Notes
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[1]
R. Bastien, A. Lyonnais, B.D. Soura, I. Perreault, « Surveiller et vêtir : le métier de contrôleur d’absences au Québec de 1919 à 1969 », vst, n° 115, 2012, p. 116-121.
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[2]
Sur une très longue période de temps, au moment où j’étais un jeune garçon, ma mère présentait le géniteur comme étant, alternativement, un Polonais ou encore un soldat canadien déserteur. Parfois, il était allemand. En cours d’écriture de ce texte, Jeannine, ma sœur, a témoigné de l’existence d’au moins deux autres versions : la première est celle d’un homme handicapé chez qui elle travaillait qui l’aurait mise enceinte ; dans la seconde, autour d’une beuverie, elle se serait fait violer par un inconnu (confidence obtenue de Jeannine, le 7 octobre 2014). Il serait donc légitime de se demander si Johnny était finalement le pivot de la vraie histoire. Mais après tout, est-ce si important de connaître la vraie vérité ?
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[3]
L’expression juste de ma mère est, pour cet épisode de sa vie, « […] il m’avait parti en famille ».
- [4]
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[5]
Longtemps dans mon enfance, j’ai fait le même cauchemar. Je devais avoir 10 ans. Un homme sonnait à la porte du logement de mes parents. L’inconnu demandait à ma mère la permission de partir avec moi. Je courais me cacher dans une penderie. Mort de peur. Toujours, l’inconnu me trouvait et repartait avec moi. Était-ce, dans l’ordre des sentiments, une épreuve se rapportant à l’abandon d’un enfant par une mère ou encore une impression d’enlèvement ? Un sentiment de libération ? Je ne sais pas. Ce dont je me souviens, c’était l’impression d’être délivré de quelque chose au moment où l’homme me prenait par la main, descendait l’escalier avec moi pour ensuite sortir de la maison avec l’approbation de ma mère qui, par un simple geste de la main, signifiait « au revoir ». Une délivrance trouble. Je me disais qu’en grandissant, qu’en devenant adulte, cette peur allait disparaître. Ce qui n’est pas le cas. Toujours, au cas où, j’imagine le pire dans toutes les sphères de ma vie. La crainte de l’enlèvement est un exemple. La peur d’être fait prisonnier et d’être plongé dans le néant, le noir. Mais comment faire pour exposer et parler sérieusement de cette crainte alors que j’entre dans la soixantaine ? Qui voudrait bien enlever un homme de cet âge ? Pour en faire quoi au juste ? Tenter une expérience sur son esprit, son corps, son âme ?
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[6]
Réécriture de cette note en deux volets : « Gérald Valade, 6613 de Normanville. Cet enfant court la rue depuis que son père s’est suicidé et a essayé de tuer sa mère. [Motif de l’absence] J’ai décidé cette dernière de faire en sorte que son fils cesse de courir la rue. Actuellement, elle est à faire des démarches pour le placer dans un orphelinat. [Suggestion à la mère de l’enfant]. » Il est à noter que le nom de mon oncle, en l’occurrence Gérald, est mal orthographié. L’adresse civique confirme que ce fut le lieu de résidence de la famille Valade.
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[7]
Pollack (2000, p. 203) résume bien le fonctionnement du dit et du non-dit des émotions se rattachant à des histoires de vie, parfois complexes et traumatisantes, toujours difficiles : « Les frontières de ce non-dit avec l’oubli et le refoulé inconscient ne sont, bien évidemment, pas étanches. Elles sont en perpétuel déplacement. La plupart du temps, les survivants trouvent les compromis nécessaires, et les assument tant bien que mal, pour défendre l’image qu’ils veulent donner d’eux-mêmes tout en partageant ce qui doit l’être de souvenirs qui les hantent et qui, s’ils ne peuvent s’extérioriser, risquent de provoquer l’implosion. »
1Ce texte est un très long segment, parfois intégral, d’un chapitre de livre intitulé « Pour une improbable méthode. Et si par hasard on se retrouvait dans des cartons : histoire familiale orale, archives et autres écrits ». Ce chapitre figure dans un collectif d’auteurs ayant pour titre Récits inachevés : réflexions sur la recherche qualitative en sciences humaines et sociales, publié aux Presses de l’université d’Ottawa (2016) sous la direction de Isabelle Perreault et Marie-Claude Thifault.
2Quoi retirer d’une histoire de famille qui nous raconte un peu mais pas tout à fait ? Comment l’employer pour donner à voir une manière de travailler des sources sensibles qui nous concernent ? Que l’on soit intervenant social, sociologue, historien, anthropologue, quoi dévoiler de Soi et quoi passer sous silence, sans doute pour se préserver un peu, lorsqu’on est acteur d’une histoire qu’on n’a pas choisie mais qui nous a choisi ? Trop habitué à travailler sur l’histoire des autres, quoi dire lorsqu’on se retrouve acteur dans une histoire qui nous raconte ? Que faire avec des archives vieilles de plus de 80 ans, qui, par hasard, viennent donner de la profondeur de champ à une histoire de famille maintes fois racontée par une mère à son fils ?
Retrouver une part de l’autre dans des archives
3En préparant un article [1] sur le métier de contrôleur d’absences à la Commission des écoles catholiques de Montréal, je suis tombé face à face avec une note d’un contrôleur d’absences faisant état d’un drame qui allait, pour toujours, disloquer la vie de ma mère, Géraldine Valade. Que faire avec ce savoir qu’on ne cherche pas mais qui nous tombe dessus ? Cette incursion dans l’imprévisibilité d’un croisement entre une histoire orale de famille et des sources archivistiques prend son origine dans un effort de comprendre, de se comprendre et de le donner à voir comme une méthode d’investigation possible pour ceux et celles qui, par hasard, découvrent l’existence d’une pièce manquante qui vient, par inadvertance, rendre vivante une matière qu’on présumait privée et figée dans le temps.
Écrire sur autrui et soi à la fois
4Avec l’accord de ma mère, j’ai enregistré le 24 décembre 2011 l’intégralité d’une conversation où elle racontait une part sombre de sa vie. C’est à la suite de la présentation de ce récit en diverses tranches que je reviendrai sur cette découverte fortuite de l’écriture au travail d’un contrôleur d’absences. Sur les sentiments éprouvés avant et après la découverte d’une toute petite part écrite, tenant sur cinquante-cinq mots, de l’enfance de ma mère dans des archives scolaires datant de 1930.
L’histoire de Géraldine Valade entendue, décrite et annotée
« L’émotion n’est pas un handicap pour la recherche si l’on accepte de se servir d’elle comme d’un outil de reconnaissance et de connaissance. L’émotion n’est pas un enduit mièvre qui affadit l’objet qu’elle recouvre, c’est en fait une stupeur de l’intelligence qui elle aussi se travaille et s’ordonne. »
624 décembre 2011, ma mère est chez moi. Elle a 90 ans, moi 58. Nous sommes dans la cuisine. Je l’écoute. Elle parle. Je lui pose des questions, mais pas trop. Pour éclairer des zones d’ombre lorsqu’elle permet d’être interrogée sur des détails entourant les diverses séquences des événements de sa vie – le temps, les lieux, les noms des gens. Rarement les émotions de ma mère seront investiguées. Déjà enfant, ma mère m’a entretenu sur l’histoire de sa vie ; celle qui était derrière elle dès son plus jeune âge et celle se construisant dans l’ici-et-maintenant alors qu’elle était une femme mariée, mère de deux enfants, au début des années 1960 à Montréal (Québec). Cela se produisait fréquemment dans des situations où l’alcool provoquait un retour en arrière forcé pour se dédouaner de quelque chose d’imprécis : une mère soucieuse de fournir à son fils la preuve émotionnelle de ses malheurs d’hier et d’aujourd’hui. Ainsi, il sera toujours question de son enfance difficile, mais aussi de sa vie de femme mariée malheureuse. Une femme abandonnée par son mari comme elle dira. Une femme qui, toute sa vie, tentera de faire la lumière sur le mal et le bien. En cette veille de Noël 2011, ma mère reviendra, comme toujours, sur son enfance sans trop donner de détails. Le placement en orphelinat des trois enfants : Géraldine, Juliette et Gérald. Trois laissés-pour-compte issus d’un drame familial. C’est de cette façon, ce soir-là, que l’histoire commence.
L’important dans la vie, ce sont trois choses : musique, chant et danse
7Durant toute la durée de l’enregistrement – environ 50 minutes –, on entend en arrière-plan de la voix de ma mère et de la mienne un disque de Frank Sinatra qui tourne en boucle, avec des chansons comme Young at Heart (1954), Witchcraft (1958), Chicago (1957), I’ve got you under my Skin (1956), My Way (1968). Parfois, nous échangeons des paroles. À d’autres occasions, des verres de vin s’entrechoquent. C’est le fond de scène. Comme ma mère n’a cessé de le répéter toute sa vie, ce qui importe, ce sont trois choses : la musique, le chant et la danse. Quel contraste de l’entendre exprimer d’une vive voix rauque une souffrance vécue alors que la musique, principalement les paroles de Sinatra, porte sur l’amour, la liberté, la magie de la vie et le bonheur. Voilà les premières paroles prononcées par ma mère à l’instant du déclenchement du magnétophone : « Nous étions tous démoralisés, moi, Juliette et Gérald. Je suis mélangée dans ma vie. J’en ai trop enduré. »
8Pour comprendre, un peu plus, les premiers mots de ce début de l’histoire, je me dois d’apporter des précisions acquises de mémoire au fil de ma vie. Ma demi-sœur, Jeannine, que j’ai consultée, contribuera elle aussi, à l’aide de ses souvenirs, à rendre tangible le récit narré par ma mère ce soir-là.
9Juliette, après son passage à l’orphelinat, se retrouvera à l’asile d’où elle ne partira jamais. Elle y mourra au début des années 1950.
10Gérald sortira de l’orphelinat pour garçons autour de 15 ans pour travailler en usine, comme le voulait la tradition d’insertion économique et sociale de l’époque. Par la suite, il fera son service militaire et ira à la guerre, en France et en Italie. Il en reviendra en 1945. Dès son retour, il fera dans le crime : des cambriolages sans violence dans des entrepôts. Il passera un peu moins de dix années non consécutives en prison, de 1950 à 1964 environ. Entre ses séjours à l’intérieur et ses reprises sporadiques de liberté, il apprendra le métier de peintre en bâtiment. Ce qu’il pratiquera toute sa vie, jusqu’à sa mort au début des années 1990. Plus vieux, dans la quarantaine, il aimera beaucoup les jeunes garçons. Il en hébergera d’ailleurs un pendant des années, jusqu’à la mort accidentelle de celui-ci, écrasé contre un mur de béton dans une usine par des poutres d’acier tombées d’un camion. Ce garçon devait avoir 16 ou 17 ans lorsqu’il commença à vivre chez l’oncle Gérald. Au moment de son décès accidentel, il devait avoir 20 ou 21 ans. C’était le début des années 1980. Le garçon se prénommait Donald. Gérald le gâtera beaucoup du début jusqu’à la fin. Il lui faisait conduire sa voiture sans qu’il ait de permis, lui offrait de l’argent et de l’alcool alors qu’il était mineur. Ma mère disait de son frère Gérald qu’il était généreux et bon, qu’il avait un grand cœur pour prendre sous son aile un si jeune garçon issu d’une famille pauvre.
11Ma mère relate une grossesse non désirée en 1942-1943. Elle avait 23 ans. En mai 1943 naîtra son premier enfant, Jeannine. Ma demi-sœur. La première fois que j’ai entendu cette histoire, je devais avoir 12 ou 13 ans. Le géniteur de Jeannine fut, à une certaine époque, un inconnu qui avait abusé de ma mère en la saoulant pour ensuite la violer. Ma mère dira de cet événement qu’elle n’a rien gardé de précis en mémoire. Comme elle l’explique, c’est en rendant visite à sa mère, Laurentia Montpetit, à la fin de 1942, que celle-ci lui fit remarquer qu’elle avait pris du poids. Sur ses conseils, ma mère se rendit chez un médecin qui confirma qu’elle était enceinte de plusieurs semaines.
« Je me suis effondré dans le cabinet. J’ai pleuré. J’avais tellement peur d’abandonner l’enfant à venir dans un orphelinat. Qu’il se retrouve dans la même condition que moi étant jeune fille. De le donner en adoption. Il n’en était pas question. Ne plus le revoir, c’était impossible à supporter. Ma vie était déjà trop marquée par les abandons, la mort et le placement en institution. Malgré tout, j’ai décidé de garder cet enfant, qui naîtra en mai 1943. J’étais pauvre et je devais travailler pour survivre. J’ai confié ma petite fille Jeannine à ma mère Laurentia au tout début 1944, alors qu’elle n’avait que quelques mois. En échange, je versais une petite pension pour que ma mère, Laurentia, qui elle aussi était pauvre et pratiquement sans ressources, puisse subvenir aux besoins de mon enfant. C’était l’époque où je travaillais dans une manufacture de guerre où nous fabriquions des habits militaires en Ontario (Canada). Je cousais. »
13Au fil du temps, l’identité de l’inconnu qui abusa de ma mère se révélera avec plus de précisions. Le 24 décembre 2011, il deviendra, pour la première fois, un homme d’origine grecque, riche propriétaire d’un restaurant à Barry (Ontario), âgé d’environ 40 ans. Aussi, pour la première fois, il aura un prénom, un âge ainsi qu’un statut matrimonial. Son nom, Johnny [2]. Il était marié et père d’un jeune enfant, un garçon : « L’épouse de Johnny était une très belle femme. Grande, avec les cheveux noirs. Moi je résidais chez Johnny avec sa femme et leur enfant. Ma mère, Laurentia, n’avait pas assez d’argent pour que je reste avec elle. De toute façon, elle venait de se faire un nouvel amoureux. Il s’appelait Jack, un ex-soldat canadien revenu du front avant le temps. En plus de mes tâches au restaurant, je devais m’occuper du petit enfant le matin et le soir. Je ne connaissais pas la vie. Je sortais du couvent. J’étais niaiseuse. »
14En 1942, à la suite d’une demande de divorce de sa femme, Johnny sombra dans la mélancolie et la tristesse. C’est là qu’il amadoua ma mère, avec de l’alcool et des cigarettes, pour ensuite la violer. Il finira par retourner dans son pays en 1942 avec, à l’époque, son fils de 2 ans. Il laissa derrière lui une jeune femme de 22 ans enceinte [3]. C’était ma mère.
« J’en ai arraché, une vie de misère. C’est cruel. Lorsque mon mari, Jean-Marc, est mort par suicide à l’automne 1998, j’ai été soulagée. Je n’ai pas versé une seule larme. De son vivant, il faisait la loi, il était maître de lui. Il m’interdisait de voir ma mère, Laurentia, à la maison sous prétexte que nous prenions une bière ou deux… de trop. Il a poussé ma fille, Jeannine, à la porte. Elle devait avoir 16 ans. Elle est allée vivre dans une autre famille. Mais que faire ? Quoi faire en tant que femme ? Il était maître de lui. J’étais délaissée et incomprise. Il était cruel. Étant élevée dans un couvent, je ne connaissais pas la vie. Je me disais, il doit y en avoir des pires que lui. Il ne me battait pas. Il était très généreux à ton égard. Il t’avait acheté une petite auto à pédales. Tu devais avoir 4 ans. Moi je n’avais rien. Une caisse de vingt-quatre bières par semaine et de l’argent pour faire la grosserie [4]. Je prenais un coup. Mon mari, Jean-Marc, était très gentil au début. Il avait l’air fin, il était fin. Mais je ne connaissais pas ses défauts. Lors de notre mariage au début des années 1950, il avait décidé d’adopter Jeannine, ma fille issue du viol commis par Johnny en 1942. Il voulait avoir le contrôle sur elle. Je le surveillais. Jeannine ne l’aimait pas. Il était brutal et rabaissant dans ses paroles.
J’ai eu une vie triste. D’ailleurs, c’est triste de raconter ma vie en cette veille de Noël de 2011. Mais j’aime raconter mon histoire. Ça me défoule. Je sais que c’est toujours la même triste histoire. Je la répète pour ne pas l’oublier. Et j’aime que tu sois au courant.
Depuis la mort de ton papa, Jean-Marc, en 1998 par pendaison, je suis heureuse seule. Jamais plus un homme n’entrera dans ma vie. Je traîne mon histoire car j’ai été malheureuse. Parce que ton père était maître. Jamais je ne t’aurais laissé seul avec lui. Jamais. C’était un pédophile. Tu devais avoir 6 mois. J’étais sortie faire des emplettes avec Jeannine. À mon retour à la maison, une voisine m’interpella pour me dire qu’il y avait des cris d’enfant à la maison, dans mon logement. En entrant, tu criais, tu criais. Qu’est-ce qu’il faisait ? Qu’est-ce qu’il te faisait ? Moi, je n’ai rien vu. Simplement des doutes dans mon esprit et des rumeurs provenant de voisines. Peut-être qu’il s’amusait avec toi, comme beaucoup d’hommes le font. À partir de cet instant, tu n’es plus jamais resté seul avec ton père. »
16Délaissée et incomprise, ma mère cherchait par tous les moyens à se sortir de cette vie d’enfermement. Au milieu des années 1960, elle me suppliait de l’aider à partir. J’avais 13 ou 14 ans : « Ensemble, nous partirons au Nouveau-Brunswick (Canada), chez ton oncle, le frère de ton père, Férié [c’était son prénom]. Nous referons notre vie ailleurs. Nous repartirons à zéro. Toi, Robert, tu disais toujours, maman, je vais t’accompagner. »
17Dès le lendemain matin de ses crises l’amenant à vouloir quitter son mari, elle avait tout oublié ou plutôt elle voulait tout oublier. Cependant, il y avait un témoin. Moi. Toujours, elle me demandait de ne plus me souvenir de son désarroi de la veille afin que tout rentre dans l’ordre, pour que tout redevienne comme avant. Inlassablement, la même pièce de théâtre se rejouait à chaque épisode de crise la menant, sous l’effet de l’alcool, à un désir de fuite, de séparation et de liberté.
« J’ai souffert toute ma vie, j’étais incomprise par mon mari. Un jour, ton oncle André et ta tante Gertude nous avaient invités, toi et moi, à la campagne. C’était à la fin des années 1950, sans doute 1956 ou 1957. Tu devais avoir 3 ou 4 ans. Au réveil, le lendemain matin, tu avais disparu. Ton père, Jean-Marc, était venu te chercher dans la nuit. Dans la nuit [5]. Ta disparition a duré trois jours. C’est écœurant. Il est revenu soixante-douze heures après sans dire où il était allé avec toi. Que faire, il était maître de lui. Ton père était un mental dangereux.
Au milieu des années 1970, ton père et moi étions gardiens d’immeuble. Il passait son temps dans le garage de l’immeuble. Beaucoup de chats entraient et sortaient. Que faisait-il avec ces bêtes ? Plus tard, à la fin des années 1980, j’ai reçu un appel de l’asile. Il s’était rendu en auto. Mon mari venait de déclarer aux médecins vouloir se suicider en se pendant dans le garage de l’immeuble où il habitait. Il possédait un revolver à la maison. J’ai raconté aux psychiatres l’histoire de ma vie. L’histoire de la vie de ton père. Il restera interné pendant deux semaines. Mais pourquoi agissait-il de cette façon avec les enfants et les animaux ? Il devait être malheureux parce qu’il était conscient qu’il était anormal. Ton père était un mental. J’ai passé une vie de veuve. Pauvre de lui, je lui pardonne.
Lorsque tu étais petit, une jeune fille d’environ 10 ou 11 ans venait passer du temps avec moi à la maison. Le soir, ton père pouvait aller la reconduire chez elle. Elle t’aimait beaucoup cette petite voisine. Diane était son prénom, je crois. Tu devais avoir 4 ou 5 ans, juste avant d’entrer à l’école primaire. Cette petite viendra durant environ trois mois. Un jour, elle ne viendra jamais plus. Quelle horreur ! Il y a des hommes qui sont mental. Pas toi Robert ! »
19Au milieu de l’histoire, il y a cet événement dramatique raconté dans des versions parfois différentes, parfois semblables. Le père de Géraldine Valade, Roméo Valade, aurait tenté de tuer sa femme, Laurentia Montpetit (le nom de jeune fille de ma grand-mère), le 30 décembre 1929, pour ensuite s’enlever la vie d’une balle de fusil dans la tête. Tirée à bout portant, à bout touchant, comme ma mère le dira. À cette époque, Roméo croulait sous les dettes, frayait avec le monde du crime en compagnie de son frère, jouait, buvait.
« C’était l’hiver. L’avant-veille du jour de l’an 1930. Il a tiré une balle sur ma mère, Laurentia. Très proche du cœur. Parce qu’elle avait un gros manteau de fourrure, la balle n’a pas trop profondément pénétré sa chair. Elle a passé des semaines à l’hôpital. Elle fut en convalescence pendant plusieurs mois à sa sortie. Nous étions séparés d’elle, en orphelinat. Pas moyen de la voir. Lui, Roméo Valade, mon père, s’est tiré une balle dans la tête après la tentative de meurtre de sa femme. L’ambulance. La police. Par la suite, ma mère, Laurentia, en a arraché. Moi aussi j’en ai arraché. Toute ma vie. »
21En fait, c’est précisément là que se produit la première tragédie qui fera basculer la vie de ma mère, de son frère Gérald, de sa sœur Juliette et de la mère des trois enfants, Laurentia Montpetit, la mère de ma mère, ma grand-mère. Cette fin de l’histoire, là où un crime s’exécute, est, dans la chronologie du récit, le vrai début de l’histoire ; la tentative de meurtre de la mère de ma mère, le suicide de Roméo, le démantèlement de la famille et le placement des trois enfants à l’orphelinat. Comme le laisse entendre ma mère lorsqu’elle commence le récit de sa vie, il n’est pas question de ce moment particulier. Simplement trois courtes phrases : « Nous étions tous démoralisés, moi, Juliette et Gérald. Je suis mélangée dans ma vie. J’en ai trop enduré. »
22Ces trois phrases n’ont pas besoin de développement parce que je connais déjà trop bien l’histoire de ma mère, même si les versions sont quelquefois changeantes. Donc, pourquoi introduire un début connu de tous ? Lorsqu’on sait, lorsque l’autre sait, pas besoin de créer un point d’entrée bien précis dans un récit oral. Que l’on parte du milieu, du début ou de la fin, invariablement l’histoire se racontera par elle-même. Depuis longtemps, je sais par expérience comment les événements vont se décliner sans pour autant être capable de deviner à l’avance le séquençage – et comment et pourquoi de nouveaux mensonges blancs, par exemple, ou de nouveaux faits viendront teinter l’histoire. Ces trois phrases alliant un passé, un lointain et un présent résument, à elles seules, le récit de ma mère : trois enfants abandonnés ; une succession de drames et de souffrance ; et, enfin, le dévoilement d’une femme brisée en quête de bonheur, par la musique, le chant et la danse, dans l’adversité.
23Ainsi, quiconque ne connaît pas intimement cette histoire pourrait se questionner longtemps sur la véracité de ce récit, avancer des théories, faire des suppositions et, pourquoi pas, émettre des diagnostics sur les membres de la famille quant à la compétence, par exemple, d’une mère éprouvée à bien rendre compte de son histoire avec les mots justes. Et pourquoi pas une mère inapte et imprévoyante ? Sous prétexte, aussi, que l’alcool, les abus et la souffrance altèrent les souvenirs. Et si c’était autre chose ? À partir du moment où toute l’histoire se déplie et lorsqu’on la regarde à plat, il n’est pas surprenant de constater que la fin du récit constitue en fait le début. Dans sa linéarité, en premier advient le viol de ma mère en 1942, ce sont ensuite la grossesse, puis la naissance en 1943 de sa fille Jeannine. Ma demi-sœur. Ainsi, la genèse des épreuves est inversée. Ce qui suppose que l’histoire orale de sa vie dépendra pour beaucoup de à qui et quand on acceptera de la livrer. La fin de l’histoire comporte perpétuellement des variantes d’intensité. Mais ce qui en ressort, c’est toujours de l’inattendu et, paradoxalement, une plus grande précision dans les faits. Comme si ma mère préparait méthodiquement et depuis longtemps le terrain pour favoriser l’accueil d’un non-dit toujours plus troublant, pour elle-même et pour moi. Là, le 24 décembre 2011, trois événements nouveaux firent leur apparition : mon enlèvement par mon propre père pour une durée de trois jours alors que j’avais moins de 5 ans ; l’attirance sexuelle de mon père, Jean-Marc, pour les animaux, dont les chats ; et une fillette de 10 ou 11 ans qui ne reviendra plus jamais à la maison passer du temps avec ma mère et moi sans que l’on sache pourquoi.
24Au milieu des années 1960, à l’âge de 11 ou 12 ans, j’ai trouvé dans les tiroirs de la commode de mon père une revue zoophile où des femmes avaient des relations sexuelles avec des animaux, et une autre revue, celle-ci mettant en scène des images de nudistes, homme, femmes et enfants. De toute ma vie d’enfant, d’adolescent et de jeune adulte, je n’ai jamais fait de rapprochement entre ces revues et les doutes émis par ma mère sur le fait que mon père, Jean-Marc, était un « mental dangereux » et un pédophile. Comment relier, lorsqu’on est jeune, des revues érotiques et pornographiques (des images) à des transgressions et à la perversité attribuées à un père ? Plus encore, comment, lorsqu’il n’y a pas de preuve – et même s’il y en avait –, faire un lien entre les soupçons d’une mère et une image du père dégradée – qui ne correspond pas à celle qu’en a son fils ? Encore aujourd’hui, j’éprouve de la difficulté à faire basculer le soupçon d’autrui dans le registre du fait. Souvenirs enfouis pour empêcher l’effet de bascule ? Exagération d’une mère trop suspicieuse d’un mari qu’elle présume déviant sans jamais utiliser ce mot ? Pris en souricière entre l’amour recherché d’une mère et d’un père, qui accuser, qui blâmer, qui condamner, qui excuser ? Mais surtout à qui pardonner ? Une mère blessée hurlant sa souffrance, qui se déverse sur son enfant qu’elle prend à témoin ? Un père silencieux, comme bien d’autres, qui ne dit rien et se laisse frapper par sa femme pour éviter la bataille et qui, pour abréger ses souffrances, se suicidera en 1998 dans le garage d’un immeuble qu’il avait sous sa garde ?
20 juin 2014. Je reçois un appel téléphonique de ma mère
« Robert, où est ton père ?
– Il est décédé le 4 novembre 1998 maman. C’est un rêve que tu viens de faire.
– Oui, mais c’était tellement vrai, tellement palpable. Dans mon rêve, il venait de te chicaner, il criait après toi. Finalement, il est parti avec toi. Quand reviendra-t-il ? Quand reviendras-tu ?
– C’est un rêve maman.
– Oui je le sais, mais cela est tellement réel.
– Est-ce que tu penses beaucoup à papa encore ?
– Oui, mais je crois que c’est plus lui qui pense à moi que moi qui pense à lui. Ton père était une bonne personne au fond, malgré ses défauts. Il m’arrive de m’en ennuyer. »
Photographie de la note du contrôleur d’absences
Photographie de la note du contrôleur d’absences
Face-à face avec la toute petite preuve écrite dont je dispose
26Pour moi, cette note venait opérer un revirement complet dans l’interprétation que je me faisais de l’histoire de ma mère. Pourquoi ? Parce que l’histoire de vie de ma mère s’est, presque sans fin, transformée au fil du temps. À un point tel que je n’arrivais plus à distinguer le plausible du possible, l’impossible du probable, le vrai du faux. Ces quelques lignes écrites par un contrôleur d’absences apportaient, enfin, la preuve de l’épreuve vécue par ma mère, en plus de dissiper une part du doute non avoué que j’entretenais à l’égard de l’histoire de sa vie ; la tentative de meurtre de sa mère, Laurentia, par son père Roméo Valade, qui par la suite s’était donné la mort, et enfin les conseils du contrôleur d’absences à la mère de ma mère, pour qu’elle place le frère de ma mère dans un orphelinat. Une preuve du suicide de mon grand-père et la confirmation écrite d’un souci de placement d’au moins un des trois enfants à l’orphelinat. Le drame était donc vrai, le placement aussi. Dorénavant, ce n’était plus une invention de ma mère pour légitimer sa condition de femme délaissée par un mari « mental ». Il y avait eu un drame. Fortuitement, je suis tombé sur ce bout de vie écrit qui, pour une fois, confortait diverses versions de l’histoire de vie de ma mère. Une preuve que je ne cherchais pas, mais que j’ai trouvée par hasard.
S’appréhender par le croisement de deux sources
27Il y a des histoires de famille racontées oralement en face à face dans l’intimité où, sans preuves écrites et sans photographies prouvant l’existence d’un drame, les brins de l’écheveau finissent par être difficiles à démêler, notamment lorsqu’on s’y trouve en tant que membre de la famille. Ces histoires, ou pour employer les termes de Pollak (2000, p. 233), ces récits à caractère privé, comme nous venons de le voir, seront souvent transformées et surtout ajustées par le principal dépositaire – en l’occurrence ma mère. Comment expliquer les diverses variabilités dans le récit de ma mère ? Serait-ce, lorsqu’on s’attarde à son histoire racontée à son fils, une conséquence induite par l’effet du temps ? C’est possible. Serait-ce que la part du secret, des demi-vérités et du non-dit [7] dans les histoires de famille, prendra toujours plus de temps à se déplier ou à rester enfouie à jamais, particulièrement là où des tragédies se sont produites ? C’est possible aussi car l’indicible s’installe lorsqu’une vie est, pour toujours, marquée et hantée par des souvenirs d’une trop grande souffrance qui compresse, tel un anesthésiant, le temps en rendant pratiquement intangible ce qui précède le drame (Pollak, 1986, p. 35). Comme si la vie d’avant expirait après le drame. Sans doute pour se protéger et protéger sa progéniture.
28Ce qui revient à dire qu’on ne se donne jamais entièrement, une première fois, une deuxième fois et ainsi de suite. Toute cette opération de dépliement de Soi pourra être longue, sinueuse et incertaine. Toujours elle sera incomplète, au-delà des trous de mémoire qui, entre autres en raison du vieillissement de ma mère, perforent invariablement les souvenirs et troublent la biographie, comme le suggèrent ses récents rêves. D’où l’importance de faire une distinction entre l’histoire racontée et la narratrice. Que l’histoire s’avère faussée ou brouillée alors qu’on l’entrevoyait comme vraie et fondée sur des faits, cela ne fait pas de celle qui la raconte une mythomane ou, pire, une menteuse. C’est tout simplement, peut-être, que la somme des épreuves fut trop lourde à porter, qu’il faut bien s’embourber dans son récit pour corriger le tir au fil du temps.
Conclusion
29La souffrance qu’éprouve une mère, particulièrement lorsqu’elle est décuplée par l’effet de l’alcool, propulsant des mots et des émotions vivides du passé dans le présent, associés au ressentiment d’être incomprise par un mari dont on ne connaissait pas les défauts avant le mariage, finit par prendre l’allure d’une catharsis sans cesse rejouée devant un fils. Un enfant qui, même devenu adulte, restera un confident captif. Mal ensorcelé. Enfant, on voit s’exprimer le désarroi d’une mère. On la voit brisant une chaise au sol pour crier sa douleur, pour que cesse son enfermement en tant qu’épouse dont les besoins et les attentes semblent ignorés par un mari « mental ». Enfant, on la supporte au sens premier du terme. Lorsqu’elle est malade de boisson, lorsqu’elle titube et tombe au sol. On la relève, on lui frotte le dos pour soulager le mal consécutif à régurgiter jusqu’à de la bile. L’espoir demeurera toujours irrépressible. Comment faire autrement d’ailleurs en tant qu’enfant ? L’histoire de vie de ma mère entre dans la catégorie des identités blessées (Michael Pollak, 1986 ; 2000). L’histoire orale d’une mère racontée à son fils sur plus de quarante ans est ici reprise pour illustrer le choc d’une volonté de savoir indéterminée se produisant lorsque, par hasard, on tombe sur des sources écrites qui viennent, avec une force certaine, altérer la lecture que l’on pouvait se faire du récit de vie d’une mère, de sa mère. Cela pourrait nous arriver à tous de trouver, par chance ou par malchance, de petites parcelles de soi ou de sa famille. Que ferions-nous dans un tel cas en découvrant des preuves qui n’étaient pas recherchées mais qui, simplement, se placent devant nos yeux ? Prendrions-nous la chance d’écrire par soi-même sur soi-même et d’exposer les sentiments vécus dans une histoire qui nous raconte un peu mais pas tout à fait, avec tous les risques que cela suppose en se racontant à la première personne. Cette façon de reconstruire une histoire orale où les personnages, les événements et les lieux changent sans cesse n’est pas étrangère à d’autres formes d’écriture biographique. Varlam Chalamov, auteur des Récits de la Kolyma, a passé dix-sept années dans les camps du goulag. Dans la préface de l’œuvre, Luba Jurgenson s’est attardée à de subtils détails de l’écriture de ces récits qui tiennent sur quelque 1 500 pages. Elle fait remarquer que Chalamov (2003, p. 15) utilise une structure répétitive, où la biographie se confond avec le rôle de témoin qu’il adopte pour raconter sa vie dans les camps. Jurgenson relève, aussi, que les épisodes ne sont jamais présentés de la même manière : « Un même épisode se trouve attribué à des personnages différents ou survient dans des situations différentes. Ainsi, dans le récit “Tâche individuelle”, Dougaïev, un jeune détenu, est fusillé pour n’avoir pas réalisé la norme. Mais en lisant un autre récit, “Oraison funèbre”, on comprend que cette épreuve a été vécue par Chalamov lui-même [une double-mort qu’il avait créée de lui-même pour faire vivre ce qu’il avait vécu et éprouvé lors d’un épisode où plusieurs exécutions eurent lieu à la Kolyma]. »
30Ainsi, il peut s’avérer tout à fait justifié de se mettre au centre d’une histoire qui, par inadvertance, nous concerne, justement parce que notre métier consiste très fréquemment à déplier la vie d’autrui, pour montrer comment on s’y prendrait pour rendre compte d’un matériel sensible qui nous concerne.
Bibliographie
- Chalamov, V. 2003. Récits de la Kolyma, Paris, Verdier.
- Farge, A. 1997. Des lieux pour l’histoire, Paris, Le Seuil.
- Laé, J.-F. 2008. Les nuits de la main courante : écriture au travail, Paris, Stock.
- Pollak, M. 1986. « La gestion de l’indicible », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 62-63, juin, p. 30-53.
- Pollak, M. 2000. L’expérience concentrationnaire. Essai sur le maintien de l’identité sociale, Paris, Métailié.
Notes
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[1]
R. Bastien, A. Lyonnais, B.D. Soura, I. Perreault, « Surveiller et vêtir : le métier de contrôleur d’absences au Québec de 1919 à 1969 », vst, n° 115, 2012, p. 116-121.
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[2]
Sur une très longue période de temps, au moment où j’étais un jeune garçon, ma mère présentait le géniteur comme étant, alternativement, un Polonais ou encore un soldat canadien déserteur. Parfois, il était allemand. En cours d’écriture de ce texte, Jeannine, ma sœur, a témoigné de l’existence d’au moins deux autres versions : la première est celle d’un homme handicapé chez qui elle travaillait qui l’aurait mise enceinte ; dans la seconde, autour d’une beuverie, elle se serait fait violer par un inconnu (confidence obtenue de Jeannine, le 7 octobre 2014). Il serait donc légitime de se demander si Johnny était finalement le pivot de la vraie histoire. Mais après tout, est-ce si important de connaître la vraie vérité ?
-
[3]
L’expression juste de ma mère est, pour cet épisode de sa vie, « […] il m’avait parti en famille ».
- [4]
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[5]
Longtemps dans mon enfance, j’ai fait le même cauchemar. Je devais avoir 10 ans. Un homme sonnait à la porte du logement de mes parents. L’inconnu demandait à ma mère la permission de partir avec moi. Je courais me cacher dans une penderie. Mort de peur. Toujours, l’inconnu me trouvait et repartait avec moi. Était-ce, dans l’ordre des sentiments, une épreuve se rapportant à l’abandon d’un enfant par une mère ou encore une impression d’enlèvement ? Un sentiment de libération ? Je ne sais pas. Ce dont je me souviens, c’était l’impression d’être délivré de quelque chose au moment où l’homme me prenait par la main, descendait l’escalier avec moi pour ensuite sortir de la maison avec l’approbation de ma mère qui, par un simple geste de la main, signifiait « au revoir ». Une délivrance trouble. Je me disais qu’en grandissant, qu’en devenant adulte, cette peur allait disparaître. Ce qui n’est pas le cas. Toujours, au cas où, j’imagine le pire dans toutes les sphères de ma vie. La crainte de l’enlèvement est un exemple. La peur d’être fait prisonnier et d’être plongé dans le néant, le noir. Mais comment faire pour exposer et parler sérieusement de cette crainte alors que j’entre dans la soixantaine ? Qui voudrait bien enlever un homme de cet âge ? Pour en faire quoi au juste ? Tenter une expérience sur son esprit, son corps, son âme ?
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[6]
Réécriture de cette note en deux volets : « Gérald Valade, 6613 de Normanville. Cet enfant court la rue depuis que son père s’est suicidé et a essayé de tuer sa mère. [Motif de l’absence] J’ai décidé cette dernière de faire en sorte que son fils cesse de courir la rue. Actuellement, elle est à faire des démarches pour le placer dans un orphelinat. [Suggestion à la mère de l’enfant]. » Il est à noter que le nom de mon oncle, en l’occurrence Gérald, est mal orthographié. L’adresse civique confirme que ce fut le lieu de résidence de la famille Valade.
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[7]
Pollack (2000, p. 203) résume bien le fonctionnement du dit et du non-dit des émotions se rattachant à des histoires de vie, parfois complexes et traumatisantes, toujours difficiles : « Les frontières de ce non-dit avec l’oubli et le refoulé inconscient ne sont, bien évidemment, pas étanches. Elles sont en perpétuel déplacement. La plupart du temps, les survivants trouvent les compromis nécessaires, et les assument tant bien que mal, pour défendre l’image qu’ils veulent donner d’eux-mêmes tout en partageant ce qui doit l’être de souvenirs qui les hantent et qui, s’ils ne peuvent s’extérioriser, risquent de provoquer l’implosion. »