1Je suis un athée laïcard libre-penseur anticlérical agnostique, raillé-ringardisé par des respectueux œcuméniques qui trouvent très bien la non-séparation d’Église et d’État, les communautés croyantes à l’anglo-saxonne, et s’arrêtent juste avant la théocratie de l’État islamique avec une pensée indigente de la République. Dans ce pays de France où les sans religion sont majoritaires, au plus fort taux européen (de l’Ouest) de non-pratique cultuelle, incroyants et non pratiquants [1], j’ai l’impression d’être mis au trou noir par un silence bruyant, et que ces prédicateurs minoritaires sont d’envahissants occupants de l’espace de paroles publiques. Cela dans le vacarme médiatique comme dans les pratiques langagières du travail socio-éducatif.

2Je trouve que l’on accorde beaucoup trop d’importance et d’audience aux faits et dires religieux, en faisant comme si l’athéisme n’existait pas. Au nom du respect et de la tolérance, les dogmes sectaires sont à « Ne pas déranger », en position d’actionnaires en minorité de blocage ! Des films, affiches et livres sont attaqués en justice et interdits jusqu’à l’autocensure parce qu’ils pourraient choquer comme blasphématoires, jusqu’à des caricaturistes mitraillés sans avoir « cherché » un droit de vie et de mort qui serait justifié à s’exercer ? La grande tolérance envers des intolérants a ses effets de restriction de la liberté d’expression jusqu’à sa négation. « Laïcité guimauve » écrit L. Joffrin [2] fort à propos du Petit manuel pour une laïcité apaisée de Bauberot et le cercle des enseignants laïques [3], où il est préconisé de dire oui ou de ne rien dire à tout pour ne pas créer de problèmes : « En fait, d’édulcoration en oubli, le livre finit par passer sous silence les problèmes posés par l’activisme intégriste, sans doute dans le souci de ne pas “stigmatiser” les musulmans. »

3Ce concept de laïcité, dont nous gave tout un chacun avec une définition différente prise pour vérité ultime, permet de dire tout et le contraire de tout, de l’œcuménisme à la mise au secret en privé. L’assimilation, dans le langage, des Maghrébins en musulmans, pour les essentialiser, participe des amalgames faisant fi du socialisme algérien qui savait tenir sa place, ou des habiletés marocaines et tunisiennes pour ne pas être en État hétéronome sous ce contrôle, et de l’ensemble des « originaires » non croyants/non pratiquants. Ne reste souvent qu’un fil familial, festif et alimentaire, plus habituel que rituel.

4Le manque de comparaison et de mémoire audible de l’oppression sociale par les religions en France, leur éducation (qui en a dégoûté beaucoup pour le restant de leur vie, voire abusé certains) et une lointaine guerre civile sont criants pour faire le parallèle d’intégristes fanatiques, latinistes, anti-avortement et mariage des homosexuels, voilant des sœurs pas toujours si bonnes que ça, non plus que faux frères et pères, avec des intégristes salafistes, wahhabites et les frères musulmans.

5En enseignant l’ethnologie, tout un folklore mythologique exotique nous émerveille avec des croyances de contes de fées et d’esprits malins, des gestes sacrément scénographiés, jusqu’à ce que des contradictions se retrouvent localement dans les pratiques, par exemple des mariages forcés, comme ils l’étaient parfois du temps de Molière ; la polygamie, l’excision… La sacralisation du respect de la culture devenue culte de l’autre pousse certains à de grandes indulgences et à des dispenses, comme les papes exemptaient des obligations du commun. Là aussi, la crainte de faire des vagues règne pour les hiérarchies qui craignent le quart d’heure warholien de célébrité médiatique, avec la terreur d’être désigné comme discriminatoire et raciste par la vox populi des rézosocios.

6Nombre de travailleurs sociaux sont dans des évaluations devenues « délicates » de maltraitances ou de carences pour des enfants dans des familles surinvesties dans des cultes évangélistes, adventistes, témoins de Jéhovah, scientologues, et autres sectes végétaliennes. La mission de lutte contre les sectes et son rapport annuel sont moins audibles ces dernières années.

7Le langage des professionnels est aussi infiltré par des terminologies sectaires, comme dans le champ des addictions entendre parler de « toxicomane actif » (qu’est-ce qu’un toxicomane inactif ou passif ?) selon la phraséologie des Narcotiques anonymes, qui fait référence à un programme en douze étapes pleines de religiosité. Des alcoolo-dépendants seront orientés vers les Alcooliques anonymes, qui sont très prières en commun, sans laisser le choix avec le mouvement Vie libre qui lui est areligieux.

8Tout cela pourrait finir par me stresser, et des psychiatres du secteur public de me pousser alors vers du « lâcher prise » et de la méditation tout à fait bouddhiste en guise de thérapie de relaxation. Rogers lui-même était très wasp [4], et le sommet de la pyramide des besoins de Maslow si volontiers citée par les éducateurs en formation est d’accomplissement spirituel, diversement traduite.

9Je sais qu’on a cru et adoré puis décru en beaucoup de choses, depuis le socialisme dans un seul pays au libéralisme à la main invisible, en la science et le progrès, l’Europe, adoré des idoles et rock stars satanistes, et je ne crois pas que tout soit logique, rationnel et « de pleine conscience ». Mais après le lourd passé et passif d’une action sociale confessionnelle avec ses maisons d’éducation et orphelinats, ses mouvements caritatifs vers la pauvreté, les prisonniers et les prostituées, celle-ci semblait s’être professionnalisée pour ses établissements et services financés, et sortir du travail entreprenant de moraliser les âmes en peine et perdues. Et le secteur public et associatif se trouve à la peine avec la religiosité du renouveau charismatique comme le dogmatisme fanatique des récents convertis ou des retours fondamentalistes aux textes ânonnés [5]. Prévenir ou éviter la radicalisation, nouveau marché pour intervenants…

10J’adore l’art de rue de Miss Tic et un certain mysticisme solitaire ou groupusculaire ne me dérange pas, et comme l’écrivait J.-B. Pouy dans son autobiographie : « Ni dieu ni maître, que des maîtresses, que des déesses ! » Ma quête spirituelle personnelle est d’être drôle, et si je crois en l’effort, je ne pratique plus…