1Les domaines et les acteurs de la politique sociale en Italie sont de quatre types : les acteurs de la sphère politique, les acteurs de la sphère du marché, ceux du troisième secteur (monde associatif et coopératif), les familles et les réseaux informels. En Italie, où l’État n’a pas une très forte tradition centralisatrice, la fin de la Seconde Guerre mondiale a vu se structurer les relations entre le système public, le système privé et le « troisième secteur ».
2Le système public a gardé pour lui certaines fonctions, mais il a ouvert au marché la gestion de beaucoup de services sociaux et éducatifs. Il y a une co-présence des structures publiques et privées, elles-mêmes parfois financées par l’État. L’école, par exemple, est publique, mais les écoles privées sont également soutenues financièrement par les institutions publiques malgré la Constitution. Les hôpitaux sont à la charge de l’État, qui finance aussi de nombreux hôpitaux privés. L’Église catholique joue un rôle très important dans cette dynamique, ainsi que le poids historique du Parti communiste (aujourd’hui Parti démocratique).
3L’État, en matière de politiques sociales et de gestion des services sociaux pour les citoyens, a établi un système de contrat, de convention, avec le « troisième secteur » et le secteur dit « no profit », tout en développant un dispositif d’achat de « biens et services » au système privé proprement dit.
Le « troisième secteur »
4Le troisième secteur est constitué des coopératives sociales, des fondations, des associations, des organismes religieux, des associations de volontariat. Le concept de troisième secteur n’a pas de valeur juridique. C’est une façon de définir des éléments de la société civile qui appartiennent en partie au marché et en partie à l’État. Les structures qui en font partie présentent des caractéristiques communes : elles sont officiellement constituées par des statuts, sont de droit privé, autonomes, ont une structure de gestion démocratique, ne distribuent pas de bénéfices mais les réinvestissent ; leur objet contribue au bien-être collectif et elles comprennent des bénévoles :
- les coopératives sociales sont des entreprises qui produisent des services de santé, socio-sanitaires et éducatifs, ou qui emploient des « personnes défavorisées » ;
- les fondations, comme en France, sont des personnes morales dont le but est d’utiliser un patrimoine pour un usage particulier ;
- les associations sont des organisations ou groupes privés qui poursuivent un objectif commun (idéalités, valeur…) différent d’une activité « économique ». Elles sont divisées en associations agréées (financées) et associations non agréées ;
- les organismes religieux ont leur origine dans les structures et les règles de l’Église catholique. Sous certaines conditions, ils peuvent agir dans le cadre de l’action publique.
Un partage des compétences État-Régions
5Les règles du système des services sociaux sont définies au niveau national et par les Régions, les autorités locales ayant la responsabilité des décisions opérationnelles dans le domaine des services sociaux et de la Communauté. La constitution italienne stipule que :
- il y a des domaines de la politique publique dans lesquels il est de la compétence exclusive de l’État d’agir (la monnaie, les affaires étrangères, l’immigration, la défense, l’ordre public, la citoyenneté…) ;
- il existe une liste de compétences dans lesquelles les Régions ont le pouvoir législatif en même temps que l’État (la sécurité sociale, la sécurité d’emploi, la protection civile) ;
- pour toutes les questions non couvertes par les deux listes précédentes, il y a une compétence législative exclusive des Régions.
La loi du 8 novembre 2000, partage des responsabilités
6La « loi-cadre pour la mise en œuvre du système intégré d’interventions et de services sociaux » encadre les mécanismes de fonctionnement et de financement des politiques sociales. Son but est de promouvoir les interventions sociales, la santé, l’éducation et l’approche socio-médicale des personnes et des familles dans le besoin. Ses objectifs sont la qualité de vie, la prévention, la réduction et l’élimination de l’invalidité et de la détresse.
7De nombreux services sont fournis, il serait trop long de les énumérer tous. Il suffit de rappeler que la loi traite des interventions responsables allant de la maternité jusqu’aux actions pour prévenir la délinquance juvénile, du soutien aux familles aux communautés pour personnes handicapées, du soutien aux familles récemment immigrées aux soins à domicile pour les personnes âgées et non autonomes. Cet ensemble complexe est financé par le Fonds national pour les politiques sociales (fnps), dont le volume est établi annuellement dans la définition de la loi de finance, puis réparti entre les vingt régions italiennes. Les différents niveaux institutionnels, avec la participation du troisième secteur, assurent la planification des interventions et des ressources.
8L’État est responsable : de l’établissement d’un plan social national indiquant des niveaux essentiels uniformes de performance ; de la fixation des normes structurelles des foyers et des communautés des services d’hébergement ; de l’établissement des profils des professionnels et de leur formation dans le domaine social, ainsi que de l’attribution des ressources du fnps et du contrôle des mises en œuvre.
9Les Régions doivent : planifier et coordonner les interventions sociales ; pousser à une intégration des interventions de santé, sociales, de formation et de placement ; établir des critères d’accréditation et superviser les installations publiques et privées ; établir un registre des organismes autorisés pour exercer les fonctions prévues par la législation ; fixer les normes de qualité et de performance ; déterminer les niveaux de partage des coûts par les utilisateurs, planifier et financer la formation des opérateurs.
10Les municipalités sont chargées de la détermination des paramètres pour l’évaluation des conditions d’accès aux services, de l’accréditation et de la surveillance des services sociaux, résidentiels et semi-résidentiels publics et privés, de la garantie du droit des citoyens à participer au contrôle de la qualité de service. Elles sont les organes administratifs qui gèrent et coordonnent les efforts pour parvenir au « système local de réseau de services sociaux », qui devrait conduire à coopérer avec les fournisseurs de soins de santé d’autres autorités locales, les citoyens et les associations du troisième secteur. Dans la pratique, les maires, réunis en Conférence des maires, doivent préparer des plans de zone portant sur les actions, les objectifs et les priorités d’action des municipalités, en plus de la charte des services qui définit les offres sociales disponibles et leurs conditions d’accès. La Région, une fois mis en place le plan de zone, vérifie sa compatibilité avec les objectifs énoncés, contrôle qu’il soit soutenable sur le plan financier, puis en assure le financement avec le fnps et d’autres fonds disponibles.
11Ce décalage entre ceux qui détiennent les ressources financières (l’État), ceux qui décident (Régions), ceux qui administrent (municipalités) et ceux qui agissent sur le territoire (troisième secteur) favorise un développement de la bureaucratie et des fonctionnements de dépendance tutélaire ; il alimente une forte décharge des responsabilités entre les différents niveaux lorsque le mécanisme est bloqué, comme actuellement avec les effets de la crise économique.
Le principe de subsidiarité
12Introduit par une réforme de la Constitution, le principe de subsidiarité peut se résumer en : « tout le public n’est pas l’État ». Par la subsidiarité verticale, le gouvernement central, dans le but de renforcer l’autonomie locale (mais aussi pour consacrer son désengagement), fixe la répartition des responsabilités vers des institutions plus proches des citoyens (régions, provinces, villes métropolitaines, municipalités). Par la subsidiarité horizontale, les citoyens et les « formations sociales intermédiaires » (troisième secteur) sont impliqués dans la définition et la production des interventions prévues.
13En fait, l’administration publique maintient la coordination, le contrôle et garantit les niveaux minimum, tandis que les services sont fournis par des fonds publics spécifiques au moyen d’appels d’offres destinés aux acteurs privés. Il convient de noter également que, en lien avec les principes du fédéralisme fiscal, le capital privé est en effet invité à trouver des financements sur le marché, ceci permettant de réduire les dépenses publiques.
La situation actuelle
14La situation actuelle est caractérisée par une réduction très importante de l’engagement public. Beaucoup de services sociaux et éducatifs ne sont plus couverts ou sont soumis à des fortes coupes dans les ressources (humaines et financières). Les collectivités locales reçoivent moins d’aides de l’État et se tournent alors vers des fonds privés, par exemple en concédant la gestion de services à des organismes privés pouvant avoir des buts lucratifs.
15C’est alors de plus en plus aux utilisateurs, les familles en premier lieu, d’acheter directement des services sociaux et éducatifs. Un marché privé très fragmenté, qui touche tous les aspects de la vie sociale, est donc en train de se développer, avec pour l’État de plus en plus de difficultés, malgré le système actuel d’accréditation, à tout contrôler. En outre, la situation dans le sud de l’Italie est, en termes de services publics, beaucoup moins développée que dans le Nord.
16Depuis le début de la crise, l’Église catholique a su préserver ses privilèges (ne pas payer d’impôts, bénéficier d’un financement spécial) et les consolider – notamment avec un nouveau pape très médiatique ; elle prend peu à peu le rôle d’une structure qui compense les difficultés de l’État, ayant des frais de gestion beaucoup plus bas que ceux des coopératives et des associations. Et les institutions publiques comme les citoyens sont de plus en plus facilement enclins à reconnaître ce rôle à l’Église plutôt qu’aux associations laïques en difficulté – à la fois difficulté de reconnaissance réelle et difficultés économiques du fait de la dépendance des appels d’offres et des très longs délais de paiement par l’État.
Les coopératives sociales en Italie
Des données pour comprendre le phénomène
Entre 2001 et 2012, le nombre de coopératives est passé de 70 029 à 80 533. Elles sont réparties dans tout le pays, avec une plus grande présence dans le Nord et le Centre. Au cours de la dernière décennie, malgré la crise, le mouvement coopératif a fait ses preuves comme étant un environnement très dynamique. Dans une phase de contraction de l’emploi dans le secteur public, le nombre de salariés a augmenté dans le mouvement coopératif. Ainsi les travailleurs du secteur public ont diminué de 11,5 %, alors que ceux du mouvement coopératif ont augmenté de 20,2 %. Le mouvement coopératif représente aujourd’hui 8 % du pib italien.
Le monde de la coopération est divisé en secteurs et coordonné par des associations de référence. Les ceméa du Piémont, par exemple, font partie de la Lega Coop – membre de l’Alliance des coopératives italiennes, une association laïque et d’orientation de centre gauche –, qui est un réseau de 42 000 entreprises associées, avec 12 millions de membres et 1 200 employés, un chiffre d’affaires de 140 milliards d’euros, dont 8 milliards en exportations. Cette alliance regroupe 52 % des coopératives existantes en Italie.
Parmi ces coopératives, les coopératives sociales offrent des services dans les secteurs de la santé, de l’action sociale, de la culture et des loisirs à 7 millions de personnes. Entre 2008 et 2012, 5 471 entreprises sont devenues membres de l’Alliance coopérative ; 35,1 % sont des coopératives sociales centrées sur la santé et le social.
Des difficultés liées à la crise
Les coopératives sociales, strictement reliées aux contrats des organismes publics, vivent un moment de crise. Mais leur nature solidaire leur donne des outils pour la défense de l’emploi, même si le problème principal reste de ne pas masquer derrière le paravent de la militance des véritables actions d’exploitation des travailleurs, en les obligeant à des conditions de travail très difficiles. Les coupes budgétaires et les changements des priorités des organismes publics pèsent sur les coopératives sociales, ainsi que les difficultés du crédit qui limitent l’action entrepreneuriale et innovante.
STEFANO VITALE
Direction fit ceméa, Italie.
La loi 381-91 donne deux missions aux coopératives sociales qui « visent à poursuivre l’intérêt général de la Communauté pour promouvoir les droits et l’intégration sociale des citoyens à travers : a) la gestion de la santé et des services sociaux et de l’éducation ; b) l’exécution des différentes activités – agricole, commerciale, industrielle et de services – visant à fournir de l’emploi pour les personnes défavorisées ».
Les coopératives se distinguent donc en deux types : celles de type A, qui assurent la fourniture de services de protection sociale, sociaux, sanitaires et éducatifs, directement ou par la conclusion d’accords avec les autorités locales ; et celles de type B, qui peuvent agir en dehors du champ social, sanitaire et éducatif, mais qui doivent employer au moins 30 % de salariés défavorisés (personnes handicapées, patients des hôpitaux psychiatriques, condamnés à des peines alternatives…).