Notes
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[1]
Roberto Saviano, Gomorra. Dans l’empire de la Camorra, Paris, Gallimard, 2007.
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[2]
Selon le Herald Tribune, « organized crime represents the biggest segment of the Italian economy » ; v. l’article de Peter Kiefer, 23 octobre 2007.
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[3]
Je me permets de renvoyer à mon ouvrage, Mafias. Histoire de l’industrie de la peur, Paris, Le Rocher, 2008.
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[4]
Le Figaro, 19 avril 2007.
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[5]
L’Expansion, novembre 2005, p. 40.
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[6]
Les chiffres de la DNA (le parquet antimafia italien) sont bien supérieurs en 2007 puisqu’il cite un montant spectaculaire de 180 milliards d’euros (v. R. H. Oliva et E. Fierro, La Santa. Viaggio nella ’Ndrangheta sconosciuta, Milano, Rizzoli, 2007, p. 26 et s.), trois fois le CA de Fiat ou de l’Enel.
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[7]
Le concept de « bourgeoisie mafieuse » a été pour la première fois systématisé par l’historien Umberto Santino en 1995 ; Umberto Santino, La mafia interpretata. Dilemmi, stereotipi, paradigmi, Rubbettino, Soveria Mannelli, 1995.
-
[8]
On parlait alors de « bourgeoisie capitalistico-mafieuse » (Mario Mineo) mais le terme avait un caractère polémique qui fut, à juste titre, critiqué (v. les critiques in Santino, op. cit., p. 133 et s.).
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[9]
V. Peyrelevade, Le capitalisme total, Paris, Le Seuil, 2005, p. 59.
-
[10]
Sur le clientélisme ancien et moderne, v. M. Caciagli, K. Jun’ichi, « Heurs et malheurs du clientélisme. Étude comparée de l’Italie et du Japon », Revue française de sciences politiques, vol. 51, no 4, août 2001, p. 569-586.
-
[11]
Cass. Pen., Sez. Un., 5 octobre 1994, Demitry, in Foro It., 1995, II, 422.
-
[12]
Pour 7 190 poursuites lancées de 1991 à 2007, en Italie, 2 959 ont débouché sur un non-lieu (archiviazione), 1 992 ont été renvoyées devant une juridiction de jugement, et 542 condamnations ont été prononcées (contre 54 jugements de « non doversi procedere »). Le nombre élevé de non-lieu pose de sérieux problèmes d’appréciation sur l’efficacité de la définition actuelle du « concours externe » (v. Corriere della Sera, 29 novembre 2007).
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[13]
Sur l’affaire Susurluk, v. X. Raufer, Le grand réveil des mafias, Paris, J.-C. Lattès, 2003, p. 117 et s.
-
[14]
Cass. Pen., sentenza n. 21648/2007.
-
[15]
Tribunale di Palermo, Decreto relativo a Ienna Giovanni, juin 1995.
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[16]
Le rapport Saredo est cité dans Isaia Sales, La Camorra, le camorre, Roma, Editori Riuniti, 1993, p. 100-101.
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[17]
Rappelons que, à l’origine de son unification (1870), le nouveau royaume d’Italie possédait un système électoral ultracensitaire, ou plutôt capacitaire, réservant le droit de suffrage à 2 % de la population. Mais une importante réforme électorale de Depretis, en 1882, élargira la base électorale à 7 % de la population, en diminuant le cens de moitié, ce qui, selon les enquêtes récentes, aura un large impact sur la diffusion des idées libérales et l’influence des forces politiques. Après une nouvelle restriction en 1894, la loi électorale adoptera le suffrage universel masculin en 1912 (v. P. L. Ballini, La questione elettorale nella storia dall’Unità al fascismo, Bologne, Il Mulino, 2003).
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[18]
Ne tirant pas les conséquences sociales de son analyse, le rapport Saredo insiste sur le fait (d’ailleurs exact à l’époque) que, du haut en bas de l’échelle sociale, chacun peut avoir besoin de la mafia : « Du riche industriel désireux de s’ouvrir une voie en politique ou dans l’administration au petit commerçant qui demande une réduction d’impôt ; de l’homme d’affaires s’efforçant de décrocher un contrat à l’ouvrier cherchant un emploi dans une usine (...) ils trouvent tous quelqu’un sur leur chemin, et presque tous recourent à son aide » (cité par I. Sales, ibid.).
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[19]
V. notamment Salvatore Lupo, Il Giardino degli aranci. Il mondo dei agrumi nella storia del Mezzogiorno, Venezia, Marsilio, 1990.
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[20]
Sur Giammona, v. S. Lupo, Histoire de la mafia des origines à nos jours, Paris, Flammarion, 1999, p. 63 et s.
-
[21]
A. Blok, The Mafia of a Sicilian Village, 1860-1960, Oxford, 1974 ; H. Hess, Mafia, Bari, 1973.
-
[22]
Sur le rôle du crime aux États-Unis, v. Alain Wallon, « L’apparition de la grande criminalité organisée aux États-Unis (1920-1950) », Revue internationale et stratégique, 1995, p. 99 et s.
-
[23]
Déclaration faite devant la cour d’assises du Tribunal de Palerme, 1987, p. 1211.
-
[24]
P. Arlacchi, La Mafia impreditrice. Dalla Calabria al centro dell’inferno, Milano, Il Saggiatore, 2007, p. 20.
-
[25]
C. Chavagneux, « La montée en puissance des acteurs non étatiques », in Gouvernance mondiale, rapport de synthèse du Conseil d’analyse économique, Paris, La Documentation française, 2000, p. 244 et s.
-
[26]
La Repubblica, 24 août 2001.
-
[27]
Cité par U. Santino, Storia del movimento antimafia. Dalla lotta di classe all’impegno civile, Roma, Editori Riuniti, 2000, p. 276.
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[28]
V. La Repubblica, 1er septembre 2007. L’opération s’est ensuite poursuivie en Calabre (v. Le Monde du 10 octobre 2007, « Le MEDEF italien met sous tutelle sa branche calabraise »).
-
[29]
La Repubblica, 3 septembre 2007.
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[30]
À préciser néanmoins que, si l’entrepreneur mafieux possède, mieux que quiconque, cette « destruction créatrice » que Schumpeter vante chez le bon entrepreneur, il reste un prédateur qui, à l’exemple de certains oligarches russes, pille les richesses nationales pour les investir dans des paradis fiscaux et non, comme l’entrepreneur schumpetérien, pour en faire profiter la collectivité.
-
[31]
La gestion illicite des déchets industriels (notamment toxiques) constitue une source très lucrative pour les mafias. Par l’intermédiaire de consultants spécialisés (stakeholders), souvent diplômés de la Bocconi de Milan (le HEC italien), les grands industriels du Nord négocient avec les mafias calabraises ou napolitaines l’enfouissement illégal des déchets, ce qui constitue dans ces régions des drames écologiques dignes de Tchernobyl.
-
[32]
Le chercheur Enzo Fanto a pu parler de Massomafia pour évoquer ce système d’intégration et de « compénétration » (compenetrazione) entre les acteurs publics et privés en Calabre. « Le mafieux est devenu ainsi, selon lui, une part essentielle du nouveau bloc de pouvoir méridionnal » (v. Massomafia, Rome, Edizioni Koiné, 1997).
-
[33]
Sur son histoire assez méconnue, v. E. Ciconte, ’Ndrangheta. Dall’Unità d’Italia a oggi, Roma-Bari, Laterza, 1992.
-
[34]
Ainsi, parmi les nombreuses entreprises relevant de la « puissance » d’un semi-analphabète comme Bernardo Provenzano, le capo dei capi après l’arrestation de Toto Riina, on comptait le secteur des fournitures médicales où Provenzano avait réussi à se tailler un monopole régional (Rapporto giudiziario di denuncia di Gariffo Carmelo, Légion des carabiniers de Palerme, 10 avril 1984, in CDGI, 2003, Mafia, entreprise et système personnel).
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[35]
Sur cette enquête, v. R. H. Oliva et E. Fierro, La Santa. Viaggio nella ’Ndrangheta sconosciuta, passim.
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[36]
On a pu constater des phénomènes assez semblables dans la région de Caserte (Campanie). Ainsi, en 1982, le maire de San Cipriano, élu sur la liste socialiste, n’était autre que Ernesto Bardellino, membre du clan Bardellino. Le même cherchera à être élu ensuite au Parlement sur la liste socialiste. Il faudra que le président de la République, Sandro Pertini, intervienne pour arrêter cette parodie démocratique.
-
[37]
On sait aujourd’hui, à l’occasion de l’enquête sur la « clinique de l’horreur », qu’il a été éliminé pour avoir voulu combattre l’infiltration mafieuse dans le système de santé (La Repubblica, 30 janvier 2008).
-
[38]
L’Espresso, 3 janvier 2008.
-
[39]
Nombreuses études sur l’infiltration mafieuse dans le nord de l’Italie et le nord de l’Europe (sans compter l’Espagne) ; v. par exemple Fabio Armao, Il sistema mafia. Dall’economia-mondo al dominio locale, Bollati, Turin, 2000 ; S. Becucci, M. Massari, Mafia nostre, mafie loro. Criminalità organizzata italiana e straniera nel Centro-Nord, Turin, Edizioni di Comunità, 2001.
-
[40]
P. Legendre, « Remarques sur la reféodalisation de la France », Études offertes à Georges Dupuis, Paris, LGDJ, 1997, p. 201 et s.
-
[41]
Le Livre noir de l’économie mondiale, Paris, Grasset, 2007 ; v. aussi G. Fabre, Les prospérités du crime. Trafic de stupéfiants, blanchiment et crises financières dans l’après-guerre froide, Paris, Unesco, 2000.
-
[42]
Ces chiffres très élevés prennent aussi en compte les activités « légales » non déclarées ; v. revue Banque, Pratique de la lutte antiblanchiment, Paris, 2005, coll. « Les Essentiels de la Banque » ; v. aussi Problèmes économiques, Paris, La Documentation française, no 2880, 20 juillet 2005.
-
[43]
V. par exemple Francesco Barresi, Mafia ed economia criminale, Roma, EDUP, 2007.
-
[44]
À l’exemple des FARC et des AUC de Colombie, certains groupuscules dits « terroristes » sont devenus aujourd’hui les paravents d’organisations criminelles.
-
[45]
Ce trust ou use (dans l’ancien droit anglais du Wills Act de 1540) est une institution juridique très souple qui permet à une personne de créer, par le trust, une relation de fidéicommis entre lui-même et le fiduciaire (trustee) qui se voit imposer des obligations au profit des bénéficiaires ; ces derniers ont des droits mais point d’obligation (v. Droit anglais, sous la dir. de J. A. Jolowicz, Paris, Dalloz, 1992, p. 279 et s.). Destiné à éviter de payer des impôts sur les revenus ou des droits de mutation, le trust est devenu un moyen propice au blanchiment d’argent.
-
[46]
V. P. Lascoumes, T. Godefroy, Le capitalisme clandestin, Paris, La Découverte, 2004.
-
[47]
Sur la différence entre libéralisme et libérisme, inspirée de B. Croce, je renvoie à mon article, in Y. C. Zarka, Critique des nouvelles servitudes, Paris, PUF, 2007.
-
[48]
V. P. Krugman, « Enron and the system », New York Times, 9 janvier 2004.
-
[49]
À la suite de la condamnation en appel à deux ans de prison ferme d’un consultant en vue de France 2 Sport, le rédacteur en chef de l’émission déclare que ce dernier restera à l’antenne : « On assume (...). Son contrat court jusqu’au 31 décembre 2007. Et si tout se passe bien (sic), il sera même reconduit » (propos in Télé2semaine, 17 octobre 2007). L’auteur de l’article glisse que, depuis l’arrivée de ce consultant, il est à noter « un léger frémissement de l’audience » (sic). Cela ne se passe pas en Italie, sur une chaîne privée de Berlusconi, mais en France et sur le service public...
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[50]
Gomorra. Dans l’empire de la Camorra, Paris, Gallimard, 2007, p. 138-139.
-
[51]
Eckhardt Werthebach, « Organisierte Kriminalität », Zeitschrift für Rechtspolitik, no 2, 1994 ; cité par J. Ziegler, Les seigneurs du crime, Paris, Le Seuil, 1998, p. 278.
1Le succès européen de l’enquête de Roberto Saviano, Gomorra, sur les ramifications internationales de la Camorra napolitaine, a rappelé combien le phénomène mafieux dépasse largement le Mezzogiorno italien [1]. Quelque peu négligée depuis la fin des grandes tueries de Palerme au début des années 1990, la mafia ou toute forme de criminalité organisée n’a cessé de prospérer non seulement en Italie, où elle est devenue en 2007 le « segment le plus important de l’économie italienne » [2], mais encore dans le reste du monde [3]. La croissance silencieuse de ce phénomène depuis la chute du Mur et la mondialisation de l’économie est devenue aujourd’hui un des principaux « défis à la démocratie », comme l’avouait, en ce début d’année 2007, l’ex-Premier ministre japonais, Shinzo Abe, à la suite de l’assassinat du maire de Nagazaki par un membre des Yakuzas, la mafia japonaise [4]. À l’exception de quelques défenseurs de la « mondialisation heureuse », tous les acteurs du secteur, y compris au plus haut niveau étatique, sont conscients de cette nouvelle menace. « En 2010, le monde assistera peut-être à l’émergence d’États criminels », affirmait dès l’an 2000 un rapport confidentiel, présenté au président des États-Unis Bill Clinton [5]. À l’exception de la Transnistrie, État fantoche de la famille Smirnov, niché entre la Moldavie et la Russie, l’Europe, surtout préoccupée depuis 2001 par la menace terroriste, est heureusement encore loin de ces sombres perspectives. Pourtant, un faisceau d’indices permet de se demander si des pratiques qui, jusqu’alors, semblaient se limiter à des pays connaissant une réalité mafieuse, comme l’Italie, ne sont pas en train de se diffuser, notamment dans le cadre de certains secteurs internationalisés, comme le sport, où de gigantesques sommes d’argent sont en jeu. L’argent, la « peopolisation », la puissance doxocratique et/ou la complaisance médiatique font bon ménage et facilitent des tolérances, voire des alliances nouvelles (pactum sceleris) entre le monde politique, sportif, médiatique, financier et le monde du crime, en raison même de la richesse en milliards d’euros de certains de ses acteurs. Rappelons, à titre d’exemple, que l’Institut Eurispes fixe à 36 milliards d’euros le chiffre d’affaires de la mafia calabraise (la plus importante des mafias italiennes) en 2005 [6]. Pour évoquer ces « zones grises » qui se tissent à la marge entre certains milieux dirigeants, les élites traditionnelles et la criminalité organisée, les historiens et criminologues italiens, les plus experts en ce domaine (et pour cause), ont développé l’intrigant concept de « bourgeoisie mafieuse » [7]. La question qui se pose est, premièrement, de comprendre ce qu’évoque cette expression puis, deuxièmement, de savoir si cette notion doit rester limitée à certaines régions du sud de l’Italie, de l’Amérique latine, du Japon et de la Russie, ou si elle n’est pas appelée à se diffuser et devenir, dans le futur, le miroir déformant de certaines élites mondialisées.
LA NOTION JURIDIQUE DE « CONCOURS EXTERNE EN ASSOCIATION MAFIEUSE »
2Le concept de « bourgeoisie mafieuse » a germé dans les années 1970 en Italie chez certains criminologues engagés pour rendre compte de réalités, sinon nouvelles, tout au moins croissantes, où la sphère criminelle était devenue si puissante qu’elle n’était nullement « à part » d’une partie de la classe dirigeante ; elle était au contraire étroitement liée, « intriquée », sans se fondre pour autant avec les élites sociales [8]. Il peut paraître singulier d’utiliser un concept de classe alors qu’une partie de la sociologie contemporaine tend à s’en défaire et que la mondialisation financière a justement pour effet d’effacer les classes sociales [9]. De fait, le concept de « bourgeoisie mafieuse » peut paraître polémique mais il n’est pas sociologique ; il est avant tout politique et s’inscrit dans une contribution plus large à l’analyse de l’évolution des phénomènes de clientèle dans le cadre de la mondialisation [10]. Intéressant en ce qu’il pose une interrogation légitime sur la contagion du phénomène criminel, notamment auprès de catégories échappant au monde du crime traditionnel, il a été jugé par certains trop flou, voire suspect, jusqu’à ce qu’il trouve depuis une dizaine d’années une traduction juridique concrète dans le concept jurisprudentiel de « concours externe en association mafieuse » (concorso esterno in associazione mafiosa) établi pour la première fois par le célèbre juge Giovanni Falcone, à l’occasion du maxi-procès de Palerme à la fin des années 1980, en mélangeant deux articles du Code pénal italien (art. 110 et 416 bis).
3Le concept a été ensuite consacré par les plus hautes juridictions italiennes, notamment dans l’arrêt Demitry du 5 octobre 1994 rendu en séance solennelle par la Cour de cassation [11]. Sans rentrer dans une discussion purement juridique d’un périmètre qui a évolué ensuite à diverses reprises, et qui reste central dans la jurisprudence italienne, il faut ajouter que cette notion entend illustrer l’existence fréquente de « zones d’ombre » où des liens obscurs se tissent entre les membres proprement dits d’une mafia (définie par l’art. 416 bis du Code pénal italien, comme une organisation criminelle, structurée, reposant sur l’omertà, un code « d’honneur », etc.) et des élites sociales, politiques, médiatiques, sportives, etc., qui, bien que n’appartenant pas à proprement parler à une organisation mafieuse ou criminelle, l’assistent dans ses opérations et/ou tirent profit de ses services. En insistant notamment sur la portée de ce pactum sceleris qui unit certains acteurs à la mafia, le concept de « concours externe » révèle l’existence d’une élite trouble, ayant pignon sur rue, connue et appréciée des médias, mais qui, en coulisses, profite de la « main invisible » du crime pour contourner la main invisible du marché. Le « concours externe » n’est pas exempt d’imperfections juridiques mais il a déjà servi à poursuivre plus de 7 190 personnes depuis 1991, selon un rapport inédit de novembre 2007 émanant de la direction nationale antimafia (DNA) italienne [12]. Le concept de « bourgeoisie mafieuse », qui se dégage de cette notion de concours externe, semble traduire une « mutation génétique » inquiétante à deux niveaux.
LA COMPROMISSION PROGRESSIVE AVEC LE CRIME ORGANISÉ
4Ce concept souligne d’abord la capacité de franges particulières des élites à se compromettre avec la mafia – ou, plus généralement, le crime organisé (dans les pays où la mafia n’existe pas) –, pour leur profit (lato sensu), en ayant le sentiment, comme en témoignent les déclarations de nombreux inculpés, de ne « rien faire de mal ». Le mot d’un important dirigeant italien résume ce sentiment d’absence de culpabilité : « L’accusation n’est seulement que de concours externe. Et, comme disait Andreotti, ce n’est pas grave » (sic). Tout est bon pour justifier ces étonnantes fréquentations criminelles. Le 3 novembre 1996, dans le petit bourg de Susurluk, en Anatolie, un banal accident de la route met en évidence les liens étranges de certains dirigeants turcs. À bord d’une Mercedes blindée, qui vient de s’encastrer sous un poids lourd, on découvre les corps de quatre personnes. Côte à côte : le directeur adjoint de la police, fondateur des unités spéciales anti-PKK ; un député turc du parti de droite au pouvoir ; une ancienne miss cinéma de Turquie ; et... un terroriste nationaliste recherché par Interpol pour trafic de stupéfiants et assassinats, ancien membre d’un groupuscule d’extrême droite, Les Loups gris. Dans les poches de ce dernier, on retrouve six cartes d’identité avec six noms différents, une carte de police au nom du commissaire « Mehmet Ozbay » et un permis de port d’armes signé par l’ancien ministre de l’Intérieur du gouvernement de Mme Tançu Ciller. L’ « affaire de Susurluk » provoque un véritable cataclysme politique. « La grande pourriture », titre un quotidien, tandis que d’autres parlent de « gangs d’État ». Cela fait bien depuis trente ans que l’opinion publique a pris l’habitude en Turquie de parler d’ « État profond » (derin devlet) pour évoquer la zone grise État-mafia-services secrets. Or, pour justifier cet étonnant rapprochement, le Premier ministre de l’époque accordera des funérailles officielles au terroriste recherché par Interpol : « Nous respecterons toujours la mémoire de ceux qui ont porté les armes (...) pour notre peuple » (sic) [13].
5Il n’est pas nécessaire d’insister sur l’utilité de ce genre de « pacte scélérat » qui, à des degrés divers, renforce ceux qui les concluent. La Cour de cassation italienne vient encore récemment de condamner en juin 2007 pour « concours externe » un candidat aux élections régionales de Cosenza (Calabre) qui avait conclu un « pacte » avec un chef mafieux par lequel celui-ci promettait de fournir des votes, en contrepartie de quoi le candidat, une fois élu, devait s’engager à lui fournir de nombreuses « faveurs » (favori) [14]. Mais ce genre de pratiques fréquentes ne se limite pas au monde politique. Un directeur de clinique privée peut ainsi avoir intérêt à conclure un « contrat » avec la mafia, qui lui assure une clientèle et lui garantit son chiffre d’affaires, moyennant quelques services (embauche de personnes ou blanchiment d’argent, par exemple). Parfois, ces pactes sont la garantie même du succès industriel. L’exemple du constructeur Giovanni Ienna permet d’illustrer assez précisément ce propos. À l’origine modeste charpentier de Palerme, dans les années 1960, Giovanni Ienna se lance mystérieusement en 1966 dans la construction immobilière. Ses succès le conduisent à devenir l’un des entrepreneurs les plus en vue de Palerme. Lorsqu’il est poursuivi par la justice, dans les années 1990, il se défend d’appartenir à toute association mafieuse. Ses avocats croient avoir une preuve irréfutable de son innocence : il paie le pizzo, le racket imposé par la mafia à tous les entrepreneurs qui ne sont pas membres de Cosa Nostra. Mais le tribunal de Palerme juge que, bien que n’appartenant pas formellement à Cosa Nostra, l’entrepreneur appartient « de fait » à l’organisation : il en a tiré de substantiels avantages, il a entretenu des rapports durables avec elle et il a utilisé les revenus d’activités illicites de manière systématique, notamment afin d’obtenir des crédits que les banques ne lui auraient pas accordés. Ainsi, le tribunal ordonne en 1995 la confiscation de ses biens [15]. C’est pourquoi la notion juridique de « concours externe » permet de mieux cerner ce concept de « bourgeoisie mafieuse ».
6Comment le définir ? On peut parler d’un « bloc » qui tourne autour des groupes criminels et qui permet de mieux saisir pourquoi, quand il s’incruste dans le système, il est si difficile à combattre. Car c’est tout le contexte social qui le couvre. Certes, la « mutation génétique » dont parlent les criminologues italiens n’en est pas vraiment une à ce stade. On retrouve, aux origines mêmes du phénomène mafieux, ces relations secrètes entre les hautes classes et le monde interlope du crime. Au début du XXe siècle, à Naples, le rapport de 2 000 pages rédigé en septembre 1901 par le policier Guiseppe Saredo témoigne déjà de l’existence de ce phénomène singulier, sans qu’on puisse encore lui donner un nom. Le rapport Saredo distingue entre la « Camorra traditionnelle, “de bas étage”, qui règne sur les pauvres par diverses méthodes coercitives », et la « Camorra “de haut vol”, composée des membres les plus rusés et les plus audacieux de la bourgeoisie. Ces gens, poursuit Saredo, (...) ont réussi à se nourrir du commerce et des contrats publics, de même que des manifestations, des clubs et de la presse... Le développement de la Camorra s’est accompagné d’une nouvelle organisation électorale basée sur le népotisme » [16]. Dès 1901, le rapport Saredo, qui entraînera l’ouverture d’enquêtes judiciaires dont une aboutit à la condamnation de l’ancien maire de Naples, Celestino Summonte, à trois de prison pour corruption et abus de pouvoir, fait le lien entre l’évolution du jeu démocratique (qui commence à s’ouvrir [17]), la bourgeoisie dominante et le monde du crime, distinguant ce qu’il appelle une « Haute mafia » et une « Basse mafia ». Mais, ce que ne saisit pas encore le rapport Saredo, ce sont les liens possibles existant entre des personnalités structurellement étrangères à la mafia et le monde du crime organisé [18]. Au fond, ce concept de « bourgeoisie mafieuse » n’est que l’aboutissement d’un long processus de « mutation » historique qui, depuis les origines de la mafia, a vu cette dernière passer du statut de classe « parasitaire » au service de certaines classes dirigeantes (pour mieux les subvertir ; phénomène très bien analysé à Palerme au XIXe siècle auprès des propriétaires de la Conca d’Oro [19]), au statut d’acteur majeur du jeu économique local ou international. Jamais, de ce fait, la mafia n’a eu, comme aujourd’hui, un lien aussi direct avec certains milieux dirigeants dans les domaines les plus divers (politique, économique, mais aussi sportif ou du spectacle, etc.). Rappelons brièvement les étapes de cette croissance criminelle en prenant appui sur l’exemple italien (mais on pourrait en dire autant des triades chinoises ou des yakuzas japonais).
7— À l’origine, dans le processus de transition du féodalisme au capitalisme, processus tardif en Sicile (les droits féodaux n’ont été abolis qu’en 1812) et assez brutal dans l’ensemble du royaume de Naples, les phénomènes proto-mafieux ont toujours bénéficié du soutien de certains acteurs officiels. Par exemple, le célèbre boss de l’Uditorre, Don Antonio Giammona, était un ancien révolutionnaire libéral de 1848 et membre actif de la garde nationale de Palerme, hostile aux Bourbons en 1860, lorsque les troupes de Garibaldi se sont emparées de la ville. C’est son passé politique qui lui permet de tisser des liens utiles avec les futures hautes sphères politiques et administratives siciliennes, afin de se constituer un réseau de protection couvrant ses forfaits locaux dans la Conca d’Oro [20]. Mais personne n’aurait encore songé à placer la figure de Don Giammona parmi celles des notables établis. Surtout, à l’époque, la mafia, comme l’illustrent à merveille les gabellotti, n’exerce qu’une fonction de « médiation ». Elle n’est pas directement actrice mais se contente d’un rôle parasitaire bien mis en valeur par les anthropologues comme Blok ou Hess [21]. La phase d’affirmation du capitalisme nécessite en Italie comme ailleurs de trouver des classes intermédiaires capables de contrôler les forces de travail de la grande ou de la petite industrie rurale. En Italie du Sud, comme d’ailleurs aux États-Unis, c’est la mafia (the Mob) qui joue ce rôle [22]. En Sicile, le contrôle du mouvement des Fasci à la fin du XIXe siècle, la lutte contre le mouvement paysan sont dévolus plus ou moins directement à la mafia. L’impunité dont elle a bénéficié à l’époque libérale, à l’exception de la parenthèse des années du fascisme, explique son essor. Et elle doit sa restauration, lors de la libération de la Sicile en 1943 par les troupes alliées, à la bénédiction de l’AMGOT (le gouvernement provisoire anglo-américain). Un personnage comme Don Calogero Vizzini, surnommé « la grenouille » par les services secrets américains (OSS) de Palerme, est un interlocuteur privilégié des nouvelles classes dirigeantes italiennes qui vont créer la Démocratie chrétienne.
8— L’après-guerre marque une étape nouvelle et encore problématique dans le processus mafieux. Les historiens italiens sont partagés sur l’analyse de cette période (1950-1960) marquée par l’essor de l’État-providence, très attentif à la question du Mezzogiorno. Certes, certains drames comme le fameux sac de Palerme (1960-1970) semblent consacrer le triomphe de la mafia qui pénètre l’appareil d’État. Les liens mafieux du maire de Palerme, le fameux Salvo Lima, correspondant sicilien de la mouvance de Giulio Andreotti au sein de la Démocratie chrétienne, et ceux de son adjoint, Vito Ciancimino, surnommé Don Vito, semblent confirmer les pactes obscurs entre les élites locales (voire nationales) et le monde du crime. En 1987, le repenti Tommaso Buscetta rappelle la réalité souterraine du système : « Autour des familles et des hommes d’honneur, dit l’ancien boss, il y a une masse incroyable de personnes qui, bien que n’étant pas mafieuses, collaborent avec les mafieux, plus ou moins inconsciemment, tout dépend de la contiguïté avec l’organisation mafieuse qui les rend si puissants. » [23] Cependant, les analyses plus récentes semblent nuancer la portée de cette « grande transformation » d’après guerre. Loin de consacrer l’essor des mafias, l’affirmation de l’État-providence semble au contraire avoir marqué le déclin local du pouvoir mafieux, ainsi que son prestige, aussi bien en Calabre qu’en Sicile ou en Campanie. La puissance de l’État (emplois, prestige, sécurité) aurait, selon Pino Arlacchi, « délégitimé » le système mafieux, marginalisé et de plus en plus associé à la vulgaire délinquance [24]. D’ailleurs, après le sanglant attentat de Ciaculli (1963), la commission mafieuse est dissoute et les parrains se dispersent dans le monde entier où ils vont désormais renoncer momentanément à un contrôle du territoire pour se consacrer à des opérations de trafic international (cigarettes, drogues, armes, voitures volées, etc.). C’est là que se situe l’origine de la « mutation mafieuse ». Et la réapparition brutale de la mafia sur la scène italienne au début des années 1970 correspond justement à la crise de l’État-providence.
9— La « mutation » ne va cesser de prendre de l’ampleur avec la globalisation. Désormais, la « mutation » de la mafia parasitaire (médiation) est achevée en une mafia entrepreneuse (mafia impreditrice), présente sur tous les marchés de l’économie illégale (locale ou internationale) et prête désormais à investir aussi l’économie légale (v. les travaux d’Arlacchi). Grâce aux formidables richesses accumulées illégalement au moins depuis une vingtaine d’années (notamment avec le trafic de drogues), le crime organisé est devenu un protagoniste majeur de la mondialisation, au point que certains rapports très officiels sur la gouvernance mondiale sont obligés d’admettre que ces « autorités illicites » jouent désormais un rôle croissant dans le processus de mondialisation, à côté des autorités morales ou des autorités de marché [25]. Il utilise aussi les nouvelles occasions offertes par la financiarisation de l’économie qui facilite le travail des mafias (v. infra). Celles-ci deviennent des acteurs importants du développement économique que les élites traditionnelles ne peuvent ignorer et/ou peuvent décider d’intégrer dans leur jeu. À cet égard, la déclaration si violemment controversée de l’ancien ministre des Infrastructures de Silvio Berlusconi, Pietro Lunardi (Forza Italia), sonne comme un aveu maladroit : « L’Italie doit apprendre à vivre avec la mafia. » [26] Souvent, le constat des élites est moins complice que résigné : ces dernières estiment, avec plus ou moins de bonne foi, qu’il n’y a plus pour elles d’autres solutions...
10On peut s’en convaincre par un raisonnement a contrario en examinant la résistance inefficace de certaines élites isolées. Ainsi, lorsque, en 1991, un des entrepreneurs de Palerme, Libero Grassi, refusa de payer le pizzo, et qu’il accusa l’association patronale de Palerme de ne pas le soutenir, le président de l’Assindustria se défendit énergiquement : « Que devrions-nous faire, selon Libero Grassi ? Que devons-nous dire à nos affiliés : refuser le pizzo ? Devons-nous faire une campagne continue dans ce sens ? Alors nous spolions notre association de son objet institutionnel et nous changeons de métier. Notre action est dirigée vers d’autres objectifs : le premier d’entre eux : la promotion du développement productif. Nous ne pouvons nous faire le porte-drapeau de la lutte contre la mafia. Nous avons d’autres buts, d’autres devoirs. » [27] Gageons que ce genre de propos serait aussi entendu en France si des phénomènes de ce genre venaient à se produire... Isolé, Libero Grassi sera assassiné en août 1991. Le combat lancé en septembre 2007 par l’actuel président de la Confindustria, Luca di Montezemolo, tend à inverser cette tendance, en sanctionnant les entrepreneurs qui paient le pizzo. Il propose de les considérer comme des « collaborateurs » de la mafia et de les exclure de la Confindustria [28]. Sera-t.il suivi ? Cette nouvelle orientation patronale a le mérite non seulement de souligner l’urgence de la réaction, mais surtout de confirmer, a contrario, la réalité du constat (jadis contesté) d’un « bloc social » à hégémonie mafieuse. D’ailleurs, le patron des patrons n’a pas les prudences de langage de ses homologues européens. Pour lui, être un chef d’entreprise honnête en Sicile relève de l’ « héroïsme » [29].
UNE MAFIA RESPECTABLE ?
11Le passage d’un rôle de médiation à un rôle d’accumulation de capital (sur le modèle schumpetérien) est la clé d’explication pour saisir la mutation du crime organisé [30]. Mais le concept de « bourgeoisie mafieuse » traduit à son tour le début d’une mutation plus ample. Le crime organisé, en Italie du Sud, comme au Mexique, en Colombie, en Asie (au Japon, le processus est ancien), parvient, grâce à ses richesses mais aussi à l’évolution du contexte éthico-social, à sortir de son ghetto criminel et à se transformer en bourgeoisie « respectable ». C’est la stratégie de la compenetrazione. Non seulement la mafia recherche et fréquente les « people » et la jet set, les nouveaux héros du jour – elle peut se payer par son argent tous les signes extérieurs de la réussite qui jouent un grand rôle symbolique dans ces régions (habits et voitures de luxe, belle donne, grandes propriétés, etc.) –, mais, comme l’ont montré de récentes enquêtes empiriques, en Calabre ou en Campanie, le mafieux ne se contente plus de troquer son borsallino pour des costumes rayés. La « mutation génétique » de la mafia lui permet une infiltration nouvelle des sphères « notables », notamment parce que la richesse mafieuse est plus discrète et plus « intégrée » au marché légal que jadis (usure, appels publics, écomafia [31]). Il est à noter qu’en ces terres méridionnales la franc-maçonnerie « déviante » (deviata), sur le modèle de la Loge P2 de Licio Gelli, a pu aussi jouer un rôle essentiel dans le rapprochement entre les divers groupes criminels et la bourgeoisie « établie » [32].
12Plutôt que la Sicile, très en vue, prenons l’exemple moins connu de la Calabre, dont on sait aujourd’hui qu’elle est le cœur de la mafia la plus dangereuse d’Europe, la ’Ndrangheta [33]. La première étape de cette infiltration a eu lieu dans les années 1970 grâce à un certain nombre de grands travaux publics (la construction de l’autoroute Salerno-Reggio, le doublement de la voie ferrée Villa San Giovanni - Reggio, la construction du port de Gioia Tauro) qui ont établi pour la première fois un rapport organique, comme en Sicile (et non plus occasionnel comme lors de la construction de la voie de chemin de fer en 1880 Naples-Reggio), entre la mafia, la politique et les grands groupes privés. Dans les années 1990-2000, le trafic de cocaïne mais aussi l’écomafia, l’usure, la participation à l’activité boursière et financière milanaise ont permis à ces familles de tenir le haut du pavé et de créer un « système de clientèle » très puissant. La nouvelle bourgeoisie mafieuse s’étend à tous les systèmes profitables, comme aujourd’hui le secteur de la santé publique ou privée (ce qu’on pouvait déjà noter en Sicile) [34]. En Calabre, la santé est ainsi devenue un business privilégié de la mafia calabraise. Plus de 70 % du budget régional lui est consacré (3 milliards d’euros). Les boss ont conquis certaines ASL régionales (agences sanitaires locales), comme celles de Locri. Le 25 mars 2006, la commission d’enquête du préfet Paola Basilone qui a enquêté sur l’ASL de Locri (1 630 employés, 172 millions d’euros de budget) conclut que la ’Ndrangheta y contrôle tout : aucune dépense, aucun appel d’offres et aucune embauche de personnel qui ne soient visés par les boss de la région [35]. Ces derniers s’arrangent pour passer des conventions externes avec leurs propres cliniques privées. Mais ce n’est pas tout. À l’ASL de Locri, les chefs mafieux (mammasantissima) ont nommé leurs enfants, leurs neveux et leurs parents dont beaucoup ont fait des études de médecine.
13Le secret de cette nouvelle « bourgeoisie mafieuse » réside dans son adaptation : l’aîné reprend la carrière criminelle du père pendant que les autres, lavant le nom, font des MBA aux États-Unis (qu’ils peuvent aisément financer), deviennent avocats, financiers, médecins, directeurs de clinique, etc. Mais ces nouveaux bourgeois n’ont pas pour autant renoncé à l’activité mafieuse. C’est là une mutation inquiétante. Certes, le crime a souvent été à l’origine de l’accumulation primitive des élites. « À l’origine de toute fortune il y a un crime », ironisait un peu rapidement Balzac. Pourtant, la bourgeoisie traditionnelle, après avoir utilisé les moyens à sa disposition pour se hisser dans l’échelle sociale, s’empressait de les faire oublier, de se « laver », en intégrant les codes traditionnels en usage. La « bourgeoisie mafieuse » agit différemment. C’est elle qui impose désormais ses propres codes à la classe qu’elle intègre. La mafia se « légalise » en contaminant le système légal. À l’ASL de Locri, les exemples sont édifiants. On y retrouve, parmi les médecins, la fille du grand chef ’ndranghetiste, don Peppe Morabito, surnommé Tiradrittu ( « Tire droit » ). Ce boss en cavale, arrêté le 18 février 2004, avait fait non seulement nommer sa fille à l’ASL, mais encore sa puissance lui avait permis de lui offrir une promotion record au sein de l’Agence. Elle est mariée à un autre médecin, proche de don Morabito, qu’il accompagnait dans sa cavale (il fut arrêté avec le boss). Un autre gendre de Tiradrittu était aussi médecin à l’ASL de Locri. Son pedigree criminel en dit long : en 1987, il est condamné pour faux ; en 1988, soupçonné de tentative d’homicide ; et, en 1994, pour vol contre l’administration publique... Ils sont 13 médecins de l’ASL de Locri à être soupçonnés d’appartenir à une cosca mafieuse et 23 à être « en odeur de mafia » (mais extérieurs à l’organisation). Fils, neveux, cousins médecins, bien insérés dans le tissu social d’une région où le secteur de la santé crée du pouvoir et de l’influence (clientèle). C’est le mixte idéal pour faire de la politique. On retrouve ce mélange d’archaïsme et de modernité qui préside à l’essor des mafias depuis la naissance du capitalisme et qu’on peut rapprocher de ces « asymétries » caractéristiques. On constate ainsi que, dans des régions comme la Campanie ou la Calabre, la « bourgeoisie mafieuse » a fortement pénétré le système démocratique. En quinze ans, les communes calabraises dissoutes pour association mafieuse sont au nombre de 51 et, en 2007, 34 conseillers régionaux de Calabre sur 50 font l’objet d’enquête à des titres divers. La mafia a parfois eu l’audace de se présenter directement aux élections. À Reggio, dans les années 1980, le clan De Stefano avait présenté l’avocat Giordio De Stefano sur la liste communale de la DC [36]. Il est à noter qu’elle préfère cependant faire élire des prête-noms, des hommes de paille (uomini di paglia), quitte à faire assassiner les élus récalcitrants, comme le 16 octobre 2005, le vice-président du conseil régional de Calabre, Francesco Fortugno, abattu de sang-froid alors qu’il sortait d’un bureau de vote [37]. Depuis, à l’initative des jeunes gens de Locri, un mouvement contre la ’Ndrangheta a été créé avec le slogan : « Ammazzateci tutti » ( « Tuez-nous tous » ) pour souligner l’absurdité de cette vie sous la terreur de la mafia. La « bourgeoisie mafieuse » est si puissante en Calabre qu’en 2005 la Région a décidé de réclamer 3 millions d’euros de dommages et intérêts à 80 membres des plus puissantes familles de la ’Ndrangheta, pour « atteinte à l’image de la Calabre ». « Ils ont rendu déplorable l’image de la région. Aujourd’hui, personne ne veut investir chez nous, même pas les industriels », affirme le président de la région Calabre. Dans ces régions, où s’imprime la terreur mafieuse, le mot de « liberté », celle d’entreprendre notamment, est un mot vain et les promoteurs des politiques libérales feraient bien de s’interroger sur ce défi posé par ce phénomène en plein essor et qui met directement en péril l’idéal de liberté. Mais, à l’inverse du terrorisme, la menace des mafias est diffuse et se soustrait à la « sphère des évidences courantes » (X. Raufer) à laquelle la société du spectacle se limite souvent.
UN CONTEXTE CRIMINOGÈNE
14On peut tenter de croire que cette pénétration mafieuse reste encore limitée à certaines régions isolées, comme la Calabre, la Sicile ou la Campanie. Mais ce n’est pas ce qu’enseigne aujourd’hui la géopolitique. La lèpre mafieuse est très contagieuse. Pour rester en Italie, la mafia commence aujourd’hui, notamment par le biais de la bourse de Milan et des prises de participation dans de nombreuses entreprises, à contaminer le Nord industriel. La petite ville de Buccinasco, près de Milan, vient récemment de défrayer la chronique, parce que des tentatives de contrôle du territoire s’y sont jouées, comme en Sicile ou en Calabre, avec pressions et menaces de mort sur le maire. La Lombardie est aujourd’hui le deuxième territoire de la ’Ndrangheta [38]. Le Nord n’est plus épargné, comme le prouve, sur un mode mineur, la tuerie de Duisbourg en Allemagne. Penser qu’un « système mafieux » aussi puissant, générant plusieurs milliards d’euros par an, reste cantonné au sud de l’Italie relève d’une certaine naïveté. Il remonte dangereusement et s’implante durablement dans le reste de l’Europe, s’exportant en Espagne, traditionnel Eldorado des mafieux italiens (zone de transit de la cocaïne colombienne passant de plus en plus par l’Argentine), mais aussi en Belgique, en Allemagne, en Grande-Bretagne [39]. Il est peu probable que, si rien n’est fait, un pays comme la France puisse continuer à vivre très longtemps dans le syndrome Tchernobyl (le nuage mafieux s’arrêterait aux frontières de notre pays)... Grâce à leurs énormes ressources financières, ces mafias peuvent non seulement altérer durablement le fonctionnement classique de certains marchés, mais encore elles reproduisent, dans un monde ultracapitaliste, des modèles archaïques, prémodernes, des logiques « féodales » qui se révèlent d’autant plus gagnantes qu’elles peuvent profiter des transformations juridiques liées à la mondialisation, avec cette « reféodalisation » du lien social bien analysée par le juriste Pierre Legendre [40]. Mais elles se trouvent aussi favorisées par un contexte financier international qu’on peut qualifier de « criminogène ».
15Prétendre que la mondialisation financière crée un contexte propice aux activités mafieuses n’a rien de polémique. C’est un fait : la mondialisation a libéré non seulement les échanges licites, mais plus encore les échanges illicites. C’est l’ancien directeur exécutif de la Banque mondiale, Moisés Naim, qui affirmait que la mondialisation financière a créé, depuis la chute du Mur, un « contexte criminogène » propice au développement des mafias dans le monde [41]. En 1998, le directeur du FMI, Michel Camdessus, estimait que le flux de l’argent sale était passé de 2 à 5 % de l’économie mondiale. Les chiffres les plus récents de l’OCDE donnent le vertige : en 2005, l’ « économie de l’ombre » représenterait désormais 30 % du PIB des 22 pays en transition vers le marché et 15 % du PIB des 21 pays de l’OCDE [42]. Selon de subtils calculs, la valeur des activités purement illégales dépasserait plus de 1 000 milliards de dollars, soit 8 % des échanges mondiaux. Les montants sont impressionnants, bien qu’en ce domaine tous les chiffres restent approximatifs. Une chose est sûre : il existe aujourd’hui une économie criminelle, clairement identifiée par les spécialistes [43], qui a transformé l’idée de « doux commerce » chère à Montesquieu – et sur laquelle repose, de l’aveu même de l’OMC, l’idéologie de la mondialisation – en un véritable commerce de la mort, ou tout au moins de la peur. On pense que cette criminalisation touche avant tout des régions soustraites à l’autorité de certains États faibles ou « faillis ». Dès 2004, la CIA, dans son rapport annuel au Congrès, affirmait avoir identifié 50 régions de la planète ayant échappé à tout contrôle étatique et étant passées sous la domination de puissances criminelles [44]. Mais cette criminalisation n’est pas réservée aux zones les plus reculées de la planète. Aujourd’hui, c’est l’ensemble du globe qui est touché par ce contexte criminel en raison de l’opacité du système financier international (secret bancaire, paradis fiscaux, comptes off shore, institutions juridiques propices, comme le trust anglo-saxon [45], etc.). Cette opacité propice au blanchiment de l’argent sale (principal souci des mafias) génère un « capitalisme clandestin », très difficile à combattre dans un monde globalisé et marqué par la révolution de l’information (rapidité) [46]. Cette évolution favorise la symbiose entre capital illégal et capital légal, et, par voie de conséquence, renforce ces zones grises où prospère la « bourgeoisie mafieuse ». Aujourd’hui, des pans entiers de l’économie mondiale, parfois des secteurs insoupçonnés, sont infiltrés ou détenus par des capitaux liés plus ou moins directement à des organisations criminelles (mafias italiennes, italo-américaines, triades chinoises, yakuzas japonais, babas turcs, « mafias » russes ou nigérianes, etc.).
16L’inquiétude est aujourd’hui partagée non seulement par les critiques du système (altermondialistes), mais aussi par les acteurs de la mondialisation eux-mêmes qui tentent de se doter d’instruments adéquats pour répondre à ce défi. Depuis 1989, le GAFI (Groupe d’action financière) traque, dans le cadre de l’OCDE, les paradis fiscaux (en dressant une liste noire de ces derniers) et lutte contre le blanchiment de l’argent sale. Les grands pays ont tenté de développer des marchés intérieurs (UE, ALENA) qui sont mieux contrôlés et devraient par conséquent offrir des moyens renforcés de lutte contre cette nouvelle criminalité. Les États-Unis ont adopté la loi Sarbanes-Oxley, et, dans le cadre européen, par exemple, une directive MIF est entrée en vigueur le 2 novembre 2007 pour tenter de responsabiliser les acteurs financiers face à la question du blanchiment (en créant le risque de non-conformité). Pourtant, les réactions des États sont freinées par la logique du système (combien de pays de l’OCDE, à commencer par la Grande-Bretagne, contrôlent des paradis fiscaux ?) et son idéologie « libériste » [47]. Les États se sont laissés enfermer dans la « camisole dorée » des marchés financiers, pour reprendre la fameuse expression de l’éditorialiste Thomas Friedman, qui limite fortement leurs marges de manœuvre budgétaires, ce qui ne peut manquer d’avoir des conséquences dans leur lutte contre la criminalité organisée.
17Il resterait enfin à s’interroger beaucoup plus longuement que ne le permet cet article sur le profit que le modèle mafieux tire d’un certain discours managérial, qui, lorsqu’il devient idéologique, efface peu à peu les frontières entre le légal et l’illégal. L’affaire Enron a illustré les failles éthiques d’un système qui s’accommode facilement des « patrons voyous » [48]. On finit par se demander où la déviation du principe de « destruction créatrice » cher à Schumpeter peut conduire certains managers en perte de repères. La pratique criminelle ne peut dépendre seulement d’un discours. Mais le caractère performatif du langage permet une certaine acceptation ou une tolérance plus ou moins accentuée. Chaque criminologue sait bien que, parmi les traits de la personnalité criminelle, la condition morale (ne plus être retenu par l’opprobre social) est la première des quatre conditions du passage à l’acte. Que se passe-t-il lorsque cet opprobre tend à diminuer, quand les signaux donnés par la société, y compris sur ses chaînes de service public (censées donner l’exemple), semblent exprimer une certaine confusion des genres [49] ? Roberto Saviano évoquait dans Gomorra cette « nouvelle bourgeoisie » qui « a grandi dans la société du spectacle (...) qui s’est libérée de toute entrave, mue par la volonté implacable de dominer chaque secteur du marché » [50]. Pour certains de ces nouveaux acteurs de l’économie mondialisée, il n’existe pas de limites, ni de véritable concurrence. Les Allemands ont forgé un concept nouveau pour évoquer ce capitalisme agressif : Killerkapitalismus (capitalisme de tueurs). Ce qui est grave, dans cette évolution, tient beaucoup moins à l’usage (fort ancien) de la violence économique (il suffit de songer aux robber barons américains, les « barons rapaces » comme Rockefeller) qu’à la tendance croissante à légitimer cet usage.
18Les sociétés modernes souffrent d’une déficience immunitaire croissante liée à leur désintérêt pour les questions éthiques. Dès 1997, le président du contre-espionnage allemand, Eckhardt Werthebach, résumait parfaitement la situation : « Le danger pour l’État de droit ne réside pas dans l’acte criminel comme tel, mais dans la possibilité qu’a le crime organisé – du fait de son énorme puissance financière – d’influencer durablement les processus démocratiques de décision (...). Par sa puissance financière gigantesque, la criminalité organisée gagne secrètement une influence toujours plus importante sur notre vie économique, sociale et politique (...). De cette façon disparaissent graduellement l’indépendance de notre justice, la crédibilité de la politique, la confiance dans les valeurs et le pouvoir protecteur de l’État de droit (...). À la fin, nous aurons un État infiltré, subverti, peut-être même dirigé par la criminalité organisée. La corruption sera alors considérée comme un phénomène inéluctable et généralement accepté. » [51]
19Ces « bourgeoisies mafieuses » constituent l’avant-garde d’un mouvement qui, si rien n’est fait, constituera demain le modèle des nouvelles élites, faites de businessmen en costumes rayés mais aux manières fortes, acceptant de fermer les yeux et de laisser éliminer ceux qui sont sur leur route à coup de pressions, d’extorsions, de monopoles territoriaux, d’appels d’offres truqués ou d’attentats. Elles font déjà un tort tragique aux managers qui essaient de lutter avec des armes légales. Car le danger, en abordant un tel sujet, serait de voir partout la main de cette « bourgeoisie mafieuse » ; comme il serait aussi vain de nier son existence. Il faut hélas admettre, pour paraphraser Clausewitz, que le crime mondialisé apparaît désormais à un nombre croissant d’acteurs comme la continuation du commerce par d’autres moyens...
Notes
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[1]
Roberto Saviano, Gomorra. Dans l’empire de la Camorra, Paris, Gallimard, 2007.
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[2]
Selon le Herald Tribune, « organized crime represents the biggest segment of the Italian economy » ; v. l’article de Peter Kiefer, 23 octobre 2007.
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[3]
Je me permets de renvoyer à mon ouvrage, Mafias. Histoire de l’industrie de la peur, Paris, Le Rocher, 2008.
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[4]
Le Figaro, 19 avril 2007.
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[5]
L’Expansion, novembre 2005, p. 40.
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[6]
Les chiffres de la DNA (le parquet antimafia italien) sont bien supérieurs en 2007 puisqu’il cite un montant spectaculaire de 180 milliards d’euros (v. R. H. Oliva et E. Fierro, La Santa. Viaggio nella ’Ndrangheta sconosciuta, Milano, Rizzoli, 2007, p. 26 et s.), trois fois le CA de Fiat ou de l’Enel.
-
[7]
Le concept de « bourgeoisie mafieuse » a été pour la première fois systématisé par l’historien Umberto Santino en 1995 ; Umberto Santino, La mafia interpretata. Dilemmi, stereotipi, paradigmi, Rubbettino, Soveria Mannelli, 1995.
-
[8]
On parlait alors de « bourgeoisie capitalistico-mafieuse » (Mario Mineo) mais le terme avait un caractère polémique qui fut, à juste titre, critiqué (v. les critiques in Santino, op. cit., p. 133 et s.).
-
[9]
V. Peyrelevade, Le capitalisme total, Paris, Le Seuil, 2005, p. 59.
-
[10]
Sur le clientélisme ancien et moderne, v. M. Caciagli, K. Jun’ichi, « Heurs et malheurs du clientélisme. Étude comparée de l’Italie et du Japon », Revue française de sciences politiques, vol. 51, no 4, août 2001, p. 569-586.
-
[11]
Cass. Pen., Sez. Un., 5 octobre 1994, Demitry, in Foro It., 1995, II, 422.
-
[12]
Pour 7 190 poursuites lancées de 1991 à 2007, en Italie, 2 959 ont débouché sur un non-lieu (archiviazione), 1 992 ont été renvoyées devant une juridiction de jugement, et 542 condamnations ont été prononcées (contre 54 jugements de « non doversi procedere »). Le nombre élevé de non-lieu pose de sérieux problèmes d’appréciation sur l’efficacité de la définition actuelle du « concours externe » (v. Corriere della Sera, 29 novembre 2007).
-
[13]
Sur l’affaire Susurluk, v. X. Raufer, Le grand réveil des mafias, Paris, J.-C. Lattès, 2003, p. 117 et s.
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[14]
Cass. Pen., sentenza n. 21648/2007.
-
[15]
Tribunale di Palermo, Decreto relativo a Ienna Giovanni, juin 1995.
-
[16]
Le rapport Saredo est cité dans Isaia Sales, La Camorra, le camorre, Roma, Editori Riuniti, 1993, p. 100-101.
-
[17]
Rappelons que, à l’origine de son unification (1870), le nouveau royaume d’Italie possédait un système électoral ultracensitaire, ou plutôt capacitaire, réservant le droit de suffrage à 2 % de la population. Mais une importante réforme électorale de Depretis, en 1882, élargira la base électorale à 7 % de la population, en diminuant le cens de moitié, ce qui, selon les enquêtes récentes, aura un large impact sur la diffusion des idées libérales et l’influence des forces politiques. Après une nouvelle restriction en 1894, la loi électorale adoptera le suffrage universel masculin en 1912 (v. P. L. Ballini, La questione elettorale nella storia dall’Unità al fascismo, Bologne, Il Mulino, 2003).
-
[18]
Ne tirant pas les conséquences sociales de son analyse, le rapport Saredo insiste sur le fait (d’ailleurs exact à l’époque) que, du haut en bas de l’échelle sociale, chacun peut avoir besoin de la mafia : « Du riche industriel désireux de s’ouvrir une voie en politique ou dans l’administration au petit commerçant qui demande une réduction d’impôt ; de l’homme d’affaires s’efforçant de décrocher un contrat à l’ouvrier cherchant un emploi dans une usine (...) ils trouvent tous quelqu’un sur leur chemin, et presque tous recourent à son aide » (cité par I. Sales, ibid.).
-
[19]
V. notamment Salvatore Lupo, Il Giardino degli aranci. Il mondo dei agrumi nella storia del Mezzogiorno, Venezia, Marsilio, 1990.
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[20]
Sur Giammona, v. S. Lupo, Histoire de la mafia des origines à nos jours, Paris, Flammarion, 1999, p. 63 et s.
-
[21]
A. Blok, The Mafia of a Sicilian Village, 1860-1960, Oxford, 1974 ; H. Hess, Mafia, Bari, 1973.
-
[22]
Sur le rôle du crime aux États-Unis, v. Alain Wallon, « L’apparition de la grande criminalité organisée aux États-Unis (1920-1950) », Revue internationale et stratégique, 1995, p. 99 et s.
-
[23]
Déclaration faite devant la cour d’assises du Tribunal de Palerme, 1987, p. 1211.
-
[24]
P. Arlacchi, La Mafia impreditrice. Dalla Calabria al centro dell’inferno, Milano, Il Saggiatore, 2007, p. 20.
-
[25]
C. Chavagneux, « La montée en puissance des acteurs non étatiques », in Gouvernance mondiale, rapport de synthèse du Conseil d’analyse économique, Paris, La Documentation française, 2000, p. 244 et s.
-
[26]
La Repubblica, 24 août 2001.
-
[27]
Cité par U. Santino, Storia del movimento antimafia. Dalla lotta di classe all’impegno civile, Roma, Editori Riuniti, 2000, p. 276.
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[28]
V. La Repubblica, 1er septembre 2007. L’opération s’est ensuite poursuivie en Calabre (v. Le Monde du 10 octobre 2007, « Le MEDEF italien met sous tutelle sa branche calabraise »).
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[29]
La Repubblica, 3 septembre 2007.
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[30]
À préciser néanmoins que, si l’entrepreneur mafieux possède, mieux que quiconque, cette « destruction créatrice » que Schumpeter vante chez le bon entrepreneur, il reste un prédateur qui, à l’exemple de certains oligarches russes, pille les richesses nationales pour les investir dans des paradis fiscaux et non, comme l’entrepreneur schumpetérien, pour en faire profiter la collectivité.
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[31]
La gestion illicite des déchets industriels (notamment toxiques) constitue une source très lucrative pour les mafias. Par l’intermédiaire de consultants spécialisés (stakeholders), souvent diplômés de la Bocconi de Milan (le HEC italien), les grands industriels du Nord négocient avec les mafias calabraises ou napolitaines l’enfouissement illégal des déchets, ce qui constitue dans ces régions des drames écologiques dignes de Tchernobyl.
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[32]
Le chercheur Enzo Fanto a pu parler de Massomafia pour évoquer ce système d’intégration et de « compénétration » (compenetrazione) entre les acteurs publics et privés en Calabre. « Le mafieux est devenu ainsi, selon lui, une part essentielle du nouveau bloc de pouvoir méridionnal » (v. Massomafia, Rome, Edizioni Koiné, 1997).
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[33]
Sur son histoire assez méconnue, v. E. Ciconte, ’Ndrangheta. Dall’Unità d’Italia a oggi, Roma-Bari, Laterza, 1992.
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[34]
Ainsi, parmi les nombreuses entreprises relevant de la « puissance » d’un semi-analphabète comme Bernardo Provenzano, le capo dei capi après l’arrestation de Toto Riina, on comptait le secteur des fournitures médicales où Provenzano avait réussi à se tailler un monopole régional (Rapporto giudiziario di denuncia di Gariffo Carmelo, Légion des carabiniers de Palerme, 10 avril 1984, in CDGI, 2003, Mafia, entreprise et système personnel).
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[35]
Sur cette enquête, v. R. H. Oliva et E. Fierro, La Santa. Viaggio nella ’Ndrangheta sconosciuta, passim.
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[36]
On a pu constater des phénomènes assez semblables dans la région de Caserte (Campanie). Ainsi, en 1982, le maire de San Cipriano, élu sur la liste socialiste, n’était autre que Ernesto Bardellino, membre du clan Bardellino. Le même cherchera à être élu ensuite au Parlement sur la liste socialiste. Il faudra que le président de la République, Sandro Pertini, intervienne pour arrêter cette parodie démocratique.
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[37]
On sait aujourd’hui, à l’occasion de l’enquête sur la « clinique de l’horreur », qu’il a été éliminé pour avoir voulu combattre l’infiltration mafieuse dans le système de santé (La Repubblica, 30 janvier 2008).
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[38]
L’Espresso, 3 janvier 2008.
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[39]
Nombreuses études sur l’infiltration mafieuse dans le nord de l’Italie et le nord de l’Europe (sans compter l’Espagne) ; v. par exemple Fabio Armao, Il sistema mafia. Dall’economia-mondo al dominio locale, Bollati, Turin, 2000 ; S. Becucci, M. Massari, Mafia nostre, mafie loro. Criminalità organizzata italiana e straniera nel Centro-Nord, Turin, Edizioni di Comunità, 2001.
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[40]
P. Legendre, « Remarques sur la reféodalisation de la France », Études offertes à Georges Dupuis, Paris, LGDJ, 1997, p. 201 et s.
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[41]
Le Livre noir de l’économie mondiale, Paris, Grasset, 2007 ; v. aussi G. Fabre, Les prospérités du crime. Trafic de stupéfiants, blanchiment et crises financières dans l’après-guerre froide, Paris, Unesco, 2000.
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[42]
Ces chiffres très élevés prennent aussi en compte les activités « légales » non déclarées ; v. revue Banque, Pratique de la lutte antiblanchiment, Paris, 2005, coll. « Les Essentiels de la Banque » ; v. aussi Problèmes économiques, Paris, La Documentation française, no 2880, 20 juillet 2005.
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[43]
V. par exemple Francesco Barresi, Mafia ed economia criminale, Roma, EDUP, 2007.
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[44]
À l’exemple des FARC et des AUC de Colombie, certains groupuscules dits « terroristes » sont devenus aujourd’hui les paravents d’organisations criminelles.
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[45]
Ce trust ou use (dans l’ancien droit anglais du Wills Act de 1540) est une institution juridique très souple qui permet à une personne de créer, par le trust, une relation de fidéicommis entre lui-même et le fiduciaire (trustee) qui se voit imposer des obligations au profit des bénéficiaires ; ces derniers ont des droits mais point d’obligation (v. Droit anglais, sous la dir. de J. A. Jolowicz, Paris, Dalloz, 1992, p. 279 et s.). Destiné à éviter de payer des impôts sur les revenus ou des droits de mutation, le trust est devenu un moyen propice au blanchiment d’argent.
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[46]
V. P. Lascoumes, T. Godefroy, Le capitalisme clandestin, Paris, La Découverte, 2004.
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[47]
Sur la différence entre libéralisme et libérisme, inspirée de B. Croce, je renvoie à mon article, in Y. C. Zarka, Critique des nouvelles servitudes, Paris, PUF, 2007.
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[48]
V. P. Krugman, « Enron and the system », New York Times, 9 janvier 2004.
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[49]
À la suite de la condamnation en appel à deux ans de prison ferme d’un consultant en vue de France 2 Sport, le rédacteur en chef de l’émission déclare que ce dernier restera à l’antenne : « On assume (...). Son contrat court jusqu’au 31 décembre 2007. Et si tout se passe bien (sic), il sera même reconduit » (propos in Télé2semaine, 17 octobre 2007). L’auteur de l’article glisse que, depuis l’arrivée de ce consultant, il est à noter « un léger frémissement de l’audience » (sic). Cela ne se passe pas en Italie, sur une chaîne privée de Berlusconi, mais en France et sur le service public...
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[50]
Gomorra. Dans l’empire de la Camorra, Paris, Gallimard, 2007, p. 138-139.
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[51]
Eckhardt Werthebach, « Organisierte Kriminalität », Zeitschrift für Rechtspolitik, no 2, 1994 ; cité par J. Ziegler, Les seigneurs du crime, Paris, Le Seuil, 1998, p. 278.