Notes
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[1]
L'auteur tient à remercier Christian Lequesne, Laurie Boussaguet, Luis Rivela-Verez et deux évaluateurs anonymes pour leurs commentaires constructifs dans le cadre de la rédaction de cet article.
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[2]
Nous l'avons utilisé dans notre thèse de doctorat comme un outil heuristique (Deschaux-Beaume, 2008) ainsi que dans un article comparant la naissance et la relance de la politique européenne de défense après la guerre froide et après 2016, travail sur lequel une partie des données et du cadre analytique du présent article s’appuient (Deschaux-Dutard, 2020).
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[3]
Toutes les traductions sont celles de l’auteur.
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[4]
Ces acteurs seront clairement identifiés dans la section suivante. Cette focalisation sur les acteurs français et allemands ne signifie pas que nous ignorons le rôle joué par d'autres États membres de l'UE pour alimenter la défense européenne et notamment les États scandinaves, la Pologne et les États baltes depuis 1914 et la crise ukrainienne. Mais l'objectif de l'article est surtout de se concentrer sur les acteurs qui ont initié le retour de la défense européenne comme priorité politique européenne, ce qui explique la spécificité franco-allemande, car Paris et Berlin ont souvent été analysés comme un moteur de l'intégration européenne, même si cela peut être un moteur ambigu de la défense européenne (voir Deschaux-Dutard, 2019a).
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[5]
En cela, nous rejoignons certaines conclusions de Béraud-Sudreau et Pannier (2020), qui s’appuient sur le concept d’usages de l’Europe pour analyser le renouveau de la défense européenne depuis 2016.
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[6]
Cela ne signifie pas que nous réduisons le rôle joué par les autres États européens, sans le soutien desquels - bien qu’ils aient été parfois réticents ou sceptiques - la défense européenne n'aurait pas pu voir le jour. C'est à l’évidence le cas du Royaume-Uni, sans l’accord duquel lors du sommet franco-britannique de Saint-Malo le 4 décembre 1998, la politique européenne de défense n’aurait pu être lancée lors du sommet européen de Cologne en juin 1999. C’est également le cas de l'Italie, de l'Espagne et même des États neutres à la fin des années 1990, ainsi que de la Pologne et des États baltes après la crise de Géorgie en 2008, et plus encore depuis l'annexion de la Crimée, même si ces derniers États ont tendance à continuer à privilégier l'OTAN.
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[7]
Participation au groupe de travail franco-allemand SWP-IFRI « Towards a Common Defence White Paper – France and Germany joining forces » entre décembre 2016 et décembre 2017 ; participation au forum international de la sécurité de Bonn en octobre 2018 en tant qu’experte invitée. La participation à des workshops avec des experts est d’ailleurs utilisée par au moins deux auteurs mobilisant le modèle des courants multiples de Kingdon dans d’autres domaines de politiques publiques (Elzen et al., 2011 ; van Herk et al., 2011).
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[8]
Nous tiendrons cependant compte d'éléments antérieurs dans notre analyse, comme le montrent les développements ci-dessous.
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[9]
La défense européenne a fait l’objet de plusieurs tentatives d’approfondissement depuis le Conseil européen de décembre 2013, et même de la création d’une « task force défense » pilotée par Michel Barnier à la Commission européenne en 2015. Ces essais n’avaient cependant pas réussi à trouver de réelles concrétisations avant le referendum sur le Brexit, telles que les décisions de créer une coopération structurée permanente (décembre 2017) ou encore un état-major autonome de planification des opérations militaires européennes à Bruxelles (juin 2017), ou le lancement du Fond Européen de Défense, entre autres.
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[10]
Par exemple, Philippe Étienne et Clément Beaune pour le Président Macron et Christoph Heusgen jusqu'en 2017 pour la Chancelière Merkel, pour ne citer que quelques noms. Des entretiens semi-directifs ont pu être conduits avec certains d'entre eux par téléphone en décembre 2016 et février 2017. D’autres conseillers interrogés ont souhaité garder l'anonymat.
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[11]
Le cas d’AKK est emblématique des divergences franco-allemandes autour de la notion d’autonomie stratégique : si la ministre allemande a d’un côté appelé à la construction d’un porte-avion européen en 2019, elle a qualifié en novembre 2020 l’autonomie stratégique européenne d’illusion et plaidé pour un renforcement du lien avec l’OTAN.
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[12]
Sur la montée en puissance du haut représentant en matière de PSDC ces dernières années, voir Calcara (2020).
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[13]
Entretien téléphonique avec un conseiller de la Haute représentante, décembre 2016.
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[14]
Entretien en visioconférence, Ministère des Armées, Paris, novembre 2020.
- [15]
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[16]
Ces progrès qualitatifs ont été salués par le Conseil européen (Conseil Affaires étrangères) du 20 novembre 2018 comme des étapes importantes vers une plus grande autonomie stratégique européenne. <https://www.consilium.europa.eu/en/meetings/fac/2018/11/19-20/?utm_source=dsms-autotm_medium=emailtm_campaign=Foreign+Affairs+Conseil+(Défense)%2c+19-20%2f11%2f2018>. Consulté le 13/10/2020.
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[17]
L’enquête empirique sur laquelle repose cet article porte strictement sur les entrepreneurs gouvernementaux, porteurs du pouvoir décisionnel, et leurs proches conseillers, et n’inclut pas les autres acteurs, et notamment les acteurs industriels, qui ont pu jouer un rôle en matière d’avancées de la défense européenne depuis 2016 comme le soulignent Béraud-Sudreau et Pannier (2020).
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[18]
Sur le rôle du Royaume-Uni en tant que "retardataire" dans la défense européenne au cours de la dernière décennie, voir notamment Whitman, 2016a et b ; Duke, 2018b ; Howorth, 2020.
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[19]
Réunion du Conseil européen, Conclusions, Bruxelles, 15 décembre 2016, p. 3.
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[20]
Cette Stratégie Globale adoptée par l’ensemble des États européens le 28 juin 2016, soit quatre jours après le référendum sur le Brexit, avait bien été négociée avec le Royaume-Uni, et promeut la notion d’autonomie stratégique européenne. Pour autant, il faut voir cette notion comme un élément de langage qui ne revêt pas nécessairement exactement le même sens pour chaque État européen. Entretien en visioconférence, Ministère des armées, Paris, novembre 2020.
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[21]
Une contribution conjointe franco-allemande du ministre français des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, et du ministre fédéral des affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, intitulée "Une Europe forte dans un monde d'incertitudes", a été publiée le 28 juin 2016, cinq jours après le référendum au Royaume-Uni.
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[22]
Voir la contribution conjointe franco-allemande publiée le 11 septembre 2016 par le ministre français de la défense, Jean-Yves Le Drian, et son homologue allemande, Ursula von der Leyen, qui met l'accent sur l'idée d'une union européenne de la défense, déjà proposée en 2000.
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[23]
Voir par exemple son discours sur l'état de l'Union le 14 septembre 2016 : "Vers une meilleure Europe - une Europe qui protège, renforce et défend",<http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-16-3043_en.htm>. Consulté le 13/10/2020.
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[24]
Entretiens à Berlin (ministère de la défense et Chancellerie), décembre 2016, et à Paris, mars 2017 (ministère des Armées).
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[25]
<https://www.france-allemagne.fr/La-France-et-l-Allemagne-au,1283.html>. Consulté le 7/05/2020.
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[26]
Discours sur l'état de l'Union "Vers une meilleure Europe - une Europe qui protège, renforce et défend", 14 septembre 2016. <http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-16-3043_en.htm>. Consulté le 24/02/2020.
-
[27]
<http://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2017/03/06-conclusions-security-defence/>. Consulté le 24/02/2020.
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[28]
Une nouvelle lettre conjointe, issue des ministres de la défense français, allemand, italien et espagnol, a d’ailleurs été adressée à leurs partenaires européens en vue de renforcer la défense européenne dans le contexte de la pandémie de Covid 19 le 29 mai 2020. <https://ue.delegfrance.org/lettre-des-ministres-de-la-defense> ; Consulté le 13 novembre 2020.
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[29]
Comme plusieurs interviewés nous l'ont indiqué, les idées ont eu tendance à circuler rapidement entre Paris, Berlin et Bruxelles pour faire de l'autonomie stratégique de l'UE une priorité politique sur l’agenda du Conseil européen dès décembre 2016.
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[30]
C’est davantage l’objet de l’Initiative Européenne d’Intervention lancée par le Président Macron en juin 2018 autour de 9 États et en dehors du cadre de l’UE, afin de pallier la déception française induite par la forme de la coopération structurée permanente telle qu’elle a été entérinée par le Conseil européen.
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[31]
Entretien en visioconférence, Ministère des Armées, Paris, novembre 2020.
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[32]
Les interviews données à Politico par la ministre de la défense allemande Annegret Kramp-Karrenbauer le 28 août 2020 et le 2 novembre 2020 le démontrent avec force. <https://www.bmvg.de/en/news/politico-interview-with-annegret-kramp-karrenbauer-1716226> et <https://www.politico.eu/article/europe-still-needs-america/>. Consultés le 13/11/2020.
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[33]
Entretien en visioconférence, Ministère des armées, Paris, novembre 2020.
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[34]
<https://www.bruxelles2.eu/2020/08/defense-lallemagne-cause-beaucoup-et-agit-peu/>. Consulté le 17/11/2020.
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[35]
Voir entre autres la tribune d’Emmanuel Macron « Pour une renaissance européenne » du 5 mars 2019, traduite en 5 langues. <https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/03/04/pour-une-renaissance-europeenne>. Consulté le 18/11/2020. De même, le discours d’Angela Merkel du 11 novembre 2018 plaide pour une armée européenne pour protéger le Vieux continent. <https://www.challenges.fr/monde/europe/merkel-prone-a-son-tour-la-creation-d-une-armee-europeenne_625947>. Consulté le 18/11/2020.
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[36]
<http://ec.europa.eu/commfrontoffice/publicopinion/index.cfm/Survey/getSurveyDetail/instruments/SPECIAL/yearFrom/1974/yearTo/2016/search/463/surveyKy/2173>. Consulté le 19/10/2019. Ces données sont certes à nuancer avec des sondages nationaux conduits en France et en Allemagne entre 2016 et 2019 sur la thématique de « l’armée européenne », montrant un niveau moins élevé de soutien à un tel projet, même si l’appréciation des citoyens français et allemands interrogés reste globalement positive.
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[37]
Voir notamment la tribune d’Emmanuel Macron « Pour une renaissance européenne » du 5 mars 2019 commençant par les mots « Citoyens d’Europe ». <https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/03/04/pour-une-renaissance-europeenne>. Consulté le 18/11/2020.
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[38]
Pour de nombreuses raisons politiques, institutionnelles et opérationnelles, une armée européenne n'est pas un objectif réaliste à court terme, mais sert de symbole politique en période de tensions transatlantiques.
- [39]
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[40]
On trouve le même argumentaire dans la tribune d’Emmanuel Macron « Pour une renaissance européenne » du 5 mars 2019. <https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/03/04/pour-une-renaissance-europeenne>. Consulté le 18/11/2020.
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[41]
Emmanuel Macron, discours à l'Université de la Sorbonne, disponible sur <http://international.blogs.ouest-france.fr/archive/2017/09/27/macron-sorbonne-europe-verbatim-18567.html>. Consulté le 13/04/2020.
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[42]
Le mythe de Charlemagne en tant que Rex Pater Europae, ou mythe fondateur de l'unification européenne, est fréquemment véhiculé dans la coopération franco-allemande.
- [43]
Introduction
2La politique étrangère européenne fait face, ces dernières années, à de nombreuses turbulences liées tant à son environnement externe qu’à la vie interne de l’UE : retour du terrorisme sur le sol européen, résurgence des tensions dans son voisinage en Ukraine, en Biélorussie ou en Méditerranée, désaccords dans la relations transatlantique, Brexit et départ du Royaume-Uni [1]. Cet article vise, en s’inscrivant dans la problématique générale de ce numéro, à interroger l’impact du Brexit sur les évolutions récentes de la politique étrangère européenne et plus précisément la dimension militaire de celle-ci : la PSDC. Il s’agit en effet de comprendre pourquoi, dans la foulée du référendum sur le Brexit en juin 2016, la défense européenne est devenue une priorité politique de l'agenda européen. Le Brexit est ici conçu comme une fenêtre d’opportunité qui permet à la PSDC de connaître une relance qualitative à travers plusieurs initiatives et réalisations telles que la coopération structurée permanente adoptée en décembre 2017, la mise en place d’un quartier général de planification d’opérations européennes à Bruxelles (MPCC) ou la création du Fonds européen de Défense. Cet argument n’est d’ailleurs pas inédit. Plusieurs travaux ont ces dernières années présenté le Brexit comme une fenêtre d’opportunité pour la défense européenne (Biscop, 2016 ; Koenig et Walter-Franke, 2017 ; Haroche, 2018 ; Béraud-Sudreau et Pannier, 2020) sans faire toujours clairement référence à Kingdon dans leur usage du terme. Le Brexit peut être conçu comme une crise qui conduit à l’ouverture d’une fenêtre d’opportunité politique, selon le modèle de Kingdon [2]. Le concept de fenêtre d’opportunité (Kingdon, 2003) vise à expliquer le changement qualitatif dans un domaine d’action publique. Une fenêtre d’opportunité constitue une « opportunité pour les défenseurs de propositions de pousser leurs solutions favorites, ou d'attirer l'attention sur leurs problèmes particuliers » (Kingdon, 2003, 165) [3]. Plus précisément ici, nous nous attachons à l’analyse de la dimension discursive et symbolique du changement impulsé dans la PSDC à la suite du Brexit. Nous nous appuyons sur l’analyse de plusieurs initiatives politiques avancées par les élites gouvernementales française et allemande depuis 2016 (en particulier la construction d’un quartier général d’opération à Bruxelles, le MPCC, et le lancement de la coopération structurée permanente), en examinant quelles sont les stratégies discursives déployées en vue de compenser symboliquement la perte d’un allié fondamental (le Royaume-Uni) sur le sujet de la défense européenne, et en cherchant à approfondir ce volet militarisé de la politique étrangère européenne. Plus précisément, notre hypothèse est que les acteurs gouvernementaux français et allemands [4] ont tiré un profit politique du Brexit, événement inattendu, pour faire avancer des initiatives déjà discutées auparavant soit à l’échelle européenne, soit dans le cadre bilatéral (comme le montrent les exemples que nous développons infra : le quartier général d’opération créé à Bruxelles (MPCC) et la coopération structurée permanente), et promouvoir le concept d’autonomie stratégique européenne inscrit dans la Stratégie Globale de l’UE publiée en juin 2016.
3Notre analyse s’appuie sur l’institutionnalisme discursif tel qu’il est développé en particulier par Vivien Schmidt (2002 ; 2006 ; 2008 ; 2010 ; 2012), en postulant que les idées et les discours ne sont pas uniquement des outils de communication, mais participent aussi de l’action publique européenne. En effet, les discours constituent des modes d’interaction entre acteurs sous la forme langagière, qui rendent possible l’action collective, et ici l’action visant à proposer un changement en matière de politique européenne de défense. Ces discours s’inscrivent dans un contexte, qui en l’occurrence est modifié par le Brexit, perçu par les acteurs principaux de politique étrangère français et allemands comme une fenêtre d’opportunité (Kingdon, 2003). Par conséquent, l’article vise à poser la question suivante : qu’est-ce que le Brexit vient modifier dans les discours sur la défense européenne de la part des deux États restants parmi le trio de tête (France, Allemagne et Royaume-Uni) qui avait porté cette politique depuis la déclaration de Saint-Malo en décembre 1998 ? Comment le Brexit est-il discursivement construit pour induire du changement en matière de défense européenne ? Comment les discours des entrepreneurs gouvernementaux français et allemands impulsent-ils de la coordination et permettent-ils des avancées concrètes, telles que le lancement de la coopération structurée permanente notamment au niveau européen, tout en reposant sur des points de vue stratégiques divergents (comme le démontre par exemple la question liée à la perception du rôle de l’OTAN, à l’automne 2019, par le président français et la chancelière allemande, à l’occasion de la célébration des 70 ans de l’Alliance atlantique) ? En outre, notre approche vise à combiner les présupposés de l’institutionnalisme discursif avec la notion d’entrepreneurs politiques telle qu’elle est développée par Kingdon (1984), en esquissant une étude approfondie des acteurs auteurs du discours, dans la perspective de proposer une démarche institutionnaliste discursive basée sur les acteurs. Le lien entre l’institutionnalisme discursif et la notion d’entrepreneurs politiques telle que Kingdon l’utilise dans son modèle des courants multiples est logique car les deux approches participent du « tournant des idées » dans l’analyse des politiques publiques depuis plus de deux décennies (Crespy et Schmidt, 2019, 372). Cela permet en effet d’incarner les discours analysés en s’attachant au profil politique et social de ceux qui les déploient. En étudiant en profondeur les discours déroulés en matière de défense européenne par les entrepreneurs gouvernementaux français et allemands à la suite du referendum sur le Brexit, il est possible de distinguer, en reprenant la typologie de Vivien Schmidt (2008 ; 2010), deux formes de discours déployés entre juin 2016 et novembre 2020 : une première forme de discours de type coordinatif, visant à créer des interactions entre élites d’un secteur d’action publique donné ou d’un système politique donné, et une seconde forme de discours de type communicationnel, visant davantage à légitimer des idées auprès du public (Schmidt, 2002). Ces deux types de discours sont bien repérables dans le cas des initiatives discursives émises sur le sujet de la défense européenne par les entrepreneurs gouvernementaux français et allemands à la suite du référendum sur le Brexit, comme nous allons le montrer.
4Le croisement de la théorie des courants multiples de Kingdon, utilisée ici comme un outil heuristique, avec l’institutionnalisme discursif permet d’analyser comment le Brexit est présenté comme une opportunité à saisir par les acteurs politico-diplomatiques de premier plan en France et en Allemagne (soit les chefs d’État et de gouvernement et leurs ministres des affaires étrangères et de la défense), et ouvre la voie à un changement de discours sur la défense européenne, qui se traduit par l’adoption de certaines mesures concrètes dans le cadre de la PSDC. Cette démarche analytique centrée sur les acteurs de la politique étrangère permet d’apporter un contrepoint à une littérature croissante qui se concentre sur les aspects stratégiques du Brexit dans le domaine de la défense (voir notamment Duke, 2018a et b ; Krotz et Maher, 2017 ; Krotz et Schild, 2018 ; Tocci, 2018), à l’encontre de tout déterminisme stratégique qui ferait de celle-ci une nécessité géopolitique et militaire [5]. Notre intérêt pour l’analyse approfondie des changements qui se produisent au niveau discursif chez les entrepreneurs gouvernementaux français et allemands provient du fait qu’en matière de défense européenne, le Brexit ne modifie pas réellement la nature du problème auquel la PSDC est censée apporter une réponse (l’absence d’autonomie stratégique et de capacités de défense de l’UE), qui se posait déjà en amont du Brexit et faisait l’objet de discussions européennes depuis le Conseil européen de décembre 2013. Ainsi, en nous concentrant sur les aspects discursifs et symboliques du changement en matière de défense européenne, nous pouvons démontrer qu’en dépit de conceptions différentes de l’autonomie stratégique européenne (Deschaux-Dutard, 2019a et b), le Brexit ouvre une opportunité politique pour recentrer la défense européenne sur le couple franco-allemand, en écho à celui formé par Mitterrand et Kohl à la fin de la guerre froide (Deschaux-Dutard, 2020), tout en n’écornant pas la souveraineté des États en matière de défense. Le choix du cas franco-allemand est justifié par l’historicité de l’activisme politique franco-allemand en matière de défense européenne (Deschaux-Beaume, 2008 ; Krotz et Schild, 2013 ; Simon, 2017 ; Deschaux-Dutard, 2019b) [6].
5Les données sur lesquelles l’article s’appuie sont composées d’une analyse des déclarations officielles faites par des acteurs politico-diplomatiques français, allemands, et européens (chefs d'État et de gouvernement, ministres, hauts fonctionnaires de l'UE), des documents officiels européens, d’articles de presse, d’analyses d'experts, de dix entretiens qualitatifs menés en 2016-2018 et 2020 à Paris, Berlin et Bruxelles (y compris par téléphone pour certains) auprès d’experts, d’acteurs des Ministères de la défense et des affaires étrangères, ainsi que la participation à deux groupes de travail d’experts à Paris, Berlin et Bonn entre décembre 2016 et octobre 2018 [7]. Sur le plan méthodologique, nous nous appuyons principalement sur de l'analyse de contenu et de discours, et avons concentré notre analyse sur la période juin 2016-novembre 2020 [8].
6Dans une première partie, sont analysés les discours de coordination proposés par les chefs d’État et de gouvernement et les ministres des affaires étrangères et de la défense des deux États. Il s’agit de démontrer que ces discours ont permis d’introduire un changement qualitatif dans la politique européenne de défense en s’appuyant sur le Brexit comme une opportunité politique. Deux exemples empiriques sont développés en particulier : le cas de l’état-major de planification militaire créé à Bruxelles en 2017 (MPCC) et le cas de la coopération structurée permanente. Dans les deux cas, les discours de coordination émis par les entrepreneurs politiques français et allemands -qui seront clairement définis- permettent de dépasser des divergences normatives qui demeurent. Puis dans une seconde partie, l’analyse se focalise sur les discours de communication largement déployés par les entrepreneurs gouvernementaux à Paris et Berlin et vise à souligner le rôle performatif de ces discours, en s’appuyant notamment sur l’usage récurrent de symboles historiques et politiques afin de légitimer, auprès de l’ensemble de leurs partenaires européens, leur prise de leadership sur le sujet de la défense européenne, une fois la sortie du Royaume-Uni actée.
La défense européenne mise en discours par les entrepreneurs politiques français et allemands
7Si l’on suit les fondamentaux de l’institutionnalisme discursif, les idées et les discours ne sont uniquement des outils de communication, mais construisent aussi l’action publique européenne et permettent une (re)définition des intérêts des acteurs (Schmidt, 2006 ; 2010). Ils s’inscrivent dans un contexte institutionnel qui imprègne la capacité des acteurs à déployer leurs discours (Schmidt, 2006 ; 2010). Ce contexte se trouve ici modifié par le Brexit. Il s’agira ainsi, après avoir examiné les facteurs spécifiques à ce contexte dans lequel les discours autour d’une renaissance de la défense européenne portés depuis Paris et Berlin s’enracinent, à la suite du référendum sur le Brexit, d’étudier les entrepreneurs politiques qui articulent ces discours.
8Notre hypothèse est que le Brexit, en changeant les participants aux décisions en matière de défense européenne (soit ici en retranchant les acteurs britanniques), façonne fortement la PSDC en permettant de mettre en discours des initiatives jusque-là refoulées. Le Brexit a été construit discursivement comme une fenêtre d’opportunité permettant à des entrepreneurs politiques, occupant des positions stratégiques dans certains États-membres, de promouvoir des idées qui ne sont en réalité pas neuves en matière de défense européenne, comme nous le montrons avec les deux exemples empiriques développés ici (le quartier général d’opération –MPCC- et la coopération structurée permanente).
9L’intérêt de croiser le modèle de Kingdon avec l’institutionnalisme discursif est de concentrer l’analyse non pas tant sur les résultats opérationnels du changement en matière de défense européenne, que sur le processus de construction discursive qui conduit à ce changement. C’est pourquoi notre analyse n’inclut pas les autres acteurs qui peuvent pourtant trouver un intérêt à ce changement en matière de PSDC, tels que les acteurs privés et industriels notamment (voir Béraud-Sudreau et Pannier, 2020).
Un contexte environnant la défense européenne remodelé par le Brexit et une conjonction de facteurs favorables
10Dans le cas de la remise sur le chantier européen des questions liées à la défense européenne depuis 2016 [9], trois facteurs entrent en congruence avec le Brexit pour remodeler le contexte dans lequel les initiatives discursives franco-allemandes visant à faire de la défense européenne une priorité sur l’agenda européen se déploient. Premièrement, le facteur politique (qui s’apparente au courant politique dans le modèle de Kingdon) : entre juin 2016 et novembre 2020, les chefs d'État et de gouvernement français et allemand sont des dirigeants résolument favorables à l’intégration européenne. Leurs proches conseillers politiques [10] et leurs ministres des affaires étrangères et de la défense partagent également une orientation européenne commune et une ambition de rendre l’UE plus crédible sur la scène internationale, même s’il est très clair que le concept d’autonomie stratégique européenne revêt une acception sensiblement différente entre Paris et Berlin (Deschaux-Dutard, 2019b).
Tableau 1. Principaux entrepreneurs gouvernementaux français et allemands impliqués dans les initiatives de relance de la défense européenne entre 2016 et 2020.
Date | Chef d'État | Ministère des affaires étrangères | Ministère de la défense |
---|---|---|---|
2016-2020 | François Hollande jusqu’en mai 2017 / Emmanuel Macron depuis mai 2017 Angela Merkel | Jean-Marc Ayrault jusqu'en mai 2017/ Jean-Yves Le Drian depuis mai 2017 Franz-Walter Steinmeier jusqu'en 2017 / Heiko Maas depuis 2018 | Jean-Yves Le Drian jusqu'en mai 2017/ Florence Parly depuis mai 2017 Ursula von der Leyen jusqu'en juillet 2019/ Annegret Kramp-Karrenbauer depuis juillet 2019 [11] |
Tableau 1. Principaux entrepreneurs gouvernementaux français et allemands impliqués dans les initiatives de relance de la défense européenne entre 2016 et 2020.
11Deuxièmement, ces acteurs gouvernementaux, jouant ici le rôle d'entrepreneurs politiques, ont été soutenus par des acteurs placés à des positions stratégiques à Bruxelles. Depuis juin 2016, des acteurs politiques tels que Federica Mogherini (et maintenant Josep Borrell depuis décembre 2019 [12]), Haute représentante et vice-présidente de la Commission européenne, et Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, ont fortement soutenu les propositions franco-allemandes visant à faire de la défense européenne une priorité sur l’agenda politique de l’UE [13]. De même, Michel Barnier, négociateur du Brexit, est l’ancien pilote de la « task force » créée à la Commission sur la défense européenne en 2015-2016, et a joué un rôle important dans la promotion d’un renforcement de la défense européenne [14].
12Troisièmement, un autre facteur favorable a permis de prolonger la fenêtre d’opportunité ouverte par le Brexit : la position de l'administration américaine. L’administration Trump, au-delà des gesticulations politiques du Président américain, n’a eu de cesse de souligner depuis l’hiver 2017 que les pays européens devaient s'engager davantage dans le financement de leur propre sécurité, ce qui fournit aux entrepreneurs gouvernementaux français et allemands un prétexte idéal pour remettre la défense européenne à l’agenda des discussions collectives à Bruxelles. L’Allemagne a en particulier pâti de la vindicte américaine, et cela a permis de prolonger l’évolution de sa perception de son rôle en matière de sécurité internationale, initiée sous le mandat d’Ursula von der Leyen en tant que ministre fédérale de la défense, notamment à travers le consensus de Munich (2014) évoqué ci-après.
13Par conséquent, la fenêtre d’opportunité ouverte par le Brexit et la sortie du Royaume-Uni de l’UE a été construite discursivement par les entrepreneurs gouvernementaux français et allemands pour approfondir la politique européenne de défense, dans le contexte de la publication de la Stratégie Globale de Sécurité de l’UE en juin 2016, qui insiste sur la notion d’autonomie stratégique européenne. Pour adopter les termes de Kingdon, les entrepreneurs politiques ont « frapp[é] le fer quand il [était] chaud » (Kingdon, 2003, 170). La conjonction du contexte institutionnel et normatif européen modifié par le référendum sur le Brexit, et des acteurs politiques clefs au pouvoir à Paris, Berlin, Bruxelles, permet ainsi de mieux saisir dans quel contexte se structurent les discours franco-allemands autour de la défense européenne depuis l’été 2016, et comment ils visent à coordonner une action collective européenne en la matière. Ces discours sont produits par des entrepreneurs politiques qu’il convient de définir.
14La notion d’entrepreneurs politiques empruntée à Kingdon se retrouve plus largement dans la littérature constructiviste (Finnemore et Sikkink, 1998) visant à saisir le poids des idées dans les dynamiques de changement en matière de politique étrangère et de politique publique plus largement. Ces entrepreneurs politiques peuvent être définis comme des individus ou des acteurs qui tentent de favoriser la promotion de leurs idées construites comme des propositions de solutions à des problèmes publics au sein d’un espace d’action publique donné. Kingdon estime d’ailleurs qu’ils doivent disposer à la fois d’une expertise sur le domaine en question, d’une forte connexion avec les milieux décisionnels (ce qui est le cas ici) et d’une capacité à persévérer (Kingdon, 1984, 188). Plus ils sont proches des décideurs politiques, plus ils ont de chances de réussir (Zahariadis, 2007, 74). Dans le cas de la politique européenne de défense, nous analysons ses principaux acteurs décisionnels au niveau national (chefs de l'exécutif, ministres des affaires étrangères et de la défense) et européen comme jouant eux-mêmes le rôle d’entrepreneurs politiques. Ainsi à Bruxelles peut-on souligner le rôle de la Haute Représentante de l'UE Federica Mogherini (et désormais Josep Borrell, qui défendait la nécessité d’une défense européenne plus ambitieuse, lors de son audition devant le Parlement européen le 7 octobre 2019) [15], du président du Conseil Donald Tusk et de son successeur Charles Michel, et de la Commission européenne avec une position forte de Jean-Claude Juncker sur le thème de la défense européenne, et l’arrivée de la nouvelle Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, qui avait justement auparavant négocié les propositions bilatérales analysées ci-dessous, dans le cadre de son mandat de ministre de la défense en Allemagne jusqu’en juillet 2019. De même, le fait que certains de ces acteurs gouvernementaux, tels Jean-Yves Le Drian et Ursula von der Leyen, aient changé de poste pour accéder à des positions stratégiques clefs dans la configuration décisionnelle de la PSDC, a permis de faciliter la promotion des discours bilatéraux autour de l’approfondissement de la défense européenne à Bruxelles [16].
Des entrepreneurs gouvernementaux français et allemands promoteurs d’un discours de coordination
15L’intérêt d’avoir identifié les entrepreneurs gouvernementaux ci-dessus est de pouvoir s’attacher aux discours nationaux et bilatéraux qu’ils produisent, à la suite de l’annonce du Brexit, sur le sujet de la défense européenne, afin de saisir en quoi ces discours visent à induire un changement en la matière. Ainsi plusieurs initiatives, dont l’article analyse deux exemples empiriques, ont très rapidement été présentées, entre juin 2016 et l’automne 2016, aux partenaires européens de Paris et Berlin. Les initiatives bilatérales étudiées ici ayant abouti à une solution concrète en matière de PSDC relèvent du discours coordinatif (Schmidt, 2008 ; 2012), dans la mesure où elles visent à avancer des propositions ayant pour finalité d’accroître les capacités matérielles de l’UE en matière de défense, comme la Stratégie Globale de Sécurité européenne (2016) adoptée par l’ensemble des États-membres les y encourage [17]. Les entrepreneurs politiques des deux capitales ont commencé dès juin 2016 à présenter la marginalisation du Royaume-Uni comme un levier pour développer la défense européenne, alors même que Londres avait été perçu comme un partenaire nécessaire pour donner vie à la défense européenne en 1998-1999. Ici, la variable britannique joue un rôle clef : c'est la marginalisation du veto britannique sur de nombreux sujets de la PSDC (Howorth, 2020) qui permet à la défense européenne de refaire surface sur l'agenda européen et d’en devenir une priorité majeure reconnue par le Conseil européen [18]. En effet, le 15 décembre 2016, le Conseil européen a encouragé les Européens à « assumer une plus grande responsabilité pour leur sécurité » [19], consacrant ainsi le discours développé au niveau bilatéral par les entrepreneurs gouvernementaux français et allemands depuis juin 2016 et la publication de la Stratégie Globale de Sécurité Européenne visant à promouvoir l’autonomie stratégique européenne [20].
16Pour autant, pour bien saisir comment les entrepreneurs gouvernementaux situés à Paris et Berlin peuvent se saisir du Brexit pour promouvoir des discours sur la défense européenne issus de négociations parfois bien antérieures à juin 2016 (comme dans le cas de l’État-major de planification d’opération autonome (MPCC) créé en juin 2017 à Bruxelles dont l’idée avait été lancée pour la première fois au printemps 2003, comme explicité plus bas), il est nécessaire de rappeler une donnée fondamentale qui permet de comprendre pourquoi le gouvernement allemand peut discursivement investir la notion d’autonomie stratégique européenne, sans pour autant partager la vision française de cette notion qui implique davantage d’émancipation vis-à-vis de l’OTAN (Deschaux-Dutard, 2019b). En effet, l’existence du « consensus de Munich », qui fait référence à la Revue allemande de politique étrangère et de sécurité publiée par le gouvernement allemand en 2014, a introduit un changement normatif nécessaire pour pouvoir plaider bilatéralement pour un renforcement matériel et idéologique de la défense européenne (Giegerich et Terhalle, 2016 ; Simon, 2017). Ce tournant allemand impulsé par Ursula von der Leyen lorsqu’elle était ministre fédérale de la défense s’est prolongé avec la reconnaissance dans le Livre blanc allemand sur la sécurité et la défense, publié en juillet 2016, de l’importance fondamentale de la défense européenne et du rôle que l’Allemagne devrait y jouer avec ses partenaires, notamment français. Dès lors, plusieurs lettres communes et initiatives bilatérales ont été publiées entre juin et décembre 2016 par les ministres français et allemand des affaires étrangères [21] et de la défense [22], et relayées au niveau européen par la Haute représentante Mogherini et le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker [23], plaidant pour une Union Européenne de Défense. Si les propositions avancées par les entrepreneurs gouvernementaux français et allemands ne sont pas nouvelles (mais « flottaient » pour beaucoup d’entre elles dans une « soupe primitive » selon les termes de Kingdon), comme le montrent les deux exemples développés ci-dessous, le contexte ouvert par le Brexit jette une lumière nouvelle sur la possibilité de les concrétiser, et offre ainsi une capacité à interagir avec les partenaires européens en déployant un discours bilatéral qui se présente comme une avancée en matière de défense européenne, et s’inscrit dans l’un des quatre grands types de discours déployés par les leaders européens et identifiés par Vivien Schmidt, soit ici le discours normatif mettant en avant l’idée de communauté de destin des États européens, fondée sur un partage de valeurs communes (Schmidt, 2012). Un exemple est particulièrement éclairant et montre comment une initiative bilatérale a pu rapidement devenir une priorité sur l’agenda de la politique étrangère européenne dans le contexte du Brexit : la création d'une capacité militaire européenne autonome de commandement (MPCC). Les ministres français et allemand de la défense ont, dès juillet 2016 en marge du sommet de l'OTAN à Varsovie, négocié la relance de ce chantier, enterré depuis 2003 [24]. Le 12 septembre 2016, les deux ministres adressaient une lettre conjointe intitulée « Vers une défense européenne globale, réaliste et crédible » à la Haute Représentante de l’UE, soulignant l’importance de doter l’UE d’une capacité à planifier elle-même ses opérations militaires [25]. L'idée a rapidement été soutenue par le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, emboîtant le pas à Paris et Berlin dans son discours sur l’État de l’Union [26]. Or cette idée remonte à une autre tentative franco-allemande lancée en avril 2003, lors du sommet de Tervuren (ou « Sommet des chocolatiers »), conjointement avec la Belgique et les Pays-Bas. À l’époque et jusqu’en 2016, cette initiative était restée bloquée par Londres, craignant de faire de l’ombre à l’OTAN (Howorth, 2020). Ainsi, les entrepreneurs gouvernementaux français et allemands y ont identifié un sujet concret permettant d’impulser un changement qualitatif et fortement symbolique -quoique limité- dans la politique européenne de défense et d’y retrouver un rôle de leadership bilatéral qui s’était étiolé ces dernières années. L'idée de pouvoir déployer plus facilement les missions militaires de l'UE a ainsi été mise en avant aussi par le président Hollande et la chancelière Merkel lors du sommet européen informel de Bratislava en septembre 2016, puis lors du Conseil européen de Bruxelles de décembre 2016. Ils ont proposé d'établir une structure de commandement militaire unique au sein de l'UE, qui devrait aider à développer l'autonomie de l'UE en matière de défense et de sécurité. Cette initiative a finalement trouvé sa place sur l’agenda européen : lors du Conseil européen du 6 mars 2017, les chefs d'État et de gouvernement de l'UE - y compris le représentant britannique alors encore convié- se sont accordés sur le développement d'une capacité militaire permanente de planification et de conduite pour les missions non exécutives (MPCC), ce qui constitue une étape significative vers un futur quartier général permanent de l'UE à Bruxelles [27]. Le MPCC a ainsi vu sa création entérinée par le Conseil européen du 8 juin 2017. Cet exemple éclaire bien le rôle d’entrepreneurs politiques joué par les acteurs gouvernementaux français et allemands afin de coordonner, par leur discours bilatéral, les interactions avec leurs partenaires européens, et faire ainsi progresser qualitativement la PSDC. Un autre exemple suit un schéma similaire : la coopération structurée permanente. Celle-ci a été promue par les entrepreneurs gouvernementaux français et allemands comme l’épicentre de la relance de la défense européenne, dans leurs lettres conjointes de l’été 2016 évoquées plus haut. Dans le cas de la coopération structurée permanente, les discours bilatéraux plaidant pour utiliser les outils existants en matière de PSDC ont rapidement permis de coordonner un groupe pionnier autour de Paris, Berlin, Rome et Madrid [28], étant donné qu’ils étaient soutenus au niveau européen par les acteurs stratégiques du Conseil et de la Commission, tels que la Haute Représentante Federica Mogherini ou par son successeur Josep Borrell, lors de la dernière conférence de Munich sur la sécurité en février 2020 [29]. La coopération structurée permanente a pu voir le jour lors du Conseil européen du 11 décembre 2017, alors même qu’elle était prévue par le Traité de Lisbonne dès 2007. L'entreprenariat discursif franco-allemand est ainsi parvenu à créer un degré minimal de consensus européen, nécessaire pour donner une nouvelle impulsion à la PSDC, en tirant parti de la marginalisation des acteurs britanniques qui avaient bloqué ce dossier.
17Cela ne signifie pas pour autant que la notion d’autonomie stratégique bénéficie d’une compréhension similaire à Paris et à Berlin (Deschaux-Dutard, 2019b). Comme le soulignent Crespy et Schmidt dans leur étude de la gestion de la crise de la zone euro en 2010, des discours convergents au niveau européen peuvent s’appuyer sur des idées normatives (des paradigmes) divergentes (Crespy et Schmidt, 2014). En effet, la coopération structurée permanente cristallise bien la divergence normative entre les deux partenaires concernant la notion d’autonomie stratégique européenne : si à Paris elle était envisagée comme un groupe restreint d’États (une dizaine) prêts à s’engager sur l’ensemble du spectre de la défense européenne (y compris expéditionnaire) [30], à Berlin elle était au contraire perçue dans une acception maximaliste visant à promouvoir la coopération avec le plus d’États-membres possible afin de réunir une majorité qualifiée [31]. C’est cette seconde acception qui a emporté le consensus européen, avec une coopération structurée permanente rassemblant 25 États-membres et 47 projets en 2020. Plus largement, en Allemagne, le terme d'autonomie stratégique est employé avec de nombreuses précautions par le gouvernement, qui entend ménager l’OTAN, perçue comme l’organisation assurant la sécurité du continent européen [32]. Au contraire, la vision française de l'autonomie stratégique de l'UE vise à rendre l'UE capable de relever les défis sécuritaires dans lesquels la France s'est engagée, comme au Mali [33].
18Après avoir montré comment les entrepreneurs gouvernementaux français et allemands ont déployé des initiatives discursives visant à la coordination au niveau européen en matière de PSDC dans le contexte du Brexit, qui ont permis de produire des avancées qualitatives dans le cadre de la défense européenne, il importe de s’attacher au second type de discours déployé par ces acteurs pour légitimer leur action, et aux moyens sur lesquels ils s’appuient : les discours communicationnels, visant à donner corps à des avancées concrètes circonscrites.
Un recours récurrent aux discours communicationnels par les chefs d’État français et allemand depuis 2016
19Si la période ouverte par le référendum sur le Brexit et le spectre de la sortie du Royaume-Uni de l’UE se caractérise par un besoin de coordination renforcée afin de donner davantage de substance à la PSDC, l’institutionnalisme discursif nous invite aussi à examiner les fonctions performatives que les discours exercent en politique étrangère (Carta et Morin, 2016 ; Carta, 2018) et les logiques de communication auxquelles ils répondent. Comme l’indique un journaliste spécialisé sur la défense européenne, il s’agit d’occuper le terrain par le discours et le symbolique [34].
Une stratégie de légitimation des propositions franco-allemandes : le recours aux discours communicationnels
20Comme l'ont confirmé plusieurs interviewés, la politique étrangère a besoin de symboles pour acquérir une substance politique. C'est particulièrement vrai pour la coopération franco-allemande dans le domaine de la défense (Krotz et Schild, 2013). En l’absence d’un réel accord de fond entre Paris et Berlin sur la notion d’autonomie stratégique européenne, la portée symbolique des décisions analysées ci-dessus pour faire progresser la défense européenne revêt une importance plus forte que leur réelle portée pratique : il n’est qu’à considérer les 47 projets développés dans le cadre de la coopération structurée permanente, par exemple, qui démontrent, par leur foisonnement, l’absence de réel accord entre États-membres sur ce que l’autonomie stratégique devrait réellement signifier. En outre, les discours communicationnels offrent des moyens de légitimation des positions pro-européennes affirmées par les entrepreneurs gouvernementaux français et allemands, et surtout des deux chefs d’État et de gouvernement, dans un contexte de politique intérieure perturbée dans les deux cas par des remises en cause politiques et sociales (crise des gilets jaunes en France notamment, difficultés de formation d’un gouvernement de coalition du côté allemand à la suite des élections de 2017, recrudescence du terrorisme dans les deux cas). Le Brexit offre un levier discursif pour présenter l’approfondissement de la défense européenne comme un des éléments clefs de l’intégration européenne et comme une nécessité pour protéger les populations européennes des nombreux défis de sécurité qui les entourent [35].
21Ces discours communicationnels visent, dans le cas de l’impact du Brexit sur la défense européenne, à légitimer auprès des élites politiques à Paris et Berlin, et plus largement de l’ensemble de l’UE, le choix du retour à la rhétorique du « couple franco-allemand » locomotive européenne, comme à la fin de la guerre froide avec le couple Mitterrand-Kohl. Une enquête menée entre avril et juillet 2016 auprès d’un échantillon de députés français et allemands montre bien ici les enjeux de ce type de discours : pour une large majorité de députés interrogés, la politique européenne la plus apte à forger du consensus bilatéral, mais également européen, est la politique européenne de défense, tandis que les sujets ayant une dimension économique nationale plus forte, comme la flexibilité du marché du travail, restent controversés (Blesse et al., 2016). Ces discours communicationnels se trouvent renforcés par le haut niveau de soutien des citoyens européens à la politique européenne de défense, même si en réalité l’opinion publique n’exerce guère de pression sur la PSDC : il est particulièrement fort parmi les citoyens français (77 %) et allemands (84 %) selon une enquête Eurobaromètre publiée en avril 2017 (EB 461) [36].
22De plus, en construisant discursivement le Brexit comme une crise collective européenne, comme l’ont fait le Président Hollande et la Chancelière Merkel dès juin 2016, entre autres, ou encore le Président Macron à plusieurs reprises entre 2017 et 2019 [37], l’objectif visé est de proposer une grille de lecture rendant Paris et Berlin incontournables pour renouer avec l’image de la communauté de destin entre Européens, fragilisée par la défection britannique, et ce dans un domaine où la souveraineté des États ne risque guère d’érosion : la défense. Le symbole de la « communauté de destin » a ainsi été utilisé dans la majorité des propositions politiques bilatérales en matière de défense européenne depuis 2016, faisant le lien avec les mots employés dans le Traité de l’Élysée qui scellait en 1963 la réconciliation politique franco-allemande et son rôle de locomotive pour la construction européenne. L'objectif est de légitimer un leadership franco-allemand en matière de défense européenne, comme ce fut le cas lors des premières tentatives de Mitterrand et Kohl dans les années 1990 (Deschaux-Beaume, 2008 ; Deschaux-Dutard, 2019a ; Krotz et Schild, 2013).
23Pour légitimer le retour du « couple franco-allemand » en matière de défense européenne après le Brexit, les entrepreneurs gouvernementaux français et allemands renforcent également leurs discours communicationnels par un usage récurrent de la rhétorique symbolique visant à donner un sens à leurs propositions (Edelman, 2013).
Un recours à la rhétorique symbolique comme supplétif à l’action opérationnelle en matière de PSDC ?
24Les symboles visent à mettre en sens l’action politique, comme l’indique notamment t'Hart (1993). Deux sortes de symboles sont particulièrement employés par les entrepreneurs gouvernementaux français et allemands dans leurs discours communicationnels pour légitimer les propositions de changement qualitatif -analysées précédemment- qu’ils formulent en matière de défense européenne : des symboles historiques et des symboles politiques. En novembre 2018 par exemple, le président Macron a eu recours à un symbole classique de politique étrangère : l’analogie historique. Il a ainsi fait une analogie entre la situation actuelle de l'Europe, et celle des années 1930. Il a également appelé à la création d'une armée européenne au lendemain du 100e anniversaire de l'Armistice du 11 novembre 1918. De même, le président français a été invité en novembre 2018, comme ses prédécesseurs François Mitterrand en 1983 et Jacques Chirac en 2000, à s'exprimer devant le Parlement allemand, pour manifester la force du tandem franco-allemand en Europe. Le cœur de son intervention a porté sur la question de la défense européenne en tant que projet central de l'intégration européenne. L'enjeu est de relégitimer par le discours le rôle du tandem franco-allemand dans la PSDC pour mieux taire les divergences stratégiques (Deschaux-Dutard, 2019a et b). Cela s'applique également au discours de la chancelière Merkel devant le Parlement européen en novembre 2018, pour soutenir le plaidoyer du président français en faveur d'une armée européenne [38].
25Le deuxième type de symbole utilisé est le langage symbolique qui permet d’interpréter la crise (ici, le Brexit présenté dans les discours des chefs d’État et de gouvernement français et allemand comme une crise européenne) et de lui attribuer un sens (Boin, t'Hart et McConnell, 2009). Dans le cas du Brexit, en juin 2016, le Président Hollande l’a présenté comme un « choix douloureux pour l'Europe » [39], et la Chancelière Merkel l’a qualifié de « moment critique pour l'Europe » (Merkel, 2016), soulignant la nécessité d’action impliquée par le choix britannique de quitter l’UE [40].
26Le rôle du langage symbolique vise, comme dans le cas des analogies historiques, à légitimer la volonté de leadership franco-allemand en matière de défense européenne. Dans son discours sur l'Europe à la Sorbonne en septembre 2017, Emmanuel Macron a utilisé des termes emphatiques pour souligner sa volonté d'agir main dans la main avec l'Allemagne pour atteindre une souveraineté européenne dans le monde, notamment en développant « une capacité militaire autonome pour l'Europe, complémentaire de l'OTAN » [41]. Le choix des mots est intéressant, car il s'agit de la même formulation que dans l'accord de Saint-Malo signé entre Jacques Chirac et Tony Blair en décembre 1998, qui avait ouvert la voie à la naissance de la politique européenne de défense. À travers cette stratégie discursive, le président français signifie ainsi clairement, tant à Berlin qu’à Londres, qu’il a reporté ses attentes en matière d’approfondissement de la PSDC sur son partenaire historique allemand. De même, le prix Charlemagne attribué au président français en mai 2018 [42], ou la signature du traité bilatéral d'Aix-la-Chapelle le 22 janvier 2019, peuvent être analysés comme des symboles pour légitimer les propositions formulées par Paris et Berlin en matière de défense européenne, et visant à impulser une coordination au niveau européen. Les actes et pratiques symboliques ne visent pas directement à résoudre des problèmes publics, mais à donner un sens à l'action (t'Hart, 1993 ; Krotz et Schild, 2013, 77). L'action symbolique sert ici de relais aux entrepreneurs gouvernementaux français et allemands pour accroître l'acceptabilité des propositions franco-allemandes auprès de leurs partenaires européens, en s'inscrivant dans une tradition historicisée qui leur permet de ne pas mettre en lumière leurs divergences stratégiques de fond, comme le démontre encore la passe d’armes discursive entre la ministre allemande de la défense, qualifiant l’autonomie stratégique européenne d’illusion qui doit se terminer, et le président français exprimant son profond désaccord avec cette vision, en novembre 2020 [43].
Conclusion
27Cet article a visé à démontrer comment, dans le contexte du Brexit, les discours français et allemands sur la PSDC ont acquis une position centrale à l’échelle européenne. Ces discours de deux types (coordinatifs et communicationnels) ont permis l’émergence d’initiatives concrètes en matière de défense européenne, mais jouent aussi et surtout un rôle performatif. En proposant une analyse institutionnaliste discursive basée sur les acteurs, l’objectif était de saisir comment des propositions discursives, pourtant fondées sur des idées normatives divergentes entre Paris et Berlin, peuvent créer des interactions au niveau européen et trouver une concrétisation telle que la coopération structurée permanente notamment. Il a ainsi pu être démontré qu’en matière de relance de la défense européenne après le Brexit, la dimension discursive et symbolique est au moins aussi importante que la dimension opérationnelle, tant les divergences de fond entre États européens demeurent prégnantes, ancrées dans des cultures stratégiques résistantes. Le Conseil des ministres européens de la défense de novembre 2020 autant que le rapport du Parlement européen sur la coopération structurée permanente en octobre 2020 pointent d’ailleurs le manque de substance et de cohérence qui marque encore la PSDC, à l’heure où le Brexit est consommé.
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Notes
-
[1]
L'auteur tient à remercier Christian Lequesne, Laurie Boussaguet, Luis Rivela-Verez et deux évaluateurs anonymes pour leurs commentaires constructifs dans le cadre de la rédaction de cet article.
-
[2]
Nous l'avons utilisé dans notre thèse de doctorat comme un outil heuristique (Deschaux-Beaume, 2008) ainsi que dans un article comparant la naissance et la relance de la politique européenne de défense après la guerre froide et après 2016, travail sur lequel une partie des données et du cadre analytique du présent article s’appuient (Deschaux-Dutard, 2020).
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[3]
Toutes les traductions sont celles de l’auteur.
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[4]
Ces acteurs seront clairement identifiés dans la section suivante. Cette focalisation sur les acteurs français et allemands ne signifie pas que nous ignorons le rôle joué par d'autres États membres de l'UE pour alimenter la défense européenne et notamment les États scandinaves, la Pologne et les États baltes depuis 1914 et la crise ukrainienne. Mais l'objectif de l'article est surtout de se concentrer sur les acteurs qui ont initié le retour de la défense européenne comme priorité politique européenne, ce qui explique la spécificité franco-allemande, car Paris et Berlin ont souvent été analysés comme un moteur de l'intégration européenne, même si cela peut être un moteur ambigu de la défense européenne (voir Deschaux-Dutard, 2019a).
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[5]
En cela, nous rejoignons certaines conclusions de Béraud-Sudreau et Pannier (2020), qui s’appuient sur le concept d’usages de l’Europe pour analyser le renouveau de la défense européenne depuis 2016.
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[6]
Cela ne signifie pas que nous réduisons le rôle joué par les autres États européens, sans le soutien desquels - bien qu’ils aient été parfois réticents ou sceptiques - la défense européenne n'aurait pas pu voir le jour. C'est à l’évidence le cas du Royaume-Uni, sans l’accord duquel lors du sommet franco-britannique de Saint-Malo le 4 décembre 1998, la politique européenne de défense n’aurait pu être lancée lors du sommet européen de Cologne en juin 1999. C’est également le cas de l'Italie, de l'Espagne et même des États neutres à la fin des années 1990, ainsi que de la Pologne et des États baltes après la crise de Géorgie en 2008, et plus encore depuis l'annexion de la Crimée, même si ces derniers États ont tendance à continuer à privilégier l'OTAN.
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[7]
Participation au groupe de travail franco-allemand SWP-IFRI « Towards a Common Defence White Paper – France and Germany joining forces » entre décembre 2016 et décembre 2017 ; participation au forum international de la sécurité de Bonn en octobre 2018 en tant qu’experte invitée. La participation à des workshops avec des experts est d’ailleurs utilisée par au moins deux auteurs mobilisant le modèle des courants multiples de Kingdon dans d’autres domaines de politiques publiques (Elzen et al., 2011 ; van Herk et al., 2011).
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[8]
Nous tiendrons cependant compte d'éléments antérieurs dans notre analyse, comme le montrent les développements ci-dessous.
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[9]
La défense européenne a fait l’objet de plusieurs tentatives d’approfondissement depuis le Conseil européen de décembre 2013, et même de la création d’une « task force défense » pilotée par Michel Barnier à la Commission européenne en 2015. Ces essais n’avaient cependant pas réussi à trouver de réelles concrétisations avant le referendum sur le Brexit, telles que les décisions de créer une coopération structurée permanente (décembre 2017) ou encore un état-major autonome de planification des opérations militaires européennes à Bruxelles (juin 2017), ou le lancement du Fond Européen de Défense, entre autres.
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[10]
Par exemple, Philippe Étienne et Clément Beaune pour le Président Macron et Christoph Heusgen jusqu'en 2017 pour la Chancelière Merkel, pour ne citer que quelques noms. Des entretiens semi-directifs ont pu être conduits avec certains d'entre eux par téléphone en décembre 2016 et février 2017. D’autres conseillers interrogés ont souhaité garder l'anonymat.
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[11]
Le cas d’AKK est emblématique des divergences franco-allemandes autour de la notion d’autonomie stratégique : si la ministre allemande a d’un côté appelé à la construction d’un porte-avion européen en 2019, elle a qualifié en novembre 2020 l’autonomie stratégique européenne d’illusion et plaidé pour un renforcement du lien avec l’OTAN.
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[12]
Sur la montée en puissance du haut représentant en matière de PSDC ces dernières années, voir Calcara (2020).
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[13]
Entretien téléphonique avec un conseiller de la Haute représentante, décembre 2016.
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[14]
Entretien en visioconférence, Ministère des Armées, Paris, novembre 2020.
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[16]
Ces progrès qualitatifs ont été salués par le Conseil européen (Conseil Affaires étrangères) du 20 novembre 2018 comme des étapes importantes vers une plus grande autonomie stratégique européenne. <https://www.consilium.europa.eu/en/meetings/fac/2018/11/19-20/?utm_source=dsms-autotm_medium=emailtm_campaign=Foreign+Affairs+Conseil+(Défense)%2c+19-20%2f11%2f2018>. Consulté le 13/10/2020.
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[17]
L’enquête empirique sur laquelle repose cet article porte strictement sur les entrepreneurs gouvernementaux, porteurs du pouvoir décisionnel, et leurs proches conseillers, et n’inclut pas les autres acteurs, et notamment les acteurs industriels, qui ont pu jouer un rôle en matière d’avancées de la défense européenne depuis 2016 comme le soulignent Béraud-Sudreau et Pannier (2020).
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[18]
Sur le rôle du Royaume-Uni en tant que "retardataire" dans la défense européenne au cours de la dernière décennie, voir notamment Whitman, 2016a et b ; Duke, 2018b ; Howorth, 2020.
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[19]
Réunion du Conseil européen, Conclusions, Bruxelles, 15 décembre 2016, p. 3.
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[20]
Cette Stratégie Globale adoptée par l’ensemble des États européens le 28 juin 2016, soit quatre jours après le référendum sur le Brexit, avait bien été négociée avec le Royaume-Uni, et promeut la notion d’autonomie stratégique européenne. Pour autant, il faut voir cette notion comme un élément de langage qui ne revêt pas nécessairement exactement le même sens pour chaque État européen. Entretien en visioconférence, Ministère des armées, Paris, novembre 2020.
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[21]
Une contribution conjointe franco-allemande du ministre français des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, et du ministre fédéral des affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, intitulée "Une Europe forte dans un monde d'incertitudes", a été publiée le 28 juin 2016, cinq jours après le référendum au Royaume-Uni.
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[22]
Voir la contribution conjointe franco-allemande publiée le 11 septembre 2016 par le ministre français de la défense, Jean-Yves Le Drian, et son homologue allemande, Ursula von der Leyen, qui met l'accent sur l'idée d'une union européenne de la défense, déjà proposée en 2000.
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[23]
Voir par exemple son discours sur l'état de l'Union le 14 septembre 2016 : "Vers une meilleure Europe - une Europe qui protège, renforce et défend",<http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-16-3043_en.htm>. Consulté le 13/10/2020.
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[24]
Entretiens à Berlin (ministère de la défense et Chancellerie), décembre 2016, et à Paris, mars 2017 (ministère des Armées).
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[25]
<https://www.france-allemagne.fr/La-France-et-l-Allemagne-au,1283.html>. Consulté le 7/05/2020.
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[26]
Discours sur l'état de l'Union "Vers une meilleure Europe - une Europe qui protège, renforce et défend", 14 septembre 2016. <http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-16-3043_en.htm>. Consulté le 24/02/2020.
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[27]
<http://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2017/03/06-conclusions-security-defence/>. Consulté le 24/02/2020.
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[28]
Une nouvelle lettre conjointe, issue des ministres de la défense français, allemand, italien et espagnol, a d’ailleurs été adressée à leurs partenaires européens en vue de renforcer la défense européenne dans le contexte de la pandémie de Covid 19 le 29 mai 2020. <https://ue.delegfrance.org/lettre-des-ministres-de-la-defense> ; Consulté le 13 novembre 2020.
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[29]
Comme plusieurs interviewés nous l'ont indiqué, les idées ont eu tendance à circuler rapidement entre Paris, Berlin et Bruxelles pour faire de l'autonomie stratégique de l'UE une priorité politique sur l’agenda du Conseil européen dès décembre 2016.
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[30]
C’est davantage l’objet de l’Initiative Européenne d’Intervention lancée par le Président Macron en juin 2018 autour de 9 États et en dehors du cadre de l’UE, afin de pallier la déception française induite par la forme de la coopération structurée permanente telle qu’elle a été entérinée par le Conseil européen.
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[31]
Entretien en visioconférence, Ministère des Armées, Paris, novembre 2020.
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[32]
Les interviews données à Politico par la ministre de la défense allemande Annegret Kramp-Karrenbauer le 28 août 2020 et le 2 novembre 2020 le démontrent avec force. <https://www.bmvg.de/en/news/politico-interview-with-annegret-kramp-karrenbauer-1716226> et <https://www.politico.eu/article/europe-still-needs-america/>. Consultés le 13/11/2020.
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[33]
Entretien en visioconférence, Ministère des armées, Paris, novembre 2020.
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[34]
<https://www.bruxelles2.eu/2020/08/defense-lallemagne-cause-beaucoup-et-agit-peu/>. Consulté le 17/11/2020.
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[35]
Voir entre autres la tribune d’Emmanuel Macron « Pour une renaissance européenne » du 5 mars 2019, traduite en 5 langues. <https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/03/04/pour-une-renaissance-europeenne>. Consulté le 18/11/2020. De même, le discours d’Angela Merkel du 11 novembre 2018 plaide pour une armée européenne pour protéger le Vieux continent. <https://www.challenges.fr/monde/europe/merkel-prone-a-son-tour-la-creation-d-une-armee-europeenne_625947>. Consulté le 18/11/2020.
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[36]
<http://ec.europa.eu/commfrontoffice/publicopinion/index.cfm/Survey/getSurveyDetail/instruments/SPECIAL/yearFrom/1974/yearTo/2016/search/463/surveyKy/2173>. Consulté le 19/10/2019. Ces données sont certes à nuancer avec des sondages nationaux conduits en France et en Allemagne entre 2016 et 2019 sur la thématique de « l’armée européenne », montrant un niveau moins élevé de soutien à un tel projet, même si l’appréciation des citoyens français et allemands interrogés reste globalement positive.
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[37]
Voir notamment la tribune d’Emmanuel Macron « Pour une renaissance européenne » du 5 mars 2019 commençant par les mots « Citoyens d’Europe ». <https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/03/04/pour-une-renaissance-europeenne>. Consulté le 18/11/2020.
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[38]
Pour de nombreuses raisons politiques, institutionnelles et opérationnelles, une armée européenne n'est pas un objectif réaliste à court terme, mais sert de symbole politique en période de tensions transatlantiques.
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[40]
On trouve le même argumentaire dans la tribune d’Emmanuel Macron « Pour une renaissance européenne » du 5 mars 2019. <https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/03/04/pour-une-renaissance-europeenne>. Consulté le 18/11/2020.
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[41]
Emmanuel Macron, discours à l'Université de la Sorbonne, disponible sur <http://international.blogs.ouest-france.fr/archive/2017/09/27/macron-sorbonne-europe-verbatim-18567.html>. Consulté le 13/04/2020.
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[42]
Le mythe de Charlemagne en tant que Rex Pater Europae, ou mythe fondateur de l'unification européenne, est fréquemment véhiculé dans la coopération franco-allemande.
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