Depuis une vingtaine d’années, on a assisté à une véritable prolifération d’études schmittiennes, qui s’est accompagnée en France d’une quantité considérable de traductions, et qui a fini par donner une place centrale dans le débat intellectuel à un auteur longtemps considéré comme plus marginal encore que sulfureux, dont le public français ne connaissait guère que La Notion de politique, traduit en 1972 avec la Théorie du partisan. Comme on le sait, cette « réception » tardive s’est accompagnée de discussions très vives, qui tiennent au fait que coexistent aujourd’hui trois types assez distincts de travaux.
Les plus nombreux relèvent directement d’une recherche universitaire classique, et traitent Schmitt comme un auteur important, dont les funestes engagements ne doivent pas faire oublier qu’il appartient aussi à l’histoire de la pensée politique, juridique, philosophique et même politique et que ses thèses ont été discutées par les plus grands esprits, ce qui suffit à suggérer qu’elles sont « intéressantes » et que, peut-être, elles conservent aujourd’hui un certain pouvoir heuristique. D’autres travaux, généralement moins soucieux de précision philologique, font un usage directement politique de l’œuvre de Schmitt, le plus souvent en détournant sa critique de la démocratie libérale pour la mettre au service d’une déconstruction de la politique « démocratique » contemporaine et d’une revitalisation d’un imaginaire radical mis à mal par la chute des régimes communistes européens et par le déclin de l’idée révolutionnaire…