Notes
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[1]
Guillaume Drago, professeur à l’université Panthéon-Assas-Paris-II, doyen honoraire de la Faculté de droit et de science politique de Rennes.
-
[2]
S. Goltzberg, L’argumentation juridique, Dalloz, coll. « Connaissance du droit », 2013, p. 4.
-
[3]
Et l’auteur de conclure : « Si l’interprétation juridique est verticale et confronte chaque opérateur juridique au sens de la loi, l’argumentation juridique est horizontale : elle met en présence des interlocuteurs et donne lieu à un type de négociation dont l’interprétation juridique est une des pièces centrales. L’interprétation est une partie nécessaire de l’argumentation juridique mais qui ne l’épuise pas », op. cit., p. 4.
-
[4]
Cf. M. Troper, « L’interprétation constitutionnelle », in F. Mélin-Soucramanien (dir.), L’interprétation constitutionnelle, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2005, pp. 13 et s., spéc. p. 16.
-
[5]
N. Fricero, « La qualité des décisions de justice au sens de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des Droits de l’Homme », in P. Mbongo (dir.), La qualité des décisions de justice, éd. du Conseil de l’Europe, s. d., p. 49.
-
[6]
S. Leyenberger, Secrétaire de la Commission européenne pour l’efficacité de la Justice (CEPEJ) et du Conseil consultatif de juges européens (CCJE), Conseil de l’Europe, colloque précité, p. 7.
-
[7]
B. Frydman, « L’évolution des critères et des modes de contrôle de la qualité des décisions de justice », colloque précité, p. 19.
-
[8]
Cette référence aux modèles de justice constitutionnelle est une commodité de langage permettant de faire entrer tout juge chargé du contrôle de la constitutionnalité de la loi, en une catégorisation aujourd’hui contestée. V. particulièrement G. Tusseau, Contre les « modèles » de justice constitutionnelle. Essai de critique méthodologique, coll. « Ricerche di Diritto comparato », Bononia University Press, 2009, édition en français et en italien, 87 pages. Pour une présentation renouvelée v. M. Fromont, Justice constitutionnelle comparée, Dalloz, 2013.
-
[9]
V. par exemple pour la Cour suprême des États-Unis S. Breyer, La Cour suprême, l’Amérique et son histoire, O. Jacob, 2011.
-
[10]
M. Troper, « Le problème de l’interprétation et la théorie de la supralégalité constitutionnelle », Recueil d’études en hommage à Charles Eisenmann, éd. Cujas, 1975, pp. 133 et s., spéc. p. 147, repris in « Kelsen, La théorie de l’interprétation et la structure de l’ordre juridique », in id., Pour une théorie juridique de l’État, coll. « Léviathan », Puf, 1994, pp. 310-311 ; cité également par G. Tusseau, « le gouvernement [contraint] des juges. Les juges constitutionnels face au pouvoir de réplique des autres acteurs juridiques – ou l’art partagé de ne pas pouvoir avoir toujours raison », Droits, n° 55, 2012, pp. 41 et s. De façon plus générale v. M. Troper et D. Chagnollaud (dir.), Traité international de droit constitutionnel, Dalloz, 2012, t. 1 : Les contributions de R. Guastini, « L’interprétation de la constitution », pp. 465 et s. ; M. Atienza, « L’argumentation », pp. 505 et s. et bibliographies citées.
-
[11]
Article précité, p. 147.
-
[12]
G. Tusseau, article précité, p. 43.
-
[13]
CC, décis. n° 99-419 DC, 9 novembre 1999, Loi relative au pacte civil de solidarité, Rec. 116. Sur ces réserves v. G. Drago, « La Constitution ‘en réserves’ », Droit de la famille, Hors-série, 1999 ; N. Molfessis, JCP G 1999. I. n° 210.
-
[14]
Article 5, al. 1er de la Constitution de 1958 : « Le président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État. »
-
[15]
CE, 15 mai 2013, Cne de Gurmençon, req. n° 34554 : « Considérant que les réserves d’interprétation dont une décision du Conseil constitutionnel assortit la déclaration de conformité à la Constitution d’une disposition législative sont revêtues de l’autorité absolue de la chose jugée et lient le juge administratif pour l’application et l’interprétation de cette disposition ; qu’il appartient à celui-ci d’en faire application, le cas échéant, d’office. »
-
[16]
Pour un inventaire des outils d’interprétation cf. la liste établie par Claire Vocanson, « Le texte », in P. Deumier (dir.), Le raisonnement juridique. Recherche sur les travaux préparatoires des arrêts, Dalloz, coll. « Méthodes du droit », 2013, pp. 11 et s., spéc., p. 25 : « les outils d’interprétation ».
-
[17]
CC, décis. n° 74-54 DC, 15 janvier 1975, Loi IVG, Rec. 19 ; n° 80-127 DC, 19 et 20 janvier 1981, Loi Sécurité et Liberté, Rec. 15 ; n° 86-218 DC, 18 novembre 1986, Rec. 167. La formulation utilisée par le Conseil constitutionnel est aujourd’hui ainsi formulée : « Le Conseil constitutionnel n’a pas un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Il ne saurait rechercher si les objectifs que s’est assignés le législateur auraient pu être atteints par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif visé », n° 2000-433 DC, 27 juillet 2000, Rec. 121 ; n° 2007-559 DC, 6 décembre 2007, Rec. 439.
-
[18]
CC, décis. n° 2012-660 DC, 17 janvier 2013, § 30, Rec. 94 : « Il ressort des travaux préparatoires que les dispositions critiquées tendent à assurer la réalisation de l’objectif de mixité sociale et d’accroissement de la production de logements locatifs sociaux, au plus tard à la fin de l’année 2025, en fixant un rythme de rattrapage de cette réalisation. Le Conseil constitutionnel n’a pas un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement… »
-
[19]
Vol. I à IV, 1987 à 2001, La documentation française.
-
[20]
CC, décis. n° 92-308 DC, 9 avril 1992, Maastricht I, Rec. 55 et la jurisprudence ultérieure, par exemple n° 2007-560 DC, 20 décembre 2007, Traité de Lisbonne, Rec. 459 ; n° 2012-653 DC, 9 août 2012, § 11, 15, 16, 18, Rec. 453 ; n° 2013-669 DC, 17 mai 2013, Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, § 24, Rec. 721.
-
[21]
CC, décis. n° 96-373 DC, 9 avril 1996, Rec. 43 ; n° 2011-138 QPC, 17 juin 2011, Rec. 291 : droit à un recours juridictionnel effectif ; 2 006-535 DC, 30 mars 2006, Rec. 50 : principe des droits de la défense ; 2006-540 DC, 27 juillet 2006, Rec. 88 : droit à un procès équitable. Sur ce processus de constitutionnalisation des principes de la procédure v. surtout S. Guinchard et a., Droit processuel. Droits fondamentaux du procès, Dalloz, 7e éd., 2013, n° 155 et s.
-
[22]
Marc Guillaume, « Guy Carcassonne et le Conseil constitutionnel », colloque du 10 avril 2014 au Conseil constitutionnel, éd. Lextenso, s.d., pp. 53 et s.
-
[23]
Sur cette notion de contrainte juridique v. M. Troper, V. Champeil-Desplats, Ch. Grzegorzyk, Théorie des contraintes juridiques, LGDJ et Bruylant, 2005.
-
[24]
Exemples : la liberté d’entreprendre, la liberté contractuelle, le droit à mener une vie familiale normale.
-
[25]
Le principe de dignité de la personne humaine, tiré du début du Préambule de 1946 par la décision C. const. n° 94-343/344 DC, 27 juillet 1994, Lois bioéthiques, Rec. 100.
-
[26]
L’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité du droit : CC, décis. n° 99-421 DC, 16 décembre 1999, Codification par ordonnances, Rec. 136.
-
[27]
F. Jacquelot, « L’argument de constitutionnalité », in P. Deumier, Le raisonnement juridique, précité, pp. 135 et s., spéc. p. 142.
-
[28]
F. Jacquelot, article précité, p. 142, note 5, citant Avis, Cass., ass. plén., 10 novembre 2009, n° 08-17 191.
-
[29]
CC, décis. 11 juin 1981, Delmas, Rec. 97 ; 4 juin 1988, Rec. 77 ; 13 juillet 1988, Rec. 92.
-
[30]
CC, décis. 16 et 20 avril 1982, Bernard, Rec. 109 ; 8 juin 1995, Bayeurte, Rec. 213 ; 20 mars 1997, Mme Richard, Rec. 43.
-
[31]
CC, décis. n° 81-132 DC, 16 janvier 1982, Loi de nationalisation, Rec. 18.
-
[32]
L’évolution de la rédaction des décisions du Conseil d’État, après un fort débat interne, est significative d’une volonté de se rapprocher du justiciable. V. Conseil d’État, Rapport du Groupe de travail sur la rédaction des décisions de la juridiction administrative, avril 2012 (www.conseil-etat.fr). La décision juridictionnelle y gagne-t-elle en qualité argumentative ? Ceci reste à prouver… Il n’est pas illégitime que la technicité du droit s’exprime par des concepts spécifiques et l’histoire montre que les textes juridiques peuvent constituer des modèles de style, comme l’illustrait Stendhal à propos du Code civil. Pour le Conseil constitutionnel v. Marc Guillaume, « Le style du Conseil constitutionnel », Justice et cassation, 2013, pp. 262 et s. ; W. Sabete, « De l’insuffisante argumentation des décisions du Conseil constitutionnel », AJDA 2011, p. 885.
-
[33]
On renvoie ici à nos développements in Contentieux constitutionnel français, Puf, coll. « Thémis », 3e éd., 2011, n° 105.
-
[34]
V. sur ce thème W. Mastor (Études dirigées par), « La motivation des décisions des cours constitutionnelles », AIJC XXVIII-2012, Economica et PUAM, 2013, pp. 11 et s.
-
[35]
Ord. n° 58-1067 du 7 novembre 1958, art. 20 : « La déclaration du Conseil constitutionnel est motivée. Elle est publiée au Journal officiel » ; art. 23-11 : « La décision du Conseil constitutionnel est motivée […]. » La même motivation est exigée pour les autres contentieux : art. 26 (déclassement), art. 28 (fins de non-recevoir), art. 38 et 40 (contentieux de l’élection des députés et sénateurs).
-
[36]
V. B. Mathieu, J.-P. Machelon, F. Mélin-Soucramanien, D. Rousseau, X. Philippe (dir.), Les grandes délibérations du Conseil constitutionnel 1958-1986, Dalloz, 2e éd., 2014.
-
[37]
D. Baranger, « Sur la manière française de rendre la justice constitutionnelle. Motivations et raisons politiques dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », Jus politicum, vol. IV, 2012, pp. 13 et s.
-
[38]
D. Schnapper, Une sociologue au Conseil constitutionnel, Gallimard, coll. « nrf essais », 2010, spécialement le chapitre VI, « Le travail au jour le jour », pp. 273 et s. ; ou encore les « opinions différentes » exposées par Pierre Joxe in Cas de conscience, éd. Labor et Fides, 2010, pp. 159 et s. ; les témoignages d’anciens membres du Conseil constitutionnel, à l’occasion du 50e anniversaire du Conseil, Les cahiers du Conseil constitutionnel, n° 25, 2008, p. 4 ; RDP, n° spécial Les 40 ans de la Ve République, 1998, p. 1333 : interview de R. Badinter et débat entre J. Robert et D. Rousseau, « Neuf années au Conseil constitutionnel », p. 1478 ; N. Lenoir, « Le métier de juge constitutionnel. Entretien », Le débat, n° 114, 2001, p. 178 ; G. Vedel, « Neuf ans au Conseil constitutionnel. Entretien », Le Débat, n° 55, 1989, p. 48. V. aussi le témoignage de B. Genevois, ancien secrétaire général du Conseil, sur le Doyen Vedel : « Un universitaire au Conseil constitutionnel : le Doyen Georges Vedel », RFDA, 2004, p. 215.
-
[39]
Art. 3 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 sur le Conseil constitutionnel.
-
[40]
F. Martineau, « Critères et standards rhétoriques de la bonne décision de justice », colloque précité, p. 92, citant T. Sauvel, « Histoire du jugement motivé », RDP 1955, pp. 5-53.
-
[41]
CC, décis. n° 84-181 DC, 10 et 11 octobre 1984, Entreprises de presse, Rec. 78.
Introduction
1 Le thème de la « qualité de la norme constitutionnelle » est récurrent lorsqu’on s’interroge sur l’évolution institutionnelle et normative des démocraties constitutionnelles. Plus exactement, c’est la perte de qualité de ces normes qui frappe l’observateur. Au fil des révisions constitutionnelles, on est plus frappé par le développement inorganisé de la norme constitutionnelle et la perte de cohérence substantielle de la Constitution que par des évolutions cohérentes. Cette remarque s’applique, malheureusement aussi, à la Constitution de la Ve République. Les vingt-quatre révisions constitutionnelles, depuis 1958, d’inégale importance, révèlent une évolution de la norme constitutionnelle qui est plus marquée par le tempo politique de l’élection présidentielle que par les nécessités de l’adaptation de la Constitution à l’évolution de la démocratie et de la société. En effet, on peut constater aujourd’hui que les programmes des candidats à l’élection présidentielle comportent tous des projets de révision de la Constitution, sorte de point de passage obligé d’un programme présidentiel. Comme si l’action politique devait nécessairement se traduire au plus haut niveau de la hiérarchie des normes, inscrivant dans le marbre de la Constitution un programme politique.
2 Cette logique politique est, en réalité, nuisible à la stabilité de la norme constitutionnelle, en ce qu’elle la fait entrer dans le paysage proprement politique, changeant et instable, au gré de la parole présidentielle. L’effet pourtant recherché par les politiques est de donner une certaine stabilité à leurs décisions en les inscrivant dans la Constitution. Il faut se demander si ce n’est pas l’inverse qui se produit : la Constitution devient une norme instable dans le temps, et diluée dans son contenu par la recherche d’effet d’annonce, perdant en force normative ce qu’elle paraît gagner en contenu, comme l’illustre la Charte de l’environnement qui vient constitutionnaliser un pan entier du droit, sans véritable nécessité et sans effet pratique visible.
3 Au sein du thème de la qualité de la norme constitutionnelle, il est légitime de s’interroger sur la « qualité de l’argumentation constitutionnelle ». En effet, il s’agit plus d’une interrogation que d’une démonstration. L’analyste s’interroge sur la qualité de l’argumentation qui est développée aujourd’hui en matière constitutionnelle en France, tant par la doctrine que par les instances qui argumentent dans ce domaine : Exécutif, Législatif, Conseil constitutionnel ainsi que les autres juridictions nationales, au premier plan desquelles la Cour de cassation et le Conseil d’État.
A– Périmètre du sujet
4 Que faut-il comprendre par « argumentation » lorsqu’on l’applique à l’argumentation juridique ? On reprend ici à notre compte la définition que propose Stefan Goltzberg dans son ouvrage L’argumentation juridique [2] qui souligne qu’« il n’y a pas d’argumentation juridique sans interprétation juridique ». « Pour autant, souligne cet auteur, l’argumentation juridique traite également de l’organisation et de l’articulation des arguments. Si l’interprétation s’occupe de la sémantique, du sens des lois (Frydman), l’argumentation juridique porte sur la syntaxe du droit, c’est-à-dire l’articulation des arguments. L’argumentation juridique exploite l’interprétation juridique comme un de ses éléments pour construire un propos visant à emporter l’adhésion d’un auditoire » [3].
5 À l’évidence, l’argumentation constitutionnelle n’est pas le monopole du juge constitutionnel ou des autorités qui plaident devant lui. Les autres autorités constitutionnelles [4] – chef de l’État, chef de Gouvernement, Parlement –, utilisent le mode argumentatif pour justifier ou expliquer une réforme constitutionnelle, par exemple dans les débats parlementaires. Cette argumentation constitutionnelle trouve aussi une expression dans la doctrine juridique, par ses écrits, enfin dans les médias quand leur expression est sérieuse et argumentée.
6 Mais, pour traiter de ce sujet, il faut laisser de côté la question de l’instrumentalisation de l’argument constitutionnel, telle l’utilisation de cet argument dans les débats parlementaires à des fins politiques. Il est, par exemple, clair que l’argumentation constitutionnelle, utilisée dans les débats par les parlementaires français, a une fonction tactique qui est d’annoncer une saisine potentielle du Conseil constitutionnel, d’utiliser également les armes de la procédure parlementaire, de l’exception d’irrecevabilité – dont l’objet est de souligner l’inconstitutionnalité du texte de loi -, de la question préalable, du renvoi en commission, pour des raisons supposées d’inconstitutionnalité.
7 Il y a ainsi un effet déformant de l’argumentation constitutionnelle lorsqu’elle est instrumentalisée au profit du discours politique. C’est tout à fait évident dans le discours des dirigeants politiques qui ont réussi à instrumentaliser la réforme constitutionnelle au profit d’objectifs politiques immédiats. La même remarque pourrait d’ailleurs être faite à propos des saisines parlementaires du Conseil constitutionnel dont l’objectif est d’obtenir une victoire politique par une censure juridique de la loi. De ce point de vue, la qualité de l’argumentation constitutionnelle compte moins que l’effet politique recherché. C’est d’ailleurs ce qui explique aussi que la réponse du Conseil constitutionnel soit, en quelque sorte, à la hauteur – parfois assez faible – de l’argumentation de la saisine parlementaire.
8 L’économie de moyens argumentatifs constitutionnels est ainsi une constante du juge qui ne voit pas pourquoi il devrait fortement motiver une réponse à une question juridique médiocrement formulée…
9 Il est donc nécessaire de centrer la réflexion et le propos sur la qualité de l’argumentation constitutionnelle devant le juge constitutionnel, c’est-à-dire principalement devant le Conseil constitutionnel puisque ce colloque porte sur la Ve République, dans le débat qui se déroule devant lui, par le Conseil lui-même, sans s’interdire des incursions vers les autres juridictions administratives et judiciaires.
B – Interrogation sur la notion de « qualité » de l’argumentation constitutionnelle
10 Que doit-on comprendre par le mot « qualité » ? Nathalie Fricero reprend cette définition : « La qualité, selon le Petit Larousse, est ce qui fait la valeur ou le mérite, sur le plan intellectuel ou moral (étymologiquement, la qualité, du latin qualitas est une manière d’être, ce qui fait le mérite, la valeur, sur le plan moral, intellectuel) » [5].
11 « Mais donner une définition du concept de qualité de la justice est beaucoup plus difficile et peu s’y risquent. Cela tient sans doute au fait que la notion de « qualité de la justice » est la synthèse complexe de facteurs nombreux, relevant de plans différents et qui ne peuvent tous être saisis par les mêmes outils. Ceci pourrait se traduire par l’idée que la qualité de la justice est comparable à un triangle, dont les côtés seraient l’efficacité, l’éthique et la légitimité. Seraient alors conformes à une justice de qualité le système judiciaire national et les procédures, le tribunal et les juges (pris individuellement), qui se situeraient à l’intérieur du domaine ainsi délimité » [6].Un autre auteur énonce que « l’hypothèse que je développerai est celle d’un glissement progressif, dans la théorie et dans la pratique contemporaines, d’une conception substantielle vers une conception procédurale et à présent managériale de la qualité des décisions de justice, qui s’accompagne, sur le plan du contrôle, d’une multiplication des modalités et des instances qui s’empilent en quelque sorte les unes sur les autres » [7].
12 Ces interventions n’apportent que peu d’éléments de réponse sur la notion de « qualité » dans l’analyse de la décision juridictionnelle. Elles font valoir des procédés d’analyse mais s’intéressent peu au fond : qu’est-ce qu’une argumentation juridictionnelle « de qualité » ? Ou, plus exactement, qu’entend-on par « qualité de l’argumentation » ? Est-ce un jugement de valeur, une appréciation subjective ? Selon quels instruments d’appréciation ? Faut-il entrer dans le détail de l’utilisation du vocabulaire et la précision de celui-ci ? Faut-il procéder à une analyse sémantique ? La réponse est difficile à donner, en soi. Elle comporte une forte part d’appréciation subjective en considérant la qualité du raisonnement plus que les résultats de la décision du juge.
13 Avant de centrer le propos sur le Conseil constitutionnel, on veut essayer d’analyser les méthodes argumentatives en matière de contrôle de constitutionnalité, spécialement les méthodes utilisées par les juges constitutionnels. C’est de cette analyse que l’on pourra porter une appréciation sur la qualité de l’argumentation constitutionnelle.
I – Quelle méthode argumentative est utilisée par le juge constitutionnel ?
14 On entend ici par « juge constitutionnel », soit une cour constitutionnelle du modèle européen, auquel on rattache le Conseil constitutionnel, soit une cour suprême du modèle américain, dans la mesure où les fonctions de contrôle de constitutionnalité sont proches, c’est-à- dire un contrôle de constitutionnalité de la loi, concret et/ou abstrait, nonobstant tout ce qui sépare ces deux modèles de justice constitutionnelle : le système de séparation des pouvoirs auquel se rattachent ces différents types de cours, le caractère unitaire ou fédéral de l’État, l’organisation juridictionnelle dans laquelle s’insèrent ces cours constitutionnelles [8]. La comparaison fait ressortir des différences considérables de qualités argumentatives, de styles rédactionnels, de longueur de décisions, dans lesquelles les cours constitutionnelles ont développé parfois des techniques argumentatives très subtiles [9].
15 On se limitera à l’hypothèse du contrôle de constitutionnalité de la loi, parce qu’elle est la prérogative principale du juge constitutionnel et qu’elle révèle le mieux l’argumentation constitutionnelle. Il faut également s’interroger sur l’argumentation utilisée selon le type de contrôle exercé. La méthode argumentative est-elle vraiment différente selon que le contrôle est abstrait ou concret ?
16 À cet égard, l’exemple du contentieux constitutionnel français ne révèle pas de différences considérables, sur le fond de l’argumentation constitutionnelle. Au regard des droits fondamentaux constitutionnels en cause, on constate justement que le Conseil constitutionnel recherche une forte cohérence argumentative entre le contrôle a priori et le contrôle a posteriori de constitutionnalité.
A – Deux registres possibles d’analyse du sujet
17 On peut utiliser deux registres possibles d’analyse des méthodes argumentatives utilisées par le juge constitutionnel dans l’exercice de son contrôle. Le premier registre porte une appréciation subjective, souvent celle du politique, sur la réponse donnée et le fondement de la décision du juge. C’est en réalité un jugement de valeur qui va reconnaître une certaine « valeur » à la décision du juge constitutionnel, par une analyse engagée. En fait, ce jugement de valeur reconnaît de la valeur à la décision du juge si elle va dans le sens de l’analyste. Ce registre d’analyse n’est pas illégitime mais il ne cherche pas à s’appuyer sur une démonstration juridique, ce n’est qu’un jugement de valeur.
18 Le second registre est plus technique, en ce qu’il cherche à analyser les techniques argumentatives utilisées par le juge pour rendre sa décision et à procéder par comparaison avec d’autres juges, si cette comparaison est possible. C’est selon ce registre que sera construite l’analyse tentée ici.
B – Syllogisme juridique
19 D’une façon générale, la décision juridictionnelle est construite sur le classique syllogisme juridique, mineure, majeure et conclusion. En matière de contrôle de constitutionnalité de la loi, il s’agit de confronter la loi, qui est la mineure, à la Constitution, la majeure, pour en tirer la conclusion, dans le sens de l’annulation ou de la validation de la loi.
20 En réalité, Michel Troper souligne qu’on est en présence de deux syllogismes [10]. « Le premier a pour prémisse majeure une norme constitutionnelle, pour mineur la loi en litige et pour conclusion la décision d’annuler ou de valider cette loi. Par cette conclusion, le juge incontestablement fait œuvre de législateur. Mais la norme constitutionnelle qui sert de majeure a été, elle aussi, déterminée par le juge au terme d’une interprétation d’une disposition constitutionnelle. Celle-ci est elle-même, implicitement ou explicitement, le produit d’un syllogisme, dont la majeure est soit une méthode d’interprétation, soit un principe supra-constitutionnel. Dans ce cas, la cour choisit librement la majeure. C’est d’ailleurs dans ce choix que réside le caractère volontaire de l’interprétation. D’une manière plus générale, on peut affirmer que tout tribunal compétent pour annuler une norme pose une norme de même niveau que celle qu’il annule ou valide, mais qu’en même temps, il est amené à interpréter, donc à refaire la norme de niveau immédiatement supérieur et qu’il doit pour cela se fonder sur une troisième norme supérieure à la précédente ».
21 Et Michel Troper de conclure : « En d’autres termes, le juge de la constitutionnalité des lois est à la fois législateur et constituant » [11].
22 Guillaume Tusseau en tire cette conclusion : « De cette analyse, il est possible de tirer une conséquence radicale : les juges constitutionnels maîtrisent ainsi les significations normatives les plus élevées que peuvent recevoir les énoncés juridiques. Ils se trouvent dans une position de pouvoir exceptionnelle. Le droit n’est rien d’autre que ce qu’en disent les juges, et les décisions des autres « autorités » normatives se limitent à tenter d’anticiper sur les décisions juridictionnelles. Les juges exercent alors non un pouvoir mais tout le pouvoir » [12].
23 Le juge constitutionnel pratique donc deux syllogismes. Le premier est le syllogisme « classique » : la loi est la mineure, la Constitution est la majeure, l’annulation ou la validation de la loi forme la conclusion. Celui-ci ne se distingue pas du raisonnement juridictionnel classique. Il comporte seulement un certain nombre de variations, bien connues : l’utilisation de réserves d’interprétation, dont la fonction est explicative, directive, constructive, minorante, neutralisante parfois et qui agissent sur la signification même de la loi. Le Conseil constitutionnel énonce la signification de la loi, au-delà de sa rédaction formelle. Le phénomène de construction de cette signification atteint parfois certaines limites, par exemple quand le Conseil réécrit véritablement la loi sur le PACS en 1999 [13] ou lorsqu’il indique quelle doit être la composition d’une instance juridictionnelle après avoir exercé son pouvoir d’abrogation à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), se substituant en quelque sorte au législateur.
24 Le second syllogisme concerne l’interprétation même d’une disposition constitutionnelle, dans lequel la mineure est alors la disposition constitutionnelle, la majeure est soit une méthode d’interprétation, soit un principe supra-constitutionnel, la conclusion est la signification de la disposition constitutionnelle. Toute la jurisprudence sur la définition même des droits fondamentaux constitutionnels et de leur périmètre peut être ainsi invoquée. Qu’il s’agisse du principe d’égalité, de la garantie des droits, de la liberté d’entreprendre ou de la signification des dispositions de la Charte de l’environnement, c’est la fonction interprétative même de la juridiction constitutionnelle qui se manifeste à chaque décision. La question est alors celle de la légitimité de ces interprétations constitutionnelles. Le Conseil constitutionnel est-il le seul interprète autorisé de la Constitution ? En l’état des pouvoirs et compétences du Conseil, à l’évidence non. Le président de la République, dans sa fonction de gardien de la Constitution énoncée à l’article 5 du texte fondamental [14], est l’un des interprètes autorisés de la Constitution mais ne peut donner une interprétation autorisée qu’en ce qui concerne ses pouvoirs propres. De même, les juges ordinaires, administratifs et judiciaires, peuvent toujours développer une interprétation autonome d’une disposition constitutionnelle, tant que les interprétations dégagées par le Conseil constitutionnel ne peuvent s’imposer strictement. Il revient ainsi au juge ordinaire de prendre en considération les interprétations dégagées par le Conseil constitutionnel. On constate simplement qu’elles sont souvent suivies et qu’elles sont intégrées à l’autorité de chose jugée des décisions du Conseil constitutionnel et ont un caractère absolu, au moins pour le juge administratif [15].
C – Choix d’une interprétation par le juge constitutionnel
25 Le juge constitutionnel est susceptible d’utiliser tous les ressorts de l’interprétation juridictionnelle : méthode exégétique, lettre du texte, esprit du texte, esprit de la réforme législative, interprétation téléologique, interprétation systémique, raisonnement par analogie ou a pari, raisonnement a contrario, a fortiori, contra legem, interprétation stricte, littérale, conforme, minorante, neutralisante, directive, constructive [16],… Aucun type d’interprétation n’est exclu et on constate, pour le Conseil constitutionnel, que ces différents types sont utilisés tant dans le contentieux a posteriori de la QPC que dans le contentieux a priori.
26 Comment le juge constitutionnel choisit-il d’utiliser tel ou tel type d’interprétation ? Tout est question d’espèce, selon la façon dont la question de constitutionnalité est posée au juge. On peut essayer d’en dresser une première typologie.
1 – Une interprétation en relation avec la norme contrôlée ou la norme de référence
27 Le Conseil constitutionnel rappelle régulièrement qu’il ne possède pas un pouvoir d’appréciation et de décision de même nature que le Parlement [17], ce qui est une façon de dire qu’il ne veut pas se substituer à la volonté du législateur, qu’il n’est pas une « troisième chambre ». Mais le Conseil peut ainsi vouloir laisser entière l’interprétation voulue par le législateur, dans les travaux préparatoires par exemple [18].
28 Plus simplement encore, le juge constitutionnel peut vouloir respecter l’interprétation la plus proche de la signification simple du texte, ou plus largement proposer une interprétation en relation avec l’économie générale du texte législatif, éviter ainsi toute interprétation a contrario.
29 En ce qui concerne l’interprétation de la norme constitutionnelle à appliquer, la recherche de la volonté des auteurs de la Constitution est sans doute plus difficile dans le cas français de la Ve République car on ne dispose pas de « travaux préparatoires » au sens strict du terme puisque la Constitution n’a pas été adoptée par une assemblée constituante. Et les Documents pour servir à l’histoire de l’histoire de l’élaboration de la Constitution du 4 octobre 1958 [19] apportent rarement une aide décisive à la connaissance des droits fondamentaux du bloc de constitutionnalité, pour une raison simple : ils n’ont pas fait l’objet d’une réécriture et d’une intégration formelle dans le texte de la Constitution. On sait que c’est justement le travail interprétatif du Conseil constitutionnel qui les a inclus expressément dans le bloc de constitutionnalité à partir des années 1970. Certes, on peut en savoir un peu plus au fil des révisions constitutionnelles, spécialement parlementaires, qui proposent des travaux préparatoires et des différents rapports de préparation de ces révisions (Vedel en 1993 qui n’a pas conduit à une révision constitutionnelle mais qui est en quelque sorte la « matrice » des suivantes, Avril en 2001, Balladur en 2007).
30 Quoi qu’on en dise, il est difficile de tirer une interprétation décisive de ces éléments de construction du texte de la Constitution de la Ve République et même la lecture des écrits, discours, conférences de presse du général de Gaulle ou ceux de Michel Debré, certes inspirateurs majeurs de la Constitution, ne peuvent constituer à eux seuls la source unique d’une interprétation d’une disposition constitutionnelle. Ils sont nos « pères fondateurs » de la Constitution de 1958 mais leurs écrits ou déclarations ne donnent pas lieu à analyse constitutionnelle comme peut le faire la Cour suprême des États-Unis.
31 On peut en conclure que l’interprétation de la Constitution énoncée par le Conseil constitutionnel demeure l’élément majeur auquel on doit faire référence, au-delà de la pratique constitutionnelle des autres acteurs constitutionnels, Exécutif et Parlement, qui peuvent donner une interprétation de telle ou telle disposition constitutionnelle mais qui ne peut avoir qu’une valeur pratique et non juridique.
2 – Interprétation en conformité avec le droit d’origine externe (droit international, Union européenne, Convention européenne des droits de l’homme)
32 Là encore, il est difficile d’identifier clairement des interprétations de la Constitution faites par le Conseil constitutionnel qui soient en corrélation avec un droit d’origine externe parfaitement identifié, qu’il s’agisse du droit international général, du droit de l’Union européenne ou du droit de la Convention européenne des droits de l’homme.
33 La référence à la règle Pacta sunt servanda est bien présente dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, à propos des engagements antérieurs de la France, par exemple dans la jurisprudence relative à l’intégration dans l’ordre interne des traités de l’Union européenne [20].
34 L’influence du droit de l’Union européenne et plus encore du droit de la Convention européenne des droits de l’homme est plus diffuse mais certaine. Ainsi, l’interprétation de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 sur la garantie des droits a fait de cet article une véritable porte d’entrée des garanties procédurales d’un procès équitable dans le bloc de constitutionnalité français. C’est bien à l’interprétation du Conseil constitutionnel qu’on le doit [21].
3 – Interprétation en conformité avec la doctrine
35 Elle est encore plus difficile à identifier tant le juge constitutionnel est réticent à citer la doctrine, y compris dans les propres « commentaires » de ses décisions. On peut citer la curieuse référence à l’influence exercée par Guy Carcassonne, faite par le secrétaire général du Conseil constitutionnel, à l’occasion du colloque organisé en hommage à ce collègue influent, qui démontre que G. Carcassonne influençait autant les décisions que les saisines [22].
36 Mais il faut bien constater qu’il n’est pas dans les habitudes juridictionnelles françaises de faire une référence explicite à la doctrine dans une décision juridictionnelle.
37 II – Quelles sont les contraintes qui pèsent sur le juge constitutionnel ?
38 La liberté d’interprétation du Conseil constitutionnel n’est pas complète. Comme tout organe juridictionnel, il est soumis, nolens volens, à un ensemble de contraintes, juridiques et extra-juridiques, qui pèsent sur sa prise de décision et orientent son argumentation. On peut les classer en contraintes externes et contraintes internes [23].
A – Contraintes externes
39 La première contrainte externe qui s’impose au juge constitutionnel est celle des normes de référence applicables. La Constitution, son contenu, la précision des termes employés, l’inclusion ou non de droits fondamentaux dans la Constitution, l’existence d’une « liste ouverte » de ces droits, qui s’ouvrent ainsi aux droits fondamentaux européens, forment autant d’éléments de contrainte qui enserrent l’argumentation du juge constitutionnel.
40 Pour le Conseil constitutionnel, cette contrainte existe bien mais la construction historique du bloc de constitutionnalité par le Conseil lui-même lui a donné une marge d’appréciation considérable, d’autant plus qu’il crée des droits fondamentaux par combinaison de normes constitutionnelles [24] ou par une interprétation particulièrement large de ces normes [25], ou encore en énonçant des objectifs de valeur constitutionnelle au contenu parfois difficilement identifiable [26].
41 Quant à la signification de la norme constitutionnelle, elle pourrait constituer une contrainte externe forte si la Constitution était fondée sur des travaux préparatoires structurés mais on vient de montrer que, pour la Constitution de 1958, il était difficile d’en tirer une doctrine constitutionnelle unitaire et impérative. De même les considérations politiques, historiques, philosophiques, sociologiques qui ont conduit à la rédaction de la norme constitutionnelle dans tel ou tel sens peuvent certes exercer une influence mais, elles aussi, sont susceptibles de variations à l’infini.
42 L’argument de conventionnalité peut parfois apparaître comme une technique de substitution de l’argument de constitutionnalité, qualifié ainsi d’« argument substituable » par Fanny Jacquelot [27], qui donne les exemples des avis des avocats généraux à la Cour de cassation ou des conclusions des rapporteurs publics devant le Conseil d’État, par exemple quand un avocat général fonde la liberté d’expression sur l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et non sur la Déclaration de 1789 [28].
43 Enfin, au titre des contraintes externes, il est clair que les arguments d’opportunité tiennent une place non négligeable dans la prise de décision du juge constitutionnel et que sa fonction politique inévitable prend là toute sa signification.
B – Contraintes internes
44 On appelle contrainte interne celles qui s’imposent au juge constitutionnel en raison de ses compétences, de son organisation, de son fonctionnement et de sa propre jurisprudence. Ces contraintes composent le cadre de son action juridictionnelle.
45 La compétence du juge constitutionnel, telle qu’elle est déterminée par la Constitution, lui donne un cadre d’action dont il ne peut s’affranchir. Pour le Conseil constitutionnel, sa compétence de contrôle de constitutionnalité est définie par la Constitution mais on constate que celle-ci comporte une part d’appréciation non négligeable qui lui permet de s’affranchir assez largement de ces contraintes.
46 Ainsi, l’expression « aux mêmes fins » employée à l’alinéa 2 de l’article 61 de la Constitution, à propos du contrôle des lois ordinaires, qui signifie « aux mêmes fins de contrôle de constitutionnalité que les lois organiques et les règlements des assemblées parlementaires » a ouvert une large possibilité de contrôle au Conseil constitutionnel, par la généralité des termes employés.
47 De même, l’expression « droits et libertés que la Constitution garantit » de l’article 61-1 à propos des normes de référence de la QPC laisse au seul Conseil constitutionnel la définition du périmètre des droits fondamentaux constitutionnels invocables et forme alors une faible contrainte qui est celle des droits inscrits au sein du bloc de constitutionnalité, dans lesquels le Conseil choisit ceux qui peuvent être invocables en QPC et ceux qui ne le sont pas.
48 Enfin, le contrôle des actes préparatoires aux votations politiques (élections présidentielles et législatives, référendum) a conduit le Conseil constitutionnel à se reconnaître compétent « en vue de l’accomplissement de la mission qui lui est confiée par l’article 59 de la Constitution » [29], même si cette compétence reste limitée aux cas où les actes en question peuvent mettre en cause « la régularité de l’ensemble des opérations électorales » (décision Delmas) ou encore dans les cas où l’irrecevabilité du recours « risquerait de compromettre gravement l’efficacité du contrôle par le Conseil constitutionnel de l’élection des députés ou des sénateurs, vicierait le déroulement général des opérations électorales et, ainsi, pourrait porter atteinte au fonctionnement normal des pouvoirs publics » [30]. Cette extension de compétence, justifiée par la cohérence du contrôle des opérations électorales, est bien un affranchissement clair à l’égard des contraintes de compétence du Conseil constitutionnel.
49 On a vu (supra) que l’interprétation de sa propre compétence selon le Conseil constitutionnel qui, selon ses propres termes, « ne possède pas un pouvoir d’appréciation et de décision de même nature que le Parlement » était l’expression de son pouvoir d’interprétation. C’est aussi une autolimitation de son contrôle qui le conduit à éviter de contrôler les choix politiques du législateur, sous réserve malgré tout du contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, comme l’a illustré son raisonnement dans l’affaire des nationalisations en 1982 [31].
50 On sait aussi que le Conseil constitutionnel interprète ses propres compétences en termes d’examen de la constitutionnalité de la loi puisqu’il s’estime saisi de l’ensemble de la loi et non limité par la saisine. Il peut donc soulever des moyens et conclusions d’office et ainsi examiner des dispositions non contestées par les saisissants, manifestant ainsi une liberté dans l’examen de la loi, sans être obligé par une interdiction d’ultra petita.
51 Le mode argumentatif utilisé par le juge peut constituer une contrainte importante. La forme même de la décision – phrase unique, imperatoria brevitas, ou longs développements littéraires, comme dans les juridictions européennes et internationales – ainsi que le style de la décision – recours au « considérant » ou évolution vers une rédaction plus accessible [32] sont des éléments forts de contrainte, tant la rédaction de la décision juridictionnelle est un élément essentiel de la force persuasive de celle-ci.
52 En définitive, la contrainte interne la plus significative nous paraît être, pour le Conseil constitutionnel, sa propre jurisprudence. Il apporte un soin tout particulier à ne pas se contredire, tant dans l’énoncé de ses décisions que des raisonnements tenus. Cette « standardisation » extrême de la décision de constitutionnalité [33] est particulièrement perceptible depuis l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité, qui vient reprendre des énoncés identiques à ceux du contrôle a priori, avec le soin d’une rédaction identique : sur la définition du principe d’égalité ou sur la définition des droits procéduraux par exemple. Et les « commentaires », publiés en même temps que la décision par le Conseil constitutionnel, sont un exercice d’autojustification et d’explication, certes fort utile, mais dont l’objectif n’est pas seulement pédagogique. Ils sont la concrétisation de cette contrainte interne qui consiste pour une juridiction à éviter les contradictions de jurisprudence, à en démontrer la cohérence, à replacer une décision d’espèce dans un continuum jurisprudentiel qui vaut justification. Cette méthode de décision et de rédaction souligne une faiblesse certaine de l’argumentation constitutionnelle, voulue sans aucun doute : moins le juge développe son raisonnement, plus il le reproduit à l’identique, moins il risque d’erreur et de porter la décision à la critique, doctrinale en particulier. Lorsque le juge constitutionnel rend sa décision et en livre un commentaire « officiel », il réduit d’autant la marge d’interprétation et de critique potentielle. Se fixant ainsi une propre contrainte, il nuit à la liberté d’évolution de sa jurisprudence, avec un risque d’assèchement de la qualité argumentative de sa décision.
53 Or, on attend autre chose du juge constitutionnel. La qualité de son argumentation constitutionnelle doit être appréciée à l’aune de la compréhension de sa décision par les destinataires de la décision. On concède aisément que cet objectif est plus facile à énoncer qu’à mettre en œuvre. Mais l’exemple des juges constitutionnels allemands ou italiens montre qu’il n’y a pas de perte de substance à nourrir le raisonnement juridique et à argumenter de façon à mieux convaincre.
C – La motivation de la décision de constitutionnalité, contrainte majeure
54 Cambacérès rappelait que la motivation de la décision juridictionnelle est la « première dette du corps social ». Il s’agit, en vérité, d’un devoir du juge, d’une exigence démocratique, d’une « dette » envers le peuple français « au nom » duquel les décisions juridictionnelles sont rendues, d’un devoir moral autant que juridique. C’est sans doute la contrainte majeure qui pèse sur le juge et qui rend sa décision acceptable, au-delà de l’imperium du jugement et de son autorité.
55 C’est dans la motivation de la décision du juge constitutionnel [34] que l’on peut apprécier la « qualité » de l’interprétation constitutionnelle. Répond-elle à tous les arguments de la saisine, de la requête adressée au juge ? Comment cette réponse est-elle argumentée par le juge ? Est-elle « convaincante », en ce qu’elle entraîne l’adhésion du justiciable demandeur à la décision du juge ?
56 En ce qui concerne le Conseil constitutionnel, la motivation est exigée, dans le contentieux des normes, aux articles 20 (contentieux a priori) et 23-11 (QPC) de l’ordonnance du 7 novembre 1958 sur le Conseil constitutionnel [35].
57 Comme on l’a dit, cette motivation est guidée, pour le Conseil constitutionnel, par des contraintes externes et internes, au premier rang desquelles la cohérence de sa jurisprudence autant que la réponse aux questions posées par les saisissants parlementaires dans le contentieux a priori ou le justiciable dans le contentieux de la question prioritaire de constitutionnalité, la motivation étant d’ailleurs plus ou moins élaborée selon qu’il s’agit de décisions d’irrecevabilité, d’admission du recours ou d’appréciation au fond des recours, selon une logique propre à toutes les cours suprêmes.
58 En définitive, il est peu commode pour la doctrine d’entrer dans le raisonnement du juge constitutionnel afin d’en déterminer les arcanes et la motivation, pour une raison simple : personne n’assiste aux délibérations du Conseil constitutionnel et la publication de certaines délibérations révèle souvent certaines surprises sur des attitudes de membres du Conseil constitutionnel à contre-emploi de ce qu’on pouvait supposer [36]. On ne peut que constater une certaine opacité du raisonnement du juge constitutionnel, cette « boîte noire » de la délibération du Conseil constitutionnel dont parle Denis Baranger [37] et dont on possède de rares témoignages [38]. À l’évidence, l’obligation générale de réserve des membres du Conseil, leur obligation de garder le secret des délibérations et des votes et de ne prendre aucune position publique sur les questions soumises au Conseil constitutionnel [39] exercent logiquement leur effet sur l’absence de connaissance précise des conditions de la motivation des décisions du Conseil constitutionnel. Il est donc difficile d’argumenter sur la « qualité » de cette argumentation au-delà de la décision elle-même.
Conclusion
59 « La décision de justice, ne pouvant éluder la problématique du vraisemblable et du controversable, n’échappe pas, nonobstant son caractère exécutoire, à l’exigence de la persuasion : c’est d’ailleurs ce que Tony Sauvel induit en écrivant : « Nous ne demandons pas seulement au juge de mettre fin à nos différends, nous demandons de nous expliquer, de nous faire comprendre, nous voudrions non pas être seulement jugés, mais si possible persuadés, ce qui est bien autre chose » [40].
60 On peut poser cette question conclusive pour rapprocher ce sujet du thème général du colloque : la qualité de l’argumentation constitutionnelle a-t-elle un effet sur l’évolution institutionnelle et normative de la Ve République ? La réponse est difficile à apporter.
61 Il faut néanmoins constater que certains éléments de jurisprudence du Conseil constitutionnel ont été repris dans le texte de révisions constitutionnelles. Par exemple, l’article 4 de la Constitution, alinéa 3, depuis la révision de 2008 qui dispose : « la loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la nation » qui reprend explicitement la formulation de décisions du Conseil constitutionnel, ou encore l’ajout à l’article 34 de la Constitution de la phrase « la loi fixe les règles concernant […] la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias », directement inspirés de la jurisprudence Entreprises de presse de 1984 du Conseil constitutionnel [41].
62 N’est-ce pas là la meilleure reconnaissance de la qualité d’une argumentation du Conseil constitutionnel que d’en constater la reprise dans le texte même de la Constitution ?
Notes
-
[1]
Guillaume Drago, professeur à l’université Panthéon-Assas-Paris-II, doyen honoraire de la Faculté de droit et de science politique de Rennes.
-
[2]
S. Goltzberg, L’argumentation juridique, Dalloz, coll. « Connaissance du droit », 2013, p. 4.
-
[3]
Et l’auteur de conclure : « Si l’interprétation juridique est verticale et confronte chaque opérateur juridique au sens de la loi, l’argumentation juridique est horizontale : elle met en présence des interlocuteurs et donne lieu à un type de négociation dont l’interprétation juridique est une des pièces centrales. L’interprétation est une partie nécessaire de l’argumentation juridique mais qui ne l’épuise pas », op. cit., p. 4.
-
[4]
Cf. M. Troper, « L’interprétation constitutionnelle », in F. Mélin-Soucramanien (dir.), L’interprétation constitutionnelle, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2005, pp. 13 et s., spéc. p. 16.
-
[5]
N. Fricero, « La qualité des décisions de justice au sens de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des Droits de l’Homme », in P. Mbongo (dir.), La qualité des décisions de justice, éd. du Conseil de l’Europe, s. d., p. 49.
-
[6]
S. Leyenberger, Secrétaire de la Commission européenne pour l’efficacité de la Justice (CEPEJ) et du Conseil consultatif de juges européens (CCJE), Conseil de l’Europe, colloque précité, p. 7.
-
[7]
B. Frydman, « L’évolution des critères et des modes de contrôle de la qualité des décisions de justice », colloque précité, p. 19.
-
[8]
Cette référence aux modèles de justice constitutionnelle est une commodité de langage permettant de faire entrer tout juge chargé du contrôle de la constitutionnalité de la loi, en une catégorisation aujourd’hui contestée. V. particulièrement G. Tusseau, Contre les « modèles » de justice constitutionnelle. Essai de critique méthodologique, coll. « Ricerche di Diritto comparato », Bononia University Press, 2009, édition en français et en italien, 87 pages. Pour une présentation renouvelée v. M. Fromont, Justice constitutionnelle comparée, Dalloz, 2013.
-
[9]
V. par exemple pour la Cour suprême des États-Unis S. Breyer, La Cour suprême, l’Amérique et son histoire, O. Jacob, 2011.
-
[10]
M. Troper, « Le problème de l’interprétation et la théorie de la supralégalité constitutionnelle », Recueil d’études en hommage à Charles Eisenmann, éd. Cujas, 1975, pp. 133 et s., spéc. p. 147, repris in « Kelsen, La théorie de l’interprétation et la structure de l’ordre juridique », in id., Pour une théorie juridique de l’État, coll. « Léviathan », Puf, 1994, pp. 310-311 ; cité également par G. Tusseau, « le gouvernement [contraint] des juges. Les juges constitutionnels face au pouvoir de réplique des autres acteurs juridiques – ou l’art partagé de ne pas pouvoir avoir toujours raison », Droits, n° 55, 2012, pp. 41 et s. De façon plus générale v. M. Troper et D. Chagnollaud (dir.), Traité international de droit constitutionnel, Dalloz, 2012, t. 1 : Les contributions de R. Guastini, « L’interprétation de la constitution », pp. 465 et s. ; M. Atienza, « L’argumentation », pp. 505 et s. et bibliographies citées.
-
[11]
Article précité, p. 147.
-
[12]
G. Tusseau, article précité, p. 43.
-
[13]
CC, décis. n° 99-419 DC, 9 novembre 1999, Loi relative au pacte civil de solidarité, Rec. 116. Sur ces réserves v. G. Drago, « La Constitution ‘en réserves’ », Droit de la famille, Hors-série, 1999 ; N. Molfessis, JCP G 1999. I. n° 210.
-
[14]
Article 5, al. 1er de la Constitution de 1958 : « Le président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État. »
-
[15]
CE, 15 mai 2013, Cne de Gurmençon, req. n° 34554 : « Considérant que les réserves d’interprétation dont une décision du Conseil constitutionnel assortit la déclaration de conformité à la Constitution d’une disposition législative sont revêtues de l’autorité absolue de la chose jugée et lient le juge administratif pour l’application et l’interprétation de cette disposition ; qu’il appartient à celui-ci d’en faire application, le cas échéant, d’office. »
-
[16]
Pour un inventaire des outils d’interprétation cf. la liste établie par Claire Vocanson, « Le texte », in P. Deumier (dir.), Le raisonnement juridique. Recherche sur les travaux préparatoires des arrêts, Dalloz, coll. « Méthodes du droit », 2013, pp. 11 et s., spéc., p. 25 : « les outils d’interprétation ».
-
[17]
CC, décis. n° 74-54 DC, 15 janvier 1975, Loi IVG, Rec. 19 ; n° 80-127 DC, 19 et 20 janvier 1981, Loi Sécurité et Liberté, Rec. 15 ; n° 86-218 DC, 18 novembre 1986, Rec. 167. La formulation utilisée par le Conseil constitutionnel est aujourd’hui ainsi formulée : « Le Conseil constitutionnel n’a pas un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Il ne saurait rechercher si les objectifs que s’est assignés le législateur auraient pu être atteints par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif visé », n° 2000-433 DC, 27 juillet 2000, Rec. 121 ; n° 2007-559 DC, 6 décembre 2007, Rec. 439.
-
[18]
CC, décis. n° 2012-660 DC, 17 janvier 2013, § 30, Rec. 94 : « Il ressort des travaux préparatoires que les dispositions critiquées tendent à assurer la réalisation de l’objectif de mixité sociale et d’accroissement de la production de logements locatifs sociaux, au plus tard à la fin de l’année 2025, en fixant un rythme de rattrapage de cette réalisation. Le Conseil constitutionnel n’a pas un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement… »
-
[19]
Vol. I à IV, 1987 à 2001, La documentation française.
-
[20]
CC, décis. n° 92-308 DC, 9 avril 1992, Maastricht I, Rec. 55 et la jurisprudence ultérieure, par exemple n° 2007-560 DC, 20 décembre 2007, Traité de Lisbonne, Rec. 459 ; n° 2012-653 DC, 9 août 2012, § 11, 15, 16, 18, Rec. 453 ; n° 2013-669 DC, 17 mai 2013, Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, § 24, Rec. 721.
-
[21]
CC, décis. n° 96-373 DC, 9 avril 1996, Rec. 43 ; n° 2011-138 QPC, 17 juin 2011, Rec. 291 : droit à un recours juridictionnel effectif ; 2 006-535 DC, 30 mars 2006, Rec. 50 : principe des droits de la défense ; 2006-540 DC, 27 juillet 2006, Rec. 88 : droit à un procès équitable. Sur ce processus de constitutionnalisation des principes de la procédure v. surtout S. Guinchard et a., Droit processuel. Droits fondamentaux du procès, Dalloz, 7e éd., 2013, n° 155 et s.
-
[22]
Marc Guillaume, « Guy Carcassonne et le Conseil constitutionnel », colloque du 10 avril 2014 au Conseil constitutionnel, éd. Lextenso, s.d., pp. 53 et s.
-
[23]
Sur cette notion de contrainte juridique v. M. Troper, V. Champeil-Desplats, Ch. Grzegorzyk, Théorie des contraintes juridiques, LGDJ et Bruylant, 2005.
-
[24]
Exemples : la liberté d’entreprendre, la liberté contractuelle, le droit à mener une vie familiale normale.
-
[25]
Le principe de dignité de la personne humaine, tiré du début du Préambule de 1946 par la décision C. const. n° 94-343/344 DC, 27 juillet 1994, Lois bioéthiques, Rec. 100.
-
[26]
L’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité du droit : CC, décis. n° 99-421 DC, 16 décembre 1999, Codification par ordonnances, Rec. 136.
-
[27]
F. Jacquelot, « L’argument de constitutionnalité », in P. Deumier, Le raisonnement juridique, précité, pp. 135 et s., spéc. p. 142.
-
[28]
F. Jacquelot, article précité, p. 142, note 5, citant Avis, Cass., ass. plén., 10 novembre 2009, n° 08-17 191.
-
[29]
CC, décis. 11 juin 1981, Delmas, Rec. 97 ; 4 juin 1988, Rec. 77 ; 13 juillet 1988, Rec. 92.
-
[30]
CC, décis. 16 et 20 avril 1982, Bernard, Rec. 109 ; 8 juin 1995, Bayeurte, Rec. 213 ; 20 mars 1997, Mme Richard, Rec. 43.
-
[31]
CC, décis. n° 81-132 DC, 16 janvier 1982, Loi de nationalisation, Rec. 18.
-
[32]
L’évolution de la rédaction des décisions du Conseil d’État, après un fort débat interne, est significative d’une volonté de se rapprocher du justiciable. V. Conseil d’État, Rapport du Groupe de travail sur la rédaction des décisions de la juridiction administrative, avril 2012 (www.conseil-etat.fr). La décision juridictionnelle y gagne-t-elle en qualité argumentative ? Ceci reste à prouver… Il n’est pas illégitime que la technicité du droit s’exprime par des concepts spécifiques et l’histoire montre que les textes juridiques peuvent constituer des modèles de style, comme l’illustrait Stendhal à propos du Code civil. Pour le Conseil constitutionnel v. Marc Guillaume, « Le style du Conseil constitutionnel », Justice et cassation, 2013, pp. 262 et s. ; W. Sabete, « De l’insuffisante argumentation des décisions du Conseil constitutionnel », AJDA 2011, p. 885.
-
[33]
On renvoie ici à nos développements in Contentieux constitutionnel français, Puf, coll. « Thémis », 3e éd., 2011, n° 105.
-
[34]
V. sur ce thème W. Mastor (Études dirigées par), « La motivation des décisions des cours constitutionnelles », AIJC XXVIII-2012, Economica et PUAM, 2013, pp. 11 et s.
-
[35]
Ord. n° 58-1067 du 7 novembre 1958, art. 20 : « La déclaration du Conseil constitutionnel est motivée. Elle est publiée au Journal officiel » ; art. 23-11 : « La décision du Conseil constitutionnel est motivée […]. » La même motivation est exigée pour les autres contentieux : art. 26 (déclassement), art. 28 (fins de non-recevoir), art. 38 et 40 (contentieux de l’élection des députés et sénateurs).
-
[36]
V. B. Mathieu, J.-P. Machelon, F. Mélin-Soucramanien, D. Rousseau, X. Philippe (dir.), Les grandes délibérations du Conseil constitutionnel 1958-1986, Dalloz, 2e éd., 2014.
-
[37]
D. Baranger, « Sur la manière française de rendre la justice constitutionnelle. Motivations et raisons politiques dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », Jus politicum, vol. IV, 2012, pp. 13 et s.
-
[38]
D. Schnapper, Une sociologue au Conseil constitutionnel, Gallimard, coll. « nrf essais », 2010, spécialement le chapitre VI, « Le travail au jour le jour », pp. 273 et s. ; ou encore les « opinions différentes » exposées par Pierre Joxe in Cas de conscience, éd. Labor et Fides, 2010, pp. 159 et s. ; les témoignages d’anciens membres du Conseil constitutionnel, à l’occasion du 50e anniversaire du Conseil, Les cahiers du Conseil constitutionnel, n° 25, 2008, p. 4 ; RDP, n° spécial Les 40 ans de la Ve République, 1998, p. 1333 : interview de R. Badinter et débat entre J. Robert et D. Rousseau, « Neuf années au Conseil constitutionnel », p. 1478 ; N. Lenoir, « Le métier de juge constitutionnel. Entretien », Le débat, n° 114, 2001, p. 178 ; G. Vedel, « Neuf ans au Conseil constitutionnel. Entretien », Le Débat, n° 55, 1989, p. 48. V. aussi le témoignage de B. Genevois, ancien secrétaire général du Conseil, sur le Doyen Vedel : « Un universitaire au Conseil constitutionnel : le Doyen Georges Vedel », RFDA, 2004, p. 215.
-
[39]
Art. 3 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 sur le Conseil constitutionnel.
-
[40]
F. Martineau, « Critères et standards rhétoriques de la bonne décision de justice », colloque précité, p. 92, citant T. Sauvel, « Histoire du jugement motivé », RDP 1955, pp. 5-53.
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[41]
CC, décis. n° 84-181 DC, 10 et 11 octobre 1984, Entreprises de presse, Rec. 78.