Notes
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[1]
Olivier Beaud est professeur de droit public à l’Université de Paris II, détaché au Centre Marc Bloch à Berlin.
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[2]
L. Dupeux, « René Capitant et l’analyse idéologique du nazisme », Francia (revue de l’Institut Historique Allemand), Bd 5 (1977), p. 636. Cette étude, très bien menée, recoupe la nôtre, mais elle est beaucoup plus succincte et ne prend pas en compte tous les textes de Capitant de la période.
-
[3]
G. Conac, « L’apport de René Capitant au droit constitutionnel et à la science politique » in Apports de René Capitant à la science juridique, Association Henri Capitant, Litec, 1992, p. 55-56, italiques par nous-mêmes.
-
[4]
Sur ce point biographique, v. notamment, Christian Funck-Brentano, René Capitant, Paris, 1945, p. 5. « R. Decoux-Paolini, René Capitant, homme de gauche et gaulliste ; Un juriste engagé sous la Ve République, Mémoire maîtrise d’histoire, Paris I, 1994, p. 19.
-
[5]
V. notre étude, « René Capitant, analyste lucide et critique du national-socialisme (1933-1939). Un aspect méconnu de son œuvre constitutionnelle » in J.-F. Kervégan, H. Mohnhaupt (hg), Droit et politique en France et en Allemagne, XVIIIe -XXe siècles, à paraître Francfort, Klostermann. L’analyse se fonde sur la lecture de ses articles parus dans le Bulletin mensuel jaune (désormais B.M.J.) qui était l’un des Bulletins de l’Office d’informations allemandes du Comité d’études germaniques de l’Université de Strasbourg. Il est devenu en 1935 la revue mensuelle L’Allemagne contemporaine. (désormais A.C.)
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[6]
« La politique allemande et le discours du Chancelier Hitler le 30 janvier 1937 », in L’Année politique française et étrangère 1937, p. 193, note 1 de la Rédaction.
-
[7]
« René Capitant et l’analyse… », p. 627.
-
[8]
L’article de 1935 « L’idéologie nationale-socialiste », d’abord publié dans L’Année politique française et étrangère, oct. 1935, et réédité dans les Écrits constitutionnels, Paris, éd. CNRS (textes rassemblés par J.-P. Morelou), 1982 p. 446-467 (désormais E.C.).
-
[9]
« Le gaullisme de guerre de René Capitant », Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, 1995, n° 16, p. 22.
-
[10]
J.O. Débats, Ass. nat. const., 1946. p. 643-644.
-
[11]
Comme l’a justement relevé E. Decaux, La pensée constitutionnelle de René Capitant, Mém. DES Paris II, 1972, p. 16.
-
[12]
« L’idéologie… », E.C., p. 445.
-
[13]
A propos du Congrès annuel du parti à Nuremberg, il écrit : « A chacune de ces manifestations, Hitler prend la parole pour faire le bilan de l’année écoulée et tracer le programme de l’année à venir. Ces discours, où s’exprime librement l’idéologie du régime, sont une des sources de renseignement les plus précieuses et les plus propres à révéler les ressorts profonds qui meuvent le Troisième Reich » « Les lois de Nuremberg », Revue Politique et Parlementaire, mai 1936, p. 283.
-
[14]
C’est le cas de Carl Schmitt et de Otto Koellreuter. V. notre étude, « René Capitant, juriste républicain. Étude de sa relation paradoxale avec Carl Schmitt à l’époque du nazisme », Mélanges Pierre Avril, Paris, Montchrestien, 2001, p. 39 s.
-
[15]
« Chaque affirmation découle de la situation, et on l’abandonne dès que la situation change » Béhémoth, Structure et pratique du national-socialisme, (2e éd., 1944) trad. fr., Payot, 1987, p. 51.
-
[16]
« L’État national-socialiste » (II), B.M.J., fév. 1935, p. 40.
-
[17]
« Ne croyons pas trop vite à la victoire de la réalité. […] Semblable à Mahomet soulevant l’Islam, Hitler prêche la religion du germanisme et s’apprête à fonder un nouvel et prodigieux empire. Le matérialisme historique nous enseigna longtemps que les intérêts mènent le monde. Nous voudrions que l’esprit le domine, mais craignons que la passion et le fanatisme puissent encore le bouleverser ». « L’idéologie… », E.C., p. 467.
-
[18]
L. Dupeux, « René Capitant et l’analyse… », p. 632.
-
[19]
Je cite d’après l’édition allemande, Der Doppelstaat (trad. allem. de The Dual State), Francfort, 1974, p. 13.
-
[20]
J. Rückert, « Zeitgeschichte des Rechts : Aufgaben und Leistungen zwischen Geschichte, Rechtswissenschaft, Sozialwissenschaften und Soziologie », Zeitschrift der Savigny Siftung, der Rechtsgeschichte, Bd 115, Germ. Abt., 1998, p. 64.
-
[21]
Béhémoth, p. 9. Sur Neumann, v. l’article de J. Rückert,, in Neue Deutsche Biographie, Bd 19, Duncker u. Humblot, 1999, p. 145-147.
-
[22]
Béhémoth. p. 47.
-
[23]
C’est une observation que l’on doit à J.-F. Kervégan et à C.-M. Herrera, et à laquelle nous répondons trop rapidement dans les lignes du texte qui suivent.
-
[24]
Je renvoie ici à son ouvrage, L’individu effacé ou le paradoxe du libéralisme français, Paris, Fayard, 1997.
-
[25]
« L’idéologie… », E.C., p. 447.
-
[26]
« Les Propos d’Alain ou l’idéologie de la Troisième République » in Mélanges Negulesco, Bucarest, 1935, p. 147.
-
[27]
Loc. cit., p. 168.
-
[28]
Les analogies sont nombreuses entre son article sur Alain, où il résume le propos du philosophe, et ses articles sur le régime hitlérien, où il s’inspire beaucoup de la pensée d’Alain pour critiquer le nazisme. Les seules divergences avec Alain portent sur la nature du régime parlementaire. Contre le philosophe, le juriste plaide pour une réhabilitation de l’action au détriment du contrôle ( Loc. cit. « p. 168),
-
[29]
« Hobbes et le Troisième Reich » in A.C., avril 1936, p. 55-57 ; repris plus longuement sous le titre « Hobbes et l’État totalitaire » dans Archives de philosophie du droit et de sociologie juridique, 1936, p. 46-75.
-
[30]
« René Capitant et l’analyse… », p. 630.
-
[31]
Conférence de Cologne du 15 nov. 1934. Citée in « L’idéologie… » E.C., p. 446.
-
[32]
« L’idéologie… », E.C., p. 447
-
[33]
Loc. cit., p. 448.
-
[34]
« Hobbes et le Troisième Reich », p. 56.
-
[35]
« L’idéologie… », E.C., p. 449.
-
[36]
« Nous devons […] reprocher au national-socialisme, ce qui doit le condamner à nos yeux, c’est qu’il détruit l’idéalisme en le ramenant du plan de la conscience sur le plan de l’instinct. Car, au lieu de rechercher l’impératif moral dans l’autonomie de la personne, il impose à l’individu la loi de l’organisme social. C’est non la voix de sa conscience, mais l’instinct du sang et de la race qui gouverne l’individu et le rattache à son groupe. Une nation n’est plus un faisceau de volontés, mais un organisme d’ordre biologique qui commande à ses membres par la force mystérieuse et souveraine de son dynamisme. » « L’idéologie… », E.C., p. 449.
-
[37]
Et il ajoute : « […] la pensée chrétienne aussi, qui suppose, sinon l’autonomie, du moins l’individualité de l’âme. Car si le Christ a souffert pour l’humanité, il a souffert pour chacun des hommes. La loi catholique, comme la grâce protestante, s’adressent à chacun, dans la solitude et le secret de la conscience. Les hommes sont égaux devant Dieu, quelle que soit leur race, quel que soit leur peuple, quel que soit le temps et le lieu de leur vie. Mais Dieu connaît chacun des hommes et, à l’heure de la mort, l’âme paraît seule devant lui. »« Loc. cit., p. 447
-
[38]
« La Crise et la réforme du parlementarisme en France. Chronique constitutionnelle française (1931-1936) » in Jahrbuch des öffentlichen Rechts der Gegenwart, Bd. 23 (1936, p. 14 [ital. OB].
-
[39]
L. Dupeux, « René Capitant et l’analyse… », p. 630.
-
[40]
« L’État national-socialiste, II », B.M.J. fév. 1935, p. 41.
-
[41]
Loc. cit., p. 40-41.
-
[42]
« La crise… du parlementarisme », p. 13.
-
[43]
Loc. cit. p. 14.
-
[44]
« Hobbes et l’État totalitaire », p. 47.
-
[45]
On notera ici le fait que Carl Schmitt approuve l’interprétation de Capitant. Dans son article de 1936 sur « L’État comme mécanisme chez Hobbes et Descartes », il observe que « R. Capitant est, en tant que français démo-libéral, évidemment un adversaire de “l’idéologie totalitaire qui fleurit de nos jours” ». Pourtant note-t-il encore il souligne, à juste titre, que « le contrôle exigé par Hobbes de toute opinion scientifique n’est qu’un aspect de l’ordre et de la sécurité publique, mais n’est pas pensé comme une véritable “religion d’État”. » « Der Staat als Mechanismus bei Hobbes und Descartes », 1936, in Staat, Großraum, Nomos, Berlin, Dunker v. Hamblot, 1999, p. 140-141. Il reprend ce jugement positif dans une note de son ouvrage, Der Leviathan, (1938) rééd. Francfort, Hohnheimer, 1982, p. 112-113.
-
[46]
« Hobbes et l’État totalitaire », p. 48.
-
[47]
Loc. cit., p. 49. Formule à peu près équivalente dans « Hobbes et le Troisième Reich », p. 55.
-
[48]
« Hobbes et le IIIe Reich »,, p. 55.
-
[49]
« Hobbes et l’État totalitaire », p. 54
-
[50]
« Hobbes et le Troisième Reich », p. 56. Cela implique évidemment que chez le philosophe anglais, le peuple ou la nation n’a pas d’existence réelle ; « il ne connaît pas de réalité sociale, distincte de la réalité individuelle » Ibid. p. 56.
-
[51]
« Hobbes et l’État totalitaire », p. 63.
-
[52]
Loc. cit., p. 62.
-
[53]
Loc. cit., p. 60.
-
[54]
Loc. cit., p. 72, et p. 74.
-
[55]
C’est George Orwell qui fut l’un des premiers à observer qu’une des raisons du triomphe d’Hitler était qu’il proposait la mort et le risque à ses sujets.
-
[56]
« Hobbes et l’État totalitaire », p. 74.
-
[57]
« A propos du Quatrième anniversaire » A.C. fév. 1937, p. 21.
-
[58]
« L’organisation économique et sociale du IIIe Reich, III », A.C. mai. 1937, p. 85.
-
[59]
« L’État national-socialiste, III », B.M. J., mars 1935, p. 68.
-
[60]
Il interprète la disparition du drapeau noir-blanc-rouge comme étant « la condamnation moins du passé que de l’opposition conservatrice. Si le IIIe Reich est l’antithèse même de la république weimarienne, qui symbolise à ses yeux les forces destructrices de l’individualisme, du marxisme et du judaïsme, il rend hommage, au contraire, aux traditions prussiennes qui constituent l’armature la plus solide du IIIe Reich. Il prétend en recueillir l’héritage et en faire un des principes de ce socialisme militaire que cherche à réaliser le régime ». « Les lois de Nuremberg », Rev. Pol. Parl., Mai 1936, p. 284.
-
[61]
« L’État national-socialiste, III », B.M.J., mars 1935, p. 67. C’est pourquoi la critique de L. Dupeux selon laquelle Capitant ignorerait tout de la « Révolution conservatrice » allemande (« René Capitant et l’analyse… » p. 628) me paraît inexacte.
-
[62]
« L’idéologie… », E.C., p. 450.
-
[63]
Loc. cit., p. 450.
-
[64]
Discours du 23 fév. 1934, cité par Capitant in « E. n-s., III » B.M.J. mars 1935, p. 69.
-
[65]
« L’État national-socialiste, III », B.M.J. mars 1935, p. 69.
-
[66]
Loc. cit., p. 69.
-
[67]
« L’idéologie… », E.C., p. 449
-
[68]
« Force et faiblesse de l’hitlérisme », L’Alsace française, 23.XII.1934, p. 916-917. [Ital. OB]
-
[69]
Loc. cit., p. 168.
-
[70]
« En effet, résume Capitant : […] L’individu seul est réel, parce que la pensée consciente est la réalité première et que le monde entier n’existe que par la conscience qui l’appréhende. L’homme pensant n’appartient pas à la société, mais la domine et la réduit à ses fins. Conception cartésienne de l’individualisme qui place la pensée, toujours et essentiellement individuelle, à l’origine et à la fin de la société, qui fonde sur la pensée, privilège de l’homme, les droits inaliénables et imprescriptibles de l’homme. Conception rationaliste du XVIIIe siècle, sans doute, mais ramenée comme à sa source, rajeunie, repensée, recréée par un esprit nourri de tradition vivante ». « Les Propos d’Alain… », p. 148.
-
[71]
« Hobbes et le Troisième Reich », p. 56.
-
[72]
« L’État national-socialiste, III », B.M.J. mars 1935, p. 69
-
[73]
L. Dupeux, « René Capitant. et l’analyse… », p. 63.
-
[74]
« Hobbes et le Troisième Reich », p. 56, et « Hobbes et l’État totalitaire », p. 54.
-
[75]
« Il s’agit d’organiser un peuple, et de l’entraîner dans quelque croisade terrestre, de le conduire vers des buts concrets, qui sont soit de politique intérieure, l’édification d’un certain ordre social soit de politique extérieure la préparation à la guerre. Tel est l’État totalitaire qui se saisit de la société tout entière abolissant la distinction de l’État et de la société de l’homme entier abolissant la distinction de la vie publique et de la vie privée qui bannit toute liberté, ou n’en laisse subsister que dans la mesure où il aperçoit dans l’initiative un moyen d’action favorable à ses buts. » « Hobbes et l’État totalitaire », p. 57.
-
[76]
« Hobbes et le Troisième Reich », p. 57.
-
[77]
« L’État national-socialiste, III », B.M.J. mars 1935, p. 63. Il cite ensuite Hitler à cet égard qui affirme : « notre doctrine n’est pas artificiellement construite, mais repose sur la nature profonde de la vie » ( in der Natur des Lebens und Seins) « Congrès de Nuremberg de 1934 » (p. 63).
-
[78]
Si Capitant n’utilise pas cette notion, Franz Neumann l’emploie pour décrire la justification du pouvoir d’Hitler, Béhémoth, p. 94, p. 103-104.
-
[79]
« L’idéologie… », E.C., p. 466.
-
[80]
« L’État national-socialiste, III », B.M.J. mars 1935, p. 63.
-
[81]
« Le discours du 30 janvier » A.C., fév. 1937, p. 23.
-
[82]
« Hobbes et le Troisième Reich », p. 56.
-
[83]
Loc. cit., p. 57.
-
[84]
Loc. cit., p. 57.
-
[85]
Loc. cit., p. 56, et « Hobbes et l’État totalitaire », p. 66-67.
-
[86]
Loc. cit., p. 57.
-
[87]
« L’idéologie… » E.C., p. 447. Après avoir rappelé l’opposition du synode protestant à Hitler, Capitant cite la condamnation du cardinal Pacelli de « l’idolâtrie nationaliste » dans l’un de ses voyages à Lourdes. « Il y a deux patriotismes, un patriotisme faux qui fait de la patrie une sorte d’idole barbare assoiffée de tyrannie et de sang. Dieu veuille écarter de tous les pays les ravages de ce fléau ! Et puis, il y a le vrai patriotisme… une des formes les plus élevées de la charité collective ». Écho de Paris du 30 avril 1935, cité in L’idéologie… » E.C., p. 448.
-
[88]
On retrouve ici un écho des idées d’Alain : « La société écrit Capitant, […] c’est, enfin, le nationalisme, lorsque la nation se fait Dieu et refuse à l’individu le droit de juger la patrie et de blâmer la guerre. » « Les Propos d’Alain… », p. 150.
-
[89]
« L’idéologie… », E.C., p. 453.
-
[90]
Loc. cit., p. 458.
-
[91]
Loc. cit., p. 460
-
[92]
Loc. cit., p. 459. Capitant se réfère ici à [(26) Mein Kampf, p. 329 et s. Plus loin, il écrit : « […] Le mythe juif s’oppose au mythe aryen, comme l’individualisme au national-socialisme » E.C., p. 460.
-
[93]
Loc. cit., p. 452
-
[94]
« L’État national-socialiste, I », B.M.J. déc. 1934), in Schmittiana Bd I, p. 127.
-
[95]
« L’idéologie… », E.C., p. 455.
-
[96]
Loc. cit., p. 456.
-
[97]
Loc. cit., p. 456.
-
[98]
« L’État national-socialiste, II », B.M.J. fév. 1935, p. 38. Il cite cet extrait du discours de Hitler du 10 sept. 1934 à Nuremberg : « Sa conscience la plus profonde lui dit avec raison que le meilleur de lui-même se trouve réuni et représenté dans le parti national-socialiste. C’est pourquoi notre mouvement, cette minorité historique put s’emparer de la dictature avec le consentement et la volonté de l’immense majorité de la nation allemande. So könnte unsere Bewegung als ’geschichtliche Minorität’ nach der Alleinherrschaft in Deutschland greifen, im Einverständnis und mit dem Willen der überwältigenden Mehrheit der deutschen Nation ».
-
[99]
« L’État national-socialiste, I », ( B.M.J.. déc. 1934) Schmittiana, Bd I, p. 127.
-
[100]
« L’État national-socialiste, II », B.M.J. fév. 1935, p. 34.
-
[101]
Loc. cit. p., 34.
-
[102]
« L’État national-socialiste, I », ( B.M.J. déc. 1934) Schmittiana, Bd I, p. 128.
-
[103]
Loc. cit., p. 128-129.
-
[104]
Loc. cit., p. 129. Formulation presque identique dans « L’idéologie… », E.C., p. 456-457.
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[105]
« Force et faiblesse de l’hitlérisme », p. 914
-
[106]
Loc. cit., p. 914.
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[107]
Loc. cit., p. 914-915.
-
[108]
« Les lois de Nuremberg », p. 290.
-
[109]
Loc. cit., p. 290.
-
[110]
Loc. cit., p. 291.
-
[111]
Loc. cit., p. 291.
-
[112]
Loc. cit., p. 292
-
[113]
Loc. cit., p. 293
-
[114]
Loc. cit., p. 293
-
[115]
J.-C. Gruffat, « Les écrits de doctrine de René Capitant », Politique, 1970, p. 25.
-
[116]
L. Hamon, « Le gaullisme de René Capitant », Espoir, N° 36, oct. 1981, N° spécial Capitant, p. 20.
-
[117]
Sur l’universalisme de la Révolution française, thème bien connu, on se permettra de renvoyer le lecteur à titre d’hommage à un ami trop tôt disparu à l’article de Jacques Lafon : « Langue et pouvoir : aux origines de “l’exception culturelle française” », Revue historique, tome CCXXII/2, 1995, p. 393-419.
« Le grand mérite de René Capitant, c’est d’avoir aperçu très tôt toute l’importance concrète de la contre-révolution culturelle nazie » [2]
1Si l’on connaît assez bien la personnalité de René Capitant (1901-1970), ce juriste intransigeant gaulliste de gauche, qui fut deux fois ministre du général de Gaulle ministre de l’Éducation dans le Gouvernement provisoire de la République française (1944-1945) et Garde des Sceaux (1968-1969) , on connaît un peu moins son œuvre constitutionnelle.
2Et par œuvre constitutionnelle, il faut entendre dans son cas, non seulement les écrits de droit constitutionnel, stricto sensu, mais aussi tous les écrits qui traitent des idéologies politiques ou des idées politiques. La raison en est simple : pour René Capitant, il était impossible de distinguer radicalement entre les deux sphères. Résumant sa conception, Gérard Conac, écrit : « le droit constitutionnel n’est pas seulement une donnée à prendre en compte parmi d’autres (par exemple : le rapport de forces politiques et sociales, le comportement des acteurs), c’est la réalité politique elle-même. Ce sont ses règles qui en s’associant, se renforçant, se neutralisant, établissent une hiérarchie des pouvoirs. Mais ce ne sont pas des règles mortes. La pratique est inséparable des textes. Pour René Capitant, elle est aussi du droit. On connaît sa théorie très extensive de la coutume en droit constitutionnel. Elle lui permet de “juridiciser” ce que des exégètes qui s’en tiendraient aux seuls textes constitutionnels pourraient ignorer, excommunier comme inconstitutionnel ou abandonneraient aux non-juristes, par exemple aux sociologues. […] Comme il était d’autre part convaincu qu’à la base de toute organisation politique, il y a des valeurs, une certaine conception de l’homme, il n’excluait pas les idéologies de son champ d’investigation […]. Et c’est parce qu’il allait jusqu’à la racine philosophique des régimes politiques qu’il pouvait se garder des confusions verbales (par exemple entre totalitarisme et démocratie) et donner à des institutions comme le suffrage universel des significations différentes selon qu’elles intervenaient dans un contexte libéral ou autoritaire, dans un système de parti unique ou de pluralisme partisan. Ce gardien des concepts n’admettait pas les amalgames trompeurs » [3].
3Cette conception du droit constitutionnel a eu l’occasion de s’exprimer dans l’analyse qu’il fit du régime nazi régime qu’il eut la curiosité d’examiner de près en 1934, à Berlin [4]. Nous avons eu l’occasion, ailleurs [5], de rendre compte de son analyse, en nous fondant sur le corpus de textes existants et en étudiant plus particulièrement le droit public hitlérien. On voit, à les lire, que René Capitant comprend rapidement l’importance et le sérieux de la menace nazie hitlérienne. Leur immense intérêt tient à ce qu’ils sont écrits « à chaud », sur le vif, de la part d’un témoin attentif, doublé d’un juriste perspicace. D’ailleurs, la qualité de son analyse du régime hitlérien n’a pas manqué d’être reconnue. D’abord par ses contemporains, comme en témoigne l’éloge de la revue L’Année politique française et étrangère qui justifie la publication en 1937 d’un article déjà publié ailleurs pratique inhabituelle dans cette revue par le fait que son auteur « a des problèmes allemands une connaissance exceptionnelle » [6]. Et ensuite par un historien comme Louis Dupeux, qui est le seul à avoir consacré une étude à ces textes de Capitant et qui lui accorde « la première place » parmi les juristes qui ont observé le régime nazi [7].
4Cependant, malgré son importance, cet aspect de son œuvre constitutionnelle de jeunesse est largement méconnu par les juristes et politistes. Ainsi, le recueil de ses Écrits constitutionnels ne comporte qu’un seul article de cette époque [8]. Seul, Jean-Pierre Morellou a noté, à juste titre, que « ses articles sur l’Allemagne d’avant-guerre [sont] plus remarquables, peut-être que ses études françaises » [9] de l’époque sur le parlementarisme. Il n’est pourtant pas inintéressant d’examiner cette production « allemande » de la pensée de René Capitant pour comprendre une partie de son évolution ultérieure. Il se souviendra dans ces discours parlementaires d’après-guerre de son analyse du nazisme lorsqu’il s’opposera aux thèses des communistes sur la Déclaration des droits de l’homme et leur apologie des « libertés concrètes » par rapport à la liberté abstraite. Dans un grand discours à l’Assemblée nationale constituante, en date du 8 mars 1946 [10], il reprend presque mot pour mot son analyse de l’idéologie nazie pour s’opposer aux propositions des partis de gauche sur la Déclaration des droits. De même, dans son Cours de 1953 sur les principes de la démocratie, il emprunte plusieurs idées à son analyse de l’idéologie nazie [11].
5De ce lien entre le droit constitutionnel et les idées politiques découle l’idée selon laquelle la compréhension de l’Allemagne hitlérienne, suppose d’analyser l’idéologie nazie. Telle est l’idée défendue par Capitant dès le début de son article sur « l’idéologie nationale-socialiste » (1935) : « On a pu dire de la révolution fasciste qu’elle fut essentiellement empirique. La révolution nationale-socialiste est au contraire, essentiellement idéologique. Elle est une réforme religieuse, autant que politique. Hitler est le prophète d’une philosophie, d’une Weltanschauung nouvelle, avant d’être le chef d’un puissant État » [12]. Ainsi, son projet vise à articuler ensemble la doctrine et la pratique nazie, en partant d’un principe : la primauté de la doctrine sur la pratique. Son leitmotiv serait presque : « prendre la doctrine nazie au sérieux », ce qui revient aussi à dire « prendre Hitler au sérieux ». En effet, Capitant accorde une place déterminante à Mein Kampf qui contient, selon lui, la doctrine qui va se réaliser dans la pratique , et également aux discours politiques du Führer qu’il étudie minutieusement [13]. De manière générale, il accorde une importance secondaire aux écrits des théoriciens juristes qu’il cite à l’occasion [14], préférant se référer aux dirigeants du régime, Hitler en tête, mais aussi aux dignitaires du régime que sont Goering, Goebbels, Darré, ou encore Schacht.
6De ce point de vue, sa démarche diffère totalement de son contemporain, Franz Neumann, qui considère l’idéologie nazie comme une doctrine purement opportuniste [15] sur laquelle on ne peut fonder aucune analyse sérieuse du régime. À l’inverse de cette démarche marxiste qui propose de relativiser l’idéologie nazie au profit de l’analyse des rapports sociaux, le jeune juriste français juge importants de tels textes et leur confère une certaine cohérence doctrinale. Il souligne d’ailleurs l’intérêt que le régime lui-même prête à sa propre idéologie : « le national socialisme prétend être une doctrine, et il attend de lui-même sa plus grande force d’expansion et de rayonnement » [16]. Dès 1935, Capitant, témoin attentif des premiers succès d’Hitler avertit tous les penseurs marqués par la philosophie matérialiste qu’ils ne devraient pas balayer d’un revers de la main toute cette « mystique » nazie [17]. C’est pourquoi il cherche à dégager la logique profonde de cette doctrine. Il s’est aperçu en effet « qu’une analyse de l’État ne saurait suffire à rendre compte du nouveau régime. Il faut d’abord prendre pleinement conscience d’une authentique révolution intellectuelle, puis étudier l’impact de cette révolution sur l’organisation de la société par l’intermédiaire du pouvoir politique » [18].
7Enfin ultime question à se poser , on ne peut savoir s’il est intéressant d’exhumer de tels textes que si l’on est en mesure de répondre à la question suivante : y a-t-il un apport spécifique de Capitant à la connaissance du nazisme ? La réponse doit être, selon nous affirmative, car il a saisi l’originalité du régime nazi, qui se distingue de la dictature mussolinienne ou de la dictature soviétique, mais également du régime bismarckien. Son analyse fournit notamment l’un des rares exemples, chez les contemporains du régime, d’une critique libérale du national-socialisme. Parmi les théories relatives au nazisme écrites par des contemporains, on connaît surtout les réflexions des « publicistes » allemands, pour la plupart émigrés, qui ont analysé le nazisme sur la base du marxisme classique. Selon le premier d’entre eux, Ernst Fraenkel, l’État nazi doit être interprété comme un « État dual » ( dual State) qui fait coexister, d’un côté, un État de normes et un État législatif, avec, d’autre côté, un État de mesures arbitraires qui fonctionne comme une dictature. La rationalité technique du capitalisme, inscrite dans le premier type d’État se conjugue avec l’irrationalité des mesures prises par le second État [19]. L’ordre juridico-social produit par cet État est considéré comme un « nouveau type de capitalisme » [20]. Quant au second auteur marxiste, Franz Neumann, il est plus connu en France puisque son maître-ouvrage sur le nazisme, Béhémoth, y a été traduit. Selon lui, l’État hitlérien doit être interprété comme un « État de non-droit » ( Unrechtstaat), un chaos, un règne du non-droit et de l’anarchie [21]. L’arrivée au pouvoir des nazis s’explique par la volonté de sortir de la crise de la démocratie de Weimar par le « retour à l’expansion impérialiste » [22], l’impérialisme étant évidemment la porte de sortie d’un capitalisme agonisant. Ainsi, en dépit de leurs divergences internes, ces deux analyses se rejoignent en ce qu’elles interprètent le national-socialisme comme l’ultime moyen trouvé par la bourgeoisie pour conserver son pouvoir et sauver le système économico-social capitaliste.
8Au rebours de cette interprétation marxiste, et donc largement « économiste », Capitant privilégie constamment une lecture politique et libérale du régime. Politique dans la mesure où son interprétation est essentiellement commandée par des considérations de politique extérieure (de haute politique) et par la mise en valeur du nationalisme comme ressort profond du régime. Libérale, dans la mesure où c’est la doctrine libérale individualiste qui lui sert d’étalon de mesure pour évaluer, c’est-à-dire critiquer les mesures prises par Hitler et ses sbires. Le terme de « libéral » pourrait surprendre quand on connaît son activité ultérieure de gaulliste de gauche et son apologie d’un État fort dans une démocratie [23]. Il faudrait, selon nous, garder à l’esprit que le gaullisme de Capitant s’inscrit dans cette tradition du « libéralisme par l’État » dont Lucien Jaume nous a appris qu’il était une composante typique, même dominante, du libéralisme français [24].
9Quelle est la ligne de force de la vision de l’idéologie nazie par René Capitant ? Elle tient dans la proposition, sans cesse reprise, selon laquelle le national-socialisme est « l’antithèse même de l’individualisme » [25]. En réalité cette antithèse est une autre manière d’exprimer l’opposition qui existe entre l’idéologie du III° Reich et l’idéologie de la IIIe République, dont la grandeur serait selon Capitant, « l’individualisme » [26].
I – Une idéologie discréditée comme « l’antithèse même de l’individualisme »
10Loin de décrire l’idéologie nationale-socialiste dans l’abstrait, le professeur de Strasbourg la juge et la compare à sa propre idéologie de référence, l’idéologie républicaine, telle qu’elle est condensée dans la pensée du philosophe radical, Alain. Dans celle-ci, écrit-il, « on […] trouve sans peine la pensée militante de la République française. On y trouve une défense de l’individualisme, écrite il y a plus de dix ans et souvent il y a plus de vingt ans, mais qui s’oppose de façon si directe et parfois si prophétique aux doctrines du national-socialisme, qu’elle revêt, malgré l’ironie dont elle se pare, une actualité dramatique » [27]. En d’autres termes, René Capitant observe l’idéologie nationale-socialiste à travers les lunettes de la philosophie « individualiste » d’Alain qui est, à cette époque, la personnalité qui a intellectuellement marqué le plus le jeune professeur publiciste [28]. On verra également que son étude de la pensée politique de Hobbes lui permettra de confirmer son analyse de l’idéologie du IIIe Reich comme étant essentiellement hostile à la modernité politique [29].
Organicisme nazi versus individualisme français ?
11Voyons en quoi cette philosophie individualiste, à laquelle Capitant adhère, est radicalement mise en cause par la doctrine du national-socialisme qui en rejette les fondements philosophiques de la politique. De ce point de vue, le national-socialisme accomplit une sorte de révolution culturelle en niant les bases de ce qu’on appellerait aujourd’hui la modernité politique. Comme l’a observé Louis Dupeux, « c’est précisément dans la remise en cause de la notion d’individu au profit de la notion mystique de communauté que Capitant distingue à juste titre le trait le plus révolutionnaire ou le plus réactionnaire du nazisme » [30]. Et il est vrai que le professeur de Strasbourg s’est rendu compte du changement copernicien engendré par le national-socialisme, qu’atteste la conférence d’Otto Dietrich, chef du service de presse du NSDAP, ici citée :
« La pensée individualiste repose sur le postulat que l’homme est un individu. Ce postulat est faux. L’homme n’apparaît dans le monde que comme membre d’une communauté. Dans tous ses actes, l’homme est un être collectif et ne peut être pensé que comme tel. Les seules données réelles du monde sont les races, les peuples, les nations et non les individus. Le national-socialisme considère le Volk comme la seule réalité organique. » [31]
13La doctrine nazie inverse toutes les valeurs. Non seulement l’individu est désormais privé d’existence et donc de droits, comme le note Capitant, mais encore, il perd toute autonomie dans la mesure où cette exaltation de la communauté débouche sur l’obéissance, prétendument volontaire à un Chef. Le règne du nazisme, c’est celui de l’hétéronomie et de la servitude volontaire. Ailleurs, et plus tard, Capitant tente de résumer l’opposition profonde entre le national-socialisme et l’individualisme des Lumières.
« On ne peut mieux le définir que par cette opposition, ni mieux apercevoir le renversement de valeurs qu’il réalise. Car l’État moderne, depuis le xviiie siècle, est essentiellement fondé sur l’idée que la société n’a pas d’existence propre et distincte de celle des individus qui la composent, que l’individu est ainsi à l’origine et à la fin de la société, et l’État au service de l’individu. Non pas que les disciplines collectives soient superflues, puisque l’État a précisément pour mission de les faire régner. Mais elles ne peuvent avoir d’autre fin et d’autre justification que l’intérêt des libertés elles-mêmes ou la sauvegarde de la justice, cette revendication de la conscience humaine. L’individu, suivant le mot de Kant, n’est pas un moyen, mais une fin. Tel est le sens profond de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Telle est la charte du droit public moderne. Or, le national-socialisme en prend le contre-pied. Il retire à l’homme son autonomie. Il le dissout dans le groupe. Il le livre à Léviathan, l’être collectif dont les individus constituent la chair, mais dont l’esprit et les fins leur sont radicalement étrangers. » [32]
15Par opposition à cette pensée moderne de l’individualisme, l’idéologie nazie fait de la nation (du Volk) l’horizon ultime et définitif du régime, et lui sacrifie l’individu, qui est réduit au seul statut de membre du grand Tout collectif. « Le Volk, dans la conception organiciste du national-socialisme, est bien […] cette idole assoiffée de tyrannie et de sang. Une idole qui prétend concentrer en elle toute réalité humaine, qui impose à l’individu son culte exclusif et qui pousse la tyrannie jusqu’à lui dénier toute existence en dehors d’elle. » [33]. Le national-socialisme repose sur une conception réaliste et organiciste du peuple : son postulat « consiste à voir dans le peuple, dans la nation, dans le Volk, une véritable réalité organique. L’individu isolé n’existe pas, il n’est qu’une abstraction privée de toute vie et de toute réalité. Il n’acquiert de puissance et d’immortalité que dans la mesure où il s’intègre à la réalité impérieuse et permanente de sa race et de son peuple. Il ne vit, il n’existe que par la collectivité. » [34]. Le socialisme organiciste est donc déterministe, il nie toute possibilité de libre-arbitre, et pire encore ce déterminisme est d’ordre biologique et héréditaire « Nous sommes déterminés dans notre chair et dans nos esprits. Notre chair est collective et nos sentiments sont condamnés » [35].
16D’où l’hostilité de Capitant à une telle doctrine qui ruine, selon lui, toute une tradition humaniste qu’il appelle l’individualisme, fondé sur le principe fondateur de l’autonomie, ou si l’on veut, le principe même de la liberté de l’homme. On a déjà rencontré cette idée fondamentale selon laquelle l’individualisme signifierait la primauté de l’esprit sur le corps, de l’âme sur le corps. Or, aux antipodes de cette idéologie républicaine figure l’idéologie nationale-socialiste, et c’est ce qui la discrédite aux yeux de René Capitant, car elle repose sur une primauté de l’instinct sur la conscience, de la force sur la raison [36]. L’idéologie totalitaire est perçue on l’a vue comme malfaisante car elle signifie, en dernière analyse, le matérialisme le plus grossier, alors qu’au contraire, l’individu représente un spiritualisme élevé que Capitant appelle l’humanisme. Son humanisme ou son spiritualisme est syncrétique car il mêle deux traditions différentes : la tradition du christianisme et la tradition de 1789.
17En effet, René Capitant s’oppose au « mythe » de la nation allemande, nation « völkisch », qui est « contraire à toute notre tradition spirituelle, car il heurte autant la pensée chrétienne que la libre-pensée » [37]. Mais plus que la tradition chrétienne, Capitant préfère invoquer la tradition des Lumières qu’il fait remonter explicitement à Descartes, mais dont on a vu qu’elle était actualisée par Alain. Au rebours de l’idéologie nazie, l’individualisme
« affirme […] qu’une autre partie de l’être humain, la plus précieuse, la plus noble, est irréductiblement individuelle. Il professe le cogito ergo sum de Descartes. La pensée lui apparaît comme le privilège de l’homme et le signe de son individualité. Le progrès humain est, à ses yeux, de permettre à l’individu de se dégager de la vie inconsciente et animale pour accéder à une conscience et à une pensée de plus en plus libres. Le progrès surgit de la lutte de l’individu contre la société, de l’esprit contre l’instinct ; de l’homme contre Léviathan. Lutte psychologique, et philosophique, d’abord, mais qui doit inévitablement se poursuivre sur le plan politique. Car l’État ne saurait être qu’un instrument de cette émancipation individuelle. Aux forces d’assujettissement naturelles ou mystiques de la société, il a pour mission de substituer la discipline rationnelle d’un ordre individualiste. De ce dernier, la liberté ne saurait être le seul principe, car l’utilité commune et la justice sont des fins également nécessaires, et qui exigent que des limites soient posées aux libertés. Mais il existe un minimum irréductible de liberté individuelle qui découle de la nature même de l’homme et des exigences de la personne. Sans lui, l’homme cesserait d’être homme. Aussi l’individu doit-il être garanti contre l’État et le but suprême de toute constitution politique est, pour cette raison, après avoir affirmé les sacrifices nécessaires de la liberté, de proclamer et d’organiser les libertés essentielles de l’homme. » [38]
19Aux yeux du juriste français, la tradition de 1789 correspond à la tradition de l’Europe éclairée qui remonterait à Descartes, l’inventeur de la raison moderne, raison conçue comme la manifestation de la dignité de l’homme. À l’inverse donc du collectivisme nazi, Capitant pense, comme on l’a relevé, que « le jugement libre est une valeur suprême. Or, le jugement libre est par excellence un jugement individuel et rationnel » [39]. Or, justement, le jugement libre a quelque chose de diabolique pour le national-socialisme qui en appelle justement à l’instinct (celui de la race), et qui « s’assigne pour mission d’organiser collectivement la communauté allemande, die deutsche Volksgemeinsachft » [40]. C’est pourquoi aussi il fait preuve d’un anti-intellectualisme marqué qui se conjugue, de manière pathologique, avec l’antisémitisme. « La conscience a des replis où peut encore s’abriter l’esprit critique […]. Aussi le national-socialisme se défie-t-il des solitaires. Quand il parle de l’intellectualisme, der judische Intellektualismus, la haine éclaire le visage de Hitler. Et qu’est-ce donc que l’intellectualisme juif, sinon l’intelligence pure, l’intelligence froide, la passion de savoir pour savoir, la négation cartésienne, cette lumière implacable, qui dissipe les nuées et qui révèle le néant » [41]. À plusieurs reprises, Capitant souligne cette folle prétention des nazis à gouverner les esprits qui se heurte à la conscience qui, dans ses moindres replis, peut toujours refuser cette violence de l’État inscrite dans la politique d’embrigadement des citoyens.
20On ajoutera cependant une notation critique : Capitant est moins convaincant lorsqu’il rapporte cette opposition entre l’individualisme et l’organicisme à des types nationaux de pensée. Ainsi, écrit-il, que l’individualisme « qui inspira jadis la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, reste profondément vivant dans l’âme du peuple français. Il reste fidèle à l’enseignement du grand philosophe allemand, au principe que l’individu est une fin et non pas un moyen » [42]. Non sans contradiction, il ajoute que cette « idéologie politique française […] n’est sans doute pas spéciale, à la France. Elle fut naguère commune à toute l’Europe. […] L’Allemagne a brisé avec cette tradition. Elle rejette et violemment et radicalement cette conception de l’homme et de l’État, dont la philosophie nationale-socialiste est l’antithèse la plus absolue. La France, au contraire, y reste profondément fidèle » [43]. Par opposition à cet individualisme d’origine française s’opposerait donc l’organicisme d’origine allemande et qui aurait pour effet de briser l’individu. On voit bien la contradiction dans laquelle tombe Capitant quand il réfère la pensée individualiste à un penseur allemand comme Kant, et quand il affirme, en même temps, que cet individualisme est le propre de l’âme française. Il y a dans la pensée allemande tout un courant « individualiste » au sens où il l’entend et hostile à l’organicisme. Inversement, l’avenir montrera que la France n’était pas à l’abri du fascisme et donc de l’organicisme.
La confrontation de l’idéologie nationale-socialiste avec la pensée de Hobbes
21Probablement sous l’influence d’Alain, René Capitant a tendance dans ses premières études à assimiler l’État national-socialiste au Léviathan, donc inévitablement à identifier l’idéologie nationale-socialiste à celle de Thomas Hobbes. Or, à partir de 1935, il approfondit cette comparaison pour en tirer une conclusion diamétralement opposée : la doctrine de l’absolutisme hobbésien n’a rien à voir avec la doctrine nationale-socialiste. Il y a entre elles toute la distance qui sépare l’individualisme de l’organicisme.
22Cet approfondissement est imposé, en quelque sorte, à Capitant par la parution d’un livre d’un universitaire, J. Vialatoux La Cité de Hobbes, théorie de l’État totalitaire » (1935) qui expose le point de vue catholique sur cette question. Ce dernier « n’hésite pas à voir dans le Léviathan de Hobbes un État totalitaire semblable aux dictatures modernes » [44]. Toutefois, selon Capitant, cette thèse est inexacte [45]. D’un côté, elle reprend une antienne de la pensée catholique qui reproche à Hobbes d’être un penseur de la modernité, et de l’autre, elle interprète l’hitlérisme comme la résurgence moderne d’une « erreur ancienne » imputable au philosophe anglais [46]. Capitant rappelle néanmoins que l’opposition des catholiques à Hobbes résulte essentiellement de ce qu’ils lui reprochent d’avoir déclaré l’Église catholique incompatible avec l’État. L’assimilation des deux idéologies, hobbésienne et totalitaire, est donc une occasion de refaire le procès de Hobbes. Contre cette tentative, le professeur de Strasbourg s’attache à montrer les « profondes différences » qui séparent « la doctrine du philosophe anglais, rationaliste et individualiste, des doctrines organicistes et mystiques qui soulèvent l’Allemagne du IIIe Reich » [47]. En montrant ces différences, il entend espère-t-il « contribuer à l’explication de l’Allemagne contemporaine » [48], tout comme d’ailleurs il avait voulu faire en exposant la doctrine radicale d’Alain.
23En effet, explique-t-il « la pensée de Hobbes […] est profondément individualiste et par, conséquent en opposition complète avec l’organicisme de l’État totalitaire allemand » [49]. On le voit bien à travers l’exemple de l’État. D’un côté, « le IIIe Reich voit […] dans le Léviathan un être collectif et réel et s’assigne pour mission de l’aider à l’incarner et à s’accomplir. L’État est, en quelque sorte, la loi vitale, qui s’empare des individus, les façonne, les organise et les assujettit aux fins de l’organisme social. En lui Léviathan prend corps. Il est vraiment l’animal monstrueux, fait de la chair des hommes, mais dont l’âme instinctive est radicalement étrangère à ceux-ci. » Rien de tel bien entendu chez Hobbes qui fait du Léviathan un usage purement métaphorique. Ici, l’État n’est qu’un simple moyen, et le Léviathan est un être artificiel, un simple « animal artificiel ». « Ce n’est même qu’une image, une fiction juridique qui ne donne à l’État d’autre personnalité que civile […] Comme la plupart des personnes de son temps, il conçoit l’État sous la forme d’un contrat social, d’un pacte conclu entre les individus. Nulle trace d’organicisme en lui, mais l’individualisme le plus rigoureux » [50]. Paradoxalement, il va même jusqu’à trouver chez Hobbes le paradigme permettant de dégager un modèle intellectuel qui s’oppose à l’idéologie totalitaire.
24De ce point de vue, c’est l’exemple des rapports entre la religion et l’État qui révèle bien la différence capitale entre les deux idéologies, l’absolutisme de Hobbes et l’idéologie du IIIe Reich. La grande leçon de Hobbes consiste à montrer que « l’État ne peut s’adresser exclusivement aux corps. Il s’adresse même essentiellement à l’esprit des hommes pour diriger leurs actions. La loi pénale […] n’agit pas à la façon des causes naturelles, mais par la crainte qu’elle inspire, par la menace d’une sanction. Elle agit sur la raison, en provoquant une “délibération” chez les sujets (V. De Cive, XVII, 14). Ainsi, le gouvernement des corps exige le gouvernement des esprits, l’ordre temporel est conditionné par l’ordre spirituel et la police est obligée de pénétrer dans le domaine des consciences » [51]. Mais précisément, Hobbes ne recourt pas à des moyens totalitaires pour exercer cette domination des esprits. En effet, contrairement à ce que croit l’opinion commune, l’absolutisme hobbésien ayant un caractère limité dans son extension matérielle (dans son domaine) peut se combiner avec un certain libéralisme (un État absolu dans ses moyens, mais libéral dans ses fins) [52]. En d’autres termes, il est plutôt formel, de nature juridique, c’est-à-dire « limité à la sphère juridique » ; en revanche, il est tenu par des règles morales et religieuses. D’où une formule choc de Capitant qui rend compte assez bien de l’intention finalement libérale du philosophe anglais : sur le fond, « l’absolutisme politique de Hobbes recouvre […] une sorte de libéralisme moral, et rien ne montre mieux sa nature profonde, ni ne l’oppose plus clairement au totalitarisme » [53]. En revanche, « l’absolutisme totalitaire » a un caractère potentiellement illimité en raison de la domination de l’idéologie totalitaire, comme on le verra à propos du caractère mystique de cette idéologie (V. infra § 2).
25Mais, finalement, ce qui marque peut-être le mieux la différence entre les deux systèmes de pensée, c’est leur Weltanschauung, leur vision ultime de ce qu’est le sens de la vie. D’un côté, « pour Hobbes, le bien suprême de l’individu est la vie, le mal suprême la mort. Aussi l’État a-t-il pour mission essentielle de garantir aux individus la sécurité en faisant régner l’ordre. […] Ainsi, l’absolutisme est, pour Hobbes, la condition même de la sécurité individuelle. Tout son système s’explique par l’idée qu’il place la sécurité au-dessus de la liberté et de la justice. Mais cela ne l’empêche pas de rester individualiste » [54]. Bien qu’il ne le dise pas, cet idéal hobbésien exprime la quintessence de la société de la modernité, qui annonce le triomphe de la bourgeoisie. Par opposition à cet idéal bourgeois de la sécurité, l’idéal nazi présente une dimension férocement anti-bourgeoise qui a séduit certains esprits par son orientation romantique, même morbide [55]. En effet, alors que Mussolini propose comme slogan « Vivre dangereusement », Hitler prêche : « Vivre héroïquement », le philosophe anglais commente Capitant refuserait assurément de reconnaître ces devises [56]. Ainsi, la comparaison avec l’absolutisme hobbésien » a permis à Capitant de dégager les traits spécifiques de l’idéologie nazie.
Le nationalisme comme illustration de cet organicisme
26Au sein de l’idéologie nationale-socialiste, le nationalisme occupe une place à part, et plus exactement la première place. « Négligeant l’individu écrit Capitant pour ne considérer que l’organisme social, le national-socialisme est donc irrésistiblement conduit à faire de l’État l’instrument de la puissance et de l’expansion nationales. Il est le nationalisme porté à son expression la plus haute, le nationalisme intégral, dans toute la force du terme. Telle est l’idée-force, l’idée mère du national-socialisme. Toute la politique, intérieure et extérieure du IIIe Reich en découle. » [57]
27La particularité de cette idéologie est d’associer le nationalisme à un pangermanisme lui-même fondé sur l’idée de race. Mais ce qui nous intéresse ici, c’est son rapport intrinsèque avec l’organicisme. En effet, « l’État national-socialiste, se détournant de l’individu, se met et ne peut que se mettre tout entier au service du nationalisme. Il proclame et il ne peut pas ne pas proclamer le primat de la politique extérieure sur la politique intérieure. Il a et ne peut avoir pour mission que de stimuler et de conjuguer toutes les forces nationales au profit du nationalisme. Il est et ne peut être que la mobilisation totale et permanente du peuple allemand. » [58] Ainsi, cette idéologie nationale-socialiste se distingue des autres idéologies d’inspiration individualiste qui entendent mettre l’État au service, non pas de la nation, mais de l’individu.
28Plus grave, le nationalisme en question a une connotation belliciste, car la guerre est une des expressions les plus fortes de la primauté de la nation sur l’individu. La primauté de la politique extérieure implique la primauté de la force militaire, de la puissance. Ce postulat découle chez Hitler de la représentation qu’il se fait du passé de son pays humilié par le Traité de Versailles, et de sa mission qui consiste à le laver de ce déshonneur qui touche chaque Allemand. « La grandeur de l’Allemagne, Hitler ne la conçoit pas, sinon appuyée sur la force, sur la force militaire. Et cette force militaire elle-même, il ne pouvait la concevoir autrement que sous la forme de la Reichswehr, d’une Reichswehr agrandie, multipliée sans doute par le service militaire et l’afflux des réserves que ses S.A. et ses S.S. pouvaient fournir, mais restant sous le commandement de ses généraux. » [59] Le régime n’est pas à proprement parler un régime militaire, car le pouvoir est exercé par des civils. Capitant considère que le régime hitlérien a eu l’intelligence de recueillir à son propre compte l’héritage prussien [60] et que cet héritage, atténue la différence avec les régimes précédents et établit un lien entre le nazisme et les théoriciens de la Révolution conservatrice (Moeller, Spengler etc.). « Hitler gouverne, au sens propre du mot. On en a fait pourtant le prisonnier de la Reichswehr. Quelle étrange illusion ! On oublie que le nationalisme, la grandeur et la puissance de l’Allemagne ont de tous temps été l’idée profonde, le but suprême de Hitler » [61]. Ainsi, Capitant est amené à accorder une place déterminante dans son analyse aux conséquences de ce nationalisme conséquences qui se manifestent, d’une part, dans l’organisation économique et sociale du régime, et, d’autre part, dans la politique extérieure du régime (V. infra § 2 et § 3).
29En réalité, le nationalisme des dirigeants nazis est une manifestation exemplaire de la primauté de la Nation, du Volk sur l’individu. Capitant souligne la cohérence de la doctrine, c’est-à-dire le lien structurel entre organicisme et collectivisme. En effet, « le Volk dépasse infiniment l’individu. Il suit sa loi propre, il accomplit sa mission, il poursuit son destin, au moyen des individus qui le composent et qu’il anime, mais indifférent à leurs désirs ou à leur sort. Les individus sont la matière de son corps, mais non l’esprit qui le dirige, ni l’enjeu de son action. Cet enjeu est exclusivement la grandeur de la nation, de cette nation pétrie d’individus et pourtant si radicalement étrangère à ceux-ci » [62]. Très concrètement, le nationalisme allemand signifie l’asservissement de l’individu, son encadrement, et, plus globalement, la transformation de l’Allemagne en une immense caserne. L’un des traits de cet État totalitaire est précisément l’embrigadement de la population prise au piège dans une sorte de mobilisation permanente du pays (V. infra, § 3). Le socialisme, que revendiquent les nazis, n’est en réalité autre chose qu’un socialisme de caserne qui transforme chaque citoyen en soldat et la population dans son ensemble en une immense armée. « C’est un socialisme essentiellement militaire. Ce qui pour nous, n’est qu’un paradoxe, la caserne parfaite réalisation de l’idéal communiste, devient en Allemagne, la devise du régime. “Le socialisme, tel que nous l’entendons, s’écrie le Dr Goebbels, est le meilleur héritage de la Prusse.” C’est un socialisme soldatique. Socialisme prussien, le mot revient constamment dans la bouche des chefs hitlériens » [63]. Cette notation effectuée dès 1935 par Capitant est sans cesse « concrétisée » dans ses articles sur le droit public hitlérien. Dans son article sur « l’État national-socialiste », il cite l’éloge fait par le Dr Dietrich du « dressage de caserne » ( den Kasernenhofdrill) [64], le dressage militaire étant considéré comme le modèle de l’éducation qu’il faut étendre à toutes les formations annexes du partis (éducation de la jeunesse). Il montre comment « c’est cet esprit de discipline, cette reconnaissance et cette soumission absolue aux chefs que le national-socialisme a donnés à l’Allemagne » [65]. Et pour mieux illustrer cette thèse générale, il cite et traduit le serment des membres du parti d’obéir à Hitler serment écrit-il « où nous voyons une abdication de la liberté, mais que le national-socialisme exalte comme le triomphe de la volonté et de la personnalité » [66]. Ainsi, cette idéologie nationale-socialiste renverse toutes les valeurs : la liberté et la volonté, jadis l’apanage de l’individu, sont transférées à la collectivité tout entière, au « peuple ».
30Une telle description ne peut pas manquer d’arracher à Capitant des manifestations d’indignation. « Rien n’est plus inhumain écrit-il que le socialisme organiciste, tel que le professe l’Allemagne actuelle » [67]. Cela le conduit à hiérarchiser les termes de l’expression « national-socialisme » et à rappeler la subordination du socialisme à la Cause nationale :
« Ce qu’on trouve tout au fond de Mein Kampf, ce n’est pas du socialisme, c’est du nationalisme, ou plutôt c’est du socialisme dans la mesure où le nationalisme l’exige. Le socialisme national n’est et n’a jamais été autre chose que la mobilisation de la nation, de toutes ses forces constructives, pour les mettre au service du nationalisme. “Socialisme prussien” ou “Socialisme allemand”, c’est le titre d’une série de livres qui, de Moeller van den Brück, jusqu’à Sombart en passant par Spengler et Schinkel, décrivent le régime que nous voyons se constituer. C’est bien une économie de guerre fonctionnant dès le temps de paix et n’excluant pas les bénéfices de guerre. C’est ce socialisme qu’ont adopté MM. Schacht et Krupp von Bohlen, et Hitler n’en a jamais voulu d’autres » [68].
II – Le nazisme comme « mystique politique »
32L’opposition axiologique entre l’individu et la communauté redouble on l’a entrevu une opposition entre deux modes de penser : le rationalisme de la pensée individualiste et l’irrationalisme de l’idéologie nationale-socialiste. L’exégèse de Capitant vise à faire ressortir l’aspect proprement « mythique » irrationnel donc de cette dernière. Sous cet angle, Alain mais aussi Hobbes lui servent encore de révélateurs pour témoigner de ce couple antinomique du rationalisme et de l’individualisme.
33Le philosophe français Alain est perçu comme l’héritier fidèle de Descartes et de la tradition des Lumières et comme celui qui défend l’idée que « l’individualisme n’existe que par la libre volonté des citoyens, et ne se réalise que par l’accès des individus à la pensée individuelle » [69]. Ainsi, cette doctrine républicaine place l’individu au-dessus de la société en raison de la place éminente de la pensée, donc de la raison [70]. Quant à Hobbes, philosophe anglais, il défend l’intérêt contre l’instinct, et entend montrer que « ce n’est pas l’instinct, mais la discipline consentie qui est à l’origine de l’État » [71]. Dès lors, l’État absolutiste hobbésien n’a rien à voir avec l’État totalitaire de Hitler. Il est voulu par l’individu raisonnable qui comprend qu’il est de son intérêt bien entendu de consentir à l’existence de l’État qui lui évitera d’autres maux bien supérieurs (les maux de l’état de nature justement).
Le mythe aryen du peuple allemand
34Un des idéologues du régime, le Dr Dietrich, justifie ainsi le tour de passe-passe transformant la servitude en liberté retrouvée :
« Si paradoxal que cela puisse paraître, l’obéissance absolue poussée jusqu’à l’abdication de la volonté exige, en réalité, la dépense d’un maximum de volonté… Une volonté sans frein et sans loi interne se détruit finalement d’elle-même, la libre subordination à la volonté d’un chef, au contraire, en donnant à la volonté individuelle un but nettement marqué, en multiplie l’efficacité. Le “dressage militaire”, si diffamé, a une signification psychologique trop profonde pour que les critiques libéraux et marxistes aient pu l’apercevoir » [72].
36Capitant cite longuement ce passage saisissant où s’exalte une sorte de mystique de l’obéissance (de la Gefolgschaft) pour mieux faire comprendre la « révolution mentale » [73], produite par l’idéologie nazie qui inverse toutes les données des solutions classiquement admises par le libéralisme. Il entreprend surtout de démythifier cette exaltation de la communauté qui peut apparaître comme une nouvelle sorte d’idolâtrie, dangereuse car irrationnelle. Selon lui, l’organicisme qui fonde cette idéologie est irrationnel, nécessairement irrationnel, car il fait prévaloir des sentiments sur la raison individuelle. Écoutons encore Capitant : « Mysticisme et organicisme sont, d’ailleurs, intimement liées l’un à l’autre, comme d’autre part, rationalisme et individualisme. Là, en effet, on définit l’homme comme un animal raisonnable. Si on le caractérise par la pensée, alors on ne peut le concevoir que comme un individu, car rien n’est plus essentiellement individuel que la pensée. Mais si l’homme, au contraire, est un être social, une cellule de l’organisme collectif, alors sa véritable nature réside nécessairement dans son corps plus que dans son esprit, dans la croyance plus que dans la raison. Car c’est l’hérédité qui, par les liens du sang, rattache l’individu à sa race, ce sont les impulsions de l’âme, les forces obscurs de l’instinct, l’appel de la croyance et de l’irrationnel qui peuvent faire agir en lui l’âme collective de son peuple. C’est pourquoi l’organicisme allemand n’est et ne peut être que mystique, non seulement parce qu’il s’appuie sur le mythe de la race et du Volk, mais encore parce qu’il attend sa réalisation de la nouvelle foi allemande et de sa pénétration dans les consciences germaniques. » [74]
37La nature mystique de cette idéologie est capitale car elle fonde, légitime donc, l’idéologie totalitaire qui fait disparaître toutes les séparations institutionnelles. À la différence de l’absolutisme de Hobbes,
« l’absolutisme totalitaire […] découle directement du messianisme de l’État, car la dictature moderne se présente comme une dictature messianique. L’État repose sur une doctrine, une mystique, une religion communisme, fascisme ou national-socialisme. C’est d’elle qu’il tire sa légitimité, ses principes d’organisation, et ses fins politiques. Ainsi lié et identifié à elle, il a pour mission de les propager dans son peuple. Son existence même dépend d’ailleurs de sa diffusion et de sa pénétration dans les consciences. Le citoyen devient fidèle. L’État devient Église. Il se saisit des âmes en même temps que des corps. Mais sans cesser pour cela d’être État, car son dogme est orienté vers l’action, son royaume est de ce monde » [75].
39En qualifiant de « mystique » cette idéologie nationale-socialiste et en déroulant certaines des conséquences qui s’y attachent, Capitant n’est certes pas complètement original ; il l’est davantage en caractérisant, « à chaud » en quelque sorte, le nazisme comme religion sécularisée, ayant à sa tête Adolf Hitler, « le Dictateur allemand, grand-prêtre d’une idéologie qui s’empare de la nation et lui impose une mobilisation totale, politique, économique, intellectuelle, et morale » [76]. Cette dimension religieuse, mystique ou messianique se reflète notamment dans l’art de gouverner qui est à mille lieues de l’art libéral du gouvernement. L’observateur français note par exemple que « le national-socialisme […] sous-estime systématiquement le risque d’erreur » dans l’exécution de sa politique. En revanche, « quant aux buts et quant à la méthode de l’action, quant aux lignes générales de son programme, il est bien trop pénétré de mystique et de messianisme pour ne pas affirmer être en possession de la vérité. Il procède par dogmes, il apporte à l’Allemagne une révélation, une religion et le dogme exclut l’erreur » [77].
40Comment un chef aussi dogmatique qu’Hitler a-t-il pu prendre l’ascendant sur le peuple allemand ? Pour répondre à cette question, Capitant se fonde sur l’idée que le Führer est un leader charismatique, même s’il n’emploie jamais cette expression de Max Weber [78]. Aussi n’a-t-il de cesse de souligner chez Hitler la dimension d’un nouveau Prophète politique qui, mêlant la politique et la religion (la mystique), est capable d’enflammer les foules et donc de provoquer l’adhésion ou la communion populaire. « Hitler est sincère, comme un prophète. Il ne peut plus renier son idéologie qui s’est emparée de lui à tel point qu’il ne peut plus penser que par elle, et qu’elle est devenue sa vraie substance mentale. Sans doute la réalité résiste parfois à la “dure réalité” […] Mais c’est l’idéologie qui l’inspire. Et le drame de l’Allemagne, c’est ce combat d’une mystique avec la réalité » [79]. Il tente d’expliquer l’inexplicable pour un Français, c’est-à-dire savoir comment les Allemands peuvent avoir l’impression d’avoir en Hitler un Chef exceptionnel qui serait chargé d’une mission révélée. Les faits ne donnent-ils pas raison à ce dernier ? « Les succès remportés, le miracle de son accession au pouvoir, la restauration de la puissance allemande, en dépit des Traités et des États hostiles, ne sont-ils pas un signe provisoire de sa mission ? Den Befehl gab uns kein irdischer Vorgesetzter, den gab uns Gott ? » Et quand un homme se sent ainsi prédestiné, quelle puissance ne possède pas sa volonté ? [80] Par conséquent, le leader « inspiré » est redoutable car sa volonté est décuplée par les premiers succès qu’il remporte et qui le confirment dans la mission divine qu’il croit avoir. De ce point de vue, la conduite de la politique extérieure est le test par excellence de cette mission quasi-divine. « Hitler note Capitant croit assurément à la force des idées. Il croit à une sorte de justice immanente. Il croit à la puissance de Dieu, de ce Dieu dont la grâce l’a si puissamment aidé dans l’accomplissement de sa mission allemande. Aussi ne craint-il pas d’invoquer le droit à la vie, le Lebensrecht de l’Allemagne […] pour fonder sur elle la restitution des colonies qui ont été indûment et injustement confisquées à l’Allemagne ». [81]
41Ici encore, le recours à la doctrine hobbésienne permet d’éclairer, en regard, le caractère « mystique » de la doctrine nationale-socialiste. L’opposition déjà notée à propos de l’État permet à Capitant d’observer que la « Cité de Hobbes nous transporte dans un monde purement et froidement rationnel qui contraste absolument avec l’atmosphère de fanatisme mystique de la dictature allemande » [82]. Mais le cas qui illustre le mieux cette différence entre l’absolutisme rationaliste de Hobbes et l’idéologie du IIIe Reich est le rapport entre l’État et la religion. D’un côté, l’État de Hobbes est un État essentiellement temporel, un État de police un Polizeistaat pour reprendre l’expression des juristes allemands d’avant-guerre, qui ne poursuit d’autre fin que l’ordre public [83]. Certes, Capitant mentionne le renversement de l’argument hiérocratique effectué par Hobbes qui a voulu, expressément, subordonner l’Église chrétienne à l’État. Il explique que si le philosophe anglais « fait du monarque le chef de l’Église en même temps que de l’État, c’est pour des raisons non pas religieuses, mais tirées des nécessités même de l’ordre public. C’est pour rester État, c’est pour sauvegarder son autorité politique, que l’État est obligé de se subordonner l’Église » [84]. C’est pour cette raison que l’État va même jusqu’à exiger le contrôle des opinions, et pénétrer dans le domaine des consciences pour surveiller l’application des articles de la loi. En fin de compte, l’État trouve dans l’Église une alliée pour faire respecter son pouvoir, « un auxiliaire de pouvoir ». Mais et c’est le leitmotiv de Capitant l’État domine l’Église. La doctrine de Hobbes « n’est ni messianique, ni théocratique. Ce n’est pas le prêtre qui gouverne l’État, mais le prince qui préside à l’Église. Ce n’est pas une religion, ni une mystique qui s’empare de l’État, c’est l’État qui affirme sa primauté et subordonne toute religion aux exigences de sa propre autorité. La domination religieuse n’est qu’un moyen de parvenir à la domination temporelle. Sans doute, l’absolutisme de Hobbes va plus loin dans le domaine religieux que dans le domaine économique, mais il reste dégagé de toute mystique, et par là, il s’oppose, encore et profondément, au national-socialisme. Il y a entre eux toute la différence qui sépare l’Église anglicane du néo-paganisme hitlérien » [85].
42Aux antipodes de ce schéma hobbésien figure donc l’idéologie nationale-socialiste. « L’État hitlérien est une Église, par nature, par définition, parce qu’il est au service d’une idéologie dont il tient des règles d’action et dont il poursuit la diffusion dans les consciences allemandes. » [86]. En confondant radicalement le temporel et le spirituel, l’idéologie nationale-socialiste trahit la base du principe de laïcité : non seulement la distinction du pouvoir spirituel et du temporel, mais la séparation de l’Église et de l’État. Dès lors, le conflit entre le régime nazi et les Eglises est inscrit dans les gènes de ce régime. « Nul n’a pu s’étonner que le national-socialisme ait prescrit la dissolution des loges maçonniques, mais le conflit avec les Églises chrétiennes devait également se produire. Aucun Concordat ne pouvait le prévenir, ni l’arbitrer. » [87]
43Ainsi, le nationalisme allemand prôné par Hitler apparaît non seulement comme une manifestation organiciste de la primauté du Tout sur les parties (V. supra), mais aussi et surtout comme une sacralisation d’un élément irrationnel, le nationalisme. Celui-ci est un patriotisme dévoyé, car il sacrifie la liberté individuelle au nom d’une chimère [88].
La « doctrine raciale », élément de cette mystique
44Dans le premier temps de l’analyse de Capitant, c’est-à-dire dans son étude de l’idéologie nationale-socialiste, la doctrine raciale occupe certes une place importante, mais non la place centrale. Elle est interprétée seulement comme fondant la politique expansionniste de l’Allemagne, et légitimant le parti national-socialiste.
45René Capitant résume cette théorie raciale, telle qu’elle figure dans Mein Kampf, avec une typologie des races (passives, actives, destructrices) et leur hiérarchisation. Au sommet d’entre elles domine la race aryenne, considérée comme porteuse de civilisation et à l’origine de tout progrès. À cette race aryenne est dévolue une mission colonisatrice (d’où le lien avec l’expansion). « La mission aryenne est […] une mission à la fois civilisatrice et conquérante, une mission colonisatrice. Elle exige qu’au génie créateur aryen soient livrées la force et les richesses des autres peuples pour en faire la matière de leurs créations prodigieuses » [89]. Mais, le problème, tel que l’expose Hitler, est précisément l’hétérogénéité raciale au sein du peuple allemand, le mélange des races étant un fait historique contre lequel il conviendrait de réagir pour faire prévaloir la « race nordique ».
46Par ailleurs, Capitant décrit la « politique raciale rigoureuse » [90] inscrite dans le programme du parti nazi qui contient une triple dimension : sauver la « race nordique », contenir les races de moindre valeur (et Capitant évoque ici les mesures de stérilisation forcées qui sont prévues dans les 25 points du programme du parti) et enfin, « mettre à part » la race juive, l’ennemie principale des nazis. L’antisémitisme constitue le troisième aspect de la politique raciale du régime. Alors que les races passives peuvent être intégrées dans le peuple allemand, les Juifs doivent en être rigoureusement séparés. Il ne suffit pas de les écarter du pouvoir, il faut les exclure de l’organisme social, comme le pire danger, pour le régime. En attendant de les expulser, il faut du moins les isoler dans des ghettos et leur retirer toute influence intellectuelle [91]. Cette politique ségrégationniste est précisément fondée sur cette idéologie raciale et sur une polarité hiérarchisée entre les deux races nordique et juive. « Les Juifs écrit Capitant sont donc l’antithèse même des Aryens. Le portrait du Juif, tel que le trace Hitler lui attribue les qualités directement opposées à celles de l’Aryen. Et il n’est pas difficile de reconnaître en lui l’incarnation de l’individualisme, de l’intellectualisme, c’est-à-dire en effet l’antithèse même du national-socialisme. » [92]
47Cette doctrine raciale assure une double fonction dans cette idéologie. D’une part, elle est présentée comme un moyen de légitimer une politique extérieure dynamique, c’est-à-dire une politique expansionniste en vue de créer un grand Empire allemand. « Le mythe aryen vient ici s’insérer dans l’idéologie national-socialiste et en décupler la force d’expansion » [93]. Autrement dit, il n’est pas considéré comme la clé du régime, mais comme le signe du caractère potentiellement agressif de cet État qui, en hiérarchisant les races, hiérarchise les peuples et donc les États. D’autre part, cette idéologie raciale sert à fonder la légitimité du parti nazi qui se considère comme le représentant de la race nordique, de la race supérieure. En effet, écrit-il, « le national-socialisme fait appel au mythe, au mythe racial, pour faire du parti une aristocratie du sang. Le parti est une élite, non seulement par ses œuvres, non seulement par sa victoire, mais parce qu’il représente au sein de l’Allemagne une race supérieure, le noyau nordique qui a su résister à l’afflux de sang étranger et recouvrant aujourd’hui la conscience de lui-même, reprend sa place naturelle à la tête de l’Allemagne » [94]. D’où une conséquence fort importante de cette doctrine raciale : elle fonde un « principe aristocratique » [95] qui confère un droit à gouverner à la race conquérante, et au parti nazi qui constitue une minorité, une élite du peuple allemand. Dès lors, note Capitant, « la valeur, dans l’État national-socialiste se mesure à la race et l’élite du peuple allemand ne saurait être qu’une élite raciale. Le parti représente donc l’élément nordique » [96] ; il se considère comme « cette aristocratie nouvelle en qui s’incarne l’Allemagne aryenne. Aussi la mystique hitlérienne n’hésite-t-elle pas à affirmer que le parti national-socialiste rassemble effectivement les éléments nordiques de l’Allemagne. » [97] Aux yeux de Hitler, explique-t-il, « la raison profonde de l’adhésion du peuple allemand au régime national-socialiste réside […] dans le fait que celui-ci a reconnu dans la parti sa propre élite raciale. » [98]
48L’humanisme républicain le conduit à rejeter cette doctrine raciale qui s’avère consubstantielle à l’idéologie nationale-socialiste. Il commente la prétention des nazis à représenter cette prétendue race nordique par un sarcastique : « nous voguons en pleine mystique » [99] ; il conteste d’emblée le fondement biologique d’une telle doctrine qui s’appuie « sur de fausses théories scientifiques » [100], sur une sociobiologie inquiétante qui oppose « des races gouvernantes à des races gouvernées ». Il a surtout perçu la supercherie d’une telle doctrine raciale qui sert surtout à justifier la domination politique d’une nouvelle aristocratie : « le national-socialisme établit […] entre les hommes une inégalité qui justifie au profit des uns le droit de régner sur les autres. C’est en cela qu’il est foncièrement antidémocratique » [101].
49Mais il fait davantage que cela : il essaie de déceler la contradiction interne à la doctrine d’Hitler, dont est porteuse cette théorie raciale. On verra qu’il oppose racisme et césarisme ( infra § 3). Non sans ironie, il remarque que « les critères physiques risquaient de priver l’Allemagne hitlérienne de la plupart de ses chefs et de Hitler lui-même » [102]. Ce dernier a donc dû inventer une autre justification que le juriste français résume parfaitement pour arriver à « dégager la race nordique du conglomérat allemand ». Selon celle-ci, l’appartenance à la « race nordique » censée être la race aryenne, ne se laisse pas deviner par des éléments physiques ou corporels, mais par des vertus politiques [103]. Pour sélectionner le véritable aryen, « c’est aux critères moraux qu’il faut s’attacher aux vertus nordiques, à l’âme nordique, qui révèle plus sûrement la nature profonde de l’homme et le secret de sa race que les déformations accidentelles de son corps. Et cette âme nordique, pour la déceler, il suffit de la faire vibrer par un chant nordique. Ceux qui répondront à l’appel nordique, c’est-à-dire à l’appel national-socialiste, ce sont ceux qui, précisément, étant en résonance avec lui, l’auront entendu plus loin qu’il était lancé et en auront été troublés jusqu’au plus profond d’eux-mêmes » [104]. Et Capitant de citer deux extraits de discours de Hitler qui invoque ce signe infaillible de l’appartenance à la race nordique. Il a en réalité montré que cette doctrine raciale n’arrive pas à rester cohérente. Elle apparaît comme tautologique : c’est le critère politique d’obéissance au Chef qui est, en dernier ressort, le critère principal.
III – L’idéologie nazie face à la réalité ou les contradictions internes du régime
50L’une des forces de l’analyse de Capitant est de pointer l’écart qui se fait jour progressivement entre les « doctrinaires » du parti nazi et la majorité de la population allemande. Dès la fin de l’année 1934, il observe que le soutien de la population allemande à Hitler signifie uniquement une adhésion des Allemands à ce nouveau régime, à ce nouvel État, qui a réalisé « l’État unitaire, ce rêve millénaire » ou encore qui a « déchiré les traités honteux qui [selon elle] enchaînaient et déshonoraient l’Allemagne » [105]. Hitler est salué par la nation comme celui qui restaure l’État fort, la puissance nationale et qui lui rend sa « liberté d’action ».
« Voilà ce que pense Hitler, voilà ce qu’il répète au peuple allemand, dans ses confessions exaltées que sont ses discours. Et voilà la croyance que partage ce peuple, voilà la raison de son consentement et de sa soumission. Car, si le peuple allemand vote pour Hitler, cela ne signifie pas qu’il soit devenu national-socialiste en ce sens qu’il professe les doctrines de M. Rosenberg, qu’il soit devenu l’adepte d’une nouvelle religion. Ce sont les romantiques dans le parti qui rêvent d’arriver à cette conversion massive et totale. Ce sont eux qui proscrivent le christianisme, prêchent l’évangile arien et les vertus nordiques, qui enserrent la nation dans ce réseau d’organisations destinées à la saisir et à la modeler dans toutes ses couches dans tous ses âges, dans tous ses actes et ses pensées. Utopie évidente, tâche inhumaine et surhumaine. La conscience se dérobe. Elle fuit, insaisissable, dans des replis où nulle loi, nulle violence ne l’atteindra jamais. Elle se redresse aussi, oppose sa vérité à l’erreur imposée. Et comment un dogme si fragile, si artificiel, si vite surgi et si absurde supporterait-il longtemps la discussion ou même la résistance passive des consciences ? Il n’est pas d’inquisition qui puisse l’imposer, ni même le sauver de la chute, de la décomposition interne à laquelle le voue son inconsistance et sa vanité » [106].
52Or, justement après avoir dénoncé et démasqué l’imposture de cette idéologie nazie qui ne pourra pas s’imposer à toute la nation allemande, Capitant examine ce qu’on peut appeler le tournant réaliste opéré par les dirigeants les plus « politiques » qui se rabattent sur des fins beaucoup plus terrestres et plus accessibles au commun des mortels qui n’est pas un militant nazi. La Realpolitk va bientôt remplacer la Weltanschauung :
« Mais quelle que soit l’insistance avec laquelle ils répètent que le national-socialisme est avant tout une idéologie, une »Weltanschauung«, les chefs, ou plutôt certains chefs et ce sont eux qui l’emporteront sentent bien le danger qu’il y aurait de lier le régime à de telles visées. Pour eux, le national-socialisme est avant tout un régime politique, un système de dictature et d’absolutisme qui érige l’intérêt national en loi suprême et décuple les forces de l’Allemagne. Aussi se contentent-ils de la confiance du peuple. Il suffit que le peuple suive, qu’il se laisse gouverner, que chacun accepte la place et la fonction qui lui sont assignées. Pour eux, la force de l’État, comme de l’armée, réside dans la discipline et non dans la métaphysique. Ce sont les héritiers de la Prusse. Ce sont les réalistes. Ce sont eux qui ont mis fin aux conflits religieux et tendu la main au loyalisme luthérien, sur lequel se fondait l’absolutisme prussien, et sur lequel ils savent tout aussi bien pouvoir fonder le leur. Ils veulent non des fidèles, non des croyants, mais des sujets de l’État, autant que possible des sujets consentants parce que le consentement des sujets fait la force des gouvernants, mais des sujets malgré tout. » [107]
54Cette analyse semble contredire, en grande partie la thèse de la primauté de l’idéologie nazie, et donc la thèse de la primauté de la mystique. On ne peut pas à la fois prétendre que le nazisme est, en tant qu’idéologie, une nouvelle religion, et que cette idéologie cède devant les besoins de la Realpolitik. Mais en réalité, Capitant entend seulement montrer que ce n’est pas l’idéologie nationale-socialiste, dans son entier, qui va être appliquée, mais seulement des fragments. Or, l’un de ces fragments est ni plus ni moins que le nationalisme qui est interprété on l’a vu comme le noyau de cette idéologie.
55Toutefois, cette analyse à chaud de l’actualité politique fait ressortir l’existence de contradictions internes au régime nazi, et notamment d’une contradiction manifeste entre « l’idéologie raciale », et les exigences réalistes d’un gouvernement efficace, propre à l’action extérieure. Il s’avère rapidement, au contraire, que l’idéologie raciale est une composante essentielle de l’idéologie nazie, capable de déterminer la politique gouvernementale. Les lois de Nuremberg d’octobre 1935 sont un signe manifeste de la prééminence de l’idéologie raciale. De ce point de vue, leur promulgation paraît avoir infléchi le sentiment de Capitant sur la place occupée par le mythe aryen, auquel semble-t-il il accorde une place plus importante qu’auparavant.
56Commentant la troisième loi portant plus spécifiquement sur les Juifs (« loi portant sur la protection du sang et de l’honneur allemand » : Gesetz zum Schutze des deutschen Blutes und der deutschen Ehre), il observe que cette loi est « dominée plus directement encore que les précédentes par l’idéologie raciste ». Et il ajoute : « C’est une croyance fondamentale de Hitler, ancrée comme un dogme dans sa conscience que la grandeur des peuples dépend en dernier ressort de leur constitution raciale. Le premier devoir d’un chef est donc de lui appliquer une politique raciste, parce que c’est le plus sûr moyen d’assurer sa grandeur » [108]. Et après avoir rappelé la théorie de la distinction et hiérarchisation des races propre à l’idéologie nazie, et l’opposition irréductible entre la « race nordique » et la « race juive » qui « sont deux dieux ennemis, se disputant un même proie : le corps de la nation allemande », il commente, un peu éberlué et très choqué, de telles doctrines et de telles dispositions législatives. Des premières, il dit : « Telle est l’étrange mythologie, qui renouvelle sous nos yeux d’antiques religions » [109]. Des secondes, celles qui prescrivent notamment le port de l’étoile jaune, la séparation sexuelle des races, il commente, atterré : « Est-il, à une pareille mesure, d’autre explication que théologique ? Elle est dans le dogme raciste, que le préambule même de la loi confesse solennellement » [110].
57Cette nouvelle loi confirme son diagnostic sur l’idéologie nazie : elle est bien une « mystique ». Mais en même temps, elle dément la thèse du prétendu « réalisme » des dirigeants allemands. C’est une loi profondément irréaliste car « matériellement, économiquement, l’antisémitisme est la source de pertes immenses pour l’Allemagne » [111]. Du point de vue de la puissance de l’État, de sa solidité, une telle loi est contraire à toute personne douée d’un minimum de sens de l’État. Mais note Capitant de manière fort sensée « le fanatisme allemand néglige ces considérations réalistes. Il leur oppose le nouvel impératif de la morale raciste. “Le péché contre la race s’écriait le général Goering en paraphrasant la loi est le péché originel d’un peuple. Mais Dieu nous a envoyé à la dernière heure, le Führer, pour nous racheter et nous sauver de notre chute.” L’Allemagne applique donc l’Évangile de ce nouveau Messie. Elle y gagne les grâces et les bénédictions du Dieu germanique et y puise, malgré des difficultés passagères et apparentes, la certitude de sa grandeur future » [112].
58L’observateur étranger ne peut que constater ce curieux mélange de mysticisme et de réalisme dans l’application de la loi, par une ordonnance qui est d’une « étonnante précision ». Capitant cite quelques décisions juridictionnelles relatives à la question épineuse de la prohibition de tout contact sexuel entre les deux races, nordique et juive. Devant des condamnations pénales invraisemblables, infligées à des juifs, comme celle d’une peine de trois mois de prison pour un jeune juif qui a embrassé, avec son consentement, deux fois une jeune aryenne de 17 ans, le juriste français se sent contraint de recourir à l’ironie grinçante pour continuer à interpréter une telle loi. « On est presque obligé écrit-il , dans ces conditions, de trouver sage l’article 3 de la loi qui, par mesure préventive, interdit aux juifs d’employer, dans leur maison des domestiques femmes de race aryenne âgées de moins de quarante-cinq ans. On sait qu’une nouvelle et importante source de chômage est résultée de cette disposition. Mais le régime a préféré organiser des camps de réception chargés de donner asile aux milliers de domestiques privés de place, plutôt que de renoncer à l’application de la loi » [113].
59Et il conclut son étude : « Telles sont les lois de Nuremberg. Elles montrent à quel point le troisième Reich reste dominé par le fanatisme. L’Allemagne, toutefois, n’a renoncé ni à la précision de la technique, ni à la puissance de l’organisation, mais Hitler les a mises au service de l’idéologie » [114]. Capitant semble donc lui-même conscient de cette incohérence des nazis dans leur politique. Leur antisémitisme fait fi de toute considération réaliste. Il entraîne l’émigration des juifs, donc des pertes considérables pour l’Allemagne qui voit fuir intellectuels et hommes d’affaire. « Peu importe, le fanatisme prime l’intérêt » [115]. L’idéologie dicte sa loi à la Realpolitik.
60En réalité, il n’y pas de contradiction dans l’analyse de Capitant mais bien plutôt une contradiction interne au régime nazi qui est écartelé entre des logiques différentes et, à un moment donné, contradictoires : une logique de la puissance, alimentée par le nationalisme, et une logique de la haine, centrée sur la doctrine raciale.
61***
62Si ces textes de Capitant sur l’idéologie nazie donnent l’impression d’une grande cohérence intellectuelle, c’est parce qu’ils expriment une vision du monde, une Weltanschaauung, comme disent les Allemands, qui est menacée par celle du nazisme. Léo Hamon a parfaitement résumé cette Weltanschaauung de Capitant d’un mot : la « révolte contre l’aliénation ». C’est-à-dire « une révolte qui récuse non seulement ce qui le prive lui de sa liberté, mais encore ce qui prive les autres de la leur. C’est la noble impatience à l’égard de toute privation de liberté et d’égalité au détriment de qui que ce soit, qui marque son personnage. Mais ce refus de l’aliénation cette lutte pour la vraie démocratie dans tous les domaines rencontre l’analyse du juriste de l’homme qui, professeur à Strasbourg, a été le voisin du désastre de Weimar et de l’horreur hitlérienne, qui par sa culture juridique, comme par son observation des événements d’Outre-Rhin, a conscience de la nécessité d’un État fort pour la démocratie elle-même » [116]. Si ce credo est propre à l’individu Capitant, il témoigne aussi, de la prégnance de l’idée républicaine dans le corps politique français. Il faudrait donc dépasser son cas particulier pour comprendre comment, finalement, l’histoire politique et sociale de la France explique la « résistance » quasiment sociologique des intellectuels (de la majorité des intellectuels) aux sirènes d’une idéologie, tellement contraire à l’identité politique française, telle qu’elle a été léguée par la Révolution française [117].
Notes
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[1]
Olivier Beaud est professeur de droit public à l’Université de Paris II, détaché au Centre Marc Bloch à Berlin.
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[2]
L. Dupeux, « René Capitant et l’analyse idéologique du nazisme », Francia (revue de l’Institut Historique Allemand), Bd 5 (1977), p. 636. Cette étude, très bien menée, recoupe la nôtre, mais elle est beaucoup plus succincte et ne prend pas en compte tous les textes de Capitant de la période.
-
[3]
G. Conac, « L’apport de René Capitant au droit constitutionnel et à la science politique » in Apports de René Capitant à la science juridique, Association Henri Capitant, Litec, 1992, p. 55-56, italiques par nous-mêmes.
-
[4]
Sur ce point biographique, v. notamment, Christian Funck-Brentano, René Capitant, Paris, 1945, p. 5. « R. Decoux-Paolini, René Capitant, homme de gauche et gaulliste ; Un juriste engagé sous la Ve République, Mémoire maîtrise d’histoire, Paris I, 1994, p. 19.
-
[5]
V. notre étude, « René Capitant, analyste lucide et critique du national-socialisme (1933-1939). Un aspect méconnu de son œuvre constitutionnelle » in J.-F. Kervégan, H. Mohnhaupt (hg), Droit et politique en France et en Allemagne, XVIIIe -XXe siècles, à paraître Francfort, Klostermann. L’analyse se fonde sur la lecture de ses articles parus dans le Bulletin mensuel jaune (désormais B.M.J.) qui était l’un des Bulletins de l’Office d’informations allemandes du Comité d’études germaniques de l’Université de Strasbourg. Il est devenu en 1935 la revue mensuelle L’Allemagne contemporaine. (désormais A.C.)
-
[6]
« La politique allemande et le discours du Chancelier Hitler le 30 janvier 1937 », in L’Année politique française et étrangère 1937, p. 193, note 1 de la Rédaction.
-
[7]
« René Capitant et l’analyse… », p. 627.
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[8]
L’article de 1935 « L’idéologie nationale-socialiste », d’abord publié dans L’Année politique française et étrangère, oct. 1935, et réédité dans les Écrits constitutionnels, Paris, éd. CNRS (textes rassemblés par J.-P. Morelou), 1982 p. 446-467 (désormais E.C.).
-
[9]
« Le gaullisme de guerre de René Capitant », Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, 1995, n° 16, p. 22.
-
[10]
J.O. Débats, Ass. nat. const., 1946. p. 643-644.
-
[11]
Comme l’a justement relevé E. Decaux, La pensée constitutionnelle de René Capitant, Mém. DES Paris II, 1972, p. 16.
-
[12]
« L’idéologie… », E.C., p. 445.
-
[13]
A propos du Congrès annuel du parti à Nuremberg, il écrit : « A chacune de ces manifestations, Hitler prend la parole pour faire le bilan de l’année écoulée et tracer le programme de l’année à venir. Ces discours, où s’exprime librement l’idéologie du régime, sont une des sources de renseignement les plus précieuses et les plus propres à révéler les ressorts profonds qui meuvent le Troisième Reich » « Les lois de Nuremberg », Revue Politique et Parlementaire, mai 1936, p. 283.
-
[14]
C’est le cas de Carl Schmitt et de Otto Koellreuter. V. notre étude, « René Capitant, juriste républicain. Étude de sa relation paradoxale avec Carl Schmitt à l’époque du nazisme », Mélanges Pierre Avril, Paris, Montchrestien, 2001, p. 39 s.
-
[15]
« Chaque affirmation découle de la situation, et on l’abandonne dès que la situation change » Béhémoth, Structure et pratique du national-socialisme, (2e éd., 1944) trad. fr., Payot, 1987, p. 51.
-
[16]
« L’État national-socialiste » (II), B.M.J., fév. 1935, p. 40.
-
[17]
« Ne croyons pas trop vite à la victoire de la réalité. […] Semblable à Mahomet soulevant l’Islam, Hitler prêche la religion du germanisme et s’apprête à fonder un nouvel et prodigieux empire. Le matérialisme historique nous enseigna longtemps que les intérêts mènent le monde. Nous voudrions que l’esprit le domine, mais craignons que la passion et le fanatisme puissent encore le bouleverser ». « L’idéologie… », E.C., p. 467.
-
[18]
L. Dupeux, « René Capitant et l’analyse… », p. 632.
-
[19]
Je cite d’après l’édition allemande, Der Doppelstaat (trad. allem. de The Dual State), Francfort, 1974, p. 13.
-
[20]
J. Rückert, « Zeitgeschichte des Rechts : Aufgaben und Leistungen zwischen Geschichte, Rechtswissenschaft, Sozialwissenschaften und Soziologie », Zeitschrift der Savigny Siftung, der Rechtsgeschichte, Bd 115, Germ. Abt., 1998, p. 64.
-
[21]
Béhémoth, p. 9. Sur Neumann, v. l’article de J. Rückert,, in Neue Deutsche Biographie, Bd 19, Duncker u. Humblot, 1999, p. 145-147.
-
[22]
Béhémoth. p. 47.
-
[23]
C’est une observation que l’on doit à J.-F. Kervégan et à C.-M. Herrera, et à laquelle nous répondons trop rapidement dans les lignes du texte qui suivent.
-
[24]
Je renvoie ici à son ouvrage, L’individu effacé ou le paradoxe du libéralisme français, Paris, Fayard, 1997.
-
[25]
« L’idéologie… », E.C., p. 447.
-
[26]
« Les Propos d’Alain ou l’idéologie de la Troisième République » in Mélanges Negulesco, Bucarest, 1935, p. 147.
-
[27]
Loc. cit., p. 168.
-
[28]
Les analogies sont nombreuses entre son article sur Alain, où il résume le propos du philosophe, et ses articles sur le régime hitlérien, où il s’inspire beaucoup de la pensée d’Alain pour critiquer le nazisme. Les seules divergences avec Alain portent sur la nature du régime parlementaire. Contre le philosophe, le juriste plaide pour une réhabilitation de l’action au détriment du contrôle ( Loc. cit. « p. 168),
-
[29]
« Hobbes et le Troisième Reich » in A.C., avril 1936, p. 55-57 ; repris plus longuement sous le titre « Hobbes et l’État totalitaire » dans Archives de philosophie du droit et de sociologie juridique, 1936, p. 46-75.
-
[30]
« René Capitant et l’analyse… », p. 630.
-
[31]
Conférence de Cologne du 15 nov. 1934. Citée in « L’idéologie… » E.C., p. 446.
-
[32]
« L’idéologie… », E.C., p. 447
-
[33]
Loc. cit., p. 448.
-
[34]
« Hobbes et le Troisième Reich », p. 56.
-
[35]
« L’idéologie… », E.C., p. 449.
-
[36]
« Nous devons […] reprocher au national-socialisme, ce qui doit le condamner à nos yeux, c’est qu’il détruit l’idéalisme en le ramenant du plan de la conscience sur le plan de l’instinct. Car, au lieu de rechercher l’impératif moral dans l’autonomie de la personne, il impose à l’individu la loi de l’organisme social. C’est non la voix de sa conscience, mais l’instinct du sang et de la race qui gouverne l’individu et le rattache à son groupe. Une nation n’est plus un faisceau de volontés, mais un organisme d’ordre biologique qui commande à ses membres par la force mystérieuse et souveraine de son dynamisme. » « L’idéologie… », E.C., p. 449.
-
[37]
Et il ajoute : « […] la pensée chrétienne aussi, qui suppose, sinon l’autonomie, du moins l’individualité de l’âme. Car si le Christ a souffert pour l’humanité, il a souffert pour chacun des hommes. La loi catholique, comme la grâce protestante, s’adressent à chacun, dans la solitude et le secret de la conscience. Les hommes sont égaux devant Dieu, quelle que soit leur race, quel que soit leur peuple, quel que soit le temps et le lieu de leur vie. Mais Dieu connaît chacun des hommes et, à l’heure de la mort, l’âme paraît seule devant lui. »« Loc. cit., p. 447
-
[38]
« La Crise et la réforme du parlementarisme en France. Chronique constitutionnelle française (1931-1936) » in Jahrbuch des öffentlichen Rechts der Gegenwart, Bd. 23 (1936, p. 14 [ital. OB].
-
[39]
L. Dupeux, « René Capitant et l’analyse… », p. 630.
-
[40]
« L’État national-socialiste, II », B.M.J. fév. 1935, p. 41.
-
[41]
Loc. cit., p. 40-41.
-
[42]
« La crise… du parlementarisme », p. 13.
-
[43]
Loc. cit. p. 14.
-
[44]
« Hobbes et l’État totalitaire », p. 47.
-
[45]
On notera ici le fait que Carl Schmitt approuve l’interprétation de Capitant. Dans son article de 1936 sur « L’État comme mécanisme chez Hobbes et Descartes », il observe que « R. Capitant est, en tant que français démo-libéral, évidemment un adversaire de “l’idéologie totalitaire qui fleurit de nos jours” ». Pourtant note-t-il encore il souligne, à juste titre, que « le contrôle exigé par Hobbes de toute opinion scientifique n’est qu’un aspect de l’ordre et de la sécurité publique, mais n’est pas pensé comme une véritable “religion d’État”. » « Der Staat als Mechanismus bei Hobbes und Descartes », 1936, in Staat, Großraum, Nomos, Berlin, Dunker v. Hamblot, 1999, p. 140-141. Il reprend ce jugement positif dans une note de son ouvrage, Der Leviathan, (1938) rééd. Francfort, Hohnheimer, 1982, p. 112-113.
-
[46]
« Hobbes et l’État totalitaire », p. 48.
-
[47]
Loc. cit., p. 49. Formule à peu près équivalente dans « Hobbes et le Troisième Reich », p. 55.
-
[48]
« Hobbes et le IIIe Reich »,, p. 55.
-
[49]
« Hobbes et l’État totalitaire », p. 54
-
[50]
« Hobbes et le Troisième Reich », p. 56. Cela implique évidemment que chez le philosophe anglais, le peuple ou la nation n’a pas d’existence réelle ; « il ne connaît pas de réalité sociale, distincte de la réalité individuelle » Ibid. p. 56.
-
[51]
« Hobbes et l’État totalitaire », p. 63.
-
[52]
Loc. cit., p. 62.
-
[53]
Loc. cit., p. 60.
-
[54]
Loc. cit., p. 72, et p. 74.
-
[55]
C’est George Orwell qui fut l’un des premiers à observer qu’une des raisons du triomphe d’Hitler était qu’il proposait la mort et le risque à ses sujets.
-
[56]
« Hobbes et l’État totalitaire », p. 74.
-
[57]
« A propos du Quatrième anniversaire » A.C. fév. 1937, p. 21.
-
[58]
« L’organisation économique et sociale du IIIe Reich, III », A.C. mai. 1937, p. 85.
-
[59]
« L’État national-socialiste, III », B.M. J., mars 1935, p. 68.
-
[60]
Il interprète la disparition du drapeau noir-blanc-rouge comme étant « la condamnation moins du passé que de l’opposition conservatrice. Si le IIIe Reich est l’antithèse même de la république weimarienne, qui symbolise à ses yeux les forces destructrices de l’individualisme, du marxisme et du judaïsme, il rend hommage, au contraire, aux traditions prussiennes qui constituent l’armature la plus solide du IIIe Reich. Il prétend en recueillir l’héritage et en faire un des principes de ce socialisme militaire que cherche à réaliser le régime ». « Les lois de Nuremberg », Rev. Pol. Parl., Mai 1936, p. 284.
-
[61]
« L’État national-socialiste, III », B.M.J., mars 1935, p. 67. C’est pourquoi la critique de L. Dupeux selon laquelle Capitant ignorerait tout de la « Révolution conservatrice » allemande (« René Capitant et l’analyse… » p. 628) me paraît inexacte.
-
[62]
« L’idéologie… », E.C., p. 450.
-
[63]
Loc. cit., p. 450.
-
[64]
Discours du 23 fév. 1934, cité par Capitant in « E. n-s., III » B.M.J. mars 1935, p. 69.
-
[65]
« L’État national-socialiste, III », B.M.J. mars 1935, p. 69.
-
[66]
Loc. cit., p. 69.
-
[67]
« L’idéologie… », E.C., p. 449
-
[68]
« Force et faiblesse de l’hitlérisme », L’Alsace française, 23.XII.1934, p. 916-917. [Ital. OB]
-
[69]
Loc. cit., p. 168.
-
[70]
« En effet, résume Capitant : […] L’individu seul est réel, parce que la pensée consciente est la réalité première et que le monde entier n’existe que par la conscience qui l’appréhende. L’homme pensant n’appartient pas à la société, mais la domine et la réduit à ses fins. Conception cartésienne de l’individualisme qui place la pensée, toujours et essentiellement individuelle, à l’origine et à la fin de la société, qui fonde sur la pensée, privilège de l’homme, les droits inaliénables et imprescriptibles de l’homme. Conception rationaliste du XVIIIe siècle, sans doute, mais ramenée comme à sa source, rajeunie, repensée, recréée par un esprit nourri de tradition vivante ». « Les Propos d’Alain… », p. 148.
-
[71]
« Hobbes et le Troisième Reich », p. 56.
-
[72]
« L’État national-socialiste, III », B.M.J. mars 1935, p. 69
-
[73]
L. Dupeux, « René Capitant. et l’analyse… », p. 63.
-
[74]
« Hobbes et le Troisième Reich », p. 56, et « Hobbes et l’État totalitaire », p. 54.
-
[75]
« Il s’agit d’organiser un peuple, et de l’entraîner dans quelque croisade terrestre, de le conduire vers des buts concrets, qui sont soit de politique intérieure, l’édification d’un certain ordre social soit de politique extérieure la préparation à la guerre. Tel est l’État totalitaire qui se saisit de la société tout entière abolissant la distinction de l’État et de la société de l’homme entier abolissant la distinction de la vie publique et de la vie privée qui bannit toute liberté, ou n’en laisse subsister que dans la mesure où il aperçoit dans l’initiative un moyen d’action favorable à ses buts. » « Hobbes et l’État totalitaire », p. 57.
-
[76]
« Hobbes et le Troisième Reich », p. 57.
-
[77]
« L’État national-socialiste, III », B.M.J. mars 1935, p. 63. Il cite ensuite Hitler à cet égard qui affirme : « notre doctrine n’est pas artificiellement construite, mais repose sur la nature profonde de la vie » ( in der Natur des Lebens und Seins) « Congrès de Nuremberg de 1934 » (p. 63).
-
[78]
Si Capitant n’utilise pas cette notion, Franz Neumann l’emploie pour décrire la justification du pouvoir d’Hitler, Béhémoth, p. 94, p. 103-104.
-
[79]
« L’idéologie… », E.C., p. 466.
-
[80]
« L’État national-socialiste, III », B.M.J. mars 1935, p. 63.
-
[81]
« Le discours du 30 janvier » A.C., fév. 1937, p. 23.
-
[82]
« Hobbes et le Troisième Reich », p. 56.
-
[83]
Loc. cit., p. 57.
-
[84]
Loc. cit., p. 57.
-
[85]
Loc. cit., p. 56, et « Hobbes et l’État totalitaire », p. 66-67.
-
[86]
Loc. cit., p. 57.
-
[87]
« L’idéologie… » E.C., p. 447. Après avoir rappelé l’opposition du synode protestant à Hitler, Capitant cite la condamnation du cardinal Pacelli de « l’idolâtrie nationaliste » dans l’un de ses voyages à Lourdes. « Il y a deux patriotismes, un patriotisme faux qui fait de la patrie une sorte d’idole barbare assoiffée de tyrannie et de sang. Dieu veuille écarter de tous les pays les ravages de ce fléau ! Et puis, il y a le vrai patriotisme… une des formes les plus élevées de la charité collective ». Écho de Paris du 30 avril 1935, cité in L’idéologie… » E.C., p. 448.
-
[88]
On retrouve ici un écho des idées d’Alain : « La société écrit Capitant, […] c’est, enfin, le nationalisme, lorsque la nation se fait Dieu et refuse à l’individu le droit de juger la patrie et de blâmer la guerre. » « Les Propos d’Alain… », p. 150.
-
[89]
« L’idéologie… », E.C., p. 453.
-
[90]
Loc. cit., p. 458.
-
[91]
Loc. cit., p. 460
-
[92]
Loc. cit., p. 459. Capitant se réfère ici à [(26) Mein Kampf, p. 329 et s. Plus loin, il écrit : « […] Le mythe juif s’oppose au mythe aryen, comme l’individualisme au national-socialisme » E.C., p. 460.
-
[93]
Loc. cit., p. 452
-
[94]
« L’État national-socialiste, I », B.M.J. déc. 1934), in Schmittiana Bd I, p. 127.
-
[95]
« L’idéologie… », E.C., p. 455.
-
[96]
Loc. cit., p. 456.
-
[97]
Loc. cit., p. 456.
-
[98]
« L’État national-socialiste, II », B.M.J. fév. 1935, p. 38. Il cite cet extrait du discours de Hitler du 10 sept. 1934 à Nuremberg : « Sa conscience la plus profonde lui dit avec raison que le meilleur de lui-même se trouve réuni et représenté dans le parti national-socialiste. C’est pourquoi notre mouvement, cette minorité historique put s’emparer de la dictature avec le consentement et la volonté de l’immense majorité de la nation allemande. So könnte unsere Bewegung als ’geschichtliche Minorität’ nach der Alleinherrschaft in Deutschland greifen, im Einverständnis und mit dem Willen der überwältigenden Mehrheit der deutschen Nation ».
-
[99]
« L’État national-socialiste, I », ( B.M.J.. déc. 1934) Schmittiana, Bd I, p. 127.
-
[100]
« L’État national-socialiste, II », B.M.J. fév. 1935, p. 34.
-
[101]
Loc. cit. p., 34.
-
[102]
« L’État national-socialiste, I », ( B.M.J. déc. 1934) Schmittiana, Bd I, p. 128.
-
[103]
Loc. cit., p. 128-129.
-
[104]
Loc. cit., p. 129. Formulation presque identique dans « L’idéologie… », E.C., p. 456-457.
-
[105]
« Force et faiblesse de l’hitlérisme », p. 914
-
[106]
Loc. cit., p. 914.
-
[107]
Loc. cit., p. 914-915.
-
[108]
« Les lois de Nuremberg », p. 290.
-
[109]
Loc. cit., p. 290.
-
[110]
Loc. cit., p. 291.
-
[111]
Loc. cit., p. 291.
-
[112]
Loc. cit., p. 292
-
[113]
Loc. cit., p. 293
-
[114]
Loc. cit., p. 293
-
[115]
J.-C. Gruffat, « Les écrits de doctrine de René Capitant », Politique, 1970, p. 25.
-
[116]
L. Hamon, « Le gaullisme de René Capitant », Espoir, N° 36, oct. 1981, N° spécial Capitant, p. 20.
-
[117]
Sur l’universalisme de la Révolution française, thème bien connu, on se permettra de renvoyer le lecteur à titre d’hommage à un ami trop tôt disparu à l’article de Jacques Lafon : « Langue et pouvoir : aux origines de “l’exception culturelle française” », Revue historique, tome CCXXII/2, 1995, p. 393-419.