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Article de revue

S'appuyer sur la psychothérapie institutionnelle pour transformer les pratiques

Pages 82 à 85

Notes

  • [1]
    L’hôpital psychiatrique de Lyon.
  • [2]
    Psychiatre et historien, auteur d’ouvrages d’histoire de la psychiatrie.
  • [3]
    Centre de traitement et de réadaptation sociale.

1Actuellement paraissent, lues, relues patiemment et finalement publiées, les archives des réunions du gtpsi, où l’on peut voir naître ensemble les idées et le fonctionnement de la psychothérapie institutionnelle.

2Un peu d’histoire pour retrouver le contexte dans lequel tout cela est arrivé ne fera pas de mal.

3Après la Deuxième Guerre mondiale, chacun en psychiatrie s’est trouvé devant le constat de la tragédie ignoble et honteuse (50 000 morts de faim) qui marqua pour toujours la fin de l’asile et son rejet par les médecins et les soignants. Ce n’est qu’après les années 1980 que Max Lafont publiera à Lyon sa thèse sur l’extermination des fous au Vinatier [1]. Il s’ensuivra pour lui tous les ennuis du monde et c’est tout juste s’il pourra y survivre ! Son travail a fait son chemin, soutenu par Lucien Bonnafé, Ajzenberg et d’autres, jusqu’à l’officialisation par les travaux de l’équipe de recherches du cnrs dirigée par Isabelle von Bueltzingsloewen, toujours à Lyon.

4L’asile, qui terminait ainsi son histoire, avait pourtant été imaginé et conçu comme un progrès, lors de sa création systématique, stimulée par le baron-préfet Haussmann et son ami l’aliéniste Girard de Cailleux. Progrès par rapport à l’Hôpital général des pauvres créé par Louis XIV en 1656 pour y enfermer les mendiants, infirmes, prostituées, petits délinquants, enfants trouvés ou perdus, insensés, et les retirer du spectacle des rues de la capitale mais sans vraiment les « soigner ».

5C’est contre cette absence de soins spécialisés que s’étaient élevées les voix de Tenon, Colombier et Doublet et Necker, rejoints ensuite par le geste et les écrits de Pinel et Pussin, salués par les idéaux philosophiques de la Révolution de 1789, puis par la loi de 1838, qui prescrit entre autres un asile par département, établissement spécialement réservé aux soins des aliénés. Conçu comme un progrès, l’asile avait pour axiome de base la médicalisation.

6« Guérir », disait-on à l’époque, guérir les aliénés par une vie régulière, des constructions hygiénistes et aérées, le travail agricole, les bains et le confort alors « moderne » : l’eau courante, le chauffage, les lits individuels (n’oublions pas qu’à l’Hôtel-Dieu, seul établissement ouvert à tous et à vocation de soins, les malades étaient couchés à quatre, voire à six). Le médecin-directeur était, à l’asile, une autorité paternelle dirigeant tout, de la cave au grenier, en passant par l’exploitation agricole et la formation du personnel. Michel Foucault a dénoncé cette figure d’autorité comme un des facteurs qui annihilera toute la potentialité thérapeutique du médecin et ruinera les efforts de la médicalisation à l’asile.

7La grande affaire tourne donc autour de la médicalisation et de la place reconnue aux soins des fous et à la psychiatrie dans la médecine. La psychiatrie veut être une vraie médecine. C’est bien en ce sens qu’il faut entendre la fameuse déclaration de 1942 faite par Paul Balvet au Congrès de Montpellier. Jacques Postel [2], avec une grande finesse, m’a appris à la comprendre ainsi : ce qu’on est amené à faire « dans nos asiles devenus de honteuses garderies », ça ne peut pas être de la médecine ou de la science. Jean Oury aussi approuvait lorsque je disais que la question qui a réuni tout le monde à l’époque, c’était comment faire vraiment de la médecine, comment soigner ; le rejet de l’asile se fondait sur le fait qu’il avait démontré son incapacité à soigner. Plus encore, il avait ajouté à la pathologie celle de l’établissement. D’où la fameuse phrase de François Tosquelles : « D’abord traiter l’hôpital. »

8Comment l’asile s’était-il rendu incapable de soigner ? La pratique de l’isolement social avait surajouté un facteur de désocialisation aggravant les difficultés des malades inhérentes à leur état. La fameuse sédimentation produite par la vie routinière dans un univers cloisonné et hiérarchisé était venue s’additionner à la chronicité de la psychose. L’illusion du « sortant guéri » avait maintenu les gens à l’hôpital pendant toute leur vie et jusqu’à leur mort. On n’avait pas pu imaginer la vie avec une maladie chronique sans enfermement.

9La désocialisation s’était encore aggravée par l’absence de la reconnaissance de l’expérience et de l’éventuelle profession des malades. Ainsi, à Ville-Evrard, les femmes étaient placées sous leur nom de jeune fille. On apprend dans leur dossier qu’elles étaient mariées et avaient plusieurs enfants au détour parfois d’une lettre écrite par le mari au médecin-directeur pour demander que sa femme revienne à la maison, car il ne s’en sort plus avec le travail, la maison, les enfants, et même si elle n’a pas vraiment toute sa raison, elle pourra toujours l’aider et il s’occupera d’elle. Pauvre supplique.

10Parmi les questions débattues par le mouvement de la psychothérapie institutionnelle et relatées par les discussions des archives du gtpsi, il y a ce qu’on appelle à l’époque la sociothérapie, destinée à lutter contre l’effacement social du malade à la fois du fait de sa maladie et de celui de l’établissement. Ce sera le psychodrame, le Club où les malades ont des responsabilités véritables, l’argent à l’hôpital, les sorties, le droit de vote, la démolinothérapie (on casse les murs). Ces questions traversaient sur un mode diffus des services de psychiatrie et habitaient beaucoup de psychiatres. S’y sont aussi engagés certains qui ne se sont pas rattachés entièrement au mouvement de psychothérapie institutionnelle ; ainsi, en 1948 à Ville-Evrard, Paul Sivadon et son ctrs[3] agréé par la Sécurité sociale, Louis Le Guillant à Villejuif, Henri Ey à Bonneval. Arrivèrent alors à l’hôpital psychiatrique les premières assistantes sociales et les premiers psychologues et éducateurs, les sorties, la musique, les kermesses.

11Le principe de base du ctrs de Sivadon, c’est : ce que le malade produit devra l’accompagner dans sa socialisation. Autrement dit, si le malade fabrique des paniers, fait pousser des fleurs, ou n’importe quoi d’autre, il devra participer à la mise en vente du produit à la kermesse, au marché, ou ailleurs. De la même façon, j’ai vu au centre Carpeaux, dans le 18e arrondissement de Paris, des soignants faire de leur hôpital de jour (secteur de l’hôpital de Maison-Blanche) une sorte de base qui à la fois recevait « l’extérieur » et était tourné vers lui : expositions en mairie, à la bibliothèque, travail avec les artisans de l’arrondissement… Il s’agissait de privilégier une sorte de mouvement socialisant plutôt que le « thérapisme fusionnel » clouant les malades dans un lieu imaginé comme lieu de soin et les ligotant aux supposés détenteurs du bien-être et du soin. De même à l’hôpital de jour de Bondy (secteur de Ville-Evrard), avec pour dernière et remarquable expérience l’association Présence, qui s’est fait une place au marché de la ville pour y vendre les livres qu’on lui donne. Ce travail d’accompagnement du malade psychotique vers la ville est un art véritable, qui requiert des compétences et une culture de très haut niveau. Il ne s’agit pas simplement de sortir, mais de créer avec et autour du malade de véritables espaces de socialité, joyeux et heureux, malgré toutes les angoisses et les problèmes qui peuvent surgir.

12La question qui est liée à celle, comme on le disait du temps de Tosquelles, de la sociothérapie, ou comme on le dirait maintenant, du retour à la vie sociale, est celle de la liberté, celle de la difficile, voire angoissante liberté. C’est une question qui hante les soins psychiatriques et il faut qu’elle continue de le faire. À partir du moment où l’on s’imagine que la solution est celle d’un contrôle total sur la personne et sa vie, accompagné de quelques neuroleptiques et de visites à domicile routinières, on esquive ce délicat et périlleux problème de la liberté, et on contribue à la réinstallation de la sédimentation, même en extra-hospitalier où les enkystements dans une pratique desséchée sont possibles.

13Ces questions : la liberté du malade psychotique, la sédimentation à l’hôpital de jour, mériteraient d’être le sujet de véritables recherches auxquelles s’attelleraient des chercheurs de haut niveau, en lien avec les services de soins, ceux qui y sont soignés et ceux qui y travaillent. Le véritable handicap de la psychiatrie, c’est la situation de sa recherche : elle est quasiment inexistante, limitée à la neurologie et à la mise au point de nouvelles molécules, ou confinée à des doxas qui ont pris la place de la psychanalyse. Elle ne répond pas aux questions qui se posent quotidiennement dans la clinique. Conscients de cette lenteur, voire de cette absence de réactivité, ou simplement d’écoute, par rapport aux problèmes qu’ils rencontrent, les soignants de « base », ceux du quotidien, se taisent, nulle part accueillis, et ne considèrent pas la psychiatrie comme une discipline de référence où ils ont aussi leur place et pourraient chercher et inventer des solutions. Ils travaillent comme s’ils n’avaient qu’eux-mêmes comme garantie d’être soignants, sans doute grâce à ce que Lucien Bonnafé appelait « le formidable potentiel soignant populaire ».

14Dans les discussions du gtpsi, il apparaît nettement que la psychanalyse fait partie de l’alphabet. Elle a été apprise à la petite école et elle est complètement intégrée, sans pour autant être devenue un nouveau moralisme, ou une résurgence relookée psy de la manière de diagnostiquer du xixe siècle : hystérique ++, fonds pauvre, pervers, etc. La psychanalyse intégrée fait partie de la culture des soignants et des soignés. Elle n’est ni un vêtement, ni une mode, ni une identité, ni un statut professionnel, et surtout elle n’a pas l’utilité d’être un nouveau système de défense mettant un écran entre le malade et le « dit soignant ». Le travail fait par Hélène Chaigneau sur l’exquisité de la langue, par Florence Quartier-Friggs, Guy Baillon et d’autres sur l’établissement d’une hypothèse comme diagnostic, celui de Benedetti nous permettent d’avancer sur ce mode de psychanalyse non pas régnante, mais comme alphabet de base. L’avenir de la psychothérapie institutionnelle, ce n’est pas forcément de faire école, mais de continuer à appuyer et à conforter ceux qui se confrontent avec les questions des soins aux personnes souffrant de troubles psychotiques et de troubles graves, en leur donnant un cadre de réflexion et de recherches équivalent à ce qu’avaient pu être le gtpsi ou les ceméa à la belle époque. La fragilité de ces cadres, c’est la grande difficulté qu’ils ont aujourd’hui à tenir compte de la problématique de la liberté et de celle du terrain du soin, que ce soit pour ce qui concerne la parole des soignants ou celle des soignés. Les propensions à s’édifier en micro-territoires dictatoriaux, avec systèmes d’alliances, de services réciproques, de propriétés, étouffent parfois l’invention et la créativité essentielles à la dynamique thérapeutique.

Notes

  • [1]
    L’hôpital psychiatrique de Lyon.
  • [2]
    Psychiatre et historien, auteur d’ouvrages d’histoire de la psychiatrie.
  • [3]
    Centre de traitement et de réadaptation sociale.
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