Note
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Du même auteur, Pédagogie sociale. Une pédagogie pour tous les éducateurs, Lyon, Chronique sociale, 2011.
Clinique institutionnelle des troubles psychiques Des enfants autistes à ceux des itep, Claude Wacjman. Éditions érès, 2013
1Le mot d’institution a connu dans le secteur (médico)social beaucoup de sens prêtés, depuis « maison d’éducation d’enfants » à « ce qui s’inscrit dans la durée des histoires dans l’histoire, dans un espace de textes et de lois », puis dans « un mouvement et des conseils pour tenir paroles, et refaire vivre l’esprit ». Comment aujourd’hui travailler institutionnellement avec les outils de l’éducation spécialisée, auprès d’enfants et d’adolescents autistes et/ou manifestant des troubles du comportement, alors que l’évolution législative et la pression des lobbies associatifs imposent leurs contraintes ? Comment faire fonctionner de façon institutionnelle une organisation des soins qui soit bientraitante ? L’auteur fait une somme de son parcours de réflexions : d’éducateur, de psychologue clinicien, de directeur d’un centre des ceméa de formation de travailleurs sociaux, et d’établissements « institutions » du handicap et des maladies mentales comme des troubles du comportement, mais aussi de ses études doctorales et nombreuses publications – livres et revues. D’entrée de jeu, le chapitre sur l’autisme est au croisement des débats législatif, clinique et associatif : « Faut-il une loi qui empêche de penser ? » L’empilement des lois et décrets annoncés – non publiés – et d’anciennes lois non abrogées provoque des télescopages de sens et d’application, touffus et confus, polémiques voire haineusement conflictuels, « pour faire de la notion de handicap un marchepied vers un statut social désincarné et paralysant... ».
2La psychanalyse n’y est pas honnie ni révérée, mais pensée utilement, comme la psychiatrie ou la psychologie, par la suite sur les psychothérapies en institutions. « Le danger du dénigrement des méthodes institutionnelles serait d’aller vers la seule individualisation des traitements, sans profiter de la richesse de la vie en collectivité, des expériences de contact et de ceux avec des pairs où la circulation de la parole et son éprouvé de vérité qui peut être vérifié sont pourtant ce qui fait sens et communauté pour des enfants socialisés de manière ordinaire. » Les chapitres sur les troubles du comportement, la violence, le travail avec l’Éducation nationale et la justice comportent cette même mise en perspective historique et d’actualité, de théories et d’études éclairantes, avec des pistes structurées pour des pratiques : des cadres de travail de l’institution thérapeutique. Après des réflexions sur la désinstitutionnalisation, l’évaluation, le Défenseur des droits, on en vient à une possible bientraitance institutionnelle. Où le travail et les travailleurs ne seraient pas maltraités, par des surcroîts à ce dont les sujets traités sont porteurs, par de violentes pressions managériales (ou une direction absente) et des commandes et interdictions sociales. « Sommes-nous destinés à subir cette violence de nous rendre compte de former des pauvres, que nous participons à des séances de dressage, que nous faisons du gardiennage social ? […] Il faut du cadre pour une parole partagée, une parole de vérité qui puisse être éprouvée dans l’échange de la continuité, la permanence des soins et le partage des savoirs dans un lien social… » Là comme ailleurs, ses savoirs d’expérience et manières de s’organiser donnent à penser des suites en pratique, avec une langue claire, pour être intelligible par les différents acteurs lecteurs, de tous niveaux.
3La conclusion rejoint L. Boltanski : « L’application des procédures de management venues de l’entreprise n’a pas seulement des objectifs d’économies budgétaires. Elle a cherché aussi à casser les solidarités, les valeurs et les cultures de métier qui confèrent aux professionnels de l’éducation, de la culture, de la santé ou du travail social un pouvoir de résistance face aux volontés administratives ou politiques »… Et aussi M. Chauvière : « Il faut dire que le social n’est même plus le social. Il est devenu un amas de règles administratives et de bonnes pratiques, sous contrôle électronique, assorti d’un discours manichéen sur le bien et le mal. »
4Ces analyses et critiques donnent matière à penser, et manières de faire, et pas (se) laisser faire le mal-être. C’est donc un ouvrage bientraitant.
5GILLES VAN AERTRYCK
Travail social, les raisons d’agir, Laurent Ott. Éditions érès, 2013
6Un des intérêts de cet ouvrage, qui en comporte d’autres, réside dans son aisance d’accès. Composé de textes courts, d’une à deux pages, le tout illustré par des photos en noir et blanc ou en couleurs, ces écrits du temps (« kroniks » selon l’intitulé de l’auteur) de l’association Intermèdes Robinson (établie à Longjumeau, Essonne) claquent à la manière d’un oriflamme. Prônant et, de ce fait, vivant la refondation du travail social, l’auteur décline en une multitude de vignettes le cœur des ambitions et des travaux conduits depuis près de quinze ans dans cette commune de la banlieue sud de Paris. D’ateliers éducatifs mettant en œuvre autant de médiations (par le livre, les jeux) et d’expression aux espaces investis par les habitants (ateliers de rue, jardin communautaire, soirées conviviales…), cette « action de développement social communautaire » trouve sa traduction sous la plume de Laurent Ott, cofondateur. Cet adepte de la pédagogie sociale [1] puise une part de ses références chez des auteurs comme Freinet, Illich, Oury ou Freire.
7« À Robinson, nous produisons des patates, des rires et du changement… » Sous cette simple ritournelle s’agite l’esprit de ce travail social qui n’ose plus aujourd’hui s’excuser de panser les fractures de tous genres, mais affiche au contraire une résolution à ouvrir les regards et à retrousser les manches, dans la lignée d’un Coluche, pour mettre en production tous les possibles dont sont porteurs ces habitants, dont l’enthousiasme se trouve à chaque page.
8Les « raisons d’agir » disent également l’application, le mûrissement des actes égrenés pour tour à tour défendre ou questionner contre quoi résiste – à force aussi d’un certain épuisement – l’esprit du travail social. En témoigne une écriture procédant par vague, creux et élan, mettant en équilibre des contraires, des oppositions (le « Je » et le Moi) qui scandent régulièrement les textes, dont nous recommandons une lecture par butinage. En effet, les besoins de se situer et de rappeler l’origine du projet et son espace-temps amènent à quelques redites dans les formules (« Nous, à Intermèdes Robinson »). En lisant ces pages, nous constatons la part laissée aux gens, à leur pouvoir d’agir. Il est fait la démontration d’un pouvoir de la rue (il est temps de reconnaître que la « période des équipements socio-éducatifs » des années soixante et suivantes n’est plus ce qui fonde aujourd’hui l’intervention sociale) où les éducateurs accueillent, éprouvent des modes de transmission en des ateliers dont on perçoit la légèreté et la détermination dans chaque photo exposée en regard du texte. Il y a quelque chose de salvateur dans « ce recueil poétique et pourtant éminemment concret » (quatrième de couverture) qui élargit la palette du travailleur social, tout en n’oubliant pas que la matière première de son travail s’alimente d’enjeux où le politique est à réinvestir en permanence. Par tous ces possibles, Laurent Ott nous en montre la voie et les raisons d’agir.
9MICHEL REBOURG
Les maîtres expliqués à leurs chiens, Christophe Blanchard. La Découverte, 2014
10« Essai de sociologie canine », dit le sous-titre. Sociologie canine peut-être, sociologie humaine certainement.
11L’auteur, temporairement maître-chien par les hasards du Service national finissant, est ensuite devenu chercheur sur la relation homme-chien : chiens de douane, de sécurité, puis chiens de la rue, chiens de zonards et de sdf. Il en a fait le sujet de sa thèse de sociologie, devenant au passage l’expert conseiller national sur la prise en compte et la gestion des chiens de la zone, cet espace et cette culture d’une errance à la fois revendiquée et subie, aujourd’hui en fort développement.
12La première moitié du livre parle de nous, propriétaires et maîtres de chiens. Nous hier, chasseurs-cueilleurs de Néanderthal, nous aujourd’hui dans le marché économique exponentiel que nos passions animales génèrent. La folie française du chien est décortiquée, quantifiée, un peu moquée au passage.
13Vient ensuite le corps de travail, l’approche ethnographique et sociologique du rapport qui existe entre le zonard, le sdf et le ou leurs chiens. « Mais pourquoi ont-ils des chiens ? » Question mille fois entendue, qui trouve pour partie sa réponse dans la première moitié du livre : « Et toi ? » Suit alors le produit d’une enquête ethnologique conduite au plus près des maîtres et des chiens de la zone, qui montre les diverses fonctions du chien, des plus compréhensibles et naturelles au filtre de nos zoophilies banales, aux plus complexes, psychologiques et anthropologiques.
14Mais il ne s’agit pas que de sociologie. Les observations de terrain, le travail au plus près des structures de terrain qui portent attention aux gens de la rue montrent que d’évidence qui veut travailler avec le maître doit non seulement prendre en compte le chien comme présence technique à gérer, mais aussi surtout comme constituant d’un binôme indissociable, car les chiens sont des supports narcissiques et anthropologiques qui permettent à leurs maîtres de rester humains.
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Zonards. Une famille de la rue, Tristana Pimor. Presses universitaires de France, 2014
16Voici enfin un ouvrage de recherche en sociologie qui parle des zonards. Je dis bien « enfin », ayant pourtant signé trois ouvrages portant sur ces jeunes en appui sur les travaux du réseau « Jeunes en errance », ouvrages ancrés dans l’expérience pratique et tentant de tirer les fils d’une compréhension construite collectivement. Le projet est tout autre. Il s’agit ici du produit d’une thèse en sciences de l’éducation qui a reçu le prix Le Monde de la recherche universitaire, et que publient les Puf dans ce cadre. Depuis sa soutenance, l’auteure est devenue maître de conférences à l’université de Créteil ; voici un beau départ, mérité, dans la carrière universitaire.
17Zonards est le produit d’une démarche d’observation participante conduite pendant plusieurs années au plus près de groupes de la zone, et en particulier d’un groupe-collectif structuré et structurant, La Family. Mais dire simplement « observation participante » ne signifie pas le travail de fond effectué. L’auteure est allée partager les activités quotidiennes du groupe, y a gagné une place, accédant peu à peu à un statut hybride de membre-invitée. Ses réflexions sur sa posture, sa place, sur sa gestion des interactions montrent combien cette démarche, complexe, était réfléchie. Voici le premier intérêt de cet ouvrage : dans la droite ligne des fondateurs de l’École de Chicago, la présentation d’une démarche qui croise ethnologie et sociologie, ce que l’on nomme aujourd’hui anthropologie sociale.
18Le second intérêt, central, est dans les contenus rapportés et analysés. Le produit des observations ethnologiques est disséqué, déconstruit, problématisé, puis reconstruit dans la recherche de significations qui échappent ainsi aux constructions intuitives. L’analyse mobilise bien entendu les acquis de la sociologie de la déviance, mais également des réflexions et des constructions ne se limitant pas aux champs de l’exclusion et de la marginalité. En particulier, l’approche des relations d’autorité et de pouvoir internes au groupe, la question de la production d’une culture originale, l’utilisation des concepts de la criminologie permettent de se décentrer des approches par la déviance souffrante au profit de lectures des comportements humains beaucoup plus transversales.
19On saluera aussi la volonté affirmée de ne pas se laisser enfermer dans une approche misérabiliste ou déficitaire de la zone, au profit de la recherche de capacités d’agir, de projets, et de l’identification des possibilités de sortir « par le haut » de la carrière zonarde pour entrer dans une carrière active de traveller.
20La construction d’une pensée à partir de la monographie d’un groupe, de ses satellites et des rencontres qu’il a permis, marque cependant une limite de l’ouvrage. Pour qui connaît la galaxie des formes d’errance dans la zone, il semble que le groupe observé était composé de personnes aux bases psychologiques à peu près solides, ayant échappé durant leur minorité aux pratiques destructrices des successions de placements qui sont autant d’échecs, donc en capacité d’estime de soi, d’action collective et de projection. Ce qui n’est pas le lot commun, moyen, de l’ensemble des zonards. Rappelons que 50 % de ces jeunes sont passés par les circuits de l’Aide sociale à l’enfance et en sont sortis dans des dynamiques invalidantes, et que cette population comprend environ 30 % de personnes souffrant de graves troubles psychologiques. Cette remarque n’invalide pas la recherche menée, ni ses conclusions ; mais ce travail doit être relativisé afin de ne pas laisser croire qu’il s’agit là d’une photographie représentative de l’ensemble de la zone.
21Une autre critique, qui échappe largement à l’auteure, est le constat de l’effet de l’extrême cloisonnement qui existe en France entre les sciences sociales et les sciences humaines. Chez nous, les hybridations n’existent pas, et cela conduit les sciences sociales à ignorer radicalement ce qui chez chacun est lié aux effets de l’histoire et de la vie sur l’inconscient, qui dicte pourtant nombre de comportements de fuite et de faux choix de vie pouvant alimenter une posture de revendication alors qu’il s’agit surtout de se survivre à soi-même. Olivier Douville, originaire des sciences humaines, propose actuellement une ouverture de l’approche psychanalytique vers l’anthropologie sociale afin de construire une compréhension croisée de l’errance ; à quand une démarche symétrique engagée par des chercheurs en sciences sociales ?
22FC
Vieillir en huis clos, De la surprotection aux abus, José Polard et Patrick Linx. Éditions érès, 2014
23Le huis clos dont il est question ici n’est pas matériel. C’est un enfermement mental souvent ancré au profond des dynamiques familiales pathologiques, des secrets de famille, des non-dits, qui fait qu’une réduction relationnelle s’installe, que des proches font tampon avec les soignants pour ne laisser apparaître que l’écume de la vie familiale. C’est aussi l’isolement inconsciemment fabriqué qui résulte de l’occultation de récents événements familiaux douloureux afin de protéger la personne fragile d’émotions qui pourraient la perturber. C’est une relation d’emprise. Les auteurs, psychologues et psychanalystes, présentent de nombreuses situations rencontrées dans le travail avec des personnes âgées, et cherchent à chaque fois ce qui en est à l’origine et pourquoi, comment ce système s’est développé.
24Mais ils ne se limitent pas à ce huis clos là. Ils vont chercher des exemples dans le cinéma et la littérature, ainsi que dans les faits divers. Autant de situations d’enfermement psychique familial ou institutionnel (et parfois les deux) qui dépassent largement le champ de la gériatrie. Le dernier chapitre du livre ouvre sur la transformation : « Ouvrir le huis clos ». Déjà, comment l’identifier ? C’est l’irruption d’un tiers dans cette relation binaire qui vient dire ce qui est en annonçant que le roi est nu malgré les dénis de tous. Vient alors le temps de l’ouverture, qui doit prendre en compte les raisons de l’enfermement, et ce n’est pas le plus simple. Un travail à inscrire dans une temporalité alors que le huis clos est hors temps, un travail à conduire par une sorte de médiateur-thérapeute intervenant dans un espace symbolique intermédiaire. Mais peut-on éviter les huis clos ? Probablement pas. Les auteurs sont clairs dans la dernière phrase du livre : « Il ne faut jamais perdre de vue que le huis clos est le symptôme, le révélateur d’un violent refus d’un morceau de réalité avec son lot de souffrances, en même temps qu’une tentative inadaptée de les résoudre. »
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[1]
Du même auteur, Pédagogie sociale. Une pédagogie pour tous les éducateurs, Lyon, Chronique sociale, 2011.