Notes
-
[1]
Des travaux ont toutefois pointé l’illusion de la nouveauté absolue en la matière (Bacqué, Sintomer, 2011).
-
[2]
S’il est impossible de les recenser ici de manière exhaustive, le constat est encore plus vrai dans les monographies.
-
[3]
Les articles sont issus d’une journée d’étude « Un tournant participatif mondial ? Les circulations internationales de l’ingénierie participative » organisée en janvier 2015 à l’IEP d’Aix-en-Provence, grâce au soutien du CHERPA et du GIS Participation, décision et démocratie participative.
-
[4]
Sans pouvoir l’analyser précisément ici, notons que le prisme démocratique de la participation est si puissant que la participation est pensée comme synonyme de démocratisation, et cela même dans des contextes autoritaires. Pour une discussion sur ce point à partir de l’analyse de la diffusion des sondages délibératifs en Chine, voir Charon (2010).
-
[5]
Les processus circulatoires font l’objet de nombreux séminaires de recherche ou journées d’étude, comme la journée d’étude « La mobilité des élites : reconversions et circulation internationale. Bilans et réflexions sur les possibilités de recherches comparatives Nord – Sud et Est – Ouest », organisée par le Réseau Acteurs Émergents (janvier 2009) ; le séminaire de recherche « Transferts, circulations, acteurs de l’international » (2009-2010) du programme Polilexes-DEJUGE du Centre de recherches politiques de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ; le colloque « Droit et politique : la circulation internationale des modèles en question(s) », organisé par le Cerdhap (mars 2012) ; le colloque « Les sciences de gouvernement, Circulation(s), Traduction(s), Réception(s) », organisé par le laboratoire Triangle (décembre 2010) ; la journée d’étude « Repenser les phénomènes circulatoires », organisée à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (septembre 2012).
-
[6]
Pour des questions de lisibilité, nous ne reproduirons pas les guillemets dans la suite de cet article, même s’il s’agit bien d’une catégorie produite par les acteurs que nous discutons dans l’article.
-
[7]
Dans les sens que nous avons identifiés au début de cet article.
-
[8]
Selon eux, les constructivistes mettent l’accent sur le rôle des experts et des communautés épistémiques dans la production de « normes » internationales. Les analyses en termes de coercition mettent l’accent sur le caractère vertical et inégalitaire de la circulation – les acteurs les plus puissants parvenant à imposer des politiques de façon plus ou moins subtile. Les analyses en termes de compétition insistent sur les effets d’émulation entre des acteurs désireux d’améliorer leur attractivité et leur compétitivité. Enfin, selon les auteurs, les approches en termes d’apprentissage soulignent les changements de croyance et de pratiques liés à ce que les acteurs apprennent de leurs propres expériences ou de celles des autres.
-
[9]
Sur ce point, les contributions suivent l’invitation faite par Simmons, Dobbin et Garret pour qui non seulement les acteurs en capacité d’exercer cette coercition doivent être identifiés, mais aussi les supports et les réseaux par lesquels ces derniers promeuvent un dispositif (2006, p. 791).
-
[10]
Elles sont envisagées ici comme autant de « formulations doctrinales et [des] revendications de scientificité dont s’est continûment enorgueillie la conduite du pouvoir bureaucratique » (Ihl, Kaluszynski, 2002, p. 233).
-
[11]
Nous rejoignons l’analyse d’Andrea Cornwall et de Karen Brock qui montrent que la participation « confère une légitimité » aux acteurs institutionnels (2005, p. 1044) : ce ressort explicatif permet de comprendre la construction d’un mot d’ordre qui légitime les interventions des organisations internationales, notamment dans le champ du développement participatif ; toutefois, nous ne considérons pas que ce ressort ne permet pas à lui seul d’expliquer l’adhésion et l’appropriation des acteurs nationaux et locaux à cette norme participative.
-
[12]
Pour des questions de lisibilité, nous ne reproduirons pas les guillemets dans la suite de cet article, même s’il s’agit bien d’une catégorie produite par les acteurs et donc d’un discours à déconstruire.
-
[13]
On peut faire ici appel aux travaux qui portent sur la recomposition de l’action et du rôle de l’État dans ce même sens, voir entre autres Hibou (2012) et Esptein (2012).
-
[14]
Ce néologisme managérial issu de la contraction des termes de coopération et de compétition a progressivement envahi le champ des politiques publiques. Il désigne la congruence de deux dynamiques a priori contradictoires : le développement de stratégies de coopération entre des acteurs en concurrence (Brandenburger, Nalebuff, 1996).
-
[15]
Nous reprenons ici l’expression et le sens de l’analyse de Françoise Navez-Bouchanine et Licia Valladares (2007).
-
[16]
Un référentiel, rappelons-le, « est constitué d’un ensemble de prescriptions qui donnent sens à un programme d’action publique en définissant des critères de choix et des modes de désignation des objectifs. Il s’agit à la fois d’un processus cognitif fondant un diagnostic et permettant de comprendre le réel (en limitant sa complexité) et d’un processus prescriptif permettant d’agir sur le réel » (Muller, 1990, p. 62).
1L’émergence plus ou moins simultanée [1] d’une multitude de pratiques participatives à travers le monde est un constat largement admis et partagé. Cette émergence reste pourtant une énigme. Comment expliquer le succès des projets de développement communautaire, ou encore des diagnostics participatifs ruraux, tout à la fois en Amérique latine, en Afrique ou en Asie du Sud-Est ? Comment comprendre qu’il y ait des budgets participatifs à Porto Alegre, dans les mairies de quartiers parisiens, dans des villes chinoises ou polonaises ? Comment expliquer que dans des contextes aussi variés apparaissent en même temps des dispositifs participatifs plus ou moins standardisés ? Des travaux, notamment des ouvrages collectifs, se sont confrontés à cette diversité. Pour gérer la tension « entre la multiplicité presque sans limites des cas concrets et une désignation purement générique qui gommerait au contraire les lignes de tensions entre diverses dynamiques » (Bacqué et al., 2005, p. 14), ils ont opté pour une approche typologique (Fung, Wright, 2003 ; Bacqué et al., 2005 ; Smith, 2005, 2009) ou au contraire plus compréhensive des « catégories de pensée vernaculaires des cultures participatives » (Neveu, 2007). Ces travaux ont ainsi permis de bien documenter la diversité des pratiques mais également des significations que revêt la participation dans le monde.
2Pour expliquer l’émergence des dispositifs participatifs, deux causes sont généralement avancées. La première est une explication structurelle. Les transformations politiques (crises des démocraties représentatives), socio-économiques et culturelles (affirmation du néolibéralisme, nouveaux rapports aux sciences et aux savoirs, effets de la mondialisation contemporaine), institutionnelles (affirmation des pouvoirs locaux et d’une action publique multi-niveaux) nourriraient une demande sociale de participation exprimée sous des formes variées et motiveraient des expérimentations participatives conduites principalement à l’échelle locale. Ainsi que le souligne Catherine Neveu (2007, p. 17), « plutôt que de la considérer comme une “norme”, aborder la démocratie participative par ses pratiques permet d’appréhender en quoi elle constitue sinon une solution, au moins une forme de réponse pratique à un certain nombre de transformations et d’enjeux politiques contemporains et ce tant du point de vue des institutions internationales que des États et des mouvements sociaux ».
3La seconde explication met au contraire l’accent sur la « configuration internationale » et les réseaux concrets qui font circuler les discours et les pratiques à travers le monde. Or, si la plupart des travaux donnent à voir le rôle joué par des organisations internationales et un certain nombre d’acteurs transnationaux dans la mise en œuvre des expériences participatives, ces circulations sont, à l’exception notable de l’ouvrage collectif dirigé par Marie-Hélène Bacqué et Yves Sintomer (2010), rarement l’objet même de l’analyse. Dans la plupart des travaux, la dimension mondiale du phénomène participatif sert souvent de contextualisation préalable à des analyses localisées [2], le plus souvent orientées vers l’analyse des effets démocratiques (Nepal, 2002 ; Dryzek, Tucker, 2008 ; Newton, Geissel, 2011 ; Sintomer et al., 2013 ; Geissel, Joas, 2013). Enfin, lorsque les circulations sont étudiées, l’analyse est généralement centrée sur un dispositif et vise à évaluer la conformité des dispositifs par rapport à un modèle d’origine ; le budget participatif en est l’exemple typique (Röcke, 2009 ; Wampler, Hartz-Karp, 2010 ; Sintomer et al., 2008, 2013 ; Ganuzza, Baiocchi, 2012).
4Ce dossier a pour objectif d’informer ces circulations transnationales de ce que nous appelons l’ingénierie participative. Face à cette mosaïque d’expériences participatives, nous ne partons pas d’une définition a priori de ce qu’est la participation, mais ne prétendons pas non plus embrasser l’ensemble des pratiques participatives. Le dossier, et c’est là autant un choix éditorial qu’un résultat de l’appel à communications [3], est centré sur l’un des aspects les plus saillants du « tournant participatif » contemporain, à savoir l’émergence de politiques participatives portées plus ou moins directement par les autorités publiques (Gourgues, 2012). Cette entrée spécifique explique l’absence de travaux sur la transnationalisation des mouvements sociaux et la circulation de formes participatives plus contestataires dont le rôle n’est pourtant pas à négliger (voir par exemple, le numéro récent de Mouvements sur le Community organizing où d’importants développements sont consacrés à la circulation, Balazard et al., 2016).
5Afin d’éviter le « tropisme normatif et procédural » des travaux sur les dispositifs participatifs (Mazeaud, 2010), nous mobilisons la notion d’ingénierie participative, entendue comme regroupant tout à la fois les ingénieurs (acteurs et promoteurs), la machinerie (outils, dispositifs, savoir-faire, etc.) et les idées qui sont portées par ces ingénieurs via ces machineries. D’une part, cela nous permet de prendre de la distance avec le présupposé démocratique de la participation [4]. Dans la continuité des travaux ayant procédé à une sociologie de l’offre participative (Gourgues, 2012), cette entrée nous conduit à analyser la façon dont ces circulations transnationales répondent au moins autant à des logiques endogènes aux jeux politique, administratif et marchand qu’à une demande de participation et aux transformations des démocraties contemporaines. En effet, envisager la participation comme une offre largement déconnectée de toute demande sociale permet notamment de dissocier la question de la circulation des dispositifs de celle de la croyance des acteurs ou des « problèmes » sociaux à laquelle cette offre prétend répondre. D’autre part, la notion d’ingénierie participative nous permet de déplacer le regard des dispositifs vers les acteurs qui les font vivre et circuler. Puisque les enquêtes sont ici essentiellement axées sur des formes de participation institutionnalisées, l’analyse tend à mettre l’accent sur le rôle des acteurs institutionnels (notamment organisations internationales) et des élites intermédiaires (ONG, think thanks, etc.) connectées plus ou moins explicitement aux bureaucraties et donc largement dépendantes des États (subventions, autorisations, soutiens logistiques, labellisations). Toutefois, les articles s’attachent également à éclairer le rôle joué par des acteurs locaux, et en premier lieu les professionnels de la participation, dans ces circulations. Notamment, l’un des objectifs du dossier est d’analyser ensemble les circulations internationales d’État à État, ou entre les organisations internationales et les États, ainsi que les circulations transnationales entre les acteurs privés (du secteur marchand ou non marchand) et/ou entre les gouvernements locaux. C’est la raison pour laquelle nous nommons transnationales ces circulations qui sont le fait d’un ensemble d’interactions entre des acteurs publics – États et organisations internationales – mais également tout un ensemble d’acteurs privés – acteurs marchands, associations, chercheurs indépendants, etc. En effet, dans les articles, les circulations sont envisagées comme une variable indépendante explicative de l’émergence des dispositifs participatifs dans le monde, mais surtout, ces circulations sont étudiées pour elles-mêmes, c’est-à-dire comme variable dépendante, éclairant la transnationalisation de l’action publique.
6Sur le plan théorique et méthodologique, ce dossier s’inscrit au croisement de plusieurs champs académiques. Les travaux de sociologie ou d’anthropologie centrés sur la circulation des formes démocratiques (par exemple Pétric, 2012), mais également de pratiques sociales, à partir d’une sociologie fine des acteurs de la circulation, sont mobilisés. Des travaux de sociologie des sciences sur la circulation des innovations permettent de mettre l’accent sur le fait que le succès d’une innovation tient moins à ses qualités qu’aux opérations d’intéressement dont elle est l’objet (Akirch et al., 1988a, 1988b). Et des travaux de science politique sur la circulation transnationale des politiques publiques apportent des modèles théoriques pour caractériser les dynamiques circulatoires (par exemple Simmons, Dobbins et Garret, 2007). Aussi, dans un premier temps, nous reviendrons sur les outils théoriques et méthodologiques de l’analyse des circulations transnationales, ainsi que sur les terrains d’études mobilisés. Puis, dans un deuxième temps, nous soulignerons les apports des articles du dossier pour l’analyse de dynamiques de la circulation transnationale de l’ingénierie participative.
Penser les dynamiques de la circulation : enjeux théoriques et méthodologiques
7La circulation est devenue un « leitmotiv académique » (Vauchez, 2013, p. 9). Témoin de l’intérêt porté par la sociologie et la science politique à ces phénomènes, elle est mobilisée dans des travaux qui portent sur les politiques publiques (Delpeuch, 2009 ; Dolowitz, Marsh, 1996, 2000 ; Hassenteufel, 2005 ; Hassenteufel, de Maillard, 2013), sur les mouvements sociaux et les réseaux transnationaux (Dezalay, Garth, 2002 ; Keck, Sikkink, 1998 ; Siméant, 2003, 2005), sur le droit (Delpeuch, 2009) ou encore sur les croyances et les pratiques sociales (Bourdieu, 2002 ; Weber, 2012) [5]. Les travaux qui étudient la circulation des individus, des dispositifs, des idées ou encore des normes ont recours à tout un ensemble de notions – diffusion, transfert, convergence – dont les sens sont plus ou moins stabilisés.
8Deux raisons expliquent la préférence que nous donnons à la notion de circulation. Tout d’abord, comme le soulignent Vincent Béal, Renaud Epstein et Gilles Pinson (2015, p. 104), contre « la vision trop mécanique et désincarnée des mécanismes de diffusion et d’influence », la notion de circulation « s’inscrit dans des cadres analytiques plus sensibles aux acteurs, aux communautés politiques, administratives, épistémiques et professionnelles dans lesquels ils s’inscrivent, à leurs ressources, à leurs positions et au travail politique qu’ils doivent consentir pour diffuser, acclimater et adapter des “solutions” venues d’ailleurs ». En outre, ainsi que l’a montré Antoine Vauchez (2013, p. 11), « au-delà même du flou qui accompagne les usages académiques multiples dont le mot fait l’objet, [la circulation] est aussi indissociablement un mot d’ordre des stratégies d’internationalisation qu’il prétend décrire ». L’existence d’un « tournant participatif mondial » [6] est en effet autant un objet d’analyse né du constat de l’accumulation d’expériences participatives à travers le monde, qu’une catégorie d’action, et, à ce titre, il a un effet performatif. La dimension mondiale est mobilisée – notamment dans les discours institutionnels – pour légitimer la mise en œuvre des expérimentations participatives (Cornwall, Brock, 2005 ; Jennings, 2000). C’est notamment le cas, mais pas exclusivement, des organisations internationales : le PNUD qui depuis les années 1990 promeut la « participation populaire » (PNUD, 1993), la FAO qui produit des lignes de conduite (van Heck, 2003) ou encore la Banque mondiale avec des lignes de conduite sur les budgets participatifs (Wampler, 2007 ; Sintomer, Herzberg, Allegretti, 2013).
La circulation : l’apport analytique d’un « leitmotiv académique »
9Le « tropisme normatif et procédural » des travaux sur les dispositifs participatifs n’est pas sans conséquence sur la façon dont leur circulation est analysée. Ces travaux s’inscrivent plus ou moins explicitement dans une approche diffusionniste dont le biais mécanique a souvent été souligné. Premièrement, s’ils sont sensibles à la variété des pratiques, les travaux tendent à postuler une convergence fonctionnelle des expériences participatives – la diffusion de la participation s’expliquerait par l’existence de « problèmes » communs auxquels les dispositifs participatifs apporteraient une réponse pratique. Ces travaux ont ainsi mis en évidence des effets de « contagion », parfois de « suivisme » dans l’adoption de pratiques participatives. Ces phénomènes traduiraient une tendance des acteurs à accorder de l’importance et une validité aux pratiques de leurs pairs, souvent géographiquement situés près d’eux. Le risque est alors d’homogénéiser exagérément le « tournant participatif » en l’appréhendant sous l’angle de la diffusion d’une « norme participative » (Saurruger, 2009) ou d’un « référentiel hégémonique » (Moini, 2011). Deuxièmement, les approches diffusionnistes cherchent à comprendre pourquoi une telle innovation est reprise et transposée dans d’autres lieux en retraçant essentiellement de manière descriptive le séquençage de l’adoption de ces pratiques à partir d’une innovation située dans le temps et dans l’espace. En s’attachant à repérer les conditions de réussite de « greffes » de solutions considérées comme innovantes, elles introduisent un jeu de hiérarchies entre le point de départ de la diffusion et celui de la « greffe », et ignorent la manière dont le modèle peut être transformé et réinterprété par les acteurs qui le portent.
10En raison des critiques quant à l’automaticité de cette vision et au faible intérêt accordé au questionnement sur les interactions et les mécanismes sociaux par les approches diffusionnistes, l’étude des transferts dans l’action publique constitue leur complément naturel. Ces travaux ont en effet mis en évidence les facteurs institutionnels, les facteurs politiques mais également le rôle joué par les acteurs, leurs stratégies et parfois la formation de réseaux dans ces dynamiques. Dans cette perspective, la circulation est généralement interprétée au prisme d’une logique d’importation/exportation. La dynamique d’importation (dont certains critiquent le caractère contraint) est alors analysée comme plus ou moins légitime, plus ou moins pertinente (importation d’un modèle construit dans les pays dits du Nord appliqué dans les pays dits du Sud) et la dynamique d’exportation d’un dispositif modèle comme plus en ou moins conforme au modèle original en interrogeant les déclinaisons locales et nationales (Sintomer et al., 2008, 2013 ; Ganuza, Baiocchi, 2012). La diffusion de la participation s’expliquerait alors par la plasticité et l’ambiguïté de la « norme » participative et des dispositifs qui l’incarnent. À ce titre, les approches en termes de transfert portent toujours en elles une vision normative du transfert dont les conceptions sont parfois hasardeuses et difficilement objectivables. En considérant le modèle transféré comme un tout qui doit être exporté et importé nécessairement dans son entièreté (Dolowitz, Marsh, 2000 ; Rose, 1993), les travaux se limitent à constater un transfert réussi, complet, couronné de succès ou au contraire partiel, incomplet ou « interrompu » (broken), et parfois à analyser le transfert comme le résultat d’un processus d’apprentissage – lesson learning et lesson drawing (Dolowitz, Marsh, 1996, 2000 ; Rose, 1993). Ces études s’appuient ainsi sur le principe du volontarisme des acteurs du transfert, considérés comme des importateurs et/ou des exportateurs, et privilégient de ce fait l’hypothèse d’une rationalité des acteurs guidés par la seule volonté d’appliquer un modèle extérieur (Bulmer et al., 2007). En outre, ces approches renvoient à une perspective déterministe : l’action publique nationale finit ainsi par être analysée comme largement voire exclusivement déterminée par des modèles extérieurs, appliqués dans un espace national et/ou local. Or, sur le plan empirique, la transnationalisation croissante de l’action publique et l’enchevêtrement des niveaux d’action publique rendent la distinction entre les acteurs considérés comme importateurs et exportateurs difficile à établir du fait de leur très grande multipositionnalité. De plus, la production de l’action publique renvoie en grande partie à des pratiques d’innovation et de création traduisant une forme d’autonomie vis-à-vis des modèles extérieurs (voir entre autres Dezalay, Garth, 2002). La distinction entre les transferts volontaires et ceux davantage contraints (Dolowitz, Marsh, 1996) est donc tout aussi difficile à établir, et masque de surcroît la pluralité des investissements des acteurs. Enfin, contrairement à ce qui est souvent l’objectif implicite des études en termes de transferts, l’objectif du dossier vise justement à ne pas réduire la circulation à une variable explicative de la convergence des politiques participatives. Au contraire, en adoptant la notion de circulation, il s’agit de déconstruire l’apparente linéarité du phénomène pour envisager les enjeux et dynamiques propres de la circulation transnationale de l’ingénierie participative.
Les terrains locaux de l’étude des circulations transnationales de l’ingénierie participative
11L’intérêt de la notion d’ingénierie participative tient à ce qu’elle regroupe tout à la fois les ingénieurs (acteurs et promoteurs), la machinerie (outils, dispositifs, savoir-faire, etc.) et les idées qui sont portées par ces ingénieurs via ces machineries. Aussi les contributions rassemblées ici abordent-elles pleinement l’étude des acteurs, la dimension relationnelle qui les lie tout en attachant de l’importance aux équipements que ces derniers produisent et mettent en œuvre. Elles s’efforcent d’être aussi attentives aux idées comme vecteur et objet de la circulation qu’aux acteurs qui les portent et les ancrent dans des dispositifs d’action. Loin d’adopter une approche cognitiviste, il s’agit davantage de montrer que les idées ne peuvent être pensées sans les acteurs qui les portent et les institutions qui leur donnent corps. Aussi, sur le plan méthodologique, les articles articulent-ils différents matériaux d’enquête. Ils étudient à la fois les propriétés et les trajectoires des ingénieurs, les différents espaces de circulation (réseaux de villes, voyages d’études, conférences internationales), et les équipements qui viennent matérialiser le discours participatif (élaboration de kits, production de guides méthodologiques et de rapports d’expertise pour et/ou par les organisations internationales, mais aussi publications scientifiques – parfois financées par les organisations internationales). À ce titre, l’analyse de la circulation des idées dans les productions académiques (articles, colloques, séminaires) est largement ré-encastrée dans l’analyse des trajectoires des chercheurs : la manière dont ces derniers construisent ou non leur reconnaissance à l’international et parfois par l’international, leur multipositionnalité entre des espaces académiques, associatifs (en particulier au sein des ONG) et institutionnels (dans les organisations internationales comme dans les collectivités locales).
12S’attacher ainsi à éclairer les acteurs et les institutions concrètes de la circulation nous permet de prendre pour objet ce qui est construit par tout un ensemble d’acteurs comme les « qualités » des dispositifs participatifs. D’une part, on peut analyser la rhétorique participative qui constitue souvent le postulat des travaux qui, rappelons-le, voient les dispositifs participatifs comme une réponse aux transformations structurelles de nos sociétés. Sans contester l’objectivité de telles transformations, il nous semble fécond de délaisser temporairement ce prisme démocratique pour analyser la façon dont la rhétorique participative a été construite et légitimée. En effet, à mesure que la participation s’est diffusée et institutionnalisée, cette rhétorique s’est déployée dans des univers extrêmement différents comme ceux du développement (Chambers, 1983), de la démocratie locale (Mazeaud, Nonjon, 2015) ou encore de la gestion de l’environnement (Labranche, 2009), et a fini par ne plus être interrogée. Or, en adoptant cette vision démocratique, voire moderniste et développementaliste, de la participation, on peine à saisir la façon dont cette rhétorique est mobilisée pour légitimer la circulation des expériences participatives. Une telle analyse est d’autant plus cruciale, nous y reviendrons, que les chercheurs sont loin d’être de simples observateurs de la circulation, mais jouent au contraire un rôle actif. Cette approche nous permet également d’analyser les opérations d’intéressements et de traductions (Callon, 1986 ; Akrich, Callon, Latour, 1988a, 1988b) dont les dispositifs participatifs sont l’objet. Ainsi, plutôt que de comparer les expériences participatives par rapport à un modèle d’origine, ce qui conduit inévitablement à souligner les multiples déclinaisons et appropriations des dispositifs, les articles s’intéressent au contraire au travail de standardisation ou d’adaptation à des contextes variés réalisé par les entrepreneurs de la circulation.
13Dans les articles, ces circulations transnationales sont avant tout saisies à partir de terrains locaux, à travers l’observation d’espaces de relations à combinaisons multiples (Robert, 2010 ; Aldrin, Hubé, 2016). Cette entrée est autant dictée par les contraintes d’accès au terrain, les choix méthodologiques réalisés par les auteurs, que conditionnée par l’objet même étudié puisque les politiques participatives sont toujours localisées. Cela nous conduit à être particulièrement attentifs aux jeux d’échelles de la circulation. Premièrement, cela permet de prendre en compte la porosité des acteurs et des espaces, et donc de ne pas délimiter l’espace local et l’espace international, ni d’établir de hiérarchies ou de sens prédéfinis de la circulation (voir Neveu, 2007 ; Parizet, 2015). Deuxièmement, suivant la mise en garde de Sidney Tarrow (2000) sur le décalage entre le cadrage mondial d’une activité et l’ancrage empirique de celle-ci, les articles s’attachent à distinguer le discours sur la dimension mondiale de la participation et la réalité de celle-ci. Troisièmement, comme l’ont montré les travaux sur la comparaison internationale de politiques locales (Dupuy, Pollard, 2012), une difficulté de l’analyse tient à ce que la comparaison des politiques locales n’est pas qu’une catégorie d’analyse, c’est également un instrument d’action publique et un vecteur de circulation. Enfin, cela nous permet d’envisager ensemble les circulations transnationales et internationales [7].
14Sans prétendre à l’exhaustivité, les articles rassemblés ici donnent à voir la très grande hétérogénéité des acteurs et des processus circulatoires dans des contextes extrêmement variés. Éric Cheynis s’intéresse à l’appropriation du développement participatif par les acteurs associatifs marocains au tournant des années 2000, alors qu’à partir d’un terrain mexicain Raphaëlle Parizet étudie les universitaires qui sont enrôlés au sein des organisations internationales de développement. En croisant le suivi des ambassadeurs du budget participatif réalisé par Osmany Porto de Oliveira et l’analyse que fait Melike Yalçın-Riollet sur les réseaux de villes autour de l’importation de l’Agenda 21 en Turquie, on prend la mesure de la diversité des acteurs et des réseaux mobilisés dans la circulation d’un dispositif relativement standardisé. Ce travail de standardisation est au cœur de l’analyse qu’Alice Mazeaud et Magali Nonjon consacrent à l’Association internationale des professionnels de la participation publique (IAP2), association dont le rôle est aussi envisagé par Julien O’Miel dans l’étude du travail d’exemplification réalisé par les entrepreneurs du modèle participatif toscan. La lecture croisée des articles nous permet ainsi d’apprécier la complexité des dynamiques de circulations transnationales qui sont verticales (de l’international vers le national ou le local) et des dynamiques de circulations transnationales qui sont, elles, horizontales (territoires entre eux, acteurs de même niveau) (Béal et al., 2015).
15Dans le cadre de cette introduction, il nous semble intéressant de rendre compte des dynamiques de ces circulations et de la façon dont les circulations verticales et horizontales sont largement entremêlées. Comme le notent Beth A. Simmons, Franck Dobbins et Geoffrey Garret (2006, 2008), dont les travaux portent sur les processus d’élaboration des politiques nationales et le rôle des organisations internationales, quatre approches théoriques – constructivisme, coercition, compétition, apprentissage – peuvent être mobilisées pour rendre compte de la globalisation des politiques publiques [8]. Si ces approches fournissent un cadre analytique fécond pour penser les circulations, elles ne doivent pas être vues comme des théories causales explicatives – et cela d’autant plus que les processus ne sont pas exclusifs mais au contraire profondément articulés entre eux.
La « tyrannie » de la participation : une « libre conformation » ?
16Plusieurs travaux ont dénoncé la « tyrannie » ou l’« orthodoxie » d’une participation imposée par les grandes organisations internationales (Cooke, Kothari, 2001 ; Cornwall, Brock, 2005). Sans nécessairement adopter une telle posture critique, certains articles du dossier pointent également cette forme injonctive de la participation dans les politiques et les dispositifs des institutions néolibérales. Toutefois, l’analyse empirique conduit surtout à interroger et à relativiser la dimension coercitive de cette circulation verticale (des organisations internationales vers les acteurs locaux).
L’interdépendance des organisations internationales et des acteurs locaux autour de la mise en œuvre de la participation
17En intégrant un impératif participatif dans leurs programmes, les organisations internationales font de la mise en œuvre de dispositifs participatifs une condition d’accès aux ressources institutionnelles et financières. Le travail sur le budget participatif d’O. Porto de Oliveira montre par exemple comment les organisations internationales vont contribuer à amplifier la diffusion du dispositif en l’adossant à des ressources institutionnelles (programmes d’action, réseaux professionnels) dont se saisissent les acteurs des budgets participatifs. À partir du terrain marocain, É. Cheynis met en évidence le fait que la dimension coercitive repose également sur les ressources financières et institutionnelles qui peuvent prendre la forme de subventions, d’autorisations ou encore de soutiens logistiques. La Banque mondiale, rappelle l’auteur, a largement incité les institutions marocaines à créer un Fonds de développement social destiné à financer des associations porteuses de la participation locale. Dans le monde rural, cette politique menée par la Banque a eu des incidences considérables dans la mesure où les groupements traditionnels ont été contraints de se faire enregistrer sous le statut associatif pour être reconnus comme des partenaires et ainsi être en capacité à prétendre et recevoir des financements dans les projets de développement. En ce sens, la relation de dépendance qui lie les acteurs locaux aux agences internationales de développement est au cœur de la circulation de l’ingénierie participative : les acteurs locaux sont contraints de mettre en œuvre des dispositifs participatifs pour accéder aux ressources que ces espaces institutionnels de l’aide internationale peuvent leur offrir. Ces ressources prennent ainsi la forme d’incitations financières dont les règles sont déterminées par les organisations internationales ; du fait des subventions aux projets de développement local qui sont en jeu, les acteurs locaux sont incités et enclins à privilégier la promotion de la participation dans le sens donné par les organisations internationales.
18Toutefois, ce processus n’est pas unilatéral, les organisations internationales peuvent également constituer une ressource symbolique pour les acteurs nationaux et locaux qui s’adossent à leurs programmes. Ces acteurs mobilisent la référence à l’international dans les espaces sociaux, politiques et administratifs dans lesquels ils s’inscrivent : sur le terrain marocain, É. Cheynis montre par exemple comment les ressources symboliques que constitue l’expérience d’une relation de partenariat avec une organisation internationale ou encore une ONG internationale sont largement valorisées dans les espaces nationaux et locaux (notamment dans l’autonomie par rapport à l’État marocain). La capacité à faire le lien entre les univers associatifs, administratifs, universitaires et les bailleurs de fonds peut en effet constituer une ressource considérable dans la carrière d’expert du développement participatif. Sur un tout autre terrain, brésilien cette fois-ci, Gilles Massardier, Éric Sabourin, Lauren Lécuyer et Mario L. de Avila avaient déjà mis en évidence la manière dont la participation encadrée pouvait avoir une fonction de légitimation politique et d’opportunité financière pour les « leaders communautaires et “entrepreneurs de cause” des droits des petits agriculteurs », qui ont largement investi un dispositif participatif fédéral mis en œuvre par le ministère du Développement agraire (2012, p. 86).
19Ainsi, si les articles confirment l’existence d’une dynamique coercitive dans cette circulation verticale, des organisations internationales vers les acteurs nationaux et locaux, ils invitent également à dépasser la critique sur la légitimité de cette coercition pour interroger ce qui se joue dans l’imposition de l’approche participative du développement. Il s’agit de comprendre quels sont les acteurs qui sont en mesure d’imposer la participation, de quelle manière ils procèdent [9], et d’interroger dans un même temps les motivations qui poussent les organisations internationales à reprendre à leur compte et à promouvoir l’approche participative. Par exemple, comment expliquer que la Banque mondiale fasse aujourd’hui de la participation un des piliers de ses activités, alors que les années 1980 ont été au contraire marquées par l’application, voire l’imposition des plans d’ajustement structurel engagés avec l’appui des institutions de Bretton Woods n’incluant aucune approche participative ?
20L’analyse proposée par R. Parizet apporte une série de réponses. L’auteure souligne notamment comment la Banque mondiale a fait évoluer ses pratiques, mais également ses instruments de pilotage et d’évaluation, de façon à incorporer dans l’ensemble de ses dispositifs le point de vue des administrations et autorités locales concernées et celui des populations vulnérables à qui sont destinés in fine ses programmes. Il en est de même au niveau du PNUD dont le renforcement de la « gouvernance démocratique » va être conçu comme la principale activité dans les pays où cette agence onusienne intervient. Ainsi, le développement participatif offre-t-il aux organisations internationales, largement critiquées pour avoir imposé dans les années 1980 des programmes clé en main aux administrations et aux populations alors considérées comme des « destinataires » de l’aide internationale, un moyen de se re-légitimer. Son enquête permet par exemple de mieux saisir comment cette coercition peut se faire sur un mode moins contraignant, du fait de l’incorporation dans les pratiques des institutions de développement de travaux de chercheurs en sciences sociales et économiques qui considèrent la participation comme un instrument au service des objectifs de développement humain et/ou économique. Sans pour autant que soient fondamentalement remis en cause les principes de l’aide internationale, les organisations internationales « investissent les approches participatives pour en faire des modalités de leurs actions sur le terrain » et se repositionnent ainsi face aux acteurs locaux – administrations et autorités locales mais également populations « bénéficiaires » – qui deviennent leurs « partenaires ».
21Aussi la logique coercitive de cette circulation verticale mérite-t-elle d’être relativisée. On observe finalement une forme d’interdépendance entre les organisations internationales et les acteurs locaux, qu’ils soient administratifs, associatifs ou politiques. La norme participative s’adosse aux programmes institutionnels et aux ressources financières des organisations internationales (ainsi qu’aux usages qui en sont faits) ; en retour, ces dernières ont besoin des acteurs locaux pour continuer à intervenir dans les terrains de l’aide internationale. En ce sens, Tania Murray Li (2007) a montré dans son travail sur un terrain indonésien comment les organisations internationales, contrairement à l’image qu’elles peuvent donner d’espaces institutionnels particulièrement hermétiques et clos, s’appuient sur toute une série d’interlocuteurs en les encadrant, les formant tout à la fois à des raisonnements techniques mais également au capacity building. C’est également ce que montre R. Parizet dans ce dossier à travers le programme « Leaders autochtones féminins » du bureau mexicain du PNUD, qui forme des femmes à être des « “acteurs” du changement » dont la caractéristique est d’être à l’interface entre les espaces locaux et les espaces onusiens (pour davantage de développements, voir Parizet, 2013). Aussi la dynamique coercitive se fait-elle essentiellement sur un registre « soft » par l’offre d’opportunités et de ressources qui y sont liées mais également à travers la construction d’une référence commune à la participation.
De la légitimation de la rhétorique participative au gouvernement à distance
22Les articles réunis ici mettent l’accent sur l’activité de cadrage de l’approche participative, qui passe par des discours, des registres de justification et d’argumentation qui donnent corps à cette norme. Or cette activité de cadrage consiste en un travail visant à rendre générique et acceptable la norme participative. Comme l’ont déjà suggéré les travaux sur les nouveaux instruments de l’Union européenne (par exemple Ravinet, 2011), cette contrainte « soft » peut s’avérer finalement d’autant plus puissante qu’elle fonctionne précisément sur ce registre d’adhésion qui est suscitée tant sur le plan du contenu que des procédures.
23Du point de vue du contenu, les organisations internationales comme la Banque mondiale et le PNUD disposent en effet d’un pouvoir d’imposition des catégories légitimes. Les articles du dossier soulignent le caractère déterminant de la mise en forme savante de la rhétorique participative (nous y reviendrons), en pointant le rôle central joué par un certain groupe d’acteurs : les chercheurs (économistes, anthropologues, sociologues, politistes) embarqués dans la définition et la mise en œuvre des programmes de ces organisations. R. Parizet en particulier analyse combien les acteurs académiques dont la spécificité est de travailler dans les organisations internationales endossent un rôle spécifique dans la formulation d’inflexions [10] données aux pratiques de développement. C’est également ce que montre l’étude des ambassadeurs du budget participatif réalisée par O. Porto de Oliveira. Ainsi, parce que les savoirs participatifs circulent entre les espaces académique, associatif, politique et institutionnel, les chercheurs apparaissent-ils comme des acteurs de premier plan dans la construction et la légitimation d’une référence commune de la participation.
24Notons toutefois que les articles montrent que les justifications démocratiques et modernisatrices de la participation n’expliquent pas le comportement des acteurs : l’adoption de pratiques participatives ne traduit pas nécessairement la conversion et la croyance des acteurs dans leurs mythes. C’est notamment ce qu’a souligné Olivier Mériaux pour qui « il faut voir dans les systèmes de valeurs, ou idéologiques, des ressources pour bâtir l’équilibre du système, des moyens pour les acteurs de légitimer leurs pratiques plutôt que ce qui détermine inévitablement leurs perceptions de la réalité et leurs actions » (1995, p. 63). S’il existe bien un discours mondial sur la nécessité de la participation qui produit ses propres effets, les articles pointent le risque qu’il y aurait à prendre pour acquis ce discours comme preuve de l’existence d’un tournant mondial de la participation dont le sens serait partagé. É. Cheynis suggère ainsi qu’au sein des associations de développement marocaines, si le principe du développement participatif promu par les organisations internationales est largement mobilisé, il est encore aujourd’hui perçu par certains acteurs comme un levier de promotion de la démocratie, alors que d’autres y voient exclusivement un moyen de renforcer leurs capacités gestionnaires. En ce sens, si les acteurs locaux de la circulation apparaissent relativement dépendants des ressources financières et institutionnelles des États et des organisations internationales, les articles suggèrent cependant qu’on ne doit pas négliger la capacité d’hybridation et d’autonomisation de ces acteurs intermédiaires. La dimension coercitive apparaît finalement peu contraignante : cette relation verticale n’implique ni un rapport d’obéissance ni une adhésion enthousiaste des acteurs locaux à la rhétorique participative. En d’autres termes, ce n’est pas parce que la participation est un buzzword [11] (Cornwall, Brock, 2005) – ou encore un « hurrah » word (White, 1996) – que les acteurs locaux et nationaux mettent en pratique la participation telle qu’elle est promue par les organisations internationales. L’analyse de cette relation verticale met au contraire en lumière l’interdépendance des relations et donc des usages stratégiques de l’injonction participative tant par les acteurs locaux que par les organisations internationales.
25En effet, la promotion de la participation locale (par opposition aux dispositifs qui viennent « du haut ») n’hypothèque en rien le poids et le rôle des agents des organisations internationales. Au contraire, c’est même la singularité et la centralité du rôle des agents des organisations en tant qu’animateurs de la participation locale qui se voient renforcées (on renvoie sur ce point aux travaux de Mosse, 2005 ; Murray Li, 2007 ; Parizet 2015). La présence de « courtiers du développement » identifiée et analysée dans une variété de terrains, notamment le Maroc et la Turquie (É. Cheynis, M. Yalçın-Riollet), témoigne du rôle de passerelle entre les groupes sociaux locaux, les institutions locales et nationales, et les agences de l’aide internationale que jouent ces acteurs. Les contributions rappellent ainsi l’importance de ces acteurs dans un rôle déjà largement étudié par la socio-anthropologie de « courtiers du développement » (voir entre autres Bierschenk, Chauveau, Olivier de Sardan, 2000 ; Blundo, Le Meur, 2009), qui consiste à faire le lien entre des savoirs et des savoir-faire techniques et institutionnalisés et ceux ordinaires, souvent qualifiés de populaires, des groupes sociaux locaux.
26Du point de vue des procédures, les politiques participatives des organisations internationales reposent sur la production de guides méthodologiques, d’orientation, de rapports dans lesquels l’identification et la mise en avant de « modèles à suivre » ou de « bonnes pratiques » occupent une place centrale. R. Parizet montre notamment qu’à travers les publications institutionnelles des organisations internationales, ce sont des expériences locales singulières qui sont valorisées et érigées en « modèles à suivre ». Elle souligne en ce sens que « la force de l’argumentaire des “bons exemples” du développement participatif tient à ce […] qu’il se construise à l’épreuve d’expériences concrètes et singulières ». Comme le notent Asmara Klein et al. (2015), dans l’ouvrage collectif récent qui est consacré à ce sujet, les références aux « bonnes pratiques » [12] ont connu une croissance considérable depuis les années 1990. La promotion de ces outils de régulation plus souples et moins directement contraignants doit être rapportée, d’une part, au succès de l’idéologie néolibérale dans ses deux dimensions (privatisation d’une partie des services de l’État et dépolitisation par la promotion de solutions techniques encadrant les affrontements idéologiques) et, d’autre part, à l’injonction à l’efficacité de l’action dans un contexte de réductions budgétaires, notamment des allocations des États à l’endroit des organisations internationales. Ainsi, à travers les bonnes pratiques, les organisations internationales continuent d’agir dans le champ de l’aide internationale, alors même que leurs ressources budgétaires et normatives se sont raréfiées.
27Si cette valorisation de l’apprentissage et de l’amélioration continue des pratiques se présente comme une forme nouvelle, moins dirigiste, d’instrumentation de l’action publique (Lascoumes, Le Galès, 2005), elle ne doit pas être interprétée comme un retrait mécanique des organisations internationales, ou encore une érosion de leur capacité d’action dans le champ de l’aide internationale [13]. Ces bonnes pratiques forment le support d’un gouvernement à distance à travers lequel les organisations internationales entendent orienter les comportements des acteurs nationaux et locaux en les incitant, au nom de l’efficacité supérieure de l’action, à adopter les comportements attendus. Les acteurs locaux ne sont donc pas contraints mais incités à se conformer librement au modèle dominant. Ce mécanisme prend la forme d’une « libre conformation » (Epstein, 2012) à travers laquelle les organisations internationales s’appuient sur des mécanismes « soft » de pilotage, qui conduisent les acteurs locaux à mettre en œuvre des projets participatifs conformes à leurs attentes.
28Ainsi, le régime d’incitations financières, en plus des ressources symboliques qu’offrent les organisations internationales, est prolongé par la valorisation de « bonnes pratiques », non pas entendues comme des recettes modélisées, mais au contraire comme des processus de capitalisation d’expériences singulières et locales. Or, si ces bonnes pratiques valorisent officiellement des dynamiques d’apprentissage, ce sont finalement des dynamiques de coopétition [14] – coopération et compétition – qui sont stimulées. En d’autres termes, si les organisations internationales sont des promoteurs de la participation, c’est moins en mobilisant les ressources de la circulation verticale (autorité/budget) qu’en alimentant les dynamiques de coopétition au cœur des processus de circulation horizontale.
Le « jeu des bonnes pratiques » [15] : entre professionnalisation et compétition
29La notion d’apprentissage a souvent été mobilisée pour expliquer l’adoption et la diffusion de dispositifs participatifs. C’est par exemple la combinaison des effets d’apprentissage liés aux conflits locaux d’aménagement et de l’expérience du modèle québécois qui expliquerait pour une large part l’institutionnalisation du débat public en France (Revel et al., 2007). Elle constitue également un argumentaire puissant des discours portés par les organisations internationales sur la circulation des bonnes pratiques de la participation. Ces dernières sont perçues et construites comme étant un levier d’amélioration continue des expérimentations participatives facilitant le perfectionnement des méthodes de travail, des modèles à suivre dans une dynamique nécessairement vertueuse pour la qualité de la démocratie. Une telle approche a le mérite de réintroduire la question de l’expertise et du savoir dans les dynamiques circulatoires, et in fine un questionnement central qui balise l’ensemble des contributions réunies dans ce dossier, à savoir l’analyse des processus de consolidation et de professionnalisation de l’expertise participative comme moteur de la circulation. Elle masque en revanche la puissance des logiques de compétition qui appuient les circulations de ces bonnes pratiques.
Consolidation et professionnalisation de l’expertise participative
30Les enquêtes réunies dans ce dossier mettent en évidence les processus de consolidation d’une expertise participative dans les dynamiques circulatoires de l’ingénierie participative. Cette expertise participative est construite à la frontière des espaces considérés comme savants et professionnels. L’accent est d’abord mis sur l’importance des savoirs, la production et la légitimation de registres d’argumentation, de justification et de savoirs pratiques dans ce processus. C’est l’objet même de l’article d’A. Mazeaud et de M. Nonjon qui analyse la façon dont le réseau IAP2 promeut la « maîtrise de savoirs et savoir-faire spécifiques comme condition de diffusion et de mise en œuvre d’une participation publique de qualité » ; l’amélioration et la standardisation des pratiques participatives sont ici pensées comme un levier principal de diffusion de la participation publique. L’ensemble des articles souligne également le rôle des chercheurs embarqués dans la mise en forme savante du discours et des pratiques participatives. Qu’ils œuvrent aux portes des organisations internationales ou directement en leur sein, comme dans les travaux de R. Parizet et d’O. Porto de Oliveira, ou dans les collectivités territoriales comme dans le travail de J. O’Miel, les acteurs issus du monde académique participent pleinement à la production des « savoirs de gouvernement ». Les chercheurs ne semblent d’ailleurs pas jouer seulement un rôle dans la production et la reconnaissance de savoirs pratiques. La mise en forme savante de l’ingénierie participative peut également servir de support de légitimité professionnelle pour ces chercheurs dont la carrière se construit à l’interface des espaces professionnels et académiques. À partir de la circulation du modèle toscan de débat public, J. O’Miel met en évidence la manière dont certains experts académiques, en particulier Luigi Bobbio, se sont saisis de l’ingénierie participative comme outil de légitimation académique, à l’international mais surtout au niveau local, en mettant notamment en scène dans leurs publications la démultiplication des dispositifs délibératifs comme « réponse aux problèmes liés à la construction des projets d’infrastructures en Italie ». En observant cet expert académique en action, J. O’Miel montre comment ce dernier va jusqu’à formater le dispositif scénique des colloques internationaux qu’il organise en Toscane, pour en faire des espaces de légitimation de la réforme locale du débat public dont il est partie prenante. Les intervenants sont ainsi sommés, comme le rappelle l’auteur, de « ne pas discuter de la théorie de la participation ou de la démocratie mais de pratiques concrètes ».
31Les enquêtes réunies dans ce dossier interrogent également un moteur de la diffusion et de la circulation des expérimentations participatives encore aujourd’hui peu étudié, celui de la professionnalisation de l’expertise participative. La consolidation de l’expertise participative s’adosse en effet autant à la production, la formalisation de savoirs et de savoir-faire permettant d’identifier les bonnes pratiques qu’à la professionnalisation d’acteurs spécialisés (Payre, Spahic, 2012). En ce sens, la diffusion de la participation doit être rapportée à la professionnalisation croissante des acteurs chargés de mettre en œuvre la participation, ce que souligne par exemple le travail d’É. Cheynis consacré aux prémices du tournant participatif marocain à la fin des années 1990. Le dossier invite ainsi à prendre en compte dans les dynamiques de circulation les caractéristiques sociologiques de ces professionnels. L’analyse du réseau IAP2, et celle de M. Yalçın Riollet sur l’importation de l’Agenda 21 en Turquie, mettent toutes deux en évidence le fait que la circulation est en partie liée aux modalités de socialisation professionnelle des acteurs intermédiaires, administratifs ou privés, toujours plus engagés dans des réseaux internationaux, comme dans le cas turc les réseaux de ville au sein desquels se construisent les modalités de l’excellence professionnelle. S’intéresser aux dynamiques de professionnalisation permet également de souligner que ce modèle d’excellence n’est pas nécessairement partagé par l’ensemble des professionnels repérés dans les différents terrains étudiés. Dans le cas des praticiens de la participation publique analysé par A. Mazeaud et M. Nonjon, les consultants québécois sont finalement peu nombreux à disposer de ressources à l’international, et même à revendiquer une position sur des marchés internationaux. Ces consultants se saisissent de dispositifs ou de pratiques participatives et contribuent in fine à la circulation des kits de bonnes pratiques promus par IAP2 avant tout pour des enjeux de luttes d’expertise professionnelle et de concurrence sur des marchés localisés. Aussi, les articles rassemblés dans ce numéro rappellent que la construction et la circulation des bonnes pratiques ne traduisent pas qu’une forme de rationalisation croissante du gouvernement participatif. Elles soulignent également l’importance des logiques de compétition dans les dynamiques de circulation de l’ingénierie participative.
Labellisation, concurrence et mimétisme : les logiques de compétition
32Les bonnes pratiques traduisent, nous l’avons précisé, l’existence d’une nouvelle forme d’action publique plus souple, moins coercitive, reposant sur la diffusion de l’expertise et l’apprentissage de recettes et de modèles à suivre. Elles reflètent également l’importance des dynamiques concurrentielles qu’elles participent à alimenter et à structurer dans un jeu de l’innovation et de la distinction (Navez-Bouchanine, Valladares, 2007). À ce titre, les articles réunis dans ce dossier invitent à réintégrer le poids des logiques de compétition dans les dynamiques de circulation des dispositifs participatifs, en attachant autant d’importance à celles que se livrent les professionnels de la participation pour exister sur les marchés locaux et nationaux de l’expertise participative qu’à celles qui se jouent entre les territoires.
33Le dossier interroge en premier lieu les modalités de construction et de légitimation de ces bonnes pratiques. Elles sont notamment certifiées, labellisées par les organisations internationales et les réseaux professionnels et académiques. Ces logiques de certification supposent ainsi qu’un acteur ou un groupe d’acteurs disposent du pouvoir de certifier d’autres acteurs ou leurs activités. L’analyse croisée des articles d’A. Mazeaud et M. Nonjon et de J. O’Miel montre bien le rôle central joué par un réseau professionnel comme IAP2 dans ce processus. Le travail de standardisation des bonnes pratiques participatives réalisé par les dirigeants du réseau ne vise pas uniquement à consolider une expertise participative. En effet, la certification renvoie à l’existence de rapports de forces et de hiérarchie : elle vise en ce sens à faire reconnaître la primauté et la supériorité des pratiques des membres du réseau IAP2 afin d’asseoir leur position sur le marché des prestations participatives, et en particulier de la formation. L’internationalisation du réseau constitue alors tout à la fois un enjeu (plus qu’une réalité) de légitimation de la place d’IAP2 dans les marchés de l’expertise participative, et un argument de vente des formations et certifications des praticiens de la participation publique. Si cette dimension commerciale est rarement prise en compte dans les travaux sur la démocratie participative, elle en est pourtant un moteur non négligeable, comme le montre par exemple le travail de Nina Amelung sur la standardisation des « mini-publics » (2012). Notons également que le réseau IAP2 joue aussi un rôle de certificateur externe venant valider les stratégies de distinction de ses membres, comme dans le cas de la loi régionale en Toscane. Ces deux articles du dossier rappellent ainsi que les logiques de compétition entre professionnels de la participation et territoires se superposent et s’alimentent.
34En s’intéressant (certes à des degrés variables) aux bonnes pratiques de la participation, que ce soit sous la forme de prix, de distinctions ou de labels décernés aux collectivités, l’ensemble des contributions indique qu’aujourd’hui la qualité démocratique est devenue un outil de distinction parmi d’autres dans les logiques d’internationalisation des villes. La qualité démocratique est ainsi intégrée selon diverses modalités aux « trophées de la gouvernance urbaine » dans une perspective de valorisation dans la concurrence territoriale (Epstein, 2013). Il s’agit dans ce cas d’innover et de faire circuler cette innovation à l’international de façon à construire la notoriété de l’expérience, et par là même de distinguer son auteur. Cette dynamique est particulièrement visible dans les stratégies des maires de Porto Alegre qui vont faire du budget participatif un élément central de la construction des relations internationales de la ville et de la région Toscane qui a cherché à s’ériger en « modèle ». Le cas toscan indique ainsi que les circulations relèvent autant « de mécanismes d’uploading (faire remonter des pratiques, les sélectionner et les modéliser) que de downloading (diffuser ces “bonnes pratiques”, les intégrer aux cadres de l’action publique) » (Beal, Epstein, Pinson, 2015, p. 114). À ce titre, le cas toscan est particulièrement éclairant quant à la façon dont ces stratégies de distinction territoriales sont d’une part tout à la fois adossées et conditionnées par des stratégies de distinction individuelles d’acteurs fortement internationalisés et multipositionnés dans les champs académique, politique et administratif. En effet, la forte internationalisation des experts académiques embarqués dans l’action publique toscane apparaît comme une condition de cette stratégie de distinction territoriale par la participation et par l’international. D’autre part, ce cas rappelle combien ces stratégies de distinction reposent davantage sur la circulation internationale des innovations participatives que sur le transfert de ces innovations. Ainsi, à l’image de la région Nord-Pas-de-Calais vis-à-vis de la Toscane, les stratégies de distinction jugées réussies suscitent bien l’imitation des autres : les acteurs politiques locaux sont en effet tentés d’adopter les recettes qui semblent fonctionner ailleurs. Cette logique d’imitation d’un modèle jugé digne d’être suivi peut être formalisé via des voyages d’études, comme celui des élus et chercheurs nordistes en Toscane, ou des professionnels turcs. Toutefois, l’enquête suggère également que les réappropriations locales des innovations n’ont rien d’automatique. En articulant analyse du voyage d’études organisé par la région Nord-Pas-de-Calais en Toscane consacré à l’instance régionale de débat public italienne, et étude des modalités de réception des entrepreneurs nordistes de la participation (fonctionnaires, associatifs mais aussi académiques), l’auteur met en effet en évidence le poids de la configuration politique locale dans les dynamiques de réappropriation de ces dispositifs participatifs. Plus largement, les conclusions formulées par les auteurs de ce dossier suggèrent que le plus souvent, la logique d’imitation prend la forme d’une circulation par le bas largement contingente, issue du bricolage à la fois cognitif et pratique de professionnels de la participation. Aussi, même si les articles s’intéressent peu aux modalités de « downloading » des pratiques participatives, ils rappellent néanmoins qu’il faut les envisager également comme une accumulation de compétences, de réflexes et de savoir-faire qui se fait sur un mode horizontal de façon non délibérée (du fait de la circulation des acteurs et des informations) ou de façon alimentée voire structurée (promotion d’orientations et de guidelines au sein des programmes des organisations internationales, des réseaux professionnels, etc.). L’analyse de la diffusion de la boîte à outils du réseau IAP2 montre bien d’ailleurs la dimension largement incontrôlée, et donc difficilement mesurable, de l’appropriation de l’expertise produite.
35Ainsi, l’ensemble des contributions réunies dans ce dossier, en s’intéressant à des moteurs de la circulation transnationale de l’ingénierie participative encore aujourd’hui trop peu investis (les dynamiques de professionnalisation, de concurrences marchandes et de compétitions territoriales), rappelle que la question de la croyance ne constitue en rien une condition sine qua non de la circulation de l’ingénierie participative : l’expérimentation des pratiques participatives renvoie chez les acteurs enquêtés à des investissements variés qui n’ont parfois plus grand-chose à voir avec la question démocratique (avoir le monopole de l’expertise, favoriser l’attractivité des territoires, etc.). Ces contributions invitent également à prendre de la distance avec le fait que les acteurs changeraient leur croyance dans les mécanismes d’apprentissage (Simmons et al., 2006). Enfin, en s’intéressant à la socialisation professionnelle des ingénieurs, le dossier souligne que si l’appropriation de modèles participatifs étrangers permet de se parer des atours de la modernité ou de l’international (Dezalay, Garth, 2002 ; Lodge, 2005), il serait exagéré de considérer les normes et pratiques valorisées dans les espaces internationaux comme étant relayées par des acteurs nationaux uniquement soucieux de s’insérer dans les réseaux internationaux (Hassenteufel, 2005). Dans le cas turc, M. Yalçın Riollet indique en ce sens que si des espaces comme le sommet Habitat II servent d’arènes de socialisation à l’international pour toute une série de militants associatifs spécialisés sur la jeunesse, cet espace sert aussi de prétexte à ces militants pour élargir leurs réseaux au niveau local.
Conclusion
36En inscrivant ce dossier au croisement de plusieurs champs académiques pour interroger les circulations transnationales de l’ingénierie participative, les enquêtes mobilisées éclairent l’extrême hétérogénéité des acteurs (acteurs politiques, cadres d’organisations internationales, experts académiques et professionnels exerçant dans le secteur public comme privé – marchand et non marchand) impliqués volontairement ou non dans les dynamiques circulatoires. Sans chercher à dresser une typologie figée de ces acteurs et de leurs principales caractéristiques sociologiques, les contributions soulignent que les circulations de l’ingénierie participative doivent autant aux entrepreneurs de la circulation qu’aux acteurs locaux qui expérimentent sur le terrain les pratiques participatives.
37Les articles pointent tout d’abord le rôle d’acteurs fortement internationalisés, souvent multipositionnés, à l’instar des agents des organisations internationales, des académiques et de certains professionnels de la participation. Ces acteurs jouent leur propre stratégie, notamment de légitimation institutionnelle et professionnelle, mais sont également porteurs de représentations de la bonne participation, qui se traduit dans les discours et procédures spécifiques qu’ils contribuent à diffuser. Les enquêtes soulignent en parallèle la pluralité des investissements des acteurs locaux dans la participation. Ceux-ci ne sont pas nécessairement dotés de ressources internationales ni directement intéressés par l’international. Néanmoins, ils contribuent à alimenter la circulation de l’ingénierie participative. Ce sont finalement des acteurs ordinaires et peu visibles qui mobilisent des dispositifs et des références – à la participation et à l’international – dans leurs espaces sociaux locaux pour de multiples raisons professionnelles, institutionnelles, politiques et sociales. Ainsi, dans les cas étudiés, il apparaît que l’appropriation du discours et des pratiques participatives relève moins de l’adhésion à des valeurs (croyance en la démocratie) que d’investissements pluriels qui, en retour, viennent donner de la consistance au tournant participatif mondial.
38Au-delà de l’hétérogénéité des acteurs de la circulation, l’analyse des circulations transnationales de l’ingénierie participative nous conduit par ricochet à interroger l’existence d’un tournant participatif mondial dont la circulation des discours et des pratiques serait tout à la fois le témoin et le vecteur. L’existence d’un tel tournant traduirait alors la conversion à la fois idéologique et pragmatique d’un nombre croissant d’acteurs à la nécessité de renforcer la participation des citoyens à l’action publique via des dispositifs participatifs, et cela dans la plupart des contextes nationaux et locaux. Sans prétendre répondre de manière définitive à une telle interrogation, ce numéro conduit néanmoins à questionner l’unicité du tournant participatif tant sur le plan des idées que sur le plan des pratiques. Le dossier met tout d’abord en évidence le fait que l’émergence des pratiques participatives à travers le monde ne résulte ni de la conversion « enthousiaste » des acteurs à la participation ni d’une logique coercitive exercée depuis le haut vers le bas, mais plutôt d’une dynamique de « libre conformation ». La construction et la légitimation de la rhétorique participative sont ici centrales, d’autant plus que les acteurs académiques, comme nous l’avons vu, y participent directement. En d’autres termes, nous sommes bien ici face à un « mot d’ordre » dont le succès repose sur sa circulation dans les différents univers et espaces sociaux et professionnels. La participation est alors en ce sens un lieu commun « avec [lequel] on argumente, mais sur [lequel] on n’argumente pas » : c’est ce qu’ont souligné Pierre Bourdieu et Loïc Wacquant pour qui ces présupposés « doivent une part de leur force de conviction au fait que, circulant de colloques universitaires en livres à succès, de revues demi-savantes en rapports d’experts, de bilans de commissions en couvertures de magazines, ils sont présents partout à la fois, de Berlin à Tokyo et de Milan à Mexico, et sont puissamment soutenus et relayés par des lieux prétendument neutres que sont les organismes internationaux » (1998, p. 109). Si le succès du discours participatif ne saurait être rabattu sur la simple diffusion d’un nouveau slogan à la mode, il ne doit pas non plus être interprété comme le signe de l’institutionnalisation d’un référentiel participatif. En effet, si les idées, au-delà des discours, s’adossent à des procédures, des références et des bonnes pratiques, la multiplication des références comme autant de modèles à suivre est loin de former un référentiel [16] contraignant et hégémonique. Si tous les articles identifient des processus de construction de modèles ou bonnes pratiques diffusés dans le monde, leur analyse croisée souligne surtout que c’est dans des termes et selon des modalités extrêmement divers. L’accumulation de stratégies individuelles et collectives dans des univers variés et la sédimentation de circulations horizontales pour partie non contrôlées donnent une consistance à la rhétorique participative, et donc accréditent le discours sur la nécessité de la participation ; elles ne traduisent en aucun cas le partage d’une vision commune, c’est-à-dire d’un sens commun donné à la participation.
39La circulation de l’ingénierie participative doit au contraire beaucoup à sa plurivocité. Le dossier rappelle ainsi à quel point c’est bien au prix d’une conception extensive de la participation que l’on peut tenir ensemble la diversité des pratiques et des politiques participatives. Après tout, qu’y a-t-il vraiment de commun entre la participation des pauvres à leur développement, la mise en place d’Agenda 21 et la participation publique ? Variété de pratiques qui pourrait être encore plus forte si le dossier comprenait des articles s’intéressant au Community organizing, à la concertation entre stake holders dans la gestion de l’environnement ou au référendum d’entreprises. Aussi, si ces circulations transnationales peuvent être vues comme le reflet d’un tournant participatif mondial qu’elles contribuent à alimenter, elles nous conduisent plutôt à mettre l’accent sur l’hétérogénéité des pratiques et des discours, et donc sur la forte segmentation géographique et politique de ce tournant. D’une part, les freins et limites de la circulation observés dans le dossier nous invitent à remettre sur le métier l’hypothèse des « cultures participatives » en intégrant des variables institutionnelles telles que le degré de contrainte juridique, la structure de l’offre de participation (offre publique/offre privée) ou encore les modalités de professionnalisation qui nous semblent refléter des sentiers nationaux d’institutionnalisation de la participation. D’autre part, si les différents modèles participatifs mentionnés se légitiment réciproquement, ils sont porteurs de significations et de représentations différentes du politique. En effet, prendre de la distance avec le prisme démocratique ne doit pas nous conduire à considérer ces procédures comme de pures techniques. Elles incorporent au contraire des conceptions différentes du politique. D’ailleurs, et c’est une comparaison qui mériterait d’être approfondie, les entrepreneurs de la circulation du budget participatif n’ont pas le même profil que ceux par exemple de la participation publique. Ces conceptions politiques incorporées dans les procédures tendent à être neutralisées par la multiplication des références et des bonnes pratiques et diluées dans les appropriations multiples des procédures. Elles sont dès lors plus ou moins perceptibles par les acteurs locaux de la participation qui participent pourtant à leur institutionnalisation et à leur circulation.
Bibliographie
Bibliographie
- Akrich M., Callon M., Latour B., 1988a, « À quoi tient le succès des innovations ? 1 : L’art de l’intéressement », Annales des Mines. Gérer et Comprendre, 11, p. 4-17.
- Akrich M., Callon M., Latour B., 1988b, « À quoi tient le succès des innovations ? 2 : Le choix des porte-parole », Annales des Mines. Gérer et Comprendre, 12, p. 14-29.
- Aldrin P., Hubé N., 2016, « Une démocratie de « stakeholders » L’Europe politique, laboratoire avancé de l’expérimentation démocratique », Gouvernement et action publique, à paraître.
- Amelung N., 2012, « The emergence of citizen panels as a de facto standard », Quaderni, 79, p. 13-28.
- Bacqué M.-H. et al., 2005, Démocratie participative et gestion de proximité, Paris, La Découverte.
- Bacqué M.-H., Sintomer Y. (dir.), 2010, La démocratie participative inachevée. Genèse, adaptations et diffusions, Paris/Gap, Adels/Yves Michel.
- Bacqué M.-H., Sintomer Y., 2011, La démocratie participative. Histoire et généalogie, Paris, La Découverte.
- Balazard H., Talpin J., 2016, « Community organizing : généalogie, modèles et circulation d’une pratique émancipatrice », Mouvements, 85, p. 11-25.
- Béal V., Epstein R., Pinson G., 2015, « La circulation croisée. Modèles, labels et bonnes pratiques dans les rapports centre-périphérie », Gouvernement et action publique, 3 (3), p. 103-127.
- Bierschenk T., Chauveau J.-P., Olivier de Sardan J.-P., 2000, Courtiers en développement. Les villages africains en quête de projets, Paris/Mayence, Karthala/APAD.
- Blundo G., Le Meur P.-Y. (dir.), 2009, The Governance of Daily Life in Africa. Ethnographic Explorations of Public and Collective Services, Leiden, Brill Publishers.
- Bourdieu P., 2002, « Les conditions sociales de la circulation internationale des idées », Actes de la recherche en sciences sociales, 145, p. 3-8.
- Bourdieu P., Wacquant L., 1998, « Sur les ruses de la raison impérialiste », Actes de la recherche en sciences sociales, 121-122, p. 109-118.
- Brandenburger A., Nalebuff B., 1996, La co-opétition. Une révolution dans la manière de jouer concurrence et coopération, Paris, Village mondial.
- Bulmer S., Dolowitz D., Humphreys P., Padgett S., 2007, Policy Transfer in the European Union, Londres, Routledge.
- Chambers R., 1983, Rural Development: Putting the Last First, Londres, Longman.
- Charon P., 2010, « Participation contre démocratie : la diffusion des sondages délibératifs en Chine », Le Banquet, 27.
- Callon M., 1986, « Éléments pour une sociologie de la traduction. La domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins-pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc », L’Année sociologique, 36, p. 169-208.
- Cooke B., Kothari U. (dir.), 2001, Participation: The New Tyranny?, Londres, Zed Book.
- Cornwall A., Brock K., 2005, « What Do Buzzwords Do for Development Policy? A Critical Look at “Participation”, “Empowerment” and “Poverty Reduction” », Third World Quarterly, 26 (7), p. 1043-1060.
- Delpeuch T., 2009, « Comprendre la circulation internationale des solutions d’action publique : panorama des policy transfer studies », Critique internationale, 43, p. 153-165.
- Dezalay Y., Garth B. (dir.), 2002, Global Prescription. The Production, Exportation, and Importation of a New Legal Orthodoxy, Ann Arbor, University of Michigan Press.
- Dolowitz D. P., Marsh D., 1996, « Who Learns What from Whom? A Review of the Policy Transfer Literature », Political Studies, 44 (2), p. 343-357.
- Dolowitz D. P., Marsh D., 2000, « Learning from Abroad: The Role of Policy Transfer in Contemporary Policy Making », Governance, 13 (1), p. 5-24.
- Dupuy C., Pollard J., 2012, « La comparaison de politiques publiques infranationales : méthodes et pratiques », Revue internationale de politique comparée, 19 (2), p. 7-14.
- Dryzek J., Tucker A., 2008, « Deliberative Innovation to Different Effect: Consensus Conferences in Denmark, France, and the United States », Public Administration Review, 68 (5), p. 864-876.
- Epstein R., 2012, « De la différenciation territoriale à la libre conformation », in A.-C. Douillet, A. Faure, C. Halpern, J.-P. Leresche, L’action publique locale dans tous ses états. La démocratie à l’épreuve de la différenciation, Paris, L’Harmattan, p. 127-138.
- Epstein R., 2013, « Les trophées de la gouvernance urbaine », Pouvoirs locaux, 97, p.13-18.
- Fung A., Wright E. O., 2003, Deepening democracy, Institutional Innovations in Empowered Participatory Governance, Londres, Verso.
- Ganuza E., Baiocchi G., 2012, « The Power of Ambiguity: How Participatory Budgeting Travels the Globe », Journal of Public Deliberation, 8 (2), Article 8.
- Geissel B., Joas M., 2013, Participatory democratic innovations in Europe. Improving the quality of democracy, Opladen/Berlin/Toronto, Babara Budrich Publishers.
- Gourgues G. (dir), 2012, dossier « Produire la démocratie. Ingénieries et ingénieurs de l’offre publique de participation », Quaderni, 79, p. 5-98.
- Hassenteufel P., 2005, « De la comparaison internationale à la comparaison transnationale. Les déplacements de la construction d’objets comparatifs en matière de politiques publiques », Revue française de science politique, 55 (1), p. 113-132.
- Hassenteufel P., de Maillard J. (dir.), 2013, « Convergence, transferts et traduction. Les apports de la comparaison transnationale », Gouvernement et action publique, 3, p. 377-393.
- Hibou B., 2012, La Bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale, Paris, La Découverte.
- Ihl O., Kaluszynski M., 2002, « Pour une sociologie historique des sciences de gouvernement », Revue française d’administration publique, 2 (102), p. 229-243.
- Jennings R., 2000, « Participatory Development as New Paradigm: The Transition of Development Professionalism », Conference Community-Based Reintegration and Rehabilitation in Post-Conflict Settings, Washington DC, 30-31 octobre 2000.
- Keck M.E., Sikkink K., 1998, Activists Beyond Borders: Advocacy Networks in International Politics, Ithaca, Cornell University Press.
- Klein A. et al. (dir.), 2015, Les bonnes pratiques des organisations internationales, Paris, Presses de Sciences Po.
- Labranche S., 2009, « L’insoutenable légèreté environnementale de la participation : une problématisation », VertigO La revue électronique en sciences de l’environnement, 9 (1), http://vertigo.revues.org/8346 (accès le 10/03/2016).
- Lascoumes P., Le Galès P. (dir.), 2005, Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po.
- Lodge M., 2005, « The importance of being modern », Journal of European Public Policy, 12 (4), p. 649-667.
- Massardier G., Sabourin É., Lécuyer L., Avila M. L. (de), 2012, « La démocratie participative comme structure d’opportunité et de renforcement de la notabilité sectorielle. Le cas des agriculteurs familiaux dans le Programme de Développement Durable des Territoires Ruraux au Brésil, territoire Aguas Emendadas », Participations, 2, p. 78-102.
- Mazeaud A., 2010, La fabrique de l’alternance. La démocratie participative dans la recomposition du territoire régional (Poitou-Charentes 2004-2010), thèse pour le doctorat de science politique, Université de La Rochelle.
- Mazeaud A., Nonjon M., 2015, « De la cause au marché de la démocratie participative », Agone, 56, p. 135-152.
- Mériaux O., 1995, « Référentiel, représentation(s) sociale(s) et idéologie. Remarques à partir d’une application du référentiel à la politique de l’emploi », in A. Faure, G. Pollet, P. Warin, Construction du sens dans les politiques publiques. Débats autour de la notion de référentiel, Paris, L’Harmattan, p. 49-68.
- Moini G., 2011, « How participation has become a hegemonic discursive resource: towards an interpretivist research agenda », Critical Policy Studies, 5 (1), p. 149-168.
- Mosse D., 2005, Cultivating Development: An Ethnography of Aid Policy and Practice, Londres/Ann Arbor, Pluto Press.
- Muller P., 1990, Les politiques publiques, Paris, Presses universitaires de France.
- Murray Li T., 2007, The Will to Improve. Government, Development and the Practice of Politics, Durham/Londres, Duke University Press, 2007.
- Navez-Bouchanine F., Valladares L. (dir.), 2007, dossier « Villes et “best practices” », Espaces et société, 131, p. 9-116.
- Nepal S., 2002, « Involving Indigenous Peoples in Protected Area Management: Comparative Perspectives from Nepal, Thailand, and China », Environmental management, 30 (6), p. 748-763.
- Neveu C. (dir.), 2007, Cultures et pratiques participatives. Perspectives comparatives, Paris, L’Harmattan.
- Newton K., Geissel B. (dir.), 2011, Evaluating Democratic Innovations: Curing the Democratic Malaise ?, Abingdon, Routledge.
- Parizet R., 2013, « La fabrique dépolitisée des élites locales. Les dispositifs de développement participatif dans le Chiapas (Mexique) », Revue internationale de politique comparée, 20 (4), p. 77-101.
- Parizet R., 2015, Les paradoxes du développement. Sociologie politique des dispositifs de normalisation des populations indiennes au Mexique, Paris, Dalloz.
- Payre R., Spahic M., 2012, « Le tout petit monde des politiques urbaines européennes. Réseaux de villes et métiers urbains de l’Europe : le cas du CCRE et d’Eurocities », Pôle Sud : revue de science politique de l’Europe méridionale, 37, p. 117-137.
- Pétric B. (dir), 2012, La fabrique de la démocratie. ONG, fondations et organisations internationales en action, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme.
- PNUD, 1993, Rapport sur le développement humain 1993. La participation populaire, New York, Programme des Nations unies pour le développement.
- Ravinet P., 2011, « La coordination européenne “à la bolognaise”. Réflexions sur l’instrumentation de l’espace européen d’enseignement supérieur », Revue française de science politique, 61, p. 23-49.
- Revel M., Blatrix C., Blondiaux L., Fourniau J.-M., Lefevre R., 2007, Le débat public : une expérience française de démocratie participative, Paris, La Découverte.
- Robert C., 2010, « Les groupes d’experts dans le gouvernement de l’Union européenne. Bilans et perspectives de recherche », Politique européenne, 32, p. 7-38.
- Röcke A., 2009, Democratic Innovation Through Ideas? Participatory budgeting and frames of citizen participation in France, Germany and Great Britain, thèse pour le doctorat de science politique et sciences sociales, European University Institute, Florence.
- Rose R., 1993, Lesson-Drawing in Public Policy, Chatham, Chatham House Publishers.
- Saurruger S., 2009, « The social construction of the participatory turn: The emergence of a norm in the European Union », European Journal of Political Research, 49 (4), p. 471-495.
- Siméant J., 2003, « Champs internationaux et transformations du pouvoir d’État : en lisant Dezalay et Garth », Revue française de science politique, 53 (5), p. 817-832.
- Siméant J., 2005, « Des mouvements nouveaux et globaux ? Sur les mouvements sociaux “transnationaux” dans quelques ouvrages récents », Communication au congrès de l’AFSP, table ronde n°1 Où en sont les théories de l’action collective ?, Lyon, 14-16 septembre 2005.
- Simmons B., Dobbin F., Garret G., 2006, « Introduction: the international diffusion of liberalism » International Organization, 60 (4), p. 781-810.
- Simmons B., Dobbin F., Garret G., 2007, « The Global Diffusion of Public Policies: Social Construction, Coercion, Competition, or Learning? », Annual Review of Sociology, 33, p. 449-472.
- Simmons B., Dobbin F., Garret G. (dir.), 2008, The Global Diffusion of Markets and Democracy, Cambridge, Cambridge University Press.
- Sintomer Y. et al. (dir.), 2008, Budgets participatifs en Europe, Paris, La Découverte.
- Sintomer Y. et al. (dir.), 2013, Participatory Budgeting in Asia and Europe, Basingstoke, Palgrave Macmillan.
- Smith G., 2005, Beyond the ballot. 57 Democratic Innovations from Around the World. Londres, Power Inquiry, https://core.ac.uk/download/files/34/30511.pdf (accès le 31/03/2016).
- Smith G., 2009, Democratic innovations. Designing Institutions for Citizen Participation, Cambridge, Cambridge University Press.
- Tarrow S., 2000, « La contestation transnationale », Cultures & Conflits, 38-39, http://conflits.revues.org/276 (accès le 31/03/2016).
- van Heck B., 2003, Participatory Development: Guidelines on Beneficiary Participation in Agricultural and Rural Development, Rome, FAO.
- Vauchez A., 2013, « Le prisme circulatoire. Retour sur un leitmotiv académique », Critique internationale, 2 (59), p. 9-16.
- Wampler B., 2007, « A guide to participatory budgeting », in A. Shah (dir.), Participatory Budgeting, Washington (DC), The World Bank, p. 21-54.
- Wampler B., Hartz-Karp J. (dir), 2012, « The Spread of Participatory Budgeting Across the Globe : Adoption, Adaptation, and Impact », Journal of Public Deliberation, 8(2), Article 13.
- Weber F., 2012, « Forme de l’échange, circulation des objets et relations entre les personnes », Hypothèses, 1 (5), p. 287-298.
- White S.C., 1996, « Depoliticising Development: the Uses and Abuses of Participation », Development in Practice, 6 (1), p. 6-15.
Notes
-
[1]
Des travaux ont toutefois pointé l’illusion de la nouveauté absolue en la matière (Bacqué, Sintomer, 2011).
-
[2]
S’il est impossible de les recenser ici de manière exhaustive, le constat est encore plus vrai dans les monographies.
-
[3]
Les articles sont issus d’une journée d’étude « Un tournant participatif mondial ? Les circulations internationales de l’ingénierie participative » organisée en janvier 2015 à l’IEP d’Aix-en-Provence, grâce au soutien du CHERPA et du GIS Participation, décision et démocratie participative.
-
[4]
Sans pouvoir l’analyser précisément ici, notons que le prisme démocratique de la participation est si puissant que la participation est pensée comme synonyme de démocratisation, et cela même dans des contextes autoritaires. Pour une discussion sur ce point à partir de l’analyse de la diffusion des sondages délibératifs en Chine, voir Charon (2010).
-
[5]
Les processus circulatoires font l’objet de nombreux séminaires de recherche ou journées d’étude, comme la journée d’étude « La mobilité des élites : reconversions et circulation internationale. Bilans et réflexions sur les possibilités de recherches comparatives Nord – Sud et Est – Ouest », organisée par le Réseau Acteurs Émergents (janvier 2009) ; le séminaire de recherche « Transferts, circulations, acteurs de l’international » (2009-2010) du programme Polilexes-DEJUGE du Centre de recherches politiques de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ; le colloque « Droit et politique : la circulation internationale des modèles en question(s) », organisé par le Cerdhap (mars 2012) ; le colloque « Les sciences de gouvernement, Circulation(s), Traduction(s), Réception(s) », organisé par le laboratoire Triangle (décembre 2010) ; la journée d’étude « Repenser les phénomènes circulatoires », organisée à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (septembre 2012).
-
[6]
Pour des questions de lisibilité, nous ne reproduirons pas les guillemets dans la suite de cet article, même s’il s’agit bien d’une catégorie produite par les acteurs que nous discutons dans l’article.
-
[7]
Dans les sens que nous avons identifiés au début de cet article.
-
[8]
Selon eux, les constructivistes mettent l’accent sur le rôle des experts et des communautés épistémiques dans la production de « normes » internationales. Les analyses en termes de coercition mettent l’accent sur le caractère vertical et inégalitaire de la circulation – les acteurs les plus puissants parvenant à imposer des politiques de façon plus ou moins subtile. Les analyses en termes de compétition insistent sur les effets d’émulation entre des acteurs désireux d’améliorer leur attractivité et leur compétitivité. Enfin, selon les auteurs, les approches en termes d’apprentissage soulignent les changements de croyance et de pratiques liés à ce que les acteurs apprennent de leurs propres expériences ou de celles des autres.
-
[9]
Sur ce point, les contributions suivent l’invitation faite par Simmons, Dobbin et Garret pour qui non seulement les acteurs en capacité d’exercer cette coercition doivent être identifiés, mais aussi les supports et les réseaux par lesquels ces derniers promeuvent un dispositif (2006, p. 791).
-
[10]
Elles sont envisagées ici comme autant de « formulations doctrinales et [des] revendications de scientificité dont s’est continûment enorgueillie la conduite du pouvoir bureaucratique » (Ihl, Kaluszynski, 2002, p. 233).
-
[11]
Nous rejoignons l’analyse d’Andrea Cornwall et de Karen Brock qui montrent que la participation « confère une légitimité » aux acteurs institutionnels (2005, p. 1044) : ce ressort explicatif permet de comprendre la construction d’un mot d’ordre qui légitime les interventions des organisations internationales, notamment dans le champ du développement participatif ; toutefois, nous ne considérons pas que ce ressort ne permet pas à lui seul d’expliquer l’adhésion et l’appropriation des acteurs nationaux et locaux à cette norme participative.
-
[12]
Pour des questions de lisibilité, nous ne reproduirons pas les guillemets dans la suite de cet article, même s’il s’agit bien d’une catégorie produite par les acteurs et donc d’un discours à déconstruire.
-
[13]
On peut faire ici appel aux travaux qui portent sur la recomposition de l’action et du rôle de l’État dans ce même sens, voir entre autres Hibou (2012) et Esptein (2012).
-
[14]
Ce néologisme managérial issu de la contraction des termes de coopération et de compétition a progressivement envahi le champ des politiques publiques. Il désigne la congruence de deux dynamiques a priori contradictoires : le développement de stratégies de coopération entre des acteurs en concurrence (Brandenburger, Nalebuff, 1996).
-
[15]
Nous reprenons ici l’expression et le sens de l’analyse de Françoise Navez-Bouchanine et Licia Valladares (2007).
-
[16]
Un référentiel, rappelons-le, « est constitué d’un ensemble de prescriptions qui donnent sens à un programme d’action publique en définissant des critères de choix et des modes de désignation des objectifs. Il s’agit à la fois d’un processus cognitif fondant un diagnostic et permettant de comprendre le réel (en limitant sa complexité) et d’un processus prescriptif permettant d’agir sur le réel » (Muller, 1990, p. 62).