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Article de revue

Un enfant, une multitude de professionnels

À l’épreuve des obstacles, le partenariat parfois ça marche

Pages 68 à 71

1 L’ime où se déroule l’histoire est l’un des seuls d’Ile-de-France à accueillir des enfants, non polyhandicapés, en internat de semaine, à partir de 6 ans. Il est spécialisé dans la prise en charge d’enfants et d’adolescents souffrant d’épilepsie sévère et pharmaco-résistante. Nous disposons de 21 places en externat (3-14 ans) et de 32 places en internat de semaine (6-14 ans).

2 Fin 2013, l’Aide sociale à l’enfance (ase) de l’Essonne nous sollicite pour savoir si nous serions en mesure d’admettre un petit garçon âgé de 5 ans. Il a été accueilli en foyer d’urgence à l’Institut départemental de l’enfance et de la famille (idef), il a eu quelques épisodes de convulsions, il est suivi en pédopsychiatrie, son comportement est très étrange, il ne communique pas avec son entourage, présente des troubles alimentaires à type de fausses routes ou de régurgitations, il semble ne pas pouvoir ou savoir mâcher – on lui sert donc ses repas mixés –, et il a une fâcheuse et persistante tendance à jouer avec sa salive en « tirant des traits » sur toutes les surfaces planes, horizontales ou verticales.

3 De toute évidence, un foyer de l’enfance n’est pas adapté pour lui. Cependant, le juge des enfants a ordonné un placement, sans droit d’hébergement dans sa famille. La Maison départementale des personnes handicapées (mdph) a prononcé une notification d’orientation dans un établissement spécialisé, mais aucune structure de proximité n’est en mesure de l’accueillir. Dans l’attente, l’ase finance un poste de moniteur-éducateur supplémentaire pour s’occuper d’Ilian au mieux au sein de l’idef et le service de pédopsychiatrie poursuit sa prise en charge.

4 C’est dans ce contexte que la référente ase prend contact avec nous.

5 Nous n’avons pas de place au moment de l’appel. Son épilepsie est stabilisée – mais a existé –, et beaucoup des enfants que nous accueillons présentent une symptomatologie similaire à celle qui nous est décrite. Compte tenu de la situation de l’enfant et de l’échec de toutes les démarches faites en direction d’autres établissements, nous décidons de trouver les solutions qui permettraient d’admettre Ilian à l’ime, même si notre agrément nous cantonne normalement à l’accueil d’enfants présentant des épilepsies non stabilisées et actives. En raison de son âge, seul un accueil en externat est envisageable. Il faudrait alors trouver un service de Placement familial spécialisé (pfs), disposant de familles d’accueil à proximité de l’établissement, chez qui il pourrait vivre, et l’admettre à la journée à l’ime dans le groupe des petits.

6 Nous transmettons à l’ase les coordonnées des services de placement familial spécialisés avec lesquels nous avons déjà collaboré, et un travail de partenariat débute. La référente ase obtient l’aval de sa hiérarchie, et la mdph notifie une double prise en charge : pfs et ime.

7 Nous assurons les pfs concernés de notre engagement à prendre en charge en priorité Ilian dès qu’une place se libèrera, étant entendu qu’il doit d’abord intégrer la famille d’accueil avant d’être admis à l’établissement, afin de lui permettre de nouer des relations de confiance dans son lieu de vie avant de s’aventurer dans une nouvelle collectivité.

8 Après quelques semaines, la référente ase nous informe qu’un des pfs a une famille d’accueil qui sera disponible après les vacances de Pâques. Nous sommes en janvier 2014, nous savons qu’un enfant doit prochainement quitter l’établissement et nous nous engageons à réserver la place pour Ilian. Tout semble se dérouler pour le mieux et nous convenons de reprendre contact au moment où il rejoindra sa famille d’accueil, pour suivre son adaptation dans ce nouveau cadre de vie et décider du moment opportun pour qu’il intègre l’ime.

9 Fin février, cependant, nous recevons un appel téléphonique de la référente de l’ase nous informant que la famille d’accueil ne sera finalement pas en capacité d’accueillir Ilian. Nous sommes atterrés, d’autant plus que ni les uns ni les autres n’obtenons d’information claire pour expliquer ce revirement de situation. De plus, le pfs ne peut nous dire s’il sera en mesure de trouver une nouvelle famille d’accueil susceptible de l’accueillir. Face à ce flou, nous ne savons pas si ce sont les difficultés du service ou celles d’Ilian qui font obstacle au projet patiemment construit pour lui.

10 Chacun de sa place se sent dérouté, la référente ase ne voit plus vers quelles autres solutions se tourner, l’équipe de l’idef est inquiète de ne pas répondre convenablement à Ilian, l’équipe de pédopsychiatrie tient son rôle de fil rouge mais a bien conscience qu’elle n’apporte pas non plus tout ce qu’il faudrait pour que cet enfant se développe au mieux ; de notre côté, nous sommes impuissants pour l’accueillir en raison de son âge et de l’absence de place, de toute façon, à l’internat.

11 La suite de l’histoire montre que, malgré tout, personne n’a baissé les bras, que les professionnels en présence ont tenu bon, et en particulier ceux de l’idef qui ont aménagé et réaménagé sans cesse leur accompagnement, pour créer et maintenir un cocon au plus proche des besoins d’Ilian, pendant toute la durée de son séjour là-bas, lui évitant de s’enfoncer encore davantage dans l’isolement qui le protégerait de l’incertitude et du tumulte de son environnement. Ils ont construit et conduit ce travail dans un cadre totalement inapproprié à la pathologie et au mode d’être au monde d’Ilian, avec le souci permanent de son bien-être. Et ils y sont parvenus jusqu’à ce qu’une solution plus adaptée puisse se mettre en œuvre.

12 En septembre 2014, l’Unité mobile interdépartementale 91 (umi) nous contacte à nouveau au sujet d’Ilian. C’est alors une unité expérimentale mise en place par l’Agence régionale de santé (ars), en lien avec les mdph, dont la mission est d’aider à résoudre les situations dans lesquelles des personnes en situation de handicap ne trouvent pas de place adaptée à leurs besoins. Dans ce cadre et pour Ilian, un éducateur spécialisé et une psychologue cherchent à rétablir et à soutenir les liens entre partenaires pour aboutir à un projet viable. Ils nous informent qu’Ilian est toujours à l’idef, qu’aucun établissement médicosocial n’a encore pu l’accueillir, et nous sollicitent à nouveau pour étudier, avec nous, si des possibilités pourraient se faire jour. Ilian a alors près de 6 ans et un accueil en internat devient envisageable.

13 L’umi organise à l’ime une réunion de tous les partenaires : ase, idef, service de pédopsychiatrie et ime. Nous convenons d’accueillir Ilian en internat de semaine, il retournera à l’idef les week-ends. L’ase financera les transports, les personnes qui s’occupent d’Ilian l’accompagneront et viendront le chercher. L’ase et l’umi poursuivront les recherches, pour un établissement ouvert 365 jours, d’une part, pour une famille d’accueil, d’autre part, étant entendu que cet accueil ne relève pas directement de l’agrément de notre établissement et qu’il devra le quitter dès que les conditions le permettront.

14 Fin 2014, Ilian intègre un groupe de petits à l’internat de semaine et la prise en charge se met en place selon les modalités convenues. Un professionnel de l’idef passe quelques heures avec lui lors de la première journée, les échanges hebdomadaires s’établissent, chacune des équipes s’efforce d’harmoniser les modalités d’accompagnement, surtout pour tout ce qui concerne la vie quotidienne. Rapidement, des progrès s’observent de part et d’autre, mais les problèmes d’alimentation perdurent à l’idef, puis s’amenuisent.

15 Au printemps 2015, alors que nous nous préparons à son départ vers un établissement médicosocial ouvert 365 jours par an, la référente ase nous appelle : elle a de nouveau la possibilité d’un accompagnement en famille d’accueil dans le département !

16 À nouveau plus rien ne correspond : nous n’avons pas de place pour l’accueillir à l’externat, le domicile de la famille d’accueil est trop éloigné pour organiser les transports quotidiens. Mais Ilian est autiste, il a lui aussi su faire appel à toutes ses ressources pour s’adapter et résister à tous ces aléas, pour progresser malgré tout, pour s’ouvrir à ceux qui s’occupent de lui, et il a bien davantage besoin d’un environnement familial que d’une institution où il séjournera en permanence, aussi bien-traitante soit-elle.

17 Nouvelle rencontre entre partenaires, nouveaux compromis : la famille d’accueil accepte de ne pas percevoir, pour le moment, la totalité de sa rémunération : Ilian vivra chez elle du mercredi soir au dimanche soir, il passera toutes ses journées dans le groupe d’internat où il ne dormira que le lundi et mardi, un taxi financé par l’ase viendra le chercher et l’accompagner du mercredi soir au vendredi matin, et nous assurerons les transports du lundi et vendredi après-midi. Nous sommes d’accord : dès qu’une place se libèrera à l’externat, il y intègrera le groupe des moyens et rentrera tous les soirs dans sa famille d’accueil. De mai à fin décembre, les éventualités de départ sont incertaines à l’externat, mais c’est sûr, au 31 décembre, un des grands doit partir, c’est donc la date butoir pour qu’il s’installe à plein temps en famille d’accueil. Parallèlement, l’ime recherchera une solution de réorientation médicosociale dans un externat compatible avec le domicile de cette famille.

18 Au moment où je relate cette situation, nous sommes à la veille de son passage en externat à l’ime et de son accueil à plein temps dans sa famille d’accueil. Nous recherchons l’établissement médico-social qui pourra prendre le relais, et il reste à statuer qui, de l’ase ou de l’ars, financera le surcoût des transports jusqu’à la réorientation en établissement à proximité du domicile de la famille d’accueil. Lorsque cette réorientation sera effective, les modalités d’accompagnement d’Ilian correspondront complètement aux cadres administratifs et financiers en vigueur et sa situation sera enfin sécurisée. Chacun de leur place, tous les professionnels impliqués dans cette histoire peuvent légitimement en tirer une once de gratification professionnelle : tous ensembles, nous sommes parvenus à rester, jusque-là, au plus près des intérêts d’Ilian.

19 Une telle issue ne peut être que le fruit d’un travail en commun ardu, pour réussir à naviguer entre les aléas de la vie telle qu’elle va et les obstacles des cloisonnements administratifs. Elle est aussi le fruit d’une conjonction de facteurs essentiels et uniquement humains, depuis l’énergie vitale dont témoigne Ilian, source de la mobilisation du désir des professionnels qui a soutenu leur volonté de réussir pour lui, en passant par l’engagement des personnes qui font métier d’aider et d’accompagner leurs semblables en difficulté, et par leur aptitude à ne pas se laisser enfermer dans les carcans bureaucratiques pour préserver leur inventivité et leur talent artisanal au sens noble du terme. Enfin, rien de tout cela n’aurait pu avoir lieu sans l’acceptation des administrations d’apporter les financements nécessaires aux adaptations indispensables à tout projet transversal.

20 Cependant, cette histoire au caractère emblématique est loin de refléter l’état de nos partenariats, et c’est à ce titre qu’elle mérite d’être relatée. Trop souvent en effet, en tant que professionnels du médico-social, nous avons à déplorer que l’enfant en situation de handicap perde son statut d’enfant de droit commun. Trop souvent, pour l’enfant handicapé, tout se passe comme si l’Institution médicosociale était supposée porter, seule, sa protection, alors qu’elle n’en a ni les moyens humains ni les compétences institutionnelles. Comme toute institution, elle ne peut prendre en compte la globalité des situations qu’en partenariat étroit avec les autres : santé, justice, protection de l’enfance, protection sociale des familles, enseignement.


Date de mise en ligne : 28/02/2017

https://doi.org/10.3917/vst.133.0068

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