Notes
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[1]
Toutes proportions gardées, la controverse entre Pierre Birnbaum et Pierre Clastres dans la Revue française de science politique, au moment de la publication de La société contre l’État (Clastres, 1974), engageait plus que des arguments scientifiques. Pierre Clastres réagit ainsi à la lecture critique de Birnbaum : « Plutôt donc qu’à en dégager les aspects comiques, et sans trop m’attarder devant la conjonction, apparemment inévitable chez certains, entre l’assurance dans le ton et le flou dans les idées, je tenterai de cerner peu à peu le lieu “théorique” à partir duquel Pierre Birnbaum a produit son texte » (Clastres, 1977, p. 22).
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[2]
Ce point permet de rappeler que le caractère récent de la participation est discutable, voir l’ouvrage de Marie-Hélène Bacqué et Yves Sintomer (2011), ainsi que le numéro de la revue Participations dédiée à cette problématique (2012/2, no 3).
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[3]
Les controverses scientifiques mettant en jeu des désaccords d’ordre épistémologique et méthodologique jalonnent l’histoire de la science politique. Plusieurs auteurs et travaux que l’on rassemble ici autour du label « sociologie critique » ont pu faire l’objet de critiques. On peut évoquer ici les échanges entre Jean Baudouin (1994) et Daniel Gaxie (1994) à propos de l’ouvrage de ce dernier La démocratie représentative (1993), ou encore ceux de Philippe de Lara (1997) et Philippe Corcuff (1999) au sujet de son livre Les nouvelles sociologies (Corcuff, 1995), ou encore la critique de Jacques Lagroye (2006) à la suite de la publication par Pierre Favre de l’ouvrage Comprendre le monde pour le changer (2005).
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[4]
Ce travail est une partie de la thèse de J. O’Miel consacrée à la comparaison des politiques participatives des régions Toscane et Nord–Pas-de-Calais (O’Miel, 2015).
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[5]
« Le vie della democrazia partecipativa vanno reinventate ogni volta, combinando approcci, metodologie o modelli esistenti, a seconda della questione che si vuole affrontare » (Bobbio, 2006, p. 21-22, nous traduisons).
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[6]
« I proceduralisti, a loro volta, non sono indifferenti agli esiti. Ritengono che la partecipazione possa generare soluzioni migliori, più in sintonia con i bisogni di tutti i soggetti coinvolti e a diffondere il senso di appartenenza alla collettività. Ma non definiscono l’autenticità della partecipazione in base ai risultati che consegue. Una partecipazione è buona se tutti i soggetti sociali coinvolti hanno avuto modo di esprimersi, di informarsi e di contare – indipendentemente dai risultati concreti che essa consegue » (ibid., p. 13, nous traduisons).
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[7]
Voir les travaux de Marion Paoletti (1997), Cécile Blatrix (2000), Magali Nonjon (2006), Guillaume Gourgues (2010), Alice Mazeaud (2010) et Julien O’Miel (2015).
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[8]
On peut évoquer entre autres les travaux de Rémi Lefebvre sur les partis politiques (2011) ou sur le métier d’élu local (avec Le Bart, 2015), les travaux de Philippe Aldrin et Nicolas Hubé sur l’Union européenne (2011) ou encore les travaux de Raphaëlle Parizet (2015) sur la participation des populations indiennes au Mexique ou d’Amin Allal (2013) sur la participation en régime autoritaire.
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[9]
Dans le sens d’une histoire longue des savoirs de gouvernement (Payre, Vanneuville, 2003).
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[10]
Cette critique est en effet récurrente chez les contempteurs de la sociologie critique. On peut évoquer ici les critiques adressées par Alain Lancelot aux travaux de Pierre Bourdieu sur les sondages (Lancelot, 1984) ou encore celles adressées par Jean Baudouin (1994) à Daniel Gaxie à la sortie de son ouvrage La démocratie représentative (1993).
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[11]
Elle permet ainsi d’élargir le spectre à d’autres facteurs que la « crise de la démocratie » : développement d’un marché de la participation, professionnalisation de la démocratie participative, circulation des savoirs savants.
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[12]
Pour ne prendre qu’un exemple déjà ancien, J. Font écrivait ceci : « For most local actors, citizen participation is not their first priority. It is a new possibility they can be used to achieve their main objective, be it to win a local election, to build a more sustainable city or to improve a given neighborhood. […] the reaction of any local actor towards citizen participation will represent a combination of beliefs and instrumental motivations » (Font, 2003).
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[13]
C’est ce dont témoignent l’introduction de L. Blondiaux et M. Fourniau dans le premier numéro de Participations en 2011, ou plus récemment l’organisation d’un colloque acteurs/chercheurs dont vient d’être tiré un dossier publié dans cette même revue (2016/3).
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[14]
C’était du reste l’objet même du colloque acteurs/chercheurs mentionné ci-dessus.
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[15]
En 2016, Alice Mazeaud et Guillaume Gourgues ont été associés à la conduite d’une conférence de citoyens par le Service général à la modernisation de l’action publique, et ont participé à l’évaluation de plusieurs initiatives participatives étatiques pilotées par ce service.
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[16]
L’invitation à « objectiver le[s] sujet[s] de l’objectivation » (Bourdieu, 2001) avait d’ailleurs été clairement formulée dans le numéro 1 de la revue Participations : « Comment rendre compte d’autre part de l’omniprésence des chercheurs en sciences sociales dans les dispositifs eux-mêmes, que ce soit pour les concevoir, les animer, les observer, les évaluer ou les légitimer ? Comme si, derrière chaque dispositif, se cachait un sociologue… » (Blondiaux, Fourniau, 2011, p. 17). J. O’Miel restitue d’ailleurs dans sa thèse ses propres positions sur le terrain et la manière dont les réactions qu’elles suscitent contribuent à lui ouvrir des opportunités d’enquête et des pistes de réflexion.
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[17]
Nous nous reconnaissons ici dans les propos de Pierre Bourdieu lorsqu’il explique que « la science est vouée à exercer un effet de théorie, mais d’une forme tout à fait particulière : en manifestant dans un discours cohérent et empiriquement validé ce qui était jusque-là ignoré, c’est-à-dire selon les cas, implicite ou refoulé, elle transforme la représentation du monde social et, du même coup, le monde social, dans la mesure au moins où elle rend possible des pratiques conformes à cette représentation transformée » (Bourdieu, 1981, p. 72).
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[18]
Nous avons tout à fait conscience que le dossier concerné par ce débat réunit des expériences participatives institutionnalisées et observe peu d’expériences participatives « par le bas » étudiées dans d’autres travaux comme ceux de Julien Talpin (2016).
1Peut-on étudier la démocratie participative sans s’intéresser à la qualité de la démocratie ? Comment étudier la multiplication des dispositifs participatifs à travers le monde sans postuler la rationalité axiologique des acteurs de cette circulation et les vertus démocratiques des technologies participatives ? Doit-on renoncer, au nom des supposées vertus démocratiques de la participation, à toute analyse critique, non seulement des dispositifs mis en œuvre, mais surtout des logiques et des modalités de l’action publique (participative) ? Quelle place accorder dans l’analyse aux chercheurs qui s’engagent aux côtés des élus et des professionnels de la participation, dans la promotion et la mise en œuvre de ces dispositifs participatifs ? Peut-on procéder à une sociologie critique de la démocratie participative ? Si oui, quelle en serait l’utilité sociale et politique ?
2Le droit de réponse intitulé « Quand la sociologie critique devient une glace déformante », publié par Luigi Bobbio et Antonio Floridia en 2016 dans la revue Participations (2016/3, no 16), nous offre l’occasion d’aborder de front ces questions, et à travers celles-ci les enjeux épistémologiques des travaux que nous menons depuis plusieurs années sur la démocratie participative. Avant d’entrer dans le débat, rappelons les faits.
3Julien O’Miel a publié un article intitulé « Modèle ou Mirage ? Circulation et réappropriation de la politique régionale participative toscane » (Participations, 2016/1, no 14) visant à interroger les processus de circulation transnationale et de réappropriation locale des politiques publiques à partir de l’exemple de la politique participative régionale de la région Toscane. Cet article s’insère dans un dossier intitulé « Un tournant participatif mondial ? » coordonné par Alice Mazeaud, Magali Nonjon et Raphaëlle Parizet. L’objectif de ce dossier est de discuter l’existence d’un tournant participatif à l’échelle internationale en s’intéressant aux configurations dans lesquelles des dispositifs plus ou moins standardisés sont mis en œuvre à travers le monde. Il s’agit d’analyser les circulations transnationales de l’ingénierie participative. Les auteures montrent que cette notion, qui regroupe à la fois les ingénieurs (acteurs et promoteurs), la machinerie (outils, dispositifs, savoir-faire, etc.) et les idées portées par ces acteurs et instruments, permet de prendre de la distance avec le présupposé démocratique de la participation, mais également de déplacer le regard des dispositifs vers les acteurs qui les élaborent, les promeuvent et les font circuler. Le dossier rassemble ainsi des articles consacrés aux agendas 21 turcs, aux ambassadeurs du budget participatif, à la promotion du développement participatif par les organisations internationales et à son appropriation par les acteurs sociaux, ou encore au travail de standardisation réalisé par l’Association internationale pour la participation publique (IAP2). Sont ainsi repérées et analysées des dynamiques verticales et horizontales de circulation, au sein desquelles des acteurs aux profils variés jouent un rôle central : acteurs institutionnels (notamment organisations internationales), élites intermédiaires (ONG, think tanks, etc.) connectées plus ou moins explicitement aux bureaucraties et donc largement dépendantes des États et des collectivités (par les subventions, autorisations, soutiens logistiques, labellisations), mais également chercheurs et professionnels de la participation.
4Dans leur droit de réponse, L. Bobbio et A. Floridia développent une série de critiques qui dépassent l’article de J. O’Miel puisqu’ils entendent « soulever des problèmes plus généraux sur nos recherches, nos styles de travail et nos préjugés » dans le but « d’ouvrir un débat qui [leur] paraît urgent et nécessaire » (p. 252). Au-delà des inévitables invectives personnelles, qui constituent une part irréductible de toute controverse scientifique [1], il nous est apparu plus heuristique de nous défaire de la critique ad nominem afin de recentrer la réflexion sur le débat, déjà ancien [2], que les critiques de L. Bobbio et A. Floridia remettent sur le métier. Elles rejoignent en effet un ensemble de remarques régulièrement faites à d’autres chercheurs qui ont en commun de replacer leurs travaux dans une sociologie critique de la démocratie participative. Ces critiques sont révélatrices de tensions structurantes et anciennes du champ académique dédié à la participation, et plus largement d’un désaccord d’ordre épistémologique devenu classique au sein de la sociologie et de la science politique [3]. Il y a là, nous semble-t-il, matière à un débat de fond ; c’est pourquoi nous sommes plusieurs à avoir souhaité réagir à leur réponse. Si l’on met de côté les critiques pour certaines hâtives sur la qualité de l’article, les auteurs reprochent à Julien O’Miel d’une part d’avoir laissé délibérément dans l’ombre le contenu et l’analyse du dispositif lui-même, pour mettre l’accent sur le rôle « intéressé » des acteurs à l’origine de la mise en œuvre de l’instrument ; et, d’autre part, d’avoir étudié les chercheurs, comme des entrepreneurs de la démocratie participative en mettant au jour leur rôle dans la promotion de la loi toscane, en insistant sur la façon dont cet engagement, loin d’être désintéressé, correspond à des logiques professionnelles, militantes et politiques dont les effets dépassent parfois la volonté des acteurs. Le désaccord porte donc sur l’objet d’étude et le rôle des scientifiques et des sciences de la participation. Aussi, après avoir clarifié les termes du débat, cet article discutera des rapports des sciences et des scientifiques de la participation à leur objet. Enfin, nous nous efforcerons de dégager quelques-unes des bonnes raisons que nous trouvons à faire une sociologie critique de la démocratie participative.
De la critique d’un auteur au débat épistémologique
5La première critique traduit un désaccord sur l’objet même de l’enquête. L’article de J. O’Miel, dans un dossier consacré aux circulations transnationales de l’ingénierie participative, s’appuie sur un travail méso-sociologique visant à éclairer les conditions de circulation d’un instrument d’action publique, en l’occurrence la loi régionale toscane sur la démocratie participative. Il n’a donc pas pour objet d’étudier la qualité démocratique du dispositif. Sans doute faut-il souligner ici que L. Bobbio et A. Floridia n’ont pas découvert les travaux de J. O’Miel à l’occasion de cet article, et que personne ne met en doute le fait que ce dernier disposait de la connaissance empirique lui permettant d’analyser le dispositif en lui-même [4]. La question que nous adressent L. Bobbio et A. Floridia est donc de savoir si l’on peut légitimement étudier la démocratie participative sans s’intéresser à la portée démocratique des dispositifs.
6Dans les travaux portant sur cet objet, on peut repérer, schématiquement, deux manières d’appréhender l’objet « participation ». Nous prenons le risque de styliser ces deux approches pour les présenter. Face à la multiplication des détours participatifs, des chercheurs ont tout d’abord appelé à ouvrir la boîte noire des dispositifs participatifs pour ne pas conclure trop hâtivement à la reproduction des rapports de domination (Blondiaux, Sintomer, 2002). Cette invitation a été largement suivie par une série de travaux en France qui dessinent la première approche de l’objet « démocratie participative ». Ces études sont toutefois loin d’être homogènes du fait des ancrages disciplinaires et de leurs rapports différenciés, notamment à la participation institutionnalisée. Elles ont en commun d’être centrées sur l’évaluation de la qualité démocratique des dispositifs et de leurs effets. Une originalité de ces recherches, parmi lesquels on peut largement inscrire les travaux de L. Bobbio (2010a, 2010b, 2011, 2013), réside dans la constitution d’un réseau scientifique fortement internationalisé sur les « democratic innovations » – terme explicite – particulièrement attentif à l’équipement procédural de la participation considéré comme une condition d’une participation démocratique. L’un des enjeux de ces recherches est dès lors d’analyser les effets des procédures sur la qualité de la démocratie. Les propos de L. Bobbio illustrent même une préférence donnée à une conception « procédurale » de la participation (c’est-à-dire qu’il y aurait une bonne participation lorsque les conditions d’une discussion éclairée et inclusive sont réunies) sur une approche « substantielle » (c’est-à-dire que la démocratie participative se définirait en fonction des objectifs politiques à laquelle elle permet de parvenir) :
« Les voies de la démocratie participative se doivent d’être à chaque fois réinventées, combinant approches, méthodologies, modèles existants en fonction du problème à affronter. » [5]
« Les procéduralistes, à leur tour, ne sont pas indifférents aux résultats. Ils expliquent que la participation peut générer de meilleures solutions, davantage en accord avec les besoins de l’ensemble des acteurs impliqués et diffuser un sentiment d’appartenance à la collectivité. Mais ils ne définissent pas l’authenticité de la participation par rapport aux résultats qu’elle produit. Une participation est bonne à partir du moment où les acteurs sociaux impliqués ont un moyen de s’exprimer, de s’informer, de compter – indépendamment des résultats concrets qu’elle produit. » [6]
9Cette focalisation sur les dispositifs est à ce point caractéristique des travaux engagés à partir des années 2000, que l’on a pu évoquer l’existence d’un « tropisme procédural » (Mazeaud, 2010), ou de « normalisation d’une approche normative » (Blatrix, 2012). En effet, ces travaux visent souvent à déconstruire les dispositifs sous toutes les coutures pour comprendre les configurations politico-institutionnelles favorisant leur implantation (Font et al., 2014), et en mesurer la portée et les limites en cherchant, bien souvent, les voies de leur amélioration. Contrairement à ce que pourrait laisser penser la citation de L. Bobbio ci-dessus, les chercheurs utilisant cette approche ne sont pas tous inconditionnellement optimistes quant à la portée démocratique des dispositifs. Certains éclairent la manière dont ils sont l’objet d’investissements différenciés et aléatoires de la part des citoyens auxquels ils s’adressent, pouvant conduire à la domestication du conflit ou au durcissement de la contestation (Talpin, 2016). Pour d’autres, les dispositifs participatifs reproduisent explicitement les inégalités et la domination, et alimentent une dé-démocratisation néolibérale (Leal, 2007). Ces diagnostics, parfois sévères, sont d’ailleurs partagés par celles et ceux qui ont tiré une expérience amère de leur participation aux dispositifs officiels, et pour qui les voies de réinvention de l’action démocratique (Chatterjee, 2009 ; Ancelovici et al., 2016) se tiennent souvent à distance raisonnable des laboratoires labellisés de l’expérimentation participative et/ou délibérative.
10La seconde approche, dans laquelle nous nous reconnaissons, est centrée sur l’étude des conditions institutionnelles de développement d’une ingénierie participative au sein des instances gouvernementales. Cette approche insiste sur la « circulation [des savoirs] entre des champs distincts (politique, bureaucratique, professionnel, académique), sur les interdépendances entre ces espaces et sur les effets de ces circulations sur les savoirs eux-mêmes » (Bezes, 2012, p. 18). On retrouve ici des travaux qui se sont intéressés aux entrepreneurs de la cause participative [7] et aux logiques politiques et institutionnelles de déploiement d’une offre de participation (Gourgues, 2012). Au sein de cette approche, on trouve également des chercheurs dont l’objet initial n’est pas la participation et qui se sont intéressés à l’ingénierie participative en la voyant s’imposer sur leurs terrains (tel est le cas notamment de Raphaëlle Parizet) [8]. Si nos enquêtes nous ont conduits à produire une analyse critique des dispositifs eux-mêmes, l’originalité de notre approche repose sur notre volonté de banaliser l’objet « démocratie participative », c’est-à-dire d’en faire un enjeu d’action publique comme un autre, pour l’analyser comme le produit de jeux politiques, administratifs, marchands et scientifiques qui sont parfois étrangers à l’amélioration de la démocratie. En d’autres termes, notre critique est d’abord une critique des catégories sociales qui fondent la mise en œuvre des dispositifs participatifs, une critique des manières routinisées d’aborder la démocratie participative. Or, nous construisons cette critique tant sur les catégories pensées par les professionnels qui conçoivent et animent les dispositifs, que chez les chercheurs qui les étudient. En discutant l’hypothèse d’une demande de participation à laquelle ces dispositifs sont censés répondre, ou d’un tournant intellectuel et pragmatique traduisant une mutation en profondeur des modalités de discussion et de décision collectives, nos travaux appellent à repositionner « l’apparition des agencements de dispositifs participatifs dans une histoire matérielle du gouvernement démocratique » (Gourgues, 2012, p. 6). Aussi, c’est le développement de la participation publique comme technologie de gouvernement et non pas sa qualité que nous analysons.
11C’est pourquoi nous étudions, dans une démarche compréhensive, tous les dispositifs et les pratiques que les acteurs labellisent comme participatifs, et ne limitons pas notre analyse aux seuls dispositifs « nobles » valorisés dans les travaux académiques ou les guides professionnels qui demeurent largement sur-étudiés par rapport aux formes plus ordinaires de participation publique (Bherer, 2011). Cette approche d’une « politique de l’offre » de participation conduit à nous intéresser aux acteurs qui sont derrière les procédures, les instruments qui composent cette histoire sociale de la participation publique [9] : elle met ainsi les « ingénieurs » de la participation (consultants, experts, universitaires, fonctionnaires spécialisés) au centre des processus de formalisation et de circulation d’une ingénierie participative. En effet, les logiques endogènes à cette « nébuleuse réformatrice » (Topalov, 1999), composée d’acteurs dont les logiques d’action relèvent de ressorts divers et variés (financiers, militants, professionnels, etc.), sont structurantes de l’institutionnalisation de la démocratie participative. Une telle analyse est relativement classique du point de vue de la sociologie de l’action publique. Pourtant, elle prendrait une tournure antidémocratique dans le cadre de la démocratie participative. Tel est du moins ce qui nous est reproché. Présenté ainsi brièvement, on comprend que s’expriment ici un désaccord sur les manières légitimes de travailler sur la participation, et surtout deux approches bien distinctes quant aux positionnements des observateurs de ces dispositifs. Aucune des deux approches ne peut revendiquer un monopole dans la manière d’appréhender cet objet. Si les approches coexistent relativement pacifiquement au sein des espaces scientifiques dédiés à la participation, elles n’en sont pas moins en tension permanente, comme en témoignent les débats que propose la revue Participations. Cette tension ne tient pas tant aux savoirs produits, qu’à leurs usages réels ou supposés.
12La seconde critique qui nous est adressée est à rapporter aux rôles sociaux des sciences et des scientifiques de la participation. L. Bobbio et A. Floridia croient pouvoir déduire de notre posture critique une posture à la fois désengagée de toute implication sur le terrain et agonistique. Ils contribuent ainsi à distinguer deux groupes de chercheurs de façon quelque peu manichéenne (Bobbio, Mele, 2015). D’un côté, des chercheurs engagés dans et pour la démocratie participative, qui acceptent de participer activement à l’innovation démocratique. De l’autre, des chercheurs « agonistiques » qui se draperaient dans une posture dénonciatrice pour critiquer la démocratie participative, sans réellement proposer de voies alternatives de démocratisation, et, pourrait-on ajouter, qui s’autoriseraient à prendre pour objet leurs collègues engagés. Les premiers chercheraient à convaincre que les expériences participatives servent le plus souvent la « démocratie vertueuse », malgré l’asymétrie des ressources et la divergence des intérêts des producteurs et des participants, qu’ils ne nient d’ailleurs pas toujours totalement. Il faudrait dès lors évacuer le programme de la sociologie critique et la problématisation en termes de « domination » et de « légitimation » lorsqu’elles s’appliquent à la « démocratie participative », car il constituerait autant d’affronts à la démocratie tout court. Toute sociologie critique serait-elle donc condamnée à être anti-démocratique [10] ?
13Au passage, observons une forme de parallélisme entre ce reproche et celui adressé par l’approche pragmatiste de la participation. Ainsi, pour Matthieu Berger (2015), en inscrivant la démocratie participative dans l’étude de la « gouvernementalité » (Gourgues, Rui, Topçu, 2013) et en montrant que les « pratiques participatives (indépendamment de leurs qualités intrinsèques) concourent à une “nouvelle” technologie de gouvernement » (Berger, 2015, p. 10), on finirait par en oublier… de les critiquer. La grande naïveté des chercheurs, les conduisant à « rédiger les modes d’emploi de “machines de participation” » (ibidem), et la distance qui les sépare des interactions concrètes à l’œuvre dans les dispositifs contribueraient à rendre acceptable l’ingénierie de la participation. Face à cette dégénérescence scientifique, seule l’approche pragmatiste, se tenant au plus près des acteurs, dans une vigilance ethno-méthodologique sans faille, pourrait sauver la compréhension de la participation.
14Les auteurs concernés par les critiques de M. Berger, proches de ceux visés par la position de L. Bobbio et A. Floridia, portent donc des tares contradictoires : tour à tour trop virulents et trop polis, critiques narquois puis serviles outilleurs, mais toujours trop loin des dispositifs et donc coupables d’une analyse impressionniste et surplombante. Quoique différentes – voire contradictoires –, ces deux analyses revendiquent le monopole d’être celles qui sont « au plus près » des processus observés et alimentent une partition binaire que nous contestons : d’un côté, les ethnologues et/ou praticiens de la participation, au plus près des dispositifs, seuls à même d’en saisir la complexité et les implications normatives ; et de l’autre, les macro-sociologues entretenant un rapport désincarné aux dispositifs, incapables d’assumer une véritable posture normative et se réfugiant dans ce qui est présenté comme une « science triste » (Tarragoni, 2016). Si nous refusons ce partage, c’est tout d’abord parce qu’il fait bon marché de notre réel engagement ethnographique et méconnaît la réalité des interventions sociales de certains d’entre nous. Plus largement, procéder à une distinction revient à ignorer l’ampleur de l’interdépendance des sciences et des politiques de la participation.
Savoirs et savants : des sciences de la participation en société
15Dans les critiques qui nous sont adressées, tout se passe comme si nous n’avions qu’une vision surplombante et désincarnée des processus que nous analysons. Or, l’observation ne se situe pas uniquement du côté de celles et ceux qui s’intéressent aux participants (habitants, citoyens ou associatifs), mais aussi de tous ces acteurs (fonctionnaires, consultants, élus) qui contribuent à les produire. Dans nos travaux, la critique se nourrit d’une observation située des dispositifs participatifs, des organisations qui les portent et des acteurs qui les mettent en œuvre. Comme notre approche met les « ingénieurs » de la participation (consultants, experts, universitaires, fonctionnaires spécialisés) au centre des processus de formalisation et de circulation d’une ingénierie participative, elle peut apparaître à ceux qui se reconnaissent dans cette catégorie comme une critique qui leur est adressée. Là n’est pas notre objectif. Même si nos travaux se sont toujours efforcés de resituer les logiques d’action de ces ingénieurs dans les configurations politiques et institutionnelles au sein desquelles elles se déploient, une telle approche court toujours le risque du prisme stratégiste. Du moins, il nous faut admettre qu’en centrant l’attention sur les rationalités non axiologiques des acteurs et sur les enjeux non démocratiques de l’action publique participative (professionnalisation et construction d’un marché de la démocratie participative, territorialisation et contractualisation croissante des politiques locales, austérité budgétaire, etc.), nos travaux peuvent être lus comme niant l’engagement politique des acteurs et relativisant à l’excès les caractéristiques des procédures participatives, faisant ainsi comme si tout se valait. Tel n’est pas pourtant pas notre propos, et ce dossier pourrait être complété par des travaux portant sur les seules procédures, ceux-ci risqueraient à leur tour de faire l’impasse sur le rôle des acteurs de la circulation.
16La dimension heuristique du dossier – du moins, nous l’espérons – repose sur le fait qu’il cherche à prendre en compte l’analyse des logiques institutionnelles explicatives du déploiement [11] de la participation, au-delà du discours routinier sur la nécessaire réponse participative à la crise de la démocratie représentative. En d’autres termes, ce ne sont pas uniquement les acteurs « ingénieurs » que nous étudions, mais également les autres facteurs qui ont un rôle dans la circulation. Si mettre par principe de côté le prisme démocratique peut nous conduire à pécher par excès, une telle posture a l’avantage de mettre au jour les dynamiques rendues invisibles par ce tropisme démocratique.
17À dire vrai, l’identification des usages stratégiques de la participation par ses entrepreneurs n’avait jamais suscité tant d’émoi [12]. Le problème ici est que parmi ces entrepreneurs figurent au premier plan des universitaires. Dans notre travail, il nous a toujours semblé crucial d’étudier le rôle des chercheurs parmi les entrepreneurs de la circulation, comme des ingénieurs parmi d’autres. En 2000, Cécile Blatrix s’intéressait aux « entrepreneurs de norme politique » pour montrer la façon dont des militants écologistes ont pu contribuer à l’institutionnalisation de la participation, réflexion qu’elle a ensuite élargie à d’autres champs de l’expertise académique (Blatrix, 2012). Dans son travail de thèse, M. Nonjon soulignait l’importance du rôle joué dans les années 1970 par des chercheurs militants souvent hors statut qui ont été les premiers à produire une expertise participative et à s’y professionnaliser (2006). Plus récemment dans leurs travaux de thèse, G. Gourgues (2010), A. Mazeaud (2010) et J. O’Miel (2015) ont chacun identifié des chercheurs qui ont conseillé les élus et les agents étudiés pour la mise en œuvre de politiques participatives au sein de régions françaises et étrangères. Enfin, dans le dossier de Participations consacré au tournant participatif mondial, la plupart des auteurs pointent le rôle des chercheurs dans la circulation. C’est notamment le cas du travail de R. Parizet (2016) sur la promotion de la rhétorique participative populaire au sein des organisations internationales menée par des chercheurs, économistes et anthropologues, issus du monde académique, et celui d’Osmany Porto de Oliveira (2016) sur les ambassadeurs du budget participatif, presque tous universitaires.
18Les chercheurs sont indéniablement des acteurs à part entière de l’institutionnalisation de la participation [13]. L’autonomisation d’un champ académique dédié à la participation n’a pas fait disparaître les formes multiples de coopération, de coproduction des savoirs que l’on retrouve depuis longtemps dans la recherche-action. Au contraire, le champ de la participation est peuplé d’êtres hybrides, de chercheurs engagés et d’acteurs réflexifs. Le fait que la « participation institutionnalisée » contribue à produire des espaces possibles de reclassement pour les chercheurs en sciences humaines et sociales ne doit pas non plus être ignoré, tant il constitue l’une des facettes de la co-construction des savoirs participatifs entre science de la participation et politique de la participation. Même si les sciences et les politiques de la participation présentent un fort niveau d’interdépendance, l’absence d’autonomie des sciences de la participation par rapport aux espaces politiques, militants et professionnels n’est pas spécifique à la participation. C’est là un acquis de longue date de la sociologie des sciences : aucune science, même la plus « dure », ne peut se prévaloir d’une autonomie totale vis-à-vis du monde social (Martin, 2006 ; Emprin, 2014), et c’est encore plus vrai pour les Sciences Humaines et Sociales. On comprend ici qu’une difficulté de la sociologie des sciences de la participation tient à ce qu’elle se réalise de façon endogène. Les sciences de la participation ne sont pas prises pour objet par des sociologues des sciences : elles sont prises pour objet par des spécialistes de la participation. Une telle analyse peut s’opérer dans un exercice de réflexivité [14] (Lavelle, Lefebvre, Revel, 2017). Mais elle peut aussi être réalisée sans prétendre faire une sociologie des sciences de la participation, sur la base d’une analyse du rôle des savants et des savoirs participatifs dans le processus d’institutionnalisation de la démocratie participative. Si nous avons fait des chercheurs des objets d’étude, c’est parce que nos terrains nous y ont conduits. Il est impossible de comprendre la circulation et l’institutionnalisation de la démocratie participative sans insister sur leur rôle dans les opérations de mise en forme savante. En considérant les chercheurs comme des ingénieurs comme les autres, nous ne nions pas la spécificité des savoirs académiques, mais nous cherchons à analyser les usages de ces savoirs académiques par les administrations, les entreprises ou les mouvements associatifs. Les catégories indigènes de la démocratie participative sont au moins pour partie des catégories savantes ; les « savoirs citoyens » sont ici emblématiques (Nez, Sintomer, 2013). Ce que nous cherchons à mettre en évidence, c’est que les savoirs participatifs sont autant des savoirs de gouvernement (voir Ihl et al., 2003, p. 5) que de leur critique :
« Aussi la revendication d’une posture résolument critique, distanciée et démystificatrice, n’empêche-t-elle en rien les chercheurs de se mêler des débats sur les “bonnes” procédures ; elle n’empêche pas non plus les sociologues les plus critiques de contribuer à la mise en œuvre de dispositifs participatifs, en assurant les rôles de garants, de formateurs ou encore d’évaluateurs ».
20En effet, même si nous nous efforçons de prendre de la distance avec les catégories intellectuelles de la démocratie participative, nous ne nous drapons pas dans une introuvable « neutralité axiologique » pour nous tenir à distance des processus participatifs, puisque nous sommes tous plus ou moins « embarqués » par cet objet (Alam, Gurruchaga, O’Miel, 2012). Nous avons pu être engagés dans nos terrains en nous « mettant à l’école de nos enquêtés » (Cefai, 2010), afin d’ethnographier les milieux professionnels de la participation. Il est également arrivé que nous soyons engagés par nos terrains, auxquels nous avons dû rendre des comptes en participant à l’évaluation des dispositifs et en assurant une posture normative (Alam, Gurruchaga, O’Miel, 2012, p. 156) : J. O’Miel a réalisé sa thèse dans le cadre d’une convention CIFRE où il était rémunéré par la Région Nord–Pas-de-Calais ; A. Mazeaud a été en situation d’évaluer des politiques participatives pour le compte de la Région Poitou-Charentes qui a financé son allocation de thèse ; G. Gourgues a été stagiaire à la Région Rhône-Alpes pendant son doctorat et a lui aussi évalué des politiques participatives ou tenu le rôle de garant. Nous nous sommes également engagés à divers titres dans la construction de cet espace professionnel. À ce titre, chacun d’entre nous a pu contribuer à la formalisation de formations spécialisées : M. Nonjon a participé à la création d’un master 2 spécialisé à l’Université de Lille ; J. O’Miel a enseigné par la suite dans la même formation universitaire, puis dans le cadre de la formation continue ; A. Mazeaud et G. Gourgues ont également participé à ce type de formation à l’attention de fonctionnaires, d’élus ou de militants associatifs.
21À toutes ces formes d’engagement sont associées diverses rétributions symboliques et matérielles – opportunité d’accès à des terrains [15], production d’expertise permettant d’asseoir sa position académique au sein de l’université, rétributions financières. Le degré d’engagement ethnographique – de l’observation participante à l’immersion dans le cadre d’une CIFRE – varie fortement selon les chercheurs, les temporalités et les terrains de recherche. Lorsque la présence sur et dans le terrain a été la plus importante, comme dans le cas de J. O’Miel, il s’est d’ailleurs traduit par une réflexion sur les effets qu’il a pu produire sur ses propres terrains [16]. Ainsi, réduire notre posture critique aux bénéfices moraux d’une indignation à bon compte est tout aussi erroné que prétendre que les entrepreneurs des democratic innovations sont purement stratégistes et producteurs d’un savoir de moindre valeur scientifique mais à forte valeur ajoutée financière, ce que nous n’avons jamais dit, ni écrit, dans aucune de nos publications. Si nous sommes des sociologues « critiques », c’est en partie parce que nos enquêtes nous y conduisent. Comme tout sujet, nos présupposés normatifs se nourrissent de nos enquêtes de terrain, nos engagements précèdent tout autant qu’ils découlent de nos propres recherches (Naudier, Simonet, 2011).
Quelles critiques utiles de la démocratie participative ?
22La sociologie critique de la démocratie participative telle que nous la pratiquons présente selon nous une double utilité. La première est de fournir un examen minutieux et circonstancié des processus à l’œuvre, des coulisses et des trajectoires des acteurs que nous observons. Cet effort nous rapproche de ceux qui se positionnent comme nos adversaires, plus qu’il nous éloigne d’eux. L’objectif de cette démarche n’est pas exclusivement « scientifique », au sens de l’accumulation illimitée de savoirs, mais présente également une dimension normative et une forme d’engagement que nous tenons à assumer. Sans chercher à faire école, nous nous reconnaissons dans une sociologie critique qui cherche à décrire et à expliquer le monde social. Or, en matière de démocratie, toute description est en même temps affaire de prescription (Bourdieu, 1981). C’est donc en conscience que nous nous engageons dans l’identification de dysfonctionnements ou de pathologies dans la société, pour, éventuellement, intervenir sur la réalité sociale afin de la transformer : « transformer le monde, c’est-à-dire [de] lier théorie et pratique » (De Munck, 2011) [17].
23Nos travaux cherchent à analyser la démocratie participative telle qu’elle est, à en éclairer les logiques institutionnelles et les effets pervers ou inattendus. Cette charge critique peut permettre aux entrepreneurs de participation d’ajuster leurs actions – ce que nous reproche donc Matthieu Berger. Ainsi, A. Mazeaud (2011) a mis au jour les effets anti-redistributifs du budget participatif des lycées, contribuant ainsi directement à sa réforme. De la même manière, les outils analytiques, certes descriptifs et généraux, proposés par G. Gourgues dans son ouvrage Les politiques de démocratie participative (2013) visent à offrir aux participants autant qu’aux organisateurs des idéaux-types permettant de décrypter le type de participation à l’œuvre et de le rapporter à d’autres types existants/souhaitables. J. O’Miel interroge les effets de la sectorisation de la participation publique sur le travail des cadres intermédiaires des collectivités territoriales pour en dessiner les contraintes. Libre à eux, ensuite, de fonder un jugement politique sur les dispositifs à partir de la compréhension qu’ils pourront en avoir.
24Plus largement, nous nous efforçons de replacer le déploiement de ces exercices participatifs dans des processus gouvernementaux plus vastes, ce qui nous conduit le plus souvent à relativiser leur plus-value démocratique. Souligner que les dispositifs participatifs circulent alors même que « leur développement indéniable est contrecarré par des tendances contraires dans le policy-making » (Papadopoulos, 2013, p. 156), qu’ils entretiennent une relation floue à une « demande sociale » difficile à saisir et que l’état général du fonctionnement démocratique des sociétés se dégrade (Crouch, 2013 ; Streeck, Schafer, 2013) ne nous semble pas une posture dénuée de tout engagement. Certes, nous partageons l’idée selon laquelle la participation « n’est pas uniquement une excroissance de la pensée néolibérale » (Ganuza, Baiocchi, Summers, 2016, p. 8). Toutefois, plutôt que de considérer a priori les dispositifs participatifs comme des « petits pas » imparfaits vers la reconnaissance d’une norme participative et d’une conversion des puissances politiques et financières à un idéal démocratique, nos travaux rappellent que la participation institutionnalisée peut a contrario ne pas améliorer la vigueur démocratique d’une société. En effet, elle ne remet in fine que faiblement en cause la confiscation du politique par des élites professionnalisées et l’influence grandissante d’agents non élus (Wolin, 2008 ; Fontan, 2013), ou encore elle conforte l’ancrage social de régimes autoritaires (Allal, 2016 ; Bergh, 2016). Tout comme nos détracteurs, nous revendiquons une utilité politique à nos propres travaux, mais ne considérons pas que celle-ci doive se fonder sur la formulation de propositions visant à améliorer la démocratie à travers sa sophistication procédurale. Selon nous, l’utilité politique et sociale de nos travaux ne doit pas être évaluée à l’aune de l’absence de propositions normatives qu’ils contiennent. Cette utilité repose d’abord, et avant tout, sur la mise au jour du caractère gouvernemental de la participation publique. Rappeler sans cesse que la démocratie participative, et surtout sa composante la plus institutionnelle particulièrement étudiée dans le dossier visé [18] – la participation publique –, donne le change plus qu’elle ne change la donne. D’ailleurs en cela, nous rejoignons la critique de ceux qui, au plus près des dispositifs, s’inquiètent de ce que le déploiement de cette ingénierie participative contribue à légitimer les inégalités (Lee, 2014 ; Parizet, 2015), exerçant des effets de domination d’autant plus puissants qu’ils sont légitimés par la participation de ceux qui les subissent. La contribution est sans doute modeste. Et l’on pourra nous reprocher que la critique est facile, sans aucun doute plus facile que de proposer des alternatives politiques. Déconstruire le mythe de la solution participative aux problèmes de la démocratie, alerter sur le fétichisme procédural et la rationalité managériale de la démocratie participative ne dessinent pas les contours d’une solution politique, ni même ne figurent un horizon plus démocratique. Pourtant, un tel travail nous semble utile. Plus encore, et au risque de l’immodestie, cela nous semble particulièrement salutaire.
25Cette sociologie critique n’aurait en effet qu’une utilité relative si elle ne visait qu’à dénoncer la démocratie participative et ses entrepreneurs : ceux que Caroline Lee dans le contexte nord-américain qualifie d’« évangélistes de la procédure » (Lee, 2014). Elle est en revanche éminemment utile lorsqu’elle vise à mettre en discussion les notions, les catégories de pensées qui à force d’être répétées et mobilisées finissent par être naturalisées, répondant en cela à l’objectif général de « fournir au débat démocratique quelques propositions scientifiquement élaborées sur le fonctionnement réel des relations sociales » (Lagroye, 2006). Or, compte tenu de l’interdépendance entre les « sciences » et les « politiques » de la participation, interroger les catégories socialement et scientifiquement construites et légitimées au cœur de cette rhétorique conduit indirectement à interroger les usages des travaux scientifiques, ce qui peut en effet être désagréable pour certains lecteurs et certains acteurs. Il nous faut reconnaître que le trait est parfois grossi, prenant systématiquement le contre-pied des catégories indigènes (offre de participation vs demande sociale de participation, marché vs croyance en la démocratie participative, gouvernementalité vs émancipation, etc.), mais peut-être est-ce là un mal nécessaire en raison du fort risque d’endogamie :
« La démocratie délibérative s’est transformée de plus en plus en une affaire de spécialistes : qu’il s’agisse de professionnels rémunérés pour faciliter le dialogue dans les forums, ou de chercheurs ayant parfois construit toute leur carrière sur ce seul sujet. Dès lors, l’une des préoccupations majeures est devenue la défense de ses positions d’attaques en provenance de son propre camp, ou d’intrusions extérieures. L’orthodoxie l’emporte sur l’innovation ».
27L’utilité de cette critique repose sur le fait qu’elle renforce le dialogue entre les recherches spécialisées sur la participation et des travaux de sociologie de l’action publique extérieurs au champ de la démocratie participative (on pense notamment aux travaux sur les politiques urbaines et les circulations transnationales des modèles urbains), ce qui constituait d’ailleurs l’enjeu central du dossier sur le « tournant participatif mondial ». D’abord, l’attention accordée aux phénomènes circulatoires et à la standardisation nous permet de souligner que la mise en œuvre de ces politiques résulte moins de l’existence d’une offre politique ou idéologique que d’un « jeu des bonnes pratiques » exacerbé par des concurrences entre autorités locales dans un contexte où les coalitions luttent pour leur réputation internationale et l’attraction du capital (Béal, Pinson, Epstein, 2015). La disponibilité des outils – prenant parfois la forme d’une « participation en kit » (Bonaccorsi, Nonjon, 2012) – et la possibilité de conquérir des trophées valorisables dans la compétition entre les territoires sont des variables explicatives de la circulation et la mise en œuvre de dispositifs. Ainsi, le déploiement d’une offre de participation tient-il, au moins pour partie, de routines administratives et professionnelles dans lesquelles la démocratie n’est tout au plus qu’une justification de leur existence. Ainsi, même lorsque la mise en œuvre de dispositifs participatifs ne vise pas, explicitement ou implicitement, une logique managériale, celle-ci est pour partie absorbée par le nouveau management public – ce que montrent les impératifs de quantification des participants, de monstration de la participation ou l’emprise du thème de la modernisation de l’action publique. En ce sens, prendre de la distance avec le prisme démocratique pour faire dialoguer les travaux sur la démocratie participative avec d’autres recherches sur l’action publique permet de faire porter l’attention sur des phénomènes structurels auxquels l’institutionnalisation de la démocratie participative contribue, plus qu’elle n’en constitue une alternative. En ce sens, les politiques participatives sont révélatrices d’un phénomène de réduction de la politique aux procédures supposées l’incarner, phénomène largement lié à l’emprise des savoirs gestionnaires et managériaux (Hibou, 2015 ; Brown, 2016).
28In fine, critiquer la démocratie participative, l’étudier empiriquement pour donner à voir et donner du sens aux dysfonctionnements de la démocratie (participative), c’est s’indigner sur l’état de la société et tenter d’intervenir par la raison intellectuelle pour le transformer. L’utilité sociale des sciences de la participation ne se réduit donc pas à se tenir aux côtés des commanditaires et des professionnels sur le terrain « pour étayer le pouvoir », et cela contrairement à ce que semblent penser L. Bobbio et Florida (Bobbio, Floridia, 2016, p. 252). Les sciences sociales de la participation sont aussi utiles lorsqu’elles développent une sociologie critique, comme le rappellent les mots de Jacques Lagroye (2006) énonçant une posture que nous défendons :
« Il faut préciser ici ce qui fait l’objet de la critique dans un travail sociologique. Est-ce l’“état de la société”, dont tel ou tel chercheur peut être insatisfait ou indigné ? Dans ce cas, la “sociologie critique” peut, à bon droit, indisposer certains lecteurs ; elle n’en est pas moins susceptible de mettre au jour des processus importants, de faire apparaître des rapports de force méconnus, voire de révéler la part de “mauvaise foi” dans les propos des acteurs. Mais il est vrai qu’elle perd toute force – et toute crédibilité scientifique – si elle s’apparente à une entreprise systématique de dénonciation. Tout différemment, le terme “sociologie critique” désigne parfois la préoccupation de remettre constamment en question la validité et la fécondité scientifique de schémas d’analyse, de notions, de cadres d’interprétation (explicitement ou implicitement mobilisés dans les recherches). Il suffit qu’un auteur réfute une “idée reçue” ou, mieux, une “façon routinisée d’aborder les problèmes”, pour qu’il soit aussitôt tenu par d’autres pour un “sociologue critique” nécessairement inspiré par ses “préjugés”. »
30Nous nous réjouissons de voir que des controverses émergent, que des points de vue s’affrontent, car tous contribuent à un débat de fond concernant un enjeu qui, lui, nous dépasse et nous rassemble : réaffirmer la démocratie comme principe fondateur et moteur de nos sociétés et accompagner, par le débat d’idées et la critique, celles et ceux qui s’engagent dans des tentatives plus ou moins « domestiquées » de sortir de « l’hiver démocratique » (Hermet, 2007) dans lequel nous nous trouvons.
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- Tarragoni F., 2016, « Du rapport de la subjectivation politique au monde social. Les raisons d’une mésentente entre sociologie et philosophie politique », Raisons politiques, 62 (2), p. 115-130.
- Topalov C. (dir.), 1999, Laboratoires du nouveau siècle. La nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France 1880-1914, Paris, Éditions de l’EHESS.
- Wolin S., 2008, Democracy Incorporated: Managed Democracy and the Specter of Inverted Totalitarianism, Princeton/Oxford, Princeton University Press.
Notes
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[1]
Toutes proportions gardées, la controverse entre Pierre Birnbaum et Pierre Clastres dans la Revue française de science politique, au moment de la publication de La société contre l’État (Clastres, 1974), engageait plus que des arguments scientifiques. Pierre Clastres réagit ainsi à la lecture critique de Birnbaum : « Plutôt donc qu’à en dégager les aspects comiques, et sans trop m’attarder devant la conjonction, apparemment inévitable chez certains, entre l’assurance dans le ton et le flou dans les idées, je tenterai de cerner peu à peu le lieu “théorique” à partir duquel Pierre Birnbaum a produit son texte » (Clastres, 1977, p. 22).
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[2]
Ce point permet de rappeler que le caractère récent de la participation est discutable, voir l’ouvrage de Marie-Hélène Bacqué et Yves Sintomer (2011), ainsi que le numéro de la revue Participations dédiée à cette problématique (2012/2, no 3).
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[3]
Les controverses scientifiques mettant en jeu des désaccords d’ordre épistémologique et méthodologique jalonnent l’histoire de la science politique. Plusieurs auteurs et travaux que l’on rassemble ici autour du label « sociologie critique » ont pu faire l’objet de critiques. On peut évoquer ici les échanges entre Jean Baudouin (1994) et Daniel Gaxie (1994) à propos de l’ouvrage de ce dernier La démocratie représentative (1993), ou encore ceux de Philippe de Lara (1997) et Philippe Corcuff (1999) au sujet de son livre Les nouvelles sociologies (Corcuff, 1995), ou encore la critique de Jacques Lagroye (2006) à la suite de la publication par Pierre Favre de l’ouvrage Comprendre le monde pour le changer (2005).
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[4]
Ce travail est une partie de la thèse de J. O’Miel consacrée à la comparaison des politiques participatives des régions Toscane et Nord–Pas-de-Calais (O’Miel, 2015).
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[5]
« Le vie della democrazia partecipativa vanno reinventate ogni volta, combinando approcci, metodologie o modelli esistenti, a seconda della questione che si vuole affrontare » (Bobbio, 2006, p. 21-22, nous traduisons).
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[6]
« I proceduralisti, a loro volta, non sono indifferenti agli esiti. Ritengono che la partecipazione possa generare soluzioni migliori, più in sintonia con i bisogni di tutti i soggetti coinvolti e a diffondere il senso di appartenenza alla collettività. Ma non definiscono l’autenticità della partecipazione in base ai risultati che consegue. Una partecipazione è buona se tutti i soggetti sociali coinvolti hanno avuto modo di esprimersi, di informarsi e di contare – indipendentemente dai risultati concreti che essa consegue » (ibid., p. 13, nous traduisons).
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[7]
Voir les travaux de Marion Paoletti (1997), Cécile Blatrix (2000), Magali Nonjon (2006), Guillaume Gourgues (2010), Alice Mazeaud (2010) et Julien O’Miel (2015).
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[8]
On peut évoquer entre autres les travaux de Rémi Lefebvre sur les partis politiques (2011) ou sur le métier d’élu local (avec Le Bart, 2015), les travaux de Philippe Aldrin et Nicolas Hubé sur l’Union européenne (2011) ou encore les travaux de Raphaëlle Parizet (2015) sur la participation des populations indiennes au Mexique ou d’Amin Allal (2013) sur la participation en régime autoritaire.
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[9]
Dans le sens d’une histoire longue des savoirs de gouvernement (Payre, Vanneuville, 2003).
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[10]
Cette critique est en effet récurrente chez les contempteurs de la sociologie critique. On peut évoquer ici les critiques adressées par Alain Lancelot aux travaux de Pierre Bourdieu sur les sondages (Lancelot, 1984) ou encore celles adressées par Jean Baudouin (1994) à Daniel Gaxie à la sortie de son ouvrage La démocratie représentative (1993).
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[11]
Elle permet ainsi d’élargir le spectre à d’autres facteurs que la « crise de la démocratie » : développement d’un marché de la participation, professionnalisation de la démocratie participative, circulation des savoirs savants.
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[12]
Pour ne prendre qu’un exemple déjà ancien, J. Font écrivait ceci : « For most local actors, citizen participation is not their first priority. It is a new possibility they can be used to achieve their main objective, be it to win a local election, to build a more sustainable city or to improve a given neighborhood. […] the reaction of any local actor towards citizen participation will represent a combination of beliefs and instrumental motivations » (Font, 2003).
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[13]
C’est ce dont témoignent l’introduction de L. Blondiaux et M. Fourniau dans le premier numéro de Participations en 2011, ou plus récemment l’organisation d’un colloque acteurs/chercheurs dont vient d’être tiré un dossier publié dans cette même revue (2016/3).
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[14]
C’était du reste l’objet même du colloque acteurs/chercheurs mentionné ci-dessus.
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[15]
En 2016, Alice Mazeaud et Guillaume Gourgues ont été associés à la conduite d’une conférence de citoyens par le Service général à la modernisation de l’action publique, et ont participé à l’évaluation de plusieurs initiatives participatives étatiques pilotées par ce service.
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[16]
L’invitation à « objectiver le[s] sujet[s] de l’objectivation » (Bourdieu, 2001) avait d’ailleurs été clairement formulée dans le numéro 1 de la revue Participations : « Comment rendre compte d’autre part de l’omniprésence des chercheurs en sciences sociales dans les dispositifs eux-mêmes, que ce soit pour les concevoir, les animer, les observer, les évaluer ou les légitimer ? Comme si, derrière chaque dispositif, se cachait un sociologue… » (Blondiaux, Fourniau, 2011, p. 17). J. O’Miel restitue d’ailleurs dans sa thèse ses propres positions sur le terrain et la manière dont les réactions qu’elles suscitent contribuent à lui ouvrir des opportunités d’enquête et des pistes de réflexion.
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[17]
Nous nous reconnaissons ici dans les propos de Pierre Bourdieu lorsqu’il explique que « la science est vouée à exercer un effet de théorie, mais d’une forme tout à fait particulière : en manifestant dans un discours cohérent et empiriquement validé ce qui était jusque-là ignoré, c’est-à-dire selon les cas, implicite ou refoulé, elle transforme la représentation du monde social et, du même coup, le monde social, dans la mesure au moins où elle rend possible des pratiques conformes à cette représentation transformée » (Bourdieu, 1981, p. 72).
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[18]
Nous avons tout à fait conscience que le dossier concerné par ce débat réunit des expériences participatives institutionnalisées et observe peu d’expériences participatives « par le bas » étudiées dans d’autres travaux comme ceux de Julien Talpin (2016).