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Article de revue

Les ombres des anges : histoire d'une comédie

Quand le sujet devient l'agent thérapeutique d'un autre

Pages 7 à 13

Notes

  • [1]
    Psychiatre, médecin-chef à l’hôpital de Fleury-les-Aubrais. Un des militants de la psychiatrie de secteur et du désaliénisme. Je tiens vivement à le remercier pour l’intérêt qu’il porte à Scène Ouverte et pour ses encouragements à la rédaction de ce texte.
  • [2]
    R. Gentis, janvier 1985, document personnel. Voir aussi Projet Aloïse, ceméa-Scarabée, 1982.
  • [3]
    De juin 2008 à décembre 2011, 330 rencontres avec à chaque fois une vingtaine de participants.
  • [4]
    A. Ancelin Schützenberger (1966), Le psychodrame, Paris, Payot, 2003.
  • [5]
    J.-M. Dupeu, L’intérêt du psychodrame analytique, Paris, puf, 2005, p. 34.
  • [6]
    D. Widlöcher, Le psychodrame chez l’enfant, Paris, puf, 1962-2003.
  • [7]
    P. Israël, table ronde, Colloque 2000 etap-spasm, Paris.
  • [8]
    R. Roussillon, Le processus de symbolisation et ses étapes : psycho.univlyon2.fr/sites/psycho/IMG/pdf/doc-226.pdf
  • [9]
    Dans le psychodrame, on utilise « l’inversion des rôles » : une des « techniques spéciales [qui] facilitent l’évolution du sujet ». Cf. R. Mucchielli, La dynamique des groupes, Paris, esf (11e édition), 1986.
  • [10]
    Une vingtaine de personnes en répétition et trente personnes sur scène pour Les ombres des anges.

1Dans les années 1980, Roger Gentis [1] avait initié sur Orléans et sa banlieue une association, Les Amis d’Aloïse. En 1981, débute le « Théâtre Aloïse ». Composée de personnes souffrant de troubles psychotiques et de professionnels de la santé mentale, la troupe donne plusieurs représentations publiques. L’idée de Roger Gentis était « d’ouvrir la psychiatrie (et particulièrement la psychiatrie publique) sur l’extérieur ; ce dont il s’agit en pratique, c’est d’aménager des lieux institutionnels de type littéralement intermédiaire, ou si l’on préfère un terme plus théorique, transitionnels [...] où la psychiatrie interfère avec autre chose, où il y ait une espèce de chevauchement entre deux (ou plusieurs) champs [...] Ce à quoi il faudrait parvenir, c’est que dès le début, la prise en charge de tout jeune psychotique s’effectue dans un réseau d’espaces-temps ainsi ouvert, communiquant sans rupture avec la société civile, par des transitions aménagées [2] ».

2Trente ans plus tard, une association, Scène Ouverte, poursuit à sa façon, cette entreprise.

3Scène Ouverte voit le jour à Orléans en mai 2006. Elle se donne l’objectif de « gérer et de promouvoir des moyens d’action visant la réhabilitation sociale des personnes en difficultés psychiques par le biais d’activités artistiques ».

4Son action doit permettre de désenclaver le malade et sa famille des enfermements psychiatriques par la créativité, les rencontres et le mixage social. Son conseil d’administration regroupe des personnes issues de la société civile, d’autres en grandes souffrances psychiques (hospitalisées ou non), et des soignants en psychiatrie. Une idée germe début 2007 : monter de toutes pièces un grand spectacle. C’est ainsi que naît Les ombres des anges, une comédie musicale entièrement créée par des amateurs, aidés par des professionnels dans sa finalisation (metteurs en scène, professeur de chant, régisseurs…).

5Le spectacle, d’une durée d’une heure et quart, est l’aboutissement de plus de trois années de travail, avec cent vingt personnes de classes d’âge et de milieux sociaux très diversifiés [3]. Ce groupe engagé dans le travail de création est à l’image de la composition du conseil d’administration de l’association.

6Trente personnes sont présentes sur le plateau.

7La comédie a été jouée à trois reprises en spectacle payant, et gratuitement à deux reprises pour favoriser la venue d’autres publics : institutions de soins, associations, groupements d’usagers, personnes handicapées, personnes sans ressources. Cette gratuité a également bénéficié à des collégiens, lycéens, étudiants. Des centres de formation du secteur social et des lycées ont invité l’association et les comédiens à des rencontres. En mars 2011, une conférence publique a été organisée par l’unafam Loiret dans le cadre de la Semaine d’information sur la santé mentale. Les radios nationales et locales ont relayé le message. La presse a de son côté largement couvert la progression du travail.

8Retenons le fait que toutes ces actions invitent les personnes à réfléchir sur les conditions de nos folies : discrimination, désenclavement, psychiatrie, pouvoir médical, chimiothérapie, tolérance et citoyenneté… Elles situent clairement l’engagement des bénévoles de notre association.

Créativité collective : psychodrame et Squiggle Game

9Notre démarche peut être référée au psychodrame de Moreno, et trouver certaines similitudes théorico-pratiques avec le Squiggle Game de Winnicott.

Psychodrame psychanalytique

10Avant sa mise en scène définitive et l’attribution des rôles, la fabrique du spectacle privilégie largement la spontanéité. Ici, nous suivons pour partie les expériences de J.-L. Moreno qui explique que le psychodrame permet de lancer ou de relancer le travail de symbolisation. Selon Moreno, pour faire du psychodrame, il faut quatre conditions : de la compétence technique ; une certaine simplicité cordiale et ouverte à autrui ; beaucoup de courage (pour se lancer) ; beaucoup d’imagination créatrice. En psychodrame, il s’agit de « vivre en groupe une situation passée, présente ou même future, non pas en la racontant dans un colloque singulier (comme en psychothérapie ou en psychanalyse), mais dans une action improvisée […] s’appliquant à une situation vécue : le héros (ou protagoniste) exprime ses véritables sentiments et met en scène, avec l’aide de tous les personnages nécessaires à l’action, et qui lui donneront la réplique [4] ».

11« Tout ce qui vient à l’esprit du patient peut être joué, explique Dupeu, ce qui suppose de se déprendre de toute conception “réaliste” du jeu théâtral – les thérapeutes-acteurs n’étant pas invités à “construire” comme dans le théâtre “psychologique”, un personnage complexe mais tout au contraire à incarner des motions pulsionnelles ou des défenses précises et claires aussi univoques que possible [5]. » Quant aux meneurs de jeu, « Moreno a réaffirmé à maintes reprises une conception radicale du jeu du psychodramatiste : dans le psychodrame, patients et thérapeutes sont à niveau d’égalité. Le thérapeute descend du trône sur lequel la psychanalyse l’avait placé ». Et d’ajouter : « Parfois le meilleur thérapeute pour un sujet sera un autre patient [6]. »

12Bien connus des psychodramatistes, et plus largement, des professionnels qui s’investissent dans les psychothérapies institutionnelles, on parle beaucoup dans les groupes de psychothérapie des effets de « transferts latéraux » des patients les uns envers les autres. En suivant encore Moreno, chaque patient est l’agent thérapeutique d’un autre. Au cours d’un psychodrame, en plus du transfert principal sur le meneur de jeu, se développent plusieurs transferts latéraux sur les acteurs : c’est un transfert fragmenté ou diffus. Pour P. Israël, « le transfert est pluriel » ; « on dit volontiers le transfert parce qu’on pense qu’il se focalise sur la personne de l’analyste, personnage central, mais il se disperse, il se diffracte [7]. » Marina Bart, psychologue engagée dans le projet, note que « parfois, dans le psychodrame en groupe auquel [elle] participe, [elle] remarque à quel point un patient entend plus une parole qui vient d’un autre patient que celle qui vient du meneur de jeu ».

Le Squiggle Game

13En thérapeutique, le Squiggle Game (jeu du gribouillis) est une « créativité à deux », il est particulièrement utilisé auprès d’enfants. C’est une sorte de jeu interactif et projectif.

14Sur une feuille de papier, Winnicott proposait un gribouillis à son jeune patient. Il lui demandait ensuite de le transformer en complétant le dessin. Puis c’était au tour du psychanalyste de gribouiller à nouveau et ainsi de suite. Les commentaires sur l’œuvre qui prenait forme se faisaient en commun. Ce jeu particulier facilitait une approche du monde interne de l’enfant afin de trouver les moyens de le soutenir. En pratique, le jeu évolue vers le détail significatif qui permet d’atteindre la zone de conflit, le point de détresse. Winnicott souligne également la possibilité d’un jeu intersubjectif, un inter-play, où chacun participe à la construction du processus.

15Pour ce qui nous concerne, nous avons vu que notre projet ne se situe pas dans une démarche thérapeutique comme on peut l’entendre habituellement et comme l’envisageait Winnicott. Notre association œuvre dans le sens d’un mieux vivre ensemble, à partir d’un questionnement, le plus large possible, sur les différences, ici notamment sur les différents troubles psychiques, sources de souffrances et d’incompréhensions, d’anxiétés et rejets multiformes…

16Pour autant, nous pensons que cette perspective d’un changement d’appréhension des « maladies psychiques » et des sujets qui en souffrent ne peut se faire qu’à l’occasion d’un vaste mouvement social. Il devrait concerner l’ensemble de la population et questionner la prise en charge des troubles mentaux : particulièrement ceux décrits jusqu’à présent comme « troubles psychotiques ».

17Il ne s’agit pas pour nous d’utiliser comme médiation le dessin, tel que l’expérimente Winnicott, mais l’écriture « à plusieurs » : la composition des textes à mettre en scène. Notre organisation très ritualisée est sécurisante : rendez-vous et lieux fixes ; organisation de la rencontre toujours sur le même modèle avec présentation, information, échauffement, jeux, chants… Avec le plus grand respect, elle favorise la spontanéité de chacun. Cette liberté donne alors la possibilité pour tous, de venir abonder et/ou compléter l’imagination ou le jeu de l’autre, au cours de multiples discussions, improvisations et négociations. « Chacun apporte sa contribution au processus, celui-ci dépend de ce que chacun fait de ce que l’autre ‘‘propose’’ à la rencontre, de ce qu’il accepte d’engager et de mettre en jeu [8]. »

Notre pratique

18Ce qui est devenu notre habitude – s’agirait-il d’une technique ? – consiste en la succession de plusieurs séquences.

19Tout commence toujours par une série de débats. Nous sommes très vigilants au fait qu’ils aient systématiquement lieu et que personne ne soit oublié. Une idée est proposée par l’un des participants. Si elle suscite l’intérêt du groupe, nous formulons ensemble le début de l’histoire pour rapidement laisser place au jeu d’improvisation. D’autres comédiens viennent à leur tour sur le plateau pour donner la réplique. À partir de cette réplique s’organise celle de l’autre et ainsi de suite. La situation minimale est le jeu duel mais le plus souvent les jeux en groupe sont privilégiés.

20Nos créations ont pour contenu des histoires vécues par les participants : exclusion, hallucinations, délires, hospitalisations, médication, pouvoir médical-psychiatrique, aliénations familiales et sociales, etc.

21Dans notre développement créatif-collectif, chacun(e) d’entre nous a le temps et la possibilité d’évoquer des traces de son histoire et de ses expériences : implicitement, cela reste l’un de nos buts. Comme nous le faisait remarquer Marina Bart, « cela évoque le psychodrame freudien. À la croisée de Freud, Moreno et Lacan, le psychodrame freudien travaille sur des scènes réelles de la vie du sujet. L’idée est de créer un décalage par le jeu, qui va devenir le lieu de la répétition. Le but est de sortir de la jouissance dans laquelle loge le sujet. Il s’agit de mettre le réel en avant et de faire survenir un nouveau réel, pour remettre la symbolisation en marche ».

22Le partage de ces « récits de vie » par les jeux de la mise en scène peut permettre un questionnement réflexif à propos de son vécu. Les jeux multiples d’improvisation, l’emprunt et l’attribution de rôles, les « changements de rôles [9] », les suspensions des jeux peuvent-ils servir à prendre une certaine distance, voire à tenter une résolution des troubles psychiatriques ? Peut-être. En tous les cas, nous n’avons pas, directement, ou « lisiblement », d’intention thérapeutique. Nos comparaisons avec le psychodrame et le Squiggle Game s’arrêtent donc là. Il ne s’agit pas de provoquer une expérimentation ou un quelconque « entraînement au changement » chez les comédiens. L’association n’a pas la prétention de les dégager des pathologies supportées au cours de leurs vies. Bien sûr, pour trouver une certaine efficacité à la création, il nous faut faire attention à l’autre, aux autres, afin de pouvoir progresser dans l’histoire et faire progresser nos différents « tableaux ». Ce qui implique un certain souci de soi par le souci de l’autre. Il s’agit de faire référence et de s’articuler à nombre de symboles et donc, peu ou prou, d’utiliser la fonction symbolique chère à Lacan. Même si nous partageons avec Winnicott l’idée que le jeu est thérapeutique en lui-même, les effets de nos pratiques ne sont pas travaillés avec les comédiennes et les comédiens. Nous nous cantonnons à notre seule volonté de solliciter des créativités réciproques avec les gens de la ville, les malades, les soignants, les gens du spectacle… Notre démarche associative ne va pas plus loin.

23Lors de nos rencontres et répétitions, il n’est ainsi jamais question de « révélations interprétatives » quant aux trouvailles et aux implications des comédiens. Chaque participant doit se sentir libre de faire, s’il le souhaite, son propre cheminement à partir de son propre jeu de rôle. Parfois, nous en avons un retour : tel ou tel explique que, dans l’entre-deux rencontres, il a repensé à son rôle, à son jeu… Il en va ainsi pour nous tous.

24Cette volonté de ne pas proposer d’interprétation (on pourrait dire plus exactement de ne pas laisser in situ le temps de l’interprétation) nous différencie des groupes de psychothérapie proposés par ailleurs. En ce sens, il n’est pas sûr qu’une distance, une « abstraction », une volonté d’interprétation soit mobilisée pour chacun(e) d’entre nous. Cependant, notre travail touche à tout ! Dans ce désordre, évoquons : corps, pensée, affects, pulsions, identifications, contraintes, altérité, environnement social, interactions et symbolisation… Même si nous nous démarquons d’un positionnement et d’une visée thérapeutiques directs.

La fabrique de la comédie

25De nombreuses rencontres sont nécessaires pour que le groupe définisse le thème du spectacle à produire. Progressivement, un découpage du projet s’effectue en actes et tableaux.

26L’écriture des textes nous a montré quelques-unes des difficultés afférentes à notre groupe disparate. Pour simplement dire les choses, s’y retrouvent des personnes illettrées et d’autres qui ont un bagage intellectuel élevé… Alors, évidemment, pour « produire l’écriture » du spectacle, conformément à notre projet, notre tâche consiste à trouver une harmonisation de l’ensemble !

27Après le débat d’idées, les improvisations, les ajustements, ce sont par la suite des successions de répétitions qui attendent l’assentiment du groupe. Plus tard encore, un « comité de relecture » (composé habituellement de quatre à cinq personnes) révise le texte : dynamisme, ponctuation, grammaire, orthographe… Ensuite, la saynète est à nouveau mise en place sur le plateau du théâtre.

28Notre entreprise est intéressante dans la mesure où, à notre façon, nous fabriquons du collectif. Nos créations ont cette originalité du fait que, nécessairement, chacun(e) donne du sien. Chacun à sa façon, chacun à son niveau est amené à s’investir dans l’avancée progressive du spectacle. Les idées les plus farfelues peuvent être énoncées, proposées, oubliées…

29La règle générale, nous l’avons vu, est celle de laisser la place et la possibilité à chacun d’expérimenter ses propres capacités, ses propres compétences, pour faire évoluer l’ensemble de la création.

Musiques et chansons

30Comme dans toutes les comédies musicales, les chansons et musiques viennent à la fois soutenir les textes et agrémenter le spectacle. Une autre étape est à franchir. En fonction de l’écriture des tableaux, les musiciens vont entrer dans la composition. Dans le grand groupe [10], ils sont peu nombreux. Les musiciens se sont souvent cantonnés à leur rôle. Jusqu’à présent, leur investissement n’empiète pas sur les rôles dévolus aux comédiens : pour ce qui concerne notre premier spectacle, les directives du metteur en scène sont allées dans ce sens.

31La construction d’une œuvre chantée se déroule de la façon suivante : un des musiciens apporte une proposition de mélodie et les premières lignes d’une chanson. Souvent simple, la ligne mélodique est d’abord soumise à l’accord des autres musiciens. Si ce premier temps est accepté, à leur tour, ils proposent un certain nombre d’arrangements : tonalité, rythmique, choix d’instruments, chorus, introduction, résolution, interventions de breaks, de solos, etc. Ainsi construite et approuvée, cette base va être répétée et consolidée par de nouvelles improvisations et arrangements, jusqu’à l’assentiment et l’appropriation du petit groupe de musiciens.

32Les premières lignes des chansons sont composées à partir du travail du grand groupe et de ses improvisations. Elles reprennent les idées et le contenu des différents tableaux. L’ensemble de la construction du texte, dialogues et chansons, se fait le plus souvent de façon dialectique. On commence le texte à partir des improvisations, on poursuit avec une première strophe pour une chanson, puis on revient au texte du tableau, etc.

33Une plate-forme est ainsi créée. En règle générale, son aménagement permet d’éviter de stagner sur un projet qui risquerait à la longue de ne pas trouver son débouché. Même si cela peut paraître paradoxal, les temps de débat sont limités : ils ne doivent pas enrayer la fabrique de la comédie. Afin d’éviter le découragement des participants, la réalisation doit prendre assez vite consistance. Des décisions doivent être prises. Le risque d’éprouver le sentiment d’échec et d’impuissance en rapport avec l’objectif (« on n’y arrivera jamais », « on ne sera jamais capables de jouer devant un public », « nous ne sommes pas comédiens, chanteurs… »…) et celui de la dissociation du groupe ou de l’abandon nous amènent à veiller au grain !

34La plate-forme permet aussi la mise en route des chansons. Y sont plus facilement repérés les nombres de syllabes, de pieds, de strophes, etc. De multiples modifications des œuvres vont encore être apportées au moment de leur intégration dans la phase de finalisation du spectacle : rythme, nombre de couplets, de refrains, introductions et « ponts » musicaux, « breaks », etc. Ensuite, la distribution (solos, duos, trios, chœurs) va se faire en fonction des désirs et des capacités des uns et des autres, sous la direction du metteur en scène.

35Remarquons ici que l’expérience nous montre les limites des chanteurs. S’il est tentant de s’identifier aux artistes reconnus par les médias, l’exercice de chanteur n’est pas si simple qu’il y paraît ! Malgré un grand nombre de répétitions, malgré l’aide d’une professionnelle, la ténacité et les grands progrès des uns et des autres, les voix sont loin d’être justes… Au moment du spectacle, nous avions beau insister pour que des efforts soient faits dans les présences aux entraînements et ajustements vocaux, la plupart des participants, peut-être trop confiants, pensaient que ces travaux étaient inutiles…

36Comme pour le reste, ces contraintes apportent autant de plaisir que de frustrations ! Ne pas être le compositeur, ne pas être le chanteur soliste, comme le fait de ne pas obtenir le rôle principal, n’est pas facile à vivre. Accepter qu’une critique puisse être émise à propos de son jeu ou de sa voix est bien difficile. Cependant, la consolidation de notre troupe nous a permis de limiter les ruptures.

En résumé

37Notre association soutient la création théâtrale et musicale, collective : délimitation d’un thème, écritures collectives, distribution des rôles, création de décors, etc. Nous partons du postulat que chacun d’entre nous peut et doit participer à l’ensemble de la construction de l’œuvre. Toutefois, n’étant pas des professionnels du spectacle, nous sommes attentifs à ne pas complexifier les attributions des comédiens sur le plateau.

38À quelques différences près, que ce soit l’écriture du texte ou celle des chansons, le processus est toujours le même. D’un premier point, fixe, nous développons une suite de signifiants qui, articulés entre eux avec précision, forment le discours du spectacle. Ces aménagements de créativité et d’accompagnement des meneurs de jeux et des musiciens opèrent comme « les gribouillis inducteurs », de Winnicott. À partir d’une fondation ou d’une plate-forme stabilisée, les artisans de l’édifice peuvent apporter à leur tour leur pierre et s’en donner alors à cœur joie.

39La construction de ce « jouer-entre-nous » prend donc son essor à partir de quelques « éléments originaires ». Nous avons compris qu’ils étaient inspirés par des histoires de vie : représentation (par exemple : maladie mentale…), vécu (souffrance…), idée (discrimination…), mot (folie…), etc. Il en est de même pour les compositions musicales : notes, accords, instruments, enchaînements, styles, rythmes, solos, duos, etc. Notre art réside en ce que chacun d’entre nous est convié à improviser la suite. Toute notre attention est portée au fait d’orchestrer l’ensemble, pour que chacun(e) puisse, à sa façon, « composer » avec.

40Après les difficultés, les doutes et les frustrations, vient le plaisir d’une réussite : celle de nous être associés avec nos différences (sociales, pathologies…) et d’en administrer une preuve au cours de nos représentations, devant un grand nombre de spectateurs. Enfin !…

41… Ils nous représentent.

Notes

  • [1]
    Psychiatre, médecin-chef à l’hôpital de Fleury-les-Aubrais. Un des militants de la psychiatrie de secteur et du désaliénisme. Je tiens vivement à le remercier pour l’intérêt qu’il porte à Scène Ouverte et pour ses encouragements à la rédaction de ce texte.
  • [2]
    R. Gentis, janvier 1985, document personnel. Voir aussi Projet Aloïse, ceméa-Scarabée, 1982.
  • [3]
    De juin 2008 à décembre 2011, 330 rencontres avec à chaque fois une vingtaine de participants.
  • [4]
    A. Ancelin Schützenberger (1966), Le psychodrame, Paris, Payot, 2003.
  • [5]
    J.-M. Dupeu, L’intérêt du psychodrame analytique, Paris, puf, 2005, p. 34.
  • [6]
    D. Widlöcher, Le psychodrame chez l’enfant, Paris, puf, 1962-2003.
  • [7]
    P. Israël, table ronde, Colloque 2000 etap-spasm, Paris.
  • [8]
    R. Roussillon, Le processus de symbolisation et ses étapes : psycho.univlyon2.fr/sites/psycho/IMG/pdf/doc-226.pdf
  • [9]
    Dans le psychodrame, on utilise « l’inversion des rôles » : une des « techniques spéciales [qui] facilitent l’évolution du sujet ». Cf. R. Mucchielli, La dynamique des groupes, Paris, esf (11e édition), 1986.
  • [10]
    Une vingtaine de personnes en répétition et trente personnes sur scène pour Les ombres des anges.
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