Notes
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[1]
Maître de conférence (HDR) à l’université Jean-Moulin-Lyon-III (CLESID).
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[2]
L’Autriche, elle, bien que séparée de l’Allemagne en 1945, était considérée comme un pays ennemi.
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[3]
C’était le calcul des Japonais en 1941, ce sera le calcul des Nord-Vietnamiens en 1964.
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[4]
L’URSS boycottait les séances du Conseil, parce que le gouvernement de Tchang Kaï-chek continuait d’y être représenté.
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[5]
Afrique du Sud, Australie, Belgique, Canada, Colombie, États-Unis, Éthiopie France, Grande-Bretagne, Grèce, Luxembourg, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Philippines, Thaïlande, Turquie.
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[6]
Il en alla de même en mars-avril 1954 au moment de la bataille de Dien Bien Phu, lorsque le gouvernement français demanda l’aide des États-Unis et de la Grande-Bretagne.
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[7]
La RPC envoya trois millions de soldats en Corée ; les États-Unis, moins d’un million et demi. La guerre de Corée causa en tout entre un et quatre millions de tués ou disparus selon les estimations, dont 34000 Américains.
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[8]
La guerre « de Corée » fut une guerre sino-américaine, masquée par son nom, son caractère « non déclaré » et par le triple fait que les combattants chinois n’étaient officiellement que des « volontaires », que la RPC n’était pas reconnue par les États-Unis et que les États-Unis agissaient sous pavillon des Nations unies.
1La guerre de Corée (1950-1953) fut le point extrême de la guerre froide, mêlant défaut de règlement d’une question issue de la Seconde Guerre mondiale, division d’une nation et antagonisme entre le bloc sino-soviétique d’une part, l’Occident et ses alliés d’autre part.
La création de deux États coréens
2La Corée avait été annexée par le Japon en 1910. En 1945, elle représentait un cas unique : elle ne faisait partie ni des puissances alliées ni des puissances de l’Axe, ni des vainqueurs ni des vaincus [2]. En 1919 avait été constitué dans la concession française de Shanghai un « gouvernement provisoire coréen », présidé par Syngman Rhee, désireux de s’appuyer, face aux Japonais, sur les Occidentaux et le Kuomintang (ou Kuo Min Tang, KMT). Mais ce « gouvernement » s’était rapidement disloqué. En 1945, le mouvement national coréen était représenté par deux tendances : aux États-Unis, la fraction de Syngman Rhee ; auprès du KMT, celle de Kim Koo. Les communistes coréens étaient aux aussi divisés entre la fraction de Kim Tu-bong, lié au Parti communiste chinois, et celle de Kim Il-sung, s’appuyant sur l’Union soviétique. À la fin de la guerre, les Japonais, comme dans le reste de l’Asie qu’ils occupaient, s’étaient employés à former en Corée un gouvernement national. Ils demandèrent à Lyu Woon-yung d’organiser un « Comité pour la préparation de l’indépendance coréenne ». Celui-ci décida de placer Soviétiques et Américains devant le fait accompli : le 6 septembre 1945, leComité convoquait à Séoul une Assemblée nationale qui, le jour même, proclamait une République de Corée. Mais les Américains (général Hodge), débarqués au sud du 38e parallèle le 8 septembre (72000 hommes), ne l’estimèrent pas représentative et ne la reconnurent pas, cependant que les Soviétiques présents au nord (général Chistiakov) favorisèrent la mise en place d’une administration communiste. Les Coréens étaient extrêmement divisés entre la droite, partis nationaliste et démocrate, et la gauche, partis communiste et socialiste.
3En décembre, la conférence de Moscou, à cinq (États-Unis, URSS, Grande-Bretagne, Chine, France), reconnut l’indépendance de la Corée. Mais celle-ci relevait d’un conseil de tutelle, à quatre (États-Unis, URSS, Grande-Bretagne, Chine), qui devait aider à construire un État démocratique. Seuls les Américains et les Soviétiques occupaient le pays, les uns au sud (plus agraire) du 38e parallèle, les autres au nord (plus industriel), bientôt dominé par le PC. Il était prévu que les deux administrations seraient unifiées et que la « procédure de Yalta » serait suivie : gouvernement intérimaire représentatif (en l’occurrence un « gouvernement démocratique provisoire coréen »), élections générales, gouvernement démocratique, le tout sous l’assistance des Alliés (en l’occurrence une « commission mixte soviéto-américaine », qui consulterait le conseil de tutelle). Le dissensus soviéto-américain bloqua toute procédure. Fin août 1947, les États-Unis soumirent la question coréenne à l’ONU. En septembre, l’Assemblée générale (AGNU) inscrivit cette question à son ordre du jour. L’URSS demanda le retrait simultané des forces soviétiques et américaines ; les États-Unis répliquèrent en proposant la tenue d’élections générales au nord comme au sud. La proposition américaine l’emporta. En novembre, l’AGNU confia à une commission de huit États membres (Australie, Canada, Chine, France, Inde, Philippines, Salvador, Syrie) le soin d’organiser des élections dans toute la Corée, d’ici au 31 mars 1948. Mais l’URSS refusa à la « Commission temporaire des Nations unies pour la Corée » l’accès en zone soviétique, si bien que les élections, sous contrôle international, ne purent se tenir qu’en zone américaine, le 9 mai 1948. L’Assemblée élue se réunit le 31 mai ; elle adopta une Constitution le 12 juillet ; la République de Corée fut proclamée le 15 août, avec Syngman Rhee à sa tête.
4De leur côté, les Soviétiques avaient poursuivi la mise en place d’un gouvernement provisoire nord-coréen. Le 25 mars 1948, celui-ci invita les personnalités du Sud à participer à une conférence nationale pour la réunification du pays. De nombreuses personnalités s’y rendirent. La conférence se tint du 19 au 30 avril. Des résolutions furent adoptées, exigeant notamment le retrait simultané des troupes d’occupation et l’annulation des élections séparées devant se dérouler au Sud. Puis le gouvernement de Pyongyang décida de tenir des élections dans tout le pays, sans contrôle des Nations unies, afin d’élire une Assemblée constituante. Au soir des élections, le 25 août, le gouvernement de Pyongyang annonça que 99 % des électeurs avaient voté au Nord et 77 % au Sud, où le scrutin était censé s’être dérouléclandestinement. Le 3 septembre, l’« Assemblée populaire suprême de Corée », comprenant 360 députés du Sud et 212 du Nord, adopta la Constitution de la République démocratique et populaire de Corée, avec à sa tête Kim Il-sung. Voilà comment, de deux zones d’administration militaire, naquirent deux États, prétendant chacun représenter l’ensemble de la nation. L’objectif de l’unité nationale ne fut évidemment abandonné ni par les deux Corées ni par les Cinq. En décembre 1948, la République de Corée fut reconnue par l’AGNU, puis par la plupart des pays du monde, à l’exception des pays communistes. Mais le veto soviétique empêcha son admission à l’ONU (les deux Corées n’y furent admises qu’en 1991).
5En décembre encore, l’AGNU recommanda aux deux puissances occupantes de retirer leurs troupes de la péninsule. Les Soviétiques avaient annoncé leur retrait en septembre. Fin 1948, ils laissaient une armée nord-coréenne de 120000 hommes, pleinement équipée. En novembre, des unités de l’armée sud-coréenne (16000 hommes), noyautées par les communistes, s’étaient mutinées, obligeant le gouvernement à proclamer l’état de siège sur un quart du territoire. Les forces américaines n’achevèrent donc de se retirer qu’en juin 1949, laissant une mission militaire d’assistance et une armée sud-coréenne de 110000 hommes, très peu équipée. Le 12 janvier 1950, Dean Acheson, secrétaire d’État, déclara que le périmètre de défense américain en Extrême-Orient allait des Aléoutiennes aux Philippines en passant par le Japon, excluant ainsi implicitement les Républiques de Corée et de Chine (Formose). Mais Dulles, conseiller à la Sécurité nationale, donna des assurances d’aide en cas de besoin. Début 1950, Kim Il-sung demanda à Staline et à Mao Tsé-toung de l’aider à réunifier la Corée dans la foulée de la guerre civile chinoise, remportée par le PCC en octobre 1949. Le 7 juin, il proposa l’unification du pays par la réunion des deux gouvernements du Nord et du Sud, suivie par des élections générales, sans contrôle des Nations unies. Le gouvernement de Séoul refusa. Le 25 juin, la Corée du Nord envahit la Corée du Sud.
Le calcul sino-soviétique et le déclenchement du conflit
6En 1950, Staline ne voulait pas d’un affrontement direct avec les États-Unis. Il pensait que les Américains réagiraient militairement (pas nucléairement) en cas d’invasion de la Corée du Sud (ils avaient commencé à s’engager dans le reste du monde, notamment en Europe de l’Ouest avec l’Alliance atlantique, conclue en avril 1949). Mao partageait l’opinion de Staline. Tous deux, comme le montre le remarquable travail d’archives des époux Halliday [2006], ne commirent pas une « erreur d’appréciation ».
7En l’absence d’alliance avec la République de Corée, la réaction américaine ne trouverait de fondement juridique (indispensable au Congrès et à l’opinion)que sur la Charte de l’ONU et sur l’ONU, traité et organisation de sécurité collective. Or la Corée du Nord comme la Corée du Sud n’étaient pas membres de l’ONU : l’une n’était pas astreinte aux obligations de la Charte et l’autre n’était pas protégée par ses dispositions. De plus, de nombreux hommes politiques américains avaient critiqué le gouvernement de Séoul comme étant dictatorial, et il y avait eu la déclaration d’Acheson… Le calcul de Staline était le suivant. Si les États-Unis ne réagissaient pas à une invasion du Sud, la péninsule serait réunifiée, et Washington essuierait une retentissante défaite politique et morale, d’autant plus que l’État sud-coréen avait été créé sous l’égide des États-Unis et des Nations unies. S’ils réagissaient, ils seraient tenus en échec militairement, et leur crédibilité diplomatique serait ruinée. Un double effet s’ajouterait : pour Staline, des forces américaines se trouveraient immobilisées loin de l’Europe ; pour Mao, la guerre non déclarée à l’Amérique permettrait d’obtenir de Staline la formation d’un complexe militaro-industriel (les « volontaires » chinois combattraient les Américains avec des équipements soviétiques et en échange d’équipements soviétiques). L’URSS n’aurait qu’à livrer du matériel ; les Chinois, disposant d’inépuisables réserves humaines, fourniraient les troupes ; l’opinion américaine se lasserait d’une guerre d’usure prolongée menée par une armée de conscrits [3]. Le retrait des États-Unis porterait un coup fatal à leur crédibilité diplomatique : l’Alliance atlantique, qui venait de se nouer, n’y résisterait pas ; les Américains quitteraient l’Europe, et celle-ci serait mûre pour la « neutralisation ». Le communisme se répandrait en Asie sans engager l’URSS dans un conflit armé direct avec l’Occident.
8Après l’invasion de la Corée du Sud par la Corée du Nord, le 25 juin 1950, le Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) qualifia l’action de « rupture de la paix », demanda la « cessation immédiate des hostilités » et invita « les autorités de la Corée du Nord à retirer immédiatement leurs forces armées ». Le délégué soviétique était absent depuis le 13 janvier, afin de protester (par « solidarité socialiste » avec la RPC) contre le maintien des représentants de la République de Chine au CSNU [4]. Cette première résolution n’étant pas appliquée, le CSNU en vota une deuxième, le 27 juin, par laquelle il ordonnait de « prendre d’urgence des mesures militaires pour rétablir la paix et la sécurité internationales » et recommandait « aux membres des Nations unies d’apporter à la République de Corée toute l’aide nécessaire pour repousser les assaillants et rétablir dans cette région la paix et la sécurité internationales ». Le délégué soviétique demeurait absent, alors qu’il aurait très bien pu revenir. En restant absente le 25, l’URSS, au cas où elle auraitmis son veto, évitait d’apparaître comme le complice de l’agression. Mais pourquoi demeurer absent le 27, alors que l’adoption de sanctions était très probable ? On s’attendait à voir l’ambassadeur soviétique revenir siéger, afin d’opposer son veto.
9Les commentateurs n’ont cessé de se demander comment Staline avait pu commettre l’« erreur » de l’absence soviétique. Selon la lettre de la Charte (art. 27-3), absence de vote signifie défaut de consentement unanime, donc invalidité de la résolution ; Staline pouvait donc arguer que l’absence soviétique équivalait à veto et ainsi éviter le risque du « bris de veto » de la part des autres membres du Conseil. Le Kremlin se contenta de protester contre les décisions « illégales » du CSNU par suite de l’absence d’un membre permanent. Pour la Maison-Blanche, le défi était de réagir localement sans généraliser le conflit : il s’agissait de montrer que les États-Unis ne toléreraient pas un franchissementmanu militari des lignes de démarcation tracées en 1945. Le 30 juin, le gouvernement américain demanda à l’URSS de faire pression sur Pyongyang pour que les hostilités cessent. Le gouvernement soviétique répondit qu’il refusait de se mêler des affaires des autres peuples. Il s’en tenait à la « non-intervention ». Le danger d’une guerre généralisée se trouvait écarté ; par conséquent, l’incitation pour les États-Unis à s’engager localement se trouvait accrue. Le 7 juillet, le CSNU adoptait une troisième résolution, qui confiait aux États-Unis (général MacArthur) le commandement des forces des seize États [5] ayant répondu à l’appel du CSNU le 27 juin. Parallèlement était créée une Commission des Nations unies pour l’unification et le relèvement de la Corée (elle sera dissoute en novembre 1973).
10En vérité, Staline et Mao ont donc délibérément livré une guerre non déclarée à l’Amérique, sans être dissuadés par sa suprématie nucléaire. Si la délégation soviétique ne siégea pas (jusqu’au 1er août), si l’URSS proclama sa « non-intervention », c’est parce que Staline ne voulait pas supprimer le fondement juridique de l’intervention américaine ou la prévenir militairement. Il voulait que l’armée américaine, engagée en Corée, soit tenue en échec par l’armée chinoise. Comme l’avait vu Jacques Pirenne, « l’intervention de l’ONU en Corée ne put être décidée que grâce à l’abstention soviétique ». De plus, Staline pensait que les États-Unis n’étendraient pas la guerre jusqu’en République populaire de Chine, d’autant que l’URSS était présente en Mandchourie ; de toute façon, les villes et les centres industriels mandchous seraient protégés par la défense antiaérienne soviétique (comme celle-ci le fera plus tard au Nord-Vietnam).
Le déroulement et la « limitation » du conflit
11Début août 1950, les Nord-Coréens avaient occupé 90 % de la Corée du Sud. Mais, le 15 septembre, les Américains, basés au Japon, avec lequel un projet de traité de paix fut émis le 27, débarquèrent à Inchon puis repoussèrent les troupes du Nord derrière le 38e parallèle. Fallait-il s’y arrêter et rétablir le statu quo ante bellum, ou poursuivre jusqu’au fleuve Yalu afin de supprimer les bases de l’agression nord-coréenne et réaliser l’unité coréenne par les armes, comme l’avaient tenté (et échoué) les Nord-Coréens ? Le risque était de donner un prétexte à l’intervention chinoise – à laquelle s’était préparé Mao –, d’autant qu’à la fin septembre Kim Il-sung avait réclamé l’aide de la RPC. Truman résolut de poursuivre les hostilités. Le 7 octobre 1950, l’AGNU, à laquelle s’étaient adressés les États-Unis, le CSNU étant paralysé depuis le retour du délégué soviétique (le 1er août), vota une résolution qui proposait un plan comportant la tenue d’élections libres sous les auspices de l’ONU en Corée et la création d’un gouvernement coréen unifié. La résolution autorisait implicitement les troupes des Nations unies à franchir le 38e parallèle. Puis, le 3 novembre, les États-Unis obtenaient le vote de la fameuse résolution 377 « Union pour le maintien de la paix » par laquelle l’AGNU suppléait au CSNU, bloqué par le veto soviétique. Les États-Unis conservaient ainsi un fondement juridique à leur intervention, même si la légalité de la « résolution Acheson » était très contestable et fut très contestée, non seulement par l’URSS mais aussi par la France.
12En même temps, pour continuer de limiter la crise à la péninsule coréenne, Truman refusa la participation militaire que lui offrait Tchang Kaï-chek depuis Formose, où le gouvernement de la République de Chine s’était réfugié fin 1949. La RPC n’avait donc plus à redouter un débarquement des nationalistes chinois au Sud, alors même que la victoire du PCC était récente et pas encore complète sur le continent… Les forces des Nations unies s’approchaient de la frontière chinoise. Le 16 octobre, les premiers « volontaires » chinois franchirent le Yalu. MacArthur ordonna le bombardement des ponts du Yalu ; il reçut un contre-ordre lui interdisant tout bombardement à moins de huit kilomètres de la frontière. Pourquoi Truman prit-il cette décision ? Les États-Unis s’étaient engagés auprès de la Grande-Bretagne à ne rien entreprendre sur le territoire mandchou sans consultation préalable : Londres craignait pour Hong Kong et redoutait une intervention soviétique. MacArthur fut autorisé à bombarder « l’extrémité coréenne des ponts », mais on lui intima d’éviter toute attaque sur la Mandchourie. Le général américain était persuadé qu’il fallait attaquer les Chinois chez eux, que ces derniers ne tiendraient pas et que les Soviétiques n’interviendraient pas. Les Chinois, en pleine offensive, étaient assurés que leur logistique arrière serait épargnée ! Le 27 juin, Truman avait ordonné d’interposer la VIIe flotte entre le continent chinois etTaïwan. Mais lorsque MacArthur demanda à négocier avec Formose pour l’emploi de forces nationalistes chinoises susceptibles de reconquérir la Chine continentale, Truman refusa.
13La guerre devait rester limitée géographiquement. C’est pourquoi elle demeura limitée militairement. Le 1er décembre, au cours d’une interview, Truman laissa entendre que les États-Unis envisageaient d’utiliser l’arme atomique en Corée. L’émotion fut énorme dans le monde entier, y compris à Londres et à Paris. Le Premier ministre Attlee refusa d’engager la Grande-Bretagne dans une guerre (nucléaire) contre la Chine continentale. Lui et Truman publièrent une déclaration : pas d’évacuation prématurée de la Corée, pas de mesures de guerre contre la RPC, renforcement de la collaboration atlantique, consultation américano-britannique (conformément à l’accord de Québec du 19 août 1943) avant de décider d’utiliser la bombe atomique. Cependant, le 7 décembre, les Chinois (sous le commandement de Peng De-huai) reprenaient Pyongyang et Kim Il-sung leur cédait la conduite des opérations ; début janvier, ils s’emparaient de Séoul. Mais les Américains rétablirent la situation et le front se stabilisa autour de la ligne du 38e parallèle. Tout le monde avait échoué à réunifier la péninsule : les Nord-Coréens, les Américains, les Chinois. Fin octobre, l’Inde avait vainement proposé sa médiation.
14Malgré l’échec à réunifier la péninsule, la guerre continua, en Corée, menée avec les seules armes conventionnelles. Il n’y eut ni bombardement des bases de Mandchourie, ni bombardement des bases du Japon : ni la logistique terrestre chinoise (à portée facile des forces américaines), ni la logistique maritime américaine (à portée difficile des forces chinoises) ne furent attaquées par l’un ou l’autre des deux adversaires. La convention non écrite de cette « guerre limitée » comportait ainsi le respect réciproque des « sanctuaires » adverses, afin d’éviter l’escalade [Aron, 1990]. On retrouvait cette convention tacite en Indochine : pas d’attaque, ni conventionnelle ni nucléaire, des bases arrière du Vietminh en Chine du Sud. On ne toucherait pas à la Chine continentale, pourtant condamnée comme agresseur, le 1er février 1951, par l’AGNU agissant pour la première fois sur la base de la résolution 377. Sur cette inviolabilité, la position britannique fut constante et ferme [6]. Le 10 avril 1951, MacArthur fut remplacé par Ridgway. Or Mao, de son côté, était prêt à la guerre d’usure limitée : la Mandchourie étant sanctuarisée, la RPC pouvait alimenter indéfiniment la guerre en Corée ; l’opinion américaine finirait par céder [7]. Mao rappela à Staline qu’il devait l’aider à édifier un complexemilitaro-industriel. C’était le vrai but de sa guerre. De fait, en 1953, la RPC possédera la troisième force aéroterrestre du monde par la taille. Kim Il-sung, lui, dès juin 1951, voulait mettre fin aux hostilités, car son pays avait été dévasté par les bombardements aériens américains. Mais Staline voulait fixer les États-Unis et Mao voulait continuer à recevoir l’aide militaire soviétique.
15Les négociations en vue d’un cessez-le-feu s’ouvrirent néanmoins, pour des raisons de propagande, le 10 juillet. Elles portèrent sur quatre points essentiels : la ligne de démarcation militaire, le contrôle de l’armistice, les garanties militaires et, surtout, le rapatriement des prisonniers de guerre. Un accord de principe fut trouvé sur les trois premiers points : la ligne de démarcation définitive sera la ligne de front au jour de l’armistice, non plus le 38e parallèle ; le contrôle de l’armistice sera confié à une commission quadripartite (Pologne, Suède, Suisse, Tchécoslovaquie) ; la relève de troupes sera autorisée, sans augmentation de leur nombre. C’est la question (le prétexte ?) du rapatriement (obligatoire ou volontaire ?) des prisonniers de guerre chinois et nord-coréens (comme Staline ou Tito en 1945 vis-à-vis des ressortissants soviétiques ou yougoslaves, Mao et Kim Il-sung réclamèrent le retour des ressortissants chinois et nord-coréens, en refusant qu’ils aient la possibilité de demander asile aux puissances détentrices) qui bloqua pendant dix-huit mois la négociation. De plus, le gouvernement de Pékin demandait le retrait des forces américaines du détroit de Taïwan et l’admission de la RPC à l’ONU à la place de la République de Chine : demandes qu’il savait inacceptables. En janvier 1951, il avait déjà refusé le plan de paix proposé par l’Inde et le Commonwealth.
16Truman s’était donc tenu à la « guerre limitée [8] ». Mais, en janvier 1953, un républicain lui succédait, le général Eisenhower, qui avait promis à la fois le roll backdu communisme (ou du moins plus de fermeté) et la paix en Corée (le retour desboys). Le 2 février, il laissa entendre que les États-Unis pourraient utiliser l’arme nucléaire contre la RPC. Mao trouva là l’occasion pour réclamer à Staline ce qu’il désirait par-dessus tout : la Bombe. De ce jour et jusqu’au 16 octobre 1964 (date de la première explosion atomique chinoise), la relation entre Pékin et Moscou fut dominée par la question nucléaire. Il dépêcha à Moscou le plus éminent savant atomiste chinois, Qian San-qiang. Mais Staline ne voulait pas livrer de la technologie nucléaire à Mao, le monopole de l’URSS garantissant son hégémonie dans le camp socialiste.
L’arrêt du conflit armé et l’organisation de la sécurité dans la péninsule
17La double pression nucléaire américano-chinoise décida Staline à mettre fin à la guerre de Corée, le 28 février. Ce tournant était prévisible depuis qu’il avait publié ce qui devait être son dernier texte : « Les problèmes économiques du socialisme en URSS » (Bolchevik, 2 octobre 1952), dans lequel il soulignait que les conflits entre États capitalistes seraient plus probables que les conflits entre le camp socialiste et le camp impérialiste. Manière de dire que la « stratégie de la tension » qui avait précipité la coalition mondiale antisoviétique – telle fut l’erreur de la guerre de Corée pour l’URSS – devait être remplacée par une « stratégie de la détente » qui permettrait de dissoudre cette coalition. Staline, de manière posthume, a ainsi orienté la politique étrangère de Malenkov puis de Khrouchtchev ! La décision du 28 février fut la dernière décision du successeur de Lénine. La nuit même, il était victime d’un arrêt vasculaire cérébral qui l’emporta le 4 mars.
18La nouvelle direction collégiale soviétique, désireuse de réduire les tensions avec l’Occident ainsi que le budget militaire, annonça qu’elle mettrait fin à la guerre de Corée. Elle rejetait toute demande de coopération nucléaire avec la RPC, mais elle acceptait de fournir un nombre plus élevé d’entreprises d’armements. Sous la pression de Moscou, Mao se résigna et accepta le principe du rapatriement volontaire, et non plus obligatoire, des prisonniers de guerre (principe entériné en droit international humanitaire). L’armistice (encore en vigueur de nos jours) fut signé à Panmunjon le 27 juillet 1953. Le 7 août, les États-Unis signèrent un traité d’assistance mutuelle avec la Corée du Sud. Pourrait-on conclure un traité de paix ?
19L’URSS proposa la tenue d’une conférence à cinq, qui traiterait des questions européennes et asiatiques. Les Occidentaux acceptèrent une conférence à quatre à Berlin sur les problèmes allemand et autrichien – qui n’aboutit à rien – et une conférence à cinq à Genève sur les problèmes coréen et indochinois. Mais celle-ci n’impliquait aucune reconnaissance diplomatique de la RPC, elle ne traiterait pas de Taïwan, et la RPC n’était pas considérée comme une puissance invitante. Dans son objet coréen, la conférence de Genève (avril-juillet 1954) réunit vingt délégations (la Corée du Sud et les seize États ayant combattu sous mandat des Nations unies d’une part, la Corée du Nord, la RPC et l’URSS d’autre part). Le gouvernement nord-coréen, soutenu par les deux puissances communistes, proposa un plan de « rétablissement de l’unité nationale » : élections générales dans l’ensemble de la péninsule, mise en place d’un gouvernement unifié, retrait des forces militaires étrangères. La Corée du Sud, qui était entrée dans le système d’alliance américain, refusa. C’est ainsi que la frontière (la ligne d’armistice) entre les deux États coréens demeura – et demeure – la plus haute zone de tension militaire interétatique du globe.
20Le conflit armé a été terminé, il n’a pas été résolu. La Corée du Sud bénéficiait de la garantie américaine, matérialisée par la présence de troupes et d’armes nucléaires. Cette présence demeura très contestée, notamment lors de la crise qui obligea Syngman Rhee à démissionner le 27 avril 1960 (au moment même où le Japon était secoué par des manifestations d’hostilité à la ratification du nouveau traité de sécurité avec les États-Unis). Le pays sombra dans de graves troubles. Une IIe République, éphémère, fut proclamée par Chang Muyun, jusqu’au coup d’État militaire du général Park Chung-hee, le 16 mai 1961. Ce dernier devint président d’une IIIe République de 1963 à 1972. De son côté, la Corée du Nord n’était liée par aucun pacte militaire, ni avec l’URSS ni avec la RPC. Elle ne pouvait compter que sur le principe de la « solidarité socialiste ». En 1958, la RPC évacuera ses dernières troupes. Mais, en juin et juillet 1961, Pyongyang signa un « traité d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle » avec l’URSS et un autre avec la RPC, soit un engagement de défense des deux puissances en cas d’attaque sur la Corée du Nord, ne prévoyant cependant une réunification de la Corée que par des « modalités pacifiques et démocratiques »…
Bibliographie
Bibliographie
- ARON R. (1990), Les Articles du « Figaro », 1947-1977, t. I : La Guerre froide, 1947-1955, Éditions de Fallois, Paris.
- CHANG J. et HALLIDAY J. (2006) [2005], Mao. L’histoire inconnue, NRF Gallimard, Paris.
- JOYAUX F. (1985 et 1988), La Nouvelle Question d’Extrême-Orient, 2 vol., Payot, Paris.
- SOUTOU G.-H. (2004), La Guerre de Cinquante Ans. Les relations Est-Ouest, 1943-1990, Fayard, Paris.
Notes
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[1]
Maître de conférence (HDR) à l’université Jean-Moulin-Lyon-III (CLESID).
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[2]
L’Autriche, elle, bien que séparée de l’Allemagne en 1945, était considérée comme un pays ennemi.
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[3]
C’était le calcul des Japonais en 1941, ce sera le calcul des Nord-Vietnamiens en 1964.
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[4]
L’URSS boycottait les séances du Conseil, parce que le gouvernement de Tchang Kaï-chek continuait d’y être représenté.
-
[5]
Afrique du Sud, Australie, Belgique, Canada, Colombie, États-Unis, Éthiopie France, Grande-Bretagne, Grèce, Luxembourg, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Philippines, Thaïlande, Turquie.
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[6]
Il en alla de même en mars-avril 1954 au moment de la bataille de Dien Bien Phu, lorsque le gouvernement français demanda l’aide des États-Unis et de la Grande-Bretagne.
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[7]
La RPC envoya trois millions de soldats en Corée ; les États-Unis, moins d’un million et demi. La guerre de Corée causa en tout entre un et quatre millions de tués ou disparus selon les estimations, dont 34000 Américains.
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[8]
La guerre « de Corée » fut une guerre sino-américaine, masquée par son nom, son caractère « non déclaré » et par le triple fait que les combattants chinois n’étaient officiellement que des « volontaires », que la RPC n’était pas reconnue par les États-Unis et que les États-Unis agissaient sous pavillon des Nations unies.