Couverture de CDLJ_1903

Article de revue

L'entrée dans l'ère du droit des générations futures

Pages 441 à 454

Notes

  • [1]
    Selon le professeur Rèmond-Gouilloud, « À la recherche du futur. La prise en compte du long terme par le droit de l'environnement », Revue Juridique de l'Environnement, 1-1992, p. 5-17 ; F. Ost, Le temps du droit, O. Jacob, 1999.
  • [2]
    Il en va ainsi de l'interdiction des substitutions fidéicommissaires, voire de la théorisation d'un éventuel principe d'interdiction des pactes perpétuels, V. E. Gaillard, Générations futures et droit privé. Vers un droit des générations futures, LGDJ, 2011, p. 20-68.
  • [3]
    Il a ainsi été nécessaire d'adopter une convention internationale interdisant les polluants à longue distance (les POP). La convention de Stockholm sur les POP a été signée en 2001 et est entrée en vigueur en 2004.
  • [4]
    R. Carson, Printemps silencieux, éd. Wildproject, 2019 (première parution de l'ouvrage Silent Spring en 1962.
  • [5]
    R-J. Dupuy, L'humanite[#769] dans l'imaginaire des Nations, e[#769]d. Julliard, coll. Confe[#769]rences, essais et lec[#807]ons du Colle[#768]ge de France, 1991, p. 71.
  • [6]
    Il s'agit d'un champ pluridisciplinaire prenant appui sur la convergence des nanotechnologies (N), des biotechnologies (B), des technologies de l'information (I) et des sciences cognitives (C).
  • [7]
    Nous co-portons avec Amandine Cayol un projet de recherche pluridisciplinaire précisément en ce sens, A. Cayol et E. Gaillard, Transhumanisme(s) et droit(s), Projet GIP Ministère de la Justice, 2019-2021.
  • [8]
    E. Gaillard, Générations futures et droit privé. Vers un droit des générations futures, LGDJ, 2011.
  • [9]
    H. Jonas, Le principe responsabilite[#769]. Une e[#769]thique pour la civilisation technologique, e[#769]d. Le Cerf, 1995, 3e e[#769]d., re[#769]imp. 2008, 470 p.
  • [10]
    Ibid., p. 90.
  • [11]
    H. Jonas, « De la gnose au Principe responsabilite[#769]. Un entretien avec H. Jonas », Esprit, mai 1991, n° 171, p. 11-12.
  • [12]
    Ces limites concernent le niveau de la crise climatique, de l'acidification des océans, de la déperdition de la couche d'ozone, de l'érosion de la biodiversité, de la perturbation des cycles biochimiques de l'azote et du phosphore, de la pollution chimique, de celle de l'air par les particules, de l'usage de l'eau et, enfin, de la modification des usages des terres (déforestation notamment).V. J. Rocktrëm et alii, « A safe operating space for humanity », Nature 461, p. 472-47, sept. 2009.
  • [13]
    Le professeur Kiss insistait sur la nature copernicienne qu'emporterait la re[#769]alisation par les juristes d'une extension de l'univers juridique aux ge[#769]ne[#769]rations futures : « According to Alexander Kiss, this fundamental change in our conception of international envi- ronmental law can be compared to the Copernician revolution which proclaimed that the centre of the uni- verse was not the earth but the sun : states are less and less the centre of international relations, the focus becoming more and more mankind and its individual representatives, both living now and in the future. We are increasingly recognizing that environmental issues have interests that are common to all humankind. International environmental norms tend to restrict the actions of states for the interests of the community of humankind as a whole », E. Agius, « Obligations of Justice Towards Future Generations : a Revo- lution in Social and Legal Thought », Future Generations & International Law, ed. by E. Agius, S. Busuttil, T-C. Kim, K. Yazaki, London, Earthscan Publications, p. 7.
  • [14]
    M. Delmas-Marty, Résister, Responsabiliser, Anticiper : ou comment humaniser la mondialisation ?, Paris, Seuil, 2013, p. 189.
  • [15]
    E. Gaillard, « La force normative du paradigme juridique », in C Thibierge et alii, La force normative. Naissance d'un concept, LGDJ, Bruylant, p. 171-182.
  • [16]
    Les 25 ans de la Déclaration de La Laguna ont été célébrés à l'Université de la Laguna en présence d'auteurs clefs et d'actuels experts du droit des générations futures, toujours avec la participation de l'UNESCO et un représentant de la Fondation Philippe Cousteau : Tenerife, 4 juill. 2019, Université de La Laguna.
  • [17]
    E. Daly & J. May, Environmental Constitutionalism, Edward Elgar publishing, 2016.
  • [18]
    Un cours intitulé « Sens et non sens des droits de l'homme à l'ère de la mondialisation » est dispensé depuis 5 ans à l'Institut d'Études Politiques de Rennes qui procède à la confrontation des droits fondamentaux au paradigme transgénérationel. A notre sens, l'ensemble des droits fondamentaux peuvent-être repensés à travers le prisme de l'enjeu transgénérationel. Il fera l'objet d'une publication sous forme d'ouvrage, dans le cadre de la Chaire Normandie pour la Paix, en 2020.
  • [19]
    D. Colon, Propagande : la manipulation de masse dans le monde contemporain, éd. Belin, 2019.
  • [20]
    En ce sens, E. Gaillard, « Avoiding the Tragedy of Human Rights », in Human Rights and Sustainability. Moral responsibilities for the future, G. BOS et M. HELMONS (eds.), Routledge Studies in Sustainability, 2016, p. 40-52 ;
  • [21]
    M. Delmas-Marty, Le Pluralisme ordonné. Les Forces imaginantes du droit, Seuil, 2006.
  • [22]
    E. Gaillard, « Pour une approche systémique, complexe et prospective des droits de l'homme », in C. Cournil & C. Fabregoule, Changements environnementaux globaux et Droits de l'Homme, Bruylant, 2012, p. 45- 67.
  • [23]
    Un site internet est dédié à cette Déclaration Universelle des droits de l'Humanité : http://droitshumanite.fr/#
  • [24]
    T. Allen, « The philippine Children's Case: Recognizing Legal Standing for the Future Generations », Georgetown International Law Review, vol. 6, 1994, pp. 713-741.
  • [25]
    Les actes du colloque Agir en justice au nom des générations futures sont actuellement sous presse. Il sera publié en anglais, Taking Legal Actions on Behalf of Future Generations, E. Gaillard et D. Forman (eds.), Peter Lang, fin 2019.
  • [26]
    Depuis 2008, tant le Conseil d'État que le Conseil constitutionnel ont affirmé que l'ensemble des dispositions de la Charte ont valeur constitutionnelle, CE 3 oct. 2008 ; Cons. const., 19 juin 2008, n° 2008-564 DC, AJDA 2008. 1232 ; ibid. 1614, note O. Dord ; D. 2009. 1852, obs. V. Bernaud et L. Gay ; ibid. 2448, obs. F. G. Trébulle ; RFDA 2008. 1233, chron. A. Roblot-Troizier et T. Rambaud ; Constitutions 2010. 56, obs. A. Levade ; ibid. 139, obs. Y. Aguila ; ibid. 307, obs. Y. Aguila, sur la Loi relative aux organismes génétiquement modifiés. Néanmoins, seul le principe de précaution semble réellement relever de cette affirmation, le préambule de la Charte étant, contrairement à la lettre des décisions, considéré comme dénué de valeur constitutionnelle par le Conseil des sages ; V. J. Sohnle (dir.), Le constitutionnalisme environnemental : quels impacts sur les ordres juridiques ?, Nancy, 2017 ; M-A. Cohendet, Droit constitutionnel de l'environnement. Regards croisés, Paris, 6-7 mars 2018 ; V. Chiu et A. Le Quinio, La protection de l'environnement par les juges constitutionnels. Approche de droit comparé, Lyon, 7 juin 2019.
  • [27]
    Affaire du Détroit de Corfou, Arrêt du 15 décembre 1949 : CIJ, Recueil 1949, P. 244.
  • [28]
    V. « La transfiguration de la notion d'intérêt général par le droit de l'environnement », E. Gaillard, thèse préc. p. 206-209 ; Conseil d'État, Rapport public 1999. Jurisprudence et avis de 1998 : L'intérêt général, La Doc. fr., p. 287-288 ; C. Gautier et J. Valluy, « Générations futures et intérêt général. Eléments de réflexion à partir du débat sur le « développement durable » », Politix, sept. 1998, p. 7-36.
  • [29]
    L'ensemble de ces réflexions sont déjà étudiées en fin de thèse, Chapitre 2. « Éléments pour la pratique normative du droit des générations », qui porte sur la défense judiciaire du droit des générations futures, thèse E. Gaillard, préc. p. 497-566.
  • [30]
    M. Prieur et G. Sozzo, La non régression en droit de l'environnement, Bruylant, 2012 ; M. Prieur, « Vers la reconnaissance d'un principe de non régression », RJE, 2012/4, vol. 37, p. 615-616.
  • [31]
    E. Gaillard, « Des crimes contre l'humanité aux crimes contre les générations futures. Vers une transposition du concept éthique de responsabilité transgénérationnelle en droit pénal international ? », Mc Gill International Journal of Sustainable Development Law and Policy, 2012, Vol.7, p. 181-202 ; Un projet de recherche a été mené au sein du World Future Council en 2017 sur ce thème.
  • [32]
    L. Neyret, Des écocrimes aux écocides : le droit pénal au secours de l'environnement, Bruylant, 2015 ; P. Higgins, Eradicating Écocide: laws and governance to prevent the destruction of the planet, Shepheard-Walwyn, 2010.
  • [33]
    En juin 2019, Interpol a lancé un appel planétaire à témoin pour crimes contre la nature à l'encontre de personnes soupçonnées de trafic illégal de trophées de chasse.
  • [34]
    En 2016, la Procureure de la Cour Pénale Internationale a annoncé que « le Bureau s'inte[#769]ressera particulie[#768]rement aux crimes vise[#769]s au Statut de Rome impliquant ou entrai[#770]nant, entre autres, des ravages e[#769]cologiques, l'exploitation illicite de ressources naturelles ou l'expropriation illicite de terrains », Cour pe[#769]nale internationale, Bureau du Procureur, Document de politique ge[#769]ne[#769]rale relative a[#768] la se[#769]lection et a[#768] la hie[#769]rarchisation des affaires, 15 sept. 2016, § 41 ; document disponible en ligne : https://www.icc-cpi.int/itemsDocuments/20160915_OTP-Policy_Case-Selection_Fra.pdf
  • [35]
    Cour lDH, 15 nov. 2017, Avis consultatif 23, portant sur l'environnement et les droits humains (avis sollicité par la République de Colombie), disponible en ligne :
    http://corteidh.or.cr/docs/opiniones/seriea_23_esp.pdf

1Protéger l'avenir de l'avenir, voilà un nouvel alpha et omega lancé à la science juridique depuis l'environnementalisation du droit. Cette problématique, jusqu'alors inconnue du droit, et de manière plus marquée en droit privé, soumet les concepts, notions, principes et logiques juridiques à de multiples tensions, si ce n'est à de profondes transformations. Assurément, le premier cliché de la planète pris depuis l'espace en 1972 par la NASA a considérablement contribué à générer et à accélérer l'avènement spontané, à l'échelle planétaire, d'une véritable conscience environnementale. L'overview effect est cet effet psychologique qui saisit les astronautes et qui consiste à prendre conscience de la finitude et de la vulnérabilité de notre planète par le simple recours à la visualisation. Tout l'enjeu du droit de l'environnement consiste à faire émerger et à consacrer un paradigme juridique de la finitude. Autrement dit, le défi lancé à la science juridique est d'intégrer à la fois de nouvelles limites à l'action humaine (en intégrant la protection juridique de l'environnement), mais également de nouveaux horizons temporels (pour embrasser l'horizon écologique, bien souvent transgénérationnel). Or, jusqu'alors et traditionnellement, les temps du droit étaient courts [1] !

2Selon une vision longtemps considérée comme l'orthodoxie juridique, l'avenir devait rester libre de toutes chaînes juridiques [2]. En effet, l'avenir est généralement synonyme d'aléas, d'incertitudes, et jusqu'alors considéré comme insaisissable par le droit. Surtout, dans une conception traditionnelle du droit, il ne serait pas imaginable de limiter les droits et libertés des temps présents pour les générations futures. Précisément en ce sens, la Déclaration des droits de l'homme de 1793 (jamais entrée en vigueur) exprime de manière éclatante cet évident impératif juridique, inscrit au cœur de l'imaginaire constitutionnel : « Aucune génération n'a le droit de soumettre à ses lois les générations futures » (article 28). C'est là mettre au jour un paradigme juridique jusqu'alors innomé car mû par la force de l'évidence : le droit n'a pour champs légitimes que les actions relatives aux personnes, en interrelations immédiates. C'est un véritable postulat temporel, aux applications plus ou moins marquées selon que l'on se situe en droit international (ouvert par nature à la dimension inter-étatique et au moyen terme), en droit public (ouvert à l'intérêt général qui transcende les intérêts privés et immédiats) ou encore, en droit privé (bâti sur la théorie du sujet de droit, qui exclut, par principe, tout être humain qui n'est pas encore né vivant et viable). Il n'en demeure pas moins que cette vision du monde et des champs légitimes du droit, n'est plus conforme à la réalité.

3À l'issue de la seconde guerre mondiale, l'entrée dans l'ère du nucléaire a plongé l'Humanité dans une nouvelle étape d'évolution de civilisation : pour la première fois, l'Humanité détient la possibilité de s'autodétruire. Si ce constat est historique et explicite, il n'en demeure pas moins que, insidieusement et de manière plus cachée, un nombre incalculable de molécules chimiques ont été diffusées à l'échelle planétaire sur les sols, tout en voyageant à longue distance par les airs [3] et enclenchant dès lors une pollution diffuse, systémique, transnationale et transgénérationnelle de notre biosphère. Nous devons à l'ouvrage de la scientifique américaine Rachel Carson, Silent Spring[4], une véritable alerte sur les méfaits sanitaires et environnementaux du DDT (Dichlorodiphényltrichloroéthane, insecticide) et des pesticides. Une conscience environnementale globale a alors émergée, spontanément, à l'échelle planétaire. Véritable terreau du droit international de l'environnement, elle s'accompagne de l'émergence d'un paradigme écologique qui s'intègre et se diffuse, non sans résistance, dans l'ensemble des sciences : chimie verte, climatologie, économie transgénérationnelle pour n'en citer que quelques-unes.

4À partir des années 1980, le droit international de l'environnement apparaît comme une nouvelle branche du droit à part entière. Jusqu'alors, il progressait par petits pas, de manière sectorisée, voire utilitariste et anthropocentrique. C'est un droit jeune et fécond. De sa jeunesse, il puise une audace conceptuelle qui vise à embrasser les enjeux environnementaux qui se caractérisent par leurs effets transnationaux (qui débordent le paradigme de l'État-Nation) et transpatiaux (qui débordent les paradigmes temporels traditionnels du droit limité à l'instant présent, aux relations de réciprocités entre les États et les hommes, et borné par les prescriptions juridiques). Ce droit international de l'environnement est non seulement la matrice de concepts, principes et logiques juridiques inédites, mais il est également le socle d'une sorte de droit commun de l'environnement à l'échelle planétaire. Il importe de le rappeler, le droit de l'environnement est venu « par le haut », depuis l'échelle internationale.

5C'est ainsi, en raison de la « révélation de la vulnérabilité du genre humain » [5], qu'est apparue une nouvelle figure juridique : celle des générations futures. Le phénomène des pollutions a atteint un niveau tel qu'il n'est plus possible de tenir une position de myopie envers l'avenir. En outre, la révolution biotechnologique, dans un contexte d'accélération des convergences des technologies NBIC [6], augure de profondes transformations dans nos représentations fondamentales des espèces [7]. Il est alors devenu nécessaire de penser les générations futures, notre responsabilité éthique envers elles et de poser un droit des générations futures. Les divers sommets de la Terre qui se tiennent tous les 10 ans depuis 1972, mettent au-devant de la scène internationale, la préoccupation commune des États pour la planète. Au gré des COP, c'est-à-dire, des conférences des États parties à des conventions internationales, au gré des décisions de justice rendues depuis l'échelle internationale à nationale, un droit des générations futures est bien en pleine densification normative [8]. D'un premier pôle exclusivement environnemental, il s'enrichit d'un second pôle fondé sur la bioéthique. Mais il importe, au préalable, de revenir aux fondements philosophiques de cette éthique inédite envers les générations futures.

6Le philosophe Hans Jonas, dans son ouvrage Le principe Responsabilité[9] a formulé de nouveaux impératifs éthiques pour penser l'éthique de l'avenir devenue une nécessité de civilisation. La mise en danger de l'avenir de l'avenir est une question éthique totalement nouvelle. Elle est rendue nécessaire par le constat de la transformation de ce qu'il nomme l'« Agir humain », c'est-à-dire l'envergure de l'action de l'Homme. À la question, « pourquoi formuler un principe de responsabilité à l'égard des générations futures ? », Jonas répond : « nous avons l'obligation de l'existence de l'humanité future [et] l'obligation de son être-tel » [10]. Cela suppose de préserver les conditions d'existence de l'humanité et du vivant, ainsi que la condition authentiquement humaine de l'Homme et des générations futures. Selon Jonas, les défis éthiques sont immenses. Il a, dès lors, œuvré à la formulation d'impératifs éthiques nouveaux, visant à préserver l'avenir. Il importe de rappeler qu'il s'agit d'une éthique qui n'est pas anthropocentrique. Il s'agit d'une éthique de préservation systémique, tant de la nature, que des générations futures. Précisément, Jonas en appelle expressément au relais du droit. Pour lui, « les intérêts fondamentaux de la nature, indissociables des intérêts de l'homme, devraient être soustraits au jeu des décisions à court terme et figurer comme règles inaliénables dans la Constitution » [11].

7En ce début du 21e siècle, les transformations sont telles que l'homme est désormais considéré comme une force géophysique, c'est-à-dire, capable par son action, de modifier les grands équilibres de la planète (les cycles de l'azote, les grands courants océaniques ou encore de l'atmosphère pour n'en citer que quelques-uns). L'intégrité et la sécurité de la planète sont en jeu. En 2009, une équipe de 26 chercheurs du Stockholm Resilience Institute, publie un important article identifiant neuf limites planétaires [12]. Si en 2009, deux limites planétaires étaient déjà clairement dépassées, une nouvelle étude publiée en 2015 conclut que désormais quatre limites planétaires le sont ou sont en voie de l'être. C'est dans ce contexte, d'atteintes globales, systémiques, transnationales et transtemporelles à l'intégrité de la planète que prend vie le concept d'Anthropocène. Il s'agit d'un vocabulaire non pas de philosophie, mais de géologie. Selon certains géologues, divers indices stratigraphiques permettent d'identifier l'entrée dans cette ère géologique nouvelle qu'est l'Antropocène. Les indices concrets sont légions : pollutions plastiques, présence planétaire de radionucléides ou encore de résidus de pesticides… Tous viennent illustrer cette dimension totalement inédite d'emprises d'origine humaine sur l'ensemble de la surface de la planète, emprise inscrite dans une temporalité géologique. Parfois, les échelles temporelles de contaminations sont telles qu'elles dépassent l'entendement humain : il en va ainsi des milliards d'années pour les déchets radioactifs. Les facultés cognitives pour penser cette mise en danger sont, bien souvent, dépassées. Elles sont d'autant plus difficiles à mobiliser que les enjeux transgénérationnels sont éminemment complexes et s'expriment tant à des échelles spatiales très grandes, qu'infiniment petites.

8C'est dans cette situation historique aux atours d'enjeu de civilisation que s'inscrit l'avènement d'un droit des générations futures. Droit de protection de l'environnement et de la condition humaine, il est un droit de nature systémique et complexe. Il enclenche une véritable révolution juridique copernicienne [13] qui touche l'ensemble des systèmes juridiques (français, européens, régionaux et internationaux) et traverse les disciplines juridiques (qu'il s'agisse du droit public, privé ou encore pénal). Il génère des processus de transformations, si ce n'est de transmutations des droits : notamment avec la rencontre avec le droit des droits de l'homme. De l'avis du professeur Delmas-Marty, la progression de la notion de générations futures « marque un tournant dans l'approche anthropologique du droit occidental » [14]. Assurément, le droit de l'avenir en appelle à une nouvelle vision et mise en œuvre du droit, dans l'ensemble de ses ramifications et ce, à toutes échelles de normativités. La diversité des actions en justice susceptibles d'être menées pour la protection des générations futures est telle qu'elle augure de nouvelles influences et jeux d'internormativités entre les ordres juridiques hiérarchisés et non hiérarchisés (tels que les systèmes régionaux des droits de l'homme).

9Compte tenu de l'ampleur des transformations actuellement à l'œuvre, en raison du caractère interdisciplinaire et systémique du droit des générations futures, nous centrerons notre analyse, dans un premier temps, essentiellement au droit de l'environnement, sur les défis théoriques qu'il importe de relever pour penser le(s) droit(s) des générations futures (I). C'est alors que, dans un second temps, nous explorerons les différents leviers juridiques qui permettent, ou permettraient d'autant plus, d'agir en justice au nom des générations futures (II).

I - Penser le(s) droit(s) des générations futures : un changement de paradigme en cascades

10Le paradigme juridique oriente de manière imperceptible la manière de penser, de créer et d'appliquer le droit. Il joue le rôle de matrice conceptuelle pour les juristes en établissant des frontières, des limites, à ce qui leur semble juridiquement souhaitable ou même concevable [15]. Penser le(s) droit(s) des générations futures c'est, assurément, procéder à des changements de paradigmes en cascades.

11En se focalisant sur l'approche des droits fondamentaux, essentiels à l'homme et à l'Humanité, il est possible de plaider pour la reconnaissance de nouveaux droits pour les générations futures (A). Cet angle d'analyse, à lui seul, emporte dans son sillage de nombreux processus de métamorphoses du droit. A notre sens, il est devenu nécessaire de penser ces droits transgénérationnels de manière systémique et complexe afin de composer également avec le pluralisme juridique caractéristique de l'entrée dans l'ère de la mondialisation (B).

A - penser les droits fondamentaux des generations futures

12Imaginé, impulsé par la Fondation Cousteau en 1979, soutenu par Karel Vasak, directeur du département des droits de l'homme à l'UNESCO, une Déclaration des droits de l'homme des générations futures vit le jour en 1994 avec d'éminents soutiens notamment de la Recteure de l'Université de La Laguna, Mme Tejedor Salguero et du directeur général de l'UNESCO, Monsieur Federico Mayo Zaragosa. Elle devait aboutir à l'adoption d'un texte international sous l'égide de l'UNESCO, mais les résistances au paradigme transgénérationnel furent telles, que seule une Déclaration sur les responsabilités des générations présentes envers les générations futures fut adoptée le 12 novembre 1997. Jusqu'alors, penser les droits fondamentaux des générations futures était inconcevable pour la plupart des auteurs et des États. Pourtant une voie pionnière était éminemment ouverte sous l'impulsion du commandant Cousteau et de la société civile [16].

13La pierre angulaire d'un nouveau mode de pensée des droits fondamentaux au bénéfice des générations futures réside dans le droit à la vie. Dans une approche traditionnelle, le droit à la vie s'entend du droit à ne pas être condamné à mort. Mais dans une lecture transgénérationnelle, il s'agit d'un droit systémique : droit fondamental d'accès à l'eau, à la terre, à l'air, aux ressources nécessaires à tout le moins pour assouvir les besoins essentiels de vie de tout être humain. Mais un autre processus de mutation du droit à la vie est enclenché : il ne peut plus s'entendre de manière anthropocentrique, centré sur l'humain actuel ! Il n'a de sens qu'au regard des générations futures, des équilibres de la planète et du règne du vivant. La biodiversité, l'équilibre climatique, sont autant de ressources inscrites en lien d'interdépendances avec l'avenir de l'humanité. Cette jonction conceptuelle entre le concept de droits de l'homme et l'environnement a été réalisée par la Déclaration de Stockholm en 1972, adoptée à l'issue du premier sommet de la Terre. Texte de soft law, son apparente faiblesse normative s'est transformée en irrépressible dynamique de reconnaissance du droit à un environnement sain à travers le monde. Plus des deux tiers des constitutions nationales intègrent des dispositions relatives au droit à un environnement sain, à l'objectif du développement durable (qui intègre les générations futures) ou encore au principe de précaution (principe juridique d'anticipation des catastrophes). Nous sommes entrés dans l'ère du constitutionnalisme environnemental global [17].

14Penser les droits fondamentaux des générations futures, c'est aussi questionner l'ensemble de ces droits de la première à la quatrième génération. En effet, il est tout à fait possible de les revisiter au transgénérationnel [18]. Qu'est-ce que la liberté d'aller et de venir si les générations futures ne peuvent plus vivre sur un territoire en raison de sa contamination par les radionucléides, par des poisons éternels tels que le mercure ou encore si des projets de contrôle massifs, recourant à la biométrie ou d'autres technologies telles que les puces RFID (Radio-Identification) ? La liberté de penser, de conscience existe-t-elle à l'ère de la manipulation des masses, des nudges et autres artifices de manipulations technologiques [19] ? Le droit à la santé a-t-il encore du sens si les générations futures naissent systématiquement avec des centaines de résidus chimiques collés aux gènes ? Le droit à un environnement sain fait-il sens à l'heure des perturbateurs endocriniens ou encore des catastrophes nucléaires ? L'avènement de dommages transgénérationnels marque assurément l'entrée dans une ère juridique nouvelle. La prise en compte de la santé environnementale est devenue une donnée essentielle pour assurer la pérennité de notre civilisation.

15Au final, l'ensemble des droits humains sont menacés si leur déclinaison écologique et transgénérationnelle n'est pas reconnue [20].

16Cette pensée des droits fondamentaux pour les générations futures requiert une recomposition du paysage théorique, d'autant plus complexe à l'ère de la mondialisation et de la régionalisation des droits de l'homme.

B - Integrer le pluralisme juridique a l'ère de la mondialisation des droits fondamentaux

17Il revient au professeur Mireille Delmas-Marty d'avoir ouvert la voie vers la prise en compte des enjeux historiques liés à la mondialisation du droit et à la nécessité d'ordonner le pluralisme juridique [21]. Comment penser des droits fondamentaux transgénérationnels à l'ère de la mondialisation ?

18Droits systémiques et en interdépendance, les droits des générations futures n'ont de sens qu'en cas de mise en danger de l'avenir. Cette emprise sur l'avenir est déterminante pour en appeler à l'application de normes juridiques protectrices des générations futures. Cette mise en danger peut être certaine (mise en danger délibérée, mais inscrite dans un temps plus long) ou placée sous le sceau de l'incertitude (mise en danger possible par application du principe de précaution). Il s'opère un enrichissement de la matrice temporelle du droit : en amont, par un droit d'anticipation des catastrophes et en aval, par un droit de protections effectives de l'avenir contre les mises en danger exercées aujourd'hui.

19Le concept de droit de l'homme a fait l'objet d'une internationalisation particulièrement féconde : au système universel viennent s'ajouter des systèmes régionaux de protections, avec des niveaux de maturités juridiques différentes. L'émergence « par le haut », du droit international de l'environnement, a renforcé le processus de déclinaison à l'international du concept de « droit à un environnement sain ». De ces jonctions, il s'ensuit des changements de paradigmes en cascades et systémiques : les droits fondamentaux deviennent systémiques, complexes et prospectifs [22]. Ces droits fondamentaux s'inscrivent dans le temps long, dans l'évitement de la catastrophe, ce sont des droits à la fois individuels et/ou collectifs, des droits à la fois résolument humains et trans-espèces. Enfin, ce sont des droits inscrits dans le cadre d'États-Nations, mais aussi, au-delà. Ainsi, d'une approche en termes de droits humains nous basculons dans une approche qui se décline également en termes de droits de l'Humanité. Cette dernière permet d'assurer la jonction et l'articulation entre les différents niveaux de pensée et de mise en œuvre des droits des générations futures. Actuellement, il revient à Corinne Lepage d'avoir dirigée une mission pour le Président de la République François Hollande visant à rédiger une Déclaration Universelle des Droits et des Devoirs de l'Humanité. Depuis sa rédaction, elle ne cesse de rallier la société civile autour de ce texte [23]. À l'instar de la Déclaration Universelle des droits de l'homme de 1948, il s'agit d'un texte de soft law. Il n'en témoigne pas moins d'un historique effort de ralliement de l'imaginaire des sociétés contemporaines, qui a nécessaire vocation à insuffler une nouvelle étape d'évolution du droit des droits de l'homme pour l'ouvrir à l'aune de la protection du destin de l'Humanité, en intégrant des devoirs envers la planète, l'ensemble des espèces vivantes et des droits pour les générations futures.

20Si, après ce rapide tour d'horizon des enjeux il apparaît désormais concevable de penser le(s) droit(s) des générations futures, il n'en demeure pas moins essentiel de sonder la question de leur mise œuvre. Loin d'être dénué de repères ni de jalons, il existe une multiplicité des leviers juridiques permettant de les défendre, y compris en justice.

II - Mettre en œuvre le(s) droit(s) des générations futures

21Jusqu'à récemment, en 2015, une seule affaire avait été remportée au nom des générations futures devant une Cour suprême. Ce fût en 1993, par l'avocat philippin Tony Oposa, qui parvint à mettre fin à une intense déforestation des Philippines, en impliquant dans une class action son propre bébé de quelques mois au titre des plaignants [24]. Longtemps restée isolée, cette action en justice au nom des générations futures connaît un réel regain d'intérêt, en particulier dans le cadre des actions en justice climatiques, d'actions visant l'arrêt de déforestations ou encore d'atteintes à certains biens communs tels que les fleuves ou les océans [25]. Seuls deux niveaux (il existe bien d'autres strates possibles) seront étudiés ici : agir en justice au nom des générations futures en droit français d'une part (A), et en droit international d'autre part (B).

A - Agir en justice au nom des générations futures en droit français

22En droit français, il existe des leviers d'actions juridiques et judiciaires tant en droit public, privé que pénal.

23En droit public, la Charte de l'environnement de 2004, consacre divers droits et devoirs de valeurs constitutionnelles. Si l'ensemble de ses dispositions revêt bien une valeur constitutionnelle [26], il est pour le moins étonnant de constater que pour les juges du Conseil constitutionnel, seules quelques dispositions sont réellement effectives. Il importe d'insister sur le fait que les droits des générations futures emportent nécessairement la reconnaissance de devoirs qui, loin d'être uniquement moraux, ont également valeur constitutionnelle. Ces devoirs environnementaux à valeur constitutionnelle doivent faire l'objet d'une consécration comme tels par le Conseil des sages. L'affaire Stockamine, actuellement pendante devant la justice administrative, est un cas d'école ! Une question prioritaire de constitutionnalité mériterait d'être posée afin de mettre en balance l'autorisation d'exploitation de cette ancienne carrière de sels, située en-dessous de la plus grande nappe phréatique d'Europe, afin de recueillir des déchets ultimes non radioactifs (tels que amiante ou mercure et arsenic). En effet, les rapports d'expertises font état d'un risque certain de remontées de ces déchets à la surface (en raison de l'effondrement des carrières déjà actuellement à l'œuvre). Néanmoins, ils postulent que les contaminants de ces déchets ultimes ne tapisseront que les sols de la nappe phréatique, selon une fiction étonnante d'imperméabilité dans l'eau potable ! [27] En vertu du préambule de la Charte de l'environnement, mis en perspective avec le droit de chacun à un environnement sain, aux principes de prévention et de précaution, une telle situation ne saurait juridiquement prospérer ! Elle contrevient clairement au principe de précaution (risque incertain), mais également, au principe de prévention si l'on adopte une vision à long terme (risque certain de contamination de l'eau à horizon centenaires). Ce droit des générations futures permet de réaliser une extension temporelle du droit de la responsabilité (civile, pénale ou administrative) afin d'ajuster l'étendue du droit à la réalité transtemporelle de certains dommages.

24De lege lata, le principe de précaution fournit une assise juridique forte pour défendre les intérêts des générations futures. Il n'est pas nécessaire de les viser directement, elles seront nécessairement les bénéficiaires par ricochet de toute protection contre un risque de dommage environnemental ou sanitaire à portée transtemporelle. Un contrôle de conventionnalité ou encore de constitutionnalité au regard de l'article 5 de la Charte peuvent être imaginés afin d'assurer le respect d'une exigence constitutionnelle de préservation des générations futures contre tout risque de dommage grave et irréversible. La notion, rappelons-le, est visée dans le préambule de la Charte de l'environnement, inscrite dans l'objectif du développement durable. Il éclaire, donne sens et cohérence à l'articulation de nombreux droits environnementaux consacrés dans la Charte. Enfin et surtout, ces droits méritent d'être mis en interdépendance avec d'autres principes et droits dont la valeur constitutionnelle ne fait plus de doute (droit à un environnement sain, principe de prévention).

25En droit administratif, nul doute que les notions fondamentales du droit public méritent à leur tour d'être revisitées. Pour certains, la notion d'intérêt général intègre déjà la notion de générations futures [28]. Cette métamorphose, pourrait s'appuyer sur une réelle considération de l'ensemble de la Charte de l'environnement comme un texte à valeur constitutionnelle, pourrait être historique. À titre de premières esquisses, les pouvoirs de police des préfets viendraient assurer l'intérêt général transgénérationnel (à travers et au-delà des générations actuelles) mais également les pouvoirs de polices généraux des maires. A notre sens, la voie de fait serait promise à de nouveaux développements.

26Par ailleurs, la mobilisation des droits fondamentaux, en droit français, pourraient donner un nouvel élan au droit des générations futures. L'actuelle mobilisation citoyenne visant à détecter et à prouver la présence systématique de certaines substances chimiques (telles que glyphosate) est également un cas d'école ! De par leurs effets épigénétiques, transgénérationnels, ces résidus de l'industrie pétrochimique peuvent tout à fait, pour certains, être rattachés à certains auteurs (quelques multinationales seulement les commercialisent). S'inspirant du droit comparé, une market shared responsability pourrait être appliquée pour certaines molécules (cela pourrait être particulièrement le cas pour l'atrazyne).

27En définitive, la Charte de l'environnement constitue un socle potentiel fondamental pour la progression du droit des générations futures. Par ailleurs, le processus de métamorphoses de notions fondamentales et matricielles du droit public telles que « l'intérêt général », tend à ouvrir les logiques juridiques à l'horizon transgénérationnel. Cet élan peut également trouver à s'exprimer en droit pénal ou en droit privé. En droit pénal, le ministère public pourrait à son tour être le porte-voix des générations futures, en invoquant la protection de l'intérêt général. En droit privé, les associations de défense de l'environnement, peuvent d'ores et déjà agir en protection d'intérêts écologiques et transgénérationnels [29].

28Il n'en demeure pas moins que de telles actions, ont tout à fait vocation à prospérer en droit international.

B - Agir en justice au nom des générations futures en droit international

29En premier lieu, le principe d'utilisation non-dommageable du territoire national s'avère particulièrement prometteur pour permettre l'action en justice au nom des générations futures devant les juridictions internationales telles que la Cour internationale de justice, ou encore le Tribunal international du droit de la mer. En vertu de ce principe : les États ont le devoir de faire en sorte que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommages à l'environnement dans d'autres États (principe 2 déclaration de Rio 1992). A notre sens, la technologie nucléaire s'inscrit d'ores et déjà en violation de ce principe de droit international public consacré par la Cour Internationale de Justice. Les catastrophes nucléaires passées et celles, actuelles et toujours à l'œuvre (telles que Fukushima) viennent le démontrer. En droit international de l'environnement, plusieurs leviers juridiques peuvent également être mobilisés au bénéfice de la protection juridique des générations futures. Certains principes relèvent de l'ordre des logiques juridiques d'anticipation et d'amélioration continue (tels que les principes de prévention et de correction par priorité à la source ou encore le principe de précaution). De nouveaux principes généraux émergent, tels que le principe de non-régression identifié et théorisé par le professeur Michel Prieur, apparaît des plus nécessaires pour protéger l'acquis de droit commun de protection environnementale tel un effet cliquet [30]. En droit pénal international, il s'agirait d'enrichir le droit pénal d'une nouvelle incrimination : celle de crime contre les générations futures [31]. Comme bien souvent, ils s'accompagnent de destruction massive d'éléments essentiels pour la préservation des intérêts essentiels des générations futures, le crime d'écocide paraît particulièrement pertinent. La juriste Polly Higgins a repris l'idée déjà essaimée par Laura Westra en ce sens, et depuis en pleine ascension conceptuelle dans les travaux universitaires [32]. La criminalisation des atteintes à l'environnement et à la biodiversité est un processus actuellement à l'œuvre : au sein des services tels qu'Interpol [33] mais aussi dans les objectifs de politique pénale de la Cour pénale internationale [34].

30En guise de conclusion, il est possible de démontrer la verdeur des potentialités multiples du droit des générations futures au regard de l'actuelle destruction de la forêt amazonienne. Une traduction de J. Bolsonaro devant la Cour Pénale Internationale ne manquera pas d'être imaginée. Mais il y a bien d'autres leviers possibles : les États partageant une frontière avec le Brésil pourraient formuler une demande de mesures conservatoires devant la Cour internationale de justice. Une action en protection des intérêts diffus, forme d'action en justice en protection de l'intérêt général menée par les citoyens pourrait être intentée devant les juridictions brésiliennes. Enfin, une action devant la Cour interaméricaine des droits de l'homme, qui a déjà reconnu que la protection de l'environnement concernait les générations futures, pourrait également être menée [35]. L'actualité et la complexité du droit des générations futures, en appelle à la formation des juristes et des juges au droit des générations futures. La Chaire Normandie pour la paix (2019-2022) a précisément vocation à organiser des académies régionales, mondiales, des séminaires et des projets de recherches pour densifier et faire rayonner ce droit aux atours de protections juridiques de notre civilisation.

Notes

  • [1]
    Selon le professeur Rèmond-Gouilloud, « À la recherche du futur. La prise en compte du long terme par le droit de l'environnement », Revue Juridique de l'Environnement, 1-1992, p. 5-17 ; F. Ost, Le temps du droit, O. Jacob, 1999.
  • [2]
    Il en va ainsi de l'interdiction des substitutions fidéicommissaires, voire de la théorisation d'un éventuel principe d'interdiction des pactes perpétuels, V. E. Gaillard, Générations futures et droit privé. Vers un droit des générations futures, LGDJ, 2011, p. 20-68.
  • [3]
    Il a ainsi été nécessaire d'adopter une convention internationale interdisant les polluants à longue distance (les POP). La convention de Stockholm sur les POP a été signée en 2001 et est entrée en vigueur en 2004.
  • [4]
    R. Carson, Printemps silencieux, éd. Wildproject, 2019 (première parution de l'ouvrage Silent Spring en 1962.
  • [5]
    R-J. Dupuy, L'humanite[#769] dans l'imaginaire des Nations, e[#769]d. Julliard, coll. Confe[#769]rences, essais et lec[#807]ons du Colle[#768]ge de France, 1991, p. 71.
  • [6]
    Il s'agit d'un champ pluridisciplinaire prenant appui sur la convergence des nanotechnologies (N), des biotechnologies (B), des technologies de l'information (I) et des sciences cognitives (C).
  • [7]
    Nous co-portons avec Amandine Cayol un projet de recherche pluridisciplinaire précisément en ce sens, A. Cayol et E. Gaillard, Transhumanisme(s) et droit(s), Projet GIP Ministère de la Justice, 2019-2021.
  • [8]
    E. Gaillard, Générations futures et droit privé. Vers un droit des générations futures, LGDJ, 2011.
  • [9]
    H. Jonas, Le principe responsabilite[#769]. Une e[#769]thique pour la civilisation technologique, e[#769]d. Le Cerf, 1995, 3e e[#769]d., re[#769]imp. 2008, 470 p.
  • [10]
    Ibid., p. 90.
  • [11]
    H. Jonas, « De la gnose au Principe responsabilite[#769]. Un entretien avec H. Jonas », Esprit, mai 1991, n° 171, p. 11-12.
  • [12]
    Ces limites concernent le niveau de la crise climatique, de l'acidification des océans, de la déperdition de la couche d'ozone, de l'érosion de la biodiversité, de la perturbation des cycles biochimiques de l'azote et du phosphore, de la pollution chimique, de celle de l'air par les particules, de l'usage de l'eau et, enfin, de la modification des usages des terres (déforestation notamment).V. J. Rocktrëm et alii, « A safe operating space for humanity », Nature 461, p. 472-47, sept. 2009.
  • [13]
    Le professeur Kiss insistait sur la nature copernicienne qu'emporterait la re[#769]alisation par les juristes d'une extension de l'univers juridique aux ge[#769]ne[#769]rations futures : « According to Alexander Kiss, this fundamental change in our conception of international envi- ronmental law can be compared to the Copernician revolution which proclaimed that the centre of the uni- verse was not the earth but the sun : states are less and less the centre of international relations, the focus becoming more and more mankind and its individual representatives, both living now and in the future. We are increasingly recognizing that environmental issues have interests that are common to all humankind. International environmental norms tend to restrict the actions of states for the interests of the community of humankind as a whole », E. Agius, « Obligations of Justice Towards Future Generations : a Revo- lution in Social and Legal Thought », Future Generations & International Law, ed. by E. Agius, S. Busuttil, T-C. Kim, K. Yazaki, London, Earthscan Publications, p. 7.
  • [14]
    M. Delmas-Marty, Résister, Responsabiliser, Anticiper : ou comment humaniser la mondialisation ?, Paris, Seuil, 2013, p. 189.
  • [15]
    E. Gaillard, « La force normative du paradigme juridique », in C Thibierge et alii, La force normative. Naissance d'un concept, LGDJ, Bruylant, p. 171-182.
  • [16]
    Les 25 ans de la Déclaration de La Laguna ont été célébrés à l'Université de la Laguna en présence d'auteurs clefs et d'actuels experts du droit des générations futures, toujours avec la participation de l'UNESCO et un représentant de la Fondation Philippe Cousteau : Tenerife, 4 juill. 2019, Université de La Laguna.
  • [17]
    E. Daly & J. May, Environmental Constitutionalism, Edward Elgar publishing, 2016.
  • [18]
    Un cours intitulé « Sens et non sens des droits de l'homme à l'ère de la mondialisation » est dispensé depuis 5 ans à l'Institut d'Études Politiques de Rennes qui procède à la confrontation des droits fondamentaux au paradigme transgénérationel. A notre sens, l'ensemble des droits fondamentaux peuvent-être repensés à travers le prisme de l'enjeu transgénérationel. Il fera l'objet d'une publication sous forme d'ouvrage, dans le cadre de la Chaire Normandie pour la Paix, en 2020.
  • [19]
    D. Colon, Propagande : la manipulation de masse dans le monde contemporain, éd. Belin, 2019.
  • [20]
    En ce sens, E. Gaillard, « Avoiding the Tragedy of Human Rights », in Human Rights and Sustainability. Moral responsibilities for the future, G. BOS et M. HELMONS (eds.), Routledge Studies in Sustainability, 2016, p. 40-52 ;
  • [21]
    M. Delmas-Marty, Le Pluralisme ordonné. Les Forces imaginantes du droit, Seuil, 2006.
  • [22]
    E. Gaillard, « Pour une approche systémique, complexe et prospective des droits de l'homme », in C. Cournil & C. Fabregoule, Changements environnementaux globaux et Droits de l'Homme, Bruylant, 2012, p. 45- 67.
  • [23]
    Un site internet est dédié à cette Déclaration Universelle des droits de l'Humanité : http://droitshumanite.fr/#
  • [24]
    T. Allen, « The philippine Children's Case: Recognizing Legal Standing for the Future Generations », Georgetown International Law Review, vol. 6, 1994, pp. 713-741.
  • [25]
    Les actes du colloque Agir en justice au nom des générations futures sont actuellement sous presse. Il sera publié en anglais, Taking Legal Actions on Behalf of Future Generations, E. Gaillard et D. Forman (eds.), Peter Lang, fin 2019.
  • [26]
    Depuis 2008, tant le Conseil d'État que le Conseil constitutionnel ont affirmé que l'ensemble des dispositions de la Charte ont valeur constitutionnelle, CE 3 oct. 2008 ; Cons. const., 19 juin 2008, n° 2008-564 DC, AJDA 2008. 1232 ; ibid. 1614, note O. Dord ; D. 2009. 1852, obs. V. Bernaud et L. Gay ; ibid. 2448, obs. F. G. Trébulle ; RFDA 2008. 1233, chron. A. Roblot-Troizier et T. Rambaud ; Constitutions 2010. 56, obs. A. Levade ; ibid. 139, obs. Y. Aguila ; ibid. 307, obs. Y. Aguila, sur la Loi relative aux organismes génétiquement modifiés. Néanmoins, seul le principe de précaution semble réellement relever de cette affirmation, le préambule de la Charte étant, contrairement à la lettre des décisions, considéré comme dénué de valeur constitutionnelle par le Conseil des sages ; V. J. Sohnle (dir.), Le constitutionnalisme environnemental : quels impacts sur les ordres juridiques ?, Nancy, 2017 ; M-A. Cohendet, Droit constitutionnel de l'environnement. Regards croisés, Paris, 6-7 mars 2018 ; V. Chiu et A. Le Quinio, La protection de l'environnement par les juges constitutionnels. Approche de droit comparé, Lyon, 7 juin 2019.
  • [27]
    Affaire du Détroit de Corfou, Arrêt du 15 décembre 1949 : CIJ, Recueil 1949, P. 244.
  • [28]
    V. « La transfiguration de la notion d'intérêt général par le droit de l'environnement », E. Gaillard, thèse préc. p. 206-209 ; Conseil d'État, Rapport public 1999. Jurisprudence et avis de 1998 : L'intérêt général, La Doc. fr., p. 287-288 ; C. Gautier et J. Valluy, « Générations futures et intérêt général. Eléments de réflexion à partir du débat sur le « développement durable » », Politix, sept. 1998, p. 7-36.
  • [29]
    L'ensemble de ces réflexions sont déjà étudiées en fin de thèse, Chapitre 2. « Éléments pour la pratique normative du droit des générations », qui porte sur la défense judiciaire du droit des générations futures, thèse E. Gaillard, préc. p. 497-566.
  • [30]
    M. Prieur et G. Sozzo, La non régression en droit de l'environnement, Bruylant, 2012 ; M. Prieur, « Vers la reconnaissance d'un principe de non régression », RJE, 2012/4, vol. 37, p. 615-616.
  • [31]
    E. Gaillard, « Des crimes contre l'humanité aux crimes contre les générations futures. Vers une transposition du concept éthique de responsabilité transgénérationnelle en droit pénal international ? », Mc Gill International Journal of Sustainable Development Law and Policy, 2012, Vol.7, p. 181-202 ; Un projet de recherche a été mené au sein du World Future Council en 2017 sur ce thème.
  • [32]
    L. Neyret, Des écocrimes aux écocides : le droit pénal au secours de l'environnement, Bruylant, 2015 ; P. Higgins, Eradicating Écocide: laws and governance to prevent the destruction of the planet, Shepheard-Walwyn, 2010.
  • [33]
    En juin 2019, Interpol a lancé un appel planétaire à témoin pour crimes contre la nature à l'encontre de personnes soupçonnées de trafic illégal de trophées de chasse.
  • [34]
    En 2016, la Procureure de la Cour Pénale Internationale a annoncé que « le Bureau s'inte[#769]ressera particulie[#768]rement aux crimes vise[#769]s au Statut de Rome impliquant ou entrai[#770]nant, entre autres, des ravages e[#769]cologiques, l'exploitation illicite de ressources naturelles ou l'expropriation illicite de terrains », Cour pe[#769]nale internationale, Bureau du Procureur, Document de politique ge[#769]ne[#769]rale relative a[#768] la se[#769]lection et a[#768] la hie[#769]rarchisation des affaires, 15 sept. 2016, § 41 ; document disponible en ligne : https://www.icc-cpi.int/itemsDocuments/20160915_OTP-Policy_Case-Selection_Fra.pdf
  • [35]
    Cour lDH, 15 nov. 2017, Avis consultatif 23, portant sur l'environnement et les droits humains (avis sollicité par la République de Colombie), disponible en ligne :
    http://corteidh.or.cr/docs/opiniones/seriea_23_esp.pdf
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