1Les actes de ce colloque constituent en quelque sorte un rapport intermédiaire du grand projet auquel collaborent le Centre d’Histoire Judiciaire (CNRS/Lille 2) et les Archives départementales du Nord, consacré au dépouillement et à l’étude du fonds du parlement de Flandre. Les grands fonds d’archives judiciaires sont des sources historiques sérielles, s’inscrivant par excellence dans la longue durée. On ne s’étonnera donc pas qu’une grande partie des contributions dans ce volume correspondent à ce que l’on désigne communément, dans le langage euro-anglais académique de notre époque, de work in progress, des travaux en cours qui, certes, apportent déjà une foule de nouveaux éléments, mais également de nombreuses nouvelles interrogations. Traditionnellement, l’étude historique des institutions judiciaires considérait deux volets : leur organisation et leur fonctionnement. Ces deux aspects restent les piliers fondamentaux de tout projet de recherche dans des archives judiciaires et ils sont solidement représentés dans ces actes. En outre, depuis plusieurs décennies, le potentiel des archives judiciaires pour un vaste éventail d’autres études historiques a été largement reconnu et ce potentiel a déjà parfois commencé à être exploité. Cet aspect ne fait pas encore l’objet de contributions spécifiques dans ce volume, mais l’approche historique qui tient compte des éclairages économiques et sociaux, des mentalités, imprègne néanmoins plusieurs travaux rapportés au fil de ces contributions sur le parlement de Flandre lui-même.
2S’il est un fil conducteur qui semble se dessiner à travers la majorité des contributions, c’est bien celui, à la fois classique et à la mode dans l’historiographie française et européenne à l’heure actuelle, des rapports entre particularisme et centralisation. Dans le cadre du parlement de Flandre et de ses activités, il s’agit de reconnaître une spécificité flamande et ses rapports, voire les tensions, avec un modèle général français. En particulier, la thèse ou hypothèse générale qui sous-tend plusieurs contributions est celle d’un héritage « flamand » – qu’il faut étendre un peu plus loin, en comprenant au-delà de l’appartenance au comté de Flandre tout un passé politique et institutionnel du régime des Habsbourg aux Pays-Bas, mais aussi les liens avec, tout spécialement, le Conseil du Hainaut et le Grand Conseil de Malines – qui sera progressivement érodé et effacé par la « francisation », tout en gardant des traces des origines régionales. En soi, cette thèse n’a rien de remarquable ou de très surprenant. Tout l’intérêt du projet étudiant les archives du parlement de Flandre consiste à prendre la mesure de ce développement. Dans la pratique et les principes de l’institution, mais aussi dans l’esprit de ses acteurs, cette francisation qui vient en partie se substituer, en partie se superposer à une identité flamande, est un développement autrement plus complexe et subtil que le schéma général ne le suggère. C’est là l’importance et l’innovation, même à ce stade intermédiaire, des études dont le présent volume permet dès à présent de prendre connaissance.
3Les fonds d’archives judiciaires d’Ancien Régime ont souvent plus ou moins longtemps transité, avant d’être recueillis dans un dépôt d’archives historiques, dans les locaux des cours et tribunaux qui avaient hérité de leurs compétences. Le fonds du parlement de Flandre s’est trouvé dans ce cas, et ce n’est qu’au début de la iiie République et durant l’entre-deux-guerres que l’essentiel de ce fonds a été transféré à l’administration des archives. L’état complet de ce fonds doit encore être évalué, et ce sera chose faite lorsque le projet de collaboration précité aboutira à son terme. L’esquisse de la destinée du fonds par R. Cleyet-Michaud souligne combien ces archives, à différents stades de leur existence, ont souffert de pertes, et, jusqu’à une époque toute récente, à quelques exceptions près, d’un manque d’intérêt scientifique. À cet état des lieux peu encourageant s’ajoutent d’autres remarques incidentes sur des sources susceptibles de compléter le fonds du Parlement, comme dans le cas de l’ordre des avocats douaisiens sous l’Ancien Régime (évoqué par H. Leuwers), dont les lacunes sont également relevées, confirmant que les historiens doivent faire preuve d’inventivité pour combler ces pertes. Malgré ce point de départ apparemment peu prometteur, la richesse du fonds qui a survécu est telle que, moyennant une approche systématique et la création d’instruments permettant d’optimaliser l’accès aux différentes séries, l’histoire du Parlement, mais aussi son importance et son rôle dans la société d’Ancien Régime qui correspondait à son ressort, apparaît dans toutes ses dimensions. La synthèse historique qu’offre V. Demars-Sion présente non seulement les principaux moments de l’histoire externe du Parlement à partir de la création du Conseil souverain de Tournai en 1668 jusqu’à la disparition du parlement de Flandre en 1790, mais offre d’emblée plusieurs pistes de recherches à partir desquelles la francisation de l’institution peut être évaluée. Il en ressort une politique prudente, mais persistante, de la monarchie, mais aussi une assimilation spontanée de pratiques françaises par les acteurs du Parlement eux-mêmes. Certains particularismes s’inscrivent en fait dans une tendance plus générale, qui dépasse le ressort flamand : ainsi, par exemple, l’insistance sur la diversité des coutumes du ressort, qui était aussi un moyen de protectionnisme contre des nominations extérieures. De même, la revendication, largement étayée en droit par les parlementaires, d’un régime flamand particulier concernant la vénalité des offices, servit en premier lieu à protéger les intérêts professionnels et économiques des magistrats en place. D’une manière générale, l’historique du Parlement rappelle la modération des parlementaires flamands dans leurs remontrances à l’égard du gouvernement – et, inversement, cette approche semble inspirer une certaine réserve et modération de la part du gouvernement à l’égard du parlement de Flandre. Cette modération réciproque a bien entendu pu être inspirée par la réalisation, de part et d’autre, que l’on se trouvait dans une région frontière, toujours susceptible d’être reconquise, ne fût-ce qu’un temps, par une puissance étrangère, et qu’il convenait donc de ménager les rapports et envisager l’ancrage des institutions flamandes selon un processus à long terme. La réforme de Maupeou semble néanmoins, comme le note V. Demars-Sion, avoir ébranlé cet équilibre.
4La première tâche consiste à favoriser l’accès aux différentes séries de registres et autres documents – il est fait état de 33 000 dossiers – qui constituent le fonds d’archives actuel du Parlement. Les contributions d’A. Jeannin et S. Baudens sur les pièces de procédure, de S. Michel sur les arrêts étendus et de L. Fréger sur les épices nous informent sur les progrès réalisés dans ce domaine. Il faut se réjouir que ces différents dépouillements se font de manière concertée et intégrée, visant à élaborer graduellement une banque de données informatique qui permettra les renvois d’une série ou subdivision du fonds à une autre. En effet, l’expérience de projets antérieurs, portant sur d’autres fonds judiciaires, montre que les meilleurs résultats sont obtenus en combinant autant que possible les différentes parties du fonds. Les dossiers, par exemple, sont notoirement incomplets, non seulement parce que pour plusieurs causes, ils ont entièrement disparu du fonds, mais également parce que souvent, seuls des fragments d’un dossier d’origine ont été conservés. Davantage encore que pour les registres, la conservation des dossiers a été aléatoire : une remarque qui vaut vraisemblablement déjà pour la période d’activité du Parlement sous l’Ancien Régime, puis pour ses tribulations ultérieures dans les locaux d’autres institutions judiciaires. Les éléments des dossiers offrent les sources les plus variées pour différentes approches historiques. Le dépouillement exemplaire qui est présenté par A. Jeannin et S. Baudens permet d’espérer une excellente exploitation de ces sources ; en même temps, leur contribution confirme la nécessité de croiser ces données avec celles d’autres sources : ainsi, pour la datation des procès – dont l’intérêt n’est pas seulement l’identification d’une procédure concrète dans le temps, mais en outre l’évaluation de la durée des procès –, il sera nécessaire de complémenter les informations de nature très variable d’un dossier à l’autre par d’autres moyens : les registres aux rôles, lorsqu’ils sont conservés, sont à cet égard l’une des sources les plus précises, mais aussi, pour la plupart des fonds d’archives judiciaires, l’un des types de registres les plus négligés. Les arrêts étendus, dont S. Michel précise les caractéristiques, la nature et la fonction, sont eux aussi une source d’intérêt exceptionnel, du fait qu’outre la décision, ils éclairent des pans entiers de l’argumentaire développé par les parties sur les faits et circonstances du litige, mais là également, l’expérience montre que leur utilité peut être fortement accrue si on peut les compléter par d’autres registres et, bien sûr, par des pièces des dossiers lorsqu’il y en a. Aussi bien pour les historiens du droit que pour les historiens d’autres orientations, la comparaison entre les arrêts étendus et les notices des arrêtistes peut également s’avérer utile. Il demeure que pour la période du Parlement proprement dit, les recherches de S.Michel indiquent qu’il s’agit d’une source qui se tarit : la pratique consistant à rédiger une version étendue des arrêts semble diminuer et même disparaître à partir des années 1720. Témoignage, ici également, d’une francisation ? Sans écarter cette explication, cela supposerait néanmoins que les justifications et explications de la pratique antérieure aient perdu de leur force à partir de l’établissement du Parlement à Douai. Plus fragmentaires encore sont les sources sur les épices que L. Fréger est cependant parvenue à contextualiser efficacement. Ici également, la différenciation entre pratiques françaises et usages particuliers du Parlement, peut-être hérités des usages belges, apparaît déjà dans les sources de l’époque : ainsi, lorsque les parlementaires flamands invoquent la différence suivie chez eux entre épices et vacations, même si la terminologie en usage ne corrobore pas tout à fait cette différenciation.
5La compréhension du fonctionnement de l’institution passe également par la connaissance de son personnel. S. Bocquillon a identifié les principales « dynasties » du parlement de Flandre, tout en constatant que peu de familles, dans cette cour provinciale d’envergure relativement modeste, sont parvenues à assurer une présence au sein de l’institution durant quatre générations. Son analyse illustre néanmoins comment la vénalité des offices a exercé des effets sur les stratégies de certains lignages pour se maintenir au sommet de la hiérarchie judiciaire de leur ressort. L’un des aspects frappants de ces stratégies est sans doute l’avancement, lorsque la succession des générations l’exigeait, de très jeunes héritiers (ayant tout juste atteint l’âge de 20 ou 22 ans) au siège du Parlement. Ce travail généalogique précis pourra se poursuivre par des études sur le patrimoine, le statut social et l’implantation de ces familles parlementaires dans les réseaux locaux : l’établissement du Parlement fut-il suffisamment long pour que ces familles, comme dans quelques autres villes françaises où siégea un Parlement sous l’Ancien Régime, y apposent leur empreinte distinctive dans l’urbanisme et la vie sociale et culturelle ?
6Au-delà des conseillers, d’autres groupes professionnels gravitant autour du Parlement jouèrent également un rôle important dans la société municipale et parfois régionale. H. Leuwers a, grâce à ses travaux antérieurs et à sa monographie innovante sur « l’invention du barreau français », situé les avocats au Parlement en comparaison avec leurs confrères d’autres barreaux, permettant ainsi d’entrevoir dans quelle mesure cette profession s’est, elle aussi, fortement francisée au cours du xviiie siècle, tout en maintenant quelques particularismes. La formation d’une communauté, ensuite qualifiée d’« ordre » des avocats, correspond en effet à un processus significatif qui se développe en France à partir des dernières décennies du xviie siècle. Pour autant, la formation d’une corporation professionnelle est elle aussi susceptible d’être comparée avec d’autres réseaux associatifs, sans doute moins strictement déterminés par un groupe professionnel distinct, et dont il existait des exemples dans les anciens Pays-Bas : on songera notamment aux confréries socio-religieuses qui réunissaient différents professionnels du droit attachés à une cour de justice (comme la confrérie de Saint-Sébastien à Malines), mais dont la signification doit encore être étudiée. De tels réseaux existaient-ils également à Tournai, puis à Douai ?
7La position des procureurs et avocats généraux mérite, dans l’histoire de chaque institution judiciaire, un chapitre à part. La contribution de F. Souilliart porte sur une série de conflits ayant opposé, au cours des années 1720, la compagnie au procureur général G.-P. Vernimmen, en raison des appétits financiers de celui-ci, qui prétendait obtenir une part plus substantielle des vacations dans les affaires où il était intervenu. Au-delà de cette controverse assez vive au sommet du Parlement, l’analyse de F.Souilliart fait apparaître l’organisation et le fonctionnement de l’institution sous des angles différents : ainsi, la correspondance avec le gouvernement sur cette question permet de suivre très concrètement la stratégie de celui-ci, caractérisée encore une fois par un dirigisme plutôt indirect et certainement réservé. À ce stade, on se rend compte de la complexité que peut revêtir le rapport entre particularisme flamand et harmonisation selon un modèle français : l’argumentaire des conseillers adopte la thèse conservatrice du maintien d’usages flamands (en l’associant à l’intérêt des justiciables), tandis que l’argument du procureur général, repris par le gouvernement mais avec d’autres effets que ne l’avait envisagé l’intéressé, consiste à se référer à la pratique du parlement de Besançon, qui aurait servi sur ce point de modèle pour celui de Douai. Au fil du débat, on retrouvera par ailleurs les particularités du parlement de Flandre, évoquées dans d’autres contributions de ce volume, sur la pratique des vacations et épices, et sur les effets de l’introduction de la vénalité des offices.
8Le prisme de l’histoire sociale éclaire tout le personnel subalterne du Parlement attaché à la chancellerie étudié dans la contribution d’Y. Travet. Une communauté caractérisée par ses ambitions sociales davantage qu’une communauté professionnelle judiciaire, mais tout de même suffisamment liée par des intérêts économiques communs pour serrer les rangs en cas de crise, et même, à la veille de la Révolution, envisager une concertation générale à l’échelle du royaume – ici, plutôt qu’une référence au particularisme, c’est la « francisation », justifiée par l’appartenance au service royal dans l’ensemble du royaume, qui est instrument de protectionnisme corporatif.
9Les préoccupations propres à une zone frontière dans une région régulièrement affectée par les grandes guerres européennes des Temps modernes ont déjà été évoquées. L’étude de J. Lorgnier offre une analyse extrêmement concrète d’une situation de transition, au cours des cinq années de régime néerlandais à Lille et Tournai précédant le règlement de la Paix d’Utrecht en 1713. Cette analyse fait apparaître les rivalités entre les différentes juridictions locales dans une situation d’exception, durant laquelle, avec un regard sur la politique de l’occupant, un autre sur l’évolution des hostilités et des rapports de forces, les magistrats s’efforçaient de consolider ou d’améliorer la position de leur tribunal. Comme toujours dans de telles périodes, on retrouve les individus qui s’effacèrent en attendant la stabilisation et clarification des rapports, ceux qui s’esquivèrent (avec d’autant plus de raison, sans doute, au fur et à mesure que l’issue des négociations se rapprochait), et ceux qui (non sans tenir compte de leur intérêt immédiat) jouèrent pleinement la carte des innovations introduites sous le régime d’occupation. Ces attitudes étaient d’autant plus subtiles que les États Généraux ne procédèrent à leurs interventions qu’à la suite d’un effort soutenu veillant à légitimer toute innovation par une concertation des différents intérêts en jeu. La volonté d’établir, et donc de maintenir, une instance d’appel est toutefois le fondement de toutes ces manœuvres, et il semble que c’était bien là le principe sur lequel il n’y avait pas de contestation – une constatation qui démontre a contrario combien cette institutionnalisation de l’appel était ancrée dans les habitudes et mentalités, même dans des circonstances exceptionnelles. L’expérience institutionnelle du régime néerlandais démontre aussi combien la suprématie politique du régime au pouvoir, même lointain et étranger, était en fin de compte acceptée par les acteurs judiciaires en ce début du xviiie siècle : on peut dès lors mieux comprendre qu’après le rétablissement de la souveraineté française, les rapports entre les institutions judiciaires de la Flandre et le gouvernement central reflétaient en général une attitude relativement soumise des premières à la politique poursuivie par le pouvoir royal.
10Enfin, deux études davantage thématiques viennent enrichir cet éventail de recherches institutionnelles. La justice pénale fait l’objet d’un sondage dans la contribution de R. Martinage à l’époque où le prédécesseur du Parlement, le Conseil souverain de Tournai, en était encore à ses débuts. La césure apportée par le régime français était dans cette matière sans doute plus forte et plus variée que dans d’autres domaines : le principe et la pratique de l’appel dans des causes pénales étaient en effet relativement moins développés dans les anciens Pays-Bas, et, surtout, le référentiel juridique que le conseil souverain avait à prendre en compte était une transplantation française, par l’introduction de l’ordonnance de 1670. L’auteur tire de son analyse détaillée de la rédaction des arrêts et des conditions dans lesquelles on retrouve ou non une amorce de motivation dans les décisions criminelles un indice de ce que l’usage « flamand » de ne pas donner d’indication des faits incriminés ne s’avéra pas durable. D’autres usages dans la rédaction des arrêts criminels s’inscrivent dans la pratique d’autres cours souveraines en France. Malgré certaines résistances à la procédure de 1670, en particulier au niveau des juridictions inférieures, les sondages effectués semblent indiquer, d’une manière générale, la détermination du conseil souverain à assurer l’application de l’ordonnance. Là où le conseil lui-même aurait peut-être persisté à suivre des pratiques non-conformes, comme dans le cas des saisies et évocations de causes criminelles en première instance, le gouvernement rappelait les magistrats à l’ordre. En matière criminelle, conclut R. Martinage, la cour souveraine a été un agent actif de la francisation du droit et de la pratique judiciaire.
11La seconde étude thématique est celle consacrée par A. Lebel-Cliqueteux aux conflits de préséance. Cette étude relève des cas de conflits entre différents offices et institutions (ecclésiastiques et séculiers, ou séculiers entre eux), mais pas de litige formel entre membres du Conseil souverain ou du Parlement. En cette période de l’Ancien Régime finissant, l’auteur constate que la faculté d’exercer la justice est un attribut essentiel pour faire valoir sa préséance, aussi bien dans la jurisprudence régionale que dans l’approche du gouvernement royal, que le parlement de Flandre semble avoir plutôt suivie et soutenue. D’autre part, les contestations sont souvent révélatrices de mutations à long terme dans les rapports politiques locaux et régionaux laissant apparaître le déclin et l’émergence des acteurs politiques et sociaux du ressort.
12Particularisme, francisation et perspectives européennes sont en fait des catégories indissociables, puisqu’elles se définissent en fonction de leurs rapports réciproques. À l’avenir, les études présentées dans ce volume devront bien sûr être poursuivies et approfondies, mais tout en renforçant la dimension comparative qu’adoptent déjà plusieurs auteurs. Quelques tendances de ces approches comparatives se dessinent dès à présent. Dans le cadre français, la comparaison peut se faire tantôt en tenant compte d’un (ou de plusieurs) parlement(s) en particulier : on évoquera par exemple les contributions de L. Fréger (pratiques des épices au parlement de Rennes, sur base des études disponibles) et de F. Souilliart (parlement de Besançon, auquel les sources de l’époque se réfèrent en tant que modèle pour définir la position et les bases de rémunération du procureur général), ou encore celle d’H. Leuwers, où l’auteur indique les similarités qui ont marqué la formation et le fonctionnement (notamment pour l’exigence d’un stage) des communautés d’avocats créées dans les provinces du Nord et de l’Est, rattachées tardivement à la France d’Ancien Régime. D’autres contributions (en particulier celles d’Y. Travet sur la concertation des secrétaires, de S. Bocquillon sur les familles de parlementaires et de R. Martinage à propos de la pratique de la motivation des décisions) confirment la nécessité, précisément pour évaluer le rapport entre particularisme et francisation, d’étendre la comparaison autant que possible à l’ensemble des pratiques parlementaires dans le royaume. La variété et la richesse des contributions permet d’espérer que ce projet sur le parlement de Flandre sera une occasion de reprendre le fil de la belle initiative toulousaine qui avait organisé un grand colloque sur les « Parlements de province », dont les actes sont devenus sur le sujet un ouvrage de référence durable. Idéalement, les travaux du projet flamand devraient permettre de lancer une nouvelle rencontre sur les parlements français – dont on n’exclura pas, cette fois, le grand modèle parisien –, en tâchant d’y mettre en avant autant que possible, d’une part, tous les aspects concernant l’organisation et le fonctionnement, et, d’autre part, la dimension de l’impact d’un parlement sur la vie sociale de son ressort. On peut évidemment envisager une rencontre sur une problématique plus ciblée, mais, dans ce cas, il faudra s’assurer qu’un maximum de parlements puisse être représenté dans une telle initiative.
13Ensuite, on n’oubliera pas que la francisation n’est finalement elle-même, dans le concert européen, qu’une forme de particularisme. Ses caractères distinctifs n’apparaissent dès lors que dans une perspective comparative plus large, européenne. À cet égard, une première démarche qui s’impose est celle de la comparaison transfrontalière, déjà fort présente dans ces actes : plusieurs contributions (notamment celles de V. Demars-Sion, de S. Michel, d’H. Leuwers) soulignent combien les pratiques en vigueur au Grand Conseil de Malines (et, peut-être dans une moindre mesure, au Conseil du Hainaut) ont continué à servir de référence au parlement de Flandre. Cette double comparaison est dès lors essentielle pour mieux comprendre le fonctionnement du Parlement. On relèvera tout de même qu’une autre pratique, pourtant à première vue plus proche, est presque complètement absente de ces regards transfrontaliers : celle du Conseil de Flandre. On se gardera à ce stade de hasarder une explication définitive de cette absence apparemment surprenante – le statut du conseil siégeant à Gand, qui, contrairement à ceux de Malines et de Mons, n’était pas une cour souveraine, a sans doute pu jouer un rôle. On rappellera – en guise d’encouragement comparatif – que la justice supérieure flamande à la fin de l’Ancien Régime permet au moins une triple comparaison, puisque hormis le Parlement et le Conseil à Gand, la partie septentrionale du comté de Flandre, occupée et administrée directement par les États Généraux des Provinces-Unies (Staats-Vlaanderen) avait été dotée par ceux-ci d’un conseil provincial particulier siégeant à Middelbourg. Sans doute, la comparaison entre la situation de la cour de justice analogue créée pour la partie septentrionale du duché de Brabant, également occupée et administrée par les États Généraux (la Staatse Raad van Brabant), et la Staatse Raad van Vlaanderen ne peut être poussée trop loin, et la position de celle-ci n’était certainement pas celle du Conseil souverain à Tournai ou du parlement de Flandre, mais les divergences à partir d’une origine et d’un héritage régionaux communs se prêtent néanmoins à une approche comparative de ces institutions flamandes soumises à des ordres politiques très différents, qui peut servir aussi bien à mieux cerner et à différencier le particularisme juridique flamand qu’à servir de banc d’essai pour une comparaison plus large à l’échelle européenne. Ici, à nouveau, le Centre d’Histoire Judiciaire est très bien préparé pour mettre en chantier un tel réseau international, et les actes de ce colloque sur le parlement de Flandre comportent plusieurs thèmes se prêtant à une recherche comparative européenne. Sans doute le particularisme – précisément parce que, dans une perspective comparative, cette notion permet d’envisager une constante dans l’histoire et la culture européenne (« l’Europe des particularismes ») – peut-il constituer un point de départ pour cette démarche : les actes publiés dans ce volume montrent qu’il s’agit d’une thématique présentant des facettes diverses, susceptibles d’intéresser aussi bien les historiens du droit que les historiens. Le rôle d’une cour supérieure – et de l’ensemble des professionnels dont les occupations se rattachent à ses activités – dans la vie politique, sociale, économique et culturelle de son ressort – ce qui implique évidemment les rapports réciproques entre ces juristes et la société qui constitue leur environnement – est certainement un sujet digne d’intérêt, en Flandre, en France et en Europe, puisqu’il s’agit de la place du droit et de la justice dans nos sociétés occidentales.