« Le cœur serré, écrit Milan Kundera, je pense au temps où Panurge ne fera plus rire. » En France, les jurons blasphématoires de Rabelais ou les impertinences cruelles de Voltaire, ce « rire hideux » dont se désolait Musset, ont longtemps été considérés comme le prix à payer pour le triomphe de la liberté. La dérision, la satire, le blasphème faisaient partie d’une culture de l’impertinence propre à notre « patrie littéraire », celle de Figaro et de Gavroche, une pulsion ludique contre les interdits, ceux de Dieu, des puissants ou des cuistres. Les événements sanglants liés aux « caricatures de Mahomet » doivent-ils nous convaincre que cette époque serait désormais révolue et arrivé le temps où Panurge ne fera plus rire ? Il est difficile d’attribuer à tout massacre un sens précis, si ce n’est celui de la folie meurtrière. Mais on aurait pu penser qu’après les tragédies du mois de janvier 2015 une unanimité se serait dégagée – l’« esprit du 11 janvier » ? – en faveur du droit à l’humour et à la caricature. Or, peu après la tuerie de Charlie Hebdo et celles qui ont suivi, des voix de plus en plus nombreuses se sont élevées, et pas seulement chez certains musulmans de banlieue, pour critiquer la démarche du journal satirique. En blessant les « convictions intimes », les « caricatures de Mahomet » auraient porté atteinte à une autre liberté fondamentale, le droit de croire et d’être respecté dans sa croyance. Un sondage ifop a fait savoir, dès le 18 janvier, qu’une large minorité de Français (42 %) considéraient qu’il aurait mieux valu ne pas publier les fameuses « caricatures »…