Politix 2005/2 n° 70

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Article de revue

Professionnels de la participation : savoir gérer son image militante

Pages 89 à 112

Notes

  • [1]
    Blondiaux (L.), Sintomer (Y.), « L’impératif délibératif », Politix, 57,2002.
  • [2]
    Blondiaux (L.) et al., La démocratie locale. Représentation, participation et espace public, Paris, PUF, 1999 ; Lefebvre (R.), Nonjon (M.), « La démocratie locale en France. Ressorts et usages », Sciences de la société, 60, 2003.
  • [3]
    Cet article s’appuie sur une recherche doctorale en cours sur les professionnels de la participation effectuée à l’Université de Lille 2. Il repose principalement sur les matériaux suivants : une enquête par questionnaires (encore en cours d’analyse) réalisée auprès d’un corpus de quatre-vingt-dix professionnels dont l’activité principale consiste à concevoir, animer ou évaluer des démarches participatives ; la réalisation auprès de certains d’entre eux d’entretiens semi-directifs (50 au total) ; et des observations participantes effectuées dans certains des dispositifs et formations qu’ils animent, principalement situés dans la région Nord-pas-de-Calais. Pour plus de renseignements concernant la sociographie de ce milieu, cf. Nonjon (M.), « Les professionnels de la participation à l’épreuve du territoire », Quand la démocratie locale se professionnalise, Actes de la rencontre du 23 octobre 2003, Les cahiers de Profession Banlieue, 2004.
  • [4]
    Cf. à ce sujet, Peraldi (M.), « Le cycle et le fusible. Jalons pour une histoire sociale du DSU à Marseille », Annales de la recherche urbaine, 68-69,1995 ; de Maillard (J.), La politique de la ville : une institutionnalisation inachevée. Institutions, réseaux et apprentissages, thèse pour le doctorat de science politique, Université Montesquieu–Bordeaux IV, Institut d’études politiques, 2000.
  • [5]
    Pour une analyse sociologique approfondie du profil de ces réformateurs, cf. Tissot (S.), Réformer les quartiers : enquête sur une catégorie de l’action publique, thèse pour le doctorat de sociologie, EHESS, 2002.
  • [6]
    Le terme « consultance » est ici pris dans son sens le plus large. Il est essentiellement utilisé pour qualifier un milieu de professionnels qui articulent leurs activités autour du conseil et de l’aide méthodologique pour animer, organiser ou évaluer des dispositifs censés favoriser la participation des citoyens aux décisions publiques.
  • [7]
    Cf. à ce sujet de Maillard (J.), « Les chefs de projet et les recompositions de l’action publique : un nouveau métier urbain », Annales de la recherche urbaine, 88,2000.
  • [8]
    Il est important de signaler que le plus souvent ces départs ne signifient en rien l’existence d’une rupture définitive avec le développement social urbain. La plupart de ces professionnels continue, au contraire, à entretenir des liens étroits avec la politique de la ville, que ce soit par l’intermédiaire des contrats sur lesquels ils sont embauchés (il s’agit davantage de cooptation que de réels appels d’offre) ou par les réseaux qu’ils maintiennent.
  • [9]
    Entretien à Paris, 23 octobre 2003. .
  • [10]
    Citons, entre autres, la réforme des enquêtes publiques de 1983, la circulaire Bianco du 15 décembre 1992 qui pose le principe d’un débat public préalable en amont des enquêtes publiques dans les grands projets d’infrastructures locaux, la loi Barnier de 1995 qui crée la Commission nationale du débat public chargée de l’organisation de ce type de débats, la loi récente de 2002 sur la « démocratie de proximité » rendant les conseils de quartier obligatoires dans les villes de plus de 80 000 habitants.
  • [11]
    Cette injonction à la participation semble également avoir transformé les pratiques de mobilisation électorale. Dans de nombreuses villes, les campagnes électorales lors des municipales de 2001 se sont déroulées selon un format participatif (valoration des témoignages, volonté de redonner la parole aux habitants, présence de modérateur et de conseillers de quartier dans les débats publics). Cf. notamment Lefebvre (R.), « S’ouvrir les portes de la ville. Ethnographie des porte-à-porte de Martine Aubry à Lille », et Éthuin (N.), Nonjon (M.), « Quartiers de campagne : ethnographie des réunions publiques de la liste Martine Aubry à Lille », in Lagroye (J.), Lehingue (P.), Sawicki (F.), dir., La mobilisation électorale municipale : permanences et mutations, Paris, PUF, 2005.
  • [12]
    Le fondateur de Pluris-consultant, société de conseil en stratégie et de marketing environnemental a souhaité dans les années 1990 « compiler 25 ans de son expérience en analyse de satisfaction clients et usagers pour créer son département France-Concertation pour la satisfaction du citoyen » (entretien à Paris, 19 avril 2001).
  • [13]
    Forum de la communication publique, Cap Com, Nouveaux territoires de (en) communication, Palais des congrès, 26-28 novembre 2003 et cf. en particulier l’atelier intitulé « Recettes, au plus près du terrain ». Comme le souligne l’un des intervenants, « il s’agit d’abord de communiquer au service de la concertation pour faire avancer les projets […]. Il s’agit aussi de communiquer sur la concertation en quête d’une valeur d’image ajoutée ».
  • [14]
    Centre de formation au management public, La concertation de l’urbanisme et de l’aménagement : coproduire vos projets avec les habitants, session 1,19 et 20 mars 2003, Paris.
  • [15]
    Offerlé (M.), dir., La profession politique XIX - XXe siècle, Paris, Belin, 1999 ; Garraud (P.), Profession : homme politique, Paris, L’Harmattan, 1989.
  • [16]
    Hartereau (A.), « Communication publique territoriale et démocratie participative », La lettre du cadre territorial, 2002.
  • [17]
    Cf. Dubost (F.), « Les nouveaux professionnels de l’aménagement et de l’urbanisme », Sociologie du travail, 2 , 1995.
  • [18]
    Dans les faits, ces objectifs sont d’ailleurs la plupart du temps imbriqués et les frontières sont loin d’être définies entre ces trois fonctions situées à la jonction du social, du technique et du politique.
  • [19]
    C’est le cas, par exemple, des fondateurs de l’association Connecter, créée au début des années 1990 et chargée de capitaliser et de développer les pratiques participatives au sein du mouvement d’éducation populaire Culture et Liberté, issu du monde ouvrier.
  • [20]
    Notons entre autres, l’association Arènes localisée à Marseille (Appui, recherche et éducation pour la négociation locale sur les environnements), dans laquelle des chercheurs de disciplines différentes (urbanisme, sociologie, sciences politiques, anthropologie) travaillent pour « encourager la démocratie locale dans les opérations d’aménagement, de transformation et de protection des territoires ».
  • [21]
    C’est en partie le cas de l’agence d’urbanisme de Dunkerque qui s’est spécialisée dans l’animation d’ateliers de travaux urbains.
  • [22]
    De nombreux architectes ou urbanistes de formation se sont spécialisés dans les questions de participation des habitants. Citons par exemple, la SARL Arpenteurs localisée à Échirolles et qui est passée de la maîtrise d’œuvre d’architecture et d’aménagement de 1980 à 1993 (sous le nom « Les pressés des cités »), à l’assistance à la maîtrise d’ouvrage et de conduite de projet. Elle développe et anime des réseaux d’habitants ou de professionnels sur les questions de la citoyenneté. Les membres se définissent comme « des concepteurs et animateurs d’espaces publics de débat entre les élus, des habitants et des professionnels ».
  • [23]
    Citons entre autres le bureau IDRH, qui propose des offres de conseils en matière de développement de la qualité des services ou en matière d’évaluation de politiques intégrant la dimension de participation des habitants.
  • [24]
    C’est le cas par exemple de l’agence Campana Eleb Communication qui travaille autour de la vidéo comme outil pour restituer la parole des habitants.
  • [25]
    Compte-rendu de la réunion du 25 janvier 2004 de la plate-forme Métiers du développement territorial, Unadel. Cf. également le Guide des formations aux métiers du développement territorial conçu par la plate-forme Métiers du développement territorial aux États généraux des métiers du développement territorial, en 2003.
  • [26]
    Tract de l’association datant de 1963. Encore aujourd’hui, elle se définit comme « un lieu d’échange et de propositions pour le développement de la démocratie locale ».
  • [27]
    Les ressources de cette association ne reposent désormais que sur la vente de la revue Territoires, les abonnements et les nombreuses formations, études-actions et séminaires qu’elle met en place sur le développement local. Cf., à ce sujet, Tétard (F.), « L’ADELS dans les années 60 : une animation nationale de l’autogestion locale », in Autogestion. La dernière utopie ?, Paris, Publications de la Sorbonne, 2003.
  • [28]
    Son conseil d’administration est d’ailleurs aujourd’hui composé de nombreuses personnes exerçant dans ces nouveaux bureaux d’études et de conseils spécialisés dans la participation. Citons entre autres, la SARL Arpenteurs, le cabinet de conseil DAC Communication, spécialisé dans la concertation institutionnelle, le centre de ressource et de formation Profession banlieue, destiné aux professionnels de la politique de la ville de Saint-Denis.
  • [29]
    Entretien à Échirolles, 16 mai 2001.
  • [30]
    Cette formation, qui s’est déroulée d’octobre 2001 à septembre 2002, a donné lieu à l’organisation d’une journée de séminaire le 23 octobre 2003 sur la thématique de la professionnalisation de la démocratie locale. Cf. à ce sujet, les actes de la rencontre Quand la démocratie locale se professionnalise…, op. cit.
  • [31]
    Entretien à Paris, 2 mai 2001.
  • [32]
    Entretien à Paris, 13 avril 2004.
  • [33]
    Entretien à Lille, 23 juin 2003.
  • [34]
    Entretien à Marseille, 11 juillet 2003.
  • [35]
    Cf. Tissot (S.), « Reconversions dans la politique de la ville : l’engagement pour les “quartiers” », Politix, 70 , 2005.
  • [36]
    Ibid.
  • [37]
    Sur cette notion d’« expertise d’usage », cf. Warin (P.), Les usagers dans l’évaluation des politiques publiques. Études des relations de service, Paris, L’Harmattan, 2004 ; sur celle « d’habitant-expert » cf. Lafaye (C.), Flanquart (H.), « La figure de l’habitant et du citoyen dans les dispositifs de participation dunkerquois », in Dynamiques associatives et cadre de vie, PUCA, ministère de l’Équipement, 2001, et Nonjon (M.), « Réhabiliter le social dans l’urbain : la raison sociale des experts en participation », in Dumoulin (L.), Labranche (S.), Robert (C.), Warin (P.), dir., Le recours aux experts : raisons et usages politiques, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2005.
  • [38]
    Il s’agit dans ces lieux d’écrire « collectivement la biographie raisonnée du territoire à travers des récits et des témoignages visuels présentés par ses habitants ». Cf. à ce sujet Declève (B.), Forray (R.), Michialino (P.), dir., Coproduire nos espaces publics, Formation Action Recherche, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2002.
  • [39]
    Développés par l’association MDSL Intervention, ces ateliers de l’avenir sont considérés comme « un outil pour redécouvrir les chemins de la démocratie ». « Ils s’appuient sur une technique bien précise élaborée en Allemagne, puis utilisée en Hollande avant d’être pratiquée en France. C’est une action de dynamisation qui permet de passer de l’expression des difficultés et du mal-être à une phase d’utopie créative pour déboucher sur des projets concrets » (plaquette de présentation du MDSL Intervention).
  • [40]
    Entretien à Échirolles, 16 mai 2001..
  • [41]
    Donzelot (J.), Estebe (P.), L’État animateur. Essai sur la politique de la ville, Paris, Esprit, 1994, p. 64.
  • [42]
    Foret (C.), Gouverner les villes avec les habitants. De Caracas à Dakar : dix ans d’expériences pour favoriser le dialogue démocratique dans la cité, Paris, Éd. Charles Léopold Mayer, 2001. Elle a également conçu et animé avec Michel Anselme le premier dispositif d’évaluation concertée de la politique de la ville à l’île de la Réunion.
  • [43]
    Boltanski (L.), Chiapello (È.), Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999, p. 172-173.
  • [44]
    Foret (C.), « Recherche-action et espace public, travailler les formes de l’échange », Annales de la recherche urbaine, 64,1994.
  • [45]
    Entretien à Marseille, 11 juillet 2003.
  • [46]
    Entretien à Paris, 1er avril 2003.
  • [47]
    Cf. Bertho (A.), La crise du politique. Du désarroi militant à la politique de la ville, Paris, L’Harmattan, 1996 ; Lorcerie (F.), « L’université du citoyen à Marseille », Annales de la recherche urbaine, 68-69,1995 ; Neveu (C.), Dans notre pays et au delà dans notre ville : citoyenneté, appropriation et territoire à Roubaix, Rapport final pour le PIR-Villes CNRS, 1998.
  • [48]
    Lechien (M.-H.), Willemez (L.), « Les conditions d’investissement d’un nouveau territoire militant. Enquête sur les actions humanitaires de salariés d’EDF », in Collovald (A.), Lechien (M-H), Rozier (S.), Willemez (L.), Un militantisme de transition. Enquête sur les actions de solidarité internationale menées par des salariés en entreprise, Rapport pour le comité français pour la solidarité internationale (CFSI), 1995.
  • [49]
    Entretien à Paris, 2 mai 2001.
  • [50]
    Collovald (A.), « Pour une sociologie des carrières morales des dévouements militants », in Collovald (A.), Lechien (M.-H.), Rozier (S.), Willemez (L.), L’humanitaire ou le management du dévouement, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002, p. 206.
  • [51]
    Auxent (B.), « L’architecte dans la démarche participative de projet : atouts et déficits », in Declève (B.), Forray (R.), Michialino (P.), dir., Coproduire nos espaces publics…, op. cit.
  • [52]
    Entretien à Paris, 14 avril 2004.
  • [53]
    Ces « professionnels de la participation » se caractérisent, en effet, par un haut niveau de qualification. Majoritairement orientés vers les sciences sociales, peu d’entre eux ont fait des études courtes. Plus de 92 % des professionnels interviewés lors de notre enquête par questionnaires ont un diplôme égal ou supérieur au deuxième cycle universitaire, dont plus de 64 % ont un troisième cycle, voire un doctorat.
  • [54]
    Entretien à Paris, 14 avril 2004.
  • [55]
    Entretien à Paris, 17 juin 2003.
  • [56]
    Intervention de Jean-Charles Eleb, fondateur de l’agence Campana-Eleb Communication, spécialisée dans la production d’outils vidéos pour restituer la parole des habitants, lors de la table ronde Démocratie participative et aménagement régional, IAURIF, novembre 2000.
  • [57]
    Entretien à Paris, 11 décembre 2003.
  • [58]
    Elle nécessite d’être questionnée, notamment à l’aune des trajectoires sociales, de la nature (militante, professionnelle) et des modalités (obligation, adaptation, résistance) des stratégies de conversion de ces professionnels à la participation.
  • [59]
    Nous utilisons ce terme de première génération pour nommer les professionnels qui ont connu les luttes urbaines des années 1970 et ont commencé à s’impliquer dans l’organisation et/ou l’animation de dispositifs participatifs au même moment.
  • [60]
    Rangeon (F.), « Les comités de quartiers, instruments de démocratie locale ? », in Blondiaux (L.) et al., La démocratie locale…, op. cit., p. 333.
  • [61]
    Toulotte (M.), Hagège (C.), Picheral (J-B), Mahey (P.), Place des habitants et leur participation aux processus d’élaboration des projets urbains, rapport final, DAU/DIV/FNAU, 1996.
  • [62]
    En effet, selon lui, « si la médiation tend à ramener en permanence au triangle stable, on risque d’arriver à la culture commune des partenaires et de fait à une culture “dominante” excluant d’autres [acteurs] (les jeunes, les immigrés, tels élus ou tels techniciens) » (Ibid., p. 55).
  • [63]
    Ce réseau a pour principal objectif « de faire connaître l’expérience de Porto Alegre, d’en approfondir la portée […], de contribuer à faire émerger une alternative théorique et pratique à la participation octroyée, en plaçant au centre le droit des citoyens à débattre, et d’initier des processus de démocratisation autour des budgets des collectivités territoriales et plus largement autour de toute action publique ». Cf. à ce sujet le site internet wwww. budget-participatif. org.
  • [64]
    Ce sont ces mêmes raisons qui semblent avoir conduit récemment le fondateur de DAC Communication à abandonner son poste de président au sein de l’Adels et à « s’éloigner » progressivement de l’association afin de pouvoir continuer à dissocier engagement militant et activité professionnelle. Des motifs identiques ont conduit la directrice de la gestion urbaine et de la politique de la ville d’Habitat et territoire conseil à « s’institutionnaliser aussi vite » pour éviter qu’on l’appelle pour « calmer le jeu » en se servant de son image de « militante de l’Alma Gare ». Elle s’estime aujourd’hui « plus libre dans son langage que celui des militants qui sont obligés de gagner leur vie » et ne pense pas « qu’on puisse aujourd’hui être militant et vendre de la participation » (entretien à Paris, 13 avril 2004).
English version

1Aujourd’hui la démocratie participative ne s’affiche plus seulement dans les discours, elle s’incarne dans des pratiques. Les formes d’association des citoyens à la décision et aux débats publics se multiplient. Une transformation profonde des modes de production de l’action publique paraît s’opérer autour de l’impératif participatif  [1]. Face à l’émergence de ce contexte politique général d’injonction à la participation [2], les municipalités et les collectivités locales ont été obligées de recourir à des consultants extérieurs pour organiser et animer les dispositifs participatifs. Elles ont, par ce biais, participé à l’amorce d’un processus de professionnalisation de la démocratie locale et accéléré la constitution d’un véritable marché de la participation. Composé principalement de militants, chefs de projets politique de la ville, travailleurs sociaux, militants de l’éducation populaire, le milieu de la participation s’est progressivement ouvert, au cours des années, à d’autres profils professionnels plus techniques, comme ceux des architectes, des urbanistes, des conseillers en communication ou en management public. Engagés pour leur capacité à produire de la médiation, à organiser le débat public et l’arbitrage entre les cultures de travail et les intérêts des différents acteurs de la ville – élus, techniciens et habitants –, ces « professionnels de la participation » se caractérisent, ainsi, aujourd’hui, par leur extrême hétérogénéité et l’absence de pratiques unifiées.

2Comment les militants d’origine ont-ils vécu la professionnalisation et l’ouverture progressive de ce milieu de la participation à des individus aux profils différents ? À quel type de reconversion ont-ils dû avoir recours pour conserver et légitimer leur place dans ce marché ? Dans quelle mesure ces opérations de reconversion ont-elles suscité autant que révélé l’existence de tensions au sein du milieu de ces « professionnels de la participation » ?

3C’est à ces questions que l’on se propose d’apporter ici quelques éléments de réponse [3]. Dans un contexte de concurrence accrue, il s’agira d’abord de comprendre la manière dont les militants d’origine ont reconverti leurs ressources militantes et réussi à les transformer en véritable savoir-faire professionnel. Puis, nous montrerons en quoi la professionnalisation et l’ouverture du marché de la participation, tout en œuvrant à la consolidation d’une figure fédératrice, celle de l’expert-militant, ont également favorisé l’apparition de tensions, de stratégies de démarcation et in fine entraîné un repositionnement de l’engagement militant.

Vers une militance professionnalisée

La professionnalisation de la question de la participation

4Qui sont-ils ? Que font-ils ? Les « professionnels de la participation » eux-mêmes semblent avoir quelque peine à le dire, comme si leur métier semblait difficilement avouable. La participation comme activité rémunérée ne va en effet pas de soi. Très peu de ces professionnels se définissent d’ailleurs sous cette appellation, préférant les qualificatifs de « consultants », « médiateurs », « animateurs » ou « traducteurs ». Tout se passe comme si la nature des politiques participatives les obligeait à valoriser un discours anti-expert, antiprofessionnalisme, à souligner leurs croyances et leur militantisme. C’est d’ailleurs sur ce modèle que se sont forgés, dans les années 1970, les premiers techniciens de la participation : les chefs de projets de la politique de la ville. À cette époque, ceux-ci se définissaient comme des « militants » et des « expérimentateurs » de la participation. Ils avaient pour habitude d’exercer dans les cités HLM après y avoir habité et se caractérisaient par leur forte intégration dans des réseaux politisés proches des « gauchistes » et des communistes [4]. Pourtant très rapidement ces militants d’origine ont dû s’adapter à un processus grandissant de professionnalisation de la question de la participation.

5Tout d’abord, il semble que le processus de professionnalisation et d’institutionnalisation de la politique de la ville ait conduit un certain nombre d’anciens « réformateurs » [5] à quitter progressivement le développement social urbain pour rejoindre et densifier le milieu de la « consultance » [6] spécialisé dans la participation et la concertation des habitants. Au cours des années 1990, plusieurs villes ont en effet internalisé de nombreuses équipes de maîtrise d’œuvre urbaine et sociale, mettant fin aux espérances placées dans « l’indépendance des chefs de projets » [7]. Le milieu de la consultance semble alors avoir été vécu comme une échappatoire possible face à l’intégration progressive des chefs de projet à l’administration municipale, mais également face à la technicisation de ces postes. C’est, par exemple, le cas de cette ancienne habitante du 13e arrondissement de Paris qui, après avoir milité pendant plusieurs années contre les projets de démolition en cours sur son quartier de résidence, s’est vu invitée à participer aux premiers dispositifs de la politique de la ville. Après avoir été embauchée comme chef de projet dans de plusieurs municipalités successives de la banlieue parisienne, elle décide d’abandonner ses fonctions à la fin des années 1980 pour rejoindre un bureau spécialisé dans les études urbaines, puis s’installe dans les années 1990 comme consultante indépendante, afin de conseiller « les collectivités locales, l’État et les entreprises de service public sur les attentes des habitants et usagers » [8]. Comme elle le souligne, elle était « vraiment coincée comme tous les chefs de projet entre les financements et les différents partenaires qu’il fallait ménager, et du coup les habitants étaient un peu abandonnés », elle « ne savait pas trop par où attraper les gens, il n’y avait pas de base, de formes traditionnelles de démocratie locale sur lesquelles [elle] aurait pu s’appuyer [9] ».

6Cette quête de professionnalité semble également avoir été accélérée par l’émergence d’un contexte politique et institutionnel d’injonction à la participation. Les dernières années ont en effet vu se multiplier les dispositifs et les textes favorisant l’implication des citoyens aux affaires locales [10]. Aujourd’hui, les discours et les pratiques participatives ne sont plus le monopole des villes et des gouvernements de gauche. La participation, suscitée et encadrée de manière volontariste, semble être devenue un support du pouvoir local. En témoigne la mise en place depuis 1995 de diverses techniques et procédures permettant d’établir un dialogue avec la population et qui sont présentées comme relevant d’une démocratie plus participative : conseils de quartier, référendums, conseils municipaux de jeunes, de sages, pratiques renforcées des sondages, permanences, etc. [11]. Face à l’émergence de cet impératif participatif, les municipalités et les collectivités locales, ne sachant pas souvent véritablement comment s’y prendre, ont eu de plus en plus recours à des consultants extérieurs pour organiser et animer des dispositifs participatifs. Elles ont par ce biais accéléré le processus de professionnalisation du milieu de la participation et favorisé la construction d’un véritable marché.

7Progressivement, les agences de communication et de conseils en stratégie, en relation directe avec les élus, ont ainsi envahi le marché de la participation et pris le pas sur les profils plus militants des anciens chefs de projets « politique de la ville » et des travailleurs sociaux. C’est ainsi que le directeur de l’agence Franceconcertation et responsable du cabinet Pluris-consultant estime être « tout naturellement passé d’une analyse du comportement du consommateur au comportement de l’usager puis ensuite à celui du citoyen ». C’est pour lui « une approche linéaire et donc une évolution simplement d’application qui correspond bien évidemment à une évolution de sensibilité, puisque par définition la forme marketing était très libérale et qu’aujourd’hui elle est sociale au sens large [12] ». Lors du dernier Forum de la communication publique en novembre 2003, une formation intitulée « La démocratie en mouvement : quand la proximité fait loi » a même été proposée aux participants afin d’examiner en quoi « le développement des démarches de concertation » était devenu aujourd’hui une « nouvelle composante du métier de communicant public [13] ». Quelques mois auparavant, le Centre de formation au management public proposait des modules de formation pour « donner du sens à la concertation », « intégrer efficacement la concertation dans le processus de décision », et « organiser le dialogue [14] ».

8Cette évolution du profil des « professionnels de la participation » vers le milieu de la communication doit sans doute être rattachée au processus même de professionnalisation et de rationalisation de l’activité politique. Ces nouveaux arrivants accompagneraient, en quelque sorte, les mutations du métier politique : intérêt croissant pour les politiques managériales, les sciences de l’organisation, la gestion, émergence d’un processus de rationalisation du recrutement politique [15]. Ils seraient, de plus en plus, invités par les élus à inventer des savoirs spécialisés sur la gestion du comportement des citoyens, de nouveaux supports de communication. Comme le souligne l’un de ces professionnels, « des années 1980 jusqu’en 1995, la communication des collectivités territoriales était marquée par la démarche “marketing”. Le début du XXIe siècle marque le glissement progressif et sans doute irréversible vers une communication “citoyenne”  [16] ». Les architectes et les urbanistes semblent également avoir perçu dans ce créneau une occasion de se reconvertir, comme si la participation constituait un nouveau débouché pour ces professions largement dépossédées depuis quelques années de la maîtrise d’œuvre et de la définition de leur expertise dans le processus de construction [17].

9Mais c’est sans doute le flou définitoire caractérisant les politiques participatives, tant dans leur nature que dans leurs objectifs, qui semble avoir facilité l’ouverture de ce marché à des profils professionnels aussi contrastés. Derrière la commande « organiser la participation des habitants », on trouve, en effet, des missions de natures très diverses : celle qui consiste avant tout à recréer du lien social ; celle qui vise davantage l’amélioration de l’efficacité de la décision administrative et politique avec l’idée que « mieux gérer, c’est gérer au plus près et gérer avec » ; ou encore, même si elle plus rare et exceptionnellement affichée telle quelle, celle qui vise à reconnaître aux habitants un droit à participer à l’élaboration de la décision publique, voire à promouvoir la co-décision [18]. Ces fortes indétermination et plasticité de la commande ont encouragé l’extrême hétérogénéité du milieu de la participation où cohabitent des professionnels qui se recrutent autant dans les milieux de l’ingénierie sociale [19], de la recherche [20], de l’urbanisme [21], de l’architecture [22], du management public [23] que dans les milieux de la communication et du marketing [24].

10Dans ce contexte de concurrence accrue, les anciens militants ont dû eux-mêmes s’aligner sur cette offre globale de services pour prétendre accéder à de nouveaux marchés. C’est ainsi que depuis le début des années 1990, des structures anciennes comme l’Association pour la démocratie et l’éducation locale et sociale (Adels), ou plus récentes comme Profession banlieue et l’Union nationale des acteurs et des structures du développement local (Unadel) ont relayé ce discours sur la nécessité de réfléchir à l’importance de la médiation et de l’expertise dans les processus de concertation. L’Unadel a ainsi lancé depuis quelques années une plate-forme « Métiers du développement territorial. Pour une meilleure connaissance et reconnaissance des pratiques professionnelles », dont un des enjeux principaux consiste à réfléchir à la « dimension de démocratie participative qui irrigue l’ensemble des métiers territoriaux [25] ». L’Adels, qui dès sa création, en 1958, a toujours mis au cœur de ses pré-occupations le « contrôle et la participation des citoyens à la gestion municipale et aux institutions locales et sociales [26] » a quant à elle été progressivement obligée, pour survivre suite à la suppression des sub-ventions étatiques [27], de développer de nombreuses activités de prestataire de services centrées essentiellement sur la formation des nouveaux métiers d’animateur de la vie locale et sociale. Si bien qu’elle est aujourd’hui devenue elle-même le relais, dans ses parutions et ses séminaires, d’autres bureaux d’études et de conseils spécialisés dans la concertation et la participation des habitants [28]. Elle a ainsi largement contribué dans les pages de sa revue Territoires à la diffusion des expériences de concertation dans les projets urbains de cabinets comme Médiactif, le collectif Habitat et développement, Arpenteurs, ainsi qu’à de nombreux cycles de formation animés par ces mêmes structures : la Formation, action, recherche à la cogestion et la coproduction des espaces publics, transformée depuis 2000 en Formation à l’animation de pratiques urbaines, le réseau Capacitation citoyenne, etc. En participant à la mise en récit – voire à la mythification – de certaines expériences étrangères comme celle de Porto Alegre, elle a contribué à la disqualification de l’amateurisme avec lequel la quasi totalité des démarches participatives pouvaient être engagées en France. Comme le souligne l’un des membres de son conseil d’administration :

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« Je pense que c’est très grave de ne pas être conscient que le projet c’est la participation, de penser que l’on peut faire du projet avec du papier mâché […]. On en arrive alors à faire du projet qui n’est pas fondé, et il n’est pas fondé parce que tout simplement on n’a pas mis les outils d’ingénierie qui correspondent à l’enjeu qu’il y a derrière le projet participation. Par exemple, on ne sait pas organiser une réunion dans une salle correcte, on ne sait pas organiser une réunion où les gens s’entendent. […] On ne sait pas projeter des diapos parce qu’on a oublié de trouver une salle où l’on peut fermer les volets. On n’a pas mis en place la logistique suffisante, pour qu’il y ait un bon compte-rendu qui se fasse et qui soit à la fois un bon rapport qui redonne la confiance aux gens par rapport à ce qui s’est déjà passé, un outil de communication efficace. Tout cela c’est déjà des trucs lourds à porter, et en général on donne cela à faire à un stagiaire qui passe par là ou à une secrétaire qui n’a pas du tout compris les enjeux, et on se retrouve dans des ruptures de confiance qui sont graves, dans des fonctionnements qui ne montrent pas ce qu’ils annoncent. Si on dit “on va développer la citoyenneté ”, “ on va faire de la participation ”, et qu’en face les comptes-rendus n’arrivent jamais, que les gens ne reçoivent pas les invitations, que cela ne commence pas à l’heure, que cela finit trop tard, je ne sais pas moi, enfin que l’on n’arrive pas à gérer le fait qu’il y ait des habitants qui s’affrontent de temps en temps, qu’il y en a un qui monopolise la parole tout le temps…Toutes ces petites choses là montrent que l’on n’a pas vraiment décidé de s’y mettre [29]. »

12L’Adels a d’ailleurs dernièrement collaboré avec le centre de ressources Profession Banlieue à la mise en place d’un séminaire « Professionnalité et développement participatif local », à destination des agents des collectivités de la Seine-Saint-Denis, pour structurer une réflexion sur les métiers situés au confluent de la politique de la ville et de la démocratie locale. L’enjeu était clairement affiché : « Dégager les spécificités propres à ces professionnels du développement participatif local dans l’hypothèse de la constitution d’une nouvelle filière [30]. » Ces diverses structures ont ainsi participé par le biais de leurs études-actions, de leurs cycles de formation, à consolider et légitimer le rôle de ces « professionnels de la participation ».

Professionnalisation et reconversion des ressources militantes

13Cette tendance à la professionnalisation a conduit les militants de la première génération à prendre des distances avec la rhétorique militante, afin de faire face à la concurrence grandissante et de s’implanter sur de nouveaux marchés. Néanmoins, cette prise de distance ne signifie pas pour autant rupture définitive avec l’univers militant. Cette profession se légitime encore aujourd’hui par l’utilisation d’un registre militant non seulement parce que l’idée d’intéressement et la tendance à la professionnalisation demeurent encore difficilement conciliables avec la nature des politiques participatives, mais surtout parce que certaines ressources militantes continuent d’être valorisées par les commanditaires comme la capacité à pouvoir faire valoir sur le terrain des appartenances associatives multiples ou bien l’aptitude à drainer des réseaux militants. Les commanditaires n’hésitent d’ailleurs pas à « instrumentaliser cette militance » afin de « déminer » certaines situations locales trop explosives concernant des opérations de réhabilitation. Le parcours professionnel de cette responsable de la communication et de la concertation d’une agence d’urbanisme est de ce point de vue éclairant et témoigne bien de la nature pour le moins ambiguë des attentes des employeurs :

14Françoise, responsable de la communication et de la concertation dans une agence d’urbanisme :

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Après avoir poursuivi ses études dans un Institut d’études politiques, Françoise a intégré une école de journalisme puis elle a commencé à travailler auprès de divers services de communication, essentiellement au sein des collectivités locales. Comme elle le souligne « la question de la participation », c’était « quelque chose qui lui passait un peu au dessus », elle « n’était pas tombée dedans toute petite comme certains ». Après avoir travaillé dans la presse professionnelle concernant les domaines de l’immobilier, la construction et l’urbanisme, elle a été embauchée à la revue Territoires, la revue de la démocratie locale, antenne de l’Adels, par « une voie très officielle en répondant à une annonce ». Son recrutement à l’Adels ne s’est pas fait, précise-t-elle, par « le biais militant, mais pour ses compétences journalistiques ». Elle était « une jeune pas chère et qui voulait apprendre ». Elle a alors progressivement acquis une expertise en matière de participation qu’elle estime « avant tout théorique ». Comme elle le rappelle, elle « a été nommée experte sans l’être » et son « apprentissage de l’expertise s’est finalement fait tout en étant déjà considérée comme une experte eu égard à son appartenance à l’Adels », par le biais d’évaluation et de conseils auprès de collectivités locales. Puis au bout de sept années, elle est partie de l’Adels sans rompre pour autant avec ses activités militantes au sein de cette association : elle est restée membre du conseil d’administration et a décidé de conserver son poste de rédactrice en chef de la revue Territoires. Elle a répondu à une annonce sur un profil de poste de chargée de communication et de concertation dans une agence d’urbanisme, tout en sachant qu’« au niveau du volet participatif, les agences d’urbanismes ne reflétaient pas du tout la réalité ». De toute façon, elle insiste sur le fait qu’au niveau professionnel, elle ne s’est jamais « positionnée officiellement sur la participation mais plus sur la communication ». Néanmoins, elle sait que la direction de l’agence l’a avant tout embauchée pour son « appartenance à l’Adels et tout le réseau qu’elle drainait derrière ». Elle précise que dès son recrutement, l’agence d’urbanisme n’a jamais eu un positionnement clair sur le volet participation du poste dont elle était en charge, même si cette dernière lui a quand même signifié qu’elle ne pourrait faire vivre ce volet qu’en externe.
Elle explique ainsi que ce qui a toujours été difficile dans ses activités professionnelles, à l’Adels et encore plus au sein de l’agence d’urbanisme « cela a été de gérer cette image militante ». Elle souligne que dans le cadre de son travail à l’Adels, cette étiquette militante lui a été dans une large mesure imposée, puisque de toute façon « l’entrée à l’Adels est avant tout une entrée militante ». Elle a de ce fait été obligée de collaborer avec un certain type de collectivités locales. Elle estime d’ailleurs qu’il faut savoir à un moment donné partir de l’Adels sinon « on est trop dans un monde où l’on croit que tout se passe comme cela ». L’Adels évacue à ses yeux tout un champ de professionnels, « ce n’est qu’un type de plate-forme et il y a beaucoup de types d’acteurs qui ne viennent pas ». À l’agence d’urbanisme, elle a « rapidement compris qu’il ne fallait pas rentrer avec cette casquette là auprès des élus ». En même temps, elle sait très bien que sa légitimité tient avant tout dans ce « savant mélange de casquettes ». Si on la contacte souvent davantage par l’intermédiaire de l’Adels que par celle de l’agence d’urbanisme pour animer des dispositifs de concertation, elle sait que le fait qu’elle soit salariée de l’agence d’urbanisme « rassure les collectivités locales parce que l’Adels est trop souvent connotée ».

16Ainsi, c’est sur cette tension entre militantisme et professionnalisme que se fonde le rôle de ces professionnels. Loin d’être dupes du jeu des institutions et des commanditaires qui les recrutent, ces professionnels sont conscients des contraintes mais aussi des ressources qu’ils peuvent espérer tirer de ce double positionnement. Comme le souligne l’un des responsables de l’association Connecter,

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« souvent j’interviens avec la casquette de Culture et liberté ou… voilà… il y a des fois, c’est plus propice. Il y a des fois des villes qui préfèrent avoir un mouvement d’éducation populaire comme interlocuteur, plutôt qu’un cabinet de consultants… Et puis, il y a des administrations qui préfèrent, qui sont rassurées par quelque chose qui peut paraître plus technique… [31] ».

18Ces injonctions contradictoires les ont ainsi poussés à déployer dans leurs pratiques de nouvelles stratégies pour endosser ce rôle pour le moins équivoque consistant à valoriser leur étiquette militante tout en sachant la neutraliser quand cette dernière devient trop encombrante. Pour ce faire, certaines de leurs ressources militantes vont être conservées, valorisées et d’autres tout simplement occultées.

19De l’engagement passé ou présent est avant tout tirée une certaine capacité à mobiliser des réseaux, le goût de l’expérimentation et la connaissance du terrain. La directrice de la gestion urbaine et de la politique de la ville d’Habitat et territoire conseil explique ainsi qu’elle a gardé de son expérience militante passée dans le quartier de l’Alma Gare à Roubaix, le goût de la « conversation publique », cette possibilité de se retrouver aujourd’hui « dans un quartier quel qu’il soit ou dans un bistrot » et de « passer sa journée au contact des gens ». À l’époque, souligne-t-elle, « des consultants sur ces questions là, cela n’existait pas. […] On était tous très opérationnels, on était vraiment tous sur le terrain, sur le chantier avec une vision globale [32] » et c’est bien cette faculté à être « à l’aise sur le terrain », « à rentrer facilement en contact avec les habitants » qui la distingue selon elle des agences de communication et de marketing. Cette ancienne assistante sociale en caisse d’allocation familiale, devenue formatrice dans un institut social et responsable de la formation à l’animation d’espaces publics urbains, est quant à elle « frappée par la distance vis-à-vis du terrain qu’ont aujourd’hui certains professionnels de la politique de la ville ou du travail social ». Elle regrette que dans les projets, on ne soit « plus trop là où les gens vivent ». Pour elle, il est indispensable d’être « dans l’échange d’expérience ; ce n’est pas seulement “ je te raconte”, mais aussi “ je vous montre, je vous emmène sur le terrain, je crée le débat sur le terrain dans lequel je suis”  [33] ». Il est aussi important pour ces spécialistes de la participation de « mettre en scène le terrain » que de savoir « se mettre en scène sur le terrain ». L’un des membres fondateurs de l’association Arènes, spécialisée dans l’accompagnement des nouvelles pratiques démocratiques (processus de concertation, débats publics, conseils de développement, etc.) souligne combien cette connaissance des expériences participatives développées en France est l’une des ressources principales de son activité : « Je suis allé voir des fonctionnaires territoriaux de la ville de Marseille dans le cadre d’un atelier sur la participation. Ils travaillaient depuis six mois dessus et ils avaient besoin de choses concrètes. C’était terrible, ils étaient désespérés. Du coup, c’est vrai que je leur ramène plein de choses. Ils se régalent, c’est du “venez voir les expériences” [34]. »

20Les registres de parole privilégiés dans les dispositifs de concertation que ces professionnels inventent sont ainsi avant tout centrés sur celui de l’usage et l’expérience et laissent une large place à la valorisation de la figure du quartier. Cette référence au quartier va d’ailleurs permettre, comme le souligne très justement Sylvie Tissot, de faire la jonction entre les expériences militantes passées et leurs nouvelles activités professionnelles [35]. Elle va permettre de « réactiver les ressorts des premiers engagements » des anciens fondateurs de la politique de la ville [36], cette capacité à savoir se confronter au terrain.

21Ces références au quartier, au registre de l’expérience et de la proximité leur donnent la possibilité de convertir un capital a priori symbolique – la connaissance du terrain – en véritable compétence. Cette connaissance est en effet utilisée pour transformer l’habitant en expert des usages de la ville ; une nouvelle représentation qui va non seulement donner à l’habitant la possibilité de se sortir de sa passivité et de se mêler à l’expertise mais surtout consolider et légitimer le bien fondé des procédures de concertation [37]. Les « professionnels de la participation » vont alors se prévaloir auprès de leurs commanditaires d’être les seuls à pouvoir inventer et maîtriser les outils qui permettent de matérialiser cette expertise d’usage. Des ateliers d’histoire locale [38] aux maquettes adaptables, en passant par les ateliers de travaux urbains, les ateliers de l’avenir [39], les promenades critiques, les théâtres-forums, tous rivalisent d’inventivité pour créer des outils d’animation censés aider les habitants à relater leur vécu, à parler de leur quotidienneté et renforcer l’identification des participants au territoire.

22Derrière ce capital terrain, c’est également le rapport à l’action que les « professionnels de la participation » semblent avant tout reconvertir de leur militantisme passé. La référence jadis obligée aux clivages politiques et idéologiques est gommée au profit d’une valorisation de leur opérationnalité sur le territoire. Dans les dispositifs qu’ils inventent la parole des habitants est ainsi constamment connectée à l’action. C’est pourquoi les habitants sont fréquemment invités à « toucher du doigt » certaines réalisations du projet, voire à participer occasionnellement à quelques chantiers (réalisation de fresques, plantations, chantiers divers, auto-construction). Il s’agit d’inventer des outils d’animation qui permettent « à chacun de combiner les registres de la communication visuelle et de l’expérience tactile, du concret et de l’abstrait [40] ». Les dispositifs qu’ils mettent en place sont ainsi rythmés par de nombreuses phases d’activités. Ces dernières se présentent souvent sous la forme de « visites de site », de réalisation de plans, d’enquêtes, dont la caractéristique consiste soit à déporter le dispositif en dehors de son arène de débat habituelle, soit à centrer le dispositif sur une production concrète et donc, ce faisant, à suspendre le débat pour confronter les participants à la réalité des choses.

23On retrouve ici l’empreinte de la politique de la ville dans laquelle ont été formés les anciens chefs de projet, dont la tâche principale devait être selon Jacques Donzelot et Philippe Estèbe, d’amener les citoyens à « engager leurs forces, à se projeter dans l’action [41] ». Comme le remarque Catherine Foret, sociologue indépendante qui, à la demande de maîtres d’ouvrage, de collectivités locales ou d’associations, a participé en France à plusieurs opérations de requalification de quartiers ou d’espaces publics incluant des dispositifs de concertation avec les habitants : « C’est dans les débats sur l’action, dans la circulation de la parole autour de l’action que peuvent émerger des principes partagés, des valeurs communes, par-delà les différences de culture, de génération ou de conditions de vie [42]. » C’est cette légitimité par et dans l’action qui semble consolider leur savoir-faire en matière de mobilisation des habitants et être recherchée par les commanditaires.

Luttes et affrontements autour des enjeux de professionnalisation

L’ascension de la figure de l’expert-militant

24La professionnalisation progressive du milieu de la participation et son ouverture vers de nouveaux profils davantage issus du milieu de la communication, du conseil et du marketing semble avoir favorisé l’apparition et la consolidation d’une nouvelle figure de l’engagement, celle de l’expert-militant. Dans un contexte de concurrence accrue, les militants d’origine et les nouveaux entrants ont trouvé, dans ce modèle, une figure de salut leur permettant de surmonter ou tout du moins de contourner la tension militantisme/professionnalisme constitutive de leur fonction.

25Tout d’abord, la rhétorique managériale traditionnellement associée à cette figure de l’expert-militant a constitué pour l’ensemble des « professionnels de la participation » une stratégie discursive particulièrement efficace de contournement de la figure classique de l’expert, largement discréditée dans les politiques participatives. Elle leur a permis de dénoncer la posture froide et lointaine de l’expert technique tout en conservant certaines caractéristiques essentielles à leur activité et à leur reconnaissance auprès des commanditaires : l’existence d’un savoir spécialisé, la transparence, la neutralité. La référence à l’univers managérial a ainsi donné la possibilité aux nouveaux entrants, comme les ingénieurs, les urbanistes ou les architectes de se doter de nouveaux qualificatifs, de nouveaux attributs de l’expertise en substituant aux registres de la technicité et de la spécialité, celui de la polyvalence. Mais elle a également permis aux anciens militants de retrouver un modèle qui leur était familier, en fondant notamment la figure de l’expert dans celle du médiateur et du développeur. Modèle à travers lequel ils pouvaient plus facilement reconvertir leurs ressources militantes.

26Comme le « médiateur » de la cité par projet imaginée par Luc Boltanski et Ève Chiapello, le professionnel de la participation doit ainsi savoir être « enthousiaste, impliqué, flexible, adaptable, polyvalent, évolutif […]. Ce n’est pas un chef mais un intégrateur, […] donneur de souffle, fédérateur d’énergies, impulseur de vie, de sens et d’autonomie [43] ». Les « professionnels de la participation » ont ainsi dû apprendre à se plier à des pratiques nouvelles : l’animation, le conseil, l’assistance méthodologique, les techniques de communication, de gestion et d’évaluation. Ils se définissent d’ailleurs aujourd’hui à la fois comme des « facilitateurs », des « accompagnateurs », des « conseillers », des « experts », des « traducteurs », des « animateurs ». Tour à tour porte-parole des habitants, des techniciens et des élus, ils semblent cultiver l’art du mouvement afin qu’il soit extrêmement difficile de distinguer qui ils sont et où se situent leurs intérêts. Comme le souligne Catherine Foret, sociologue consultante sur les questions de participation et de concertation : « Nous sommes étrangers parce qu’inclassables, libres nous même de toute attache institutionnelle et donc difficilement “captables” dans les enjeux de pouvoir ou les dépendances territoriales [44]. »

27Actif, polyvalent, le spécialiste de la participation a dû apprendre à accumuler diverses fonctions et multiplier les projets dans lesquels il s’investit. Là encore, l’importation de la rhétorique managériale a joué un rôle important, notamment chez les militants d’origine. Elle leur a permis en utilisant la logique de projet, par définition transitoire, de reconvertir ce savoir-faire indispensable qu’est la connaissance du terrain en la vidant des connotations négatives qui lui sont traditionnellement associées : l’enracinement, l’immobilisme, la dépendance. Comme le souligne l’un des membres de l’association Arènes, « nous quand on arrive, on n’est rien, on repartira dans quelques semaines et cela c’est une fonction facilement externalisable [45] ». La responsable du pôle concertationrechercheaction du MDSL Intervention rappelle quant à elle :

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« Dans les ateliers de l’avenir, nous, ce qu’on propose c’est de venir quelque part mais aussi de pouvoir s’en aller, d’accompagner pour un temps mais aussi de partir après […], donc d’avoir une place d’insuffler quelque chose, de soutenir, de permettre mais en même temps de ne pas être dans une relation de dépendance et de leur donner des outils, d’offrir un espace dans un temps donné [46]. »

29Le rejet du discours politique qui caractérise ce militantisme d’expertise semble également avoir permis à l’ensemble des professionnels de la participation d’y trouver leur compte. Les profils plus militants ont trouvé dans ce modèle une manière de prendre de la distance avec la rhétorique politique traditionnellement associée à l’image du militant. Cette image pouvait en effet devenir encombrante dans la recherche de nouveaux marchés. La figure de l’expertmilitant a de plus été particulièrement utile dans un contexte où la banalisation de l’injonction à la participation et la baisse drastique des subventions provenant la politique de la ville ont mis à mal les pratiques de cooptation traditionnellement utilisées par les plus militants. Cet apolitisme de rigueur leur a également permis d’encadrer et de neutraliser les relations avec les responsables politiques et de faire face à leurs propres contraintes : travailler pour légitimer la politique de leurs employeurs tout en assurant la reconnaissance d’un droit des habitants à participer à la gestion de la ville. L’un des gages de crédibilité de leur fonction réside, aujourd’hui, dans leur capacité à dépolitiser le débat, afin de ne pas discréditer les élus et de ne pas passer pour les simples courroies de transmission de la mairie aux yeux des associations.

30Dans les actes, ce rejet du registre politique s’est essentiellement traduit par une technicisation grandissante de leurs discours et de leurs pratiques. La plupart des dispositifs de participation qu’ils inventent est ainsi centrée sur des thématiques précises comme l’amélioration du cadre de vie, l’aménagement d’équipement, la vie quotidienne dans le quartier. Travailler autour de ces notions d’espaces urbains et d’équipements leur permet de canaliser les discussions et d’en délimiter les frontières. La référence au quartier sur laquelle ils construisent leur savoir-faire joue là encore un rôle crucial en délimitant tout un champ de questions légitimes cantonnées aux seuls registres techniques. Elle agit comme un filtre étouffant toute parole politique. L’habitant, expert des usages de la ville, finit par se dissoudre dans la figure du technicien et se retrouve « dépouillé de toute sensibilité militante [47] ». L’importance accordée à l’efficacité et à l’action conduit ces « professionnels de la participation », au même titre que les salariés d’EDF engagés dans des actions humanitaires observés par Marie-Hélène Lechien et Laurent Willemez, à « considérer les difficultés dont les groupes se saisissent comme des problèmes de technique ou de technologie, plutôt que comme des questions susceptibles de faire émerger une critique sociale ou une demande de solution politique [48] ». Si engagement militant il y a, il se situe davantage sur des phases très techniques du projet, au moment de la réponse aux appels d’offre ou dans la phase de préparation plutôt que dans le contrôle du résultat, à savoir la participation réelle des habitants à la décision. Le fondateur de l’association Connecter le rappelle :

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« On reste, quand on accompagne le processus, sur la question de la méthodologie, on ne prend pas position sur le fond. L’engagement militant qui est le nôtre est dans la phase de préparation. C’est quand on négocie l’objectif et les effets attendus que, là, on ne fait pas taire nos convictions. C’est ce qui nous permet de nous mettre d’accord pour savoir si on doit ou pas coopérer avec les commanditaires [49]. »

32En définitive, il n’est pas crucial dans les dispositifs qu’ils inventent de trouver une réponse aux questions « Qui va décider ? » et « Qu’est-ce qui va être décidé ? », mais plutôt de savoir « comment tout cela va-t-il être décidé ? ».

33Ainsi les registres mi-militant, mi-professionnel et mi-savant associés à ce militantisme d’expertise ont-ils été particulièrement utiles à ces « professionnels de la participation » pour gérer les nombreuses injonctions contradictoires auxquelles ils doivent faire face dans l’exercice de leurs activités : inciter à la participation tout en défendant la politique menée par la municipalité ; être engagés pour leur expertise, leurs savoirs spécialisés tout en ayant pour mission de détruire la coupure entre l’expert et le profane, entre celui qui sait et celui qui est ignorant ; affirmer leur connaissance du terrain et en même temps leur position d’extériorité, leur capacité à savoir partir. Tout se passe comme si le recours à cette figure de l’expert-militant leur permettait de dénoncer en même temps les postures surplombantes de l’expert, intéressées du professionnel et trop politisées du militant, tout en conservant certaines caractéristiques nécessaires à leur recrutement. D’un côté, les militants d’origine semblent avoir trouvé dans cette figure une échappatoire leur permettant de concilier engagement militant et tendance à la professionnalisation. Tandis que le nouveaux entrants s’en sont parfaitement accommodés et ont largement participé à la consolider parce qu’elle leur a donné la possibilité en reconnaissant leur expertise de légitimer leur présence sur le marché de la participation.

34Cependant, si l’on peut opérer un parallèle avec les carrières morales des dévouements militants analysées par Annie Collovald et conclure avec elle que « militantisme expert et carrière professionnelle viennent ainsi se placer dans le prolongement l’un de l’autre » sans entraîner de « rupture majeure [50] », cela ne signifie pas pour autant que cette reconversion n’entraîne pas de coûts et ne suscite pas de tensions au sein de ce milieu des professionnels de la participation. Le positionnement ambigu entre pratiques militantes et professionnelles ne devient-il pas, à mesure que le profil des « spécialistes de la participation » évolue, que la concurrence s’accélère, source de conflits au sein de ce milieu ?

Professionnalisation et repositionnement de l’engagement militant

35Si la figure de l’expert-militant a permis aux militants d’origine de reconvertir certaines ressources militantes en savoir-faire professionnels, elle semble également avoir facilité la captation du marché de la participation par les nouveaux arrivants. En professionnalisant leurs ressources militantes, les premiers ont en effet donné la possibilité à des non-militants de s’en saisir et de les revendiquer.

36En reconvertissant leur « connaissance du terrain » en savoir-faire professionnel nécessaire pour mobiliser l’expertise d’usage des habitants, ils ont certainement facilité l’arrivée de nouveaux profils plus techniques sur le marché de la participation, notamment les architectes et les urbanistes. La valorisation de cette « connaissance du terrain » semble avoir permis à ces nouveaux profils de « militantiser » en quelque sorte leurs compétences initiales – maîtrise du langage de la planification urbaine, capacité à traduire des besoins en espace, à dessiner et lire des plans – et du même coup de justifier leur présence sur le marché de la participation. Comme le souligne cette responsable de la participation et de la concertation au Conseil d’architecture et d’urbanisme en environnement, « l’architecte a acquis les notions de temps, d’échelle et connaît les termes techniques […]. Il peut par conséquent les traduire au mieux aux personnes non initiées [51] ».

37Même les tout nouveaux entrants sur le marché de la participation davantage issus du monde de la communication, du conseil et du management public, qui ne peuvent se prévaloir de ce rapport au terrain spécifique, ont appris à compenser ce handicap en valorisant leur capital terrain sous d’autres formes. Les bureaux d’études plébiscitent ainsi dans leurs études de contexte l’utilisation d’outils méthodologiques plus qualitatifs. L’expert en concertation du Réseau ferré de France souligne, pour sa part, que dans les appels d’offre liés aux projets de concertation « on voit tout de suite le cabinet qui reste sur de la communication » et « ceux qui savent aller voir les gens directement sur le terrain », « ceux qui exigent des retours », « ils mettent en annexe de leur rapport la retranscription intégrale de leurs entretiens [52] ».

38Pour d’autres de ces professionnels, en majorité très fortement dotés en capital universitaire [53], la « connaissance du terrain » va être remplacée par le « travail de terrain » ou encore l’approche ethnographique utilisés dans le cadre de la rédaction de leur doctorat ou de leur mémoire de troisième cycle en sciences sociales. Ils s’appliquent alors à transformer en atout leur refus de poursuivre leur carrière au sein de l’université ou l’absence de poste. Comme le souligne l’un d’entre eux : « La recherche seule me pose problème dans le domaine de la concertation […]. Dès lors que l’on s’intéresse à l’aménagement du territoire, on ne peut pas rester dans son labo [54]. »

39Dans un contexte de concurrence accrue, l’hétérogénéité des profils et des pratiques des professionnels de la participation semble avoir nécessité l’amorce de stratégies de démarcation pour légitimer leur conception de la participation et in fine s’assurer le monopole de l’expertise et cela bien souvent aux dépens des profils les plus militants. Un examen rapide des conceptions, des pratiques et des principaux projets sur lesquels sont recrutés ces « professionnels de la participation » peut ainsi nous amener à dégager l’existence de deux pôles de professionnels de la participation.

40Le premier se caractérise avant tout par la priorité donnée à la mise en œuvre d’une démarche participative dans l’aide à la décision publique. Il est essentiellement composé de professionnels exerçant au sein de bureaux d’études et de conseils, et dans des agences de communication. La plupart de ces professionnels estiment être avant tout embauchés pour restituer la parole des citoyens, assurer le bon fonctionnement du va-et-vient de l’information entre les citoyens et les commanditaires. Ils utilisent davantage dans leurs plaquettes de présentation et leurs réponses aux appels d’offre le terme de « concertation » que celui de « participation ». Comme le souligne l’un des fondateurs du cabinet CS Conseils, spécialisé dans l’assistance à la maîtrise d’ouvrage concernant les projets de concertation, « quand on a créé ce cabinet en 1992, on avait pour objectif d’améliorer la communication publique en ayant pour cible les citoyens […]. Si je devais définir notre action, je dirais que l’on travaille pour le citoyen mais pour le compte des maîtres d’ouvrage [55] ». La réussite de leurs dispositifs s’évalue principalement au regard du nombre de personnes concernées. Le directeur de l’agence Campana-Eleb communication insiste sur ce point : « C’est la quantité qui fait la qualité. […] La quantité dit s’il y a un respect de la diversité sociale et politique. À Bobigny [44 000 habitants], on a fait la première comptabilité des Assises qui se sont tenues en 1998 : on était arrivé à 7 500 personnes [56]. » Les outils et les supports privilégiés sont d’ailleurs calqués sur cette exigence du nombre. Ils sont ainsi de fervents adeptes des réunions, des vidéos, des sondages, des journaux. C’est dans ce groupe que l’on voit le plus apparaître, dans la définition de leurs rôles, les qualificatifs d’experts et de conseillers.

41Le deuxième pôle regroupe davantage des professionnels pour lesquels l’objectif principal d’une démarche participative est avant tout de redistribuer le pouvoir aux citoyens. On retrouve prioritairement dans ce groupe les professionnels de la participation exerçant au sein d’associations. Ils ne parlent plus de concertation et préfèrent employer le mot de « participation », voire « d’implication ». On peut même relever l’émergence d’un langage indigène au sein de ce groupe : le mot « participation » est remplacé progressivement par celui de « conscientisation », de « coproduction », de « qualification mutuelle », de « capacitation ».

42Au niveau des pratiques, les dispositifs sont avant tout centrés sur la mise en scène du triptyque élus, techniciens et habitants. La question du nombre et de la représentativité est la plupart du temps présentée comme un faux-débat. C’est avant tout la dimension thérapeutique de leurs dispositifs qui est mise en avant. La participation des habitants est ainsi envisagée comme un outil pour améliorer le cadre de vie, mais peut devenir également le projet en lui-même. L’important est d’inviter les habitants à toucher du doigt les réalisations, de les « rendre acteurs ». Pour ce faire, ils mettent en évidence dans les outils qu’ils proposent la nécessité de connecter la parole à l’action. C’est dans ce groupe que l’on retrouve le plus d’ateliers de travail collectif, de chantiers écoles. Ils valorisent le témoignage, la construction d’un référentiel commun, la nécessité de la co-présence des acteurs surtout, du face à face, de la condamnation du recours à un porte-parole. Ces professionnels se définissent surtout comme des médiateurs et insistent sur la position de tiers qu’ils sont amenés à occuper.

43C’est dans ce groupe que les profils militants sont les plus nombreux et que l’on retrouve notamment la présence la plus importante des « professionnels de la participation » de la première génération. C’est également dans ce groupe que l’on recense le plus de critiques vis-à-vis de la brèche ouverte par la technicisation des dispositifs participatifs mais également à l’égard des procédures de recrutement aux cabinets de communication et des dérives qu’elle risque d’engendrer : la confusion entre communication et participation. Les profils militants semblent en effet de plus en plus contraints et handicapés par la publicisation et le calibrage des nouveaux appels d’offre concernant la participation. Comme le souligne cette consultante indépendante, ancienne chef de projet politique de la ville : « Aujourd’hui les marchés sont publics et tout le monde fait des appels d’offre. […] Moi, je défends la co-animation […], je ne sais pas si on a trouvé une bonne manière de l’expliquer dans les appels d’offre auxquels je réponds maintenant par écrit […], mais cela doit être trop compliqué pour des collectivités. » Elle ajoute : « De toute façon, tant qu’on ne l’a pas vécu, on ne peut pas comprendre, je pense que c’est une acculturation [57]. »

44La frontière entre ces deux conceptions de la participation est bien évidemment poreuse et invite à nuancer cette ligne de démarcation. Lors des entretiens, beaucoup de professionnels de la participation ont en effet affirmé, lors des entretiens, se situer à la marge de ces deux objectifs, considérant que leurs missions consistent justement à combiner dans leurs dispositifs « aide à la décision et redistribution du pouvoir aux citoyens ». Ce discours se concilie d’ailleurs parfaitement avec la figure de l’expert-militant que ces derniers s’efforcent de promouvoir. Cette séparation a davantage été opérée ici par commodité analytique [58] pour souligner qu’aujourd’hui les militants ne sont plus forcément les acteurs centraux de ce marché de la participation comme cela a pu être le cas au début des années 1980 et qu’ils semblent même éprouver des difficultés à s’adapter à la technicisation des procédures d’appels d’offre consacrés à l’animation et la création de dispositifs participatifs.

45Aussi est-ce avant tout au sein de la première génération des « professionnels de la participation » [59] que le contexte politique récent d’injonction à la concertation et l’arrivée de nouveaux profils de plus en plus techniques sur le marché semblent avoir entraîné le plus de conflits et suscité le plus de réajustements dans les conceptions du positionnement, ambigu, entre militantisme et professionnalisme. Tout se passe comme si la question de l’authenticité des origines et donc du rapport au militantisme semblait ressurgir dans ce contexte de compétition accrue et devenir une stratégie de démarcation. La trajectoire de cet ancien architecte aujourd’hui responsable de la planification et de la stratégie de la Communauté urbaine de Dunkerque est de ce point de vue très instructive.

46Michel, responsable de la mission stratégie dans une Communauté urbaine de la région Nord-Pas-de-Calais :

47

Architecte de formation, Michel, après avoir été salarié dans un cabinet privé, a rejoint le service architecture de la ville de Grenoble pendant les années 1970, au moment où l’expérience du GAM (Groupe d’action municipale) est présentée comme la « référence de la contestation d’un pouvoir municipal trop éloigné des préoccupations des habitants [60] ». Il a dans ce cadre notamment « participé à la construction d’une centaine de logements, lentement, en voyant les locataires deux à trois fois par mois avant les locations pour discuter de la dimension de leur cuisine, de leur séjour, etc. ». Il ajoute que même Pierre Lemonier, architecte-urbaniste reconnu pour avoir participé et soutenu l’expérience significative de l’Atelier populaire d’urbanisme de l’Alma-Gare, « est venu visiter le boulot que l’on faisait à Grenoble ». Au début des années 1980, il décide de quitter Grenoble et de rejoindre l’agence d’urbanisme de Brest puis de Dunkerque. Il avait besoin, affirme-t-il, « d’investir un autre champ, le champ professionnel notamment […], de se concentrer sur les projets urbains, via tout le travail réalisé à l’époque par la Fédération nationale des agences d’urbanisme ». Ce départ de Grenoble signe également sa rupture en 1981 avec un engagement politique partisan au sein de l’extrême gauche. Une fois arrivé dans le Nord au sein de l’agence d’urbanisme, il est à l’origine de la création en 1994 de l’Atelier de travail urbain de Grande-Synthe, considéré encore aujourd’hui comme une référence en terme de dispositif participatif innovant. Cet atelier, dont l’objectif principal est de rendre permanente la participation des habitants dans la définition du cadre de vie, s’inscrit dans la continuité des ateliers populaires d’urbanisme des années 1970, à la différence près qu’il n’est pas l’émanation de groupes d’habitants comme ce fut le cas à Roubaix, mais créé à l’initiative des élus locaux. Par « connaissance grenobloise », il fait venir le cabinet Arpenteurs pour organiser et animer ce dispositif, les suit pendant deux années puis leur « passe la main ». Il a ainsi fait pendant un temps partie intégrante de l’équipe d’animation extérieure à la ville chargée de faire la médiation entre les cultures de travail et les intérêts des différents acteurs de la ville.
Riche de cette expérience, il publie en 1996 avec les animateurs de l’ATU, un cahier intitulé Travail urbain, espace public et démocratie locale qui en retrace l’histoire et rédige dans le même temps un rapport pour la Délégation interministérielle à la ville, dans lequel il conceptualise les enjeux du fameux triangle élastique « élus-habitants-techniciens » sur lequel repose l’atelier. L’histoire de l’ATU est pour lui « celle d’un équilibre instable et mouvant entre les trois partenaires régi par une négociation permanente afin d’éviter que tel ou tel récupère la démarche à son propre compte : c’est un jeu d’élastiques de forces interagissantes [61] ». Il contribue ainsi à formaliser le rôle que doit occuper dans ce triangle l’équipe d’animation et par extension celui du « professionnel de la participation ». Au centre du triangle, l’animateur doit, selon lui, jouer le rôle de « médiateur », de « traducteur » et de « facilitateur » afin d’éviter toute instrumentalisation mais également être dans une fonction de « déstabilisationrestabilisation », afin d’éviter le « consensus mou  [62] ». Michel intègre ensuite la mission stratégie et planification d’une communauté urbaine et participe à plusieurs voyages professionnels au Brésil pour connaître l’expérience du budget participatif de Porto Alegre. Ces voyages deviennent de plus en plus militants et en 1999, il participe à la création du réseau Démocratiser radicalement la démocratie (DRD) chargé de réfléchir aux perspectives nouvelles qu’offre l’expérience du budget participatif  [63] La fin des années 1990 correspond également avec sa rupture progressive avec le réseau Capacitation citoyenne mis en place par les anciens animateurs de l’ATU de Grande-Synthe et le concept opératoire du triangle élastique. Comme il l’affirme aujourd’hui : « J’ai été un de ceux qui les ont créés et je m’en mords les doigts aujourd’hui. C’est moi qui ai fait que ce triangle habitants, élus, techniciens soit dans toutes les bouches […]. Je pense qu’il est urgent de passer de ce triangle à une base avec d’un côté les élus et de l’autre les citoyens et de chaque côté les professionnels, mais surtout pas entre. » Il ajoute qu’« il faut rompre avec cette figure car c’est elle qui introduit la notion d’intervenant extérieur et médiateur, c’est elle qui met les techniciens municipaux en porte-à-faux ». Surtout, sa vision du triangle semble être en totale contradiction avec la manière dont il repolitise aujourd’hui son discours, notamment par l’intermédiaire de son appartenance au réseau DRD, un mouvement dans lequel la participation ne doit pas être impulsée par l’initiative des élus locaux comme ce fut le cas dans les ATU, mais par « l’autonomisation progressive des habitants ». Et comme il le rappelle, « ce n’est pas les médiateurs qui peuvent faire cela, ce sont les militants ».

48L’analyse de ce parcours montre combien, plus que la conception de la participation et ses finalités, ce sont la place et le rôle occupés par les « professionnels de la participation » qui posent problème. Ce n’est pas tant la technicité des professionnels de la participation qui est remise en cause par ce fondateur du réseau DRD mais bien le positionnement de ceux qui ont choisi d’être des « médiateurs », des « passeurs ». Sa critique ne s’oriente ainsi pas contre la professionnalisation et la technicisation qui a pu s’opérer au sein de ce milieu depuis quelques années, mais contre la manière dont certains de ces spécialistes de la participation contribuent à masquer, par ce positionnement soit disant indépendant, les enjeux de pouvoir et finissent par confondre fonction de médiation et engagement militant. À partir du moment où cette fonction de médiation est rémunérée, elle n’est plus désincarnée. Il devient alors nécessaire de se « créer un marché et de l’entretenir », mais pour ce faire, comme le rappelle ce fonctionnaire de la Communauté urbaine de Dunkerque, « il y a des modes de pensée que l’on ne peut plus avoir ». Ce sont toutes ces raisons qui font qu’aujourd’hui il considère comme beaucoup de spécialistes de la participation de la première heure [64] que toute militance doit s’exercer en dehors de la sphère professionnelle. C’est à cette seule condition qu’activités militantes et professionnelles peuvent être compatibles. Comme il le souligne, son engagement politique au sein de DRD ne fonctionnera que « tant qu’il ne s’implique pas localement ».

49Il peut sembler paradoxal de consacrer une recherche à un groupe de professionnels aussi hétérogène et dont l’existence même en tant que tel est problématique. C’est pourtant le parti que nous avons adopté afin de prendre au sérieux les pratiques de ces professionnels, d’en révéler les tensions et d’examiner les effets qu’ont produit l’amorce d’une professionnalisation et les opérations de reconversion sur le milieu d’origine. Notre propos ne vise ainsi pas tant à savoir si cette professionnalisation aboutira ou non, mais plutôt à cerner comment, à partir du moment où un milieu a tendance à se professionnaliser, l’identité militante peut devenir encombrante et finir par inciter les acteurs à transformer leur militance en ressource professionnelle. L’exemple analysé ici nous renseigne enfin sur la manière dont leur professionnalisation a pu en retour conduire les militants d’origine à se faire « déposséder » de ces mêmes ressources, dans la mesure où détachées pour partie de l’engagement militant, elles pouvaient être revendiquées par les nouveaux entrants sur le marché de la participation.

Notes

  • [1]
    Blondiaux (L.), Sintomer (Y.), « L’impératif délibératif », Politix, 57,2002.
  • [2]
    Blondiaux (L.) et al., La démocratie locale. Représentation, participation et espace public, Paris, PUF, 1999 ; Lefebvre (R.), Nonjon (M.), « La démocratie locale en France. Ressorts et usages », Sciences de la société, 60, 2003.
  • [3]
    Cet article s’appuie sur une recherche doctorale en cours sur les professionnels de la participation effectuée à l’Université de Lille 2. Il repose principalement sur les matériaux suivants : une enquête par questionnaires (encore en cours d’analyse) réalisée auprès d’un corpus de quatre-vingt-dix professionnels dont l’activité principale consiste à concevoir, animer ou évaluer des démarches participatives ; la réalisation auprès de certains d’entre eux d’entretiens semi-directifs (50 au total) ; et des observations participantes effectuées dans certains des dispositifs et formations qu’ils animent, principalement situés dans la région Nord-pas-de-Calais. Pour plus de renseignements concernant la sociographie de ce milieu, cf. Nonjon (M.), « Les professionnels de la participation à l’épreuve du territoire », Quand la démocratie locale se professionnalise, Actes de la rencontre du 23 octobre 2003, Les cahiers de Profession Banlieue, 2004.
  • [4]
    Cf. à ce sujet, Peraldi (M.), « Le cycle et le fusible. Jalons pour une histoire sociale du DSU à Marseille », Annales de la recherche urbaine, 68-69,1995 ; de Maillard (J.), La politique de la ville : une institutionnalisation inachevée. Institutions, réseaux et apprentissages, thèse pour le doctorat de science politique, Université Montesquieu–Bordeaux IV, Institut d’études politiques, 2000.
  • [5]
    Pour une analyse sociologique approfondie du profil de ces réformateurs, cf. Tissot (S.), Réformer les quartiers : enquête sur une catégorie de l’action publique, thèse pour le doctorat de sociologie, EHESS, 2002.
  • [6]
    Le terme « consultance » est ici pris dans son sens le plus large. Il est essentiellement utilisé pour qualifier un milieu de professionnels qui articulent leurs activités autour du conseil et de l’aide méthodologique pour animer, organiser ou évaluer des dispositifs censés favoriser la participation des citoyens aux décisions publiques.
  • [7]
    Cf. à ce sujet de Maillard (J.), « Les chefs de projet et les recompositions de l’action publique : un nouveau métier urbain », Annales de la recherche urbaine, 88,2000.
  • [8]
    Il est important de signaler que le plus souvent ces départs ne signifient en rien l’existence d’une rupture définitive avec le développement social urbain. La plupart de ces professionnels continue, au contraire, à entretenir des liens étroits avec la politique de la ville, que ce soit par l’intermédiaire des contrats sur lesquels ils sont embauchés (il s’agit davantage de cooptation que de réels appels d’offre) ou par les réseaux qu’ils maintiennent.
  • [9]
    Entretien à Paris, 23 octobre 2003. .
  • [10]
    Citons, entre autres, la réforme des enquêtes publiques de 1983, la circulaire Bianco du 15 décembre 1992 qui pose le principe d’un débat public préalable en amont des enquêtes publiques dans les grands projets d’infrastructures locaux, la loi Barnier de 1995 qui crée la Commission nationale du débat public chargée de l’organisation de ce type de débats, la loi récente de 2002 sur la « démocratie de proximité » rendant les conseils de quartier obligatoires dans les villes de plus de 80 000 habitants.
  • [11]
    Cette injonction à la participation semble également avoir transformé les pratiques de mobilisation électorale. Dans de nombreuses villes, les campagnes électorales lors des municipales de 2001 se sont déroulées selon un format participatif (valoration des témoignages, volonté de redonner la parole aux habitants, présence de modérateur et de conseillers de quartier dans les débats publics). Cf. notamment Lefebvre (R.), « S’ouvrir les portes de la ville. Ethnographie des porte-à-porte de Martine Aubry à Lille », et Éthuin (N.), Nonjon (M.), « Quartiers de campagne : ethnographie des réunions publiques de la liste Martine Aubry à Lille », in Lagroye (J.), Lehingue (P.), Sawicki (F.), dir., La mobilisation électorale municipale : permanences et mutations, Paris, PUF, 2005.
  • [12]
    Le fondateur de Pluris-consultant, société de conseil en stratégie et de marketing environnemental a souhaité dans les années 1990 « compiler 25 ans de son expérience en analyse de satisfaction clients et usagers pour créer son département France-Concertation pour la satisfaction du citoyen » (entretien à Paris, 19 avril 2001).
  • [13]
    Forum de la communication publique, Cap Com, Nouveaux territoires de (en) communication, Palais des congrès, 26-28 novembre 2003 et cf. en particulier l’atelier intitulé « Recettes, au plus près du terrain ». Comme le souligne l’un des intervenants, « il s’agit d’abord de communiquer au service de la concertation pour faire avancer les projets […]. Il s’agit aussi de communiquer sur la concertation en quête d’une valeur d’image ajoutée ».
  • [14]
    Centre de formation au management public, La concertation de l’urbanisme et de l’aménagement : coproduire vos projets avec les habitants, session 1,19 et 20 mars 2003, Paris.
  • [15]
    Offerlé (M.), dir., La profession politique XIX - XXe siècle, Paris, Belin, 1999 ; Garraud (P.), Profession : homme politique, Paris, L’Harmattan, 1989.
  • [16]
    Hartereau (A.), « Communication publique territoriale et démocratie participative », La lettre du cadre territorial, 2002.
  • [17]
    Cf. Dubost (F.), « Les nouveaux professionnels de l’aménagement et de l’urbanisme », Sociologie du travail, 2 , 1995.
  • [18]
    Dans les faits, ces objectifs sont d’ailleurs la plupart du temps imbriqués et les frontières sont loin d’être définies entre ces trois fonctions situées à la jonction du social, du technique et du politique.
  • [19]
    C’est le cas, par exemple, des fondateurs de l’association Connecter, créée au début des années 1990 et chargée de capitaliser et de développer les pratiques participatives au sein du mouvement d’éducation populaire Culture et Liberté, issu du monde ouvrier.
  • [20]
    Notons entre autres, l’association Arènes localisée à Marseille (Appui, recherche et éducation pour la négociation locale sur les environnements), dans laquelle des chercheurs de disciplines différentes (urbanisme, sociologie, sciences politiques, anthropologie) travaillent pour « encourager la démocratie locale dans les opérations d’aménagement, de transformation et de protection des territoires ».
  • [21]
    C’est en partie le cas de l’agence d’urbanisme de Dunkerque qui s’est spécialisée dans l’animation d’ateliers de travaux urbains.
  • [22]
    De nombreux architectes ou urbanistes de formation se sont spécialisés dans les questions de participation des habitants. Citons par exemple, la SARL Arpenteurs localisée à Échirolles et qui est passée de la maîtrise d’œuvre d’architecture et d’aménagement de 1980 à 1993 (sous le nom « Les pressés des cités »), à l’assistance à la maîtrise d’ouvrage et de conduite de projet. Elle développe et anime des réseaux d’habitants ou de professionnels sur les questions de la citoyenneté. Les membres se définissent comme « des concepteurs et animateurs d’espaces publics de débat entre les élus, des habitants et des professionnels ».
  • [23]
    Citons entre autres le bureau IDRH, qui propose des offres de conseils en matière de développement de la qualité des services ou en matière d’évaluation de politiques intégrant la dimension de participation des habitants.
  • [24]
    C’est le cas par exemple de l’agence Campana Eleb Communication qui travaille autour de la vidéo comme outil pour restituer la parole des habitants.
  • [25]
    Compte-rendu de la réunion du 25 janvier 2004 de la plate-forme Métiers du développement territorial, Unadel. Cf. également le Guide des formations aux métiers du développement territorial conçu par la plate-forme Métiers du développement territorial aux États généraux des métiers du développement territorial, en 2003.
  • [26]
    Tract de l’association datant de 1963. Encore aujourd’hui, elle se définit comme « un lieu d’échange et de propositions pour le développement de la démocratie locale ».
  • [27]
    Les ressources de cette association ne reposent désormais que sur la vente de la revue Territoires, les abonnements et les nombreuses formations, études-actions et séminaires qu’elle met en place sur le développement local. Cf., à ce sujet, Tétard (F.), « L’ADELS dans les années 60 : une animation nationale de l’autogestion locale », in Autogestion. La dernière utopie ?, Paris, Publications de la Sorbonne, 2003.
  • [28]
    Son conseil d’administration est d’ailleurs aujourd’hui composé de nombreuses personnes exerçant dans ces nouveaux bureaux d’études et de conseils spécialisés dans la participation. Citons entre autres, la SARL Arpenteurs, le cabinet de conseil DAC Communication, spécialisé dans la concertation institutionnelle, le centre de ressource et de formation Profession banlieue, destiné aux professionnels de la politique de la ville de Saint-Denis.
  • [29]
    Entretien à Échirolles, 16 mai 2001.
  • [30]
    Cette formation, qui s’est déroulée d’octobre 2001 à septembre 2002, a donné lieu à l’organisation d’une journée de séminaire le 23 octobre 2003 sur la thématique de la professionnalisation de la démocratie locale. Cf. à ce sujet, les actes de la rencontre Quand la démocratie locale se professionnalise…, op. cit.
  • [31]
    Entretien à Paris, 2 mai 2001.
  • [32]
    Entretien à Paris, 13 avril 2004.
  • [33]
    Entretien à Lille, 23 juin 2003.
  • [34]
    Entretien à Marseille, 11 juillet 2003.
  • [35]
    Cf. Tissot (S.), « Reconversions dans la politique de la ville : l’engagement pour les “quartiers” », Politix, 70 , 2005.
  • [36]
    Ibid.
  • [37]
    Sur cette notion d’« expertise d’usage », cf. Warin (P.), Les usagers dans l’évaluation des politiques publiques. Études des relations de service, Paris, L’Harmattan, 2004 ; sur celle « d’habitant-expert » cf. Lafaye (C.), Flanquart (H.), « La figure de l’habitant et du citoyen dans les dispositifs de participation dunkerquois », in Dynamiques associatives et cadre de vie, PUCA, ministère de l’Équipement, 2001, et Nonjon (M.), « Réhabiliter le social dans l’urbain : la raison sociale des experts en participation », in Dumoulin (L.), Labranche (S.), Robert (C.), Warin (P.), dir., Le recours aux experts : raisons et usages politiques, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2005.
  • [38]
    Il s’agit dans ces lieux d’écrire « collectivement la biographie raisonnée du territoire à travers des récits et des témoignages visuels présentés par ses habitants ». Cf. à ce sujet Declève (B.), Forray (R.), Michialino (P.), dir., Coproduire nos espaces publics, Formation Action Recherche, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2002.
  • [39]
    Développés par l’association MDSL Intervention, ces ateliers de l’avenir sont considérés comme « un outil pour redécouvrir les chemins de la démocratie ». « Ils s’appuient sur une technique bien précise élaborée en Allemagne, puis utilisée en Hollande avant d’être pratiquée en France. C’est une action de dynamisation qui permet de passer de l’expression des difficultés et du mal-être à une phase d’utopie créative pour déboucher sur des projets concrets » (plaquette de présentation du MDSL Intervention).
  • [40]
    Entretien à Échirolles, 16 mai 2001..
  • [41]
    Donzelot (J.), Estebe (P.), L’État animateur. Essai sur la politique de la ville, Paris, Esprit, 1994, p. 64.
  • [42]
    Foret (C.), Gouverner les villes avec les habitants. De Caracas à Dakar : dix ans d’expériences pour favoriser le dialogue démocratique dans la cité, Paris, Éd. Charles Léopold Mayer, 2001. Elle a également conçu et animé avec Michel Anselme le premier dispositif d’évaluation concertée de la politique de la ville à l’île de la Réunion.
  • [43]
    Boltanski (L.), Chiapello (È.), Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999, p. 172-173.
  • [44]
    Foret (C.), « Recherche-action et espace public, travailler les formes de l’échange », Annales de la recherche urbaine, 64,1994.
  • [45]
    Entretien à Marseille, 11 juillet 2003.
  • [46]
    Entretien à Paris, 1er avril 2003.
  • [47]
    Cf. Bertho (A.), La crise du politique. Du désarroi militant à la politique de la ville, Paris, L’Harmattan, 1996 ; Lorcerie (F.), « L’université du citoyen à Marseille », Annales de la recherche urbaine, 68-69,1995 ; Neveu (C.), Dans notre pays et au delà dans notre ville : citoyenneté, appropriation et territoire à Roubaix, Rapport final pour le PIR-Villes CNRS, 1998.
  • [48]
    Lechien (M.-H.), Willemez (L.), « Les conditions d’investissement d’un nouveau territoire militant. Enquête sur les actions humanitaires de salariés d’EDF », in Collovald (A.), Lechien (M-H), Rozier (S.), Willemez (L.), Un militantisme de transition. Enquête sur les actions de solidarité internationale menées par des salariés en entreprise, Rapport pour le comité français pour la solidarité internationale (CFSI), 1995.
  • [49]
    Entretien à Paris, 2 mai 2001.
  • [50]
    Collovald (A.), « Pour une sociologie des carrières morales des dévouements militants », in Collovald (A.), Lechien (M.-H.), Rozier (S.), Willemez (L.), L’humanitaire ou le management du dévouement, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002, p. 206.
  • [51]
    Auxent (B.), « L’architecte dans la démarche participative de projet : atouts et déficits », in Declève (B.), Forray (R.), Michialino (P.), dir., Coproduire nos espaces publics…, op. cit.
  • [52]
    Entretien à Paris, 14 avril 2004.
  • [53]
    Ces « professionnels de la participation » se caractérisent, en effet, par un haut niveau de qualification. Majoritairement orientés vers les sciences sociales, peu d’entre eux ont fait des études courtes. Plus de 92 % des professionnels interviewés lors de notre enquête par questionnaires ont un diplôme égal ou supérieur au deuxième cycle universitaire, dont plus de 64 % ont un troisième cycle, voire un doctorat.
  • [54]
    Entretien à Paris, 14 avril 2004.
  • [55]
    Entretien à Paris, 17 juin 2003.
  • [56]
    Intervention de Jean-Charles Eleb, fondateur de l’agence Campana-Eleb Communication, spécialisée dans la production d’outils vidéos pour restituer la parole des habitants, lors de la table ronde Démocratie participative et aménagement régional, IAURIF, novembre 2000.
  • [57]
    Entretien à Paris, 11 décembre 2003.
  • [58]
    Elle nécessite d’être questionnée, notamment à l’aune des trajectoires sociales, de la nature (militante, professionnelle) et des modalités (obligation, adaptation, résistance) des stratégies de conversion de ces professionnels à la participation.
  • [59]
    Nous utilisons ce terme de première génération pour nommer les professionnels qui ont connu les luttes urbaines des années 1970 et ont commencé à s’impliquer dans l’organisation et/ou l’animation de dispositifs participatifs au même moment.
  • [60]
    Rangeon (F.), « Les comités de quartiers, instruments de démocratie locale ? », in Blondiaux (L.) et al., La démocratie locale…, op. cit., p. 333.
  • [61]
    Toulotte (M.), Hagège (C.), Picheral (J-B), Mahey (P.), Place des habitants et leur participation aux processus d’élaboration des projets urbains, rapport final, DAU/DIV/FNAU, 1996.
  • [62]
    En effet, selon lui, « si la médiation tend à ramener en permanence au triangle stable, on risque d’arriver à la culture commune des partenaires et de fait à une culture “dominante” excluant d’autres [acteurs] (les jeunes, les immigrés, tels élus ou tels techniciens) » (Ibid., p. 55).
  • [63]
    Ce réseau a pour principal objectif « de faire connaître l’expérience de Porto Alegre, d’en approfondir la portée […], de contribuer à faire émerger une alternative théorique et pratique à la participation octroyée, en plaçant au centre le droit des citoyens à débattre, et d’initier des processus de démocratisation autour des budgets des collectivités territoriales et plus largement autour de toute action publique ». Cf. à ce sujet le site internet wwww. budget-participatif. org.
  • [64]
    Ce sont ces mêmes raisons qui semblent avoir conduit récemment le fondateur de DAC Communication à abandonner son poste de président au sein de l’Adels et à « s’éloigner » progressivement de l’association afin de pouvoir continuer à dissocier engagement militant et activité professionnelle. Des motifs identiques ont conduit la directrice de la gestion urbaine et de la politique de la ville d’Habitat et territoire conseil à « s’institutionnaliser aussi vite » pour éviter qu’on l’appelle pour « calmer le jeu » en se servant de son image de « militante de l’Alma Gare ». Elle s’estime aujourd’hui « plus libre dans son langage que celui des militants qui sont obligés de gagner leur vie » et ne pense pas « qu’on puisse aujourd’hui être militant et vendre de la participation » (entretien à Paris, 13 avril 2004).
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