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Article de revue

Goutelas, espace civique et culturel en milieu rural

Page 33

Notes

  • [1]
    La formule s’inspire d’Édouard Glissant, poète cher à Paul Bouchet, initiateur et principal animateur de la renaissance de Goutelas (voir son livre : P. Bouchet, Mes sept utopies, Paris, Les Éditions de l’Atelier, 2010, p. 95 et suiv.).

1 L’histoire du Centre culturel de Goutelas, et son activité d’aujourd’hui, illustrent ce que peut être la contribution d’acteurs privés à l’effectivité du droit de chacun de participer à la vie culturelle. Mais cette contribution n’est ni alternative, ni opposée à l’action publique. Elle autorise même les acteurs œuvrant à l’exercice des droits culturels à compter sur le soutien des collectivités publiques, pressées en ce sens par la loi NOTRe de 2015 et la loi LCAP de 2016.

2 Voilà qu’en 1961-1962 se retrouvent des hommes et femmes d’origines, expériences et croyances diverses : avocats, médecins, enseignants, agriculteurs, ouvriers, employés, « femmes au foyer » (dans la terminologie de l’époque), artistes, très inégalement empreints de culture classique ou familiers de la « vie culturelle » des grandes cités, engagés ou non dans l’action syndicale, politique, locale, croyant au ciel ou n’y croyant pas – pour évoquer le poème fameux d’Aragon – et certains anciens de la Résistance. Que ces personnes se lient et se mettent en mouvement, en ce temps troublé de la fin de la guerre d’Algérie, pour restaurer un château en ruines en Pays d’Astrée a constitué plus qu’une entreprise de sauvegarde. On peut voir dans ce choix d’intellectuels de manier les pierres et le bois, la truelle et le marteau – en se mettant à l’école des « manuels » – et dans celui de paysans et d’ouvriers d’échanger avec des « intellos » sur leur expérience et leurs problèmes, une volonté de confronter des pratiques et des idées. En faisant renaître un cadre où « se frotter les cervelles », Goutelas était déjà l’illustration de cette « participation à la vie culturelle » qui n’avait pas encore été énoncée comme un droit.

3 Si l’on se souvient que cette « geste » de Goutelas a aussi catalysé une renaissance du folklore musical et chorégraphique forézien (« Les Fardelets »), qu’elle a permis des initiatives décisives pour la renaissance économique du territoire, qu’elle a offert un cadre et une part de leur sens à des mouvements d’idées et d’initiatives dans les milieux professionnels, il s’avère qu’il s’agissait bien de vie culturelle dans la variété et la diversité de ses expressions. Bref, de la culture au sens que la Déclaration de Fribourg assigne à ce terme : ensemble de « valeurs, (…) croyances, (…) convictions, (…) langues, (…) savoirs et arts, (…) traditions, institutions et modes de vie par lesquels une personne ou un groupe exprime son humanité et les significations qu’il donne à son existence et à son développement ».

4 On est tenté d’ajouter que la démarche initiée à Goutelas a fait émerger une « communauté culturelle », au sens de la même déclaration : « un groupe de personnes qui partagent des références constitutives d’une identité culturelle commune, qu’elles entendent préserver et développer ». Des références au premier rang desquelles s’affichent la tradition humaniste, l’attachement aux valeurs de démocratie, d’égalité et de justice, la volonté d’œuvrer « en son lieu » en pensant « avec le monde » [1], et donc de s’inscrire dans la dimension positive de la mondialisation. Si tous ceux auxquels Goutelas doit sa renaissance et tous les acteurs actuels du Centre culturel composent une telle « communauté culturelle », il ne s’agit en rien d’une communauté fermée sur elle-même. Leur objectif était, et reste, de s’ouvrir au monde et d’abord au monde voisin des habitants du Forez et des territoires proches. Les activités de Goutelas, entendent contribuer à l’exercice effectif, par « chacun » de ceux qui le veulent bien, de son droit de participer à la vie culturelle. Il se confirme ainsi que l’effectivité de ce droit, d’abord un peu insaisissable, se nourrit d’initiatives d’acteurs autres que des collectivités publiques – voire d’acteurs économiques, ou de mécènes. Les initiatives portées par Goutelas, comme de tant d’autres plus prestigieuses ou plus modestes, sont des vecteurs de la réalisation de ce droit pour nombre de personnes.

5 Le projet de Goutelas labellisé Centre culturel de rencontre en 2015 lie culture et citoyenneté au travers d’une thématique affichant l’humanisme, le droit, la création, la recherche et l’expérimentation de l’éducation populaire. Il prend forme par la diversité des propositions culturelles, la recherche de modes hybrides pour l’accès à une culture non intimidante, la coordination de créations partagées associant artistes professionnels et amateurs, les actions de médiation liées aux résidences d’artistes locaux ou étrangers, les partenariats avec des associations à but culturel, social ou économique, les chantiers collectifs d’aménagement du site.

6 En somme, l’identité de Goutelas est à la fois une et multiple grâce à la diversité des personnalités et des milieux professionnels associés dans l’aventure. Ces « activistes du lieu », venus d’horizons variés, ont intuitivement pratiqué le « croisement des savoirs ». En ce sens, le Centre culturel de Goutelas apporte une réponse à l’énigme posée par le droit international qui affirme à la fois que la diversité et le pluralisme des cultures sont « patrimoine commun de l’humanité » (convention de l’Unesco, 2005) et que les droits de l’homme sont « universels » (Déclaration universelle ONU, 1948). Cette réponse va plus loin que la simple juxtaposition car elle utilise les différences pour nourrir et faire évoluer, de façon parfois imprévisible, le projet commun. On pourrait la nommer « créolisation ». Une fois de plus Édouard Glissant montre en effet la voie lorsqu’il explique comment, au-delà d’un simple mélange quasi mécanique des différences, la créolisation « produit de l’inattendu ». À son échelle, Goutelas participe ainsi à « la créolisation du monde ».

Notes

  • [1]
    La formule s’inspire d’Édouard Glissant, poète cher à Paul Bouchet, initiateur et principal animateur de la renaissance de Goutelas (voir son livre : P. Bouchet, Mes sept utopies, Paris, Les Éditions de l’Atelier, 2010, p. 95 et suiv.).
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