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Article de revue

Quelques repères chronologiques (et subjectifs) sur les représentations et pratiques sexuelles à l'époque contemporaine

Pages 64 à 66

Note

  • [1]
    Voir Jean-Marc Antoine, « Une histoire des lieux de vie », vst, n° 108, décembre 2010.

En 1960

1Les femmes appartiennent au deuxième sexe, même si dans un ouvrage qui porte ce titre, Simone de Beauvoir leur a appris – bien avant qu’il ne soit question de genre – que « on ne naît pas femme, on le devient » !

2Elles sont censées arriver vierges au mariage, et doivent demander l’autorisation de leur mari pour ouvrir un compte en banque et avoir un carnet de chèques.

3Non mariées à 25 ans, elles deviennent des vieilles filles.

4Mères et célibataires, ce sont des « filles-mères », statut peu enviable.

5La méthode de contraception, c’est la capote anglaise, puis la méthode Ogino (identification de la période de fertilité par les changements de la température corporelle) qui est à l’origine de beaucoup d’enfants. Le coït interrompu est également préconisé, et reste aujourd’hui parmi les pratiques illusoires.

6L’avortement est un délit et punissable de prison.

7Les hommes, eux aussi très brimés sexuellement, peuvent toutefois avoir accès aux prostituées.

8La masturbation est encore taboue.

9Les œuvres à caractère pornographique sont interdites. Auteurs et éditeurs encourent des peines sévères. La censure va bon train. Pour voir un film « porno », il faut aller à Amsterdam, où l’on peut aussi voir les prostituées dans des vitrines !

De 1970 à 1980

10Le couvercle a sauté : en 1968, il est devenu « interdit d’interdire », et une période de « plein emploi sexuel » commence.

11Les luttes pour le droit à la contraception et à l’avortement se multiplient : les « 343 salopes » (1971) menées par Simone de Beauvoir et bien d’autres défilent fin 1972 à Bobigny pour soutenir Gisèle Halimi qui plaide pour une adolescente accusée d’avortement.

12Après de longs débats, la loi Veil autorisant l’avortement est votée en 1975.

13Les féministes s’organisent, défilent dans les rues et proclament « mon corps est à moi » et « un enfant si je veux, quand je veux ». Les homosexuels aussi manifestent pour réclamer le droit à la différence et la fin des persécutions.

14La revue Recherche publie en 1973 un numéro intitulé « Trois milliards de pervers » qui aborde sans complexe des sujets aussi sulfureux que l’amour avec les Arabes, la drague dans les pissotières, l’apologie de la pédérastie, toutes les formes d’homosexualité. Ce numéro est signé, entre autres, par Jean Genet, Michel Foucault, Gilles Deleuze, Jean-Paul Sartre.

15Tony Duvert, défenseur du droit des enfants et des adolescents à faire l’amour avec des adultes, remporte le prix Médicis en 1973 avec Paysage de fantaisie, notamment grâce au soutien de Roland Barthes.

16La vie en communautés, en ville ou à la campagne, prend de l’ampleur ; la critique de la famille comme lieu de l’aliénation se développe. Voir, par exemple, La mort de la famille de Cooper (publié en France en 1972) et l’Anti-Œdipe de Deleuze et Guattari (1972).

17Les secteurs du travail social et de la psychiatrie ne sont pas indifférents à ces idées de libération sexuelle : dans les centres de formation et les équipes circulent des revues qui défendent le droit à la sexualité des adolescents accueillis dans des foyers, des handicapés et des patients psychiatrisés. Ces sujets deviennent sujets de débats et certains osent plus que d’autres des pratiques qui mettent en question les tabous profondément ancrés dans les lieux clos du social et du soin. En témoigne par exemple le film L’amour handicapé (Suisse, 1981), montrant la relation amoureuse d’une jeune femme handicapée physique et d’un éducateur. Parallèlement, toute une série de scandales sur des sévices (enfermements, coups) subis par les personnes accueillies dans certaines institutions éclatent dans la presse. On se souvient aussi du scandale du lieu de vie Le Coral, dont le directeur, Claude Sigala, est accusé de pédophilie (puis acquitté), soutenu par les uns, conspué par les autres [1].

Et maintenant ?

18Côté homosexuel, la période des pratiques sexuelles « libérées » est tempérée par les morts du sida du début des années 1980, la découverte du vih et des premiers traitements, alors très lourds et souvent inefficaces. Les revendications des homosexuels ont aujourd’hui radicalement changé de tonalité : ce n’est plus la différence qui est mise en avant, mais la conformité au modèle de la famille et l’accès (« le droit ») à la parentalité.

19La flamme féministe brûle moins fort sur la place publique et devient plus universitaire. Il est devenu scandaleux de défendre le droit des enfants à la sexualité, surtout pratiquée avec des adultes ! On voit au contraire fleurir des interdictions de gestes tendres en direction des enfants et des recommandations de distance, sous peine de procès. Ces interdits créent un certain malaise chez les professionnels.

20La censure a disparu, la littérature à caractère érotique a le vent en poupe et la pornographie est accessible sur Internet.

21La crise économique et le chômage font remonter la cote des familles, lieux refuges pour les jeunes étudiants et les chômeurs. Le « mariage pour tous » crée une onde de choc en retour, et l’on voit défiler les familles qui battent le pavé pour défendre les valeurs traditionnelles.

22Le débat sur le genre, proposé au sein de l’Éducation nationale par le ministre Vincent Peillon, suscite une considérable levée de boucliers. Comme quoi, on n’a toujours pas le droit de dire qu’on ne naît pas femme mais qu’on le devient !

23Dans les établissements d’accueil, la mixité ne va pas toujours de soi. Si l’on escamote moins des sujets comme l’accès à la contraception, le droit à l’information sur la sexualité et l’avortement, les pratiques restent timides et l’on débat encore dans les foyers accueillant des adultes sur leur droit à accueillir la nuit dans leur chambre leurs partenaires. Les couples sont souvent invités « à faire ça ailleurs ».

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Note

  • [1]
    Voir Jean-Marc Antoine, « Une histoire des lieux de vie », vst, n° 108, décembre 2010.
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