Notes
-
[1]
Staline, Le communisme en Russie. Textes choisis et présentés par Jean-François Kahn, Paris, Denoël, coll. « Médiations », 1968, p. 122.
-
[2]
Propos recueillis par Lorenzo Codelli, Positif, janvier 1974, no 155, p. 29.
-
[3]
Leonardo Sciascia, Le contexte / Il contesto, trad. Jacques de Pressac, Gallimard, Folio bilingue, Pari, 1996.
-
[4]
Gian Piero Brunetta, Gli intellettuali italiani e il cinema, Bruno Mondadori, coll. « Le scene del tempo », Milano, 2004, p. 112. Toutes les sources étrangères non publiées en France sont données dans ma traduction.
-
[5]
Franca Faldini & Goffredo Fofi, Il cinema italiano d'oggi, Feltrinelli, Milano, 1984, p. 198.
-
[6]
Les anciens activistes étaient protégés contre l'extradition par la « doctrine Mitterrand », selon laquelle les réfugiés sur notre sol qui avaient renoncé à leurs engagements politiques ne seraient pas extradés. Cesare Battisti, après une décision française d'extradition, avait fui au Brésil où il a bénéficié d'un double refus d'extradition du président Lula et de la Cour suprême brésilienne.
-
[7]
Serafino Murri, « La nouvelle vague qu'on n'a pas eue », in Sergio Toffetti (dir.), Un altra Italia. Pour une histoire du cinéma italien, Scuola Nazionale di Cinema / Cineteca Nazionale - Mazzota, Milan, Paris, 1998, p. 94.
-
[8]
Gian Maria Volonté, qui l'incarne, a repris le rôle de Moro dans le film de Giuseppe Ferrara, Il caso Moro, 1986.
-
[9]
Jeune Cinéma, no 96, 1976, p. 22.
-
[10]
Leonardo Sciascia, in Tempo, 29 février 1976, cité in Positif, no 155, p. 32.
-
[11]
Sciascia, Le contexte, op. cit., p. 145-147.
-
[12]
Propos recueillis par Jean A. Gili, Écran 76, mai 1976, no 47, p. 27.
-
[13]
Antonio Gramsci, Écrits politiques, II, 1921-1922, éd. Robert Paris, NRF, Gallimard, coll. « Bibliothèque de philosophie », Paris, 19/5, p. 119.
-
[14]
Ce qui pousse les frères Taviani à lier la mort de Togliatti au suicide de Pierrot le fou, le photographe allant voir le film de Godard au lieu de couvrir les obsèques de l'ancien leader du PCI, et ce malgré l'anachronisme introduit.
-
[15]
Michel Ciment, Le dossier Rosi, Ramsay, coll. « Poche Cinéma », no 39, Paris, 1987, p. 57.
-
[16]
Dans l'émission Le Point, 28 septembre 1964, Télévision Suisse Romande, http://archives.tsr.ch/player/coupcceur-sartre.
-
[17]
Barthélémy Amengual, « Entre histoire et histoires. Le cinéma politique de Francesco Rosi », Francesco Rosi, Lettres Modernes Minard, coll. « Études cinématographiques », vol. 66, Paris-Caen, 2001, p. 50-51.
-
[18]
« Cinema is not for an elite but for the masses », an interview with Elio Petri, propos recueillis par Joan Mellen, Cinéaste, 1973, 6, I, p. 12.
-
[19]
Corriere della Sera, 29 février 1976, repris in Positif, janvier 1974, no 155, p. 37.
-
[20]
Dans Cadaveri eccelienti, un enregistrement au palais de justice dit clairement : « je venais dans la capitale tous les mois et remettais les chèques recueillis à l'Association pétrolière au secrétariat du parti démocrate-chrétien qui se chargeait d'allouer les quotas à tous les autres partis, sauf au Parti communiste ». L'Association pétrolière renvoie à l'Ente Nazionale Idrocarburi (ENI), qui a participé au financement de plusieurs partis politiques. L'EN est la compagnie dirigée par Enrico Mattei jusqu'à sa disparition en 1962, dans le crash de son avion, dont les circonstances sont discutées. C'est l'objet d'il caso Mattei, de Rosi. Eugenio Cefis, membre de la loge P2, devenu dirigeant de l'ENI en 1967, est soupçonné par certains d'être impliqué dans la mort de Mattei. Le roman posthume de Pier Paolo Pasolini, Pétrole, revient sur ces événements ; Mattei y est visé sous le nom d'Enrico Bonocore et Eugenio Cefis est rebaptisé Aldo Troya (littéralement : « truie »
-
[21]
Antonio Gramsci, Écrits politiques, I, 1914-1920, éd. Robert Paris, NRF, Gallimard, coll. « Bibliothèque de philosophie », 1974, p. 393.
-
[22]
Entretien avec Michel Ciment, « Projection privée », France Culture, 19 juin 2004, édité en supplément de Marco Bellochio, Buongiorno, notte, Paradis Distribution, EDV 1187, TF1 Vidéo, 2004.
-
[23]
Francesco Rosi « "Ma" façon de faire du cinéma. Regard sur mon films » Francesco Rosi, Lettres Modernes Minard, op. cit. p 14-15.
-
[24]
Propos recueillis par Jean A. Gili, op. cit., p. 29.
-
[25]
Jean A. Gili Francesco Rosi Cinéma et pouvoir éd. du Cerf, Paris, 1977, p 117-118.
-
[26]
Propos recueillis par Jean A. Gili, op. cit., p. 26.
-
[27]
Hobbes, Léviathan, XIII, 126.
-
[28]
Ibid., XX, 207.
-
[29]
Voir l'extraordinaire moment où la caméra quitte le village et filme les paysages tandis que résonne la voix du Duce à la radio, répandant urbi et orbi l'idéologie fasciste.
-
[30]
Lino Micciché, Cinema italiano : gli anni' 60 e oltre, Marsilio Editori, 7° éd., Venezia, 2002, p. 351.
-
[31]
Jean A. Gili, « "L'orgueil d'être napolitain". Naples dans l'œuvre de Francesco Rosi », Francesco Rosi, Lettres Modernes Minard, op. cit. p. 77-78.
-
[32]
Francesco Rosi. Cinéma et pouvoir, op. cit., p. 142.
-
[33]
Friedrich Engels, L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'État, Éd. Sociales, 1952, p. 136.
-
[34]
Jean A. Gili, « Avant-propos », Francesco Rosi, Lettres Modernes Minard, op. cit., p. 4.
-
[35]
Barthélémy Amengual, « D'un réalisme "épique" », Positif, janvier 1976, no 181, p. 44.
-
[36]
Propos recueillis par Gideon Bachman, Cinéma 65, juin 1965, no 97, p. 76.
-
[37]
Fonde on 1919 on dissidence du PSI, dirigé entre autres par Gramsci et Togliatti, l'Ordine nuovo réunit des militants qui ont pris la direction du PSI en 1920 avant d'adhérer au PCI en janvier 1921.
-
[38]
Léon Trotsky, Le mouvement communiste en France, éd. Pierre Broué, Minuit, Paris, 1967, p. 3318 - http://www.marxists.org/francais/trotsky/œuvres/1929/O8/lt19290805.htm.
-
[39]
Propos recueillis par Gideon Bachman, op. cit., p. 81.
-
[40]
Ibid., p. 84.
-
[41]
Francesco Rosi. Cinéma et pouvoir, op. cit., p. 130-131.
-
[42]
Salvatore Bizzaro, « Dancing with corpses : murder, politics and power in Illustrious Corpses », in Carlo Testa (éd.), Poet of civic courage. The films of Francesco Rosi, Cinema voices series, Flicks Books, Trowbridge (Wiltohire), England, 1996, p. 109.
-
[43]
Antonio Gramsci, in Maria-Antonietta Macciocchi, Pour Gramsci, Seuil, coll. « Points », no 68, Paris, 1974, p. 39-40.
-
[44]
Pour Gramsci, op. cit., p. 40.
-
[45]
Emmanuel Barot, Camera politica. Dialectique du réalisme dans le cinéma politique et militant, Vrin, coll. « Philosophie et cinéma », Paris, 2009, p. 84 (souligné par l'auteur).
-
[46]
« Entretien avec Francesco Rosi », in Aldo Tassone, Le cinéma italien parle, Edilig, « Cinégraphiques », Paris, 1982, p. 222.
-
[47]
Propos recueillis par Jean A. Gili, op. cit., p. 28.
-
[48]
Freddy Buache, Le Cinéma italien - 1945-1979, L'Âge d'Homme, coll. « Histoire et théorie du cinéma », Lausanne, 1979, p. 366.
-
[49]
Pier Paolo Pasolini, « Le roman des massacres », Écrits corsaires, trad. Philippe Guilhon, Flammarion, Paris, 1976, p. 131.
-
[50]
Francesco Coco, procureur général de Gênes, assassiné par les Brigades rouges le 8 juin 1976 ; Paolo Borsellino, mort dans l'explosion d'une voiture piégée, Via D'Amelio, à Palerme, le 19 juillet 1982 ; Giovanni Falcone, assassiné entre l'aéroport de Punta Raisi, à Palerme, sous les balles de la Cosa Nostra, le 23 mai 1992. Io ho Paura, dans lequel sont éliminés des juges soucieux de justice (Gian Maria Volonté y tient le rôle d'un brigadier, Graziano, affecté à la protection d'un magistrat), inverse le scénario de Cadaveri eccellenti.
-
[51]
Fondue avec la Liga Veneta dans la Lega Nord.
-
[52]
Fred Vargas (dir.), La vérité sur Cesare Battisti, Viviane Harny, Paris, 2004.
-
[53]
Antonio Tabucchi, « Cesare Battisti, un coupable », trad. Bernard Comment, Le Monde, 16 janvier 2011. Un autre argument, exposé par Tabucchi, consiste à jeter l'anathème sur certains vices du système judiciaire français - existence d'une juridiction d'exception en matière de terrorisme, conditions de la garde à vue, traitement en détention des anciens membres d'Action directe - qui autoriseraient mal à donner des leçons de rigueur judiciaire s'agissant des procédures engagées en Italie à l'encontre de l'ancien activiste. Gilda Piersanti reprend exactement les mêmes arguments in Cara Fred (Lettre ouverte à Fred Vargas sur l'affaire Battisti) : http://www.lemague.net/dyn/spip.php?article S671.
-
[54]
Guillaume Perrault, Génération Battisti. Ils ne voulaient pas savoir, Paris, Pion, 2005.
-
[55]
« Cesare Battisti, un coupable », op. cit.
-
[56]
Philippe Lacoue-Labarthe, Pasolini, une improvisation (d'une sainteté), Bordeaux, William Blake & Co., coll. « La Pharmacie de Platon », Bordeaux, 2004, p. 15.
-
[57]
« Cesare Battisti, un coupable », op. cit.
-
[58]
Antonio Tabucchi, « Dolores Ibarruri verse des larmes arrières », in Le jeu de l'envers, trad. Lise Chapuis, Christian Bourgois, Paris, 1988, p. 104. Puisque j'ai cité Gilda Piersanti pour les mêmes prises de positions que Tabucchi, je retiens l'invitation au déchiffrement de la vérité, dans son œuvre, à partir du devenir de ses deux personnages ayant appartenu aux Brigades rouges, Roberta qui se suicide et son amie Teda qui n'a fait « aucun travail de deuil, aucune tentative d'analyse, aucun examen de ses responsabilités » : Gilda Piersanti, Rouge abattoir, Le Passage, 2003, p. 301-305.
-
[59]
Entretien avec Michel Ciment, 19 juin 2004, édité en supplément de Marco Bellochio, op. cit.
-
[60]
Entretien avec Michel Ciment, édité en supplément de Trois frères, in Francesco Rosi, Gaumont DVD 315 869, 2008.
-
[61]
Wu Ming 1, « Les lois spéciales », in Fred Vargas, op. cit., p.71.
-
[62]
Loi Reale du 22 mai 1975 selon laquelle la police peut perquisitionner et arrêter une personne sans mandat du juge d'instruction, sur seul soupçon, et permettant les interrogatoires hors la présence d'avocat ; Décret-loi Cossiga du 15 décembre 1979 allongeant la détention préventive pour les délits de terrorisme et autorisant les écoutes téléphoniques.
-
[63]
Franck Lafaille, « L'État de droit en Italie durant les années de plomb et sa perception par la tradition juridique française », in Marc Lazar et Marie-Anne Matard-Bonucci, L'Italie des années de plomb. Le terrorisme entre histoire et mémoire, Autrement, coll. « Mémoires/Histoires », no 152, Paris, 2010, p. 316.
-
[64]
Francesco Rosi, « "Ma" façon de faire du cinéma. Regard sur mes films », Francesco Rosi, Lettres Modernes Minard, op. cit., p. 9.
-
[65]
Lorenzo Codelli, « Le moment de la vérité », Positif 181, p. 26.
-
[66]
Francesco Bolzoni, I film di Francesco Rosi, Gremese Editore, Roma, 1986, p. 112.
-
[67]
Antonto Gramsci Cahiers de prison, éd. Robert Paris, Cahier 11, trad. Gérard Granel, Gallimard, coll. « Bibliothèque de Philosophie », 1978, § 15, p. 203. Gramsci poursuit : « Et comment la prévision pourrait-elle être un acte de connaissance ? On connaît ce qui a été ou ce qui est, non ce qui sera, qui est un "non-étant" et donc inconnaissable par définition » (ibid.).
« La révolution ne sait ni plaindre ni enterrer ses morts ».
1La récente célébration de Francesco Rosi par la Cinémathèque française (29 juin -31 juillet 2011) donne l'occasion de reparler d'un cinéaste majeur. Je partirai de Cadaveri eccellenti (Cadavres exquis, 1976), film « di denuncia » représentatif d'une œuvre qui a interrogé largement l'histoire italienne au travers de la corruption, la mafia, le terrorisme, etc., faisant synthèse du travail de Rosi en même temps qu'il dresse un terrible constat : comme l'indiquait le réalisateur, « le film peut être considéré comme un splendide monument funèbre à une certaine Italie, à une certaine culture qui désormais est pourrie, qui est à l'agonie [2] ».
2Résumons le propos de Cadaveri eccellenti. Suite à l'assassinat du procureur Varga (Charles Vanel), l'inspecteur Rogas (Lino Ventura) mène l'enquête. Un deuxième magistrat, Sanza, est tué sur une route, puis un troisième, le juge Calamo, alors qu'il se rend à la National Bank. Rogas croit d'abord à la culpabilité de Cres, pharmacien emprisonné pendant sept ans pour avoir tenté de tuer son épouse, condamné sur la foi du témoignage de cette dernière et au vu de l'empoisonnement d'un chat qui résonne comme preuve de préméditation. L'inspecteur a, en effet, remarqué que les victimes étaient toutes impliquées dans la condamnation de Cres, et il suppose une vengeance contre le système judiciaire. Le chef de la police n'y croit pas, pensant à l'action d'un déséquilibré. Sur la base de ses déductions, Rogas anticipe le meurtre du juge Rasto (Alain Cuny), puis décide d'avertir le président Riches (Max Von Sydow), lequel est tué à son tour. Progressivement, Rogas, qui a d'abord rejeté la théorie du complot politique, se laisse convaincre par cette perspective. Ainsi que le dit son ami Cusan (Luigi Pistilli), journaliste communiste, « un meurtre nécessite un inspecteur ; quatre meurtres deviennent une question politique ». Il est suivi et traqué de manière inquiétante. Il s'aperçoit également des collusions quand les représentants du gouvernement, des partis, des forces armées, de la police, etc., sont réunis au cours d'une soirée, ou lorsque les voitures quittant une propriété sont celles de ministres, des secrétaires de la marine, de l'armée de terre et de l'armée de l'air, du commandant en chef des forces armées et du chef de la police, suivies par une Mercedes aperçue au moment du deuxième meurtre. Rogas écrit alors au chargé, de la sécurité et en parle à Cusan, qui le convainc de rencontrer Amar, leader communiste. Au moment du rendez-vous, dans un musée, Rogas et Amar sont abattus par un tireur. En épilogue, après avoir entendu la version officielle selon laquelle Rogas, qui aurait cru à un complot, aurait abattu Amar et se serait suicidé, Cusan discute avec un membre du PCI, disant qu'il ne croit pas que Rogas se soit tué et qu'il y avait bien un complot. Son interlocuteur le dissuade de répandre cette version, quitte à ce que les gens ne sachent pas la vérité, et lui affirme que « la vérité n'est pas toujours révolutionnaire », mots sur lesquels se clôt le film.
3Cadaveri eccellenti est l'adaptation d'un roman de Leonardo Sciascia, Il contesta (Le contexte, 1971) [3] Outre l'accointance des origines méridionales entre Rosi, le Napolitain, et Sciascia, le Sicilien, l'œuvre littéraire et l'œuvre cinématographique pouvaient se croiser. On sait que Sciascia s'intéressait au cinéma, de longue date : « Pour de jeunes apprentis écrivains qui vivaient dans des endroits perdus, [...] le cinéma - et surtout le cinéma américain - est le point de contact privilégié, sinon unique, avec la forme et le développement de la civilisation industrielle, et le substitut de tout ce qui manque normalement à l'habitat et à la vie quotidienne du spectateur moyen [4] ». En sens inverse, selon Rosi, « Sciascia est un narrateur idéal pour un réalisateur, parce qu'il décrit peu les lieux et les gens, mais ses livres ont une ossature morale et narrative de laquelle on peut partir [5] ». Il y a aussi une connivence politique entre Rosi et Sciascia. Homme de gauche, comme le réalisateur, le romancier a lui-même pris comme sujet la Mafia (Le Jour de la chouette, 1961), l'enlisement d'une société bourgeoise et religieuse (A chacun son dû, 1966), la critique des notabilités (Todo Modo, 1974), etc. Il fit aussi partie de la commission d'enquête sur l'assassinat d'Aldo Moro (L'affaire Moro, 1978).
4L'ancrage de Cadaveri eccellenti dans la réalité italienne des années soixante-dix - le Sud bien reconnaissable, les uniformes italiens, la situation politique du pays, le positionnement du PCI, la stratégie de la tension... - en fait une pièce à ajouter au dossier sur les « années de plomb », souvent évoquées en France du fait de la présence d'anciens activistes jusqu'aux derniers développements de « l'affaire Cesare Battisti » [6].
I. - Le deuil des utopies
5Si le cinéma de Rosi est un « lavage du linge néo-réaliste dans le fleuve de l'idéologie [7] », Cadaveri eccellenti décrit l'« intranquillité » d'un monde brusquement privé, d'idéaux et de vertus démocratiques.
L'adieu à la révolution
6« Mon parti qui gouverne mal depuis trente ans sera bien obligé de mal gouverner avec le Parti communiste ». Cette annonce du ministre de l'Intérieur à Rogas renvoie à la situation de l'Italie à la veille du compromis historique entre la Démocratie chrétienne, au pouvoir depuis la Seconde Guerre mondiale, et le Parti communiste italien. De même, dans Todo Modo (Eue Petri), autre adaptation d'un roman de Sciascia, un leader démocrate chrétien dans lequel on reconnaît Aldo Moro [8] invite à repenser aux trente ans passes à la tête du pays où nous avons réalisé une conciliation tourmentée, solie angoissée ». On sait qu'Enrico Berlinguer a commencé à penser à ce qui deviendrait le compromis après le coup d'État qui a porté le général Pinochet au pouvoir et mis fin au régime chilien d'Allende, Il s'agissait d'empêcher, par avance, une réaction contre l'arrivée au pouvoir des communistes, et peut-être de considérer que la gauche seule ne pouvait assurer une position de pouvoir. Avec l'appui des iincoveniants sociaux et fort des succès électoraux du PCI, Berlinguer a voulu associer progiessivement son parti à la décision politique, d'abord par quelque soutien au gouvernement démocrate chrétien de (giulio Andreotti, puis par un engagement sur un programme législatif. Berlinguer et Moro auruent prép ire une association des communistes au gouvernement au moment de l'enlèvement dc celui-ci par lesBrigades rouges (16 mars 1978), qui l'exécutèrent (le corps a été retrouvé le 9 mai 1978.
7Cette mutation réformiste du PCI a engendré des réactions allant du deuil des utopies à l'engagement armé de groupuscules d'extrême gauche, en réiction à ce qu'ils considéraient comme une trahison. Comme le dit Rosi, « mon filin est un chant funèbre en l'honneur de la mort [...] d'une certaine conception, d'un certain modèle révolutionnaire auquel nous avions cru, et dont tenant nous savons qu'il n'est plus valable, en tous cas en Europe [9] ». Pour Sciascia, de même, Il contesto « est un requiem pour la révolution [10] « Plus directement politique dans le roman, le personnage de Rogas avouait J'ai un faible pour les défaites, les perdants, les vaincus. Je peux xous dire aussi que je me découvre ces temps-ci un certain amour pour la révolution : Justement parce que, désonnais, elle est vaincue [11] ». Le sujet est sensible, et le réalisateur insiste dans les entretieni qui m'accompagnent la sortie du film « Les partis communistes occidentaux [...] ont choisi la route de la démocratie et de la responsabilité par rapport à la provocation réactionnaire.[...] Cela va de l'adieu à la révolution comme on la comprenait autrefois jusqu'aux doutes, aux incertitudes, mimais au désir de voir se realiser le plus vite possible ces réformes indispensables en vue de la qualité de vie pour laquelle nous sommes tous en train de lutter [12] ». On pouvait évidemment s'interroger sur le bien-fondé de cette stratégie, mais il aurait fallu relire Gramsci : « Il n'y a pas d'illusion à se faire quant à une possibilité de conquérir par petites étapes la justice et la liberté [13] »...
8Dans cette perspective, la scène finale de Cadaveri eccellenti, qui se déroule devant le tableau de Renato Guttuso, I funerali di Togliatti (Les funérailles de Togliatti), invite à la reddition de comptes alors que s'est engagé un processus menant à une crise des idéologies. L'œuvre de Guttuso, peinte en 1972, rappelle les images documentaires des obsèques de l'ancien président du PCI (foule, drapeaux rouges, jeunes aux balcons, bras tendus et poings fermés...), enchâssées par ailleurs dans UcceUacci e uccellini, de Pier Paolo Pasolini (1966). Souvenons-nous aussi du triple examen de conscience des protagonistes d'I Sovversivi, des frères Taviani. Ces deux films disaient déjà la désorientation d'une génération et l'incapacité de la gauche italienne à surmonter une crise idéologique, morale et existentielle [14], poursuivie dans Cadaveri eccellenti par « l'inquiétude métaphysique » que pointe bien Michel Ciment [15]. La disparition de Togliatti, que ceux qui le célébraient auraient sans doute défini, comme Sartre, par son « humanité » [16], consignait la fin d'une époque et la mort du père. « Addio Togliatti, giovinezza nostra addio », écrit un personnage dans I Sovversivi.
9Certes, « l'œuvre entier de Rosi combat la politique de la démocratie chrétienne d'un point de vue communiste, puis d'un communisme entré en crise [17] ». Mais, au final de Cadaveri eccellenti, douze ans après les obsèques de Togliatti, la présence du tableau de Guttuso est une déclaration selon laquelle Rosi croit sans doute, encore, au PCI ; comme le disait Elio Petri, « en dépit de tout, le Parti communiste italien demeure notre meilleure garantie de liberté. Sans le Parti communiste, nous vivrions ici comme en Espagne sous Franco [18] ». De ce point de vue, Il contesta fournissait à Rosi un matériau privilégié, Sciascia voyant son livre comme « un avertissement à préserver la force, l'autorité morale, la capacité potentielle d'une intervention nette et décisive sur les tissus corrompus de la société, que les Italiens - pas tous mais ils sont toujours plus nombreux - reconnaissent au PC, et le monde au communisme [19] ». Quand l'avancée de la caméra vers le tableau de Guttuso est assortie du bruit de la contestation qui enfle, la bande-son rappelle l'existence des courants contestataires de l'Italie et animent l'œuvre pour affirmer qu'un potentiel révolutionnaire est toujours présent.
10Ce n'est pas seulement, comme le rappelle Rosi, que le PCI a su s'abstenir de toute corruption, à la différence des autres partis [20]. C'est une vision du Parti qui mixe deux éléments. Le premier est une croyance foncière en une capacité du communisme à la régénération, comme on la trouve chez Gramsci, notamment à l'issue de son parallèle entre révolution chrétienne et révolution communiste : « Le Parti communiste est l'instrument et la forme historique du processus de libération intérieure par lequel l'ouvrier d'exécutant devient preneur d'initiative, de masse devient chef et guide, de bras devient cerveau et volonté [21] ». Le second élément, conjoncturel, est la lutte contre le fascisme, fondatrice de la « voie italienne » (Togliatti) du PCI, qui fait de ce dernier un représentant de la Nation. Soit donc une transcendance et une légitimité qui s'allient pour forger la singulière position du PCI, d'où vient cet aspect religieux de l'engagement marxiste dont pouvait témoigner Marco Bellochio [22].
L'abdication des vertus démocratiques et civiques
11Cadaveri eccellenti dévoile progressivement l'existence d'un complot d'État. Le film focalise sur la « société politique » : gouvernement, armée, police, justice s'agrègent dans une logique de coercition. Rogas soupçonne peu à peu que la droite peut fomenter un coup d'État alors que la gauche est accusée de préparer une révolution.
12Il faut se souvenir que Cadaveri eccellenti suit des événements activant les craintes de coup d'État d'extrême droite en Italie : dévoilement, en juin 1974, du bianco monarchiste, organisé par Edgardo Sogno ; révélation, le 15 septembre de la même année, qu'un coup d'État manqué avait été fomenté par Junio Valerio Borghese en 1970 ; arrestation, le 31 octobre suivant, de Vito Miceli, ancien chef des services secrets, dans l'affaire de la Eosa dei vend, organisation fasciste constituée par de hauts cadres des services secrets et de l'armée en vue de préparer un coup d'État. Le coup d'État d'extrême droite avait d'ailleurs constitué le propos, trois ans avant Cadaveri eccellenti, de Vogliamo i colonelli (Mario Monicelli), farce grinçante dans laquelle le député Giuseppe « Beppe » Tritoni (Ugo Tognazzi) organisait la prise du pouvoir et investissait le Quirinal, postulant « la fin du régime parlementaire et la suppression des partis antinationaux », film dans lequel le ministre de l'Intérieur dit expressément que des projets de coups d'État sont « toujours en préparation ». Le lien est direct avec Cadaveri eccellenti quand le leader du Gruppo Zêta veut mettre à bas le multipartisme...
13Cadaveri eccellenti dénonce surtout la fascisation rampante au sein du pouvoir et même des partis libéraux. Or, il est avéré que des personnalités démocrates chrétiennes et de l'extrême droite, des responsables de l'armée et des services secrets ainsi que des chefs mafieux travaillaient ensemble et de longue date, notamment au sein de la Loge P2. Le film se veut « l'avertissement sur les dangers et la dégénérescence du pacte social, sur le cynisme des pouvoirs qui se mettent d'accord au-delà des différences idéologiques, les "gens" contraints à jouer contre leur gré le rôle de spectateurs, les écoutes téléphoniques comme méthode de contrôle incontrôlée, le pouvoir de vie et de mort, des services secrets, l'espionnage industriel et tous les autres types d'espionnage, le penchant pour les coups d'État, les intrigues, l'indifférence du gouvernement à la vie et aux intérêts des citoyens, toujours présent au contraire et prévenant dans le grand deuil collectif des "cadavres exquis" [23] ». Ici encore, Rosi rebondit sur le propos d'il contesto, évoquant le « sentiment d'alarme qu'il y avait dans le livre de Sciascia, devant une rencontre des différents pouvoirs, qui finirait par tenir toujours plus éloigné, l'homme des institutions qui devraient le représenter [24] ».
14Ce qui est particulièrement terrifiant, c'est la nature du complot : logiquement, le comploteur s'oppose à celui qui détient l'autorité ; ici, les détenteurs du pouvoir complotent pour l'exercer d'une manière plus radicale encore, pour s'affranchir de tout contrôle démocratique. Est en cause « l'attitude brutalement réactionnaire de la droite dans son mode de détenir l'autorité et de l'impuissance de la gauche lorsque certaines situations historiques ou certains choix politiques enchaînent sa volonté révolutionnaire [25] ». Le point de mire est évidemment la place du PCI : « Le rapport de force entre le plus grand parti d'opposition - le parti communiste - et les forces de gouvernement s'est modifié au cours de ces dernières années [...]. Il est vrai que mon ambition, comme celle de Sciascia, a été de faire un film sur le pouvoir dans le monde.[...] Je montrais qu'en définitive le pouvoir réactionnaire, pour se libérer d'une force aussi puissamment montante que celle du parti communiste, ne trouve rien d'autre que l'assassinat, que la provocation la plus violente, la plus bestiale, la plus antidémocratique [26] ».
15Au coeur de cette dénonciation, résonne le discours de Riches. Dans cette scène, Rogas vient avertir celui-ci des risques qu'il encourt du fait de l'erreur judiciaire probable dont Cres est en train de se venger en assassinant les magistrats ayant siégé lors de son procès. Le président de la Cour suprême affirme alors que « l'erreur judiciaire n'existe pas » et se lance dans une comparaison avec la transsubstantiation :
16« Chaque fois - je dis bien chaque fois - que le prêtre mange ce pain et boit ce vin le mystère s'accomplit. Jamais le mystère ne manque de s'accomplir. Le prêtre peut en être indigne par ses actes ou ses pensées mais le seul fait qu'il ait été ordonné prêtre permet qu'à chaque célébration de la messe le mystère se réalise. Lorsque le juge célèbre la loi, c'est exactement pareil. Le juge peut douter, s'interroger, être en proie au tourment ; au moment de rendre la sentence, c'est fini : la justice s'est accomplie. »
17Suit une violente diatribe contre le Traité sur la tolérance, de Voltaire, accusé d'être le premier à avoir mis en doute la justice, et qui finit par s'en prendre à « Russell, à Sartre, Marcuse et à tous les délires des jeunes d'aujourd'hui ». Vient aussi un éloge de la decimation comme seule forme de justice appropriée puisque nous sommes en temps de guerre... Pour impressionnant qu'il soit dans sa radicalité, il n'y a rien dans le discours de Riches que de très hobbesien : la justice procède de la loi, la loi du pouvoir [27] et le pouvoir de la peur [28]. Tout ce qu'il dit se retrouve, de surcroît, dans le cinéma de Rosi. Je pense, par exemple, dans les deux films qui suivent Cadaveri eccellenti, au village où est consigné Carlo Levi, et dont l'éloignement figure, par l'envers, le lointain du pouvoir fasciste [29](Crista si è fermato a Eboli), ou à la réitération des diatribes contre les espérances : « Avec ces utopies, on crée des inadaptés » (Tre fratelli). Mais, ce qui est frappant, c'est comment le discours dégénère, de l'infaillibilité du judiciaire à la faillite du politique, de l'absolu de la justice à l'absolutisme du pouvoir. L'emportement de Riches balaye tout sur son passage (justice, tolérance...), promeut l'indifférenciation de la réaction (decimation), stigmatise la pensée (de Voltaire à Marcuse), congédie la recherche de la vérité (la fonction de l'inspecteur est raillée). Le fait que Riches soit tué à son tour signifie, un des hauts instigateurs pouvant être une victime, que rien n'arrête un pouvoir prédateur puisqu'une prédation de niveau supérieur peut toujours intervenir.
18Cadaveri eccellenti est un voyage « dans un territoire de mort, où un pouvoir agonisant sème des cadavres et répand une aberrante idéologie de la répression et de l'élimination physique [30] ». Déjà, dans l'œuvre de Rosi, le pouvoir légitime et le crime étaient liés : camorra napolitaine (La sfida), trafic de drogue et gangstérisme (Lucky Luciano), collusion entre hommes politiques et entrepreneurs (Le mani sulla città) ; plus avant, les pouvoirs politiques, terriens et mafieux se rencontraient dans Salvatore Giuliano. Désormais, « c'est le pouvoir tout entier qui est devenu une espèce de "super-Mafia". Un pouvoir d'essence réactionnaire et totalitaire ne fonctionnant pas en prenant appui sur des institutions démocratiques mais en se servant des forces parallèles qui peuvent se dissimuler derrière des organismes officiels tels que la police, l'armée, les services secrets [31] » ; ou, pour le dire plus directement, « entre Mafia et pouvoir officiel, il n'y a pas de différence de nature mais seulement une différence de degré [32] ».
19Ce faisant, Cadaveri eccellenti pousse à l'extrême et vers l'absurde l'image de l'État, produit de la société à un instant de son évolution, qu'Engels désignait comme « pouvoir, né de la société, mais qui se place au-dessus d'elle et lui devient de plus étranger [33] ». D'où vient que la civilisation romaine est invitée à assister, impuissante, à la catastrophe annoncée, le double meurtre final ayant lieu devant les statues romaines figées dans le musée. Faisant écho à la statuaire macabre des catacombes du monastère des Capucins à Palerme, au début du film, ces témoins muets, représentants de la romanité, disent que toute civiltà, toutes les vertus civiques, ont abdiqué.
II. - La veille de la conscience politique
20Une position commune fait de Rosi un « cinéaste citoyen [34] ». On lui reconnaît une capacité de démonstration : « L'œuvre de Rosi informe, met en alerte ; c'est vrai, elle ne mobilise pas. L'engagement de Rosi, cinéaste civique et non révolutionnaire, se réclame de la démocratie : ce n'est pas peu [35] ». Le réalisateur s'est expliqué sur cette démarche de déchiffrement du sens : « En Italie, nous n'avons conquis la démocratie que très tard. En fait, cette conquête continue. Donc, chacun d'entre nous participe en fait à cette conquête dans la vie quotidienne. C'est pourquoi je pense que je dois faire ces films simplement pour participer au développement de la société dans laquelle je vis. Je les fais sans doute pour augmenter ma propre compréhension (et celle des autres) de la réalité quotidienne [36] ». Pour autant, ne reconnaître à l'œuvre de Rosi qu'une vertu de vigilance est réducteur.
Une posture intellectuelle
21On sait, en premier lieu, que la recherche de la vérité est au coeur du projet rosien. Celle-ci constitue un acte fort dans l'Italie des années soixante-dix. La question de la vérité se pose d'ailleurs largement dans tout un cinéma politique, par exemple chez Elio Petri, que ce soit au travers de l'impossibilité de l'appréhender par l'intellectuel, ce professeur (Gian Maria Volonté) qui y laisse sa vie (A ciascuno il suo), ou de la débusquer, par-delà le policier (Volonté, de nouveau) qui jouit des privilèges de sa posture Indagine su un cittadino al di sopra di ogni sospetto). Chez Rosi, la vérité est questionnée par la forme de dossiers qu'il donne à plusieurs de ses films et à des rôles d'enquêteurs, au point d'interpréter lui-même un journaliste (Il caso Mattei), ou de faire apparaître Charles Siragusa (du Narcotic Office) dans son propre rôle (Lucky Luciano).
22Cadaveri eccellenti suit l'enquête de l'inspecteur Amerigo Rogas, dont le nom est choisi à dessein. Rogas, venant du verbe rogare (interroger), induit le rogatoire, le questionnement. Le patronyme conjugue, en outre, le verbe à la deuxième personne du singulier : « Tu interroges » résonne comme une interpellation catégorique à débusquer la vérité. Ce policier est un homme du peuple ordinaire permettant à chacun de s'identifier à lui - le choix de Ventura est fait pour ça - et d'entrer dans sa logique de déduction. Quand le sens des événements échappe, il faut reprendre ses esprits - voir combien de fois le policier passe les mains sur son visage, pour chasser une fatigue et conjurer l'abattement - sous peine de mourir sans connaître la vérité.
23Il ne faut alors pas s'étonner que le plus métaphorique des films de Rosi s'achève sur un camouflage de la vérité et la conclusion que celle-ci n'est pas toujours révolutionnaire. La dernière phrase du film retourne la proposition traditionnelle, selon laquelle « la vérité est toujours révolutionnaire », diversement attribuée - ou réattribuée - de Lénine à Orwell. La phrase a également été prêtée à Gramsci et on peut rappeler que le premier numéro de L'Ordine Nuovo, au moment de devenir l'organe du PCI, lors de sa création en 1921, reprend « Dire la verità è rivoluzionario » en l'attribuant à Ferdinand Lassalle [37]. Il ne s'agit pas ici de lever le doute sur l'origine de la proposition, mais de rappeler son importance dans l'idéologie communiste. La Pravda, bien sûr, prend « Vérité » [GREC] comme titre. S'adressant au périodique naissant La Vérité, en août 1929, Trotsky écrit : « Votre hebdomadaire s'appelle la Vérité. [...] C'est un nom bon et honnête. La vérité est toujours révolutionnaire. Exposer aux opprimés la vérité de leur situation, c'est leur ouvrir la voie de la révolution. Dire la vérité sur les dirigeants, c'est saper mortellement les bases de leur pouvoir. Dire la vérité sur la bureaucratie réformiste, c'est l'écraser dans la conscience des masses. Dire la vérité sur les centristes, c'est aider les ouvriers à assurer la direction juste de l'Internationale communiste [38] ».
24Acquiesçant à la qualité révolutionnaire de toute vérité, Rosi précise : « Il existe une réalité objective. Mais la vérité est ce que chacun de nous parvient à moissonner à partir de la réalité : il l'interprète et l'exprime [39] ». Le réalisateur prend ainsi toute entreprise de déchiffrement des signes, de spéculation sur les faits, comme travail dialectique : « Je démontre ce que je veux démontrer dialectiquement. Je dois faire comprendre aux gens que ce que je leur montre est une vérité, mais que d'autres existent. Ce que je veux leur montrer, c'est mon propre combat vers ma vérité. Mais, même mon interprétation de la vérité que je vois est une interprétation dialectique. Je dois obtenir du public qu'il participe à mon dialogue avec la réalité, à ma recherche [40] ». C'est reconnaître « la primauté, dans toute pratique de nature intellectuelle de nature marxiste, d'une connaissance fondée sur la compréhension de la réalité [41] ». Aussi, Cadaveri eccellenti procède-t-il à « la juxtaposition de deux conceptions de la vérité historique - une qui aspire à la liberté et à la justice, et une qui tire sa puissance de la force et de l'abus du pouvoir [42] ». L'accouchement de la vérité passe alors par un manque. C'est un principe rosien : des éléments font toujours défaut. Les raisons qui ont poussé Giuliano à ouvrir le feu à Portella della Ginestra, le mobile de son ami Pisciotta pour le tuer et les circonstances de l'élimination de ce dernier en prison demeurent des zones d'ombre (Salvatore Giuliano) ; de même, les circonstances exactes de l'accident d'avion qui coûte la vie à Mattei ne sont pas claires (Il caso Mattei)...
25Cet aspect révolutionnaire de la vérité s'inscrit dans une perspective gramscienne. Pour Gramsci, « la philosophie de la praxis ne cherche pas à résoudre pacifiquement les contradictions même de l'histoire et de la société ; mais, au contraire, elle en fait la théorie ; elle n'est pas l'instrument qui permet aux groupes dominants d'obtenir le consensus nécessaire à l'exercice de leur hégémonie sur les classes subalternes ; elle est précisément l'expression de ces autres classes dans leur volonté de se former dans l'art de gouverner en tant qu'elles ont intérêt à connaître tous les aspects de la vérité, même les plus désagréables, et à déjouer les tromperies de la classe dominante, et plus encore les leurs propres [43] ». « Vérité révolutionnaire » qui, selon Maria-Antonietta Macciocchi, « s'oppose aux mensonges motivés par la raison d'État, quand bien même cet État serait socialiste, [...] grâce à son "pessimisme de l'intelligence" conçu non comme "spleen" romantique, mais comme attitude de négativité dialectique [44] ». Ce qui avalise l'intuition selon laquelle « le cinéma de Rosi [...] arrive à posséder une incroyable vitalité justement parce que c'est un cinéma pessimiste et froid [45] ». D'où vient, par exemple, cette profession de foi de Rosi : « Puisque pour moi [...] la vérité est toujours révolutionnaire, le film veut également signifier que le pouvoir doit toujours être remis en cause, de quelque coté qu'il vienne [46] ».
26On comprend bien, dès lors, la position délicate d'un réalisateur qui, selon ses propres mots, dans Cadaveri eccellenti, a « essayé de construire un discours à l'interieur d'un front de gauche », ce qui lui apparaît beaucoup plus difficile [47] ». Il lui faut contester la position du PCI, le camouflage de la vérité étant énoncé par le dirigeant du parti qui s'engage dans le compromis. Certains ont pu penser que l'objectif n'était pas atteint avec ce questionnement final « Rosi paraît [...] l'inscrire au terme du spectacle comme une critique sévère de la stratégie du PCI, critique fondée, certes, mais abrupte, insuffisamment documentée, qui change le but que l'on croyait poursuivre après l'ouverture, affaiblissant ainsi par récurrence l'ensemble de l'ouvrage [48] ». Mais, c'est se méprendre sur le sens d'un film qui, en tarit que parabole, veut précisément s'abstraire d'une précision des faits pour devenir l'élément d'une posture politique.
27On peut effectivement, en second lieu, prendre Cadaveri eccellenti comme représentatif du rôle de l'intellectuel, en se rapportant au célèbre article que Pasolini a publié dans le Corriere della Sera le 14 novembre 1974 [49]. Écrivant après les attentats de Brescia et de Bologne cette même année, revenant sur les golpes et les manœuvres politiques, il affirme qu'il sait, connaît les noms des responsables, égrenant une litanie de dénonciations autour de « Io so » (« Je sais »). Cette connaissance est justifiée ainsi : « Je sais parce que je suis un intellectuel, un écrivain, qui s'efforce de suivre tout ce qui se passe, de connaître tout ce que l'on écrit à ce propos, d'imaginer tout ce que l'on ne sait pas ou que l'on tait ; qui met en relation des faits même éloignés, qui rassemble les morceaux désorganisés et fragmentaires de route une situation politique cohérente et qui établit la logique là où semblent régner l'arbitraire, la folie et le mystère » Le savoir n'est ici pas empirique. Il n'est pas non plus intuitif. Il est fondé sur l'exégèse, l'imagination. Pasolini, en quelque sorte, « légitimise » la lucidité de l'intellectuel. Son « je sais » postule l'autorité d'une clairvoyance, d'un savoir qui vise le sens des événements plus que la preuve des faits, raison pour laquelle Pasolini développe un discours d'autorité sans accuser nommément.
28Cadaveri eccellenti vérifie la proposition pasolinienne puisque, à l'évidence, Rosi sait. Ainsi, le film est-il réalisé alors que le compromis n'est pas encore scellé. De même, anticipe-r-il sur les meurtres de magistrats [50]. Encore peut-on voir dans la dénonciation de la fascisation du pouvoir les signes avant-coureurs d'une éclosion des forces de droite amenées à succéder au Movimento Sociale Italiano (à l'appellation duquel était ajouté Destra nazionale en 1972) : Lega Lombarda [51], Alleanza Nazionale... Rosi n'est d'ailleurs pas seul à savoir : par exemple, Edoardo Bruno, en 1969, dans La sua giomata di gloria, annonçait une possible dérive des mouvements étudiants vers la violence, Mario Monicelli, dans Vogliamo i colonelli, en 1973, anticipait sur le risque de coup d'État, et Elio Petri, en 1976, dans Todo modo, mettait symboliquement à mort des représentants du pouvoir et de la démocratie chrétienne, dont Aldo Moro qui ne serait assassiné que deux ans plus tard... Trop de prophéties, donc, pour ne pas valider la lucidité de ces réalisateurs par le « Io so » pasolinien. Avec Cadaveri eccellenti, Rosi jouit du privilège de l'intellectuel de pouvoir donner un sens à ce qui se dérobe.
29On pourrait tirer des leçons de cette posture dans l'affaire Battisti, qui fait resurgir les fantômes des années de plomb au travers de la réaction d'intellectuels français devant la procédure d'extradition engagée à l'encontre de l'ancien membre de Proletari armati per il comunismo (Prolétaires armés pour le communisme), condamné par contumace en Italie. Il faut déjà relever la manière dont cette affaire prend les atours d'un dossier rosien : par exemple, Fred Vargas réunit un ensemble kaléidoscopique d'éléments portant témoignage du chaos des années de plomb pour en déduire une vérité [52] ; à l'inverse, le soutien à la demande d'extradition de l'ancien activiste repose essentiellement sur les décisions de la justice italienne, certification de culpabilité, comme le pense Antonio Tabucchi [53]. Bref, on retrouve l'antagonisme entre savoir intellectuel et foi dans le système judiciaire. Reprenant la leçon pasolinienne, si la conscience de l'intellectuel possède la même valeur qu'une certitude des faits, l'opposition à l'extradition de Battisti n'est justifiée que par la contestation de l'histoire officielle, écrite par voie judiciaire, au nom d'une histoire restituée par le sens qu'on doit lui donner, et ce, naturellement, dans la limite d'un examen objectif de l'histoire menant à la vérité, qui reste à entreprendre. L'argument selon lequel une mystification sur le cas Battisti est parvenue à séduire une partie de la gauche française [54] manque alors son objet. De même, n'a plus cours la critique de Tabucchi selon laquelle « le plus offensant, c'est que des gens qui n'ont pas vécu ce qu'ont vécu les Italiens se permettent si superficiellement de demander à l'Italie de mettre un voile sur notre histoire tragique qui n'est pas encore éclaircie [55] ». Il s'agit seulement d'accéder à la vérité en y étant forcé par la pétition de principe de l'intellectuel, ce « "Il faut" parfaitement intraitable » que Philippe Lacoue-Labarthe célébrait chez Pasolini [56]. Ce qui, au fond, ne s'oppose pas aux voeux de Tabucchi puisque, comme il le dit lui-même, il y aura peut-être « un pardon juridique, mais avant cela la vérité historique doit voir le jour [57] ». Gageons que Tabucchi le comprend, lui qui fut l'auteur d'une magnifique nouvelle sur la quête du sens en lien avec les années de plomb, Dolores Ibarruri verse des larmes amères, au travers de ce Piticche qui a commis, dit-on, une « chose atroce » (« cose atroci »), qui a été « massacré » (« trucidato ») par la police, et dont l'engagement manifestement terroriste demeure inexplicable pour la mère d'un enfant joyeux et attentionné, d'une intelligence exceptionnelle (texte qui interroge aussi la généalogie de la lutte politique ayant circulé du père - ancien des Brigades internationales - au fils) [58].
Un discours cinématographique
30Cadaveri eccellenti pose la question de l'agir politique. Les convictions de gauche de Rosi sont connues, de même que celles à l'égard de la lutte armée, cette « pathologie révolutionnaire » (Bellochio [59]) qu'est le terrorisme : « Il y avait même des intellectuels qui disaient : "Ni avec les Brigades rouges, ni avec l'État". Et moi, je n'étais pas d'accord. Je voulais dire : "Contre les Brigades rouges mais avec cet État, même si c'est un État que nous condamnons". Mais avec cet État, avec la proposition de changer cet État » [60]. De ce point de vue, Cadaveri eccellenti s'insère dans le débat visant à savoir si la situation de l'Italie pouvait encore laisser croire à l'exercice d'un pouvoir parlementaire ou si un état d'exception s'y était substitué de manière larvée. C'est une question patente lorsqu'il s'agit de justifier ou combattre l'extradition des anciens activistes, soit que l'on considère que « la Constitution et la civilisation juridique [...] furent, mises en lambeaux [61] », soit que l'on ne voie dans les textes maintes fois cités [62] qu'une « réponse législative face à des situations présentant un péril institutionnel [63] ». En décrivant le développement d'une pensée réactionnaire, l'abandon des principes élémentaires de justice, l'excommunication des intellectuels, la collusion des pouvoirs, l'imminence d'un coup d'État, la responsabilité du président de la plus haute instance judiciaire dans ce processus, une conjoncture insurrectionnelle, etc., Cadaveri eccellenti stigmatise une remise en cause des fondations démocratiques.
31Un moment essentiel est celui où Rogas refuse de se plier au pouvoir. Comme le dit Rosi, « mes personnages vivent dans mes films dans un contexte qui les détermine et les explique [64] ». Le choix de l'inspecteur est bien un « geste révolutionnaire pour lui qui jusqu'alors n'avait montré que scepticisme politique et méfiance envers l'opposition [65] ». Mais si, dans le roman de Sciascia, Rogas tue le secrétaire du parti, le film remplace ce geste par la révélation de l'affaire à ce dernier, coïncidant avec la croyance rosienne en la vérité.
32Dans Cadaveri eccellenti, l'intensité du trouble politique fait injonction à se déterminer. Le film adopte la forme du thriller paranoïaque (d'ailleurs utilisée également outre-Atlantique : Klute, The Parallax view...). Le mystère s'épaissit en créant des moments d'angoisse : inquiétude nocturne de l'inspecteur, tonalités sombres... Même la bande-son y participe, avec cette présence intrigante du tango d'Astor Piazolla, Jeanne y Paul. L'espace d'un instant, le film flirte avec le fantastique (reflet dans le miroir et absence du personnage au moment où l'inspecteur se retourne). La vacuité des lieux et les espaces démesurés installent une menace (salles des services spéciaux, des interrogatoires), cependant que les intérieurs paraissent maléfiques : « l'architecture fournit [...] une clef de lecture du ballet des cadavres exquis [66] ». La profondeur de champ suggère un péril constant dans l'arrière-plan, tandis que l'intimidation et l'élimination viennent du hors champ (où restent, les tireurs), « dehors » d'où peut frapper à tout instant un pouvoir démiurgique.
33 ***
34Ce qui singularise Cadaveri eccellenti, outre sa forme allégorique, c'est qu'il s'agit, pour la seule fois dans l'œuvre de Rosi, entre les dossiers passés - Giuliano, Mattei, Luciano... - et les itinéraires plus intimes des films à venir - Cristo si è fermato a Eboli, Tre fratelli, Dimenticare Palerrno - d'un cinéma de prévision. Singularité à prendre au sens où Gramsci entendait la prévision « non comme un acte scientifique de connaissance, mais comme l'expression abstraite de l'effort que l'on fait, la façon pratique de créer une volonté collective [67] ». Prévoir est alors cet « acte pratique » dont parlait Gramsci, faisant passer Rosi de la connaissance à l'agir.
Bibliographie
Index alphabétique des films cités
- A ciascuno il suo (À chacun son dû), Elio Petri, 1967.
- Buongiorno, notte, Marco Bellocchio, 2003.
- Il caso Mattei (L'affaire Mattei), Francesco Rosi, 1972.
- Il caso Moro (L'affaire Aldo Moro), Giuseppe Ferrara, 1986.
- Crista si è fermato a Eboli (Le Christ s'est arrêté à Eboli), Francesco Rosi, 1979.
- Indagine su un cittadino al di sopra di ogni sospetto (Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon),Elio Petri, 1970.
- lo ho Paura (Un juge en danger), Damiano Damiani, 1977.
- Klute, Alan J. Pakula, 1971.
- Le mani sulla città (Main basse sur la ville), Francesco Rosi, 1963.
- Lucky Luciano, Francesco Rosi, 1973.
- The Parallax View (À cause d'un assassinat), Alan J. Pakula, 1974.
- Pierrot le fou, Jean-Luc Godard, 1965.
- Salvatore Giuliano, Francesco Rosi, 1961.
- I sovversivi (Les subversifs), Paolo & Vittorio Taviani, Valentino Orsini, 1967.
- La sfida (Le défi), Francesco Rosi, 1958.
- La Sua giornata di gloria, Edoardo Bruno, 1969.
- Todo modo, Elio Petri, 1976.
- Tre fratelli (Trois frères), Francesco Rosi, 1981.
- Uccellacci e uccellini (Des Oiseaux petits et grands), Pier Paolo Pasolini, 1966.
- Vogliamo i colonnelli (Nous voulons les colonels), Mario Monicelli, 1973.
Notes
-
[1]
Staline, Le communisme en Russie. Textes choisis et présentés par Jean-François Kahn, Paris, Denoël, coll. « Médiations », 1968, p. 122.
-
[2]
Propos recueillis par Lorenzo Codelli, Positif, janvier 1974, no 155, p. 29.
-
[3]
Leonardo Sciascia, Le contexte / Il contesto, trad. Jacques de Pressac, Gallimard, Folio bilingue, Pari, 1996.
-
[4]
Gian Piero Brunetta, Gli intellettuali italiani e il cinema, Bruno Mondadori, coll. « Le scene del tempo », Milano, 2004, p. 112. Toutes les sources étrangères non publiées en France sont données dans ma traduction.
-
[5]
Franca Faldini & Goffredo Fofi, Il cinema italiano d'oggi, Feltrinelli, Milano, 1984, p. 198.
-
[6]
Les anciens activistes étaient protégés contre l'extradition par la « doctrine Mitterrand », selon laquelle les réfugiés sur notre sol qui avaient renoncé à leurs engagements politiques ne seraient pas extradés. Cesare Battisti, après une décision française d'extradition, avait fui au Brésil où il a bénéficié d'un double refus d'extradition du président Lula et de la Cour suprême brésilienne.
-
[7]
Serafino Murri, « La nouvelle vague qu'on n'a pas eue », in Sergio Toffetti (dir.), Un altra Italia. Pour une histoire du cinéma italien, Scuola Nazionale di Cinema / Cineteca Nazionale - Mazzota, Milan, Paris, 1998, p. 94.
-
[8]
Gian Maria Volonté, qui l'incarne, a repris le rôle de Moro dans le film de Giuseppe Ferrara, Il caso Moro, 1986.
-
[9]
Jeune Cinéma, no 96, 1976, p. 22.
-
[10]
Leonardo Sciascia, in Tempo, 29 février 1976, cité in Positif, no 155, p. 32.
-
[11]
Sciascia, Le contexte, op. cit., p. 145-147.
-
[12]
Propos recueillis par Jean A. Gili, Écran 76, mai 1976, no 47, p. 27.
-
[13]
Antonio Gramsci, Écrits politiques, II, 1921-1922, éd. Robert Paris, NRF, Gallimard, coll. « Bibliothèque de philosophie », Paris, 19/5, p. 119.
-
[14]
Ce qui pousse les frères Taviani à lier la mort de Togliatti au suicide de Pierrot le fou, le photographe allant voir le film de Godard au lieu de couvrir les obsèques de l'ancien leader du PCI, et ce malgré l'anachronisme introduit.
-
[15]
Michel Ciment, Le dossier Rosi, Ramsay, coll. « Poche Cinéma », no 39, Paris, 1987, p. 57.
-
[16]
Dans l'émission Le Point, 28 septembre 1964, Télévision Suisse Romande, http://archives.tsr.ch/player/coupcceur-sartre.
-
[17]
Barthélémy Amengual, « Entre histoire et histoires. Le cinéma politique de Francesco Rosi », Francesco Rosi, Lettres Modernes Minard, coll. « Études cinématographiques », vol. 66, Paris-Caen, 2001, p. 50-51.
-
[18]
« Cinema is not for an elite but for the masses », an interview with Elio Petri, propos recueillis par Joan Mellen, Cinéaste, 1973, 6, I, p. 12.
-
[19]
Corriere della Sera, 29 février 1976, repris in Positif, janvier 1974, no 155, p. 37.
-
[20]
Dans Cadaveri eccelienti, un enregistrement au palais de justice dit clairement : « je venais dans la capitale tous les mois et remettais les chèques recueillis à l'Association pétrolière au secrétariat du parti démocrate-chrétien qui se chargeait d'allouer les quotas à tous les autres partis, sauf au Parti communiste ». L'Association pétrolière renvoie à l'Ente Nazionale Idrocarburi (ENI), qui a participé au financement de plusieurs partis politiques. L'EN est la compagnie dirigée par Enrico Mattei jusqu'à sa disparition en 1962, dans le crash de son avion, dont les circonstances sont discutées. C'est l'objet d'il caso Mattei, de Rosi. Eugenio Cefis, membre de la loge P2, devenu dirigeant de l'ENI en 1967, est soupçonné par certains d'être impliqué dans la mort de Mattei. Le roman posthume de Pier Paolo Pasolini, Pétrole, revient sur ces événements ; Mattei y est visé sous le nom d'Enrico Bonocore et Eugenio Cefis est rebaptisé Aldo Troya (littéralement : « truie »
-
[21]
Antonio Gramsci, Écrits politiques, I, 1914-1920, éd. Robert Paris, NRF, Gallimard, coll. « Bibliothèque de philosophie », 1974, p. 393.
-
[22]
Entretien avec Michel Ciment, « Projection privée », France Culture, 19 juin 2004, édité en supplément de Marco Bellochio, Buongiorno, notte, Paradis Distribution, EDV 1187, TF1 Vidéo, 2004.
-
[23]
Francesco Rosi « "Ma" façon de faire du cinéma. Regard sur mon films » Francesco Rosi, Lettres Modernes Minard, op. cit. p 14-15.
-
[24]
Propos recueillis par Jean A. Gili, op. cit., p. 29.
-
[25]
Jean A. Gili Francesco Rosi Cinéma et pouvoir éd. du Cerf, Paris, 1977, p 117-118.
-
[26]
Propos recueillis par Jean A. Gili, op. cit., p. 26.
-
[27]
Hobbes, Léviathan, XIII, 126.
-
[28]
Ibid., XX, 207.
-
[29]
Voir l'extraordinaire moment où la caméra quitte le village et filme les paysages tandis que résonne la voix du Duce à la radio, répandant urbi et orbi l'idéologie fasciste.
-
[30]
Lino Micciché, Cinema italiano : gli anni' 60 e oltre, Marsilio Editori, 7° éd., Venezia, 2002, p. 351.
-
[31]
Jean A. Gili, « "L'orgueil d'être napolitain". Naples dans l'œuvre de Francesco Rosi », Francesco Rosi, Lettres Modernes Minard, op. cit. p. 77-78.
-
[32]
Francesco Rosi. Cinéma et pouvoir, op. cit., p. 142.
-
[33]
Friedrich Engels, L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'État, Éd. Sociales, 1952, p. 136.
-
[34]
Jean A. Gili, « Avant-propos », Francesco Rosi, Lettres Modernes Minard, op. cit., p. 4.
-
[35]
Barthélémy Amengual, « D'un réalisme "épique" », Positif, janvier 1976, no 181, p. 44.
-
[36]
Propos recueillis par Gideon Bachman, Cinéma 65, juin 1965, no 97, p. 76.
-
[37]
Fonde on 1919 on dissidence du PSI, dirigé entre autres par Gramsci et Togliatti, l'Ordine nuovo réunit des militants qui ont pris la direction du PSI en 1920 avant d'adhérer au PCI en janvier 1921.
-
[38]
Léon Trotsky, Le mouvement communiste en France, éd. Pierre Broué, Minuit, Paris, 1967, p. 3318 - http://www.marxists.org/francais/trotsky/œuvres/1929/O8/lt19290805.htm.
-
[39]
Propos recueillis par Gideon Bachman, op. cit., p. 81.
-
[40]
Ibid., p. 84.
-
[41]
Francesco Rosi. Cinéma et pouvoir, op. cit., p. 130-131.
-
[42]
Salvatore Bizzaro, « Dancing with corpses : murder, politics and power in Illustrious Corpses », in Carlo Testa (éd.), Poet of civic courage. The films of Francesco Rosi, Cinema voices series, Flicks Books, Trowbridge (Wiltohire), England, 1996, p. 109.
-
[43]
Antonio Gramsci, in Maria-Antonietta Macciocchi, Pour Gramsci, Seuil, coll. « Points », no 68, Paris, 1974, p. 39-40.
-
[44]
Pour Gramsci, op. cit., p. 40.
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[45]
Emmanuel Barot, Camera politica. Dialectique du réalisme dans le cinéma politique et militant, Vrin, coll. « Philosophie et cinéma », Paris, 2009, p. 84 (souligné par l'auteur).
-
[46]
« Entretien avec Francesco Rosi », in Aldo Tassone, Le cinéma italien parle, Edilig, « Cinégraphiques », Paris, 1982, p. 222.
-
[47]
Propos recueillis par Jean A. Gili, op. cit., p. 28.
-
[48]
Freddy Buache, Le Cinéma italien - 1945-1979, L'Âge d'Homme, coll. « Histoire et théorie du cinéma », Lausanne, 1979, p. 366.
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[49]
Pier Paolo Pasolini, « Le roman des massacres », Écrits corsaires, trad. Philippe Guilhon, Flammarion, Paris, 1976, p. 131.
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[50]
Francesco Coco, procureur général de Gênes, assassiné par les Brigades rouges le 8 juin 1976 ; Paolo Borsellino, mort dans l'explosion d'une voiture piégée, Via D'Amelio, à Palerme, le 19 juillet 1982 ; Giovanni Falcone, assassiné entre l'aéroport de Punta Raisi, à Palerme, sous les balles de la Cosa Nostra, le 23 mai 1992. Io ho Paura, dans lequel sont éliminés des juges soucieux de justice (Gian Maria Volonté y tient le rôle d'un brigadier, Graziano, affecté à la protection d'un magistrat), inverse le scénario de Cadaveri eccellenti.
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[51]
Fondue avec la Liga Veneta dans la Lega Nord.
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[52]
Fred Vargas (dir.), La vérité sur Cesare Battisti, Viviane Harny, Paris, 2004.
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[53]
Antonio Tabucchi, « Cesare Battisti, un coupable », trad. Bernard Comment, Le Monde, 16 janvier 2011. Un autre argument, exposé par Tabucchi, consiste à jeter l'anathème sur certains vices du système judiciaire français - existence d'une juridiction d'exception en matière de terrorisme, conditions de la garde à vue, traitement en détention des anciens membres d'Action directe - qui autoriseraient mal à donner des leçons de rigueur judiciaire s'agissant des procédures engagées en Italie à l'encontre de l'ancien activiste. Gilda Piersanti reprend exactement les mêmes arguments in Cara Fred (Lettre ouverte à Fred Vargas sur l'affaire Battisti) : http://www.lemague.net/dyn/spip.php?article S671.
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[54]
Guillaume Perrault, Génération Battisti. Ils ne voulaient pas savoir, Paris, Pion, 2005.
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[55]
« Cesare Battisti, un coupable », op. cit.
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[56]
Philippe Lacoue-Labarthe, Pasolini, une improvisation (d'une sainteté), Bordeaux, William Blake & Co., coll. « La Pharmacie de Platon », Bordeaux, 2004, p. 15.
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[57]
« Cesare Battisti, un coupable », op. cit.
-
[58]
Antonio Tabucchi, « Dolores Ibarruri verse des larmes arrières », in Le jeu de l'envers, trad. Lise Chapuis, Christian Bourgois, Paris, 1988, p. 104. Puisque j'ai cité Gilda Piersanti pour les mêmes prises de positions que Tabucchi, je retiens l'invitation au déchiffrement de la vérité, dans son œuvre, à partir du devenir de ses deux personnages ayant appartenu aux Brigades rouges, Roberta qui se suicide et son amie Teda qui n'a fait « aucun travail de deuil, aucune tentative d'analyse, aucun examen de ses responsabilités » : Gilda Piersanti, Rouge abattoir, Le Passage, 2003, p. 301-305.
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[59]
Entretien avec Michel Ciment, 19 juin 2004, édité en supplément de Marco Bellochio, op. cit.
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[60]
Entretien avec Michel Ciment, édité en supplément de Trois frères, in Francesco Rosi, Gaumont DVD 315 869, 2008.
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[61]
Wu Ming 1, « Les lois spéciales », in Fred Vargas, op. cit., p.71.
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[62]
Loi Reale du 22 mai 1975 selon laquelle la police peut perquisitionner et arrêter une personne sans mandat du juge d'instruction, sur seul soupçon, et permettant les interrogatoires hors la présence d'avocat ; Décret-loi Cossiga du 15 décembre 1979 allongeant la détention préventive pour les délits de terrorisme et autorisant les écoutes téléphoniques.
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[63]
Franck Lafaille, « L'État de droit en Italie durant les années de plomb et sa perception par la tradition juridique française », in Marc Lazar et Marie-Anne Matard-Bonucci, L'Italie des années de plomb. Le terrorisme entre histoire et mémoire, Autrement, coll. « Mémoires/Histoires », no 152, Paris, 2010, p. 316.
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[64]
Francesco Rosi, « "Ma" façon de faire du cinéma. Regard sur mes films », Francesco Rosi, Lettres Modernes Minard, op. cit., p. 9.
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[65]
Lorenzo Codelli, « Le moment de la vérité », Positif 181, p. 26.
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[66]
Francesco Bolzoni, I film di Francesco Rosi, Gremese Editore, Roma, 1986, p. 112.
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[67]
Antonto Gramsci Cahiers de prison, éd. Robert Paris, Cahier 11, trad. Gérard Granel, Gallimard, coll. « Bibliothèque de Philosophie », 1978, § 15, p. 203. Gramsci poursuit : « Et comment la prévision pourrait-elle être un acte de connaissance ? On connaît ce qui a été ou ce qui est, non ce qui sera, qui est un "non-étant" et donc inconnaissable par définition » (ibid.).