Couverture de GAP_144

Article de revue

L'autonomie de l'équilibriste

Contribution à une sociologie de la production institutionnelle des droits

Pages 83 à 113

Notes

  • [1]
    Cette institution a été formellement supprimée lors de l’intégration de sa mission et de ses services dans la nouvelle institution du Défenseur des droits, créée en 2011. L’enquête sur laquelle nous nous appuyons ici a été menée en 2010-2011, avant le rattachement au Défenseur des droits.
  • [2]
    Entretien avec le vice-président aux affaires sociales du conseil général du département D, mai 2012.
  • [3]
    Source : synthèse des rapports d’activités 2012 des MDPH, CNSA [http://cnsa.fr/IMG/pdf/cnsa-DT-mdph-web.pdf].
  • [4]
    Rapport d’activité 2010 du Médiateur de la République, p. 4.
  • [5]
    Loi du 11 février 2005, art. 21 ; Code de l’éducation, L351-2, art. 66-III ; Code de l’action sociale et des familles, L241-6 III.
  • [6]
    Rapport annuel du Médiateur, 1976, p 44.
  • [7]
    Les délégués du Médiateur de la République étaient initialement nommés par les préfets parmi les personnels de l’encadrement préfectoral. Au niveau local, la sélection des individus appelés à devenir délégués était assurée par les préfets, jusqu’à l’article 26 de la loi du 12 avril 2000 (art. 6-1) qui indique : « Le Médiateur de la République dispose, sur l’ensemble du territoire, de délégués qu’il désigne » (article 26 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations portant modification de l’article 6 de la loi 73-6 du 3 janvier 1973). L’enquête montre le poids des réseaux préfectoraux, y compris après 2001, dans la désignation des délégués.
  • [8]
    Paul Blanc, Annie Jarraud-Vergnolle, Rapport d’information fait au nom de la commission des Affaires sociales sur le bilan des Maisons départementales des personnes handicapées, Sénat, 24 juin 2009, rapport no 06 ?3591.
  • [9]
    CNSA, MDPH, une adaptation continue. Synthèse des rapports d’activité 2012 des Maisons départementales des personnes handicapées, décembre 2013, p. 154.
  • [10]
    La Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie est à la fois une caisse de financement des mesures relatives à la dépendance vieillesse et handicap et une agence d’expertise, visant à identifier et diffuser les « bonnes pratiques » en matière de gouvernement des politiques de la dépendance.
  • [11]
    [http://www.cnsa.fr/IMG/pdf/Convention_CNFPT_-_CNSA_2013-2.pdf].
  • [12]
    Rapport d’activité 2012 de la MDPH du Calvados, p. 37.
  • [13]
    Rapport annuel du Médiateur de la République, 1998.
  • [14]
    Rapport d’activité 2012 de la MDPH du Nord, p. 10.
  • [15]
    Médiateur de la République, Rapport annuel 2010, p. 5-6.
  • [16]
    Source : Direction générale, Médiateur de la République.
  • [17]
    Rapport d’activité, MPDH Indre, 2006, p. 23.
  • [18]
    Rapport d’activité, MPDH des Côtes-d’Armor, 2007, p. 6.
  • [19]
    Rapport d’activité, MPDH des Pyrénées-Orientales, 2008, p. 65.
  • [20]
    CAA Paris, 11 juillet 2007, no 06PA01579, AJDA 2007. 2151, concl. Folscheid ; D. 2008. Jur. 140, note Célestine.
  • [21]
    Les CDAPH sont composées de 21 membres : 4 représentants du conseil général, 7 représentants associatifs, 1 représentant du Conseil départemental consultatif des personnes handicapées, 1 représentant d’une association de parents d’élèves, 4 représentants de l’État (DIRECCTE, DDCS, Éducation nationale), 2 représentants des organismes d’assurance maladie et de protection sociale, 2 représentants d’organisations syndicales.
  • [22]
    Article D. 351-16-4 du décret no 2012-903 du 23 juillet 2012 relatif à l’aide individuelle et à l’aide mutualisée apportées aux élèves handicapés, portant modification du Code de l’éducation, R III-V-1.

1En parlant en 1974 de « politique des droits », Stuart Scheingold invitait à étudier les effets transformateurs de l’invocation des droits dans la sphère politique (Scheingold, 1974). Les travaux inscrits dans son sillage ont principalement porté sur les usages des droits par les mouvements sociaux et par les professionnels du droit engagés, au premier chef dans l’arène judiciaire, au détriment d’une étude du rôle des politiques publiques et des institutions publiques (hors tribunaux). En mettant en lumière le « mythe des droits » selon lequel la seule invocation des droits suffirait à rendre ceux-ci effectifs, Scheingold plaçait pourtant au cœur de son propos la question de l’effectivité des droits. Cette question est centrale pour le courant law and society, depuis les gap studies (Gould, Barclay, 2012 ; Sarat, 1985) : comment passe-t-on de l’énoncé d’un droit à sa traduction en pratique ? Comment expliquer le décalage entre « droit dans les textes » et « droit en action » ? Scheingold envisageait deux vecteurs essentiels de cette traduction : les mouvements sociaux, par la pression qu’ils exercent sur les autorités politiques, et les arènes judiciaires, où individus et institutions (administrations publiques mais aussi entreprises) sont rappelés à l’ordre du droit.

2Dans cet article, nous voudrions montrer que cette politique des droits, entendue comme action politique visant à rendre les droits effectifs, passe aussi par l’action plus feutrée et plus quotidienne d’institutions administratives. Certaines institutions administratives ont la particularité d’avoir pour mission affichée de favoriser l’accès des publics dont elles ont la charge aux droits qui leur sont juridiquement reconnus. Dans le processus de concrétisation des droits, ces institutions occupent une position d’intermédiaires institutionnels. C’est le cas des deux institutions que nous mettons en regard dans cette contribution, le Médiateur de la République et les Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH).

3Créée en 1973, l’institution du Médiateur de la République a une vocation de règlement extra-juridictionnel des litiges entre les administrations publiques et leurs administrés [1]. Le Médiateur reçoit les réclamations des usagers et, s’il estime la plainte recevable, intervient auprès de l’administration concernée pour défendre la cause de l’usager et tenter d’obtenir, par les voies de la persuasion, une décision administrative qui lui soit plus favorable. Il est censé participer par ce biais à la concrétisation des droits des usagers des services publics. Les MDPH, créées par la loi du 11 février 2005, sont chargées de la notification, sur une base individuelle, des droits sociaux dans le secteur du handicap : par exemple, définition de l’éligibilité à l’Allocation adulte handicapé (AAH), à une prestation de compensation du handicap (PCH) et du montant de celle-ci, notification d’une orientation vers des établissements sociaux et médico-sociaux. Les personnes handicapées et/ou leurs proches déposent à la MDPH des dossiers de demandes de droits et la MDPH statue sur les droits auxquels la personne peut effectivement prétendre. La MDPH est un groupement d’intérêt public associant le conseil général (qui en assure la tutelle), l’État, les organismes de protection sociale et les associations représentatives de personnes handicapées.

4Ces deux institutions ont pour point commun de n’être qu’un maillon dans la chaîne de production des droits. En amont, leur intervention est conditionnée par la soumission d’une demande par des usagers : elles ne peuvent défendre ou notifier des droits pour des individus qui n’en ont pas fait la requête auprès d’elles. Chargées par la loi du 11 février 2005 d’évaluer les besoins de compensation de la personne à l’aide de son projet de vie, les MDPH peuvent « retrouver » certains besoins qui ne sont pas exprimés, mais elles doivent nécessairement faire valider ces demandes de droits par les usagers. Pour effectuer le paiement d’une allocation adulte handicapée (AAH) accordée à un individu par la MDPH, la Caisse d’allocations familiales exige que la case correspondante soit cochée sur le formulaire de demande. En aval, ces deux institutions ne peuvent à elles seules assurer l’effectivité des droits qu’elles défendent (dans le cas du Médiateur) ou notifient (dans le cas des MDPH). Le Médiateur n’est pas directement chargé de l’exécution des décisions administratives. Son travail consiste à faire évoluer, lorsqu’il le juge nécessaire, la position de l’administration sur une situation individuelle. Il peut aussi agir à un autre niveau en proposant des réformes de la loi. Le titre de séjour pour l’obtention duquel le Médiateur aura lutté est effectivement émis par la préfecture, et non par le Médiateur. Les auxiliaires de vie scolaire (AVS) notifiés par la MDPH pour accompagner un enfant handicapé dans son parcours scolaire sont mis en place par l’Inspection d’académie de l’Éducation nationale, les prestations de compensation du handicap par le conseil général, et non par la MDPH elle-même.

5Simple maillon de la chaîne, ces deux institutions interviennent, plus précisément, à l’étape de la définition de l’éligibilité des individus aux droits concernés. Le passage des droits « dans les textes » aux droits effectifs suppose en effet deux opérations : d’une part, définir l’éligibilité d’un individu au droit concerné, ce qui, dans les cas étudiés ici, engage un travail d’évaluation d’une demande de droit soumise par l’individu ; d’autre part, rendre effectif ce droit reconnu à l’individu (par le versement effectif de la prestation sollicitée, l’octroi d’une place en établissement, etc.). Pour prendre un exemple dans le secteur du handicap, la concrétisation du droit à la compensation inscrit dans la loi du 11 février 2005 suppose que la MDPH notifie un certain montant de prestation de compensation du handicap (PCH) sur la base d’une demande individuelle qui lui est soumise (éligibilité), puis que le conseil général verse à l’individu le montant correspondant (le droit devient alors effectif). L’intervention des deux institutions que nous comparons se situe donc à l’étape de la définition de l’éligibilité.

6L’étendue de leur rôle dans cette définition diffère toutefois. D’un point de vue juridique, la MDPH est définie comme un « guichet unique ». Le Médiateur, quant à lui, intervient en second ressort après des administrations qui ont déjà déterminé l’éligibilité de l’individu au droit pressenti. Il ne peut intervenir que s’il est saisi d’une situation, uniquement si la décision administrative a déjà fait l’objet de « démarches préalables » par l’usager auprès de l’administration et ne fait pas l’objet d’une procédure contentieuse.

7Le Médiateur et les MDPH fonctionnent donc comme des intermédiaires institutionnels de la concrétisation des droits, situés à l’interface entre les individus qui leur soumettent des demandes de droits (usagers des services publics, personnes handicapées et/ou leurs proches) et les organisations ayant la capacité de rendre ces droits effectifs (préfectures qui accordent des titres de séjour, CAF qui versent des AAH, etc.). L’intermédiation entre les demandes individuelles et l’environnement administratif met ces organisations dans une situation délicate. Le travail visant à rendre des individus éligibles à des prestations a un impact sur les organisations chargées de mettre en œuvre ces droits. L’attribution d’une PCH par la MDPH est vécue, par un vice-président de conseil général, comme « un droit de tirage sur les finances départementales [2] ». L’environnement administratif est par ailleurs porteur d’intérêts divergents. Par exemple, au sein des MDPH où ils sont tous deux représentés, les conseils généraux qui financent le RSA et les directions départementales de la Cohésion sociale (DDCS), chargées de piloter l’attribution de l’AAH financée par l’État, peuvent avoir des intérêts antagonistes, les publics concernés par ces deux prestations pouvant partiellement se recouper : la MDPH est alors amenée à trancher qui, de l’État (par l’AAH) ou du conseil général (pour le RSA) doit financer l’assistance fournie à ces populations.

8Médiateur et MDPH se trouvent dans une position d’interface entre les demandes des usagers et l’environnement institutionnel auquel elles donnent accès. Cette position en équilibre se définit entre deux postures idéal-typiques : la défense systématique des usagers ou la protection à tout prix de l’administration et de ses intérêts. Chez le Médiateur, la première posture se traduirait par le choix de donner systématiquement suite à toutes les requêtes reçues, en défendant la demande de l’usager auprès de l’administration en cause. La seconde posture consisterait à opposer systématiquement une fin de non-recevoir à la demande de l’usager, en défendant la décision administrative. En MDPH, la première solution consisterait à accéder systématiquement à toutes les demandes des usagers ; la seconde consisterait par exemple à établir un plafond de montant de prestations attribuables en fonction de l’état des finances publiques et de définir le montant de ces prestations dans la limite de cette contrainte budgétaire. La définition de l’éligibilité des requérants aux prestations offertes par l’environnement institutionnel traduit donc ce double jeu de contraintes, entre « les moyens finis » de l’environnement et « la demande infinie » de la population (Foucault, 2001a). Ces institutions apparaissent donc comme des équilibristes, constamment soumises aux forces opposées de la défense des usagers d’un côté et de la préservation de l’administration de l’autre. Leur autonomie institutionnelle s’incarne dans leur capacité, toujours fragile, à tenir sur le fil entre ces forces contraires. Cet équilibre dépend, à son tour, de la capacité de l’institution à imposer à ses agents une posture incorporant ces contraintes contraires. C’est l’autonomie de ces intermédiaires institutionnels de la concrétisation des droits, produite dans un équilibre instable entre le jeu de contraintes opposées, que nous nous proposons d’explorer dans cet article.

9Ces deux terrains nous amènent à revisiter deux propositions formulées par la littérature sur les guichets administratifs. Premièrement, la littérature adoptant une approche en termes de Street Level Bureaucracy (SLB) se focalise sur les relations de face-à-face entre usagers et fonctionnaires de terrain. L’espace des interactions entre l’usager et l’administration constitue le bout d’une chaîne qui, de la mise à l’agenda à la mise en œuvre, conduit les dispositifs jusqu’aux populations ciblées par l’action publique. Contractée dans une interaction entre deux individus, la relation administrative se relate comme un « dilemme individuel » (Lipsky, 1980). En décrivant les SLB comme des policy makers, Lipsky fait de cet espace d’interactions un lieu déterminant le devenir des dispositifs d’action publique. Ceux-ci semblent alors fortement dépendants de la manière dont les individus jouent leur rôle dans l’interaction. La façon dont les guichetiers, en fonction de leurs trajectoires sociales et des positions occupées dans l’organisation (Lipsky, 1980) incarnent leur fonction (Dubois, 1999), la distance qui les sépare des usagers qu’ils rencontrent, en termes sociaux (Spire, 2008), ethniques ou de genre (Watkins-Hayes, 2009), la posture employée par le requérant (« procédurier », « suppliant », « coopératif », « conciliant », « récalcitrant »), en fonction pour partie du genre, de leur capital scolaire et de leur position sociale (Siblot, 2006) : autant d’éléments qui déterminent « l’ordre de l’interaction » (Cefaï, Perreau, 2012).

10Cette perspective de recherche est pertinente dans le cas où l’administration étudiée correspond à un modèle weberien classique : administration disposant d’un corps de personnel propre, organisée autour d’une hiérarchie solide, et disposant d’un pouvoir décisionnaire (juridiquement encadré) sur son champ d’intervention. Dans ce cas, il apparaît pertinent de saisir la mise en œuvre de l’action publique à partir des interactions usager/fonctionnaire qui se nouent au bout de la chaîne hiérarchique. Les deux organisations que nous étudions correspondent mal à cette situation. Leurs positions d’intermédiaires institutionnels et les relations entretenues avec les opérateurs de mise en œuvre des décisions qu’elles prennent nous amènent à les décrire davantage comme des instances de coordination entre différents acteurs administratifs. La mise en œuvre de l’action publique concerne un nombre croissant d’acteurs, qui sont de moins en moins étatiques et publics. La décentralisation de l’aide et de l’action sociale aux départements a introduit de nouvelles institutions et conduit à de nouvelles relations entre État et collectivités au niveau local (Baudot, 2013 ; Borgetto, 2010 ; Chauvière, 2010 ; Lafore, 2004, 2013). De même, le retrait de l’État-providence et la transformation du « policy mix » a accru le rôle joué par des opérateurs semi-publics ou privés (marché, monde associatif) dans la production des politiques publiques (Bode, 2006 ; Hustinx et al., 2014 ; Lipsky, Smith, 1993 ; Weill, 2014). Enfin, de nouveaux formats organisationnels, produits de l’importation de modèles étrangers, ont été introduits dans le paysage administratif français. Le Médiateur de la République, reformulation française de l’ombudsman nordique, ou les MDPH, importation du modèle de « one window shop » forgé en Angleterre et aux États-Unis pour réformer l’administration publique (6, 2004 ; Bogdanor, 2005), en sont l’illustration. À l’inverse des perspectives insistant sur le face-à-face de l’agent administratif et de l’administré, la mise en œuvre de l’action publique engage désormais un tissu dense de relations entre une population et un ensemble d’acteurs de statuts divergents. Les logiques d’accès aux droits peuvent être décrites comme reposant sur un ensemble de relations, de coopérations et de concurrence entre différents acteurs institutionnels formant ce que nous proposons d’appeler « des mondes de la production locale des droits ». Cette approche n’est pas totalement nouvelle. Différentes perspectives théoriques ont fait de ce « champ territorial » (Bourdieu, 1980) ou de ces réseaux d’acteurs locaux et des instruments de leur coopération (Goggin, Bowman, Lester, O’Toole, 1990 ; Johansen, LeRoux, 2013 ; O’Toole, Montjoy, 1984 ; Salamon, 2002, p. 493) déterminant la mise en œuvre des politiques publiques. Envisager les mondes locaux de la mise en œuvre, c’est décrire la formation de sites, de dispositifs, de pratiques et d’un univers de discours (Strauss, 1992) : commissions, réunions, modes de communications, savoirs et référentiels d’action. C’est aussi montrer en quoi les relations – les outils de communication, les concurrences et les rapports de force – entre les acteurs déterminent la « production des œuvres » de ce monde (Becker, 1988). C’est aussi montrer ce que les capacités d’action des organisations administratives doivent, non plus aux ressources classiques de l’administration (un personnel différencié, des armes juridiques), mais à leur « réputation ». Le politiste Daniel Carpenter montre que, dans ces univers complexes, des administrations faiblement dotées de ces ressources traditionnelles de pouvoir peuvent cependant disposer de leviers d’actions à partir du moment où leur unicité (leur capacité à régler un problème donné) est assurée par leur « réputation » (« un ensemble de croyances relatives aux capacités, aux intentions, à l’histoire et aux missions d’une agence » (Carpenter, 2010, p. 33, notre traduction), c’est-à-dire le fait d’être reconnue comme la seule organisation en mesure de prendre en charge un problème) entretenue dans une « multiplicité d’audiences » différentes. Ainsi, pour Carpenter, en dépit de la faiblesse de ses moyens, le fait que l’ensemble des acteurs reconnaissent les compétences d’une organisation dans la résolution d’une question spécifique suffit à conférer à celle-ci des capacités d’action (Carpenter, 2001, 2010). Dans ce cas, le devenir des politiques publiques à l’étape de leur mise en œuvre ne dépend plus uniquement des dilemmes moraux et de la socialisation des acteurs individuels mais des relations conflictuelles qui se nouent entre les différentes institutions participant collectivement à la production des droits.

11Cet article propose donc de décrire simultanément le rôle des intérêts, des instruments et des acteurs de ces mondes locaux et la circulation de la requête individuelle au sein des entités administratives. Il s’agit de s’intéresser aux interactions entre ces mondes de production des droits et les usagers des administrations, en portant la focale, d’une part, sur la façon dont ces requêtes, leur portée, leur nombre et leurs coûts peuvent déplacer les rapports de force à l’intérieur de ces mondes, mais aussi, d’autre part, sur la façon dont les relations entre ces organisations pèsent sur les chances individuelles d’accès aux droits sociaux. Saisir dans le même temps les structures de coopération de ces mondes locaux et les modalités d’accès aux droits nous amène à déplacer les perspectives proposées par la littérature analysant la SLB, pour sortir de l’approche purement interactionniste de la relation de service et mettre l’accent sur le rôle des structures intermédiaires de l’action publique dans la production de l’implémentation des politiques publiques et de la mise en œuvre des droits individuels.

12Deuxième élément de décalage par rapport à la littérature existante sur la relation administrative proposée par cet article : la relation administrative est souvent analysée comme le lieu où se matérialise le contrôle que les politiques sociales permettent d’exercer sur les catégories populaires. Les guichets de l’action publique apparaissent alors révélateurs des impératifs d’activation des politiques sociales (Brodkin, 2011 ; Lavitry, 2009, 2012) ou encore de racialisation des politiques de sécurité urbaine (Gauthier, 2010) ou de l’État-providence (Brown, 2013 ; Soss, Fording, Schram, 2011). Les professionnels du travail social peuvent être vus comme les acteurs d’une entreprise de disciplinarisation des classes populaires (Donzelot, 1973). Les analyses les plus récentes, plus attentives à l’observation des pratiques, nuancent ce mandat disciplinaire en insistant sur les tensions existantes entre les trajectoires des assistantes sociales et la légitimité ressentie à imposer ses représentations morales (Serre, 2009). Dans la littérature sur le travail social britannique, l’analyse du gouvernement serré des conduites par les social workers insiste toutefois sur le rôle des éthiques professionnelles dans la régulation de ce magistère social (Evans, 2010 ; Evans, Harris, 2004 ; Lima, 2010). Caractérisation que cette relation est de fait et non de droit, « l’insécurité juridique » dans laquelle se déroule la rencontre bureaucratique est due à la fois à l’imprécision des textes juridiques (imprécision volontaire, qui permet de façonner des compromis au niveau de la prise de décision) mais aussi à la difficulté de la hiérarchie – en dépit d’efforts persistants (Bezes, 2005) – à contrôler les pratiques de ses agents de terrain (Dubois, 2009 ; Lipsky, 1980). À la différence de ces approches qui interrogent la relation administrative au prisme du contrôle social, nous choisissons de l’interroger, dans cet article, au prisme de la production de droits pour les usagers.

13Dans cet article, nous proposons de réfléchir sur les conditions pratiques de mise en œuvre des politiques publiques, en favorisant une approche relationnelle, insistant sur le rôle des espaces intermédiaires dans la réalisation concrète des programmes d’action publique. À partir des controverses locales de mise en œuvre d’une politique des droits, sans ignorer l’asymétrie des ressources dont disposent les différents acteurs et leur capacité différenciée à orienter le fonctionnement des dispositifs d’action publique, nous souhaitons en pointer la réversibilité, rendue possible par les multiples possibilités de coopération entre les différents acteurs de ces mondes.

14L’autonomie de ces deux institutions peut donc être saisie à partir d’un indicateur : leur capacité à imposer leur propre définition de l’éligibilité.

15Prenant appui sur la mise en relation de deux enquêtes de terrain (cf. encadré 1), cette contribution vise à rendre compte de la manière dont ces deux institutions participent de la production institutionnelle des droits en navigant dans un équilibre instable entre les deux extrêmes que constituent l’appui systématique à la demande de l’usager et la soumission aux contraintes des administrations chargées de rendre les droits effectifs. Plus précisément, elle propose une clé de lecture de la production institutionnelle des droits insistant sur le rôle de l’anticipation de l’effectivité des droits. Nous montrerons en effet que la situation d’interface des institutions étudiées, à la fois en contact avec les usagers et encastrées dans des mondes locaux de la production des droits, induit en leur sein un souci de l’effectivité des droits défendus ou notifiés. En d’autres termes, bien que ces institutions interviennent à l’étape de la définition de l’éligibilité, elles intègrent sous des formes variables un certain degré d’anticipation quant à l’effectivité des droits qu’elles contribuent à produire. Nous montrerons que cette anticipation rejaillit, ici encore à des degrés et sous des modalités divers, sur la définition de l’éligibilité. En résulte une vision de la production des droits qui ne se résume pas à un travail de qualification juridique que serait la mise en relation d’une situation individuelle avec un cadre juridique, sous la forme classique du syllogisme, mais à un travail de qualification politique de l’opportunité, par la mise en relation d’une situation individuelle avec une économie des relations institutionnelles locales.

16Après avoir présenté la position des deux institutions comme des maillons faibles dans la production institutionnelle des droits, nous expliquerons leur souci de l’effectivité, pour enfin montrer comment celui-ci rejaillit sur la définition de l’éligibilité.

Encadré 1. Deux mondes, deux enquêtes de terrain

Cet article repose sur la comparaison des résultats de deux enquêtes de terrain, l’une sur le Médiateur de la République et l’autre sur les MDPH.
L’étude sur le Médiateur de la République, coordonnée par Anne Revillard, a été financée par la Mission de recherche Droit et Justice (CNRS-Ministère de la Justice) entre 2010 et 2011. L’équipe de recherche était composée d’Anne Revillard, Pierre-Yves Baudot, Vincent-Arnaud Chappe et Thomas Ribémont. L’enquête a principalement consisté en un travail sur archives (rapports annuels du Médiateur, analyse de 218 dossiers), des observations directes (sessions de formation des délégués du Médiateur, permanences de délégués) et la réalisation de 22 entretiens au siège et 18 entretiens avec des délégués (Revillard, Baudot, Chappe, Ribémont, 2011).
L’étude sur le fonctionnement des Maisons départementales des personnes handicapées, coordonnée par Pierre-Yves Baudot, a été financée par la MiRe/DREES et la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) entre 2011 et 2013. L’équipe de recherche était composée de Pierre-Yves Baudot, Nicolas Duvoux, Aude Lejeune, Gwenaëlle Perrier et Anne Revillard. Quatre départements ont fait l’objet d’une investigation qualitative portant sur le fonctionnement de la MDPH (organisation, personnels), ses relations avec son environnement administratif (conseil général, État local), ainsi qu’avec les associations de personnes handicapées. Dans une perspective multiniveaux, cette étude s’est aussi intéressée à l’échelon central national (direction générale de la Cohésion sociale (DGCS), et Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). 212 entretiens ont été réalisés entre novembre 2011 et janvier 2013. Plusieurs observations de travail de guichet, d’évaluation par des travailleurs sociaux, de sessions de formations, de réunions de travail ont été réalisées (Comité de direction de MDPH, Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées) (Baudot, Duvoux, Lejeune, Perrier, Revillard, 2013).
Sauf indication contraire, les observations et entretiens cités ont été réalisés par nos soins.

Un maillon faible dans la production institutionnelle des droits

17Loin d’être les seules institutions à intervenir dans la production des droits qui relèvent de leurs périmètres d’intervention, le Médiateur et les MDPH participent de « mondes de la production des droits » faisant intervenir toute une série d’autres acteurs institutionnels, professionnels et associatifs. Les deux institutions étudiées interviennent à des degrés variables dans la définition de l’éligibilité des usagers. Elles peuvent ainsi maîtriser avec plus ou moins de précision le périmètre de la population susceptible de faire appel à leurs services. La définition de ce périmètre est d’ailleurs l’objet de concurrences avec d’autres organisations de ce monde de la production des droits. Ayant ainsi défini qui peut prétendre être éligible à leurs prestations, ces deux organisations n’ont ensuite qu’une prise limitée sur l’effectivité des décisions qu’elles prennent. La mise en œuvre concrète des droits attribués est la prérogative d’autres organisations de ces mondes locaux de production des droits, organisations avec lesquelles les deux organisations étudiées ici interagissent de façon systématique. Cette situation paradoxale où l’éligibilité aux droits ne garantit pas leur effectivité peut être expliquée par le positionnement en équilibre qui caractérise ces deux organisations.

L’inégale maîtrise d’une ressource : l’éligibilité

18Les deux institutions étudiées ici sont dessinées pour accueillir des publics spécifiques dont le nombre croissant menace leur capacité à accomplir efficacement leurs missions. Ces deux organisations sont fabriquées par et pour les dossiers individuels, sans pouvoir totalement contrôler ce flux de dossiers entrants.

Des organisations faites de dossiers individuels

19Ces organisations traitent de cas individuels. À la différence d’autres institutions impliquées dans la promotion des droits, comme certaines institutions étatiques chargées des droits des femmes (Revillard, 2007), ces deux organisations ne font pas que « promouvoir » des droits. Elles ne peuvent pas en rester au discours, à la dimension symbolique de la politique qu’elles mènent. Elles doivent statuer sur « who get what, when and how » (Lasswell, 1936) dans des cas précis. Le traitement de dossiers, de la réception de la demande, sa qualification jusqu’à la définition de l’éligibilité, constitue même l’essentiel de leur activité.

20L’histoire du Médiateur illustre bien le rôle historique des plaintes soumises à l’institution dans la construction de cette dernière. En effet, si elle a toujours été fortement personnifiée, l’institution est même pensée à sa création comme un homme agissant seul, ou avec un nombre limité de « collaborateurs » : la loi de 1973 ne mentionne que « le Médiateur » et, dans son dernier article (art. 15), ses « collaborateurs », suggérant une fonction réduite à une personne, éventuellement secondée d’un cabinet restreint. Or, cette vision restrictive de la fonction se trouve remise en question sous l’effet du volume des saisines, qu’une équipe restreinte ne suffit plus à traiter. On note dès 1975 un effort de structuration de l’organisation interne, du fait du doublement du nombre de réclamations reçues dans l’année précédente. Une administration se met peu à peu en place sous l’effet du volume des saisines : celles-ci contribuent ainsi à fabriquer l’institution.

21Au quotidien, tant chez le Médiateur qu’au sein des MDPH, le volume des dossiers à traiter constitue par ailleurs une des principales sources de préoccupation des agents, qui s’affirment souvent dépassés par l’afflux de demandes. En 2011 et 2012, l’activité des MDPH a crû avec une augmentation d’une année sur l’autre de 6 % des demandes. En 2010, l’augmentation de l’activité avait été de 15 % par rapport à l’année 2009 [3]. De même, pour le Médiateur de la République, en 2010 le nombre d’affaires transmises aux « services centraux et délégués, a augmenté de 3,6 % par rapport à 2009, avec un total de 79 046 affaires reçues [4] ». Dans les deux cas, l’augmentation du volume des saisines crée une tension entre l’exigence d’un traitement individualisé et la mise en place de procédures de traitement de masse permettant de gérer l’afflux des dossiers.

22Parmi le flux entrant de dossiers, ces deux organisations sont chargées de trier les dossiers éligibles aux prestations (nouvel examen de la situation, attribution d’une prestation sociale). Elles occupent toutefois dans ce processus de tri une position différente.

Une participation inégale à la définition de l’éligibilité

23Le Médiateur et les MDPH interviennent à l’étape de la définition de l’éligibilité des usagers aux droits auxquels ils prétendent, mais leur participation à cette définition est d’une étendue très différente.

24Du point de vue juridique, la MDPH est en situation de monopole sur la définition de l’éligibilité des individus aux droits dans le secteur du handicap. Elle souhaiterait s’imposer aux acteurs locaux du monde du handicap comme un point de passage obligé. Pour les usagers, le passage par la MDPH est incontournable. Le dépôt d’un dossier en MDPH est le seul moyen d’accéder à ces droits : par exemple, un enfant ne peut obtenir la mise à disposition d’une AVS par l’Éducation nationale, ou un adulte le versement d’une AAH par la CAF, sans notification de la MDPH. Réciproquement, les institutions chargées de l’effectivité des droits notifiés (CAF, Éducation nationale, conseil général, établissements) ne rendent jamais ces droits effectifs sans notification préalable de la MDPH. Toutefois, l’étude de terrain que nous avons réalisée montre que cette étape du passage en MDPH ne constitue pas la même incertitude pour tous les acteurs. L’accompagnement associatif, le signalement du dossier par un élu, le soutien d’un établissement souhaitant accueillir ou conserver telle ou telle personne, les demandes formulées par les enseignants-référents de l’Éducation nationale à propos de certaines situations : autant de cas où la demande individuelle est plus ou moins produite et soutenue par le monde local du handicap, pesant fortement sur la capacité d’évaluation autonome de la situation de la personne par la MDPH. La définition de l’éligibilité par la MDPH apparaît donc globalement comme une condition nécessaire à l’octroi effectif de ce droit – sans en être pour autant une condition suffisante, comme nous le préciserons infra.

25La situation est différente du côté du Médiateur qui ne constitue pas un point de passage obligé pour les usagers. Il ne peut pas plus imposer sa définition de l’éligibilité des usagers aux administrations. Pour les usagers, le Médiateur ne constitue qu’une possibilité de recours parmi d’autres en cas de litige avec une administration : l’individu concerné peut aussi engager un recours amiable auprès de celle-ci, faire appel à un éventuel dispositif de médiation interne à l’administration, ou encore s’adresser à la juridiction compétente. Loin d’être un recours unique, l’appel au Médiateur s’inscrit souvent dans une longue série de démarches de recours, dont le Médiateur est parfois présenté comme le « dernier », comme en témoignent ces extraits de trois courriers d’administrés consultés au siège de l’institution :

26

« Vous êtes l’ultime recours. »
« Vous êtes notre dernier recours, c’est en écoutant une émission à la télévision que j’ai décidé de vous écrire, car il était dit que vous pourriez nous aider. »
« Vous êtes mon dernier espoir. »

27Les dossiers consultés montrent toutefois qu’en pratique, s’il est rarement le premier recours, le Médiateur est aussi fréquemment sollicité conjointement avec toute une série d’autres institutions dont les requérants attendent un soutien dans leurs démarches (par exemple : parlementaires, recours amiables, présidence de la République…). Le Médiateur ne participe donc que de façon très partielle à la définition de l’éligibilité des droits des usagers des services publics.

28Ces deux institutions interviennent donc de façons différentes dans la définition de l’éligibilité. À l’autre bout du processus, toutes deux ont en revanche de très faibles capacités d’influence directe sur l’effectivité des droits auxquels les individus ont été rendus éligibles.

Quelle influence sur l’effectivité ?

29Chargées de rendre éligibles des individus à des droits, ces institutions présentent la caractéristique de n’être aucunement chargées de leur effectivité. La loi a effectivement donné à ces deux institutions quelques outils juridiques pour pouvoir peser sur l’effectivité. Mais ces deux institutions ont renoncé à les utiliser ou sont dans l’impossibilité d’en faire usage. Les raisons de ces renoncements sont éclairantes sur la position que ces institutions occupent dans ces mondes locaux de la production des droits.

30Le Médiateur de la République était doté par la loi de 1973 de deux outils de sanction : la possibilité de rendre publiques ses recommandations dans un rapport spécial en cas de défaut de réponse satisfaisante de l’administration, et la possibilité d’engager une procédure disciplinaire individuelle ou de saisir une juridiction répressive (art. 9 et 10 de la loi de 1973). Ces deux outils devant lui permettre de forcer les administrations à tenir compte de sa réévaluation de la situation individuelle. Côté handicap, la loi du 11 février 2005 indique que :

31

« les décisions de la MDPH s’imposent “à tout établissement ou service désigné, dans la limite de sa spécialité, ainsi qu’à l’autorité chargée de son financement. Elles s’imposent également, sous réserve du respect des conditions d’ouverture du droit aux prestations accordées, aux organismes qui les financent aux établissements dans la limite de leur agrément” [5] ».

32Le renoncement du Médiateur de la République aux armes juridiques dont il est doté par la loi tient essentiellement à la volonté, exprimée par les premiers Médiateurs, de ne pas se placer dans une position conflictuelle avec l’administration. Aimé Paquet, Médiateur entre 1974 et 1980, affirme clairement :

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« On peut le regretter, on doit le constater, le Médiateur français n’est pas ce que certains auraient voulu qu’il soit : le censeur de l’administration, le défenseur exclusif du citoyen, en d’autres termes une image, d’ailleurs fortement idéalisée, de l’ombudsman nordique. Pouvoir dressé face au pouvoir administratif, le Médiateur ne peut, ni ne veut l’être. Et s’il en est ainsi, ce n’est pas parce que beaucoup de son travail se fait dans l’administration : l’argument irait à l’encontre de sa volonté d’indépendance. Mais c’est parce que, il faut le répéter, aucune amélioration profonde et durable n’est à attendre de l’administration sans la participation de ses membres : l’administration se réformera d’elle-même, ou ne se réformera pas [6]. »

34Les MDPH n’ont qu’une capacité limitée à faire valoir leurs notifications auprès des organisations qui mettent en œuvre concrètement les droits reconnus à l’individu. Il semble a priori possible de faire une distinction dans le type de biens publics – purement financiers ou nécessitant des ressources humaines ou matérielles (structures d’accueil) – auquel l’individu a été déclaré éligible par la MDPH. D’un côté, les prestations financières seraient effectivement mises en paiement. De l’autre, des places en établissement ou l’attribution d’une aide humaine seraient plus difficilement rendues effectives, en raison d’un déficit de moyens humains et matériels. Dans ce dernier cas, l’éligibilité est conditionnée par les moyens disponibles localement pour subvenir aux besoins de compensation. Toutefois, dans l’une des MDPH étudiée par notre enquête, une différence de 12 millions d’euros existait entre la somme cumulée des PCH accordées par la MDPH et les sommes réellement acquittées par le conseil général : le conseil général avait finalement payé moins de PCH qu’attribuées par la MDPH. Cette différence peut s’expliquer par le fait que le conseil général demande de nouvelles pièces administratives (une carte d’identité, un RIB) pour effectuer le paiement. Un autre guichet administratif filtre donc les demandes éligibles de la MDPH. Le point commun des différentes prestations touchées par des défauts d’effectivité tient donc moins à la distinction entre prestations financières et matérielles qu’à l’existence d’un guichet administratif supplémentaire dans la mise en œuvre du droit. Les MDPH ne sont donc pas des guichets uniques. D’autres structures administratives contribuent à produire la réalité des droits notifiés.

35Ces deux institutions sont donc en charge d’un public qui les a progressivement amenées à modifier leurs organisations. Les modalités de saisine de ces organisations indiquent la place – plus ou moins incontournable – que ces organisations occupent dans le monde local de production des droits. Ces deux organisations ne sont pas en mesure de garantir l’effectivité des droits qu’elles attribuent. L’effectivité de ces décisions est pourtant un souci majeur pour elles.

Le souci de l’effectivité

36Ces deux organisations ont le « souci » de l’effectivité. La notion de « souci », reprise à Michel Foucault, traduit le travail sur soi qu’un acteur, un individu ou une organisation, estime nécessaire pour se rendre « à même d’assumer les fonctions politiques auxquelles il est d’emblée destiné » (Foucault, 2001b, 2014). Le souci de l’effectivité n’est donc pas défini comme la volonté de contraindre davantage son environnement, mais comme le travail d’intériorisation des attentes de son entourage.

37Deux éléments, liés l’un à l’autre, expliquent la prégnance de ce souci de l’effectivité dans les deux organisations étudiées. Celles-ci contrôlent peu leur recrutement, ce qui les amène à s’appuyer sur des professionnels recrutés dans l’environnement direct sur lequel elles devraient agir. En dépit de tentatives d’encadrement par la formation, ces organisations, à leurs différents niveaux, sont encastrées dans leur environnement. En pratique, cet encastrement est l’une des conditions de la production d’une évaluation informée de la situation du requérant.

Des institutions sans contrôle sur leurs agents ?

38Ces deux institutions sont caractérisées par la diversité des pratiques des agents qui les composent. Elles ne contrôlent pas entièrement leur recrutement et recourent à du personnel sélectionné (dans le cas du Médiateur) ou rémunéré (dans le cas des MDPH) par une des structures administratives sur lesquelles pèsent les décisions qu’elles prennent. Tant le Médiateur que les MDPH prennent appui sur un personnel essentiellement issu de leur environnement institutionnel.

39Chez le Médiateur, au niveau du siège, le personnel s’est progressivement constitué au fil des détachements et mises à disposition de personnel par différentes administrations – celles-là mêmes que le Médiateur est amené à saisir. De surcroît, les personnels ainsi regroupés ont souvent été affectés, à l’intérieur de l’institution, aux secteurs d’instruction correspondant à leurs administrations d’origine : ainsi, les agents du secteur « Fiscal » sont pour la plupart des personnes détachées ou mises à disposition par Bercy, les agents du secteur « Justice » relèvent de l’administration judiciaire, etc. Au niveau local, les délégués du Médiateur sont très souvent issus de l’administration publique déconcentrée ou territoriale. Le Médiateur fait reposer le succès de la médiation entreprise par ses délégués locaux sur leur proximité avec l’administration : en 2011, 80 % sont issus du secteur public. Ce profil dominant est le résultat des procédures de sélection de ces délégués. L’appartenance aux réseaux administratifs locaux est une condition déterminante dans l’accès à ces fonctions, comme l’illustre le témoignage de ce délégué. Ancien inspecteur divisionnaire, retraité de la Police nationale, marié à une fonctionnaire de la préfecture, ce délégué raconte qu’il a été sollicité par le Préfet pour assurer les fonctions de délégué du Médiateur, fonction dont il ignorait jusqu’à l’existence :

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« Là, c’est une proposition qu’on m’a faite qui, à l’époque, était de la préfecture. Puisqu’à l’époque, le Médiateur, qui, comme vous le savez, demande à chaque préfet d’essayer de trouver un bureau mis à disposition du délégué ; à l’époque, il demandait également au préfet de proposer des candidatures lorsqu’un poste était vacant. Donc moi c’était encore – puisque c’était en 2001 [7] – moi, c’était encore, à l’époque, le préfet et c’est un proche collaborateur du préfet qui m’a proposé de remplir ces fonctions, de postuler. »

41Pour les MDPH, la question du recrutement du personnel a été primordiale. L’État devait concourir au fonctionnement des MDPH par la mise à disposition de personnels, à hauteur de 60 % des postes en MDPH. Mais le taux de couverture des mises à disposition dues aux MDPH (le nombre de postes effectivement pourvus par des agents de l’État) a très rapidement chuté (83,6 % en 2006, 76,7 % en mars 2008) [8]. L’Etat a donc dû compenser financièrement ces postes qui ont été pourvus le plus souvent par des CDD courts (car les postes devaient rester disponibles au cas où des agents de l’État souhaiteraient venir travailler en MDPH) de personnels peu qualifiés (compte tenu des montants de rémunération offerts). Les conseils généraux ont dû également recruter sur leur personnel celui appelé à composer les MDPH. En 2012, les conseils généraux représentent 49 %des charges du personnel des MDPH. Les trois directions déconcentrées de l’État assument au total 20 % des charges de personnel [9]. Dans l’un des départements visités dans le cadre de l’étude, le conseil général représentait 77 % des postes équivalents temps plein. Pour les professionnels les plus rares (médecins, ergothérapeutes), des solutions de détachement horaire ont été mises en place. Les acteurs peuvent alternativement travailler au sein de la MDPH et à l’extérieur, simultanément (notamment les médecins ou psychiatres vacataires qui réalisent une partie de leur temps de travail au sein de la MDPH) ou à différents moments de leur carrières (des « enseignants référents » de l’Éducation nationale qui peuvent intégrer temporairement la MDPH). Les intervenants extérieurs (non reconnus comme agents MDPH) peuvent également participer à la production du jugement sur les situations par leur participation aux équipes d’évaluation de la MDPH.

La souplesse des instruments d’encadrement

42Ce déficit de contrôle sur le recrutement s’accompagne d’une capacité limitée à encadrer le travail des personnels. Ces deux structures semblent moins à même que des structures administratives classiques (marquées par le contrôle du recrutement de leur personnel par concours, par l’existence du lien hiérarchique, par le fort encadrement des carrières et des pratiques) de fabriquer des organisations homogènes, développant un ensemble de pratiques strictement définies et durement sanctionnées en cas de manquement aux règles. En travaillant sur ces « nouveaux formats organisationnels » (Bezes, 2005), la question qui se pose est moins celle de la socialisation des membres de l’organisation à un même ensemble de normes, de représentations et de pratiques – comme cela est le cas dans les institutions « classiques » (Lagroye, 2001, 2009 ; Pudal, 2011) – que celle de la façon dont différents types de pratiques, de normes, d’investissements peuvent être tolérés puisque le contrôle sur les membres semble plus lâche ou plus complexe. La question est donc celle de l’hétérogénéité institutionnelle, qui ne renvoie pas uniquement à des « failles » ou à des « interstices » (Gaïti, 2006), mais correspond à un mode de gouvernement structuré de la diversité des pratiques et des références au sein même de l’institution.

43L’hétérogénéité des statuts des agents composants ces deux organisations ont amené celles-ci à développer des pratiques d’encadrement souple des pratiques, prenant appui sur des instruments dédiés : le développement de réseaux interdépartementaux et la désignation de coordinateurs départementaux (pour les délégués territoriaux du Médiateur), la mise en place d’outils informatiques de reporting, la mise en place d’outils de communications internes diffusant les expériences locales (comme la newsletter InfoRéseau de la CNSA [10]) ou des forums électroniques de discussion ou des plans de formation continue. Ce dernier instrument est révélateur du travail d’institutionnalisation à l’œuvre dans ces organisations, et de ses limites.

44La question de la diversité des statuts des personnels MDPH a été l’un des obstacles empêchant leur formation. La loi « Paul Blanc » du 28 juillet 2011, révisant la loi du 11 février 2005, a confié la formation de tous ces personnels, quel que soit leur statut, au Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT). Le 8 janvier 2013, la CNSA et le CNFPT ont signé une convention visant à l’établissement conjoint du « diagnostic partagé des besoins de formations » et à la « coconstruction d’une offre de service [11] ». Jusqu’à cette convention, il n’y avait pas de processus de formation commune des personnels MDPH. Pour contourner ces obstacles juridiques, la CNSA invitait deux fois par an à se réunir à Paris les directeurs de MDPH, les référents insertion professionnelle (RIP) et les « coordonnateurs d’équipe pluridisciplinaire », soit les trois métiers explicitement mentionnés par la loi de 2005. Formellement, il ne s’agissait que de « réunions nationales ». Nous avons pu observer ces réunions au cours de l’année 2012. Les méthodes employées par les cadres de la CNSA qui animaient ces réunions s’appuient sur des techniques participatives visant à faire émerger des « bonnes pratiques » par la mise en relation de différentes réponses à des situations concrètes évoquées par les participants eux-mêmes. Les formateurs ont recours à la méthode des « post-it » (dite également « Métaplan » ou « de discussion visualisée ») (Faulx, Delvaux, 2007) qui emprunte aux techniques de la psychologie sociale : les participants écrivent sur des post-it de couleur ensuite regroupés par thématique et par intérêt par le formateur. Celui-ci semble donc travailler uniquement avec le matériau fourni par les stagiaires, même si la synthèse des informations données permet au formateur de faire passer un message précis. Ces organisations ont donc recours à des outils de management souple des pratiques. La souplesse de ces pratiques ne dit rien de leur capacité à encadrer (ou non) les pratiques réelles des agents (Stevens, 2013). Notre étude ne nous permet pas de conclure à l’appropriation ou non de ces « bonnes pratiques » par les agents dans leurs activités quotidiennes. Les plans de formations traduisent plutôt ici la faiblesse des moyens à disposition des gardiens de l’ordre institutionnel.

45L’observation des séquences de formation des délégués du Médiateur, quant à elle, montre que ces dispositifs visent moins à la transmission de savoirs qu’à la présentation de la position spécifique d’intermédiaire institutionnel.

46Mis en place au début des années 2000, le dispositif de formation des délégués inclut une « formation initiale » (une semaine de formation obligatoire, assurée au siège de l’institution pour tous les délégués nouvellement nommés à partir de 2000), et des « formations continues » à la journée, incluant des sessions de formation pratiques (initiation à l’informatique) et des sessions thématiques sur des domaines d’intervention importants de l’institution (fiscalité, droit des étrangers, urbanisme, social…). Par ces formations, il ne s’agit pas tant de familiariser les délégués avec des domaines du droit, d’imposer des modes d’organisations du travail, ou encore de les former à des techniques spécifiques de médiation, que de leur apprendre les conséquences, sur leur travail, de la position du Médiateur en équilibre entre le requérant et l’administration. Ainsi, lors d’une formation relative au secteur social en octobre 2010, on insiste sur la réserve nécessaire dans l’interaction avec le requérant dans la phase de prise de connaissance du dossier : « ne jamais prendre position devant le requérant », « ne pas téléphoner au [siège de l’institution] avec le requérant devant vous », « ne pas communiquer au requérant les pièces que [le siège] vous envoie » (afin notamment d’éviter que celles-ci puissent être mobilisées par le requérant dans le cadre d’une procédure judiciaire – « on a des cas d’analyses du Médiateur qu’on retrouve présentées en Justice en appui à un cas, ça fait désordre »). Le discours du responsable de la formation (agent du siège) montre par ailleurs que l’objet de celle-ci n’est pas tant la transmission d’un savoir juridique que l’apprentissage de formes de communication avec les administrations concernées par les plaintes : « On n’est pas là pour faire de vous des techniciens de l’assurance chômage. Vous avez l’architecture, les mots-clés. [Il s’agit de vous] donner un cadre qui vous permette de discuter avec les correspondants de Pôle Emploi » (Notes d’observation, formation Social, octobre 2010).

47La souplesse des instruments employés traduit donc davantage la position d’équilibre instable de ces organisations que la faiblesse de l’encadrement institutionnel. Les modalités de l’enquête ne nous permettent pas de conclure sur l’inefficacité de ces moyens de socialisation, nous pouvons toutefois montrer que ces formations assignent aux agents de l’institution un rôle spécifique, moins caractérisé par la maîtrise de savoirs que par l’apprentissage d’une position d’équilibriste. Ayant dû renoncer à inculquer à leurs agents un corpus de pratiques autorisées, ces deux organisations leur laissent donc une marge de manœuvre importante.

Des institutions encastrées

48Cette absence de formalisation d’un ensemble strict de pratiques autorisées s’accompagne, pour les agents, de l’injonction au développement de relations avec leur environnement organisationnel. Les liens tissés par le personnel de l’organisation avec son environnement viennent alors soutenir l’encastrement de celle-ci dans les mondes locaux de la production des droits. La faiblesse du contrôle des organisations autorise les agents de l’institution à s’adapter et à s’insérer sans difficulté dans cet environnement complexe. L’étendue de la marge de manœuvre dont ils disposent ne met alors pas en danger l’institution mais favorise au contraire son insertion dans une multiplicité de réseaux différents, contribuant ainsi à sa pérennité, en dépit de sa faiblesse interne (Carpenter, 2001, 2010). Les institutions que nous étudions ici sont donc prises dans des relations d’interdépendance avec leur environnement, relations les incitant à intégrer dans leurs pratiques les effets que celles-ci peuvent avoir sur le monde dans lequel elles agissent.

49Cet encastrement affecte l’ensemble des niveaux de chaque organisation. Le travail des deux organisations étudiées dans cet article est en permanence à double face, l’une tournée vers l’accueil et le traitement des dossiers des usagers, l’autre vers le maintien et l’entretien des relations avec les partenaires institutionnels. Selon D. Carpenter, les agents du mezzo level (les managers, par opposition aux professionnels) seraient, de par leur position, dotés d’une capacité plus grande de comparaison entre les différentes divisions de leur organisation, mais aussi entre organisations : ils seraient en effet autorisés à circuler à l’intérieur du monde administratif local de production des droits (Carpenter, 2001). Cette proposition n’est pas confirmée par nos deux terrains d’enquête. Cette activité à double face, vers l’intérieur et l’extérieur de l’organisation, ne s’appuie pas sur une division claire du travail entre les agents subalternes, qui seraient cantonnés aux tâches internes de traitement des dossiers, et les managers, qui seraient dédiés essentiellement à l’entretien des relations avec l’environnement. À l’inverse, dans les cas étudiés ici, les relations avec l’environnement organisationnel sont bien assurées par les différents niveaux de l’organisation, tant opérationnels que managériaux. Les professionnels de l’évaluation, qui travaillent sur des dossiers individuels, sont décrits, par les rapports d’activité, comme assurant,

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« au quotidien, de nombreux échanges téléphoniques avec les artisans, les professionnels, les acteurs médico-sociaux, les familles […]. Il s’agit de faire le point sur les process, assurer la coordination avec les différents services intervenant auprès de la personne, récolter les informations nécessaires à l’élaboration du plan de compensation [12] ».

51De même, les rapports du Médiateur de la République insistent sur l’importance de ces bonnes relations de voisinage avec les services administratifs locaux, par exemple en 1998 :

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« Pour les délégués départementaux, la qualité des relations avec les chefs de service en cause est fondamentale. Ceux-ci, généralement ouverts et compréhensifs, s’efforcent d’apporter la meilleure attention aux litiges qui leur sont soumis et de trouver, si possible, une solution satisfaisante [13]. »

53Ce sont donc les professionnels – et non pas uniquement les managers – qui assurent dans les MDPH ce travail d’entretien des partenariats.

54Ces relations avec l’environnement peuvent être formalisées sous la forme de dispositifs spécifiques. La MDPH du Nord, la plus grande de France, a ainsi mis en place une « ligne partenaires », spécialement dédiée aux échanges entre le personnel de la MDPH et les établissements spécialisés, leur permettant de fournir des informations supplémentaires sur les situations individuelles et d’être informés de l’état d’avancement de l’évaluation du dossier [14]. Pour compenser leur absence d’expertise sur des sujets spécifiques, les MDPH ont pu passer des conventions de mise à disposition de professionnels pour l’évaluation de dossiers spécifiques. Toutefois, lorsque ces relations avec l’extérieur ne sont pas institutionnalisées, c’est le capital personnel de l’agent qui permet cette mise en relation. Plusieurs médecins nous indiquent ainsi en entretiens qu’ils ont la possibilité d’appeler « leur collègue » dans le cas où une information médicale supplémentaire serait nécessaire et d’échanger « d’égal à égal » avec lui (en dépit des hiérarchies internes aux professions médicales), sans porter atteinte au secret médical. Ancienne médecin conseil auprès d’un inspecteur d’académie, cette enquêtée est désormais responsable du pôle enfance dans une MDPH. Elle explique pouvoir appeler ses « collègues » médecins.

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« Les dossiers que j’ai là, quand je peux téléphoner aux collègues, soit, on me dit : “vous, la MDPH”, je dis : “attendez, voilà”, et ça permet de discuter sur le travail, etc. ; soit ils sont très contents de pouvoir exprimer aussi leur vision de la personne.
C’est fréquent le coup de fil aux colègues ?
Oui. Pour les adultes. Je trouve que ça les implique.
Et pour les enfants ?
Moins. Parce qu’on a plus d’expertises, on a des pédospys, on a le centre de référence, on a les pédiatres, on a les hospitaliers »
(Entretien avec une médecin responsable du pôle enfance, janvier 2012)

56Le recours à l’expertise extérieure est donc ici déterminé par l’absence de ressources perçues comme « internes ». En réalité, pour ce qui concerne l’évaluation des dossiers « enfants », ces ressources sont tout autant extérieures à la MDPH : les agents qui évaluent ne sont pas placés sous la hiérarchie du directeur et ne sont pas salariés par l’organisation. Mais, parce qu’elles sont associées sous la forme de convention (avec les pédopsychiatres, avec le centre de référence autisme…), ces ressources extérieures semblent s’inscrire à l’intérieur des frontières de l’organisation. À l’inverse, lorsqu’elle n’a pas été institutionnalisée, cette capacité à entrer en relation avec « l’extérieur » dépend donc du capital personnel de ces professionnels.

57De même, le cas du Médiateur révèle le jeu de ces relations interpersonnelles dans l’évaluation d’une situation. Pour le Médiateur de la République, le succès d’une médiation dépend de la capacité à identifier l’interlocuteur pertinent, à pouvoir le solliciter directement, en évitant tant le passage par le standard d’accueil que par la chaîne hiérarchique (Baudot, Revillard, 2011). Pour ce faire, les délégués disposent d’un outil irremplaçable, véritable objectivation de leur « capital social » (Bourdieu, 1980) : leur carnet de contacts dans l’administration. Ce carnet contient les numéros des différentes « personnes ressources » au sein des différentes administrations, soit autant de points d’appui à la dénonciation d’une injustice et à sa réparation. La façon dont se constitue ce carnet d’adresses, au croisement de logiques d’organisation, des pratiques quotidiennes des agents et des préférences de recrutement, nous renseigne en réalité sur la fabrication de la réputation de l’institution. Ces listes de contacts peuvent en effet être fournies par le siège de l’institution, mais proviennent également de l’activité et des contacts antérieurs du Délégué. Ce délégué l’indique :

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« Ces correspondants, c’est une liste qu’on vous a fournie ? C’est à la fois une liste fournie : c’est tout ça les correspondants, y’en a un classeur plein. […] C’est à la fois des correspondants qui sont désignés officiellement par Pôle emploi, par la CAF et à ce moment-là, ils les listent, transitent par les services du médiateur qui après, nous les redescendent. Et puis c’est des correspondants qu’on se fabrique au fil du temps, puisque y’a quelqu’un qui nous dépanne une fois, on continue à avoir des contacts avec ».
(Entretien avec un délégué du Médiateur réalisé par Vincent-Arnaud Chappe, septembre 2010)

59Au-delà de l’opposition classique entre organisation (réputation collective) et profession (capital individuel), ce sont surtout les limites extrêmement poreuses de l’organisation qui apparaissent. Dans le cas, la faiblesse des moyens de l’organisation empêche l’objectivation de l’institution. Si le siège parisien dispose de bureaux clairement identifiés, les permanences locales sont peu différenciées des autres espaces administratifs, venant se greffer à d’autres administrations : la permanence des délégués est le plus souvent un bureau dans un point d’accès aux droits, dans une Maison de la justice et du droit ou au sein même des locaux de la préfecture. Le délégué est alors dépendant des autres administrations pour accéder à des moyens de fonctionnement (ligne téléphonique, adresse mail, poste informatique, organisation de sa permanence). Ces frontières incertaines sont aussi l’objet d’un travail spécifique en MDPH. Si celles-ci ont finalement pris la forme de « maisons », ce qui n’était pas l’intention initiale du Législateur, la même opération d’établissement des frontières est à l’œuvre. Ainsi, ce directeur de MDPH, directeur depuis 2006, explique le processus d’imposition de règles spécifiques de fonctionnement, imposition qui a généré des difficultés avec le « secteur » (c’est-à-dire la psychiatrie de secteur qui assurait, notamment pour les enfants, les évaluations des situations individuelles) :

60

Je dirais qu’il y avait beaucoup de gens qui faisaient partie de l’équipe pluridisciplinaire sans le savoir. Non, mais c’est vrai. Et qui venaient ici, et qui ne connaissaient pas vraiment le rôle. Donc, avec effectivement le risque de dérives, de dysfonctionnements, de conflits d’intérêt aussi. Donc, là, maintenant, c’est vrai qu’un membre de l’équipe pluridisciplinaire, logiquement, il s’engage à respecter une charte. Quand on le désigne, il signe bien qu’il s’engage à respecter la charte et le règlement intérieur. On a remis à plat la procédure de désignation : c’est vraiment une désignation, là, pour le coup, un peu unilatérale de la part du directeur, mais c’est comme ça que le texte le prévoit. […] À tel point que là, on se retrouve, du coup, en porte-à-faux avec le secteur, la pédopsychiatrie, les médecins parce qu’eux n’ont pas voulu signer. […] Ils avaient des états d’âmes sur la charte liés à leur situation particulière du fait qu’il y a une déontologie professionnelle, ils ne sont pas obligés de signer autre chose.
(Entretien avec un directeur de MDPH, janvier 2012)

61L’absence de codification des pratiques, la marge de manœuvre laissée à des professionnels rendus indispensables par leur capacité à se faire entendre de leur environnement ainsi que le faible niveau d’objectivation des frontières de l’institution contribuent à rendre les MDPH et le Médiateur de la République sensibles aux attentes de leur environnement. Quels effets ce souci de l’effectivité produit-il sur l’éligibilité des situations à des droits ? À partir du constat de cet encastrement administratif, faut-il conclure à la dimension purement symbolique de la référence aux droits, qui ne seraient que des « promesses vides » (Epp, 2008) une fois passée au filtre des politiques institutionnelles ? L’observation du travail de définition de l’éligibilité dans ces deux organisations nous dit toutefois la réversibilité possible de ces dispositifs institutionnels et le rôle que peut y jouer la référence aux droits.

De l’effectivité à l’éligibilité

62Dans les deux cas étudiés, les acteurs sont sans prise directe sur l’effectivité des droits qu’ils contribuent à produire : les deux institutions ne sont pas elles-mêmes chargées de rendre ces droits effectifs, et elles ont un pouvoir inégal mais limité sur l’effectivité. Les acteurs de ces deux institutions disposent toutefois d’un savoir pratique, par leur socialisation professionnelle et l’importance des liens qu’ils entretiennent avec les mondes locaux de la production des droits, qui leur permet d’anticiper l’effectivité probable des décisions prises. Quelle est l’incidence de ce savoir sur l’évaluation de l’éligibilité des situations ?

63Les pratiques de ces institutions se situent sur un continuum allant d’une défense des droits des individus sans prise en considération des chances d’effectivité à une stratégie de modulation de la demande individuelle intégrant la réaction possible de l’environnement institutionnel (qui, lui, peut rendre les droits effectifs). Plusieurs indices, ayant trait notamment aux résultats mis en avant par les deux institutions, suggèrent un ajustement de la définition de l’éligibilité en fonction de la contrainte d’effectivité. Cet ajustement mérite toutefois d’être interrogé en ce qu’il déséquilibre ces institutions, les mettant en porte-à-faux vis-à-vis des usagers qu’elles sont censées rendre éligibles. Comment peuvent-elles dans le même temps satisfaire aux attentes des mondes administratifs de la mise en œuvre et à celles des usagers ? Usant de différentes « passes du droit » (Lascoumes, Le Bourhis, 1996), elles s’efforcent de tenir les objectifs contradictoires qui leur sont imposés. Dans cet univers en tension, la référence aux droits peut alors devenir un moyen de préserver l’institution.

Un ajustement à la contrainte d’effectivité ?

64Encastrées dans leur environnement, ces deux organisations anticipent les attentes et les pratiques des espaces auxquels elles rendent éligible le public qu’elles ont progressivement défini comme étant le leur. Récusant l’idée qu’elles puissent adapter leur activité à ce que leur environnement les autorise à faire, ces deux organisations laissent toutefois apparaître dans leurs rapports d’activité des données qui traduisent cet ajustement.

65Le Médiateur affiche en 2010 un taux de réussite de ses médiations de 94 % au Siège et 83,3 % chez les délégués [15]. Ce taux peut être lu comme reflétant la qualité d’anticipation par le Médiateur de ses chances de succès. Il doit en effet être rapporté, non à l’ensemble des réclamations reçues, mais bien aux médiations tentées. Or, en 2010, celles-ci ne représentent que 23 % des dossiers traités par les secteurs d’instruction au siège de l’institution [16], dossiers qui ont eux-mêmes déjà passé le filtre de la « recevabilité ». En effet, les plaintes qui sont soumises au siège de l’institution font l’objet d’un premier traitement par le service de la « recevabilité » qui statue sur leur caractère recevable ou non par l’institution en fonction d’une série de critères (notamment : existence d’un litige, mise en cause d’un organisme public, existence de démarches préalables, absence de procédure juridictionnelle en cours). Les plaintes jugées « recevables » sont ensuite transmises aux différents secteurs d’instruction thématiques, qui procèdent à leur examen détaillé. Ce second examen du dossier ne débouche pas nécessairement sur une tentative de médiation : la personne chargée de l’instruction peut aussi, à la lecture du dossier et/ou après avoir sollicité des informations complémentaires auprès des parties en jeu, conclure que l’administration est dans son droit et la plainte non justifiée.

66Au-delà de la dimension stratégique d’un éventuel choix en opportunité (i.e. le choix de ne pas saisir une administration dont on anticipe une réponse négative pour éviter de faire baisser le taux de médiations réussies), et dans un contexte où le Médiateur ne fait usage d’aucune contrainte légale, le taux élevé de réussite des médiations reflète aussi la proximité de perceptions entre les agents du Médiateur et les agents travaillant au sein des différentes administrations saisies : de par leur socialisation professionnelle, les agents du Médiateur jugent ce qu’il y a d’administrativement « défendable » dans un dossier selon des critères très proches de ceux des agents des différentes administrations concernées. L’influence des chances estimées d’effectivité sur la définition de l’éligibilité passe ici par le jugement porté sur la recevabilité de la plainte. Les arguments déployés, qui s’appuient essentiellement sur la référence au droit (références juridiques précises, plutôt que l’invocation abstraite de droits fondamentaux) ou sur l’invocation de l’exceptionnalité d’une situation humaine, sont également des arguments audibles par les agents administratifs. Enfin, l’ancrage dans des réseaux administratifs favorise très fortement, au niveau local comme dans les différents secteurs d’instruction du siège, le succès des démarches de médiation. Dans tous les cas, l’ancrage administratif fonctionne comme un atout dans la démarche consistant à s’adresser à des administrations pour critiquer leurs décisions et leur demander de revenir dessus. Loin de s’opposer, socialisation administrative et défense des droits des usagers vont ici de pair, dans les limites toutefois d’une définition de ces droits qui reste conforme au cadrage juridico-administratif.

67Les MDPH ont recours à un autre mode d’anticipation de l’effectivité. Pour différentes raisons liées à l’histoire de cette configuration d’action publique, les MDPH ne connaissent pas l’effectivité des notifications transmises aux familles (Baudot, 2014). Les taux affichés dans certains rapports d’activité des demandes déclarées éligibles (soit le rapport entre le nombre de demandes acceptées et le nombre de demandes totales) sont parfois surprenants et invitent à mettre en évidence l’existence d’un « tri à l’opportunité » (Vuillaume, 1991), amenant les personnels de la MDPH à travailler les demandes que les usagers vont adresser à la MDPH. La MPDH 36 affiche ainsi dans son rapport d’activité 2006 un taux de satisfaction de ses demandes d’AVS de 100 % pour les adultes (sur 6 demandes, avec des dossiers qui doivent donc être suivis depuis longtemps) et de 80 % pour les enfants (sur 156 demandes) [17]. La MDPH des Côtes-d’Armor revendique un taux de satisfaction des demandes d’AVS de 90,3 % en 2007 [18]. La MPDH des Pyrénées-Orientales publie un taux de satisfaction des demandes d’AVS de 95 % [19]. Ces taux surprenants relatifs à l’effectivité des droits notifiés peuvent être lus, dans les mondes locaux de la production des droits, comme l’indicateur du soin mis par les MDPH à ne pas placer dans une situation délicate ses partenaires institutionnels. La MDPH ne fait pas parvenir un flux de demandes ingérable par ses partenaires, risquant même de les exposer à un risque contentieux de défaut de résultats. En effet, en matière d’intégration scolaire, l’Éducation nationale est désormais soumise à une obligation de résultat [20]. Soumise à cette obligation qui s’applique pour tous les enfants qui se sont vus reconnaître le droit à un auxiliaire de vie scolaire, l’Éducation nationale doit donc renforcer ses liens avec la MDPH pour amener celle-ci à ne pas l’exposer à un contentieux administratif périlleux pour elle (Baudot, 2013).

68L’ajustement à la contrainte d’effectivité, dont on peut ici saisir quelques indices, ne suffit toutefois pas à résumer le positionnement de l’institution.

Jongler avec des injonctions contradictoires

69La publication des données d’activité peut être comprise comme un travail d’ajustement aux demandes des institutions environnant les MDPH ou le Médiateur de la République. Ce faisant, les institutions contribuent à asseoir la dimension « morale » de leur « réputation ». Carpenter et Krause définissent cette dimension comme « la capacité de l’agence à protéger les intérêts de ses clients, constituants et membres » (Carpenter, Krause, 2012). Comment, tout en affichant leur anticipation de l’effectivité, peuvent-elles simultanément défendre les intérêts de leurs « clients », usagers de l’administration et personnes handicapées ? Elles vont pour cela user de « passes du droit » (Lascoumes, Le Bourhis, 1996) qui permettent à la fois d’afficher une prise en considération des intérêts contradictoires des intérêts de leurs clients et du monde local de production des droits.

70L’observation du fonctionnement concret des Commissions des droits et de l’autonomie de la personne handicapée (CDAPH [21]) met en évidence les marges de manœuvre dont dispose l’organisation pour procéder à cet ajustement. Face à une demande difficile à satisfaire, les MDPH ont trois solutions. La première consiste à notifier le droit (une orientation dans un établissement qui n’existe pas dans le département ou dont la liste d’attente est de plusieurs années) indépendamment des répercussions critiques sur l’usager laissé sans solutions. La seconde consiste à notifier une décision tenant directement compte de l’offre disponible, ayant donc totalement intégré la contrainte de l’offre. La troisième consiste à procéder à une double notification, indiquant en premier lieu la décision correspondant à l’évaluation « hors contrainte de l’offre » et la seconde orientant l’usager vers la solution disponible la plus proche de sa situation. Cette solution, apparemment très pragmatique, n’est pas sans susciter d’importants débats. Elle peut d’abord heurter les positions de principes affichées par les associations. Un responsable associatif « se refuse à dire qu’on oriente par défaut ». Cette solution est toutefois valorisée par d’autres acteurs associatifs comme un moyen de mettre en évidence l’absence de places disponibles dans le département, pointant ainsi les lacunes de la politique du conseil général. Dans un autre département, un autre responsable associatif indique que le conseil général souhaitait que la MDPH ne fasse plus de double orientation. Ce même responsable indique que cette solution n’est pas non plus favorable à l’usager, qui peut alors avoir du mal à faire accepter sa demande par un directeur d’établissement notant qu’une autre notification a été faite en parallèle :

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« Je pense qu’en pratique c’est mauvais pour l’usager parce que la direction de l’établissement où il pose sa candidature, qui dit : “Tiens, il demande ça. Qu’est-ce que c’est que ça ? Est-ce que c’est un dossier dont on cherche à se débarrasser ?” ».
(Entretien avec un président d’association, octobre 2012)

72Pour ce qui concerne l’accompagnement à la scolarisation des enfants handicapés à l’école ordinaire, les MDPH disposent d’une marge de manœuvre institutionnalisée dans le droit. Lorsqu’elle statue sur l’attribution d’un ou une auxiliaire de vie scolaire (AVS), la CDAPH est tenue par décret [22] de notifier une quotité horaire. Dans certaines MDPH, ces « quotités » ont été comprises comme désignant des intervalles (de 0 à 6 h, de 6 à 12 h, de 12 à 18 h, de 18 à 24 h), laissant en réalité l’Éducation nationale décider, à l’intérieur de cet intervalle et en fonction de ses possibilités, le volume horaire réellement attribué à l’enfant. Pour la MDPH, cette solution permet donc à la fois de reconnaître un droit à l’usager et de tenir compte des ressources limitées de l’Éducation nationale, au détriment d’un droit plus extensif.

73De leur côté, les délégués du Médiateur ont également recours à des marges d’interprétation pour respecter à la fois l’ordre de l’interaction avec l’usager et l’ordre de l’institution. Ils utilisent pour ce faire une imprécision dans la définition des catégories mises à leur disposition dans le système informatique pour reporter leur activité. Dans ce logiciel, les délégués peuvent catégoriser les échanges avec les usagers comme « médiation » ou comme « informations/orientations ». Le sens de cette distinction fait l’objet d’interrogations de la part des délégués en formation. Ceux-ci sont invités par le siège de l’institution à distinguer ce qui relève d’un rôle pédagogique (le délégué explique pourquoi le droit a bien été respecté et qu’il n’a pas lieu d’intervenir) et ce qui fait l’objet de médiations (le délégué intervient auprès de l’administration). Dans les faits, les usages de cette distinction sont beaucoup moins stricts. Dans certains cas, il apparaît que les délégués utilisent la case « informations/ orientations » pour enregistrer les médiations échouées, c’est-à-dire des cas dans lesquels ils ont tenté sans succès de faire changer la décision de l’administration. Cette catégorie est donc renseignée en fonction de l’issue de la médiation. Le formateur l’indique explicitement :

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« Il est possible de modifier le dossier : de réclamation à informations, c’est possible, pas l’inverse. Une information n’est pas modifiable. En général, on sait si on va intervenir ou si l’affaire est close quand on fait la saisie. Il faut donc plutôt entrer en information ».
(Notes d’observation, formation des délégués, octobre 2010)

75L’échec d’une tentative de réclamation peut impacter le taux de réussite d’un délégué. Certains peuvent alors être tentés de classer comme « informations/orientations » des réclamations échouées, car dans le système informatique, si les réclamations doivent voir la catégorie « réussite/échec » renseignée, ce n’est pas le cas de la rubrique « informations/ orientations », qui ne peut rencontrer ni succès, ni échec.

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« Ça, c’est une réclamation. Ça, c’est réclamation. C’est là où je vais faire des recherches, je vais voir ce qu’il en est. Si après, il n’y a pas matière à faire une réclamation parce que ce qui a été appliqué était le droit, là, je transforme ça et je dis que ce n’est plus qu’une information. Mais, ca m’aura donné quand même du travail.
D’accord. Vous transformez ça, c’est-à-dire ?
Sur nos fiches, sur nos statistiques. D’abord, je l’enregistre : pour moi, c’est une réclamation, je vais tenter d’y donner suite. Mais, si, au fond, il n’y avait pas lieu… parce qu’un jour, on m’avait fait des observations – : si vous dites que vous avez fait une réclamation et que cette réclamation n’avait pas lieu d’être, on vous dit : “Vous n’auriez jamais dû la faire”. Donc, maintenant, je fais attention ».
(Entretien avec une déléguée réalisée par Vincent-Arnaud Chappe, février 2011)

77L’interface entre les administrations et les administrés est une zone de « discrétion », au sens de Lipsky (1980), dans la mesure où elle échappe au contrôle des organisations, mais elle n’est pas uniquement l’espace de mise en conformation des demandes individuelles aux prérequis administratifs. Elle est aussi un espace de frottement entre la pression de la demande et les contraintes contraires de l’environnement administratif. Si la soumission aux impératifs gestionnaires semble assurer la pérennité de l’institution au détriment des droits reconnus aux individus, la survie de l’organisation peut aussi utiliser le registre de l’invocation des droits.

La pérennité contre l’efficacité ?

78La mise en œuvre de ces droits par ces institutions administratives, chargées de donner vie aux promesses vides que resteraient les droits sans leur action (Epp, 2008, p. 42), laisse transparaître le jeu des logiques institutionnelles qui tendraient à réduire la portée sociale des droits pour préserver la réputation de l’administration face à ses diverses audiences. L’alternative dans l’application des droits ne se situe toutefois pas entre idéalisme et pragmatisme, mais dans les rapports de force à l’intérieur des mondes locaux de production des droits. Pour ce faire, nous montrerons que la position de ces institutions à l’intérieur de ces mondes accentue leur rigorisme dans la définition de l’éligibilité des situations. Mais nous montrerons ensuite que les logiques institutionnelles peuvent aussi amener ces institutions à faire des droits des usagers des ressources utiles pour leur pérennité.

L’encastrement contre les droits ?

79Si la prise en considération de l’effectivité est difficile à mettre en évidence, tant elle heurte la « façade » de l’institution, il est toutefois possible de montrer qu’elle pèse sur l’éligibilité. Le recours à ces techniques de tri et l’usage de ces passes juridiques visent à préserver la réputation de l’institution dans le monde avec lequel elle interagit.

80Les dilemmes liés à une éventuelle décision en opportunité ne sont pas évidents à mettre en lumière chez le Médiateur. Dans cette organisation, l’évaluation de la légitimité de la décision s’affiche plutôt sous la forme d’une demande non pertinente ou d’un défaut de connaissance du fonctionnement administratif. Dans les entretiens que nous avons eus avec eux ou dans les interactions avec les usagers, la façade présentée est la même : la plainte n’est pas instruite non pas parce qu’elle n’aurait aucune chance d’aboutir, mais parce qu’elle ne serait pas fondée. À l’inverse, en MDPH, le fonctionnement en commission, les différentes séquences d’évaluation des dossiers et la pluralité des regards impliqués permettent de mieux distinguer la décision qui serait la plus conforme aux besoins de l’usager et la décision pragmatique tenant compte des contraintes d’effectivité (comme dans les débats précédemment évoqués sur « l’orientation par défaut »).

81Certains extraits d’entretiens attestent toutefois la présence chez les agents du Médiateur d’une préoccupation quant à l’effet anticipé des saisines, qui est essentiellement envisagé comme un effet sur la « réputation » de l’institution. Comme le souligne un agent d’un secteur d’instruction, « le Médiateur sait jusqu’où il peut aller ». Les délégués, quant à eux, soulignent la nécessité de ne pas dilapider la « réputation » de l’institution auprès de ses interlocuteurs institutionnels par des saisines que ceux-ci percevraient comme inconsidérées. Les capacités d’action du délégué dépendent de sa compétence à « se faire des contacts » et à les activer. Le délégué est donc particulièrement sensible à ne pas investir cette réputation sur n’importe quel type de dossier. Nous avons observé une interaction avec un requérant pour lequel le délégué, en poste depuis 10 ans, a refusé d’intervenir, ce qu’il justifie ainsi après coup :

82

« Je vais me ridiculiser, je vais perdre toute crédibilité, je me discrédite si je fais ça […] Si on commence à intervenir pour tout le monde parce que Monsieur dépasse le plafond de 500 euros, alors mes interlocuteurs, ils ne m’écouteront plus ».
(Entretien avec un délégué du Médiateur, février 2011)

83L’absence de prise du Médiateur sur le devenir des situations qui lui sont soumises et l’obligation qui lui est faite par sa situation de soigner sa réputation dans son environnement, contribuent à restreindre l’accès effectif aux prestations de l’institution.

84Le rigorisme accru se double d’une tentative de contrôle, en interne, des postures plus « militantes » de certains agents. La vigilance portée à l’utilisation efficace de la réputation de l’organisation accroît ainsi les tensions internes entre des postures jugées plus ou moins « militantes », entre ceux qui vont intervenir de façon systématique (pour les délégués du Médiateur) ou de façon plus favorable aux usagers (en MDPH). Chez le Médiateur, un responsable du siège dénonce ainsi le « militantisme un peu agressif » de certains délégués :

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« Si vous voulez, vous ne pouvez pas, des gens qui ont une démarche de… militantisme un peu agressif, notamment à l’égard des services publics, vous imaginez, ça ne peut pas marcher longtemps. Je veux dire, une fois qu’un préfet a reçu une lettre d’engueulade sous le timbre du Médiateur de la République, je veux dire après le problème de la crédibilité se pose. Et de l’efficacité aussi ».
(Entretien avec un responsable au siège du Médiateur, juillet 2010)

86Au sein des MDPH, ces tensions ne sont plus perceptibles sur le mode du dilemme individuel mais structurent les relations qui unissent les équipes d’évaluation aux Commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH), chargées de la notification des droits. Les relations entre les équipes pluridisciplinaires de la MDPH et la CDAPH, qui inclut des représentants associatifs, sont marquées par ce clivage entre une posture « administrative », caractérisée par son pragmatisme, et la posture « militante » plus revendicative.

87

« À la CDAPH, on est passé dans un premier temps où ceux qui étaient présents ont eu du mal quand même, à un moment donné, à comprendre leur rôle ; au début, ils étaient là pour défendre l’intérêt des personnes qu’ils connaissaient et qui appartenaient, éventuellement, à leur association. Et puis, petit à petit, ils sont devenus pro, quoi. C’est-à-dire que petit à petit, ils sont devenus beaucoup plus objectifs dans l’approche des choses ».
(Entretien avec un directeur de MDPH, janvier 2012)

88Ces relations ont fait l’objet d’une attention constante depuis la création des MDPH en 2006. Dans certaines MDPH, des procédures d’évitement du conflit ont été mises en place, visant à surseoir à décision lorsque la CDAPH semble ne pas être d’accord avec l’évaluation conduite par l’équipe pluridisciplinaire de la MDPH. De nouveaux règlements intérieurs ont été rédigés, des membres (notamment associatifs) ont vu leur mandat ne pas être renouvelé, de nouvelles procédures internes ont été définies (anonymisation des situations, secret médical partagé). Ces réformes ont été conduites afin d’amener les membres extérieurs à la MDPH à adopter des règles de fonctionnement permettant de préserver la réputation organisationnelle.

89La préservation de la réputation des administrations dans leur environnement semble prioritaire par rapport à la défense des droits des usagers. Le pragmatisme l’emporterait sur l’idéalisme d’une politique des droits. L’analyse des rapports de force entre institutions montre toutefois que les logiques de concurrences entre institutions peuvent aussi amener les organisations à se saisir des droits comme des ressources pour leur pérennité.

Les mondes au secours des droits ?

90La politique institutionnelle semble donc se poursuivre contre la politique des droits. Il est toutefois possible de montrer la réversibilité des usages possibles des dispositifs institutionnels par la mise en évidence de situations dans lesquelles la défense des droits des usagers peut être invoquée pour défendre l’institution. La référence à la politique des droits a pu être utilisée pour défendre l’existence de ces institutions alors que des projets de réforme prévoyaient de les supprimer.

91Pour le Médiateur, la mise en œuvre de la réforme constitutionnelle de 2008 prévoyant la création d’un « Défenseur des droits » a été l’occasion de renforcer, notamment au niveau central, ce volet de sa façade institutionnelle, afin de favoriser son positionnement comme organisation constituant l’ossature de la nouvelle institution créée. En effet, la réforme adoptée en 2008 supposait le regroupement de plusieurs autorités administratives indépendantes ; le Médiateur se retrouvait donc dans une situation de concurrence avec les autres autorités regroupées – dont le périmètre était par ailleurs en discussion – pour assurer le leadership de la nouvelle institution. Dans cette optique, l’appellation et la vocation de ce nouveau « Défenseur des droits » faisaient de l’orientation en faveur des droits des usagers une ressource stratégique pour la survie de l’institution, en dépit du changement d’appellation (maintien de services propres, conservation des méthodes de travail, voire nomination du Médiateur en poste [Jean-Paul Delevoye] comme Défenseur des droits). Dans ce contexte, nous avons noté dans les activités du Médiateur, et particulièrement dans son travail de communication et dans ses activités au niveau international, un renforcement de l’inflexion prise depuis le début du mandat de Jean-Paul Delevoye en 2004 en faveur de la défense des droits des usagers. Outre le renforcement des collaborations internationales en matière de défense des droits fondamentaux (liens avec le commissaire aux Droits de l’homme du Conseil de l’Europe, actions dans le cadre de l’Association des ombudsmans et médiateurs de la francophonie, du Réseau des médiateurs européens et de l’Association des ombudsmans de la Méditerranée), cette insistance sur la défense des droits des usagers s’est notamment illustrée dans la valorisation d’activités dédiées à des publics spécifiques dont il s’agissait de défendre les droits, tels que les détenus et les patients : mise en place de permanences des délégués en prison, création d’un pôle « Santé et sécurité des soins ». Elle s’est également traduite par la création en 2010 d’une plate-forme web « Le Médiateur et vous », conçue comme « plate-forme participative sur la défense des droits » (Baudot, Revillard, 2011).

92Cet usage stratégique de la référence aux droits des usagers dans un contexte de réformes institutionnelles a également été observé dans le cas des MDPH. Menacées par l’Acte III de la décentralisation qui avait envisagé un temps de transférer la gestion des politiques du handicap aux seuls départements, les MDPH ont cherché à modifier leurs positionnements dans les mondes locaux de production de droits. En dépit de leurs oppositions sur la qualité de l’accueil, les délais trop longs et la réduction tendancielle des montants des plans d’aide, les directeurs de MDPH et les associations de personnes handicapées ont contesté de concert ce projet. Ils ont reçu le soutien de plusieurs présidents de conseils généraux. Le format juridique de ces institutions assure en effet la préservation des intérêts de chacun des constituants. Parce qu’ils sont des groupements d’intérêts publics, ces structures permettent en effet aux instances politiques (et particulièrement au conseil général) de pouvoir renvoyer d’éventuels dysfonctionnements sur l’agence quasi-autonome que sont les MDPH, tout en contrôlant en réalité son budget, le recrutement de ses agents et la nomination de son directeur. De même, nulle autre structure ne permet d’institutionnaliser la participation des associations représentatives de personnes handicapées au fonctionnement des instances mettant en œuvre les politiques les concernant. Parce qu’elles associent des institutions aux intérêts différents, ces structures sont susceptibles de générer différents types d’alliances en leur sein. Des configurations plus gestionnaires peuvent ainsi apparaître, alliance des acteurs locaux et des acteurs nationaux (comme ce fut le cas pour la production de l’Acte III de la décentralisation). Cette alliance aurait conduit à supprimer la distinction institutionnalisée entre l’évaluateur (la MDPH) et le payeur (le conseil général), soumettant potentiellement les prestations financières versées aux personnes handicapées et accentuant la pression au rétrécissement du « département providence » (Lafore, 2004). À l’inverse, au sein de la même organisation, des alliances entre directeurs de MDPH et associatifs peuvent voir le jour. Dans ce cas, les associations peuvent négocier des « gains procéduraux » (Kitschelt, 1986), préservant plus que renforçant leur rôle dans les mondes nationaux et locaux de production des politiques publiques. Ainsi, le droit à la participation des personnes handicapées, reconnu par la loi du 11 février 2005 et qui désigne essentiellement la présence d’associations représentatives dans les instances décisionnelles, est effectivement mis en œuvre. Cette configuration peut également conduire à opposer droit des associations à la participation et droits des individus au libre choix de leur parcours de vie. Ainsi, dans une MDPH, l’équipe pluridisciplinaire s’est opposée à l’évaluation proposée par une association gestionnaire d’établissement. Celle-ci souhaitait qu’un jeune, accueilli en institut médico-éducatif et présentant des résultats scolaires très satisfaisants, soit orienté, l’âge des 18 ans approchant dans un établissement de service et d’aide par le travail (ESAT). Pour cette structure, le choix d’une telle orientation est à la fois une filière classique et une réponse à une exigence nouvelle : celle de la rentabilité croissante exigée de ces établissements (Baret, 2012). Contrôler les orientations des travailleurs handicapés lui permet de s’attacher ceux qui sont les plus susceptibles de répondre à des telles injonctions. Toutefois, l’équipe pluridisciplinaire estimait dans ce cas que l’adolescent, bientôt adulte, pouvait être orienté vers le milieu ordinaire de travail. Suscitant la protestation des associations, la MDPH avait donc produit une définition autonome de l’éligibilité de l’individu (extrait des notes de terrain, 2014).

93Les relations de pouvoir au sein de ces mondes locaux ne conduisent pas nécessairement à une soumission de la logique des droits à celle des moyens financiers. La politique institutionnelle peut alors s’appuyer sur la défense des droits d’une population pour justifier de son existence et permettre la pérennité de l’institution. En mettant en évidence la réversibilité des dispositifs, cette approche invite donc à relativiser les approches formulées en termes de « ruse de la mise en œuvre » (Dubois, 2010) pour y préférer l’analyse concrète des rapports de force entre institutions au sein des mondes locaux de la mise en œuvre, qui contribue à déterminer les modalités de mise en œuvre des droits par les institutions administratives.

Conclusion

94En nous focalisant sur le niveau méso de mise en œuvre des politiques publiques, nous avons montré l’importance des mondes locaux de la production des droits. L’existence de ces mondes est un phénomène relativement nouveau, lié pour l’essentiel à la décentralisation des politiques sociales. La structuration de ces mondes conduit à l’émergence de nouveaux formats organisationnels, moins différenciés, mais dotés de capacités d’action par la conquête d’une « réputation ». La défense de cette réputation au sein de ces mondes est l’objet d’une politique institutionnelle spécifique qui contraint les organisations à satisfaire à la fois les attentes des gestionnaires des finances comprimées du « département providence » mais aussi les attentes de la population ciblée (notamment par la voix des représentants de ces mandants qui participent, dans le cas des MDPH, au gouvernement de ces nouvelles structures).

95L’équilibre instable caractérisant la situation de ces institutions intervenant dans la production administrative des droits leur permet donc de remplir en pratiques plusieurs objectifs contradictoires. C’est par l’affirmation de l’autonomie qu’elles parviennent finalement à préserver leur existence. Si la mise en œuvre des droits montre de façon attendue les compromis pratiques la rendant possible, si l’observation de la politique institutionnelle révèle finalement combien les objectifs de préservation de l’institution et d’accomplissement de ses missions peuvent se révéler incompatibles, aucune conclusion relative à l’action concrète de ces institutions ne peut donc être tirée a priori de l’analyse des formats institutionnels, des missions confiées dans les textes ou encore de la sociologie des personnels composant ces institutions. Cette conclusion invite donc à faire porter l’analyse sur les modalités pratiques d’ajustement des institutions aux contextes dans lesquels elles se réalisent. Seule l’enquête de terrain peut finalement rendre compte de l’agencement spécifique des contradictions dont ces institutions – comme d’autres – sont le produit. Si ces agencements se laissent percevoir dans le travail des agents de terrain sur les dossiers, nous invitons également à ne plus percevoir ce travail comme une rencontre administrative entre un petit fonctionnaire et un usager, mais comme la confrontation entre une population et des mondes locaux chargés de la gouverner.

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Mots-clés éditeurs : politique des droits, effectivité des droits, médiation administrative, handicap, sociologie des institutions, éligibilité

Mise en ligne 15/01/2015

https://doi.org/10.3917/gap.144.0083

Notes

  • [1]
    Cette institution a été formellement supprimée lors de l’intégration de sa mission et de ses services dans la nouvelle institution du Défenseur des droits, créée en 2011. L’enquête sur laquelle nous nous appuyons ici a été menée en 2010-2011, avant le rattachement au Défenseur des droits.
  • [2]
    Entretien avec le vice-président aux affaires sociales du conseil général du département D, mai 2012.
  • [3]
    Source : synthèse des rapports d’activités 2012 des MDPH, CNSA [http://cnsa.fr/IMG/pdf/cnsa-DT-mdph-web.pdf].
  • [4]
    Rapport d’activité 2010 du Médiateur de la République, p. 4.
  • [5]
    Loi du 11 février 2005, art. 21 ; Code de l’éducation, L351-2, art. 66-III ; Code de l’action sociale et des familles, L241-6 III.
  • [6]
    Rapport annuel du Médiateur, 1976, p 44.
  • [7]
    Les délégués du Médiateur de la République étaient initialement nommés par les préfets parmi les personnels de l’encadrement préfectoral. Au niveau local, la sélection des individus appelés à devenir délégués était assurée par les préfets, jusqu’à l’article 26 de la loi du 12 avril 2000 (art. 6-1) qui indique : « Le Médiateur de la République dispose, sur l’ensemble du territoire, de délégués qu’il désigne » (article 26 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations portant modification de l’article 6 de la loi 73-6 du 3 janvier 1973). L’enquête montre le poids des réseaux préfectoraux, y compris après 2001, dans la désignation des délégués.
  • [8]
    Paul Blanc, Annie Jarraud-Vergnolle, Rapport d’information fait au nom de la commission des Affaires sociales sur le bilan des Maisons départementales des personnes handicapées, Sénat, 24 juin 2009, rapport no 06 ?3591.
  • [9]
    CNSA, MDPH, une adaptation continue. Synthèse des rapports d’activité 2012 des Maisons départementales des personnes handicapées, décembre 2013, p. 154.
  • [10]
    La Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie est à la fois une caisse de financement des mesures relatives à la dépendance vieillesse et handicap et une agence d’expertise, visant à identifier et diffuser les « bonnes pratiques » en matière de gouvernement des politiques de la dépendance.
  • [11]
    [http://www.cnsa.fr/IMG/pdf/Convention_CNFPT_-_CNSA_2013-2.pdf].
  • [12]
    Rapport d’activité 2012 de la MDPH du Calvados, p. 37.
  • [13]
    Rapport annuel du Médiateur de la République, 1998.
  • [14]
    Rapport d’activité 2012 de la MDPH du Nord, p. 10.
  • [15]
    Médiateur de la République, Rapport annuel 2010, p. 5-6.
  • [16]
    Source : Direction générale, Médiateur de la République.
  • [17]
    Rapport d’activité, MPDH Indre, 2006, p. 23.
  • [18]
    Rapport d’activité, MPDH des Côtes-d’Armor, 2007, p. 6.
  • [19]
    Rapport d’activité, MPDH des Pyrénées-Orientales, 2008, p. 65.
  • [20]
    CAA Paris, 11 juillet 2007, no 06PA01579, AJDA 2007. 2151, concl. Folscheid ; D. 2008. Jur. 140, note Célestine.
  • [21]
    Les CDAPH sont composées de 21 membres : 4 représentants du conseil général, 7 représentants associatifs, 1 représentant du Conseil départemental consultatif des personnes handicapées, 1 représentant d’une association de parents d’élèves, 4 représentants de l’État (DIRECCTE, DDCS, Éducation nationale), 2 représentants des organismes d’assurance maladie et de protection sociale, 2 représentants d’organisations syndicales.
  • [22]
    Article D. 351-16-4 du décret no 2012-903 du 23 juillet 2012 relatif à l’aide individuelle et à l’aide mutualisée apportées aux élèves handicapés, portant modification du Code de l’éducation, R III-V-1.
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