Depuis les élections présidentielles de 2012, de nombreux analystes se sont penchés sur l’« enracinement » du vote Front national dans les campagnes françaises. Des causes structurelles ont été rapidement identifiées : le désert médical, les fermetures d’école, les maternités toujours plus éloignées, les services publics raréfiés, le chômage croissant, la crise des marchés agricoles, etc. Par ailleurs, depuis maintenant une cinquantaine d’années, les travaux de sociologie rurale n’ont cessé de constater les effondrements successifs – la « fin des terroirs », la « fin des paysans » – des figures à la fois symboliques et identitaires qui faisaient de l’« espace français » une « campagne » porteuse de sens et de valeur.
Ces explications apportent bien sûr un éclairage. Mais, en complément, il ne faut pas négliger l’analyse compréhensive pour saisir comment, dans les campagnes, la politisation est aussi la conséquence d’expériences vécues qui échappent souvent à l’observateur urbain. Il y a quelques années, travaillant sur le vote Chasse, pêche, nature et traditions (Cpnt) en baie de Somme, j’avais pu constater que le rapport des chasseurs à la politique était médiatisé par le nombre croissant de cormorans et de cygnes posés sur les marais. C’est en me les désignant d’un geste du menton ou de la main qu’ils mobilisaient leur argument le plus convaincant pour juger de l’ineptie de certaines politiques publiques environnementales. Ces insatiables prédateurs protégés compromettaient l’incessant labeur des chasseurs pour mettre en ordre la nature et en tirer quelques fruits…