Notes
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[1]
J. Rouzel, Le travail d’éducateur spécialisé : éthique et pratique, Paris, Dunod, 2000, p. 48.
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[2]
L. Cambon, « Les mots du quotidien des éducateurs spécialisés : une question d’identité », Les Cahiers de l’Actif, n° 386-387, 2008, p. 41–51.
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[3]
P. Chavaroche, « Aide-médico-psychologique : quelles fonctions, quelle formation », cesap Information, n° 33, 1999, p. 29–40.
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[4]
J.-L. Fouchard, « Le soin entre acte et parole », Les Cahiers de l’Actif, n° 310-311, 2002, p.193–200.
- [5]
1Vst publie depuis le n° 116 ces brèves réflexions d’une chef de service en internat médico-éducatif. Après les fonctions de chef de service et de cadre, après les activités, voici un centrage sur certains de ceux qui interviennent dans l’établissement. Tous les métiers, toutes les fonctions ne sont pas abordés ici. Juste quelques flashs qui montrent des personnes, chacun pourra s’y reconnaître.
Éducateur spécialisé
2Dans cette vie quotidienne qui se déroule entre toilettes et soins du corps, repas, sorties, projets, quel peut être le rôle de l’éducateur spécialisé [1] ? A-t-il sa place dans la vie au jour le jour, passant des heures glorieuses aux heures sans gloire, mais où les progrès et la vision de l’avenir sont essentiels ? Car c’est par là que passe l’autonomie, qui permet à un adolescent d’utiliser des codes pour communiquer ses envies et ses désirs en sachant qu’il sera compris. Celle qui permet à une équipe de savoir qu’elle travaille dans le bon sens, et que les progrès ou les changements ne sont pas un rêve ni un hasard.
3Est-ce qu’il faut un diplôme particulier pour pouvoir envisager l’autre de manière dynamique et vivante ? Peut-on préciser cette manière ? Est-ce qu’il faut un certain niveau d’études ? C’est la question. Est-ce que la formation d’éducateur spécialisé prépare les futurs acteurs à prendre soin de l’autre au sens physique du terme ? Que pensent-ils vraiment du quotidien, ces professionnels ? Qu’il est trop quotidien ?
4Ceux qui questionnent la présence des éducateurs spécialisés avec des personnes polyhandicapées pensent qu’ils n’ont pas leur place, laissant aux amp (Aides médico-psychologiques) et aux aides-soignants le soin du quotidien. Ceux-là pensent que les éducateurs spécialisés n’ont leur place que comme ordonnateurs de ce quotidien, puisque aussi bien ils sont, de toute l’équipe, ceux qui ont étudié le plus longtemps, et qui ont amassé le savoir le plus ample. Ceux-là positionnent leurs éducateurs spécialisés au-dessus du quotidien. En d’autres termes, leurs éducateurs ne tissent pas cette relation rapprochée au jeune, celle qui permet à la fois de lui faire la toilette, de sortir avec lui, et de lui demander de marcher. Faut-il saucissonner la vie des personnes polyhandicapées ? Ne l’est-elle pas assez ? Vu ainsi, l’éducateur spécialisé devient une sorte de Superman, organisateur à qui toute l’équipe de « sachant moins » doit obéir, et parmi eux les amp et les aides-soignants.
5Il me semble au contraire que l’éducateur spécialisé a toute sa place dans ce travail au quotidien, justement parce qu’ayant une hauteur de vue [2] il peut partir de la connaissance la plus basique pour développer une idée ou une autre que ses collègues ayant moins appris que lui n’avaient jusqu’alors pas envisagée. Je pense que la relation avec une personne polyhandicapée ne peut pas se passer du corps : c’est par le toucher, fréquemment, que la personne polyhandicapée se repère. Comment peut-on imaginer bâtir un projet pour quelqu’un qu’on ne connaît pas et qui ne vous connaît pas ?
6Chef de service éducatif, j’attends de l’éducateur spécialisé qu’il puisse prendre en charge un jeune dans tout son quotidien. Il est apte à donner du sens à ce qu’il fait, à la relation qu’il bâtit, et tout ce qu’il a appris est irremplaçable. Il peut voir l’individu dans une dynamique qui sait sortir toute l’équipe de l’habitude et du train-train quotidien. Il peut voir les choses et les gens, il peut voir leur évolution, et mettre en place une véritable pédagogie du quotidien qui serve de marchepied à tous. Mais pour cela, il faut avoir des idées, penser les choses et les interventions, se rappeler qu’on n’existe pas que dans les temps de bien-être et de plaisir, mais d’abord dans les heures qui sont beaucoup moins agréables. Et que c’est dans ces moments-là qu’il importe d’élaborer des plans pour favoriser l’évolution. Un jeune aura beau savoir appeler l’ascenseur et avoir appris où il faut appuyer pour aller voir tel copain ou tel autre, s’il ne sait pas comment se servir tout seul au repas, on n’a pas vraiment fait ce qu’on avait à faire.
7Alors, a-t-on besoin des éducateurs spécialisés sur ce front-là ? Bien sûr. On en a besoin sur tous les fronts. Il est clair que leur positionnement dans une équipe doit être pensé dans ses fondamentaux.
8La relation à la personne polyhandicapée passe par la peau, par le toucher, le respect de la dignité qu’on doit avoir pour l’autre dans tous les instants de la vie quotidienne. Comment envisager une relation à l’autre sans ce pan de quotidien ? D’autant que l’apprentissage de l’autonomie part exactement de là. Comment l’éducateur spécialisé saurait-il ce qu’il faut faire, quel doit être le prochain pas, s’il ne connaît pas lui-même le jeune auquel il s’adresse ? S’il n’a pas lui-même cet accès direct à l’autre comme à quelqu’un d’unique, ayant son histoire, son caractère, ses désirs, ses peurs, qui doit lui permettre de mieux le connaître ? Ce travail au quotidien a une autre dimension : la capacité à créer une dynamique au sein de l’équipe elle-même. C’est-à-dire qu’à partir de sa connaissance, de son savoir et de ce qu’il pense devoir être fait, l’éducateur spécialisé a la capacité de demander et de rendre des comptes à l’équipe ; il a la capacité de créer des partenariats internes et externes, de prévoir, de mettre en perspective le travail accompli. Il a une capacité de synthèse et de compréhension du quotidien. Qui peut faire mieux que celui qui parle du centre même des choses, c’est-à-dire du quotidien ?
9Dans une telle configuration, le chef de service éducatif se doit de l’épauler, de réfléchir avec lui, de le soutenir dans ses recherches de cohérence, et d’articuler l’individuel et le collectif. Par sa présence, il signifie l’adhésion de l’institution aux projets d’éducation. Par son soutien, il permet à l’éducateur de pousser sa démarche plus loin, et il reconnaît sa double valeur et son importance, à la fois sur le terrain du quotidien et sur celui des projets de l’individu et du groupe.
Aide médico-psychologique
10L’aide médico-psychologique, l’amp, est le professionnel de la prise en charge rapprochée [3]. C’est lui qui a accès à l’intimité de la personne, quels que soient son âge et sa condition. On lui apprend à tisser un lien avec une personne dépendante, à prendre en charge son cadre de vie, à respecter son intimité. L’amp est, de tous les professionnels du secteur médico-social, celui qui le plus accès à l’autre, et celui qui a le moins d’éléments théoriques pour affronter cette situation. Comme si on avait décidé que lorsqu’on est chargé du quotidien et de ses méandres, on n’a besoin ni de penser ni de lire puisqu’on fait.
11Ma première rencontre avec les amp remonte à une époque où, jeune professionnelle, je travaillais avec des infirmes moteurs cérébraux. Je n’avais pas alors d’idée précise sur leur rôle. Pour moi, ils faisaient partie de l’équipe éducative et n’étaient assignés à aucune tâche en particulier. Chef de service éducatif, j’ai soutenu une amp et une aide-soignante quand elles ont souhaité mettre en place un projet éducatif. C’est plus tard que j’ai réalisé tout le cran qu’il a fallu à ces deux jeunes professionnelles pour proposer et porter ce projet.
12Souvent, effectivement, on voit des institutions dans lesquelles les amp ne s’occupent que de tout ce qui touche au corps, comme si pour faire cela, il n’était besoin ni de penser ni de savoir. C’est très exactement à ce point que mon avis diverge. Justement parce que l’amp est en contact direct avec l’autre et parce c’est ce langage-là que la personne polyhandicapée comprend avant tout, il n’est pas pensable de dire que tout ce qui touche au corps ne sera l’apanage que d’une profession. Les professions éducatives, lorsqu’elles s’adressent aux personnes polyhandicapées, ne peuvent pas s’envisager sans la relation à l’autre et au corps de l’autre. Dire que seule l’amp s’occupera du corps dans le quotidien, c’est priver toutes les professions éducatives de la relation fondamentale à la personne polyhandicapée. Mais ce n’est pas tout : sur le terrain, on se rend compte que cette relation au corps n’est pas valorisée : à l’endroit où l’accompagnement du corps ne devrait être qu’une partie de la prise en charge éducative, elle s’arrête là. C’est une perte terrible. En effet, les amp sont essentiels : ayant appris à être proches des personnes qu’ils prennent en charge, ils en ont une connaissance profonde et intuitive [4]. S’ils ne savent pas mettre au point des méthodes de travail pour développer tel ou tel aspect chez le jeune, en revanche ils voient tout à fait ce qui se passe, et comment cela se passe. Ils sont tout à fait en mesure d’apporter leur pierre à la construction éducative. J’irai même plus loin : sans leur regard, leur savoir-faire et leur savoir approcher l’autre, il ne peut y avoir de travail éducatif avec des personnes polyhandicapées.
13Comment un professionnel peut-il dire ou penser d’un autre professionnel qu’il s’occupera du corps et de sa prise en charge, alors que lui, ayant plus étudié et gagnant mieux sa vie, peut enfin ne pas s’occuper du corps et de toutes ses productions ? On dévalorise d’emblée ce qui passe par le corps. Pourtant, le polyhandicap passe par le corps et les sensations de la personne polyhandicapée passent elles aussi par le corps, que ce soit dans la douleur ou dans le bien-être. Comment décrire le rire qui traverse Patricia quand elle entend l’équipe éducative expliquer au nouvel arrivant ce qu’est le travail avec ce groupe-là ? On pourra me rétorquer que ce rire n’était qu’un hasard. Mais un hasard qui se reproduit ? Ce rire est le produit d’un travail au quotidien : le corps de Patricia, qui ne parle pas, est son seul vecteur de communication, de plaisir et de déplaisir. Et voyez comme elle réagit au fait que son corps a été intégré à la vie quotidienne. Il n’y a rien de sale dans son corps. Il y a la vie et voilà tout. Dès lors, l’amp, avec tous ses potentiels créatifs, doit avoir accès de plain-pied à la vie éducative. Elle doit pouvoir prendre en charge, proposer, dire ses réflexions, discuter : elle a une finesse de regard, une justesse de ton et une connaissance profonde du quotidien tel qu’en lui-même. À rejeter ces compétences pour les enfermer dans la salle de bains et les toilettes, on perd toute l’intuition, le savoir-faire, l’intelligence de professionnels qui souvent en débordent.
14Le corps de la personne polyhandicapée est un corps morcelé, lieu de souffrance qui peut aussi être un lieu de plaisir et de joie. Confier cet élément essentiel de l’être à une profession qui par ailleurs est dévalorisée, c’est le morceler un peu plus. En faisant le mouvement inverse, c’est-à-dire en intégrant cette profession aux professions éducatives, en lui donnant ses lettres de noblesse, l’accès à l’intimité, et surtout en lui donnant la parole, on crée un trait d’union entre l’accès au corps, à l’intimité, et à tous les potentiels éducatifs que recèle le quotidien.
Médecin
15Le médecin, vis-à-vis de l’équipe éducative, porte bien des contradictions. Pour certains, il est celui par qui viendra le soulagement des jeunes qui ont mal. Pour d’autres, il est la solution à toute agitation, qui de ce fait perd son pouvoir d’expression. En effet, un jeune qui s’agite peut essayer d’exprimer quelque chose, tout comme il peut présenter le symptôme d’une maladie galopante qui le traverse. Et peut-être même les deux. Pour d’autres encore, il représente la seule façon possible d’agir sur des personnes qui sont difficilement compréhensibles. La maladie ayant parfois une définition si claire, certains médecins pensent qu’en agissant sur telle liaison chimique, sur telle région du cerveau, on peut modifier le comportement, et que le symptôme disparaîtra. Alors, tout ira mieux.
16Dans une équipe éducative, il faut avant tout croire à l’éducation, c’est-à-dire à cette capacité qu’ont certaines personnes d’en entraîner d’autres d’un point à un autre – dans la mesure où ceux qui sont entraînés acceptent de suivre. Pourtant, la tentation peut être grande de ne compter que sur la chimie pour modifier les comportements, même si la règle d’or devrait être qu’éducation et chimie fassent bon ménage.
17Médecin dans un institut médico-éducatif, on passe plusieurs fois par semaine. On s’en réfère aux infirmières, et si on est intelligent, on écoute ce que disent les équipes éducatives. Si on l’est moins, on n’écoute que les infirmières. Si on ne l’est pas du tout, on préfèrera passer une fois que tout le monde est parti, s’occuper des seuls corps malades, rédiger des ordonnances en fonction de la demande des parents, aller vite fait ausculter tel jeune pour voir s’il est bien malade (même s’il est déjà couché, même s’il dort déjà), et on repartira vers des lendemains qui chantent.
18Être médecin dans un institut pour jeunes polyhandicapés, ce n’est pas une sinécure. J’en ai connu de deux sortes. Les premiers disaient : « laissons faire la nature ». Et là, j’ai découvert que la nature, quand elle commence bien, elle continue bien. Et quand elle commence mal, elle continue mal. Un adolescent qui se tient droit pourra faire du sport, courir, faire du vélo, aller explorer chez ses voisins, faire son marché. Un adolescent qui se tient se travers, si on ne fait rien, continuera à se tenir de travers, et se tordra de plus en plus. Un adolescent qui met ses mains à la bouche, ce peut être à cause du syndrome qui l’a frappé. Ce peut être aussi parce qu’il a mal aux dents. Et dans ce cas, celui qui laissera faire la nature ne soulagera pas la personne qui a mal aux dents, puisque le destin d’une dent mal soignée est de se carier. Les seconds, qui ne laissent pas agir la nature, donnent des antidouleurs à tout va, de sorte qu’on ne sait plus où en est la douleur du jeune, si elle évolue ou si elle stagne. Si elle évolue, il faut sans doute traiter le symptôme plus sérieusement. Cependant, avec les antidouleurs, le symptôme que constitue la douleur disparaît. Et si elle stagne, il est peut-être possible de diminuer les antidouleurs ?
19Mais les choses sont plus compliquées que cela. Certains pensent qu’il faut absolument tout faire pour soulager la douleur de la personne polyhandicapée. L’ennui, c’est qu’il est difficile de savoir quand la personne polyhandicapée a mal. Ceux qui le savent le mieux, ce sont les équipes éducatives et bien évidemment les parents. Pourtant, il arrive que les parents préfèrent se boucher les yeux. Peut-être que voir son enfant qui a mal est trop pénible, quand on sait que cette douleur s’ajoute au handicap. Une équipe éducative se bouchera plus rarement les yeux. Elle sait quand le jeune a mal. Elle le voit, elle le sent, car chacun dans l’équipe sait déchiffrer les mille et une mimiques par lesquelles un jeune s’exprime et dit sa douleur.
20Ainsi, je pense au jeune Ernest. Il revint d’un séjour de l’hôpital avec un vilain abcès à la racine du coccyx. Comme il portait des couches et que la plaie était particulièrement profonde, il fallait sans cesse veiller à ce que tout soit parfaitement propre. Quand on le soignait, soit deux fois par jour, il avait mal, et l’équipe éducative en voyait tous les signes extérieurs. Il demandait un bisou avant que ne commencent les soins, il détournait la tête, il était tout pâle. L’équipe éducative a transmis ses observations au médecin, qui lui a prescrit un antalgique. C’est cette collaboration rapprochée entre l’équipe éducative et le médecin qui a permis de venir à bout de la douleur d’Ernest.
21Être médecin dans un ime est un rôle essentiel, parce que le polyhandicap est avant tout un ensemble de troubles qui nécessitent un traitement. Dans cette configuration, le chef de service éducatif doit veiller à ce que tout ce qui peut être inquiétant dans le comportement des jeunes soit signalé aux infirmiers. Il doit aussi veiller à ce que le médecin voie ceux qui lui semblent aller mal, ou ceux dont l’équipe lui dit qu’ils ne vont pas bien. Intermédiaire entre les infirmiers et les équipes éducatives, entre les médecins et ces dernières, c’est à lui d’être attentif à ce que les rouages soient parfaitement huilés, à ce que l’information circule.
Stagiaire
22Nous avons tous été stagiaire [5] pour apprendre le métier que nous exerçons. Lorsqu’on est stagiaire, on apprend, confronté à une réalité qu’on ne connaît pas encore, et cela devient de l’expérience. Stagiaire, on est un peu en marge du métier qu’on voit se dérouler devant soi, et on est en capacité de s’interroger sur ce qu’on voit, ce qu’on sent, ce qu’on perçoit. On est aussi en capacité de s’interroger sur ce qu’on fait et ce qu’on voit faire, et d’interroger les professionnels auprès de qui on apprend.
23Lorsque le centre a été ouvert depuis suffisamment longtemps, j’ai encouragé les professionnels à accepter des stagiaires. La présence d’un stagiaire est également l’équivalent d’une certaine reconnaissance. On a un stagiaire quand on est un professionnel confirmé, qu’on a quelque chose à enseigner, à montrer. C’est un potentiel de questions qui arrivent dans le quotidien du professionnel, questions qui demandent de chercher pour pouvoir trouver une réponse. Dans un stage, il n’y a pas que le stagiaire qui apprend. Le responsable de stage apprend à répondre à ses questions. Du coup, il apprend à voir autrement sa pratique. Cet autrement, la distance, est essentiel dans une pratique en général et dans les pratiques éducatives en particulier, pour ne rien dire de la pratique de chef de service éducatif.
24Un stagiaire est un témoin qui va d’abord regarder ce qu’on fait, qui va pouvoir en apprendre quelque chose. En même temps, on ne peut pas être en stage avec n’importe qui, et inversement, on ne peut pas prendre en stage n’importe qui. Il y a des chimies qui ne prennent pas, d’autres qui prennent. Prendre un stagiaire ne veut pas dire souffrir. Le jour où j’ai fait affaire avec un stagiaire et où il est arrivé, tout le monde a été bien surpris : comment ? La chef de service aussi ? Oui, ai-je répondu. La chef de service aussi. Certains ont alors souri béatement, pensant peut-être au moment où eux-mêmes chercheraient un stage durant leur formation de chef de service. Du moment où ce stagiaire arrivait, ce qui habituellement est « mon » travail devenait « son » stage, c’est-à-dire sujet à questions, réflexions, comparaisons. Et c’est-à-dire que je me retrouvais moi-même dans une sorte de stage d’un nouveau genre. Désireuse de lui faire comprendre les mécanismes des stratégies en présence, je rentrais progressivement, pour lui expliquer, dans des méandres de pensées que jusqu’ici je n’avais pas pris la peine d’explorer, par manque de temps et d’intérêt sans doute. De plus, quelle raison aurait-on de s’expliquer à soi-même pourquoi on fait les choses de cette façon et pas autrement, dès lors qu’on se fait confiance et qu’on sait qu’on a bien ressenti la situation ? Ce qu’on ignore, c’est que si on l’a sentie ainsi, c’est parce qu’on a eu un certain nombre d’indices qui se conjuguent au savoir et à l’expérience. La présence du stagiaire demande de faire apparaître ces indices, d’expliquer leur importance, de les ordonner. Et parfois de se rendre compte combien ils sont ténus. D’autres fois, de réaliser combien ils sont massifs, et alors on ne comprend pas qu’on ne les ait pas vus auparavant.
25Avec ce stagiaire – le premier, mais peut-être pas le dernier –, j’ai pris conscience de ma pratique, de tous mes trucs, de mes techniques, mes manières de faire, mes stratégies. Je porte sur mon métier un autre regard et je me rends compte qu’en prenant mieux conscience des éléments qui constituent mon travail, je peux perfectionner et surtout changer mes stratégies, développer mes savoir-faire.
26Étrange, au fond, qu’un stagiaire puisse enseigner tant de choses, sans le savoir, lui qui est là justement pour apprendre. Dois-je préciser que j’espère très sincèrement que les stagiaires qui arrivent dans les groupes font le même effet aux professionnels qui les reçoivent ?
Notes
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[1]
J. Rouzel, Le travail d’éducateur spécialisé : éthique et pratique, Paris, Dunod, 2000, p. 48.
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[2]
L. Cambon, « Les mots du quotidien des éducateurs spécialisés : une question d’identité », Les Cahiers de l’Actif, n° 386-387, 2008, p. 41–51.
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[3]
P. Chavaroche, « Aide-médico-psychologique : quelles fonctions, quelle formation », cesap Information, n° 33, 1999, p. 29–40.
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[4]
J.-L. Fouchard, « Le soin entre acte et parole », Les Cahiers de l’Actif, n° 310-311, 2002, p.193–200.
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