]
Lettre à Francisque de Corcelle du 10 juin 1849, OC, XV/1, p. 249-250 ; Françoise Mélonio, « Tocqueville et la restauration du pouvoir temporel du pape (juin-octobre 1849) », art. cit., p. 112-113.
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[50]
Lors de la séance du 12 juin, Pierre Leroux, La Claudure et surtout Ledru-Rollin attaquent durement le gouvernement au sujet de l'expédition de Rome et proposent la mise en accusation du président de la République et de ses ministres : Moniteur universel, no 164, mercredi 13 juin 1849, p. 2052 et suiv. C'est à cette occasion que Ledru-Rollin conclura son (long) discours par ces mots : « Vous êtes du parti des Cosaques, vous n'êtes pas républicains ! », ibid., p. 2056. Tocqueville rapporte la première insulte mais pas la seconde : Souvenirs, III, II, p. 216 ; Maurice Degros, « Les « Souvenirs », Tocqueville et la question romaine », art. cit., p. 159.
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[51]
Souvenirs, III, II, p. 216.
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[52]
Moniteur universel, no 164, mercredi 13 juin 1849, p. 2053.
-
[53]
Ledru-Rollin avait affirmé dans son discours du 11 juin « qu'une portion notable de notre cavalerie aurait été non seulement repoussée mais massacrée ». Et encore que « le carnage de la journée du 3 a été immense ; il paraît que nos troupes ont immensément souffert ». Tout cela pour un résultat nul : « [...] dans les deux journées fatales des 3 et 4 juin, les troupes françaises, après des efforts de valeur, ont été, a deux reprises différentes, repoussées, et aujourd'hui les murs de Rome ne sont pas encore entamés ». Moniteur universel, no 163, mardi 12 juin 1849, p. 2044 ; Émile Bourgeois-Émile Clermont, Rome et Napoléon III, op. cit., p. 181 et suiv.
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[54]
Moniteur universel, no 164, mercredi 13 juin 1849, p. 2053.
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[55]
Faisant référence à l'article V du préambule précité. Moniteur universel, no 164, mercredi 13 juin 1849, p. 2053 et suiv. ; Éric Desmons, « Ledru-Rollin et l'expédition de Rome : le juriste et le révolutionnaire », art. cit., p. 120-123.
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[56]
Émile Bourgeois-Émile Clermont, Rome et Napoléon III, op. cit., p. 191 : « De ce jour, le parti montagnard fut anéanti : conséquence inattendue de l'attaque de Rome ».
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[57]
Lettre à Francisque de Corcelle, 20 juin 1849, OC, XV/1, p. 275. Cette préoccupation à l'égard de la formation d'un parti libéral et modéré en Italie est une constante de la pensée politique de Tocqueville : lettre à Giuseppe Massari du 8 juin 1851, OC, VII, p. 323-324 ; Maurice Degros, « Les « Souvenirs », Tocqueville et la question romaine », art. cit., p. 164.
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[58]
Lettre à Francisque de Corcelle, 20 juin 1849, OC, XV/1, p. 276. Les italiques sont de Tocqueville.
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[59]
Ibid., p. 276.
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[60]
Cette vision des extrêmes se renforçant l'un l'autre s'exprime d'ailleurs dans un mémoire envoyé à Tocqueville le 6 septembre 1849 par Massimo d'Azeglio, nationaliste modéré et tête du mouvement libéral italien : Mémoire de M. Maxime d'Azeglio à M. de Tocqueville sur la Cour Romaine, dans Nicomede Bianchi, La politica di Massimo d'Azeglio dal 1848 al 1849, Torino, Roux e Favale, 1884, p. 193-199 : « les excès, du reste, font toujours les affaires des excès inverses, et tout comme Mazzini a travaillé pour Pie IX, Pie IX travaille pour Mazzini et, malheureusement, pour la destruction du sentiment religieux, si déplorablement ébranlé en Italie ». Le mémoire dans son ensemble est une plaidoirie en faveur d'une politique modérée en Italie.
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[61]
Par exemple dans ses Souvenirs, III, IV, p. 239, où il évoque les événements de Rome du début du mois de juin 1849 : « mais Venise tenait encore, et Rome, après avoir repoussé notre première attaque appelait à son aide tous les démagogues de l'Italie et agitait l'Europe entière de ses clameurs ».
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[62]
Arch. Tocqueville, Folies démagogiques en Italie et leurs conséquences, cité par Françoise Mélonio, « Tocqueville et la restauration du pouvoir temporel du pape (juin-octobre 1849) », art. cit., p. 114. Cette idée de la responsabilité des républicains dans le développement de la répression est une constante de la pensée de Tocqueville, tout comme son refus des extrêmes, comme le montre une lettre à Edward Vernon Childe du 23 janvier 1858, OC, VII, p. 223 : « je n'ai rien à vous dire sur les affaires publiques que vous ne sachiez par les journaux. Ce n'est pas que des crimes abominables, comme celui qui vient d'être commis contre l'Empereur [l'attentat d'Orsini du 14 janvier], puissent relever nulle part la cause de la liberté. La cause est belle, mais ceux qui prétendent la représenter sont souvent, il faut l'avouer, d'horribles coquins. Il est bien triste d'être placés comme nous le sommes entre le despotisme et une bande d'assassins, et de ne trouver nulle part un terrain solide sur lequel se pût établir un parti libéral et non démagogique ».
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[63]
Françoise Mélonio, « Tocqueville et la restauration du pouvoir temporel du pape (juin-octobre 1849) », art. cit., p. 114 ; André Jardin, Alexis de Tocqueville, op. cit., p. 416-417.
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[64]
Le rejet de ces deux positions n'est pas circonstanciel à la question romaine, mais résulte d'une pensée bien fixée. En témoigne, en France l'hostilité très virulente de Tocqueville à l'égard de Louis Veuillot et de son journal, L'Univers. Ainsi, dans une lettre à Francisque de Corcelle du 13 novembre 1856, OC, XV/2, p. 183 : « je crois ledit Veuillot l'un des plus dangereux ennemis que l'Église ait dans le monde ; car il corrompt les partisans de celle-ci, et jette les indifférents ou les tièdes dans l'éloignement et dans la haine. Si L'Univers occupe, en effet, comme le dit M. de Mérode, la première place dans la presse catholique, j'en suis fâché et pour la presse catholique et pour l'Église catholique ; cela n'est de nature à honorer ni l'une ni l'autre ». Son hostilité à l'égard de « ce misérable journal » est récurrente, comme en témoigne la lettre à Francisque de Corcelle du 28 janvier 1857, OC, XV/2, p. 196 : « j'ai peine à n'être pas du parti de ceux qui tapent sur le Veuillot et son abominable feuille. Il m'est bien difficile de trouver qu'on tape trop fort. Et cependant vous avez raison ; dans cette guerre-là, il faut que la colère et le mépris les plus légitimes se couvrent d'une certaine modération de langage. Qu'on étrangle L'Univers avec un cordon de soie garni de coton, j'y consens ; mais pourvu qu'on l'étrangle ». Également, lettre à Francisque de Corcelle du 1er janvier 1858, OC, XV/2, p. 214. Sur Louis Veuillot et L'Univers, qu'il me soit permis de renvoyer à ma contribution : « La Révolution romaine de 1848-1849 dans la presse catholique française », La République romaine de 1849 et la France, op. cit., p. 149 et suiv. Cette agressivité à l'égard de Louis Veuillot est typique du refus libéral des extrêmes... qui aboutit tout de même à une opinion extrémiste qui va jusqu'à la volonté de faire taire les adversaires ; attitude, on en conviendra, fort peu libérale ! Ce mécanisme en apparence paradoxal, mais qui résulte de la nature même du phénomène politique qui suppose la notion d'ennemi, est mis en lumière par Julien Freund, L'essence du politique, Paris, Sirey, 1965, p. 493 et suiv.
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[65]
C'est ce que souligne justement Antoine Leca, Lecture critique d'Alexis de Tocqueville, op. cit., p. 94-95 : « Il n'ignorait pas que l'autorité temporelle du pape restaurée, conformément à ses prises de position, ferait de lui un défenseur de l'absolutisme, mais il en rejeta la responsabilité sur les révolutionnaires, responsables de la radicalisation de la situation, quitte, plus tard, à regretter l'existence d'un pouvoir temporel pontifical qu'il avait pourtant contribué à sauver ». On peut également noter que l'interlocuteur privilégié de Tocqueville, Francisque de Corcelle, ne croyait pas lui-même à la possibilité de négocier une solution admissible par tous : lettre du 12 juin 1849, OC, XV/1, p. 254 : « À Rome, il me paraît presque impossible de négocier ». Pourtant, comme le montrent bien Émile Bourgeois-Émile Clermont, Rome et Napoléon III, op. cit., ch. III & VIII-XII, l'action de Ferdinand de Lesseps entre le 15 mai, date de son arrivée à Rome et le 1er juin, date de son rappel, avait réussi à faire avancer concrètement une solution pacifique en traitant directement avec Mazzini. La position de Corcelle est d'ailleurs très clairement exprimée dans une autre lettre envoyée à Tocqueville le 16 juin 1849, OC, XV/1, p. 262 : « Je suis l'anti-Lesseps, tout en ménageant de mon mieux mes moyens de négociation libérale. Il faut absolument ce résultat libéral. La France ne pourrait sortir d'ici autrement ; le despotisme ne serait pas d'ailleurs une solution ; il perdrait l'Église et la société ». Dans une lettre du 18 juin, ibid., p. 266, il affirmait en outre que « le succès de nos armes est nécessaire à ma négociation ». Tout était dit.
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[66]
Lettre à Francisque de Corcelle, 18 juillet 1849, OC, XV/1, p. 323-324 : « Ces deux idées étaient celles-ci : frapper de terreur le parti démagogique et relever le parti libéral, deux idées distinctes, mais non contraires ; la réalisation de l'une menait même très directement à la réalisation de l'autre. [...] Quand on me demande ce que nous sommes venus faire à Rome, je réponds carrément : 1o Rétablir le pape dont l'autorité indépendante est nécessaire à la liberté et à la paix des populations catholiques sur toute la terre. 2o Obtenir des réformes et des institutions libérales pour les Romains ».
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[67]
L'interpellation venait d'Arnaud de l'Ariège ; Moniteur universel, no 219, mardi 7 août 1849, p. 2606-2607.
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[68]
Moniteur universel, no 219, mardi 7 août 1849, p. 2608-2609.
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[69]
Ce que Tocqueville devra bien reconnaître, ce qui ne l'empêchera pas de rester fidèle à ses positions de principe ; lettre à Francisque de Corcelle, 1er octobre 1849, OC, XV/1, p. 437 : « En général, la comparaison de ce qui se passe aujourd'hui avec ce qui s'est passé en 1823 [la restauration du pouvoir absolu de Ferdinand VII en Espagne avec l'aide de l'armée française] est frappante. Alors, de même qu'aujourd'hui, après avoir couvert une restauration libérale, nous avons vu éclore une restauration absolutiste qui nous a grandi dans les mains et s'en est bientôt échappée pour courir toute seule ». On remarque une fois de plus le caractère fataliste de la formulation.
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[70]
Comme le soulignait Raymond Aron, Les étapes de la pensée sociologique, op. cit., p. 250-251 ; on retrouvera cette attitude dans L'Ancien Régime et la Révolution, où Tocqueville déplore l'échec de la Constituante, « c'est-à-dire l'échec de la synthèse entre les vertus de l'aristocratie ou de la monarchie et le mouvement démocratique ». La question est évidemment de savoir si cette synthèse était bien réaliste, ce que, selon Raymond Aron, Auguste Comte contestait déjà. Il faut toutefois reconnaître la cohérence du propos de Tocqueville puisque dès le début de l'intervention française, il faisait tout ce qui était en son pouvoir (notamment en demandant à l'Autriche d'intervenir) pour que le pape satisfasse l'opinion publique en continuant les réformes entreprises : lettre à Francisque de Corcelle du 10 juin 1849, OC, XV/1, p. 250-251.
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[71]
Lettre à Francisque de Corcelle, 3 septembre 1856, OC, XV/2, p. 174 : « vous ne réussirez jamais à réhabiliter le gouvernement temporel des papes. Vous trouverez toujours sur ce terrain un sentiment public invincible. Je n'ai jamais rencontré pour mon compte un homme ayant vécu en Italie, à quelle classe qu'il appartînt et quelle que fût sa religion, qui ne passât condamnation sur ce point. Beaucoup d'ecclésiastiques revenant de Rome m'ont paru avoir absolument les mêmes impressions ».
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[72]
Ibid., p. 175. Tocqueville concluait sous forme d'interrogation : « le gouvernement papal a-t-il fait ou fait-il encore de son souverain pouvoir l'usage nécessaire pour donner la sécurité et favoriser la prospérité de ses sujets ? ».
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[73]
Lettres à Francisque de Corcelle, 2 septembre & 9 septembre 1849, OC, XV/1, p. 374 & 395. Dans la suite de la première de ces lettres, Tocqueville reproche également à Corcelle la légèreté avec laquelle il semble accepter le rétablissement des institutions ecclésiastiques les plus mal acceptées par les opinions romaine, italienne et française telles que l'Inquisition et les tribunaux ecclésiastiques. Tocqueville leur reprochait en effet de juger des affaires à ses yeux purement laïques. Comme il l'écrit : « Ce ne sont pas les lecteurs de feuilletons qui demandent la répression de pareils abus, c'est l'Europe éclairée tout entière, je devrais dire l'Europe civilisée. Car une semblable législation n'appartient pas à la civilisation du monde moderne, catholique ou protestante » ; ibid., p. 379.
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[74]
Lettre à Francisque de Corcelle, 30 juillet 1849, OC, XV/1, p. 340 : « La Cour de Rome nous amuse comme des enfants par des promesses, tandis que par des faits accomplis elle se remet en possession de tous les anciens abus. Le pape lui-même, croyez-le, n'est pas sincère ». Le pape n'était ni sincère ni insincère, il menait simplement une politique. Ce que Tocqueville, du fait de son idéologie libérale, était incapable de faire.
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[75]
L'expression est empruntée à Julien Freund, Politique et impolitique, Paris, Sirey, Philosophie politique, 1987, p. 1-22 et passim. Il est piquant de noter que Tocqueville lui-même utilisait cette expression. Par exemple dans la lettre à Francisque de Corcelle du 2 novembre 1849, OC, XV/2, p. 14. Cette lettre assez critique à l'égard de l'action menée par Corcelle lui explique par ailleurs comment le cabinet auquel appartenait Tocqeville est tombé : « le rapport tout à la fois impolitique et coupable de M. Thiers dirigeait naturellement la crise contre l'Assemblée et la détournait de nous ». Julien Freund, L'essence du politique, op. cit., p. 34, a démontré par ailleurs le caractère intrinsèquement impolitique car centré sur le social et l'économique du libéralisme, ce qui constitue un point commun avec le socialisme : « l'objectif commun au libéralisme et au socialisme est de clôturer la politique afin de laisser libre champ aux réformes sociales spontannées ou dirigées ». L'originalité de Freund est de montrer qu'en dépit de sa nature impolitique, le libéralisme débouche toujours sur une action qui, elle, est politique puisqu'elle repose sur des mécanismes de commandement et d'obéissance, qu'elle repose sur la distinction entre privé et public, et sur la distinction ami-ennemi ; voir aussi p. 99, 105, 268-270, 284 & 536.
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[76]
Françoise Mélonio, « Tocqueville et la restauration du pouvoir temporel du pape (juin-octobre 1849) », art. cit., p. 116.
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[77]
Lettre d'Alexis de Tocqueville à Francisque de Corcelle, 13 juillet 1849, OC, XV/1, p. 308 ; Françoise Mélonio, « Tocqueville et la restauration du pouvoir temporel du pape (juin-octobre 1849) », art. cit., p. 114-117.
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[78]
Hübner (1811-1892) est un des principaux diplomates autrichiens. Il sera ensuite ministre plénipotentiaire à Paris, puis à Rome entre 1865 et 1868. Tocqueville tentait par son intermédiaire d'obtenir l'aide de l'Autriche pour opérer des réformes dans les États pontificaux.
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[79]
Lettre d'Alexis de Tocqueville à Alexandre von Hübner, 13 juillet 1849, OC, VII, p. 317-318. La même idée est exprimée au même moment dans une lettre à Francisque de Corcelle, 11 juillet 1849, OC, XV/1, p. 305-306.
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[80]
D'ailleurs, l'accord finalement trouvé avec l'Autriche sur la nécessité de réformer les institutions des États du pape sera lui aussi marqué par un profond irréalisme politique puisque l'Autriche fit de belles promesses tout en laissant à la France le soin de les réaliser... Francisque de Corcelle en avertit Tocqueville mais ce dernier ne sut pas en tirer les conclusions qui s'imposaient quant au caractère impolitique de son action ; lettre du 14 septembre 1849, OC, XV/1, p. 405 : « L'Autriche et l'Espagne [qui en tant que puissance catholique était entrée dans le jeu diplomatique], d'ailleurs, ne nous offrent aucun appui. Les correspondances mêmes que vous nous communiquez attestent que leurs promesses d'une bonne entente sont restées dans le vague des généralités ». Dans une dépêche officielle envoyée par le ministre Tocqueville à l'ambassadeur de France à Vienne et ami Gustave de Beaumont le 27 septembre 1849, il se lamentait dans des termes similaires, du double jeu de l'Autriche, prête à donner son accord sur les principes, mais sans s'engager pour les mettre en application. Cette dépêche est reproduite dans les OC, VIII/2, p. 423.
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[81]
Il s'agit pourtant d'une idée que Tocqueville reprendra dans une lettre à Francisque de Corcelle, 30 juillet 1849, OC, XV/1, p. 343 : « Nous en appellerons publiquement à l'Europe civilisée et au monde catholique. Nous ferons savoir ce que nous demandons et ce qu'on nous refuse et nous rendrons l'opinion de la France et de l'Italie juge entre le pape, ses sujets et nous ».
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[82]
Ces réformes préoccupent particulièrement Tocqueville, comme en témoigne la lettre à Francisque de Corcelle, 24 septembre 1849, OC, XV/1, p. 418-421.
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[83]
Sur les détails de ce programme administratif : Maurice Degros, « Les « Souvenirs », Tocqueville et la question romaine », art. cit., p. 165. Ce programme s'exprime en particulier dans une lettre à Francisque de Corcelle, 15 juin 1849, OC, XV/1, p. 256-257, dans laquelle Tocqueville émet l'idée de la sécularisation de l'administration et d'une séparation nette entre les affaires temporelles et spirituelles, les premières devant être confiées à un personnel séculier. Il est possible que Tocqueville ait forgé son programme réformiste en discutant avec son ami Gustave de Beaumont. C'est ce que laisse penser la lettre de Gustave de Beaumont (30 septembre 1849, OC, VIII/2, p. 176-179) qui reprend toutes les idées développées par Tocqueville. Corcelle y répondit dans une lettre du 14 juillet en soulignant les difficultés que soulèveraient la mise en place de ce programme, même s'il se voulait modéré ; ibid., p. 315-316. Il s'y emploiera cependant en appliquant la recommandation de son ministre, c'est-à-dire en s'efforçant de s'assurer le concours de l'Autriche. Les lettres de Francisque de Corcelle, 25 juillet et 8 septembre 1849, OC, XV/1, p. 336-338 & 388-392 sont très éclairantes à ce sujet. Néanmoins, Corcelle, très catholique, refusera d'être à ses yeux l'instrument du remplacement du gouvernement pontifical par un gouvernement directement sous l'égide de la France, mettant même sa démission en jeu. Tocqueville interprétera cette attitude comme un prétexte pour refuser d'appliquer ses instructions. Cela donnera lieu à des échanges aigres-doux entre les deux amis en septembre et octobre 1849, dont Tocqueville se plaindra dans une lettre à Gustave de Beaumont (12 octobre 1849, OC, VIII/2, p. 200).
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[84]
De même que la préface de cet ouvrage, elle aussi marquée par un caractère prophétique, cette fois en ce qui concerne « l'inéluctable » égalisation des conditions ; le caractère fataliste et prophétique de Tocqueville était souligné par Raymond Aron, « Tocqueville retrouvé », La Revue Tocqueville, I-1979/1 (réimp. Tocqueville et l'esprit de la démocratie, Laurence Guellec (dir.), Paris, PFNSP, 2005, p. 27-29). Voir aussi Pierre Manent, Tocqueville et la nature de la démocratie, op. cit., p. 51-60. Luis Diez del Corral, « Tocqueville et la pensée politique des Doctrinaires », Alexis de Tocqueville. Livre du centenaire, op. cit., p. 58-59, a démontré que les idées tocquevilliennes d'enchaînement des événements, de lois inexorables qui gouvernent l'histoire, et de tendance au nivellement avaient probablement pour origine les leçons de Guizot à la Sorbonne qu'il avait suivies entre 1829 et 1830. Tocqueville retravaille donc un matériau idéologique déjà existant, non seulement chez Guizot mais chez tous les doctrinaires comme Royer-Collard ou Rémusat, ainsi que le souligne aussi Lucien Jaume, Tocqueville, op. cit., p. 19-20, qui montre par ailleurs que ce fatalisme est teinté de providentialisme : ibid., p. 111-112, 123, 153-154 & 388-389. L'analyse approfondie de ce providentialisme et du rôle réduit du volontarisme dans la pensée de Tocqueville a été faite par Antoine Leca, Lecture critique d'Alexis de Tocqueville, op. cit., p. 186-194.
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[85]
Sur l'origine de la maxime de Turgot : Peter Groenewegen, « Laissez-faire. Reflections on the French foundations », Eighteenth-century Economics : Turgot, Beccaria and Smith and their contemporaries, London-New York, Routledge, 2002, p. 211-221. Ce fatalisme n'est pas circonstanciel, mais résulte d'une véritable vision du monde, comme cela apparaît bien dans une lettre à Francisque de Corcelle, 21 février 1851, OC, XV/2, p. 48 : « car le caractère le plus saillant du temps est l'impuissance des hommes et des gouvernements sur le mouvement général des esprits et des affaires ».
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[86]
C'est ce que souligne de façon générale Laurence Guellec, « Tocqueville à travers sa correspondance familiale », art. cit., p. 186. Par exemple : lettre à Edward Everett, 15 février 1850, OC, VII, p. 134 : « dans toute l'Europe continentale, sauf la Russie, on voit la société qui est en travail et le vieux monde qui achève de tomber en débris. Croyez que toutes les restaurations des anciens pouvoirs qui se font autour de nous ne sont que des incidents passagers qui n'empêchent pas que le grand drame ne suive son cours. Ce drame, c'est la destruction complète de l'ancienne société et à sa place l'édification de je ne sais quelle fabrique humaine dont l'esprit ne peut encore percevoir clairement la forme ». Un autre exemple de ce fatalisme s'exprime dans les opinions émises en privé par Tocqueville au sujet du destin de la République de 1848 et du coup d'État « fatal » de décembre 1851 ; lettre à Franz Lieber du 4 août 1852, OC, VII, p. 143-144 : « [...] je prévoyais sans peine que les folies de 1848 amèneraient, par réaction, un gouvernement si illibéral que je ne voudrais pas le servir ». Suivent des considérations sur le nouveau régime, caractérisé selon Tocqueville par une contradiction entre le principe de la souveraineté du peuple proclamé et la réalité de la « servitude » de celui-ci. Pour Tocqueville, ibid., p. 144-145, il n'y a pas d'alternative : « [...] un temps viendra où ce gouvernement sera obligé de renier entièrement le dogme de la souveraineté du peuple sur lequel il prétend se poser et d'abolir le droit électoral qu'il a laissé subsister ou sera détruit par les conséquences de ce dogme et par l'exercice de ce droit. Que l'une ou l'autre de ces deux hypothèses doivent se produire d'ici à un temps plus ou moins long me paraît aussi clair que le jour ». Bel exemple des dangers de la prédiction et du fatalisme en politique.
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[87]
Lettre à Francisque de Corcelle, 24 septembre 1849, OC, XV/1, p. 418. Par ailleurs, la correspondance diplomatique officielle de Tocqueville avec l'ambassadeur de France à Vienne, Gustave de Beaumont, révèle que les deux hommes cherchaient à désengager la France puisque leur incapacité à restaurer dans le même temps le pouvoir pontifical et à obtenir des concessions libérales de celui-ci était désormais évidente : en témoigne la lettre de Gustave de Beaumont du 1er novembre 1849, reproduite dans les OC, VIII/2, p. 468-469.
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[88]
Julien Freund, L'essence du politique, op. cit., p. 682-683.
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[89]
Ibid., p. 683.
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[90]
On peut noter cependant que Tocqueville se déclarait satisfait des résultats obtenus en 1849 puisque dans une lettre à Francisque de Corcelle du 2 août 1856, écrite à propos de deux articles que ce dernier avait publiés dans Le Correspondant au sujet de l'affaire romaine, il parlait à propos de la restauration du pouvoir temporel du pape, de « la douceur de cette restauration » ; OC, XV/2, p. 170. Sous une forme différente, le résultat de l'expédition de Rome est loué par Tocqueville dans une lettre à Francisque de Corcelle du 8 décembre 1857, OC, XV/2, p. 212-213. Il y met notamment en exergue le rôle positif à ses yeux du général Cavaignac et de l'Assemblée législative. Cependant, dans une autre lettre datée du 26 août de la même année, Tocqueville se plaignait, toujours auprès de Corcelle : « il n'y a guère de semaine où quelque journal anglais, tout en louant mon nouveau livre [L'Ancien Régime], ne me censure plus ou moins violemment, à propos de cette expédition de Rome ». Cette lettre est caractéristique des contradictions politiques de Tocqueville : d'une part il craint que « l'établissement politique de la papauté ne soit pas amendable » car « si Dieu a promis à l'Église le gouvernement perpétuel des âmes, il ne lui a jamais fait espérer la direction des affaires du gouvernement dans aucun pays du monde ». Cette idée est d'ailleurs également exprimée dans une lettre à Francisque de Corcelle du 3 septembre 1856, OC, XV/2, p. 175. D'autre part, il déclare également « douter que l'établissement politique actuel de l'Église soit utile à la religion catholique ». Il le fait d'ailleurs du point de vue de la logique même de la souveraineté, ce qui donne incontestablement du poids à son argumentation : « Prince, le pape, quoi qu'il fasse, sera toujours plus ou moins en opposition avec l'esprit et les tendances politiques du temps ; toujours il tendra à prendre un rôle dans la lutte de l'absolutisme contre la liberté et en général des souverains contre les peuples. On dit que ses États sont nécessaires à son indépendance. Je dis que ce sont aujourd'hui ses États qui le rendent dépendant de mille considérations qui sont prises en dehors de l'intérêt de la religion et qui en font, plus ou moins, l'instrument des autres princes ». Malgré cela, selon lui, « la papauté est une puissance politique, le devoir de tout bon catholique est de travailler à justifier le gouvernement du pape des injustes attaques et de faire effort [sic] pour améliorer ce gouvernement », alors même que quelques lignes plus haut, il proclamait l'impossibilité d'une telle amélioration ; OC, XV/2, p. 172-173. Françoise Mélonio, « Tocqueville et la restauration du pouvoir temporel du pape (juin-octobre 1849) », art. cit., p. 109. Il est juste de signaler qu'André jardin, Alexis de Tocqueville, op. cit., p. 425 défend l' uvre du ministre en avançant qu'il ne fut en place que cinq mois, et qu'il évita la guerre en Italie par le maintien de bonnes relations avec l'Autriche. Mais il ne peut que constater lui aussi l'échec à imposer à Pie IX des institutions libérales, qui était pourtant son principal objectif.
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[91]
Lucien Jaume, « Tocqueville et le problème du pouvoir exécutif en 1848 », art. cit., p. 754.
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[92]
Une lettre d'Ampère (alors à Washington) à Madame de Tocqueville du 29 décembre 1851, OC, XI, p. 206-207, exprime bien la tension de ce moment très particulier. Tocqueville avait été arrêté lors du coup d'État du 2 décembre 1851 en compagnie de représentants qui protestaient à la mairie du Xe arrondissement. Il fut conduit à la caserne du Quai d'Orsay mais relâché dès le lendemain. Une lettre à Jared Sparks (11 décembre 1852, OC, VII, p. 148) confirme le rôle décisif joué par le coup d'État et ses conséquences dans le changement de vie de Tocqueville.
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[93]
Tocqueville avait rédigé l'essentiel de ses Souvenirs lors d'un voyage à Naples et à Sorrente effectué à la fin de l'année 1850 : lettre à Louis de Kergorlay, 15 décembre 1850, OC, XIII/2, p. 229-230. Dans le même temps, il envisageait déjà la rédaction de L'Ancien Régime : ibid., p. 231 ; lettre à Gustave de Beaumont, 26 décembre 1850, OC, VIII/2, p. 343-344 ; lettre à Francisque de Corcelle du 21 février 1851, OC, XV/2, p. 43 ; l'année suivante, le projet commençait à se réaliser : lettre à Franz Lieber du 4 août 1852, OC, VII, p. 143 ; le fait de s'être retiré de la politique active était d'ailleurs vécu de manière positive : lettre à Edward Vernon Childe du 23 janvier 1858, OC, VII, p. 222 ; même sentiment dans la lettre à son neveu Hubert de Tocqueville, 12 janvier 1854, OC, XIV, p. 291.
1 L'action du ministre des Affaires étrangères de la République française Alexis de Tocqueville durant les douloureux événements romains de 1849 a suscité diverses appréciations [2].
2 Selon la vision la plus communément partagée, Tocqueville, dans un premier temps, aurait désapprouvé l'intervention de l'armée française contre les républicains romains [3]. Dans un second temps, au mois de juin 1849, il aurait toutefois accepté de faire partie du gouvernement en tant que ministre des Affaires étrangères, pour tenter de donner à l'intervention française à Rome une apparence libérale et non réactionnaire [4]. Mais à la chute du gouvernement conduit par Odilon Barrot, en octobre de la même année, le pape se trouve rétabli dans ses prérogatives les plus absolutistes, au mépris de la volonté des Romains et des Italiens contre laquelle les troupes françaises le défendront jusqu'en 1870. Il s'agirait en somme de la dérive d'une médiation libérale au secours de la réaction, réaction considérée comme fatale dans un contexte européen dans lequel, en 1849, les mouvements révolutionnaires avaient été presque tous vaincus [5]. Une sorte d'incapacité à se dresser contre le « sens de l'histoire ».
3 Cependant, dès les mois suivant l'éphémère république romaine, des voix prestigieuses s'élevèrent pour dénoncer son absence de compréhension de l'essor des nationalités en Europe, et en particulier en Italie. De sorte qu'il fut indirectement accusé des deux côtés des Alpes de ne pas comprendre l'idée de nationalité [6]. Il faut dire que la méfiance de Tocqueville à l'égard de la souveraineté nationale italienne remontait à la mission de médiation que celui-ci remplit auprès de l'Autriche à l'automne 1848, et s'explique probablement par la sympathie qu'il gardera toujours pour la monarchie habsbourgeoise [7].
4 Selon Françoise Mélonio, la méfiance de Tocqueville à l'égard des nationalités constitue en fait le prolongement logique de son libéralisme, et non pas le résultat d'une contradiction entre ses convictions libérales et démocratiques et sa pratique politique tournée d'abord vers l'intérêt de la France :
5 « C'est au nom de la valeur universelle de la liberté politique et de la similitude des hommes que Tocqueville récuse le particularisme des revendications nationales » [8].
6 Cette interprétation présente l'avantage de considérer l' uvre du Normand de façon globale et cohérente, alors que la vision consistant à noter une contradiction entre réflexion et action, elle, n'explique pas les raisons de la contradiction qu'elle constate. L'examen de la politique concrètement menée entre juin et octobre 1849 permet de confirmer cette interprétation de Françoise Mélonio ; elle permet également de mettre en évidence les apories théoriques et concrètes du libéralisme de Tocqueville dans sa confrontation avec une crise politique.
7 De fait, la pensée de Tocqueville était déjà bien formée lorsqu'il fut nommé ministre. Le premier livre De la démocratie en Amérique (intitulé « le monde politique ») avait été publié pour la première fois le 23 janvier 1835 à Paris ; il était le fruit du voyage en Amérique de Tocqueville quatre ans auparavant en 1831. L'ouvrage recueillit immédiatement un grand succès, au point qu'il valut immédiatement la célébrité à son auteur et son entrée à l'Académie française en 1841 [9]. Le second livre avait été publié en 1840, il était intitulé « démocratie et société ». Le succès de ce second livre fut bien moindre que celui du premier car le pittoresque y était moins présent. Dans ce second livre, l'exemple américain est de fait relégué au second plan, et l'ouvrage est davantage une théorie générale des systèmes démocratiques. Tocqueville y discerne donc les effets produits par l'égalité des conditions sur une société et sur les individus qui la composent, en étudiant successivement ces effets dans le domaine des idées, dans celui des sentiments, dans celui des m urs et dans la société politique.
8 Mais on sait bien toutefois que dans la quatrième partie de ce second livre, prophétiquement intitulé « regard sur le destin politique des sociétés démocratiques », Tocqueville brosse le portrait inquiétant d'un État démocratique tout puissant et oppressant l'individu. Ainsi, Tocqueville mettait ses lecteurs en garde contre le risque majeur à ses yeux de la démocratie, c'est-à-dire le despotisme démocratique [10]. La thèse de Tocqueville consiste dans le paradoxe que le danger que fait courir l'égalisation des conditions, la démocratisation de la société, est moins la marche à l'anarchie que celle à la servitude [11].
9 Dans ce même ouvrage, la question des rapports entre politique et religion si évidemment importante dans l'affaire romaine précisément entre démocratie et christianisme est également abordée. Selon Tocqueville, « seule la religion peut modérer la démocratie » [12], en ce sens que sa nature potentiellement universelle et égalitariste ne peut trouver une limite qu'en dehors de ce monde [13]. En ce sens également que seule la religion peut constituer un frein à l'individualisme consécutif à l'instauration d'un régime démocratique [14].
10 C'est donc en tenant compte du fait de l'existence d'un corpus idéologique déjà formé que l'action politique concrète de Tocqueville pendant les événements de Rome, doit être expliquée ; en effet l'action de Tocqueville est caractérisée par la volonté constante d'agir en fonction d'une vision politique théorique et de s'y tenir en dépit de toutes les vicissitudes [15]. Cette ferme volonté de faire coïncider une vision théorique libérale et l'action politique explique en grande partie sans doute l'échec de Tocqueville, par manque de pragmatisme et par refus d'envisager la réalité autrement qu'à travers le prisme de présupposés idéologiques.
11 La position complexe de Tocqueville durant les événements de Rome en 1849 est bien connue grâce à ses Souvenirs, malheureusement inachevés à sa mort, et grâce à sa correspondance, notamment avec Francisque de Corcelle, ami intime depuis 1835 et ministre plénipotentiaire du gouvernement français à Rome, d'abord en décembre 1848, et ensuite à partir de juin 1849 [16]. Un homme jouissant donc de la totale confiance de Tocqueville, et avec lequel les relations ne sont pas uniquement politiques et diplomatiques. Tocqueville peut donc bénéficier en 1849 d'informations de première main en provenance de Rome. Le fait que Corcelle, très favorable à la restauration papale, soit la source principale d'information de Tocqueville en 1849 explique probablement au moins en partie la politique menée par le ministre Tocqueville [17].
12 Ainsi, d'une part, la principale source d'information dont disposait Tocqueville explique sans doute en partie l'orientation de sa politique. D'autre part, ces nouvelles lui parvenaient sans doute lentement, ce qui constitue peut-être une explication à l'écart existant entre la réalité politique romaine et la politique conduite par le ministre français [18].
13 Toute la politique de Tocqueville repose sur une acceptation critique du régime républicain, auquel il n'adhère pas avec enthousiasme, et auquel surtout il n'adhère que conditionnellement : la seule république acceptable aux yeux du gentilhomme normand est une république libérale et modérée, l'équivalent républicain d'une monarchie parlementaire.
14 L'acceptation de ce fait accompli républicain explique la défense du fait accompli de l'intervention armée dans l'affaire romaine (I). Une fois l'intervention acceptée, l'attitude de Tocqueville va être caractérisée par un refus des extrêmes dont l'origine libérale explique le caractère impolitique (II).
I. De l'acceptation du fait accompli républicain à la défense du fait accompli de l'intervention armée
15 L'action de Tocqueville ministre des Affaires étrangères pendant les événements de Rome de 1849 s'explique en grande partie par une vision libérale de la république (A). L'attitude de Tocqueville se caractérise par l'acceptation critique du fait accompli de l'intervention militaire, qu'il désapprouve pourtant en principe (B).
A. La république libérale de Tocqueville
16 La logique libérale conduit Tocqueville à une relative indifférence à l'égard du régime politique ; peu importe que le régime soit républicain ou monarchique puisque la forme des institutions importe bien moins que la garantie des libertés [19]. Cela n'est pas étonnant chez un auteur qui assurait que l'Ancien Régime portait déjà en lui tous les errements de la Révolution et de ses suites, à commencer par l'individualisme ; un auteur qui assurait en outre que la royauté avait été victime de sa tendance à la centralisation et à l'escamotage des libertés au profit du renforcement de son pouvoir [20].
17 En cela, le libéralisme est davantage un tempérament [21] qu'une vision véritablement politique. Ainsi, Tocqueville pouvait-il déclarer :
18 « Je n'avais nulle foi monarchique, nulle affection ni regrets pour aucun prince ; point de cause à défendre sinon celle de la liberté et de la dignité humaine » [22].
19 Chez Tocqueville, ce tempérament se manifeste en 1848-1849 par l'acceptation du fait accompli républicain mais à certaines conditions. Cette acceptation sous bénéfice d'inventaire s'exprime notamment dans le programme qu'il soumit à ses électeurs pendant la campagne électorale qui allait mener à son élection à l'Assemblée nationale constituante en avril 1848 [23]. Le scepticisme de Tocqueville à l'égard du régime républicain s'inspire de la théorie des climats ; ce n'est pas un régime adapté à la France [24] :
20 « J'ai toujours considéré, d'ailleurs, que la république était un gouvernement sans contrepoids, qui promettait toujours plus, mais donnait toujours moins de liberté que la monarchie constitutionnelle. Et pourtant, je voulais sincèrement maintenir la république [25] ; et bien qu'il n'y eut pour ainsi dire pas de républicains en France, je considérais l'entreprise de la maintenir comme n'étant pas absolument impossible » [26].
21 Le vice principal d'un régime républicain réside selon lui dans sa définition même, qui est l'élection de l'exécutif. Cela d'autant plus dans un pays comme la France, habitué depuis des siècles à la présence d'un exécutif fort [27]. Aussi, la république de Tocqueville est donc une république libérale, modérée, un pis-aller, un rempart contre les excès jacobins. Une république qui au fond ne diffère pas essentiellement d'une monarchie parlementaire [28] :
22 « Je suis entré au pouvoir malgré moi ; j'étais malade dans mon lit quant on est venu me proposer le ministère. Je ne l'ai accepté que dans l'espérance d'y travailler au rétablissement de l'ordre et, comme vous le dites, à l'affermissement de la République modérée et constitutionnelle. Mes amis et moi, nous nous sommes dévoués à cette grande cause. Je veux la servir, pour ma faible part, en tâchant de maintenir la paix dans le monde » [29].
23 Cette république libérale n'est cependant pas neutre, elle s'oppose radicalement, dans l'esprit de Tocqueville, à « la république rouge » [30], c'est-à-dire au républicanisme jacobin des Montagnards de l'Assemblée nationale. Elle s'oppose également aux monarchistes :
24 « Notre but était de fonder, s'il était possible, la république, ou du moins de la maintenir quelque temps, en la gouvernant d'une façon régulière, modérée, conservatrice et toute constitutionnelle, ce qui ne pouvait pas nous laisser longtemps populaires, car tout le monde voulait sortir de la constitution. Le parti montagnard voulait plus qu'elle et les partis monarchiques voulaient bien moins » [31].
25 Il s'agit donc pour le gouvernement auquel appartient Tocqueville, de tenir compte du fait accompli républicain et de mener dans ce cadre une politique modérée, libérale, de naviguer entre les écueils extrémistes :
26 « Je pensais donc que le gouvernement de la République, ayant pour lui le fait et n'ayant jamais pour adversaires que des minorités difficiles à coaliser, pouvait se maintenir au milieu de l'inertie de la masse, s'il était conduit avec modération et avec sagesse. Aussi j'étais déterminé à ne point me prêter aux entreprises qu'on pourrait tenter contre lui, mais à le défendre. Presque tous les membres du Conseil avaient la même pensée. Dufaure croyait plus que moi à la bonté des institutions républicaines et à leur avenir. Barrot était moins enclin que moi à les faire respecter toujours ; mais tous nous voulions, dans le moment présent, les maintenir fermement. Cette résolution commune était, en politique, notre lien et notre drapeau » [32].
27 Lorsque, en 1850, le conflit entre le prince-président et l'Assemblée commença à s'envenimer et qu'il devenait toujours plus clair que les institutions républicaines seraient attaquées, c'est encore la liberté qui le préoccupe davantage que la défense des institutions, ce qui montre bien que le républicanisme de Tocqueville est assez circonstanciel [33].
28 Ainsi s'opposent une vision politico-juridique libérale d'inspiration anglo-saxonne [34] telle qu'elle s'exprime notamment chez Montesquieu et les parlementaires français du xviiie [35], à laquelle Tocqueville adhère, et une vision républicaine et jacobine d'inspiration romaine dont l' uvre de Jean-Jacques Rousseau constitue une étape significative, qu'il combat. À l'idée libérale de « balance des pouvoirs » tirée de Montesquieu [36] s'oppose le modèle romain républicain réinterprété par Rousseau et les républicains français [37].
29 Tocqueville développe lui-même cette opposition lorsqu'il retrace la généalogie de la liberté telle qu'il la conçoit :
30 « Partout [en Europe] on sort de la liberté du Moyen Âge, non pour entrer dans la liberté moderne, mais pour retourner au despotisme antique. Car la centralisation, ce n'est pas autre chose que l'administration de l'Empire romain modernisée » [38].
31 Au-delà des aspects éminemment discutables de ces affirmations, on comprend ainsi facilement pourquoi Tocqueville n'envisage pas la moindre concession à l'égard des Montagnards, héritiers directs des Jacobins de 1793.
32 Le républicanisme de Tocqueville est donc tout sauf enthousiaste ; résultant de la prise en compte du fait accompli, il vise autant à lutter contre les excès révolutionnaires qu'à soutenir un régime en particulier. L'analyse de ce républicanisme, que l'on pourrait qualifier d'« opportuniste », permet de mieux comprendre la politique menée par le ministre des Affaires étrangères en 1849. Surtout, il permet de cerner pourquoi le républicain Tocqueville « trahit » ses homologues romains qui croyaient pouvoir compter sur le soutien de la République française.
B. La position de Tocqueville à l'égard de l'intervention française : l'acceptation critique du fait accompli
33 Après les élections législatives du 13 mai 1849, l'Assemblée nationale est majoritairement conservatrice, monarchiste et catholique, tandis que le cabinet dirigé par Odilon Barrot, remanié le 2 juin, est plus modéré. Sa tâche essentielle sera de calmer les agitations révolutionnaires au-dedans et de gérer l'intervention romaine au-dehors, les deux aspects étant fortement liés.
34 Dans ce contexte, Tocqueville fut nommé ministre des Affaires étrangères presque à son corps défendant [39] et « de manière accidentelle » [40]. Il désapprouvait cette expédition et avait accepté le poste non sans inquiétudes mais avec la ferme intention de « représenter au pouvoir l'idée de la république modérée » [41]. Sa position de principe au sujet de l'intervention dans l'affaire romaine est donc très claire :
35 « Je désapprouvais entièrement, comme on l'a vu, la manière dont l'expédition de Rome avait été entreprise et conduite. Avant d'entrer dans le cabinet, j'avais déclaré solennellement à Barrot que je n'entendais prendre de responsabilités que pour le futur, et que ce serait à lui seul de défendre ce qui s'était fait jusque-là en Italie. Je n'avais accepté le ministère qu'à cette condition » [42].
36 Logiquement, Tocqueville, qui n'avait pris le portefeuille des affaires étrangères que le 2 juin 1849, ne voulait donc pas assumer les décisions prises par son prédécesseur, Odilon Barrot [43], d'autant plus que ce dernier devenait le chef du nouveau cabinet modéré formé le même jour. Il jugeait en effet très sévèrement l'attitude du gouvernement précédent :
37 « Il était difficile de prendre les affaires dans un moment plus critique. L'Assemblée constituante, avant de terminer sa turbulente existence, avait pris une décision, le 7 juin 1849, qui interdisait au gouvernement d'attaquer Rome. La première chose que j'appris en entrant dans le cabinet, c'est que l'ordre d'attaquer Rome était transmis depuis trois jours à notre armée. Cette désobéissance flagrante aux injonctions d'une Assemblée souveraine, cette guerre commencée contre un peuple en révolution, à cause de sa révolution, et en dépit des termes mêmes de la constitution, qui commandaient le respect des nationalités étrangères [44], rendaient inévitable et très prochain le conflit qu'on redoutait » [45].
38 Tocqueville met donc en lumière les hésitations gouvernementales françaises. Selon lui, l'ordre donné d'attaquer les révolutionnaires romains était resté secret jusqu'au 10 juin [46] ; lorsque la nouvelle des premiers combats parvient en France, « la Montagne éclata en paroles furieuses » [47]. Bien évidemment, le non respect de la Constitution, la préparation dans le plus grand secret d'une intervention militaire contre la volonté de la représentation nationale, eurent pour conséquence le déchaînement des Montagnards dont Ledru-Rollin était le représentant le plus éminent [48].
39 La conséquence de la présence de cette opposition montagnarde ou néo-jacobine fut que le gouvernement auquel appartenait désormais Tocqueville tenta dans les premiers jours de son existence de gagner du temps. En effet, pensant que les Montagnards de l'Assemblée avaient une bonne partie du peuple de Paris à leurs côtés, Tocqueville avait peur que la nouvelle de l'attaque de Rome ne cause une véritable révolution.
40 Il écrit ainsi le 10 juin :
41 « nous avons pu retarder les interpellations jusqu'à demain à grand-peine, espérant toujours pouvoir nous abriter derrière le fait accompli. Mais nous ne savons rien encore sinon le résultat de la première journée à savoir la prise des villas Pamphili... et autres positions hors des murs. Nous nous attendons demain à des fureurs extrêmes de la part de la Montagne, ce dont nous ne nous inquiéterons pas outre mesure, si derrière la Montagne ne se trouvait la population de Paris que nos rapports nous montrent comme fort émue ; à ce point, que nous avons dû renoncer à faire faire une procession qui était demandée pour la cessation du choléra, de peur que cela donnât lieu à quelques désordres » [49].
42 Tocqueville change alors de tactique : il avait résolu de ne pas intervenir à la Chambre pour laisser Barrot assumer seul la responsabilité de ses décisions, mais devant la violence des attaques de la Montagne [50], il choisit l'offensive :
43 « Je me tus donc dans la discussion du 11 et laissai Barrot supporter seul l'effort de la bataille. Mais quand, le 12, je vis mes collègues menacés d'accusation, je ne crus pas pouvoir plus longtemps m'abstenir. La demande de nouvelles pièces me donna l'occasion d'intervenir, sans avoir à exprimer d'opinion sur le fond de l'affaire. Je le fis vivement mais en très peu de mots. [...] Dans les moments de crise où l'on touche à la guerre civile, c'est le mouvement de la pensée et l'accent des paroles, plus que leur valeur, qui entraîne. J'avais été droit à Ledru-Rollin ; je l'avais accusé avec emportement de ne demander que le trouble et de semer les mensonges pour le créer. Le sentiment qui me faisait parler était énergique, le ton déterminé et agressif, et, bien que je parlasse fort mal, étant encore troublé de mon nouveau rôle, je fus fort goûté » [51].
44 La lecture du Moniteur rapportant cet épisode donne une impression encore plus vivante de l'intervention de Tocqueville. La première partie de son intervention consiste à répondre à une interpellation de La Claudure, demandant au ministère de justifier sa conduite et de démontrer par des pièces officielles que le décret du 7 juin interdisant au gouvernement d'attaquer Rome n'avait pas été violé. Tocqueville se révèle à cette occasion un habile orateur. Scindant son intervention en deux temps, il affirme tout d'abord que les pièces les plus importantes ont déjà été produites par le gouvernement ou des indiscrétions ; elles sont donc déjà dans le domaine public et les reproduire à nouveau n'apporterait rien. Ensuite, cette demande est hypocrite :
45 « Quand on a jeté, au milieu de cette Assemblée, et lorsque ensuite on a fait répéter, par tous les organes de la presse, un cri de guerre, on ne demande plus de nouvelles pièces » [52].
46 La seconde partie de l'intervention de Tocqueville est encore plus offensive. Il y avance l'idée selon laquelle la revendication en faveur de la production des documents diplomatiques n'est qu'un moyen utilisé par la Montagne pour fomenter des troubles et maintenir une agitation révolutionnaire. Surtout, il y dénonce les contrevérités du discours prononcé la veille par Ledru-Rollin [53]. Ce dernier avait peint une situation militaire catastrophique, des « combats dans lesquels plusieurs milliers de nos soldats avaient été détruits, dans lesquels notre cavalerie avait été dispersée, anéantie ». Très habilement, Tocqueville produisait alors une pièce une dépêche du général Oudinot commandant en chef du corps expéditionnaire datant du 5 juin démontrant que les combats avaient à peine commencé et qu'on en était en fait aux préparatifs de la prise de la ville [54].
47 La majorité conservatrice de l'Assemblée ainsi que le gouvernement accusaient les Montagnards d'appeler à la guerre civile ; ces derniers répliquaient que le principe de souveraineté nationale et la Constitution elle-même leur donnait le droit de prendre les armes puisque les décrets de l'Assemblée étaient violés et la force employée contre un peuple libre [55]. Ce n'étaient pas là seulement des paroles ; le 13 juin en effet, une tentative de soulèvement guidée par les chefs de la Montagne, Ledru-Rollin en tête, eu lieu à Paris et dans quelques villes de province. L'échec de ce mouvement insurrectionnel condamnait à la fois les républicains français à l'exil volontaire ou à la déportation [56] ; il condamnait également les républicains romains, privés désormais de tout soutien en France.
48 Dès lors, le rôle de Tocqueville sera celui de modérer les conséquences du fait accompli de l'intervention française à travers la gestion diplomatique des relations avec l'Autriche et le pape. Cette gestion sera guidée par le refus des extrêmes, caractéristique d'un tempérament libéral.
II. Le refus libéral des extrêmes et son caractère impolitique
49 L'opinion de Lucien Jaume selon laquelle l'action menée par Tocqueville était toujours étroitement liée à sa réflexion théorique est particulièrement adaptée à la conduite du ministre des Affaires étrangères dans le règlement de la question romaine. Ce dernier, indifférent aux réalités de la situation politique romaine, s'évertue à vouloir s'appuyer sur un parti libéral et modéré qui n'existe pas à Rome (A). Dès lors, en partant du cas pratique que constitue en quelque sorte la question romaine, on ne peut que constater le caractère impolitique et fataliste du libéralisme de Tocqueville (B).
A. L'illusion d'une intervention libérale
50 « Je vois avec un chagrin très vif ce que vous me dites de l'esprit des habitants de Rome et de l'absence, du moins, quant à présent, d'un parti moyen placé entre les deux extrêmes. Il n'y a cependant que ce parti-là sur lequel nous puissions nous appuyer et qui puisse représenter l'esprit et l'influence de la France. Tous vos efforts doivent tendre à le faire naître ou à lui donner de la force [...] » [57].
51 Ainsi Tocqueville s'adresse-t-il à l'envoyé extraordinaire de la France à Rome et ami Francisque de Corcelle, le 20 juin 1849. Il ajoute qu'il serait diplomatiquement néfaste pour la France que la restauration du pouvoir temporel du pape se fasse « au milieu du silence et de l'immobilité de la population romaine ». Il faut donc, pour que l'opération militaire soit également un succès politique,
52 « [...] rétablir le drapeau papal à l'aide d'une manifestation romaine. Cela est indispensable, à notre avis. Et pour atteindre ce résultat, si nous n'avons pas la réalité il faut, au moins, absolument produire l'apparence. C'est le seul moyen de rattacher l'expédition à l'un des buts principaux que nous lui avions donné et que l'Assemblée nationale a toujours voulu lui maintenir, celui de venir en aide à la volonté réelle et aux désirs cachés des populations romaines » [58].
53 Si la réalité d'un soutien romain à la politique française n'existe pas, il faut donc au moins en produire l'apparence, il faut la susciter ; si l'opinion romaine n'est pas libérale, il faut la manipuler pour donner l'impression qu'elle l'est :
54 « Il est impossible qu'on ne puisse pas suggérer et faire naître une manifestation et une démonstration romaines quelconques, si on s'y prend avec une certaine adresse » [59].
55 L'analyse de Tocqueville repose sur le fait que les extrêmes tendent à se renforcer mutuellement : républicains extrémistes et papistes sont complices dans l'emploi de la violence et de la répression [60]. Mais les républicains surtout sont constamment qualifiés de « démagogues » ce qui montre que Tocqueville leur refuse le bénéfice de la bonne foi [61]. Dans un filon idéologique typiquement libéral, il rend donc les révolutionnaires responsables de cette bipolarisation. Ainsi, s'adressant aux républicains français, il écrit :
56 « C'est vos amis qui ont fait reculer la liberté en Italie. Sur quel point de l'Italie n'ont-ils pas été le parti ruineur de la liberté ? [...] Qui eût pu non espérer mais imaginer une constitution librement donnée par un pape ? » [62].
57 En se lamentant ainsi de l'inexistence d'un « parti moyen », d'un centre libéral et modéré, Tocqueville démontre implicitement qu'il aspire à un ordre politique abstrait, et qu'il refuse de tenir compte de la bipolarisation réelle de la vie politique romaine. De fait, pour lui, l'échec de l'intervention française est patent dès lors qu'après la prise de Rome, les Français ont bien du mal à trouver des modérés pour administrer la ville [63]. Cela explique que l'intervention française soit apparue comme ayant unilatéralement contribué à restaurer purement et simplement l'absolutisme pontifical.
58 Bien sûr, en principe, le libéral Tocqueville refuse également le républicanisme socialisant et l'absolutisme papal. Mais la faiblesse de cette position réside dans son irréalisme [64], dans la mesure où une troisième voie, dans les faits, n'existe pas [65]. Pourtant, même après la prise de la ville par les troupes françaises, le ministre se cramponnera à cette illusion [66]. De même, interpellé à la Chambre sur le fait que l'intervention française avait à la fois compromis la démocratie et la religion, par la destruction de la République romaine et par la restauration d'un pouvoir temporel du pape non indispensable à l'indépendance de l'Église, il répondit en deux temps [67] : il réaffirma d'abord la nécessité de la souveraineté temporelle du pape pour garantir son indépendance ; ensuite, il exhorta le pape à continuer les réformes libérales entreprises dans ses États en 1848 [68]. C'était oublier qu'entre-temps, la situation politique concrète avait évolué à Rome. Le résultat, concrètement, sera la restauration sans conditions de la souveraineté temporelle du pape [69].
59 Cette philosophie politique du « juste milieu » s'exprime également a posteriori dans les reproches faits par Tocqueville au gouvernement temporel de la papauté [70]. Celui-ci n'est pas compatible avec des « institutions libres » et tous les Italiens y sont opposés [71]. Surtout, la papauté n'a pas fait usage de son pouvoir pour améliorer la situation concrète de ses sujets :
60 « aussi, ce que je reproche aux papes c'est bien moins de n'avoir pas donné à leurs pays la liberté politique, que de n'avoir pas su se servir du gouvernement absolu pour faire entrer leur peuple dans le mouvement général de la civilisation moderne ; je ne leur demanderais encore aujourd'hui qu'un despotisme éclairé » [72].
61 Ces reproches, Tocqueville ira même jusqu'à les faire à son ami Francisque de Corcelle, accusé de tout faire pour convaincre le pape de procéder à des réformes institutionnelles d'inspiration libérale cela, Tocqueville l'approuve quitte à privilégier les bonnes relations avec le Saint-Siège en cas d'échec. Tocqueville, lui, veut bien pousser la papauté à se réformer, mais sans aller jusqu'à cautionner le rétablissement pur et simple « d'un gouvernement détestable » [73]. Une fois de plus, il s'agissait d'une position refusant de prendre en compte la situation politique concrète de Rome en 1849 au nom d'une hypothétique voie médiane.
62 En somme, même s'il s'agissait de tenir compte, là encore, de l'état concret des institutions de la papauté pour atteindre l'objectif du bien public, le refus de tenir compte des incompatibilités profondes entre souveraineté temporelle du pape et réformisme social aboutissait à une protestation de principe modérée sans effet réel [74]. Dans ce cas, le refus d'une conception dualiste de la politique, le refus de concevoir la politique comme décision à prendre en fonction des alternatives existantes et non souhaitées, aboutissait à un échec politique.
B. Le caractère impolitique et fataliste du libéralisme de Tocqueville
63 Il est classique de souligner que l'idéologie libérale est une idéologie qui contient en soi la destruction du politique, une idéologie impolitique. Cela a été largement démontré par Julien Freund [75].
64 Une fois le fait accompli de la destruction de la République romaine entériné, la « politique » de Tocqueville a consisté à essayer de tirer parti de la situation. En substance, il s'agit pour lui de s'opposer à l'action de l'Autriche en Italie, et donc provisoirement à contenir son expansion par la conclusion d'un accord provisoire, destiné essentiellement à gagner du temps. La décision d'intervenir dans l'affaire romaine résulte donc de la soumission à la force des choses, dans la mesure où la puissance de l'Autriche en Italie ne saurait être niée [76], en particulier la « fatalité » en vertu de laquelle l'indépendance du pape ne pouvait être garantie que par son pouvoir temporel. De fait, on trouve dans cette pensée tocquevillienne l'idée physiocratique et libérale remontant au xviiie siècle d'ordre naturel ou de ce qu'Adam Smith appelle « main invisible ».
65 Mais cette gestion du fait accompli, attitude typiquement libérale, se révèle par là même fondamentalement impolitique. En tout cas, la critique décisionniste à l'égard du libéralisme peut voir en Tocqueville un exemple très révélateur : le libéralisme est fondamentalement une vision du monde impolitique parce qu'il refuse la décision, le caractère irrationnel, car humain, du phénomène politique, au profit d'un hypothétique ordre naturel. Tout cela justifié par l'argument du réalisme :
66 « l'antagonisme de la France et de l'Autriche en Italie est inévitable à la longue. Mais dans la circonstance présente et actuelle, un accord momentané et sincère me paraît possible. Les Autrichiens ont, comme nous, intérêt à ce que le pape fasse un établissement qui dure et ne soit pas un vain et passager replâtrage de l'ancien régime ; comme nous, ils ont intérêt à ce que la guerre générale ne sorte pas de notre présence en Italie ; enfin, ils doivent désirer fort ardemment que nous retirions le plus tôt possible notre armée, dont la présence ne tardera pas, malgré qu'elle ait servi à détruire la République romaine, à être le point de mire et l'espérance de tout le libéralisme italien. Si nous ne demandons en politique que des choses raisonnables et praticables, nous pouvons donc espérer d'être appuyés par l'Autriche et surtout trouver en elle le plus zélé concours pour obtenir les réformes d'un caractère non essentiellement politique » [77].
67 Dans une lettre à Joseph-Alexandre von Hübner [78], alors chargé de mission extraordinaire pour l'Autriche à Paris, Tocqueville explique la politique libérale qui est la sienne une fois liquidée la république romaine. Selon Tocqueville, le point de départ de toute discussion serait l'acceptation par le pape du régime constitutionnel. Mais selon Tocqueville, le pape et l'Autriche demandent trop de concessions : de ce fait,
68 « marcher en parfait accord avec l'Autriche et s'arranger immédiatement avec le pape sont, sans doute, des résultats très désirables, mais qu'il ne faut cependant pas payer par l'abandon de tous nos principes et par l'impopularité du parti de l'Ordre en France. Il y a parmi nous, je ne l'ignore pas, un certain nombre d'hommes qui voudraient qu'on ne fit aucune condition à Sa Sainteté mais l'immense majorité dans le pays, demande du pape bien plus que nous ne lui demandons. Je sais très bien tout ce qu'il y a de délicat et de difficile dans un désaccord avec une puissance spirituelle et pour ainsi dire intangible comme celle du Saint-Siège. Mais je sais encore mieux quelles sont les nécessités absolues de notre politique. Si le pape s'obstine à refuser les propositions si modérées que nous lui soumettons, eh bien ! nous en appellerons par un document public au sentiment des catholiques sincères et libéraux de l'Italie et du reste de l'Europe. Nous ferons connaître ce que nous demandons et ce qu'on nous refuse. L'opinion publique jugera. Nous reprendrons en nos mains l'administration de Rome et de tous les pays que nous occupons, nous les gouvernerons avec nos lois en attendant qu'il plaise au pape de venir les gouverner lui-même en adoptant celles que nous réclamons. C'est une mauvaise solution, je le confesse ; mais infiniment meilleure que celle qui consisterait à quitter immédiatement l'Italie, en ne rapportant pour prix de l'expédition que la haine du peuple romain et le mécontentement de la nation française » [79].
69 Il apparaît donc de façon évidente dans ces lettres, que la pensée de Tocqueville est, au moins en ce qui concerne la gestion concrète de la question romaine, fondamentalement caractérisée par le refus du politique. Elle se caractérise donc par un profond irréalisme. En effet, penser que l'intervention française ait pu, à la fois, « détruire la République romaine » et « être le point de mire et l'espérance de tout le libéralisme italien » relève davantage du v u pieux que d'une vision rationnelle de la situation. D'autre part, le fait de vouloir s'entendre avec l'Autriche pour obtenir du pape des réformes « d'un caractère non essentiellement politique » signifie la non acceptation implicite de la reconnaissance du phénomène politique en tant que phénomène de puissance, comportant éventuellement le recours à la force, mais surtout reposant sur la décision [80]. Enfin, croire que le fait d'en appeler « par un document public » à l'opinion publique européenne pourrait faire plier le pape, relève d'une certaine naïveté [81].
70 Ce refus de la décision, donc du politique, se retrouve également dans le programme réformiste concret de Tocqueville : celui-ci souhaite en effet l'instauration d'une assemblée représentative pour voter les impôts, la mise en place de réformes judiciaires [82] et administratives, notamment l'instauration de libertés municipales, la sécularisation de l'administration, l'abolition des tribunaux ecclésiastiques pour les laïcs. Ainsi, en réformant les pratiques, Tocqueville espérait développer de nouvelles m urs politiques, et rendre à long terme une constitution libérale des territoires pontificaux. Encore une fois, il s'agit de ne pas prendre de grandes décisions politiques, de rester en apparence dans la sphère de l'apparente objectivité du rationalisme administrateur ; il s'agit de ne pas faire de politique [83].
71 Que Tocqueville soit un démocrate modéré et fataliste est bien connu : les mémorables derniers chapitres de De la démocratie en Amérique sur le « despotisme démocratique » à venir ont eu le succès que leur justesse prophétique méritait [84]. Il a peut-être été moins souligné que le fatalisme de Tocqueville était consubstantiel à son libéralisme, le fatalisme typiquement libéral du « laissez-faire, laissez-passer » [85] ; ce dernier trait, il est vrai, s'exprime avec plus de force dans l' uvre plus intime qu'est la correspondance privée [86].
72 Son action pendant la Révolution romaine de 1849 est une démonstration pratique de ce fatalisme. Dès le mois de septembre 1849, Tocqueville renonce à son programme de réforme des États pontificaux, qui conditionnait pourtant toute son action :
73 « Je ne vous parle plus des réformes à réclamer du pape. Je vous ai déjà dit que je croyais qu'il n'y avait plus rien à faire dans ce sens » [87].
74 Comme l'écrivait Julien Freund,
75 « c'est au niveau des objectifs que l'on manifeste sa compétence politique [...]. Être un théoricien de l'économie politique est une chose, diriger avec efficacité et autorité une entreprise en est une autre. Il en est de même en politique. Ce n'est pas en échafaudant les points d'un programme qu'on manifeste ses capacités d'homme politique. L'aspiration à la liberté, à la paix, à l'égalité n'est ni un signe ni un critère de compétence » [88].
76 Et précisément,
77 « personne ne discutera la noblesse des fins des révolutionnaires de 1848, mais, comme Tocqueville l'a exposé sans aucune acrimonie dans ses Souvenirs, ils ont creusé leur propre tombe par incapacité, par absence d'unité et d'autorité et par manque de tempérament. La compétence se mesure à la sagacité, à l'habileté et à l'intelligence dans le maniement des moyens matériels » [89].
78 Paroles terribles et d'ailleurs justes à l'encontre des révolutionnaires de 1848, mais tout aussi terribles si l'on mesure l'efficacité de la politique de Tocqueville lui-même dans la conduite de la politique étrangère de la France en 1849 [90]. Il s'agit là d'une conséquence de son libéralisme car comme l'écrit Lucien Jaume,
79 « il semble avoir mieux analysé les aspects culturels et sociaux du phénomène [révolutionnaire] (la tendance à l'égalité des conditions) que ses effets institutionnels et de symbolique du pouvoir : en témoigne sa répugnance à employer le terme de souveraineté [...] » [91].
80 Reste que l'échec personnel de Tocqueville en tant qu'acteur politique après le coup d'État du 2 décembre 1851 [92], consécutif aux événements romains de 1849 aura toutefois une conséquence positive pour l'histoire des institutions et des idées politiques : la retraite forcée du gentilhomme normand lui permettra en effet de rédiger d'abord ses Souvenirs puis surtout l'Ancien Régime et la Révolution, qu'il publiera en 1856 [93].
Notes
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[1]
Laurent Reverso est maître de conférences d'histoire du droit à l'Université de Tours.
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[2]
Le présent travail résulte d'une communication au colloque sur la République romaine de 1849, prononcée à Rome le 30 avril 2006. Depuis 1999 chaque année, se tient en effet à l'Università degli Studi di Roma « La Sapienza », un colloque organisé par le professeur Pierangelo Catalano, consacré à la République romaine de 1849. Les communications des universitaires français à ces colloques jusqu'en 2005 viennent d'être publiées en France : La République romaine de 1849 et la France, textes réunis par Laurent Reverso, préface de Pierangelo Catalano, Paris, L'Harmattan, Méditerranées, 2008. Pour les sources, on a utilisé l'édition des uvres complètes publiées sous la direction de Jacob-Peter Mayer aux éditions NRF-Gallimard (ci-après OC avec le no du tome et du volume).
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[3]
Notamment lorsque, entre octobre et décembre 1848, il fut chargé par le gouvernement français d'une médiation entre l'Autriche et le Piémont ; Françoise Mélonio, « L'idée de nation et l'idée de démocratie chez Tocqueville », Littérature et nation, 1991/7, p. 6.
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[4]
La plupart du temps, et à juste titre, l'intervention française dans son ensemble est présentée comme ayant changé d'objectif suite aux élections législatives du 13 mai 1849 en France qui virent la victoire du « parti de l'ordre » catholique et monarchiste ; Pierre Milza, Histoire de l'Italie. Des origines à nos jours, Paris, Fayard, 2005, p. 685 : « Destiné au départ à favoriser une conciliation entre le gouvernement républicain et le pape, celui-ci [le corps expéditionnaire] fut utilisé d'une tout autre manière à la suite des élections législatives qui, en France, donnèrent la majorité au parti de l'ordre. Pressé par l'opinion catholique, Louis-Napoléon décida en effet d'appuyer par la force le retour de Pie IX dans ses États ».
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[5]
Cette vision est rendue par Françoise Mélonio, « Tocqueville et la restauration du pouvoir temporel du pape (juin-octobre 1849) », Revue historique, CCLXXI/1-1984, p. 109.
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[6]
Ainsi, dans une Adresse à l'Assemblée nationale de la République française du 4 septembre 1848, rédigée à l'occasion de la médiation française auprès de l'Autriche, Giuseppe Mazzini écrivait : « la France, obéissant aux exigences du temps, venait de rompre avec ses vieilles traditions monarchiques ; elle venait de proclamer la République ; et, par ses manifestes à l'Europe et au sein de son Assemblée, elle proclamait sa foi dans la réorganisation des nationalités. Sous cette puissante impulsion, les peuples réveillés avaient salué l'inauguration d'une politique nouvelle et généreuse, basée non plus sur l'usurpation des droits par les princes, ni sur la force aveugle et brutale, mais sur la justice éternelle et sur la conscience des nations ». Mazzini jugeait bon de préciser également « que le mouvement italien est surtout un mouvement national, tendant essentiellement à l'unification de l'Italie et à l'affranchissement intégral de son territoire de toute domination étrangère directe ou indirecte » ; Giuseppe Mazzini, « Indirizzo all'Assemblea nazionale della Repubblica francese », Scritti editi e inediti, vol. 38, Imola, Paolo Galeati, 1923 (réimp. 1950), p. 223 & 225. Puis, dans une lettre du 30 novembre 1848 directement adressée à Tocqueville, alors représentant de la France à la Conférence internationale sur les affaires d'Italie, Mazzini avertissait : « ce n'est pas en effet, Messieurs, une question lombarde que vous avez devant vous ; c'est une question italienne. [...] C'est un problème de Nationalité que nous avons à résoudre. [...] Exclusion de l'Autriche du sol italien, et libre expression de la Souveraineté Nationale, la première comme garantie d'Indépendance, la seconde comme garantie de notre Liberté ; c'est là, Messieurs, ce que veut le seul Parti qui existe chez nous, le Parti National » ; Giuseppe Mazzini, « Ai Signori Tocqueville e Lord Minto, rappresentanti la Francia e l'Inghilterra nelle conferenze sugli affari d'Italia », Ibid., p. 303-305. Massimo d'Azeglio concluait également au peu de compréhension du phénomène national de la part de Tocqueville : Françoise Mélonio, « Tocqueville et la restauration du pouvoir temporel du pape (juin-octobre 1849) », art. cit., p. 115. Bien que Tocqueville n'ait pas exprimé d'opinion sur la question nationale italienne, un indice permet de penser qu'il n'était pas, en général, favorable à l'idée nationale puisqu'il se montre très explicitement hostile à l'unification de l'Allemagne : dans une lettre à Gustave de Beaumont, 27 août 1848, OC, VIII/2, p. 29, il admet à la fois sa surprise devant la force et le sérieux de l'aspiration des peuples germaniques à l'unité, et il affirme en même temps que « rien ne serait plus redoutable pour nous qu'un tel événement ». Dans une autre lettre à Gustave de Beaumont (3 septembre 1848, OC, VIII/2, p. 38), il écrit encore : « Je sais très bien tout ce qu'il y a de dangereux pour la France au point de vue de sa politique permanente à ce qu'il se fonde une unité gouvernementale en Allemagne ». Il faut enfin noter qu'Edgar Quinet, dans La croisade autrichienne, française, napolitaine, espagnole contre la République romaine, opuscule publié en 1849, attaquera également Tocqueville pour sa méconnaissance du fait national, et en général le jugera responsable de la fin de l'expérience républicaine romaine. Il y reviendra dans La question romaine devant l'histoire (1848 à 1867) publié en 1868. À ce sujet : Xavier Conabady, Le sentiment national dans les écrits de Michelet, Quinet et Renan, thèse histoire du droit, Paris 12, 2002, 352 p.
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[7]
Comme en témoigne ses Souvenirs, III, IV, p. 251 : « j'entretins surtout des rapports d'amitié avec l'Autriche, dont le concours nous était nécessaire, ainsi que je dirais plus loin, dans l'affaire de Rome ». Malheureusement, l'ouvrage étant resté inachevé à la mort de Tocqueville, on ne dispose pas de plus de développements sur « l'affaire de Rome ». Par contre, les lignes suivantes décrivent précisément le rôle joué par Tocqueville dans la médiation qu'il conduisit entre le Piémont et l'Autriche à l'automne 1848. Dans cette affaire, comme pour la question romaine l'année suivante, Tocqueville va s'efforcer de tenir une position médiane permettant que le Piémont ne « perdît ni son indépendance qui le séparait de l'Autriche, ni ses institutions constitutionnelles, nouvellement acquises, qui le rapprochaient de nous ». Il s'agit là d'une anticipation de la position qu'il tiendra en 1849 à propos de la République romaine, ce qui démontre que celle-ci n'était pas le fruit des circonstances mais d'une vision politique générale. Les relations avec l'Autriche lui tiennent à c ur, comme en témoigne la lettre à Gustave de Beaumont (4 septembre 1849, OC, VIII/2, p. 169).
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[8]
Françoise Mélonio, « L'idée de nation et l'idée de démocratie chez Tocqueville », art. cit., p. 6-7.
-
[9]
André Jardin, Alexis de Tocqueville, Paris, Hachette, Pluriel, 1984, p. 215 et suiv.
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[10]
Raymond Aron, Les étapes de la pensée sociologique, Paris, Gallimard, TEL, 1967, p. 251-257. Cette question a donné lieu à des débats complexes qui sont bien rendus par Serge Audier, Tocqueville retrouvé : genèse et enjeux du renouveau tocquevillien français, Paris, Vrin-EHESS, 2004, p. 78-86.
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[11]
De la démocratie en Amérique, II, IV, 28 : « je suis convaincu toutefois que l'anarchie n'est pas le mal principal que les siècles démocratiques doivent craindre, mais le moindre. L'égalité produit en effet deux tendances : l'une mène directement les hommes à l'indépendance et peut les pousser tout à coup jusqu'à l'anarchie, l'autre les conduit par un chemin plus long, plus secret, mais plus sûr, vers la servitude ».
-
[12]
Selon la formule de Pierre Manent, Tocqueville et la nature de la démocratie, Paris, Julliard, 1982, p. 121.
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[13]
Agnès Antoine, « Politique et religion chez Tocqueville », La Revue Tocqueville, XVIII-1997/1, p. 39-40.
-
[14]
Raymond Aron, Les étapes de la pensée sociologique, op. cit., p. 233-236 & 247 ; Pierre Manent, Tocqueville et la nature de la démocratie, op. cit., p. 122-123. Il faut remarquer que la question de l'appréhension du phénomène religieux par Tocqueville a fait l'objet d'études, à partir notamment de l'analyse de De la démocratie en Amérique et de L'Ancien Régime et la Révolution, mais sans tenir compte de l'action de Tocqueville en 1849, confronté directement à une question politico-religieuse comme l'était la question romaine. C'est encore le cas dans la biographie intellectuelle récemment publiée par Lucien Jaume, Tocqueville : les sources aristocratiques de la liberté, Paris, Fayard, 2008, p. 178 et suiv.
-
[15]
Comme l'écrit Lucien Jaume, « Tocqueville et le problème du pouvoir exécutif en 1848 », RFSP, 41-1991/6, p. 739 : « ses options dans le débat politique sont étroitement liées à sa réflexion théorique ».
-
[16]
En fait, Francisque de Corcelle était un chargé de mission extraordinaire de la diplomatie française alors que l'ambassadeur en titre à Rome était François-Eugène-Gabriel D'Harcourt, qui ne fut rappelé de Rome que le 11 juillet 1849. Corcelle y était arrivé depuis le 19 juin avec des pouvoirs secrets et ne pouvait donc rien entreprendre d'officiel. D'ailleurs sa situation diplomatique à l'égard du gouvernement pontifical ne fut réglée que le 2 août. Cette question est expliquée dans une lettre à Francisque de Corcelle (2 août 1849, OC, XV/1, p. 344-346). Si on ajoute le général Oudinot, chef du corps expéditionnaire et Rayneval qui remplaça Corcelle pendant sa maladie entre le 27 juillet et le 2 septembre, on comprend que la présence concomitante de ces quatre personnages dans la direction à un titre où à un autre de la politique de la France à Rome n'ait mené qu'à une regrettable confusion des pouvoirs, à laquelle Tocqueville tarda à mettre fin ; Maurice Degros, « Les « Souvenirs », Tocqueville et la question romaine », Alexis de Tocqueville. Livre du centenaire, op. cit., p. 162-163 ; André Jardin, Alexis de Tocqueville, op. cit., p. 410-411.
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[17]
La position de Francisque de Corcelle nous est connue grâce à la correspondance que les deux amis tinrent en 1849, mais aussi plusieurs années après les événements de Rome, au moment où Corcelle fit paraître un article intitulé « Du gouvernement pontifical » dans Le Correspondant, T. 38, 1856 (25 juillet, p. 654-674 & 25 août, p. 705-739), dans lesquels il justifiait la restauration du gouvernement temporel du pape et en admirait la modération. Il ressort de la correspondance entre les deux hommes que Tocqueville était plus modéré, approuvant certes la restauration du pape, mais convaincu de l'incapacité de son gouvernement à se réformer.
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[18]
Ce détail est fourni par une lettre écrite par Tocqueville à Jean-Jacques Ampère lors du voyage qu'il fit en Italie avec sa femme à partir de novembre 1850 (13 décembre 1850, OC, XI, p. 196) : « le délai que vous nous fixez est bien long et j'ai presque autant murmuré, en lisant votre lettre, contre les lenteurs de l'administration romaine que je le faisais en parcourant les dépêches de Corcelle ou de Rayneval [alors ambassadeur à Naples], il y a dix-huit mois ». Même indice dans une lettre à Francisque de Corcelle du 21 février 1851, OC, XV/2, p. 41.
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[19]
Ce qui ne l'empêchera pas de participer activement en 1848 à la commission pour l'élaboration de la constitution élue par l'Assemblée ; Antoine Leca, Lecture critique d'Alexis de Tocqueville, Aix-en-Provence, PUAM, 1988, p. 86-88.
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[20]
Dans L'Ancien Régime et la Révolution, II, IX-XI.
-
[21]
Un tempérament bourgeois résolument tourné vers la préoccupation de la prospérité et de la tranquillité, au détriment de l'héroïsme, « de la poésie, du bruit, de la gloire » qui s'exprime notamment dans De la démocratie en Amérique, I, IIe partie, ch. VI, Activité qui règne dans toutes les parties du corps politique aux États-Unis ; Raymond Aron, Les étapes de la pensée sociologique, op. cit., p. 225-226. Du reste, ce tempérament libéral peut également être relié au fatalisme teinté de romantisme de Tocqueville sur lequel on reviendra plus loin qui est très clairement révélé par sa correspondance familiale ; Lucien Jaume, Tocqueville, op. cit., p. 249 ; Laurence Guellec, « Tocqueville à travers sa correspondance familiale », La revue Tocqueville, XIX-1998/2, p. 190-192. L'influence du romantisme sur Tocqueville est particulièrement évidente par exemple dans une lettre à Marie Motley (sa future épouse) du 30 août 1834, OC, XIV, p. 391-394 : promenade solitaire à cheval, château en ruine, nuit, évocation de Walter Scott, rien de manque ; André Jardin, Alexis de Tocqueville, op. cit., p. 191.
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[22]
Souvenirs, II, V, p. 124. Cette relative indifférence à l'égard des formes institutionnelles et de la question dynastique est une constante chez Tocqueville puisqu'elle était déjà repérable dans son attitude en 1830 ; ibid., II, I, p. 86 : « J'avais ressenti, jusqu'à la fin, pour Charles X un reste d'affection héréditaire, mais ce roi tombait pour avoir violé des droits qui m'étaient chers, et j'espérais encore que la liberté de mon pays serait plutôt ravivée qu'éteinte par sa chute ». Lucien Jaume, « Tocqueville et le problème du pouvoir exécutif en 1848 », art. cit., p. 742-743 ; Paul Bastid, « Tocqueville et la doctrine constitutionnelle », Alexis de Tocqueville. Livre du centenaire (1859-1959), Paris, CNRS, 1960, p. 45.
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[23]
Souvenirs, II, IV, p. 108-109 : « J'ajoutais que j'avais été fidèle jusqu'au bout au serment que j'avais prêté à la monarchie, mais que la république, venue sans mon concours, aurait mon appui énergique, que je ne voulais pas seulement la laisser subsister, mais la soutenir. Puis je reprenais : "Mais de quelle république s'agit-il ? Il y a des gens qui entendent par république une dictature exercée au nom de la liberté ; qui pensent que la république ne doit pas seulement changer les institutions politiques, mais remanier la société elle-même ; il y en a qui croient que la république doit être conquérante et propagandiste. Je ne suis pas républicain de cette manière" ».
-
[24]
Souvenirs, III, II, p. 209 : « Je ne croyais pas plus alors [en 1848] que je ne crois aujourd'hui [en 1851] que le gouvernement républicain fût le mieux approprié aux besoins de la France ».
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[25]
La sincérité de Tocqueville ne fait pas de doute puisqu'il écrit à partir du 16 septembre 1851, au moment où la république est en train d'être enterrée par Louis-Napoléon Bonaparte : Souvenirs, III, I, p. 196. De plus, dans ses Souvenirs, il exprime la même idée alors que ceux-ci ne sont pas destinés, de l'aveu même de l'auteur, à la publication, de façon, justement, à être pleinement sincères : Souvenirs, I, I, p. 29. D'ailleurs, ces Souvenirs ne furent publiés pour la première fois qu'en 1893 car Tocqueville avait expressément recommandé dans son testament de ne pas les faire publier tant que les personnes concernées par cet ouvrage étaient encore en vie : Maurice Degros, « Les « Souvenirs », Tocqueville et la question romaine », art. cit., p. 169.
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[26]
Souvenirs, III, II, p. 209. Lucien Jaume, « Tocqueville et le problème du pouvoir exécutif en 1848 », art. cit., p. 743-744.
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[27]
Souvenirs, III, II, p. 209 : « Ce que j'entends à proprement parler par le gouvernement républicain, c'est le pouvoir exécutif électif. Chez un peuple où les habitudes, les traditions, les m urs ont assuré au pouvoir exécutif une place si vaste, son instabilité sera toujours, en temps agité, une cause de révolution ; en temps calme, de grand malaise ».
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[28]
Ou monarchie constitutionnelle selon l'expression de Tocqueville ; il faut noter que dans De la démocratie en Amérique, I, VIII, dans un paragraphe intitulé « En quoi la position du président aux États-Unis diffère de celle d'un roi constitutionnel en France », Tocqueville avait comparé les modes de fonctionnement de ces deux types de pouvoir exécutif. Il avait conclu que « le principe générateur des lois est donc, à vrai dire, le même chez les deux peuples, quoique ses développements y soient plus ou moins libres, et que les conséquences qu'on en tire soient souvent différentes. Ce principe, de sa nature, est essentiellement républicain. Aussi pensé-je que la France, avec son roi, ressemble plus à une république que l'Union, avec son président, à une monarchie ». Ainsi, une fois encore, la nature institutionnelle du régime compte moins que son fonctionnement aux yeux de Tocqueville ; Lucien Jaume, « Tocqueville et le problème du pouvoir exécutif en 1848 », art. cit., p. 745 ; Paul Bastid, « Tocqueville et la doctrine constitutionnelle », art. cit., p. 50 ; Antoine Leca, Lecture critique d'Alexis de Tocqueville, op. cit., p. 722-725.
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[29]
Lettre à Georges Bancroft, 15 juin 1849, OC, VII, p. 125-126. Georges Bancroft (1800-1891) fut historien, auteur d'une Histoire des États-Unis en neuf tomes, publiée entre 1834 et 1866. Démocrate, il fut secrétaire à la marine entre 1845 et 1846, puis ministre à Londres entre 1846 et 1849.
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[30]
Lettre à Francisque de Corcelle, 10 juin 1849, OC, XV/1, p. 249. Il ne faut pas confondre les montagnards, que Tocqueville combattait politiquement, et les socialistes qui ne se confondaient pas avec eux mais que Tocqueville avait également en horreur : Souvenirs, II, X, p. 178. Du reste, il est significatif que lorsque L'Ancien Régime et la Révolution parut en 1856, l'ouvrage fut généralement bien accueilli moyennant quelques critiques sur des points particuliers par les monarchistes et pas du tout par les révolutionnaires. Tocqueville lui-même indique qu'il s'attendait plutôt au contraire tant ce qu'il avait écrit était pensait-il « terrible » à l'égard de l'Ancien Régime : lettre à Louis de Kergorlay, OC, XIII/2, p. 309-310.
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[31]
Souvenirs, III, I, p. 202. Même idée dans une lettre à Gustave de Beaumont, du 24 septembre 1848, OC, VIII/2, p. 53 : « Le parti de la République honnête et modérée a presque disparu hors de l'Assemblée. On est placé entre une petite minorité qui veut la république sociale ou rouge et une majorité immense qui ne veut entendre parler d'aucune république quelconque ».
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[32]
Souvenirs, III, II, p. 210.
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[33]
Lettre à Gustave de Beaumont, 14 juin 1850, OC, VIII/2, p. 276 : « Je me demande si la Constitution est supportable, telle qu'elle est, et modifiable régulièrement ; si la République elle-même est possible dans l'état présent des esprits ; si, de toutes les formes que pouvait prendre le gouvernement, elle n'est point la plus dangereuse à la liberté que nous aimons. Ceci m'amène à me demander si c'est avec raison que nous nous obstinons à maintenir cette Constitution et à défendre cette République et si ce ne serait pas faire un meilleur emploi de notre modération [...] que de chercher les moyens de sortir de la Constitution de la façon la moins irrégulière possible et la plus respectueuse pour la volonté nationale et d'essayer si, ne pouvant pas sauver la République, on ne pourrait pas du moins empêcher la liberté de périr avec elle ».
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[34]
C'est très clair dans L'Ancien Régime et la Révolution, I, IV, lorsqu'il décrit l'Angleterre comme une nation ayant préservé les formes de « l'ancienne constitution de l'Europe » tout en l'ayant renouvelé par la mobilité sociale, l'égalité devant la loi, la liberté de la presse ou encore la publicité des débats.
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[35]
L'Ancien Régime et la Révolution, II, XI, présente les parlements comme d'ardents et désintéressés ! défenseurs des libertés face à un État monarchique envahissant ; on ne peut donc que souscrire à la thèse de Lucien Jaume, Tocqueville, op. cit., p. 373-374 & 392, sur les origines aristocratiques du libéralisme de Tocqueville. Serge Audier, Tocqueville retrouvé, op. cit., p. 62 et suiv. a montré sur les traces de Raymond Aron le lien de filiation unissant, au moins du point de vue de la méthode sociologique, Montesquieu et Tocqueville.
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[36]
Esprit des lois, XI, 4-6.
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[37]
Pierangelo Catalano, Populus Romanus Quirites, Torino, Giappichelli, 1970, p. 7-12 & 26-33 ; idem, « "Romanité ressuscitée" et Constitution de 1793 », L'An I et l'apprentissage de la démocratie, Roger Bourderon (dir.), Saint-Denis, Éditions PSD, 1995, p. 167-187.
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[38]
Lettre à son neveu Hubert de Tocqueville, 25 mars 1855, OC, XIV, p. 307.
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[39]
Lettre à Paul Clamorgan, 15 juin 1849, OC, X, p. 535 : « je ne sais combien de temps je resterais au pouvoir. Peu sans doute. J'y suis entré malgré moi. On est venu me prendre dans mon lit où j'étais malade, et l'on n'a vaincu ma résistance qu'en m'assurant qu'il s'agissait de conjurer une crise imminente ou de lutter contre elle, et que moi et mes amis nous étions plus propres que tous autres à conjurer l'orage. [...] Je n'ai fait qu'une seule condition, c'est de n'avoir pas à défendre devant l'assemblée ce qui s'était fait dans l'affaire de Rome jusqu'à mon arrivée, et d'en repousser la responsabilité, ce qui m'a été concédé. La crise qui devait nécessairement sortir de cette déplorable affaire est venue : nous l'avons surmontée, avec décision et énergie, je pense ». Paul-Émile Clamorgan (1796-1876), issu d'une vieille famille normande, avocat, fit partie de la jeunesse libérale sous la Restauration, prenant même part à des manifestations anticléricales ; il devait devenir l'un des agents électoraux les plus actifs du député Tocqueville dans la Manche.
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[40]
Selon l'expression utilisée par Émile Bourgeois-Émile Clermont, Rome et Napoléon III (1849-1870). Études sur les origines et la chute du second empire, Paris, Armand Colin, 1907, p. 155. La première partie de cet ouvrage constitue sans doute encore la meilleure reconstitution de l'expédition de Rome disponible en français. André Jardin, Alexis de Tocqueville, op. cit., p. 405-406 explique comment Tocqueville devint ministre des Affaires étrangères alors qu'il aurait préféré l'Instruction publique.
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[41]
Antoine Leca, Lecture critique d'Alexis de Tocqueville, op. cit., p. 93.
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[42]
Souvenirs, III, II, p. 215-216. Et encore, III, I, p. 202 : « [...] l'expédition de Rome si mal conçue et si mal conduite qu'il était désormais aussi difficile de la pousser à bout que d'en sortir [...] ». Cette explication est confirmée par la lettre de Tocqueville à Paul-Émile Clamorgan du 15 juin 1849 précitée. De même dans une lettre à Francisque de Corcelle du 10 juin 1849, OC, XV/1, p. 249, Tocqueville écrit : « Les fautes commises dans cette affaire sont innombrables et nous n'avons jamais donné plus beau jeu à la république rouge ».
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[43]
On peut trouver la version des faits d'Odilon Barrot dans ses Mémoires, Paris, Charpentier, 1875-1876, tome III, 504 p. ; Émile Bourgeois-Émile Clermont, Rome et Napoléon III, op. cit., p. 147-148 & 343, émettent de sérieux doutes sur l'honnêteté de cette reconstitution.
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[44]
La Constitution du 4 novembre 1848 proclamait en effet dans l'article V de son préambule que « la République française respecte les nationalités étrangères, comme elle entend faire respecter la sienne ; n'entreprend aucune guerre dans des vues de conquête, et n'emploie jamais ses forces contre la liberté d'aucun peuple ».
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[45]
Souvenirs, III, II, p. 213.
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[46]
Alexis de Tocqueville, Souvenirs, III, II, p. 215. Alors qu'il datait du 29 mai : Françoise Mélonio, « Tocqueville et la restauration du pouvoir temporel du pape (juin-octobre 1849) », art. cit., p. 111.
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[47]
Alexis de Tocqueville, Souvenirs, III, II, p. 215. En réalité, dès le mois de mai 1849, les ambiguïtés concernant le sens de l'intervention française à Rome n'existaient pratiquement plus. De plus, dès le 9 juin, la lettre de Louis-Napoléon Bonaparte rappelant Ferdinand de Lesseps à Paris et donnant l'ordre au général Oudinot de secourir le pape était rendue publique (elle datait du 1er juin), ce dont témoigne le compte rendu favorable qui a été publié dans le journal catholique ultramontain L'univers-Union catholique, samedi 9 juin 1849, no 893, p. 1.
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[48]
Éric Desmons, « Ledru-Rollin et l'expédition de Rome. De l'apologie de la légalité républicaine à la proclamation de la république insurrectionnelle », RFHIP, no 21, 2005-1, p. 91-103 ; idem, « Ledru-Rollin et l'expédition de Rome : le juriste et le révolutionnaire », La République romaine de 1849 et la France, p. 117-125 ; idem, « La politique étrangère des républicains français de la circulaire du 4 mars 1848 à l'article V du préambule de la constitution du 4 novembre 1848 », La République romaine de 1849 et la France, p. 107-115.
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[49]
Lettre à Francisque de Corcelle du 10 juin 1849, OC, XV/1, p. 249-250 ; Françoise Mélonio, « Tocqueville et la restauration du pouvoir temporel du pape (juin-octobre 1849) », art. cit., p. 112-113.
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[50]
Lors de la séance du 12 juin, Pierre Leroux, La Claudure et surtout Ledru-Rollin attaquent durement le gouvernement au sujet de l'expédition de Rome et proposent la mise en accusation du président de la République et de ses ministres : Moniteur universel, no 164, mercredi 13 juin 1849, p. 2052 et suiv. C'est à cette occasion que Ledru-Rollin conclura son (long) discours par ces mots : « Vous êtes du parti des Cosaques, vous n'êtes pas républicains ! », ibid., p. 2056. Tocqueville rapporte la première insulte mais pas la seconde : Souvenirs, III, II, p. 216 ; Maurice Degros, « Les « Souvenirs », Tocqueville et la question romaine », art. cit., p. 159.
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[51]
Souvenirs, III, II, p. 216.
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[52]
Moniteur universel, no 164, mercredi 13 juin 1849, p. 2053.
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[53]
Ledru-Rollin avait affirmé dans son discours du 11 juin « qu'une portion notable de notre cavalerie aurait été non seulement repoussée mais massacrée ». Et encore que « le carnage de la journée du 3 a été immense ; il paraît que nos troupes ont immensément souffert ». Tout cela pour un résultat nul : « [...] dans les deux journées fatales des 3 et 4 juin, les troupes françaises, après des efforts de valeur, ont été, a deux reprises différentes, repoussées, et aujourd'hui les murs de Rome ne sont pas encore entamés ». Moniteur universel, no 163, mardi 12 juin 1849, p. 2044 ; Émile Bourgeois-Émile Clermont, Rome et Napoléon III, op. cit., p. 181 et suiv.
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[54]
Moniteur universel, no 164, mercredi 13 juin 1849, p. 2053.
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[55]
Faisant référence à l'article V du préambule précité. Moniteur universel, no 164, mercredi 13 juin 1849, p. 2053 et suiv. ; Éric Desmons, « Ledru-Rollin et l'expédition de Rome : le juriste et le révolutionnaire », art. cit., p. 120-123.
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[56]
Émile Bourgeois-Émile Clermont, Rome et Napoléon III, op. cit., p. 191 : « De ce jour, le parti montagnard fut anéanti : conséquence inattendue de l'attaque de Rome ».
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[57]
Lettre à Francisque de Corcelle, 20 juin 1849, OC, XV/1, p. 275. Cette préoccupation à l'égard de la formation d'un parti libéral et modéré en Italie est une constante de la pensée politique de Tocqueville : lettre à Giuseppe Massari du 8 juin 1851, OC, VII, p. 323-324 ; Maurice Degros, « Les « Souvenirs », Tocqueville et la question romaine », art. cit., p. 164.
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[58]
Lettre à Francisque de Corcelle, 20 juin 1849, OC, XV/1, p. 276. Les italiques sont de Tocqueville.
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[59]
Ibid., p. 276.
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[60]
Cette vision des extrêmes se renforçant l'un l'autre s'exprime d'ailleurs dans un mémoire envoyé à Tocqueville le 6 septembre 1849 par Massimo d'Azeglio, nationaliste modéré et tête du mouvement libéral italien : Mémoire de M. Maxime d'Azeglio à M. de Tocqueville sur la Cour Romaine, dans Nicomede Bianchi, La politica di Massimo d'Azeglio dal 1848 al 1849, Torino, Roux e Favale, 1884, p. 193-199 : « les excès, du reste, font toujours les affaires des excès inverses, et tout comme Mazzini a travaillé pour Pie IX, Pie IX travaille pour Mazzini et, malheureusement, pour la destruction du sentiment religieux, si déplorablement ébranlé en Italie ». Le mémoire dans son ensemble est une plaidoirie en faveur d'une politique modérée en Italie.
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[61]
Par exemple dans ses Souvenirs, III, IV, p. 239, où il évoque les événements de Rome du début du mois de juin 1849 : « mais Venise tenait encore, et Rome, après avoir repoussé notre première attaque appelait à son aide tous les démagogues de l'Italie et agitait l'Europe entière de ses clameurs ».
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[62]
Arch. Tocqueville, Folies démagogiques en Italie et leurs conséquences, cité par Françoise Mélonio, « Tocqueville et la restauration du pouvoir temporel du pape (juin-octobre 1849) », art. cit., p. 114. Cette idée de la responsabilité des républicains dans le développement de la répression est une constante de la pensée de Tocqueville, tout comme son refus des extrêmes, comme le montre une lettre à Edward Vernon Childe du 23 janvier 1858, OC, VII, p. 223 : « je n'ai rien à vous dire sur les affaires publiques que vous ne sachiez par les journaux. Ce n'est pas que des crimes abominables, comme celui qui vient d'être commis contre l'Empereur [l'attentat d'Orsini du 14 janvier], puissent relever nulle part la cause de la liberté. La cause est belle, mais ceux qui prétendent la représenter sont souvent, il faut l'avouer, d'horribles coquins. Il est bien triste d'être placés comme nous le sommes entre le despotisme et une bande d'assassins, et de ne trouver nulle part un terrain solide sur lequel se pût établir un parti libéral et non démagogique ».
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[63]
Françoise Mélonio, « Tocqueville et la restauration du pouvoir temporel du pape (juin-octobre 1849) », art. cit., p. 114 ; André Jardin, Alexis de Tocqueville, op. cit., p. 416-417.
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[64]
Le rejet de ces deux positions n'est pas circonstanciel à la question romaine, mais résulte d'une pensée bien fixée. En témoigne, en France l'hostilité très virulente de Tocqueville à l'égard de Louis Veuillot et de son journal, L'Univers. Ainsi, dans une lettre à Francisque de Corcelle du 13 novembre 1856, OC, XV/2, p. 183 : « je crois ledit Veuillot l'un des plus dangereux ennemis que l'Église ait dans le monde ; car il corrompt les partisans de celle-ci, et jette les indifférents ou les tièdes dans l'éloignement et dans la haine. Si L'Univers occupe, en effet, comme le dit M. de Mérode, la première place dans la presse catholique, j'en suis fâché et pour la presse catholique et pour l'Église catholique ; cela n'est de nature à honorer ni l'une ni l'autre ». Son hostilité à l'égard de « ce misérable journal » est récurrente, comme en témoigne la lettre à Francisque de Corcelle du 28 janvier 1857, OC, XV/2, p. 196 : « j'ai peine à n'être pas du parti de ceux qui tapent sur le Veuillot et son abominable feuille. Il m'est bien difficile de trouver qu'on tape trop fort. Et cependant vous avez raison ; dans cette guerre-là, il faut que la colère et le mépris les plus légitimes se couvrent d'une certaine modération de langage. Qu'on étrangle L'Univers avec un cordon de soie garni de coton, j'y consens ; mais pourvu qu'on l'étrangle ». Également, lettre à Francisque de Corcelle du 1er janvier 1858, OC, XV/2, p. 214. Sur Louis Veuillot et L'Univers, qu'il me soit permis de renvoyer à ma contribution : « La Révolution romaine de 1848-1849 dans la presse catholique française », La République romaine de 1849 et la France, op. cit., p. 149 et suiv. Cette agressivité à l'égard de Louis Veuillot est typique du refus libéral des extrêmes... qui aboutit tout de même à une opinion extrémiste qui va jusqu'à la volonté de faire taire les adversaires ; attitude, on en conviendra, fort peu libérale ! Ce mécanisme en apparence paradoxal, mais qui résulte de la nature même du phénomène politique qui suppose la notion d'ennemi, est mis en lumière par Julien Freund, L'essence du politique, Paris, Sirey, 1965, p. 493 et suiv.
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[65]
C'est ce que souligne justement Antoine Leca, Lecture critique d'Alexis de Tocqueville, op. cit., p. 94-95 : « Il n'ignorait pas que l'autorité temporelle du pape restaurée, conformément à ses prises de position, ferait de lui un défenseur de l'absolutisme, mais il en rejeta la responsabilité sur les révolutionnaires, responsables de la radicalisation de la situation, quitte, plus tard, à regretter l'existence d'un pouvoir temporel pontifical qu'il avait pourtant contribué à sauver ». On peut également noter que l'interlocuteur privilégié de Tocqueville, Francisque de Corcelle, ne croyait pas lui-même à la possibilité de négocier une solution admissible par tous : lettre du 12 juin 1849, OC, XV/1, p. 254 : « À Rome, il me paraît presque impossible de négocier ». Pourtant, comme le montrent bien Émile Bourgeois-Émile Clermont, Rome et Napoléon III, op. cit., ch. III & VIII-XII, l'action de Ferdinand de Lesseps entre le 15 mai, date de son arrivée à Rome et le 1er juin, date de son rappel, avait réussi à faire avancer concrètement une solution pacifique en traitant directement avec Mazzini. La position de Corcelle est d'ailleurs très clairement exprimée dans une autre lettre envoyée à Tocqueville le 16 juin 1849, OC, XV/1, p. 262 : « Je suis l'anti-Lesseps, tout en ménageant de mon mieux mes moyens de négociation libérale. Il faut absolument ce résultat libéral. La France ne pourrait sortir d'ici autrement ; le despotisme ne serait pas d'ailleurs une solution ; il perdrait l'Église et la société ». Dans une lettre du 18 juin, ibid., p. 266, il affirmait en outre que « le succès de nos armes est nécessaire à ma négociation ». Tout était dit.
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[66]
Lettre à Francisque de Corcelle, 18 juillet 1849, OC, XV/1, p. 323-324 : « Ces deux idées étaient celles-ci : frapper de terreur le parti démagogique et relever le parti libéral, deux idées distinctes, mais non contraires ; la réalisation de l'une menait même très directement à la réalisation de l'autre. [...] Quand on me demande ce que nous sommes venus faire à Rome, je réponds carrément : 1o Rétablir le pape dont l'autorité indépendante est nécessaire à la liberté et à la paix des populations catholiques sur toute la terre. 2o Obtenir des réformes et des institutions libérales pour les Romains ».
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[67]
L'interpellation venait d'Arnaud de l'Ariège ; Moniteur universel, no 219, mardi 7 août 1849, p. 2606-2607.
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[68]
Moniteur universel, no 219, mardi 7 août 1849, p. 2608-2609.
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[69]
Ce que Tocqueville devra bien reconnaître, ce qui ne l'empêchera pas de rester fidèle à ses positions de principe ; lettre à Francisque de Corcelle, 1er octobre 1849, OC, XV/1, p. 437 : « En général, la comparaison de ce qui se passe aujourd'hui avec ce qui s'est passé en 1823 [la restauration du pouvoir absolu de Ferdinand VII en Espagne avec l'aide de l'armée française] est frappante. Alors, de même qu'aujourd'hui, après avoir couvert une restauration libérale, nous avons vu éclore une restauration absolutiste qui nous a grandi dans les mains et s'en est bientôt échappée pour courir toute seule ». On remarque une fois de plus le caractère fataliste de la formulation.
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[70]
Comme le soulignait Raymond Aron, Les étapes de la pensée sociologique, op. cit., p. 250-251 ; on retrouvera cette attitude dans L'Ancien Régime et la Révolution, où Tocqueville déplore l'échec de la Constituante, « c'est-à-dire l'échec de la synthèse entre les vertus de l'aristocratie ou de la monarchie et le mouvement démocratique ». La question est évidemment de savoir si cette synthèse était bien réaliste, ce que, selon Raymond Aron, Auguste Comte contestait déjà. Il faut toutefois reconnaître la cohérence du propos de Tocqueville puisque dès le début de l'intervention française, il faisait tout ce qui était en son pouvoir (notamment en demandant à l'Autriche d'intervenir) pour que le pape satisfasse l'opinion publique en continuant les réformes entreprises : lettre à Francisque de Corcelle du 10 juin 1849, OC, XV/1, p. 250-251.
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[71]
Lettre à Francisque de Corcelle, 3 septembre 1856, OC, XV/2, p. 174 : « vous ne réussirez jamais à réhabiliter le gouvernement temporel des papes. Vous trouverez toujours sur ce terrain un sentiment public invincible. Je n'ai jamais rencontré pour mon compte un homme ayant vécu en Italie, à quelle classe qu'il appartînt et quelle que fût sa religion, qui ne passât condamnation sur ce point. Beaucoup d'ecclésiastiques revenant de Rome m'ont paru avoir absolument les mêmes impressions ».
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[72]
Ibid., p. 175. Tocqueville concluait sous forme d'interrogation : « le gouvernement papal a-t-il fait ou fait-il encore de son souverain pouvoir l'usage nécessaire pour donner la sécurité et favoriser la prospérité de ses sujets ? ».
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[73]
Lettres à Francisque de Corcelle, 2 septembre & 9 septembre 1849, OC, XV/1, p. 374 & 395. Dans la suite de la première de ces lettres, Tocqueville reproche également à Corcelle la légèreté avec laquelle il semble accepter le rétablissement des institutions ecclésiastiques les plus mal acceptées par les opinions romaine, italienne et française telles que l'Inquisition et les tribunaux ecclésiastiques. Tocqueville leur reprochait en effet de juger des affaires à ses yeux purement laïques. Comme il l'écrit : « Ce ne sont pas les lecteurs de feuilletons qui demandent la répression de pareils abus, c'est l'Europe éclairée tout entière, je devrais dire l'Europe civilisée. Car une semblable législation n'appartient pas à la civilisation du monde moderne, catholique ou protestante » ; ibid., p. 379.
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[74]
Lettre à Francisque de Corcelle, 30 juillet 1849, OC, XV/1, p. 340 : « La Cour de Rome nous amuse comme des enfants par des promesses, tandis que par des faits accomplis elle se remet en possession de tous les anciens abus. Le pape lui-même, croyez-le, n'est pas sincère ». Le pape n'était ni sincère ni insincère, il menait simplement une politique. Ce que Tocqueville, du fait de son idéologie libérale, était incapable de faire.
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[75]
L'expression est empruntée à Julien Freund, Politique et impolitique, Paris, Sirey, Philosophie politique, 1987, p. 1-22 et passim. Il est piquant de noter que Tocqueville lui-même utilisait cette expression. Par exemple dans la lettre à Francisque de Corcelle du 2 novembre 1849, OC, XV/2, p. 14. Cette lettre assez critique à l'égard de l'action menée par Corcelle lui explique par ailleurs comment le cabinet auquel appartenait Tocqeville est tombé : « le rapport tout à la fois impolitique et coupable de M. Thiers dirigeait naturellement la crise contre l'Assemblée et la détournait de nous ». Julien Freund, L'essence du politique, op. cit., p. 34, a démontré par ailleurs le caractère intrinsèquement impolitique car centré sur le social et l'économique du libéralisme, ce qui constitue un point commun avec le socialisme : « l'objectif commun au libéralisme et au socialisme est de clôturer la politique afin de laisser libre champ aux réformes sociales spontannées ou dirigées ». L'originalité de Freund est de montrer qu'en dépit de sa nature impolitique, le libéralisme débouche toujours sur une action qui, elle, est politique puisqu'elle repose sur des mécanismes de commandement et d'obéissance, qu'elle repose sur la distinction entre privé et public, et sur la distinction ami-ennemi ; voir aussi p. 99, 105, 268-270, 284 & 536.
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[76]
Françoise Mélonio, « Tocqueville et la restauration du pouvoir temporel du pape (juin-octobre 1849) », art. cit., p. 116.
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[77]
Lettre d'Alexis de Tocqueville à Francisque de Corcelle, 13 juillet 1849, OC, XV/1, p. 308 ; Françoise Mélonio, « Tocqueville et la restauration du pouvoir temporel du pape (juin-octobre 1849) », art. cit., p. 114-117.
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[78]
Hübner (1811-1892) est un des principaux diplomates autrichiens. Il sera ensuite ministre plénipotentiaire à Paris, puis à Rome entre 1865 et 1868. Tocqueville tentait par son intermédiaire d'obtenir l'aide de l'Autriche pour opérer des réformes dans les États pontificaux.
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[79]
Lettre d'Alexis de Tocqueville à Alexandre von Hübner, 13 juillet 1849, OC, VII, p. 317-318. La même idée est exprimée au même moment dans une lettre à Francisque de Corcelle, 11 juillet 1849, OC, XV/1, p. 305-306.
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[80]
D'ailleurs, l'accord finalement trouvé avec l'Autriche sur la nécessité de réformer les institutions des États du pape sera lui aussi marqué par un profond irréalisme politique puisque l'Autriche fit de belles promesses tout en laissant à la France le soin de les réaliser... Francisque de Corcelle en avertit Tocqueville mais ce dernier ne sut pas en tirer les conclusions qui s'imposaient quant au caractère impolitique de son action ; lettre du 14 septembre 1849, OC, XV/1, p. 405 : « L'Autriche et l'Espagne [qui en tant que puissance catholique était entrée dans le jeu diplomatique], d'ailleurs, ne nous offrent aucun appui. Les correspondances mêmes que vous nous communiquez attestent que leurs promesses d'une bonne entente sont restées dans le vague des généralités ». Dans une dépêche officielle envoyée par le ministre Tocqueville à l'ambassadeur de France à Vienne et ami Gustave de Beaumont le 27 septembre 1849, il se lamentait dans des termes similaires, du double jeu de l'Autriche, prête à donner son accord sur les principes, mais sans s'engager pour les mettre en application. Cette dépêche est reproduite dans les OC, VIII/2, p. 423.
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[81]
Il s'agit pourtant d'une idée que Tocqueville reprendra dans une lettre à Francisque de Corcelle, 30 juillet 1849, OC, XV/1, p. 343 : « Nous en appellerons publiquement à l'Europe civilisée et au monde catholique. Nous ferons savoir ce que nous demandons et ce qu'on nous refuse et nous rendrons l'opinion de la France et de l'Italie juge entre le pape, ses sujets et nous ».
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[82]
Ces réformes préoccupent particulièrement Tocqueville, comme en témoigne la lettre à Francisque de Corcelle, 24 septembre 1849, OC, XV/1, p. 418-421.
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[83]
Sur les détails de ce programme administratif : Maurice Degros, « Les « Souvenirs », Tocqueville et la question romaine », art. cit., p. 165. Ce programme s'exprime en particulier dans une lettre à Francisque de Corcelle, 15 juin 1849, OC, XV/1, p. 256-257, dans laquelle Tocqueville émet l'idée de la sécularisation de l'administration et d'une séparation nette entre les affaires temporelles et spirituelles, les premières devant être confiées à un personnel séculier. Il est possible que Tocqueville ait forgé son programme réformiste en discutant avec son ami Gustave de Beaumont. C'est ce que laisse penser la lettre de Gustave de Beaumont (30 septembre 1849, OC, VIII/2, p. 176-179) qui reprend toutes les idées développées par Tocqueville. Corcelle y répondit dans une lettre du 14 juillet en soulignant les difficultés que soulèveraient la mise en place de ce programme, même s'il se voulait modéré ; ibid., p. 315-316. Il s'y emploiera cependant en appliquant la recommandation de son ministre, c'est-à-dire en s'efforçant de s'assurer le concours de l'Autriche. Les lettres de Francisque de Corcelle, 25 juillet et 8 septembre 1849, OC, XV/1, p. 336-338 & 388-392 sont très éclairantes à ce sujet. Néanmoins, Corcelle, très catholique, refusera d'être à ses yeux l'instrument du remplacement du gouvernement pontifical par un gouvernement directement sous l'égide de la France, mettant même sa démission en jeu. Tocqueville interprétera cette attitude comme un prétexte pour refuser d'appliquer ses instructions. Cela donnera lieu à des échanges aigres-doux entre les deux amis en septembre et octobre 1849, dont Tocqueville se plaindra dans une lettre à Gustave de Beaumont (12 octobre 1849, OC, VIII/2, p. 200).
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[84]
De même que la préface de cet ouvrage, elle aussi marquée par un caractère prophétique, cette fois en ce qui concerne « l'inéluctable » égalisation des conditions ; le caractère fataliste et prophétique de Tocqueville était souligné par Raymond Aron, « Tocqueville retrouvé », La Revue Tocqueville, I-1979/1 (réimp. Tocqueville et l'esprit de la démocratie, Laurence Guellec (dir.), Paris, PFNSP, 2005, p. 27-29). Voir aussi Pierre Manent, Tocqueville et la nature de la démocratie, op. cit., p. 51-60. Luis Diez del Corral, « Tocqueville et la pensée politique des Doctrinaires », Alexis de Tocqueville. Livre du centenaire, op. cit., p. 58-59, a démontré que les idées tocquevilliennes d'enchaînement des événements, de lois inexorables qui gouvernent l'histoire, et de tendance au nivellement avaient probablement pour origine les leçons de Guizot à la Sorbonne qu'il avait suivies entre 1829 et 1830. Tocqueville retravaille donc un matériau idéologique déjà existant, non seulement chez Guizot mais chez tous les doctrinaires comme Royer-Collard ou Rémusat, ainsi que le souligne aussi Lucien Jaume, Tocqueville, op. cit., p. 19-20, qui montre par ailleurs que ce fatalisme est teinté de providentialisme : ibid., p. 111-112, 123, 153-154 & 388-389. L'analyse approfondie de ce providentialisme et du rôle réduit du volontarisme dans la pensée de Tocqueville a été faite par Antoine Leca, Lecture critique d'Alexis de Tocqueville, op. cit., p. 186-194.
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[85]
Sur l'origine de la maxime de Turgot : Peter Groenewegen, « Laissez-faire. Reflections on the French foundations », Eighteenth-century Economics : Turgot, Beccaria and Smith and their contemporaries, London-New York, Routledge, 2002, p. 211-221. Ce fatalisme n'est pas circonstanciel, mais résulte d'une véritable vision du monde, comme cela apparaît bien dans une lettre à Francisque de Corcelle, 21 février 1851, OC, XV/2, p. 48 : « car le caractère le plus saillant du temps est l'impuissance des hommes et des gouvernements sur le mouvement général des esprits et des affaires ».
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[86]
C'est ce que souligne de façon générale Laurence Guellec, « Tocqueville à travers sa correspondance familiale », art. cit., p. 186. Par exemple : lettre à Edward Everett, 15 février 1850, OC, VII, p. 134 : « dans toute l'Europe continentale, sauf la Russie, on voit la société qui est en travail et le vieux monde qui achève de tomber en débris. Croyez que toutes les restaurations des anciens pouvoirs qui se font autour de nous ne sont que des incidents passagers qui n'empêchent pas que le grand drame ne suive son cours. Ce drame, c'est la destruction complète de l'ancienne société et à sa place l'édification de je ne sais quelle fabrique humaine dont l'esprit ne peut encore percevoir clairement la forme ». Un autre exemple de ce fatalisme s'exprime dans les opinions émises en privé par Tocqueville au sujet du destin de la République de 1848 et du coup d'État « fatal » de décembre 1851 ; lettre à Franz Lieber du 4 août 1852, OC, VII, p. 143-144 : « [...] je prévoyais sans peine que les folies de 1848 amèneraient, par réaction, un gouvernement si illibéral que je ne voudrais pas le servir ». Suivent des considérations sur le nouveau régime, caractérisé selon Tocqueville par une contradiction entre le principe de la souveraineté du peuple proclamé et la réalité de la « servitude » de celui-ci. Pour Tocqueville, ibid., p. 144-145, il n'y a pas d'alternative : « [...] un temps viendra où ce gouvernement sera obligé de renier entièrement le dogme de la souveraineté du peuple sur lequel il prétend se poser et d'abolir le droit électoral qu'il a laissé subsister ou sera détruit par les conséquences de ce dogme et par l'exercice de ce droit. Que l'une ou l'autre de ces deux hypothèses doivent se produire d'ici à un temps plus ou moins long me paraît aussi clair que le jour ». Bel exemple des dangers de la prédiction et du fatalisme en politique.
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[87]
Lettre à Francisque de Corcelle, 24 septembre 1849, OC, XV/1, p. 418. Par ailleurs, la correspondance diplomatique officielle de Tocqueville avec l'ambassadeur de France à Vienne, Gustave de Beaumont, révèle que les deux hommes cherchaient à désengager la France puisque leur incapacité à restaurer dans le même temps le pouvoir pontifical et à obtenir des concessions libérales de celui-ci était désormais évidente : en témoigne la lettre de Gustave de Beaumont du 1er novembre 1849, reproduite dans les OC, VIII/2, p. 468-469.
-
[88]
Julien Freund, L'essence du politique, op. cit., p. 682-683.
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[89]
Ibid., p. 683.
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[90]
On peut noter cependant que Tocqueville se déclarait satisfait des résultats obtenus en 1849 puisque dans une lettre à Francisque de Corcelle du 2 août 1856, écrite à propos de deux articles que ce dernier avait publiés dans Le Correspondant au sujet de l'affaire romaine, il parlait à propos de la restauration du pouvoir temporel du pape, de « la douceur de cette restauration » ; OC, XV/2, p. 170. Sous une forme différente, le résultat de l'expédition de Rome est loué par Tocqueville dans une lettre à Francisque de Corcelle du 8 décembre 1857, OC, XV/2, p. 212-213. Il y met notamment en exergue le rôle positif à ses yeux du général Cavaignac et de l'Assemblée législative. Cependant, dans une autre lettre datée du 26 août de la même année, Tocqueville se plaignait, toujours auprès de Corcelle : « il n'y a guère de semaine où quelque journal anglais, tout en louant mon nouveau livre [L'Ancien Régime], ne me censure plus ou moins violemment, à propos de cette expédition de Rome ». Cette lettre est caractéristique des contradictions politiques de Tocqueville : d'une part il craint que « l'établissement politique de la papauté ne soit pas amendable » car « si Dieu a promis à l'Église le gouvernement perpétuel des âmes, il ne lui a jamais fait espérer la direction des affaires du gouvernement dans aucun pays du monde ». Cette idée est d'ailleurs également exprimée dans une lettre à Francisque de Corcelle du 3 septembre 1856, OC, XV/2, p. 175. D'autre part, il déclare également « douter que l'établissement politique actuel de l'Église soit utile à la religion catholique ». Il le fait d'ailleurs du point de vue de la logique même de la souveraineté, ce qui donne incontestablement du poids à son argumentation : « Prince, le pape, quoi qu'il fasse, sera toujours plus ou moins en opposition avec l'esprit et les tendances politiques du temps ; toujours il tendra à prendre un rôle dans la lutte de l'absolutisme contre la liberté et en général des souverains contre les peuples. On dit que ses États sont nécessaires à son indépendance. Je dis que ce sont aujourd'hui ses États qui le rendent dépendant de mille considérations qui sont prises en dehors de l'intérêt de la religion et qui en font, plus ou moins, l'instrument des autres princes ». Malgré cela, selon lui, « la papauté est une puissance politique, le devoir de tout bon catholique est de travailler à justifier le gouvernement du pape des injustes attaques et de faire effort [sic] pour améliorer ce gouvernement », alors même que quelques lignes plus haut, il proclamait l'impossibilité d'une telle amélioration ; OC, XV/2, p. 172-173. Françoise Mélonio, « Tocqueville et la restauration du pouvoir temporel du pape (juin-octobre 1849) », art. cit., p. 109. Il est juste de signaler qu'André jardin, Alexis de Tocqueville, op. cit., p. 425 défend l' uvre du ministre en avançant qu'il ne fut en place que cinq mois, et qu'il évita la guerre en Italie par le maintien de bonnes relations avec l'Autriche. Mais il ne peut que constater lui aussi l'échec à imposer à Pie IX des institutions libérales, qui était pourtant son principal objectif.
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[91]
Lucien Jaume, « Tocqueville et le problème du pouvoir exécutif en 1848 », art. cit., p. 754.
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[92]
Une lettre d'Ampère (alors à Washington) à Madame de Tocqueville du 29 décembre 1851, OC, XI, p. 206-207, exprime bien la tension de ce moment très particulier. Tocqueville avait été arrêté lors du coup d'État du 2 décembre 1851 en compagnie de représentants qui protestaient à la mairie du Xe arrondissement. Il fut conduit à la caserne du Quai d'Orsay mais relâché dès le lendemain. Une lettre à Jared Sparks (11 décembre 1852, OC, VII, p. 148) confirme le rôle décisif joué par le coup d'État et ses conséquences dans le changement de vie de Tocqueville.
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Tocqueville avait rédigé l'essentiel de ses Souvenirs lors d'un voyage à Naples et à Sorrente effectué à la fin de l'année 1850 : lettre à Louis de Kergorlay, 15 décembre 1850, OC, XIII/2, p. 229-230. Dans le même temps, il envisageait déjà la rédaction de L'Ancien Régime : ibid., p. 231 ; lettre à Gustave de Beaumont, 26 décembre 1850, OC, VIII/2, p. 343-344 ; lettre à Francisque de Corcelle du 21 février 1851, OC, XV/2, p. 43 ; l'année suivante, le projet commençait à se réaliser : lettre à Franz Lieber du 4 août 1852, OC, VII, p. 143 ; le fait de s'être retiré de la politique active était d'ailleurs vécu de manière positive : lettre à Edward Vernon Childe du 23 janvier 1858, OC, VII, p. 222 ; même sentiment dans la lettre à son neveu Hubert de Tocqueville, 12 janvier 1854, OC, XIV, p. 291.