Hans Kelsen a laissé la pensée de la constitution dans un état de doute, et, serait-on tenté de dire, dans une situation fausse. Certes, à ses yeux, le système juridique se présente comme un système de concrétisation ou de “ réalisation ” progressive du droit, en partant du point le plus haut qu’est la norme constitutionnelle. Dans ce système fortement hiérarchisé, la constitution ne se voit cependant pas reconnaître – comme justification de sa prééminence – un statut conceptuel autonome et distinctif. Elle ne se définit pas par son formalisme propre d’acte juridique, puisqu’elle n’est pas, sous le regard de la théorie pure, un acte, mais une norme. Ce qui, selon Kelsen, la caractérise serait son contenu (la ou les norme(s) positive(s) qui règlent la création de normes juridiques générales). Mais il est clair que cette définition est en même temps faiblement distinctive (dans la plupart des droits existants, la création de normes générales n’est pas une opération réalisée en un seul lieu ni par un seul type de règles) et très étroite, puisqu’elle s’inscrit dans une théorie où la question de la création du droit n’est pas réduite à celle de la création des normes générales, mais distribuée tout au long de la hiérarchie des normes. La constitution de Kelsen se définit aussi par son type de validation : puisque, par hypothèse, aucune autre norme ne peut lui conférer sa validité, elle est cette norme qui retire cette validité de la formulation d’une hypothèse fondatrice sur l’obligatoriété du droit, ou (chez le dernier Kelsen) de l’existence d’une fiction fondamentale…