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Article de revue

Les relations Police-Justice : de la confiance à la gestion de flux

Pages 19 à 20

Notes

  • [1]
    En 2012, moins de 2% des affaires ayant donné lieu à une réponse ont été orientées vers l’instruction (source : Les Chiffres clés de la Justice, SC-SDSE, 2013).

1Les relations Police-Justice sont un sujet complexe à traiter dans la mesure où chaque situation locale et chaque type de service mériteraient un examen particulier. Néanmoins, il est possible de distinguer à grands traits quelques tendances générales qui se dégagent d’observations de terrain menées sur ces relations. Le premier constat frappant est celui d’un décalage entre le droit et la pratique. En effet, officiellement, les policiers, lorsqu’ils exercent dans le cadre d’une procédure judiciaire - se distinguant en cela de la procédure administrative -, sont placés sous l’autorité d’un magistrat, procureur ou juge d’instruction en fonction de l’état d’avancement du dossier. Chaque procureur, responsable d’une partie du territoire national, élabore une politique pénale qui, normalement, doit s’imposer aux services de police et de gendarmerie. Mais il est aisé de constater que l’autorité des magistrats, si elle est réelle, rencontre de facto de nombreuses limites.

L’autorité des magistrats

2Non seulement le magistrat n’est jamais sur le terrain, ce qui restreint ses capacités de contrôle effectif du travail des policiers ou des gendarmes, mais en plus ces derniers sont soumis à une autorité plus directe et contraignante que celle du parquet ou du juge d’instruction : leur propre hiérarchie, qui poursuit ses propres objectifs et priorités, généralement fixés par le Ministère de l’Intérieur. Les moyens matériels, l’organisation des services ou la carrière du policier dépendent de ses chefs et non des magistrats. Durant les années 1990, plusieurs affaires politico-financières très médiatisées ont montré combien l’obstruction de la hiérarchie pouvait peser sur le déroulement d’une enquête. Plus largement, la façon dont les brigades sont organisées va déterminer sur quels sujets la Police souhaite mettre l’accent, et donc imposer ses vues à la magistrature. Si, formellement, les policiers de base et leurs responsables obéissent aux directives venues du palais de justice, dans les faits ils peuvent y accéder ou bien se contenter de « faire comme si ». À une demande précise du magistrat, la réponse policière « vaines recherches » ferme la porte à toute investigation ultérieure, que le magistrat doit se contenter d’accepter, ne pouvant pas mener lui-même les opérations.

3Cette dépendance a parfois été contournée en « jouant » un service de police contre l’autre ou en demandant à une organisation - Police ou Gendarmerie - de se substituer à celle qui n’avait pas répondu. La multiplication de services de police et de gendarmerie remplissant les mêmes fonctions permettait aux magistrats d’acquérir une certaine liberté. Aujourd’hui, le rapprochement entre ces deux forces et les restrictions en termes de moyens rendent cette mise en concurrence plus difficile à réaliser. Il semble, par ailleurs, que les débats sur le rattachement de la Police Judiciaire à la Chancellerie ne soient plus d’actualité, ce qui place l’institution judiciaire dans une situation de dépendance vis-à-vis des services enquêteurs.

4Pour mieux comprendre le quotidien des relations Police-Justice, il convient de distinguer deux types de dossiers, qui renvoient à des pratiques très différenciées : d’une part, les grandes affaires, appelées aussi « affaires signalées », importantes parce que renvoyant à des faits particulièrement graves ou parce qu’elles impliquent, comme auteur ou victime, des personnalités ; d’autre part, le « tout-venant », c’est-à-dire la masse des cas concernant des petits ou moyens délits, ceux-ci représentant entre 90 et 98% du total.

5En ce qui concerne cette seconde catégorie, on observe un traitement normalisé, qui entre dans une logique de gestion des flux. En effet, dans ce cadre, les policiers font l’essentiel du travail de constatation et d’interrogation du suspect, puis téléphonent au parquet qui, à la suite d’un compte-rendu de quelques minutes - 5 à 10 - prend une décision d’orientation de l’affaire : classement (pas de suite), sanction sans procès ou passage devant un tribunal. Pour tous ces dossiers, le parquet se trouve en situation de « subir » le rythme imposé par les appels policiers, et il s’appuie sur leur parole afin de choisir s’il répondra sévèrement ou non aux faits, n’hésitant pas à solliciter leur avis pour affiner sa décision. Les parquets ressemblent de plus en plus à des centres d’appel qui gèrent la pression policière à la productivité, elle-même encouragée par la culture du chiffre qui s’est imposée au Ministère de l’Intérieur depuis quelques années. Ce modèle de travail s’avère peu propice à l’élaboration de relations de proximité. Il ressemble davantage à un échange standardisé d’éléments permettant de répondre vite aux actes délinquants.

6Les grandes affaires, bien que peu nombreuses, suscitent une coopération tout à fait différente. Elles s’inscrivent sur du temps long, demandent l’utilisation de différentes techniques - écoutes, localisation, investigations bancaires ou autres - qui nécessitent des autorisations particulières délivrées par les magistrats. Elles sont plus propices à l’établissement de contacts privilégiés entre le juge d’instruction ou le parquet, d’une part, et de l’autre les policiers chargés de l’enquête. Il se constitue ainsi, parfois, des « équipes » qui se fondent davantage sur la confiance que sur le contrôle. Par le passé, on a pu relever l’existence de véritables politiques de ciblage de délits particuliers menées par ces équipes informelles, associant un ou plusieurs magistrats et des policiers ou gendarmes convaincus de la nécessité d’investir de nouveaux champs de la délinquance.

L’autonomie relative de la police

7Néanmoins, même dans cette perspective de plus long terme, les capacités de suivi par les magistrats des opérations policières sont très restreintes. Les juges d’instruction, pourtant en charge de ces dossiers importants, ne connaissent qu’un nombre très restreint d’affaires [1]. Pour celles qui leur sont encore transmises, ils ne parviennent pas, hormis peut-être ceux qui relèvent de pôles plus spécialisés, à dégager le temps qu’il faudrait pour véritablement s’investir dans les enquêtes. Chaque juge d’instruction doit, en effet, suivre plusieurs dizaines de dossiers simultanément, leur laissant peu le loisir de les suivre tous de près. De ce fait, la plupart de leurs demandes à l’égard des policiers laisse toute marge d’appréciation à ces derniers. Quand, de surcroît, l’enquête est confiée à un service d’envergure, du type Brigade de Police Judiciaire, la technicité des policiers et leurs habitudes de fonctionnement autonome laissent peu de prise au juge. Lorsqu’il cherche à réaffirmer son autorité, ce dernier risque fort de se discréditer aux yeux des policiers, menaçant les coopérations ultérieures.

8Une situation assez semblable se retrouve lorsque les enquêtes sont gérées par le parquet. Ici, à nouveau, les capacités d’investissement en nombre de substituts dans les enquêtes manquent. Prioritairement, ils sont engagés dans la logique de gestion des flux décrite précédemment. En théorie, un Bureau d’Enquêtes devrait, dans chaque parquet, jouer un rôle de suivi et de contrôle pour les dossiers les plus complexes. Dans les faits, cet exercice s’avère très difficile à mettre en œuvre.

9Si le parquet conserve la possibilité d’édicter des priorités ou de mettre en place un système de traitement privilégié de tel ou tel type d’affaires, il lui est cependant malaisé d’imposer son autorité sur les activités quotidienne de la Police. Celle-ci, à travers notamment ses syndicats, est parfaitement capable d’en appeler à l’opinion publique en cas de désaccord, ce qui place les magistrats dans une position inconfortable d’accusé. D’une manière générale, les parquets sont considérés comme compréhensifs par les policiers, qui expriment davantage de désaccords avec des juges - toujours considérés laxistes - alors même que les condamnations sont de plus en plus longues et de plus en plus sévères. Les critiques contre l’insuffisante lutte contre l’insécurité se concentrent désormais contre la Justice et épargnent la Police. La vox populi est ainsi passée du refrain « Que fait la Police ? » à une focalisation contre l’inefficacité judiciaire, renforçant alors l’autonomie des policiers.


Date de mise en ligne : 01/01/2017.

https://doi.org/10.3917/apdem.030.0019

Notes

  • [1]
    En 2012, moins de 2% des affaires ayant donné lieu à une réponse ont été orientées vers l’instruction (source : Les Chiffres clés de la Justice, SC-SDSE, 2013).
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