Notes
-
[1]
F. Descarpentries, A. Fani, Les psychothérapies en prison, Paris, L’Harmattan, 2013.
-
[2]
M. Gayda, « L’exercice de la médecine en milieu pénitentiaire », Actualités psychiatriques, 3, 1983, p. 54-59.
-
[3]
P. Hivert, « Le comportement et la prise en charge des psychopathes en milieu carcéral », Confrontations psychiatriques, 18, 1980, p. 141-174.
-
[4]
D. Sicard, « La question éthique et les fondements de l’exercice en milieu carcéral », dans L. Michel, B. Brahmy et coll., Guide de la pratique psychiatrique en milieu pénitentiaire, Paris, Heures de France, 2005, p. 69.
-
[5]
C. Balier, « Pathologie en milieu carcéral : repères théorico-cliniques », L’évolution psychiatrique, 58, 1, 1993, p. 77-82.
-
[6]
C. Legendre, A. Maurion, « Milieu carcéral et espace thérapeutique », L’évolution psychiatrique, 58, 1, 1983, p. 83-92.
-
[7]
Ibid.
-
[8]
G. Daumézon, « Responsabilité et discernement », Confrontations psychiatriques, 18, 1980, p. 99-116.
1Les professionnels de santé qui exercent en milieu pénitentiaire s’efforcent de proposer aux personnes détenues les mêmes possibilités de soins qu’à l’extérieur. Toute personne détenue devrait donc pouvoir bénéficier d’une psychothérapie, si elle en fait la demande et s’il y a une indication. Nous avons développé dans un récent ouvrage [1] les intérêts, spécificités et difficultés des psychothérapies en prison.
2L’incarcération produit des effets profondément déstabilisants pour certaines personnes, qui s’adressent alors aux soignants avec une demande de soulagement, ou avec des symptômes divers, volontiers comportementaux ou somato-formes. La déstabilisation psychoaffective induite par l’incarcération est paradoxalement propice chez certains sujets à l’émergence d’une parole vraie et à un foisonnement d’interrogations qui n’étaient souvent pas advenues antérieurement. Dans ce processus prennent part l’atteinte identitaire que constitue l’incarcération, mais aussi le traumatisme consécutif à l’acte et/ou à la situation pénale. Certains détenus arrivent également vers les thérapeutes sans demande subjective de réflexion sur eux-mêmes, mais parce qu’ils y sont incités par une pression de la justice. D’autres consultent dans un espoir de soutien moral face à l’épreuve. D’autres enfin parlent à un thérapeute putatif tout simplement parce que nous tâchons de rencontrer tous les détenus à leur arrivée dans un objectif de prévention. Si la prison n’est bien sûr pas par essence un lieu de soins, l’incarcération constitue au moins une occasion de rencontre avec un professionnel. Une telle occasion ne s’était pas présentée auparavant dans la vie de nombre de détenus. Quoi qu’il en soit, il revient au thérapeute de se démarquer de la demande initiale pour mettre en place les conditions qui pourraient permettre l’investissement par le patient d’un espace de verbalisation authentique, son engagement dans une relation thérapeutique, voire l’émergence d’une démarche introspective, à laquelle ne sont pas souvent enclins ni préparés les détenus.
3Exercer en prison, pour un psychothérapeute, n’est pas simple. Le cadre carcéral et ses contraintes, le poids de l’institution et de l’enfermement, la promiscuité des personnes, la pluralité et l’omniprésence du partenariat, les difficultés sanitaires et psychologiques particulières des personnes incarcérées, la primauté des décisions judiciaires et pénitentiaires sur leur condition nécessitent quelques aménagements des pratiques mais aussi une plus grande vigilance à maints égards. Les conflits d’enjeux, les demandes (ou pressions) émanant du partenariat incontournable interrogent quotidiennement nos positions et notre éthique. Notre obligation au secret est assaillie de toutes parts et son impératif doit sans cesse être réaffirmé avec fermeté mais diplomatie.
4En prison, des particularités inhérentes à la condition de détenu interfèrent inévitablement avec la relation thérapeutique, et vont avoir des conséquences sur le cadre, la pratique et les indications des psychothérapies : infléchir les demandes ; induire des contraintes particulières de cadre et de temps ; nécessiter une vigilance spécifique sur la préservation du cadre thérapeutique, sur la confidentialité et sur les limites de nos rôles.
Approches classiques et approches novatrices
5Encore de nos jours et nonobstant le foisonnement de nouveaux mots qui voudraient laisser accroire qu’ils charrient de nouvelles idées, nous pouvons, sans schématiser à l’excès, dire qu’il existe trois cadres théoriques principaux de psychothérapie indépendamment des formes et médiations adoptées : les psychothérapies psychanalytiques, les thérapies cognitivo-comportementales et les thérapies systémiques.
6Les psychothérapies psychanalytiques revendiquent à juste titre de se distinguer des autres psychothérapies en réduisant au maximum les effets de la suggestion, et par le fait de ne jamais viser une adaptation du sujet à une norme ambiante ou à un idéal. Les psychanalystes, qui ont largement contribué à promouvoir la psychothérapie en détention, soulignent bien cet aspect. Il ne s’agit pas de viser un quelconque objectif de rendre nos patients plus normaux, moins marginaux, plus honnêtes, etc., mais de favoriser leur accession à une plus grande liberté de choisir par eux-mêmes de façon plus lucide. Les psychothérapies psychanalytiques, qu’elles soient groupales ou non, avec médiation ou non, ont ceci en commun qu’elles reposent sur la reconnaissance du fait que les difficultés du patient sont comprises comme autant d’expressions de sa vie inconsciente.
7Les principes des thérapies psychanalytiques s’opposent à ceux des thérapies cognitivo-comportementales qui ont pour socle les théories du béhaviorisme et les théories de la cognition. L’objectif est la guérison des symptômes cibles. Le thérapeute encourage le patient à prendre un rôle actif dans le processus. Ses interventions sont centrées sur l’ici et maintenant. L’investigation sur les éléments cognitifs (pensées, images, comportements, émotions) induit un décentrement qui rend possible le changement. De nombreux groupes de parole mis en œuvre en prison s’inspirent, explicitement ou de fait, de ce type d’approche.
8Les psychothérapies d’inspiration systémique examinent les troubles psychologiques et comportementaux du membre d’un groupe comme un symptôme du dysfonctionnement du dit groupe (initialement, la famille). La thérapie familiale systémique implique en principe tous ses membres. Recevoir des familles en détention en présence d’un détenu est possible mais très compliqué à mettre en place. Des entretiens familiaux peuvent être réalisés dans les epm (Établissements pénitentiaires pour mineurs). En dehors des thérapies familiales proprement dites, certains groupes de parole réunissant des détenus empruntent volontiers des inspirations systémiciennes dans la prise en compte des interactions. Les thérapies à médiation et les thérapies de groupe – qui peuvent avoir pour socle théorique l’une ou l’autre, voire un mixage, plus ou moins heureux, des approches mentionnées ci-dessus – ont une place de choix en prison. Pour le thérapeute exerçant en milieu pénitentiaire, il existe généralement un vécu de décalage vertigineux entre l’importance des souffrances psychiques dont il perçoit l’existence chez les détenus, à travers les interpellations des partenaires ou des détenus eux-mêmes, et les réponses pouvant être opérantes dans le registre classique d’entretiens individuels, encore aujourd’hui le plus fréquemment pratiqués dans le cadre des soins psychologiques en milieu pénitentiaire. Cette notion, connue en matière de psychopathologie de certaines personnalités, est encore bien plus marquée en milieu carcéral, et paradoxalement encore trop peu souvent prise en compte.
Les thérapies de groupe ou à médiation
9Bien que le groupe suscite en lui-même une certaine angoisse pouvant entrer en synergie avec le recours à des modèles de relations objectales régressifs (clivage), et qu’il risque là aussi d’exposer certains patients à des interactions à la limite de l’agir (dans leurs façons de s’apostropher, leurs postures et leur gestualité), son moteur essentiel se trouve dans une intersection entre un cadre stable et explicitement posé, et une fonction cathartique. Ces deux dimensions étant prises en compte, ce qui s’y déroule peut, sous certaines conditions, donner lieu à élaboration, quelle que soit la médiation utilisée.
10Lorsque l’on met en place un groupe ou une médiation à visée psychothérapeutique, la première condition est bien sûr celle de l’indication. Sans limiter celle-ci à un cadre nosographique précis, il est impératif que l’orientation d’un patient vers une thérapie soit l’objet d’une élaboration clinique explicitée. La deuxième condition touche à la formation et aux attitudes des thérapeutes. La troisième condition est l’invitation à verbaliser. En effet, la mentalisation est nécessaire à une meilleure modulation des voies de satisfaction pulsionnelle que celles du symptôme ou de l’agir : c’est précisément l’objectif psychothérapeutique.
11Les techniques de groupe et de médiation s’avèrent particulièrement intéressantes pour des patients spontanément peu enclins à la verbalisation, ou percevant l’approche duelle comme inhibante ou anxiogène. Elles sont volontiers proposées aux auteurs d’agressions sexuelles, aux jeunes détenus, aux patients dépendants d’un produit (alcool ou autre)…
12Le cadre thérapeutique doit assurer des fonctions de contenance, de délimitation et de continuité. Le groupe présente au patient un jeu externe de liaisons, d’articulations, de représentations, qui lui fait souvent défaut. Le groupe survivra à la destructivité lorsqu’elle est mise en mots, et accueillera ce qui est vécu comme l’expression d’une souffrance. La détresse peut y être contenue, être mise en lien et prendre sens. Y veiller est le travail des thérapeutes de groupe.
13Parmi les différentes stratégies thérapeutiques, outre les groupes de parole, citons l’art-thérapie, les thérapies à médiation corporelle et le psychodrame de groupe tel qu’il peut se pratiquer en maison d’arrêt.
14Chacune de ces méthodes s’appuie sur la présence d’étayages multiples et sur des « objets » externes solides et permanents offerts par les thérapeutes, la médiation et le groupe lui-même.
15L’art-thérapie vise les effets thérapeutiques de l’expression créatrice et de la verbalisation à cette occasion. Elle regroupe des ateliers d’expression picturale ou graphique et des thérapies par l’art, en utilisant de nombreux supports tels que la peinture, le dessin, le modelage, la musique, la danse, le théâtre, la vidéo, la photo, etc. Le premier atelier d’art-thérapie en milieu carcéral a été créé il y a une quinzaine d’années à la prison de Château-Thierry, bien que l’intérêt pour les productions artistiques des prisonniers et ce qu’ils y expriment soit bien plus ancien. Au sein de tels ateliers, l’accent est mis sur les processus de création, sur le contenu exprimé. La relation avec le thérapeute et les interactions entre les différents participants sont prises en compte. Beaucoup d’auteurs et de praticiens y voient aujourd’hui la possibilité pour le patient détenu qui n’a pas encore mentalisé les mots de ses émotions ni le sens de ses actes d’entamer un travail psychothérapeutique. Nous pourrions même avancer que l’art-thérapie, en tant qu’elle aborde l’infra-verbal, pourrait aller « plus loin » que les thérapies à support verbal : l’art-thérapie ne doit pas être considérée seulement comme un préalable à une thérapie verbale…
16Des remarques semblables pourraient être formulées au sujet des techniques de médiation corporelle. Nous avons expérimenté naguère ce type d’approche auprès de détenus mineurs à Bois-d’Arcy (Yvelines), en faisant intervenir un professeur de capoeira (technique de combat ritualisée en danse, sans contact physique violent, mais avec une intense communication entre les pratiquants). Le « cours » rassemblait, parmi les « élèves », des jeunes détenus, une psychologue et un pédopsychiatre. Il a été frappant de constater combien la verbalisation pouvait abonder à propos de diverses situations survenant pendant les séances. Il n’y a pas forcément antinomie entre « l’invitation à bouger » et « l’invitation à mentaliser », contrairement à ce que laisse parfois supposer la règle d’immobilité physique accompagnant habituellement l’attitude psychothérapeutique orthodoxe, souvent mal transposable, nous l’avons vu, à des détenus. De plus, le non-verbal ne saurait être considéré comme un incommunicable : l’expression corporelle en groupe peut être théorisée comme articulation de l’agir et du fantasme, sans que ce dernier se dilue totalement dans le passage à l’acte.
Les pièges de la relation
17En prison, le soignant en général et le médecin en particulier sont investis a priori d’une façon particulière par les détenus. Le médecin représente du fait de sa fonction une espèce de contre-pouvoir : le pouvoir de la prescription médicale, ou de la signification d’une contre-indication, est vécu comme à même de contrecarrer parfois une décision administrative (quartier disciplinaire), voire judiciaire (suspension de peine, hospitalisation d’office). Le soignant est un recours pour le prisonnier. Il arrive que le détenu en attende beaucoup et quelquefois hors de son champ de compétence ou de prérogative [2]. Cela peut poser des problèmes lors de l’amorce de la relation thérapeutique comme le soulignait Paul Hivert [3] : « Se faire soigner en prison c’est pouvoir tirer des avantages immédiats. Il est nécessaire, dans un premier temps, d’épurer la demande, pour la débarrasser de tous les aspects utilitaires contingents de la situation carcérale. »
18Des détenus investissent donc le thérapeute de façon décalée, utilitaire, parfois idéalisée. Un des pièges de la relation est justement de s’arroger un rôle gratifiant ou réparateur vis-à-vis du patient détenu. Pour parler simplement, croire que nous autres soignants serions les « bons », ceux qui seraient là pour le bien des détenus (ce qui est certes vrai, en ce qui concerne du moins leur santé) dans un univers « mauvais » (qui leur « fait du mal »), est peut-être bêtement gratifiant, ou psychologiquement nécessaire pour ceux d’entre nous qui ont une vocation maternante ou réparatrice, mais cela demeure une illusion simpliste et manichéenne dont les effets ne profiteront pas, en tout cas, à la santé psychique des détenus lorsqu’ils nous en confient un abord. Pour un soignant, se ressentir comme un « bon objet » au sein d’une institution qui serait par essence « mauvaise », ce serait faire écho au clivage. « Ce n’est pas en s’érigeant en maître à penser, en éternel redresseuse de torts, que la médecine carcérale pourra accomplir sa mission d’humanisation [4]. »
19Le positionnement du soignant par rapport à la loi pénale, comme par rapport au règlement, fait partie du même processus. Il ne s’agit pas bien sûr de cautionner des situations portant atteinte à l’intégrité des personnes ou à leur dignité ; notre rôle, facilité par notre indépendance, est de les dénoncer le cas échéant. Mais pour autant, se faire systématiquement l’approbateur ou l’avocat du patient dans ses différends à l’égard de la justice ou de l’administration pénitentiaire serait délétère, en premier lieu pour lui. « Si les conditions d’incarcération et les modalités de sanction méritent d’être repensées et si cela nous affecte parfois, il est impensable que nous nous en fassions l’écho dans notre relation avec le patient, fût-ce à travers des messages inconscients [5]. »
20Le travail psychothérapeutique en prison peut rendre difficile la prise de conscience et l’analyse des contre-attitudes des soignants. Accepter le cadre psychothérapeutique implique en préalable d’admettre que le soignant n’est pas là pour satisfaire une demande concrète telle qu’elle s’énonce, ce qui ne saurait que s’inscrire dans l’illusion que la demande peut être satisfaite dans ses motifs profonds, c’est-à-dire fréquemment dans la répétition d’un processus pathogène ayant conduit le patient notamment dans les errements existentiels qui l’ont mené en prison. Ce principe nous semble pouvoir s’appliquer à bien des patients qui s’adressent au soignant en détention, pour lesquels on peut être tenté, dans la dynamique généralement leurrante d’un soulagement à court terme, de répondre au premier degré à la demande, dans un registre volontiers « oral », par une prescription de médicament, ou par une intervention auprès de l’administration pour faciliter une amélioration particulière des conditions de détention ; il faut éviter le « passage-à-la-bonneaction ». Tâcher de surmonter la difficulté des pièges de la relation présuppose évidemment que nos contre-attitudes ne soient pas agies mais élaborées, et que la place que le patient nous assigne dans la relation thérapeutique, dès la première rencontre, soit perçue, et non directement utilisée. Elle ne doit pas être mise en acte non plus pour le conseiller hâtivement (parfois même dans des registres qui ne sont pas de notre compétence…). Ni d’ailleurs pour prétendre le réconforter systématiquement. Cette dernière attitude, hormis des cas d’urgence où une régression peut s’avérer nécessaire à la sédation de l’angoisse, consiste trop souvent à s’inscrire dans la répétition d’une dépendance à l’égard d’une imago parentale que le patient projette sur le soignant. Le sempiternel « Je suis là pour vous aider » est beaucoup trop vague et en fin de compte une sorte d’introduction tout aussi lénifiante que mensongère : le professionnel du soin est là (et payé) pour soigner les troubles dont souffrent les patients, prévenir leur survenue, leur aggravation et leurs complications. Pour les « aider à aller mieux », peut-être, mais pas pour les « aider » en général.
21Prendre conscience de nos contre-attitudes renvoie aux bons vieux principes de l’analyse du transfert et de la conscience du contre-transfert, premières conditions à la mise en place d’un cadre psychothérapeutique digne de ce nom. Il est vrai que cette condition est fréquemment mise à rude épreuve chez les soignants exerçant en milieu pénitentiaire, où ils reçoivent maintes demandes des détenus dans un registre d’immédiateté, de détresse et d’urgence sans cesse réitérée.
22D’autres écueils de la thérapie en prison concernent nos contre-attitudes à l’égard de l’acte commis. Ce phénomène peut être encore plus marqué à l’égard des auteurs de crimes atroces ou des auteurs d’infractions sexuelles, notamment sur mineurs.
« Travailler en milieu carcéral nous impose, peut-être plus qu’ailleurs, la recherche de la bonne distance, une réflexion constante à l’égard des motions de fascination-répulsion, générées tant par nos interlocuteurs-patients que par l’institution [6]. »
24En effet, si l’acte commis nous inspire parfois horreur, répulsion – voire fascination –, ces contre-attitudes ne doivent pas, elles non plus, être agies dans notre relation avec les patients : il n’appartient pas au soignant de juger ou de prendre parti, et même le plus monstrueux des crimes ne peut être commis que par un être humain qui a le droit, comme quiconque, d’être soigné s’il en a besoin et rencontré en tant que patient par un professionnel du soin. L’approche thérapeutique n’est pas censée être a priori centrée ou conditionnée par l’acte, même si l’acte peut constituer au départ un pivot de réflexion. Citons Charles Benqué [7] : « Autant il n’est pas question de dénier l’acte délictueux, pas même de le méconnaître, autant il serait anti-thérapeutique (et pourtant parfois si tentant) de le mettre en exergue à toute relation. »
25Enfin, pas plus que l’objet de la psychiatrie en général n’est un objectif de normalisation, l’objet de la psychiatrie en prison ne saurait être la prévention de la récidive. Il peut être espéré que cet effet soit une conséquence des soins, notamment des approches psychothérapeutiques à visée d’élaboration. La psychanalyse n’œuvre pas dans le sens d’infléchir la conduite des patients mais de leur permettre une plus grande ouverture de choix à travers la prise de conscience des enjeux psychoaffectifs de leurs actes. Rappelons à ce propos une réflexion que fit Georges Daumézon [8], illustre pionnier de la psychiatrie de secteur, justement sur le traitement psychiatrique d’auteurs d’infractions : « Obtenir que le patient soit le plus au clair possible avec ses déterminations doit être notre seul objectif. Et ne pas tenter pour autant d’infléchir sa conduite dans un sens ou un autre. À lui seul de choisir, c’est alors que se posera pour le sujet lui-même le problème de sa responsabilité, de la façon qu’il entend d’assumer ses actes. »
Conclusion
26Bien que le cadre carcéral ait longtemps été considéré comme incompatible avec la psychothérapie, nombre de précurseurs, lors des dernières décennies, ont démontré qu’elle était possible et surtout souhaitable. Il est même paradoxal d’observer que l’incarcération peut être un moment propice à l’amorce d’une thérapie. Cela ne concerne bien entendu pas tous les détenus. Selon leurs personnalités, certains étaient déjà accessibles à une thérapie avant leur incarcération, ou étaient déjà suivis. D’autres demeurent en détention ou ailleurs dans un fonctionnement psychique laissant peu de place à une élaboration mentale du sens de leurs actes. Pour ceux chez qui le traumatisme de l’acte, de la confrontation à la loi pénale ou de la mise sous écrou, ou simplement la rencontre d’un thérapeute à l’occasion de l’incarcération, a une chance de rendre possible une démarche de remise en question d’eux-mêmes, saisir l’opportunité de ce moment importe.
27Favoriser l’amorce de ce processus suppose une organisation adéquate de l’offre de soins, avec par exemple une rencontre systématique des arrivants, la présence de thérapeutes formés (hélas très inégalitaire selon les établissements), et la mise en place de méthodes adaptées. Le contexte de la prison et les personnalités des personnes détenues amènent à devoir mettre en œuvre des outils novateurs, avec notamment des techniques de médiation et/ou de groupe. Ce type d’approche doit garantir une rigueur du cadre et des principes, malgré les aménagements réclamés par les personnalités concernées, les contraintes du cadre carcéral et les incertitudes temporelles. Concevoir des méthodes thérapeutiques créatives, aménager notre savoir-faire en fonction du milieu carcéral et des personnes que l’on y rencontre en veillant rigoureusement à la prise de conscience de nos contre-attitudes, au respect des assises théoriques et de l’éthique, fondent l’intérêt et la légitimité de l’exercice de la psychothérapie en milieu pénitentiaire.
Notes
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[1]
F. Descarpentries, A. Fani, Les psychothérapies en prison, Paris, L’Harmattan, 2013.
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[2]
M. Gayda, « L’exercice de la médecine en milieu pénitentiaire », Actualités psychiatriques, 3, 1983, p. 54-59.
-
[3]
P. Hivert, « Le comportement et la prise en charge des psychopathes en milieu carcéral », Confrontations psychiatriques, 18, 1980, p. 141-174.
-
[4]
D. Sicard, « La question éthique et les fondements de l’exercice en milieu carcéral », dans L. Michel, B. Brahmy et coll., Guide de la pratique psychiatrique en milieu pénitentiaire, Paris, Heures de France, 2005, p. 69.
-
[5]
C. Balier, « Pathologie en milieu carcéral : repères théorico-cliniques », L’évolution psychiatrique, 58, 1, 1993, p. 77-82.
-
[6]
C. Legendre, A. Maurion, « Milieu carcéral et espace thérapeutique », L’évolution psychiatrique, 58, 1, 1983, p. 83-92.
-
[7]
Ibid.
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[8]
G. Daumézon, « Responsabilité et discernement », Confrontations psychiatriques, 18, 1980, p. 99-116.