Notes
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[1]
Joseph-Barthélemy, « Le droit public en temps de guerre », Revue du droit public, 1915, p. 134-162, 1916, p. 72-119, p. 552-586, 1917, p. 146-151 (nous n’indiquerons désormais que la pagination dans le texte même). En 1915, il publie également, avec Gaston Jèze, Louis Rolland et Charles Rist, pour y développer les mêmes idées, les Problèmes de politique et finances de guerre, chez Alcan.
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[2]
Ce qu’il est encore à cette époque. Pour une analyse complète du parcours intellectuel et politique de Barthélemy, voir Frédéric Saulnier, Joseph-Barthélemy (1874-1945). La crise du constitutionnalisme libéral sous la iiie République, thèse, Université de Paris II, 1996.
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[3]
Voir F.rançois Saint-Bonnet, L’état d’exception, Paris, Puf, 2001, p. 369-370.
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[4]
Curieuse disposition pour un juriste universitaire. Elle s’explique par la place qu’il entend donner aux exigences de l’action par rapport à la dimension théorique de la politique. Barthélemy ne cessera de répéter qu’il convient de se frotter aux impératifs de l’action et que celle-ci est peut-être, in fine, plus éminente que la spéculation (« l’homme de cabinet doit s’incliner très bas devant l’homme d’action qui assume les responsabilités » [115]). Voir aussi F. Saulnier qui évoque néanmoins à propos de Barthélemy la nécessaire dialectique de l’action et de la réflexion (op. cit., p. 216 sq., 359 sq.). Reste que Barthélemy fait surtout l’éloge de l’action en référence à la dimension pratique du droit (la décision), et non à l’action « physique » garantissant son exécution matérielle, qui requiert des vertus plus viriles dont il fait par ailleurs état, et qui emportent d’autres conséquences – moins confortables – en temps de guerre… La vita activa « noble » est celle du gouvernant – de celui qui dirige –, et dont la prééminence repose sur le postulat d’une inégalité naturelle : celle de l’intelligence – et de sa supériorité présumée – sur les qualités physiques. Cette manière de voir n’est pas sans rappeler la distinction posée par Aristote au chapitre 2 des Politiques… C’est cette philosophie de l’action qui conduira Barthélemy à faire des infidélités à l’Université (où, doit-on penser, dire n’est pas faire…), pour se fourvoyer gravement dans le gouvernement de Vichy… (voir ibid., p. 386 sq., et le texte de Stéphane Rials qui devait constituer la préface de la version publiée de la thèse de F. Saulnier, censurée par ses mécènes, « “Malum metaphysicum”. Faiblesses ordinaires en temps d’épouvante (vies parallèles à Vichy) », Droits, 39, 2004, p. 149-196).
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[5]
Joseph-Barthélemy, « De la liberté du gouvernement à l’égard des lois dont il est chargé d’assurer l’application », Revue du droit public, 1907, p. 295-320.
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[6]
Marie-Joëlle Redor, De l’État légal à l’État de droit. L’évolution des conceptions de la doctrine publiciste française (1879-1914), Economica, 1992, p. 133.
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[7]
C’est exactement ce qu’écrit Rousseau au sujet des rapports entre la puissance législative et la puissance exécutive, dans le livre III, chap. 1, du Contrat social.
À la même époque que Barthélemy, Maurice Hauriou (Principes de droit public, Sirey, 2e éd., 1916, p. 441-457) s’attache à étudier la séparation du pouvoir civil et du pouvoir militaire dans le cadre plus vaste d’une théorie de la séparation matérielle des pouvoirs (cf. Olivier Beaud, « Michel Troper et la séparation des pouvoirs », Droits, 37, 2003, p. 168-171). Hauriou, en faisant derrière Mommsen la généalogie de cette séparation du civil et du militaire, s’interroge sur les fondements philosophiques de la supériorité du pouvoir civil – la préservation de l’économique (le reste de la doctrine traite essentiellement de la mobilisation de la force armée par le pouvoir civil. Voir Lucien Rochoux, De l’autorité militaire. Sa nature, ses rapports avec l’autorité civile, thèse de Droit, Bordeaux, Cadoret, 1896 ; Vel-Durand, « La force publique et sa mise en mouvement », Revue du droit public, 1905, p. 40 sq.). Barthélemy suppose cette supériorité pour en étudier les modalités, avec comme seule optique l’efficacité dans la conduite de la guerre : la séparation du pouvoir civil et du pouvoir militaire est d’abord utile pour optimiser les chances d’emporter la victoire. C’est pourquoi Barthélemy insiste autant sur l’indépendance de l’autorité militaire concernant les opérations militaires que sur celle du gouvernement concernant la direction politique de la guerre. -
[8]
Locke définit le pouvoir fédératif au chapitre 12 du Traité du gouvernement civil (§ 145-148). C’est, notamment, la fonction – plus que le pouvoir – qu’ont les États de faire la paix et la guerre. Bien que théoriquement distincte du pouvoir exécutif, Locke explique qu’elle y est en pratique le plus souvent jointe, pour des raisons d’efficacité. Enfin et surtout, ce « pouvoir » fédératif s’exerce de manière essentiellement prudentielle.
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[9]
Il faudrait plus certainement parler d’autorité militaire, comme on parle parfois d’autorité judiciaire. Les comparer quant à leur statut juridique pourrait présenter un certain intérêt. Pour Benjamin Constant par exemple, l’armée n’est pas un pouvoir constitutionnel (Principes de politique – version de 1815 – in Écrits politiques, Paris, Gallimard, 1997, chap. 14).
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[10]
Pourtant, dès septembre 1914, c’est le sentiment qu’inspire la « dictature » du GQG dirigé par Joffre (Philippe Bernard, La fin d’un monde. 1914-1929, Paris, Éd. du Seuil, coll. « Nouvelle histoire de la France contemporaine », 1975, p. 42-43).
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[11]
La différence entre tactique et stratégie relève tant du champ du savoir que de l’activité en cause. La tactique concerne une multiplicité d’événements semblables, précis, et se prête donc à une théorisation (un art de la guerre), tandis que la stratégie vise de grands événements singuliers, et laisse place au génie politique. Ensuite, pour la stratégie, le combat forme une unité indivise à imaginer, tandis qu’il se décompose en de multiples affrontements à agencer rationnellement dans le cadre de la tactique (Emmanuel Terray, Clausewitz, Paris, Fayard, 1999, p. 164 sq. ; voir aussi Alexis Philonenko, Essais sur la philosophie de la guerre, Paris, Vrin, 1988, « Tolstoï et Clausewitz », p. 208 sq. Barthélemy refuse aux militaires – tacticiens – la possibilité de conduire la guerre comme des stratèges. Il rejoint ici Clausewitz qui ne fait une exception que pour Napoléon (ibid., p. 219, n. 21).
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[12]
Voir Pierre Miquel, La grande guerre, Paris, Fayard, 1983, p. 235 sq.
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[13]
Sur ces questions, voir Stéphane Rials, Administration et organisation (1910-1930). De l’organisation de la bataille à la bataille de l’organisation dans l’administration française, Paris, Beauchesne, 1977.
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[14]
Voir ses développements sur le droit pénal et l’extension de la compétence des tribunaux militaires, p. 74 sq.
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[15]
Bemjamin Constant, Principes de politique (version de 1806-1810), Paris, Hachette, coll. « Pluriel », 1997, chap. 3.
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[16]
Et l’opinion publique de l’époque, pour qui les grands chefs (Joffre, Gallieni, Foch) font l’objet d’un véritable culte de la personnalité. Ces militaires ont d’ailleurs souvent une haute opinion d’eux-mêmes, qui les conduit à se prêter des qualités qui vont au-delà du métier des armes (voir Foch, Mémoires pour servir à l’histoire de la guerre de 1914-1918, Paris, Plon, 1931, t. I, p. XXI). Le but de Barthélemy est certainement de réaffirmer le pouvoir du gouvernement dans la conduite de la guerre face à un Parlement assez offensif depuis décembre 1914 – dénonçant la trop grande liberté laissée au « gouvernement de Chantilly » –, et face aux prétentions politiques du GQG dirigé par l’intouchable vainqueur de la Marne. À ce sujet, il plane certainement encore dans les mémoires la concurrence funeste à laquelle se sont livrés la Commune de Paris et le gouvernement de défense nationale en 1871…
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[17]
Avec l’apparition de la force de frappe nucléaire a été opéré un retour à une conception du chef de l’État comme véritable chef de guerre, donnant aux dispositions constitutionnelles une véritable effectivité politique (voir Henri Pac, Droit et politiques nucléaires, Paris, Puf, 1994, p. 227 sq., et Jean Paucot, « Le pouvoir d’engager les hostilités en France », Pouvoirs, 10, 1979, p. 73 sq.).
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[18]
Voir F. Saulnier, op. cit., p. 543 sq.
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[19]
C’est déjà la position du parti national avant 1914. Pourtant, dès l’origine, tout montre que dans le camp républicain, la iiie avait notamment pour matrice la revanche contre l’Allemagne (voir Éric Desmons, « La République belliqueuse. La guerre et la constitution politique de la iiie République », Revue française d’histoire des idées politiques, 15, 2002, p. 113-133).
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[20]
« Pour nous qui n’avons jamais pensé que la Constitution de 1875 exigeât une révolution, nous avons toutes raisons d’estimer que ce n’est pas en présence de l’ennemi que cette révolution doit être faite » (555).
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[21]
C’est en réalité la déclaration de l’état de siège – qu’il faudrait réinterpréter dans cette perspective – qui pose avec le plus d’intensité la question de la séparation du pouvoir civil et militaire, et de son abolition au bénéfice d’une autorité militaire sortant de son « cantonnement juridique » (M. Hauriou, op. cit., p. 457).
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[22]
Ne s’est-il pas toujours posé en « chantre de la pression parlementaire » ? (voir F. Saulnier, op. cit., p. 555).
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[23]
En 1916 commencera à fonctionner un contrôle parlementaire aux armées, assez mal vécu par le haut commandement (Maurice Agulhon, La République (1880-1932), Hachette, coll. « Pluriel », 1990, p. 272 sq.).
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[24]
Même idée chez Montesquieu : « L’armée […] ne doit point dépendre immédiatement du corps législatif, mais de la puissance exécutrice, et cela par la nature des choses : son fait consistant plus en action qu’en délibération » (L’esprit des lois, XI, 6).
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[25]
Ce qui a abouti à la création de sous-secrétariats d’État.
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[26]
Faut-il voir ici une trace d’hégélianisme ? (Hegel, Principes de la philosophie du droit, § 329). Pour Barthélemy, l’enjeu n’est pas le caractère démocratique des institutions, puisque la vieille démocratie américaine admet aussi que le chef de l’État soit le commandant direct des armées (571).
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[27]
C’est ce qu’estime Léon Duguit, Droit constitutionnel, I, Paris, Fontemoing, 1907, p. 994.
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[28]
Joffre est-il ici visé ?
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[29]
Titre qui reviendra à Joffre dès 1911.
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[30]
L’expédition de Salonique était dirigée par le général Sarrail, qui recevait ses ordres du gouvernement et non du généralissime, ce que ne pouvait supporter Joffre. Avec le décret du 2 décembre 1915, Briand se rangea du côté de Joffre. Cette situation durera jusqu’à ce que Nivelle et Sarrail retrouvent leur titre de commandant en chef et que Joffre démissionne, le 26 décembre 1916, pour être remplacé par Nivelle.
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[31]
Cette prise de position vise à discréditer les prétentions politiques de Joffre, tout en préservant son autorité militaire.
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[32]
En 1916, Joffre devient significativement « conseiller technique du gouvernement », et membre du Comité de guerre.
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[33]
Ce qui aboutit à une concentration des pouvoirs entre les mains de l’autorité militaire, qui est considérée par Hauriou comme une véritable régression politique, au regard de l’histoire (M. Hauriou, op. cit., p. 450 sq.).
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[34]
Michel Foucault, Il faut défendre la société, Paris, Éd. du Seuil, 1997.
Une guerre moderne […] est une guerre de préparation autant qu’une guerre d’opérations, une guerre de gouvernements autant qu’une guerre d’armées, et la victoire appartiendra non seulement aux plus braves, mais aussi aux plus intelligents et aux mieux gouvernés.
La guerre possède sa propre grammaire, mais non pas sa propre logique.
Une armée n’est rien, que par la tête.
1Des publicistes les plus en vue de la première moitié du xxe siècle, Joseph-Barthélemy est peut-être celui qui a porté l’attention la plus constante aux évolutions du « droit public en temps de guerre », lors du premier conflit mondial. Il donne, sous cet intitulé, trois longs articles à la Revue du droit public, en 1915, 1916 et 1917, que l’on peut lire comme une chronique en temps réel des mutations que la guerre imprime au droit administratif, au droit pénal et au droit constitutionnel [1]. Quantitativement, ce sont les développements consacrés aux libertés publiques – et à la diminution de leurs garanties – qui y occupent le plus de volume. Barthélemy s’étend longuement, en juriste « libéral » [2], sur la compétence élargie des juridictions militaires, sur la censure, sur les multiples effets de la déclaration de l’état de siège, et, singulièrement, sur les implications de l’augmentation de l’autorité gouvernementale en période de guerre. Il ne peine guère à reconnaître que l’époque est rude aux libertés publiques. Mais il reste néanmoins assez bienveillant tant à l’endroit des législations d’exception alors mises en œuvre qu’au sujet des violations patentes de la légalité auxquelles le gouvernement est conduit à se livrer : « Il y a quelque chose de plus sacré que la liberté des personnes, c’est la vie des nations » (119), cette dernière étant pour lui à l’évidence la condition de la précédente. Barthélemy place plus volontiers le droit public en temps de guerre sous le sceau de l’évidente nécessité que sous celui de la légalité positive, fût-elle d’exception, mais qui constitue encore un régime de garantie des libertés publiques [3]. L’épiphanie de la victoire et le salut de l’État, s’ils sont acquis dans les faits, laveront alors les violations du droit et écarteront ce que Barthélemy nomme des « scrupules juridiques » (115) [4]. Il ne fait d’ailleurs, à ce sujet, que prolonger ses réflexions d’avant-guerre sur « la liberté du gouvernement à l’égard des lois [5] » : comme le résume Marie-Joëlle Redor, Barthélemy estimait déjà que le gouvernement doit en certaines circonstances « préférer à son obligation de respecter la loi celle de sauver l’État [6] ». La guerre, évidemment, porte à son acmé cette doctrine du salut public, étayée par une anthropologie assez sombre – proche de Hobbes – et par une philosophie organique qui n’est pas sans rappeler Rousseau :
Dans les périodes de guerre, toutes les énergies de la nation doivent être unanimement tendues vers le but suprême de la victoire ; un des éléments essentiels de ce bloc de toutes les résistances physiques, morales, intellectuelles, c’est, dans tout le pays, un ordre absolu, une discipline rigoureuse ; or, tant que l’humanité restera ce qu’elle est, l’ordre et la discipline auront pour premier fondement la crainte de la peine. Initium sapientae…
3On pouvait s’en douter, le libéral n’est donc en rien un libertaire : la guerre met l’État et son ordre politique au premier plan de toutes les préoccupations. C’est pourquoi Barthélemy préfère, hiérarchisant les fins du droit, décerner un brevet d’efficacité aux institutions de la iiie République – censé compenser les atteintes portées aux libertés –, en le légitimant d’ailleurs plus par l’opinion publique que par la raison juridique :
En vain chercherions-nous quels sont les droits qui sont restés en dehors des atteintes du gouvernement. La France a eu la sensation qu’elle était gouvernée, fortement gouvernée. Elle a accepté allègrement de la République un régime de guerre […]. Admirable souplesse de la constitution de 1875 ! On lui reprochait d’avoir condamné son exécutif à une déplorable impuissance ; et quand les circonstances l’ont exigé, cet exécutif a déployé toute la force qu’il était raisonnablement possible de souhaiter !
5Si Barthélemy fait donc une place de choix au principe d’autorité en temps de guerre, il reste en revanche intransigeant sur les modalités constitutionnelles de son expression : certes le régime parlementaire doit savoir s’adapter (les décisions ne doivent plus naître au premier chef de la délibération parlementaire), mais en toute hypothèse le pouvoir civil – dont l’énergie se recompose au sein du gouvernement – ne doit jamais s’effacer devant l’autorité militaire, qui pourrait pourtant présenter, en apparence, certaines qualités (organisation, discipline, etc.) adaptées aux circonstances : il doit au contraire diriger son action, comme, pour produire ses effets, la volonté déterminant l’acte doit guider la force qui l’exécute [7]. Barthélemy met ainsi en avant la nécessité « d’une nouvelle séparation des pouvoirs, celle du pouvoir civil et du pouvoir militaire, qui est en dehors de la formule de Montesquieu, mais qui pourrait s’accorder avec la conception du pouvoir fédératif mis en avant par Locke » (585) [8]. On peut considérer que cette « nouvelle séparation des pouvoirs » [9] relève en dernière analyse d’une certaine philosophie de la guerre, plus que d’une philosophie politique strictement entendue. Car au-delà d’impératifs démocratiques rapidement évoqués et liés au danger politique que représente l’esprit militaire pour la démocratie [10], Barthélemy épouse en réalité plus profondément – mais sans la nommer – l’analyse de Clausewitz, qu’il applique à la question constitutionnelle, pour des raisons purement pratiques : optimiser les chances de victoire. Il distingue à cet effet la direction politique de la guerre de la conduite des opérations militaires pour considérer que la direction politique de la guerre est une question de stratégie – et non de tactique –, voire de « grande stratégie », pour laquelle le commandement militaire ne dispose pas de compétences sérieuses, ni même de légitimité [11] : la guerre moderne est une guerre totale, complexe, qui dépasse de loin la stricte question du commandement militaire ; elle engage pleinement la nation et sollicite l’État dans toutes ses fonctions (554, 582 sq.) [12] ; elle implique la mobilisation de l’ensemble des forces vives, au-delà des armées ; elle suppose surtout des vues élargies auxquelles seul le génie politique peut accéder… Pour Barthélemy, l’autorité militaire – de quelque manière qu’elle puisse s’incarner – ne doit donc jamais arraisonner la direction politique de la guerre, au risque de l’incompétence. Il accueille peut-être favorablement l’introduction de techniques d’organisation [13] ou de procédures propres à l’institution militaire dans l’orbe administratif [14] – tout en rappelant, à la manière de Benjamin Constant [15], que la démocratie doit veiller à ce que le pouvoir civil ne se pénètre pas « d’esprit militariste » (553) –, mais il s’oppose à l’idée de confier aux militaires – sous couvert d’une prétendue mais illusoire efficacité qu’aurait tendance à promouvoir le sens commun [16] – une once du pouvoir civil. Puisque la guerre n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens, puisqu’elle en tire son sens, puisqu’elle met aussi en jeu des équilibres globaux, le pouvoir civil ne doit donc pas s’éclipser lorsque le conflit commence, bien au contraire ; il doit en déterminer les modalités et les fins, sous le contrôle de la représentation nationale. Barthélemy aurait ainsi pu reprendre à son compte le mot fameux attribué à Clemenceau : « La guerre est une chose trop importante pour être confiée aux militaires »… Seul donc le pouvoir civil est apte à assurer la conduite politique de la guerre, ce qui en exclut le commandement militaire – compétent pour l’organisation des opérations armées –, et dont « l’indépendance […] est celle du technicien, à l’égard du supérieur dépourvu des connaissances techniques ; le supérieur s’incline devant le spécialiste, mais n’abdique pas » (585).
6Mais il faut comprendre que l’affirmation de ce principe de spécialisation au bénéfice du gouvernement concernant la conduite politique de la guerre doit en retour garantir la compétence exclusive de l’autorité militaire pour ce qui concerne la direction technique des opérations militaires, et qui est, selon Barthélemy, le gage de son efficacité. Protéger l’autorité militaire des prétentions hégémoniques du pouvoir civil – tout autant que l’inverse – n’est pas ici une hypothèse d’école, puisque selon la constitution de 1875 le chef de l’État « dispose de la force armée ». Or, cette concentration de l’autorité militaire entre les mains du titulaire de la présidence de la République – qui n’est généralement pas techniquement compétent – est considérée par Barthélemy comme ne correspondant plus aux exigences des conflits modernes, tout autant qu’elle manque de cohérence juridique [17]. C’est pourquoi il plaide en faveur de l’institution d’un généralissime, chargé, seul, de commander aux armées et de déterminer les choix tactiques, sous le contrôle de l’exécutif qui le nomme.
La direction politique de la guerre : la prééminence gouvernementale
7Il faut lire ici Barthélemy comme un publiciste républicain des débuts de la iiie République – c’est-à-dire un apologiste – apportant une contribution à la théorie du régime parlementaire en période de crise, mais qui tend aussi à se constituer en un plaidoyer pour les institutions de 1875 [18] et leur aptitude à maîtriser un état d’exception que leurs contempteurs auraient pu considérer comme étant l’épreuve de vérité [19]. L’ensemble des textes de Barthélemy sur cette période doit être jaugé comme une caution de poids, apportée par un professeur de droit reconnu, aux institutions de la iiie. Barthélemy abusera certes plus tard de cette tendance souvent fâcheuse des juristes au légitimisme institutionnel ; mais eu égard à sa notoriété, c’est un acte d’allégeance de l’Université – et de son ordre le plus concerné : celui de la science du droit public –, à un système politique dont la légitimité est encore, à l’époque, parfois remise en cause. Barthélemy s’oppose ainsi par principe, mais aussi empiriquement, à une condamnation du régime parlementaire pour fait de guerre : l’heure n’est pas, écrit-il, au changement « révolutionnaire » – dans un sens dictatorial ou conventionnel –, qu’imposeraient les circonstances, comme le pensent certains [20]. Les institutions de 1875 peuvent parfaitement s’adapter aux exigences du conflit : l’exécutif parlementaire possède toutes les ressources constitutionnelles pour mener la guerre victorieusement, et le Parlement doit encore pouvoir raisonnablement exercer son contrôle sur l’activité gouvernementale, afin de la rendre la plus efficace possible. Barthélemy se bat contre sa gauche et contre sa droite, et finalement contre deux conceptions de la concentration des pouvoirs : contre celle, placée sous les auspices de la Convention, souhaitant une radicalisation du régime en gouvernement d’assemblée qui assumerait seul la direction politique de la guerre (au risque de « la démagogie »), et contre celle, habitée par le souvenir des Empires, qui voudrait qu’elle soit exercée sans partage et surtout sans contrôle par l’exécutif (au risque de « l’inertie bureaucratique »). Or, pour Barthélemy, ces doctrines constitutionnelles relèvent de ce qu’il nomme l’idéologie, quand seule l’efficacité devrait commander : « L’action l’emporte ici sur toutes les théories ; celui qui réussit avait raison ; la victoire est le meilleur des arguments » (555). La seule question pertinente est donc une question pratique : « Dans quelles conditions toutes les forces de la démocratie seront-elles tendues vers le but suprême de la victoire ? » (555.) Selon quels agencements les pouvoirs constitutionnels seront-ils les plus performants ? Cette question appelle, selon Barthélemy, une adaptation du régime parlementaire, qui, sans que soient congédiées les chambres, puisse donner à un gouvernement toujours responsable toute la plénitude d’action nécessaire à la conduite politique de la guerre.
8Pour affirmer la prééminence du gouvernement en ce domaine, Barthélemy rejette tant les doctrines qui prônent l’effacement du Parlement que celles qui entendent lui faire exercer un contrôle direct de l’action gouvernementale et des services administratifs, aboutissant à une substitution de fonction, exonérée de toute responsabilité.
9Sur le premier point, Barthélemy prend simplement acte des événements qui ont eu cours au début du conflit, pour abonder en leur sens. Début août 1914, les chambres s’étaient séparées en laissant à leurs présidents le soin de les convoquer au besoin. Mais l’avance allemande avait conduit le Parlement et le gouvernement à se réfugier à Bordeaux, l’état de siège ayant été par ailleurs déclaré, laissant à un Joffre et au GQG qui menaient une bataille décisive le soin d’exercer en fait les responsabilités politiques [21]. Néanmoins, après la victoire de la Marne, et dès les 22 et 23 décembre 1914, de retour à Paris, le Parlement fut réuni en session extraordinaire avant d’entamer, dès janvier 1915, sa session ordinaire. L’idée d’écarter le Parlement de la conduite de la guerre à l’automne 1914 avait été motivée par l’assurance que le conflit allait être court et que les moyens de défense qui avaient été préparés durant la paix allaient suffire pour mener à leur terme les opérations militaires. C’est la prise de conscience que la guerre était appelée à durer, et partant la nécessité de mobiliser des moyens nouveaux comme d’ouvrir de nouvelles perspectives politiques, qui conduisirent le gouvernement à restaurer la fonction parlementaire. Barthélemy se montre très favorable à ce retour en grâce du Parlement [22], car il importe, dans le contexte d’une guerre longue, de s’assurer que le gouvernement ne délègue pas sa compétence à l’administration, c’est-à-dire à une bureaucratie « passant à tort ou à raison pour routinière et inerte » (557) : or, seul le Parlement possède le pouvoir de contrôler sur ce point le gouvernement. Par ailleurs, ce dernier ne doit plus gérer une situation qui serait maîtrisable simplement grâce aux mesures prises en temps de paix : il doit sans cesse les révolutionner et définir de nouveaux objectifs. Enfin, ce n’est plus tant l’État qui fait une guerre, que l’État – dans sa totalité – qui est en guerre. Plus que l’affirmation de sa puissance, c’est son existence même qui est ici en cause. Dans ces conditions, puisque toutes les forces de la nation doivent tendre vers une victoire vitale, il apparaît naturel que « le plus important des organes constitutionnels » (557) – le Parlement – soit associé, ès qualité de représentant de la nation souveraine et d’organe de l’État, à la direction de la guerre.
10Pour autant, ainsi restauré dans ses droits, le Parlement ne doit pas s’immiscer de manière trop pointilleuse dans les fonctions administratives de l’État [23], certes au risque de les paralyser, mais aussi au regard des exigences des principes classiques de la responsabilité politique :
Dans la théorie traditionnelle […] du régime parlementaire, explique Barthélemy, le Parlement n’exerce pas son contrôle direct sur les services. Les fonctionnaires ne sont pas responsables directement devant le Parlement […]. Le Parlement conserve un droit incontesté de s’enquérir de tous les détails, mais c’est aux membres du gouvernement qu’il doit les demander.
12Le gouvernement, qui jouit d’une totale liberté dans la conduite de la guerre, commande seul aux services de l’armée, qui sont exclusivement responsables devant lui. Le Parlement ne peut que contrôler la fonction gouvernementale, mais sans contrôler directement les services, et a fortiori sans donner d’instructions aux administrateurs ou aux militaires [24]. Car s’il n’en allait pas ainsi, la direction politique de la guerre appartiendrait en réalité au Parlement, qui l’exercerait alors sans aucune responsabilité, sans aucun contrôle : « comme on ne peut parler de la responsabilité de deux assemblées comptant 903 membres, personne n’est plus responsable de la guerre » (558). Même en guerre, le régime parlementaire impose encore, selon Barthélemy, que soit fait droit au principe de responsabilité, qu’ignorent les doctrines dites de « délégation directe », souvent inspirées d’un certain « romantisme révolutionnaire » (562) – notamment celui de la Convention –, dont Barthélemy va montrer qu’elles travestissent la réalité historique à laquelle elles prétendent se référer. Pour Barthélemy, ce qui est considéré par certains comme étant « l’idéal de l’organisation démocratique en vue de la guerre » (562) a en vérité peu à voir avec la manière dont fonctionna réellement la Convention à partir de 1794 quand les douze commissions exécutives, rapidement dominées par le Comité de salut public, remplacèrent les six ministères créés en 1792. Le Comité de salut public, chargé de l’inspection, était composé de membres pris dans l’Assemblée et pouvant être renversé par elle : « C’est lui qui [était] le véritable et seul gouvernement de la France » (563). Il avait ainsi, conclut Barthélemy, « de nombreux points de ressemblance avec le ministère parlementaire » (563). De délégation directe, il n’y en eut donc point, et même les représentants en mission n’étaient, affirme Barthélemy, que des « délégués du pouvoir exécutif » (563, n. 2). La doctrine de la délégation directe – qui trouve encore des partisans à gauche au début de la guerre – est donc « contraire aux enseignements de la Convention qui se préoccupait avant tout de créer l’énergie de l’action gouvernementale par l’unité de cette action » (564). Dès lors, si le gouvernement peut être considéré comme « le représentant du parlement à la tête des administrations » (564), la création d’une délégation parlementaire directe aurait pour effet l’institution d’un doublon dangereux : « Qu’arriverait-t-il, remarque Barthélemy, si la délégation directe exerçant son contrôle pas à pas, au moment de l’action, différait d’avis avec le gouvernement sur l’opportunité d’une initiative à prendre, d’une mesure à accomplir ? » (564.) Il fustige ainsi la tentation de certains députés socialistes d’instaurer une commission spéciale sur toutes les questions intéressant la défense nationale (559). Une proposition fut d’ailleurs inscrite à l’ordre du jour de la Chambre des députés en juin 1916, rappelle Barthélemy, afin d’instituer « une délégation directe qui exercera, avec le concours du gouvernement, le contrôle effectif et sur place de tous les services ayant la mission de pourvoir aux besoins de l’armée ». Mais cette proposition fut farouchement combattue par le président du Conseil, puis abandonnée, à la grande satisfaction de notre auteur. La Chambre adopta alors une proposition confiant aux grandes commissions existant déjà le contrôle de l’activité gouvernementale, sachant que les délégués parlementaires envoyés aux fins d’inspecter les services au front – avec autorisation du gouvernement – ne pourraient en aucun cas leur donner d’ordre ou d’instruction.
13Pour Barthélemy, ces tentations parlementaires – qui font jour à une période où la victoire est encore loin d’être acquise –, ont pour principal défaut d’affaiblir l’action gouvernementale, en brisant son unité d’action et en engendrant des dysfonctionnements. Le Parlement doit certes contrôler le travail du gouvernement, mais en aucun cas il ne faut que ce contrôle constitue une entrave aux conséquences funestes. Le seul contrôle parlementaire acceptable doit être constructif, sachant qu’en toute hypothèse, les chambres peuvent toujours renverser un gouvernement « indigne ou incapable » (564). Barthélemy considère ainsi que le Parlement dispose de deux moyens d’orchestrer un contrôle constructif : désigner « à la tête des services des membres du Parlement investis de sa confiance » (564) [25], mais surtout laisser fonctionner les commissions parlementaires, sous quelques réserves de taille cependant. D’une part, ces commissions de contrôle ne doivent pas multiplier les séances publiques au risque d’obliger le gouvernement à passer trop de temps « à la défense de son existence politique » (564) (plus qu’à celle du pays), et d’autre part elles doivent faire preuve d’assez de discrétion pour ne pas renseigner l’ennemi, et travailler au besoin en comité secret (565). Ces préventions respectées, les chambres peuvent alors utilement continuer d’exercer leurs attributions constitutionnelles de contrôle, afin de combattre l’éventuelle inertie des services, ou encore afin de donner des impulsions politiques au gouvernement, en l’éclairant ou en le renseignant : c’est ainsi, rapporte Barthélemy, que certains hauts fonctionnaires ont pu être remerciés, ou que certains services nouveaux ont été créés (565).
14Pour des raisons d’efficacité, la guerre ne doit donc pas remettre en cause la physionomie globale du régime parlementaire : tout juste celui-ci doit-il savoir s’adapter aux circonstances, certes en préservant l’essentiel des fonctions constitutionnelles des organes exécutif et législatif, mais en donnant au gouvernement les moyens d’une unité d’action, dont le contrôle parlementaire doit garantir la légitimité.
La conduite des opérations armées : la compétence exclusive du généralissime
15Tout comme Barthélemy reste intransigeant sur la compétence exclusive des autorités civiles concernant la direction politique de la guerre, il affirme la compétence exclusive des autorités militaires concernant la conduite des opérations armées, face à de possibles prétentions hégémoniques de l’exécutif. Dire que la direction des opérations militaires doit appartenir aux hommes de l’art est peut-être une lapalissade. Pourtant, Barthélemy se heurte à une disposition constitutionnelle qui donne au chef de l’État un pouvoir de commandement effectif des armées : l’article 3 de la loi du 25 février 1875, selon lequel le chef de l’État « dispose de la force armée », érige ce dernier en véritable chef militaire suprême, sans bien entendu en avoir nécessairement les compétences techniques. Or, Barthélemy va s’évertuer à montrer que cette disposition constitutionnelle est intempestive, que le commandement militaire doit être unifié et donc revenir à un généralissime – institution dont la constitutionalité ne doit pas être contestée –, sous le contrôle permanent du gouvernement qui le nomme.
16Selon Barthélemy, l’article 3 de la loi du 25 février 1875 est purement circonstanciel (tout comme le seraient les dispositions sur le septennat…), et lié à la personnalité du maréchal de Mac Mahon. En février 1875 avait en effet été déposé un amendement visant à préciser que si le chef de l’État disposait de la force armée, il ne saurait « la commander en personne ». Le souvenir amer du Second Empire était à l’origine de cette exigence républicaine. Mais l’assemblée d’alors – à majorité monarchiste – avait rejeté l’amendement, notamment parce que le président de la République qu’elle avait élu était un maréchal, à qui cela eut été faire injure que d’interdire, le cas échéant, de prendre personnellement en main la défense nationale… C’est donc, explique Barthélemy, pour de simples raisons de conjoncture politique que la loi du 25 février 1875 a donné au chef de l’État la prérogative de commander aux armées, mais étant sous-entendu qu’elle ne pourrait être exercée – telle « une attribution équestre » (568) – que par un « président cavalier », i.e. par un militaire de haut rang. Pour Barthélemy, de telles vues sont tout simplement « puériles » (568), dans la mesure où, dans la guerre moderne, le chef militaire suprême n’a pas à être présent physiquement sur les champs de bataille. Les nouveaux moyens de communication permettent – sans être soumis au quotidien martial des quartiers généraux de campagne – de diriger plus confortablement les opérations à distance, comme purent le faire en leur temps le maréchal de Saxe à Fontenoy ou Masséna à Essling… Dès lors, rien n’interdit à n’importe quel chef d’État, et quelles que soient ses qualités d’homme de terrain, de prétendre, en se réclamant de la constitution, de commander aux armées. Or, c’est à ce point du raisonnement que le bât blesse, car, comme y insiste Barthélemy, « on ne s’improvise pas stratège » (569). Il n’est donc pas certain qu’il soit bon – comme l’estime la doctrine allemande – que le chef de l’État soit en même temps le chef suprême des armées [26]. Ou alors, sa présence au front doit se cantonner à insuffler une force morale à l’armée et à incarner l’unité de la nation. Mais en aucun cas, considère Barthélemy, le chef de l’État ne doit donner des ordres, au risque de l’incompétence (seul Napoléon, par son génie militaire, a pu prétendre se comporter en chef effectif des armées).
17Si, malgré certaines apparences constitutionnelles, ce n’est pas au chef de l’État qu’il appartiendra de prendre la direction suprême des opérations militaires, qui pourra alors le faire ? On pourrait penser que le ministre de la guerre trouverait ici une compétence naturelle [27] : mais pas plus que le chef de l’État il ne serait nécessairement un spécialiste de l’art militaire (même si à l’époque ce poste ministériel est occupé par Gallieni puis par Lyautey). Tout au plus est-il l’administrateur des armées, et s’il a été choisi pour ce poste, ce n’est pas toujours pour son aptitude technique au commandement. Par ailleurs – et c’est une objection qui ne touchait pas le chef de l’État – le ministre de la guerre, comme tout membre du gouvernement, est responsable devant les chambres et peut à ce titre – selon la règle de la solidarité – faire les frais de l’instabilité gouvernementale, ce qui le priverait « d’une stabilité suffisante » pour exercer utilement le commandement des armées (573). « Nous arrivons ainsi à cette solution, écrit alors Barthélemy, que c’est le conseil des ministres sous la présidence du président de la République, qui exerce la direction suprême des opérations militaires » (573). Cette solution peut certes être tenue pour la plus démocratique : déjà la constitution de 1793, rappelle Barthélemy, en son article 100, affirmait qu’il « n’y a point de généralissime »… C’est que l’opinion démocratique, insiste notre auteur, « a trop souvent la terreur des chefs » (573) [28], tend à disperser le pouvoir et à détruire l’autorité. Mais ce qui peut être acceptable sur le plan des principes ne donnera certainement pas « le meilleur résultat militaire » (573) : car dans ce système, chaque secteur d’opération sera pris en charge par un général commandant en chef, sous la coordination du gouvernement, au risque d’atermoiements et de mésententes pouvant être fatals. Ce qui fait cruellement défaut à ce mode de commandement, selon Barthélemy, c’est une véritable unité d’action, orchestrée par un spécialiste. C’est l’enseignement qu’il faut semble-t-il tirer des guerres révolutionnaires, qui devinrent fastes pour la France le jour où Carnot fut enfin chargé de coordonner les armées de la République, qui agissaient jusqu’alors isolément : la coordination des armées doit donc appartenir à un seul homme – un généralissime –, disposant des compétences techniques nécessaires pour mener à bien la tâche qui lui est confiée. Ainsi, Barthélemy se félicite de la transformation du droit positif durant les premières années de guerre. Le décret du 6 mai 1890 avait en effet institué « un vice-président du Conseil supérieur de la guerre » – un général en chef en période d’hostilités – pour commander en chef les armées [29], mais étant entendu que si plusieurs théâtres d’opération étaient ouverts, chacun des commandants en chef disposait de toute son indépendance pour conduire les opérations sur son secteur : un généralissime sans les attributs d’un généralissime. La traditionnelle hostilité au pouvoir personnel avait finalement conduit à confier, quelque temps plus tard, la coordination des opérations au gouvernement. Il a fallu attendre le décret du 2 décembre 1915 pour que, sous la pression des événements [30], le commandement en chef des armées fût attribué à un général de division (Joffre). Barthélemy ne cherche pas d’abord à justifier en droit cette nouvelle institution : c’est l’expérience – les faits – qui lui octroie sa légitimité. Certes Barthélemy cite la doctrine militaire (Kléber, Desaix, et évidemment Napoléon), mais il en appelle surtout à l’histoire, aux exemples et aux contre-exemples qu’elle fournit : à celle de Rome, de la Révolution française, de la guerre de Sécession et de la guerre franco-prussienne de 1870, pour montrer que les victoires militaires ont toujours été le fait d’un commandement unifié – confié à un seul homme – et que les défaites ont souvent eu pour cause les prétentions des autorités civiles à s’immiscer dans la direction des opérations ou la dispersion de l’autorité militaire. Quant au risque politique accru que pourrait représenter un généralissime, Barthélemy l’écarte – très rapidement – par deux arguments : le pronunciamento est peu probable avec une armée nationale, et le danger ne vient pas nécessairement du chef suprême des armées, mais en vérité de tout général victorieux et aventurier, à l’instar de ce que fut Napoléon… Enfin, la question de savoir si l’institution du généralissime est constitutionnelle (puisque le généralissime usurpe les compétences constitutionnelles du chef de l’État ou celle du gouvernement) est elle aussi reléguée au second plan : le généralissime, écrit Barthélemy, est « un simple agent d’exécution, auquel, pour des raisons de la plus haute d’opportunité, le bon sens impose de concéder la liberté la plus grande » (579) [31]. En d’autres termes, ce généralissime n’est qu’un chef de service exceptionnel, qui se cantonne à l’exécution technique d’une décision qu’il n’a pas prise [32] : celle d’engager un conflit armé et d’en fixer les enjeux. Il ne prend en charge ni l’administration de la guerre (qui relève du ministre de la guerre), ni la direction politique de la guerre (qui appartient au gouvernement). Enfin et surtout, ce généralissime est responsable devant le gouvernement qui le nomme et qui peut le destituer ; gouvernement qui est lui-même responsable – devant le Parlement et devant la nation – des opérations militaires menées par le généralissime. Pour le dire autrement, le généralissime n’est pas un pouvoir constitutionnel, mais simplement un administrateur d’un genre spécifique, dont la mission est de diriger l’action armée du strict point de vue tactique (585).
18Tout comme Barthélemy dénie aux militaires la faculté de connaître la conduite politique de la guerre, il entend montrer la nécessité de soustraire la direction des opérations militaires au pouvoir civil, contrairement à ce que pourraient laisser croire certaines dispositions constitutionnelles. Cette séparation des pouvoirs est considérée par Barthélemy comme étant le moyen d’optimiser tant la fonction gouvernementale que militaire. S’impose ainsi une division du travail étatique, tout comme une recomposition institutionnelle caractérisée par la centralisation du pouvoir civil au profit du gouvernement et par la centralisation du pouvoir militaire au bénéfice d’un généralissime. Néanmoins, Barthélemy maintient l’exigence d’un contrôle parlementaire ou gouvernemental dans les deux registres, non pour des raisons de principe (la concentration des pouvoirs et les conséquences qu’on lui attache habituellement), mais toujours pour des motifs d’efficacité (le contrôle est un gage de performance). Au total, les canons du régime parlementaire sont respectés, l’armée – maîtresse de la tactique – agit sous le contrôle d’un gouvernement responsable de ses choix stratégiques devant le Parlement représentant la nation.
19En plaidant en faveur d’une séparation nette entre les préoccupations stratégiques, qui sont fondamentalement des questions politiques, et les questions tactiques qui relèvent de compétences techniques, Barthélemy n’établit entre elles que les termes d’une hiérarchie bien comprise : rien ne peut être obtenu sans leur égal concours. La guerre – comme toute question de sûreté pensée dans le cadre de l’État – est tenue pour une province de la politique pour l’exécution de laquelle doit être mobilisée une force publique d’un genre particulier (l’armée). Si la direction politique du conflit doit appartenir au pouvoir civil, c’est que l’issue de la guerre met en question l’existence même de l’État. Ici pourrait apparaître l’éminence de la fonction militaire, dont les ressources possèdent des conséquences politiques fondamentales, bien repérées par Joffre après la victoire de la Marne : pas de sceptre sans un sabre qui en garantisse l’intégrité, auquel cas, il est possible de soutenir que toute la politique se réfugie dans les armes [33]. Pour autant, c’est parce que Barthélemy n’a pas une conception polémologique de la politique – ce que l’on pourrait nommer encore une certaine métaphysique de la volonté et de la force (la politique ne serait que la continuation d’une guerre réelle qui la détermine, pour reprendre Foucault retournant la formule de Clausewitz [34]) – qu’il ne considère pas que celle-ci doive revenir à l’autorité militaire, dont la guerre dévoilerait l’importance (la politique redonnerait aux militaires une compétence politique ontologique). Pour Barthélemy, le civil doit tenir le militaire en l’état car matériellement les deux activités sont distinctes : la guerre étatique est d’abord un ensemble de décisions politiques avant d’être un affrontement physique qui n’en est que la concrétisation ; dès lors, si la prudence invite à confier la conduite des opérations armées aux seuls spécialistes de l’art militaire – afin d’emporter la victoire sans laquelle les finalités politiques assignées à la guerre n’ont de sens – la direction politique de la guerre doit quant à elle revenir sans partage au pouvoir civil.
Notes
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[1]
Joseph-Barthélemy, « Le droit public en temps de guerre », Revue du droit public, 1915, p. 134-162, 1916, p. 72-119, p. 552-586, 1917, p. 146-151 (nous n’indiquerons désormais que la pagination dans le texte même). En 1915, il publie également, avec Gaston Jèze, Louis Rolland et Charles Rist, pour y développer les mêmes idées, les Problèmes de politique et finances de guerre, chez Alcan.
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[2]
Ce qu’il est encore à cette époque. Pour une analyse complète du parcours intellectuel et politique de Barthélemy, voir Frédéric Saulnier, Joseph-Barthélemy (1874-1945). La crise du constitutionnalisme libéral sous la iiie République, thèse, Université de Paris II, 1996.
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[3]
Voir F.rançois Saint-Bonnet, L’état d’exception, Paris, Puf, 2001, p. 369-370.
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[4]
Curieuse disposition pour un juriste universitaire. Elle s’explique par la place qu’il entend donner aux exigences de l’action par rapport à la dimension théorique de la politique. Barthélemy ne cessera de répéter qu’il convient de se frotter aux impératifs de l’action et que celle-ci est peut-être, in fine, plus éminente que la spéculation (« l’homme de cabinet doit s’incliner très bas devant l’homme d’action qui assume les responsabilités » [115]). Voir aussi F. Saulnier qui évoque néanmoins à propos de Barthélemy la nécessaire dialectique de l’action et de la réflexion (op. cit., p. 216 sq., 359 sq.). Reste que Barthélemy fait surtout l’éloge de l’action en référence à la dimension pratique du droit (la décision), et non à l’action « physique » garantissant son exécution matérielle, qui requiert des vertus plus viriles dont il fait par ailleurs état, et qui emportent d’autres conséquences – moins confortables – en temps de guerre… La vita activa « noble » est celle du gouvernant – de celui qui dirige –, et dont la prééminence repose sur le postulat d’une inégalité naturelle : celle de l’intelligence – et de sa supériorité présumée – sur les qualités physiques. Cette manière de voir n’est pas sans rappeler la distinction posée par Aristote au chapitre 2 des Politiques… C’est cette philosophie de l’action qui conduira Barthélemy à faire des infidélités à l’Université (où, doit-on penser, dire n’est pas faire…), pour se fourvoyer gravement dans le gouvernement de Vichy… (voir ibid., p. 386 sq., et le texte de Stéphane Rials qui devait constituer la préface de la version publiée de la thèse de F. Saulnier, censurée par ses mécènes, « “Malum metaphysicum”. Faiblesses ordinaires en temps d’épouvante (vies parallèles à Vichy) », Droits, 39, 2004, p. 149-196).
-
[5]
Joseph-Barthélemy, « De la liberté du gouvernement à l’égard des lois dont il est chargé d’assurer l’application », Revue du droit public, 1907, p. 295-320.
-
[6]
Marie-Joëlle Redor, De l’État légal à l’État de droit. L’évolution des conceptions de la doctrine publiciste française (1879-1914), Economica, 1992, p. 133.
-
[7]
C’est exactement ce qu’écrit Rousseau au sujet des rapports entre la puissance législative et la puissance exécutive, dans le livre III, chap. 1, du Contrat social.
À la même époque que Barthélemy, Maurice Hauriou (Principes de droit public, Sirey, 2e éd., 1916, p. 441-457) s’attache à étudier la séparation du pouvoir civil et du pouvoir militaire dans le cadre plus vaste d’une théorie de la séparation matérielle des pouvoirs (cf. Olivier Beaud, « Michel Troper et la séparation des pouvoirs », Droits, 37, 2003, p. 168-171). Hauriou, en faisant derrière Mommsen la généalogie de cette séparation du civil et du militaire, s’interroge sur les fondements philosophiques de la supériorité du pouvoir civil – la préservation de l’économique (le reste de la doctrine traite essentiellement de la mobilisation de la force armée par le pouvoir civil. Voir Lucien Rochoux, De l’autorité militaire. Sa nature, ses rapports avec l’autorité civile, thèse de Droit, Bordeaux, Cadoret, 1896 ; Vel-Durand, « La force publique et sa mise en mouvement », Revue du droit public, 1905, p. 40 sq.). Barthélemy suppose cette supériorité pour en étudier les modalités, avec comme seule optique l’efficacité dans la conduite de la guerre : la séparation du pouvoir civil et du pouvoir militaire est d’abord utile pour optimiser les chances d’emporter la victoire. C’est pourquoi Barthélemy insiste autant sur l’indépendance de l’autorité militaire concernant les opérations militaires que sur celle du gouvernement concernant la direction politique de la guerre. -
[8]
Locke définit le pouvoir fédératif au chapitre 12 du Traité du gouvernement civil (§ 145-148). C’est, notamment, la fonction – plus que le pouvoir – qu’ont les États de faire la paix et la guerre. Bien que théoriquement distincte du pouvoir exécutif, Locke explique qu’elle y est en pratique le plus souvent jointe, pour des raisons d’efficacité. Enfin et surtout, ce « pouvoir » fédératif s’exerce de manière essentiellement prudentielle.
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[9]
Il faudrait plus certainement parler d’autorité militaire, comme on parle parfois d’autorité judiciaire. Les comparer quant à leur statut juridique pourrait présenter un certain intérêt. Pour Benjamin Constant par exemple, l’armée n’est pas un pouvoir constitutionnel (Principes de politique – version de 1815 – in Écrits politiques, Paris, Gallimard, 1997, chap. 14).
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[10]
Pourtant, dès septembre 1914, c’est le sentiment qu’inspire la « dictature » du GQG dirigé par Joffre (Philippe Bernard, La fin d’un monde. 1914-1929, Paris, Éd. du Seuil, coll. « Nouvelle histoire de la France contemporaine », 1975, p. 42-43).
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[11]
La différence entre tactique et stratégie relève tant du champ du savoir que de l’activité en cause. La tactique concerne une multiplicité d’événements semblables, précis, et se prête donc à une théorisation (un art de la guerre), tandis que la stratégie vise de grands événements singuliers, et laisse place au génie politique. Ensuite, pour la stratégie, le combat forme une unité indivise à imaginer, tandis qu’il se décompose en de multiples affrontements à agencer rationnellement dans le cadre de la tactique (Emmanuel Terray, Clausewitz, Paris, Fayard, 1999, p. 164 sq. ; voir aussi Alexis Philonenko, Essais sur la philosophie de la guerre, Paris, Vrin, 1988, « Tolstoï et Clausewitz », p. 208 sq. Barthélemy refuse aux militaires – tacticiens – la possibilité de conduire la guerre comme des stratèges. Il rejoint ici Clausewitz qui ne fait une exception que pour Napoléon (ibid., p. 219, n. 21).
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[12]
Voir Pierre Miquel, La grande guerre, Paris, Fayard, 1983, p. 235 sq.
-
[13]
Sur ces questions, voir Stéphane Rials, Administration et organisation (1910-1930). De l’organisation de la bataille à la bataille de l’organisation dans l’administration française, Paris, Beauchesne, 1977.
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[14]
Voir ses développements sur le droit pénal et l’extension de la compétence des tribunaux militaires, p. 74 sq.
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[15]
Bemjamin Constant, Principes de politique (version de 1806-1810), Paris, Hachette, coll. « Pluriel », 1997, chap. 3.
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[16]
Et l’opinion publique de l’époque, pour qui les grands chefs (Joffre, Gallieni, Foch) font l’objet d’un véritable culte de la personnalité. Ces militaires ont d’ailleurs souvent une haute opinion d’eux-mêmes, qui les conduit à se prêter des qualités qui vont au-delà du métier des armes (voir Foch, Mémoires pour servir à l’histoire de la guerre de 1914-1918, Paris, Plon, 1931, t. I, p. XXI). Le but de Barthélemy est certainement de réaffirmer le pouvoir du gouvernement dans la conduite de la guerre face à un Parlement assez offensif depuis décembre 1914 – dénonçant la trop grande liberté laissée au « gouvernement de Chantilly » –, et face aux prétentions politiques du GQG dirigé par l’intouchable vainqueur de la Marne. À ce sujet, il plane certainement encore dans les mémoires la concurrence funeste à laquelle se sont livrés la Commune de Paris et le gouvernement de défense nationale en 1871…
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[17]
Avec l’apparition de la force de frappe nucléaire a été opéré un retour à une conception du chef de l’État comme véritable chef de guerre, donnant aux dispositions constitutionnelles une véritable effectivité politique (voir Henri Pac, Droit et politiques nucléaires, Paris, Puf, 1994, p. 227 sq., et Jean Paucot, « Le pouvoir d’engager les hostilités en France », Pouvoirs, 10, 1979, p. 73 sq.).
-
[18]
Voir F. Saulnier, op. cit., p. 543 sq.
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[19]
C’est déjà la position du parti national avant 1914. Pourtant, dès l’origine, tout montre que dans le camp républicain, la iiie avait notamment pour matrice la revanche contre l’Allemagne (voir Éric Desmons, « La République belliqueuse. La guerre et la constitution politique de la iiie République », Revue française d’histoire des idées politiques, 15, 2002, p. 113-133).
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[20]
« Pour nous qui n’avons jamais pensé que la Constitution de 1875 exigeât une révolution, nous avons toutes raisons d’estimer que ce n’est pas en présence de l’ennemi que cette révolution doit être faite » (555).
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[21]
C’est en réalité la déclaration de l’état de siège – qu’il faudrait réinterpréter dans cette perspective – qui pose avec le plus d’intensité la question de la séparation du pouvoir civil et militaire, et de son abolition au bénéfice d’une autorité militaire sortant de son « cantonnement juridique » (M. Hauriou, op. cit., p. 457).
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[22]
Ne s’est-il pas toujours posé en « chantre de la pression parlementaire » ? (voir F. Saulnier, op. cit., p. 555).
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[23]
En 1916 commencera à fonctionner un contrôle parlementaire aux armées, assez mal vécu par le haut commandement (Maurice Agulhon, La République (1880-1932), Hachette, coll. « Pluriel », 1990, p. 272 sq.).
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[24]
Même idée chez Montesquieu : « L’armée […] ne doit point dépendre immédiatement du corps législatif, mais de la puissance exécutrice, et cela par la nature des choses : son fait consistant plus en action qu’en délibération » (L’esprit des lois, XI, 6).
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[25]
Ce qui a abouti à la création de sous-secrétariats d’État.
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[26]
Faut-il voir ici une trace d’hégélianisme ? (Hegel, Principes de la philosophie du droit, § 329). Pour Barthélemy, l’enjeu n’est pas le caractère démocratique des institutions, puisque la vieille démocratie américaine admet aussi que le chef de l’État soit le commandant direct des armées (571).
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[27]
C’est ce qu’estime Léon Duguit, Droit constitutionnel, I, Paris, Fontemoing, 1907, p. 994.
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[28]
Joffre est-il ici visé ?
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[29]
Titre qui reviendra à Joffre dès 1911.
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[30]
L’expédition de Salonique était dirigée par le général Sarrail, qui recevait ses ordres du gouvernement et non du généralissime, ce que ne pouvait supporter Joffre. Avec le décret du 2 décembre 1915, Briand se rangea du côté de Joffre. Cette situation durera jusqu’à ce que Nivelle et Sarrail retrouvent leur titre de commandant en chef et que Joffre démissionne, le 26 décembre 1916, pour être remplacé par Nivelle.
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[31]
Cette prise de position vise à discréditer les prétentions politiques de Joffre, tout en préservant son autorité militaire.
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[32]
En 1916, Joffre devient significativement « conseiller technique du gouvernement », et membre du Comité de guerre.
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[33]
Ce qui aboutit à une concentration des pouvoirs entre les mains de l’autorité militaire, qui est considérée par Hauriou comme une véritable régression politique, au regard de l’histoire (M. Hauriou, op. cit., p. 450 sq.).
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[34]
Michel Foucault, Il faut défendre la société, Paris, Éd. du Seuil, 1997.